Le Quotidien du 18 juillet 2024 : Bancaire

[Brèves] Crédit affecté : précision sur la sanction éventuellement applicable

Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 23-12.122, FS-B N° Lexbase : A22265P7

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N0039B3T

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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 17 Juillet 2024

► Le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la complète exécution du contrat principal, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute.

Depuis une dizaine d'années, le contentieux intéressant les crédits ayant servi à financer l’acquisition et l’installation de panneaux photovoltaïques ou de pompes à chaleur, s’est considérablement développé. Les décisions rendues en la matière se sont ainsi multipliées.

Cependant, il apparaît que, depuis 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation cherche à limiter la portée des solutions dégagées jusqu’alors par quelques décisions remarquées. Les actions menées par les emprunteurs ne sont cependant pas nécessairement vouées à l’échec. L’arrêt étudié en témoigne.

Faits et procédure. En l’espèce, M. N. avait conclu hors établissement avec la société F. un contrat de fourniture et d’installation d’une centrale solaire photovoltaïque financé par un crédit souscrit le même jour avec Mme N. auprès de la banque X.

À la suite de leur défaillance dans le règlement des échéances du crédit, la banque avait assigné M. et Mme N. en paiement. Les emprunteurs, pour leur part, avaient assigné le vendeur notamment en nullité du contrat principal. Le vendeur avait enfin été placé en liquidation judiciaire et M. D. désigné en qualité de mandataire liquidateur.

La cour d’appel d’Agen avait décidé, par une décision du 6 avril 2022 (CA Agen, 6 avril 2022, n° 21/00055 N° Lexbase : A46327SD), de condamner solidairement les époux N. à payer à la banque une certaine somme en restitution du capital prêté sous déduction des sommes déjà versées. Les intéressés avaient alors formé un pourvoi en cassation.

Décision. Ils rappelaient, par son intermédiaire, que commet une faute le privant de la possibilité de prétendre au remboursement du capital prêté, le prêteur qui délivre les fonds au vendeur au seul vu de l’attestation de livraison signée par l’emprunteur qui n’est pas suffisamment précise pour rendre compte de la complexité de l’opération financée et lui permettre de s’assurer de l’exécution complète du contrat principal. Il était alors reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché si, compte tenu des circonstances et du court délai écoulé, la banque avait légitimement pu se convaincre, à la seule lecture de l’attestation, de la réalisation complète de l’opération complexe de livraison et d’installation financée par le contrat de crédit.

Or, ce moyen se révèle utile, puisque la Haute juridiction casse la décision des juges du fond.

Elle se prononce sur le fondement des articles L. 312-48 N° Lexbase : L1314K7S, L. 312-55 N° Lexbase : L1307K7K du Code de la consommation et 1231-1 du Code civil N° Lexbase : L0613KZQ. Selon la Cour de cassation, en effet, il résulte de ces textes que la résolution ou l’annulation d’un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de services qu’il finance, emporte pour l’emprunteur l’obligation de restituer au prêteur le capital prêté.

Cependant, elle précise que le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la complète exécution du contrat principal, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute. Plusieurs décisions, allant dans le même sens, sont alors citées (Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-13.022, F-P+B N° Lexbase : A4872I3T ; Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-14.908, FS-P+B+I N° Lexbase : A551537E, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, décembre 2020, n° 657 N° Lexbase : N5570BYX).

Il est encore rappelé que la Cour de cassation juge, de longue date, que commet une faute le prêteur qui libère les fonds au vu d’une attestation de livraison et de demande de financement signée par l’emprunteur, insuffisamment précise pour rendre compte de la complexité de l’opération financée et permettre au prêteur de s’assurer de l’exécution effective des prestations de mise en service de l’installation auxquelles le vendeur s’était également engagé, ou bien encore d’une attestation mentionnant que les travaux terminés ne concernent pas les prestations de raccordement ni l’obtention des autorisations administratives auxquelles le vendeur s’était engagé. Plusieurs décisions sont ici également mentionnées (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-13.658, FS-P+B+I N° Lexbase : A8672NNI ; Cass. civ. 1, 12 décembre 2018, n° 17-20.882, F-D N° Lexbase : A7041YQT ; Cass. civ. 1, 14 février 2024, n° 21-12.246, F-D N° Lexbase : A31562N9).

Or, pour condamner les emprunteurs, à la suite de l’annulation de la vente et du contrat de crédit affecté, à restituer à la banque le capital prêté sous déduction des sommes déjà versées, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que la banque n’avait commis aucune faute en versant les fonds au vendeur au vu de l'attestation de conformité du Comité national pour la sécurité des usagers de l’électricité (Consuel) et de l’acceptation sans réserve, signée de l’un des emprunteurs après l’expiration du délai de rétractation, de la livraison et de l’exécution des prestations.

Dès lors, en statuant ainsi, alors qu’elle relevait qu’aux termes du contrat de vente, le prix incluait les démarches administratives et les frais de raccordement au réseau ERDF « pris en charge à 100 % », de sorte que l’attestation signée par l’emprunteur, qui ne mentionnait pas ces prestations, n’était pas suffisamment précise pour permettre au prêteur de s’assurer de l’exécution de chacune des prestations énumérées au contrat principal auxquelles le vendeur s’était engagé, la cour d'appel avait violé les textes susvisés.

Cette décision est donc riche en enseignements. Nous en retiendrons trois.

D’abord, elle démontre que la sanction consistant à priver le prêteur de tout ou partie de sa créance de restitution n’a pas disparu (notamment au profit des règles de responsabilité civile). Elle est encore susceptible d’être prononcée si l’emprunteur parvient à justifier avoir subi un préjudice en lien avec la faute de la banque ayant débloqué les fonds entre les mains du fournisseur alors qu’une anomalie apparente aurait dû la pousser à ne pas agir de la sorte.

Ensuite, la Cour de cassation démontre qu’elle souhaite donner une cohérence avec sa jurisprudence plus ancienne. Le fait de mentionner des décisions passées en témoigne. Il n’y a donc pas eu, comme nous le pensions, une totale « cassure » dans cette même jurisprudence en 2019.

Enfin, il est souligné que si la prestation attendue incluait le raccordement au réseau ERDF, l’attestation de fin de travaux doit être suffisamment précise pour que le banquier puisse s’assurer que ce raccordement a bien été effectué.

Par ailleurs, les emprunteurs faisaient grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir rejeté leur demande de dommages et intérêts formée contre le vendeur, représenté par son mandataire liquidateur.

La Cour de cassation se prononce en se fondant sur l’article 16 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1133H4Q. Elle commence par rappeler qu’aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Elle note, ensuite, que pour rejeter la demande de dommages et intérêts formée par les emprunteurs, la cour d’appel avait retenu que ceux-ci ne prétendaient pas avoir déclaré une créance à l’encontre du vendeur entre les mains de son liquidateur dans le cadre de la procédure collective.

Dès lors, en statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu’elle relevait d'office, la cour d'appel avait violé l’article précité.

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