Le Quotidien du 23 juillet 2024 : Droit rural

[Brèves] Autorisation de céder judiciairement le bail dans le cadre familial : ne pas oublier l’article 1216 du Code civil !

Réf. : Cass. civ. 3, 11 juillet 2024, n° 21-23.372, FS-B N° Lexbase : A44195PD

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N0029B3H

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université de Franche-Comté

le 22 Juillet 2024

► Il résulte des articles L. 411-64 et L. 411-34 du Code rural et de la pêche maritime que lorsque le preneur destinataire d'un congé fondé sur l'âge obtient l'autorisation de céder son bail, la cession, rendue opposable au bailleur dans les conditions de l'article 1216 du Code civil, prive d'effet ce congé.

En l’espèce, le propriétaire-bailleur d’un domaine agricole a donné à bail rural une propriété et des parcelles agricoles pour une superficie totale d’environ 191 hectares en 1988. Le preneur, qui avait mis le domaine agricole à disposition d'un groupement agricole d'exploitation en commun, a saisi le 16 novembre 2010 le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande d'autorisation de cession du bail renouvelé, au profit de son fils, co-associé. Le 9 février 2011, a délivré au preneur un congé pour atteinte de l'âge de la retraite à effet au 1er octobre 2012, terme de la seconde période triennale suivant le précédent renouvellement qui avait pris effet le 1er octobre 1996.

Par un arrêt du 22 septembre 2016 (Cass. civ. 3, 22 septembre 2016, n° 15-14.577, FS-D N° Lexbase : A9941R3L), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt rendu après cassation, le 19 novembre 2014, par la cour d'appel de Reims ayant autorisé la cession du bail. Le tribunal paritaire ayant sursis à statuer dans l'attente de cette décision définitive, le bailleur, par requête du 10 octobre 2016, a réitéré sa demande d'annulation du congé du 9 février 2011. Par ailleurs, à la suite de l'arrêt précité du 22 septembre 2016, la cession a été passée par acte authentique le 13 décembre 2016 et le preneur l'a signifiée aux coindivisaires, héritiers du bailleur décédé en 2013, selon acte d'huissier du 13 janvier 2017. Le bailleur ayant hérité des biens litigieux a, par requête du 31 janvier 2017, saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande en annulation de la cession ainsi qu'en résiliation de bail et en expulsion, en soutenant que cette cession était intervenue postérieurement à la date d'expiration du bail, peu important qu'elle ait été définitivement autorisée par décision judiciaire.

Par un arrêt du 1er septembre 2021, la cour d’appel de Reims (CA Reims, 1er septembre 2021, n° 19/02007 N° Lexbase : A124643K) a rappelé que la cession de bail a été judiciairement autorisée sans condition ni réserve par l'arrêt définitif précité du 22 septembre 2016. Par conséquent, le tribunal paritaire en a déduit à juste titre que le cessionnaire était réputé avoir acquis cette qualité depuis le jour de la demande de cession faite le 16 novembre 2010 par son père, de sorte qu'il avait bénéficié du renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2015.

Le bailleur forme un pourvoi et critique la cour d’appel d’avoir jugé ses demandes en contestation de la cession du bail, en résiliation du bail et en expulsion.

Question. À quelle date la cession judiciairement autorisée d’un bail rural par le preneur à l’un de ses descendants est-elle opposable au bailleur ?

Enjeu. La détermination de la date d’opposabilité de la cession judiciairement autorisée du bail permet de savoir si un congé pour âge du preneur est ou non valable.

Réponse de la Cour de cassation. Par un arrêt du 11 juillet 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 411-64 N° Lexbase : L4601MHU et L. 411-34 N° Lexbase : L4467I49 du Code rural et de la pêche maritime, précise que même autorisée en justice, la cession ne produit effet à l'égard du bailleur que si, conformément à l'article 1216 du Code civil N° Lexbase : L0929KZG, il est partie à l'acte de cession, si l'acte lui est notifié ou s'il en prend acte conformément à sa jurisprudence (Cass. civ. 3, 11 janvier 2024, n° 22-15.661, FS-B N° Lexbase : A20932DU). Il en résulte que lorsque le preneur destinataire d'un congé fondé sur l'âge obtient l'autorisation de céder son bail, la cession, rendue opposable au bailleur dans les conditions de l'article 1216 du Code civil, prive d'effet ce congé.

En l’espèce, l’autorisation judiciaire de céder le bail avait été passée par acte authentique le 13 décembre 2016 puis signifiée au bailleur par acte d'huissier du 13 janvier 2017. Ayant constaté que la cession du bail avait été notifiée au bailleur après avoir été judiciairement autorisée, la Cour de cassation juge que cour d'appel en a déduit, à bon droit, que le congé pour âge délivré le 9 février 2011 devait être annulé.

Cette décision appelle deux précisions.

Tout d’abord, les juges du fond ont retenu que le fils du preneur était réputé avoir acquis cette qualité depuis le jour de la demande de cession faite le 16 novembre 2010 par son père de sorte qu'il avait bénéficié du renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2015. Ils ajoutent que le débat sur la limite d'âge du preneur initial, atteinte à la date d'effet du congé, ainsi que sur la perte consécutive de sa qualité d'exploitant, est donc sans objet, le congé délivré le 9 février 2011 l'ayant été postérieurement à la date d'effet au 16 novembre 2010. La cession de bail a été judiciairement autorisée sans condition ni réserve par l'arrêt définitif précité du 22 septembre 2016. Pour cette raison, le fils était réputé avoir acquis cette qualité depuis le jour de la demande de cession faite le 16 novembre 2010 par son père de sorte qu'il avait bénéficié du renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2015. Ainsi, le débat sur la limite d'âge du preneur initial, atteinte à la date d'effet du congé, ainsi que sur la perte consécutive de sa qualité d'exploitant est donc sans objet, le congé délivré le 9 février 2011 l'ayant été postérieurement à la date d'effet au 16 novembre 2010 de la cession, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 26 mai 1977, n° 76-11.106, publié au bulletin N° Lexbase : A0737CKI). Par conséquent, la rétroactivité au jour de la demande d'autorisation est une solution qui permet de préserver les intérêts du preneur et du cessionnaire lorsque la cession est finalement autorisée, permettant le bénéfice du renouvellement au profit de ce dernier.

De plus, l’arrêt du 11 juillet 2024 rappelle la solution de celui du 11 janvier 2024 (Cass. civ. 3, 11 janvier 2024, n° 22-15.661, FS-B N° Lexbase : A20932DU ; A.-L. Lonné-Clément, Cession de bail intrafamiliale : la cession autorisée en justice n’est pas pour autant opposable au bailleur !, Lexbase Droit privé, janvier 2024, n° 971 N° Lexbase : N8162BZC) : la cession intrafamiliale du bail judiciairement autorisée ne devient opposable au bailleur qu’après réalisation de l’une des formalités énoncées à l’article 1216 du Code civil, ce qui remet en cause la solution antérieure à la réforme du droit des obligations de 2016, selon laquelle seule la signification de l’autorisation judiciaire de céder le bail rural rendait celle-ci opposable au bailleur. L’opposabilité est acquise dès lors que le bailleur est partie à l’acte de cession rédigé en exécution de l’autorisation judiciaire, s’il prend acte de celle-ci ou si elle lui est notifié par acte de commissaire de justice.

Pour aller plus loin : v. Étude : Cession du bail rural, sous-location et cotitularité du bail, spéc. Cession intrafamiliale avec agrément du bailleur ou du TPBR, in Droit rural (dir. Ch. Lebel), Lexbase N° Lexbase : E9040E9P).

 

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