Réf. : Cass. soc., 19 juin 2024, n° 23-10.817, FS-B N° Lexbase : A85905IY
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par Pierre Lopes, Avocat, cabinet Fromont Briens
le 17 Juillet 2024
Mots clés : rupture conventionnelle • vice du consentement • consentement • dol • employeur
Dans un arrêt en date du 19 juin 2024, publié au Bulletin, la Cour de cassation décide que si, à l’occasion de la conclusion d’une convention de rupture conventionnelle, le salarié dissimule intentionnellement à l’employeur une information dont il sait qu’elle présente pour lui un caractère déterminant dans son consentement à la rupture du contrat, cette rupture est frappée de nullité et produit les effets d’une démission.
I. Validité de la rupture conventionnelle et vice du consentement
Vice du consentement. En application du droit commun, pour qu’une convention puisse être valablement conclue, un consentement non vicié des parties est requis [1], ce qui implique qu’il soit donné de manière libre et éclairé. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 1130 du Code civil N° Lexbase : L0842KZ9, « l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».
Le droit de la rupture conventionnelle est soumis à ces principes de droit commun, qui s’y appliquent même avec une intensité particulière. Le législateur a ainsi insisté sur le fait que l’ensemble de la procédure, visée aux articles L. 1237-11 N° Lexbase : L8512IAI et suivants du Code du travail, visait à « garantir la liberté du consentement des parties » [2]. Le délai de rétraction de quinze jours dont bénéficient les parties à l’issue de la signature de la convention de rupture conventionnelle [3] s’inscrit pleinement dans cet objectif, tout comme le fait que l’inspecteur du travail soit notamment tenu de s’assurer « de la liberté de consentement des parties » [4] avant de procéder à son homologation.
Dol. La notion de dol est définie à l’article 1137 du Code civil N° Lexbase : L1978LKH : « le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ». En pratique, le dol est le plus souvent invoqué par le salarié, au même titre d’ailleurs que les autres vices du consentement. Il a, par exemple, été jugé qu’une rupture conventionnelle est nulle lorsque l’employeur a dissimulé au salarié le fait qu’il préparait un plan de sauvegarde de l’emploi visant notamment son poste au moment où la convention a été signée, le privant ainsi du bénéfice du plan [5]. Pour autant, le dol peut également être soulevé par l’employeur. Une telle demande a notamment prospéré dans deux affaires dans lesquelles l’employeur avait découvert, postérieurement à la rupture, que le salarié était l’auteur de plusieurs vols dans l’entreprise [6]. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette même hypothèse de demande d’annulation à l’initiative de l’employeur.
II. Caractérisation du vice du consentement
Rappel de la procédure. Dans cette affaire, la société Alientech France avait contesté judiciairement la validité de la convention de rupture conventionnelle, signée le 20 novembre 2018 avec l’un de ses salariés, qui occupait le poste de responsable commercial. Elle estimait ainsi que son consentement avait été vicié en raison des manœuvres dolosives du salarié, qui lui avait dissimulé ses projets professionnels au moment de la signature de la convention. La cour d’appel de Toulouse a fait droit à sa demande, en jugeant donc que la convention devait être frappée de nullité, par un arrêt du 18 novembre 2022 [7]. Le salarié a alors formé un pourvoi, finalement rejeté par la Cour de cassation par un arrêt en date du 19 juin 2024. Une attention particulière mérite d’être portée sur les éléments factuels et juridiques ayant motivé cette décision.
Manœuvres dolosives. Devant les juges du fond, il a été établi que le salarié avait justifié sa demande de rupture conventionnelle par un projet de reconversion professionnelle dans le management, ce qui avait convaincu son employeur d’y donner une suite favorable. Ce dernier avait finalement découvert, postérieurement à la rupture, que le salarié avait en réalité pour projet de créer une société concurrente à la sienne, avec deux autres de ses salariés. Il considérait ainsi que son consentement à la rupture conventionnelle avait été vicié, cette dissimulation d’information constituant une manœuvre dolosive.
Matérialité. Pour établir la réalité de cette manœuvre, l’employeur avait, postérieurement à la rupture, fait restaurer les fichiers informatiques de l'ancien ordinateur professionnel du salarié, en présence d'un huissier de justice et d'un expert informatique. L’analyse de ces fichiers avait permis de mettre en évidence que, à la date à laquelle il avait demandé à bénéficier d'une rupture conventionnelle, ce dernier avait déjà entamé des démarches en vue de la création d’une société concurrente. Dans ces conditions, la matérialité des faits était difficilement contestable. La cour d’appel avait d’ailleurs relevé que l’intéressé « ne conteste pas avoir, alors qu'il était salarié, entrepris des démarches administratives, dans la perspective de créer une société » [8]. Le salarié avait soulevé l’irrecevabilité des éléments de preuve produits en ce qu’ils portaient sur des fichiers informatiques à caractère personnel. Le juge d’appel a toutefois écarté cet argument, considérant, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, que les fichiers retrouvés dans un ordinateur professionnel sont présumés de nature professionnelle et que le salarié n’établissait pas qu’ils avaient été identifiés comme étant personnels [9].
Intentionnalité. Aux termes de l’article 1137 du Code civil N° Lexbase : L1978LKH, dont les termes sont rappelés par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, la dissimulation d’informations doit être intentionnelle pour qu’un dol puisse être caractérisé. En l’espèce, au regard des faits en cause, l’intentionnalité de la dissimulation du salarié était difficilement contestable, ce que n’avait pas manqué de relever la Cour d’appel. C’est donc essentiellement sur le caractère déterminant des informations dissimulées que le débat a porté.
Caractère déterminant. Le dol n’est une cause de nullité de la convention que lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé [10]. Il revient donc à la partie qui soulève la nullité de la rupture conventionnelle sur le terrain du dol de démontrer que des informations déterminantes à son consentement lui ont été dissimulées, mais aussi que l’autre partie avait connaissance du caractère déterminant de ces mêmes informations.
Dans l’arrêt du 18 novembre 2022, confirmé par la Cour de cassation, la cour d’appel de Toulouse a jugé que, pour accepter la rupture conventionnelle, « l'employeur s'est déterminé au regard du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management invoqué par [le salarié], du fait du défaut d'information volontaire de l'appelant sur le projet d'entreprise initié dans le même secteur d'activité auquel sont associés deux anciens salariés » [11]. Elle s’est notamment appuyée, pour considérer que le salarié ne pouvait ignorer le caractère déterminant pour l’employeur des informations dissimulées, sur un SMS adressé par le premier au second, et rédigé dans les termes suivants : « Honnêtement je suis sûr que tu m'aurais fait la morale et que mon association avec [P] ne t'aurait pas convenue de toute façon » [12].
Dans la mesure où l’appréciation du caractère déterminant des éléments dissimulés relève du pouvoir souverain des juges du fond, elle ne peut plus être contestée à l’occasion d’un pourvoi devant la Cour de cassation [13]. En l’espèce, le salarié s’était toutefois placé sur le terrain de la dénaturation pour tenter de réintroduire le débat en cassation. En vain : la Haute juridiction a considéré que c’est « par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, de la portée des éléments de preuve produits, [que] la cour d'appel a constaté que le salarié avait volontairement dissimulé des éléments dont il connaissait le caractère déterminant pour l'employeur afin d'obtenir le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle ».
Cette solution est à mettre en perspective avec celle retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 11 mai 2022 [14], qui portait sur des faits similaires : un employeur avait soulevé la nullité de la rupture conventionnelle négociée avec un salarié après avoir appris son embauche par une entreprise concurrente, alors même qu’il lui avait fait état d’un projet de reconversion professionnelle. Si la cour d’appel avait fait droit à la demande de nullité formulée, la Haute juridiction a retenu la solution contraire, considérant que le juge d’appel s’était déterminé « sans constater que le projet de reconversion professionnelle présenté par le salarié à son employeur a déterminé le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle » [15].
L’issue de ce type de contentieux dépend donc directement des éléments de preuve produits pour établir le caractère déterminant des informations dissimulées dans le consentement donné à la rupture conventionnelle, étant rappelé que c’est à la partie qui invoque un vice du consentement d’en apporter la preuve [16].
Date d’appréciation. La validité du consentement s’appréciant au moment de la formation du contrat (en l’occurrence de la convention de rupture conventionnelle), l’analyse de la chronologie des événements présente un enjeu particulier. En l’espèce, le dol est constitué dans la mesure où il ressort clairement de la motivation de l’arrêt d’appel que, au jour de la conclusion de ladite convention de rupture conventionnelle, le salarié avait entamé des démarches en vue de la création de la société et qu’il avait donc volontairement dissimulé ses intentions à son employeur : « Les documents versés à la procédure confirment qu'antérieurement à la signature de la rupture conventionnelle, M. [R] avait de façon concrète et concertée avec deux personnes issues du même groupe de sociétés, procédé à des démarches, non seulement administratives, mais de rentabilité avec analyse de la concurrence, en vue de la création d'une société dans un même secteur d'activité » [17]. En toute logique, la solution aurait été inverse s’il s’était avéré que les démarches en vue de la création d’une société concurrente avaient été entreprises par le salarié postérieurement à la conclusion de la convention de rupture conventionnelle.
Articulation avec d’autres principes. Pour soutenir l’absence de toute nullité de la rupture conventionnelle de son contrat de travail, le salarié avançait, entre autres arguments, que, dans la mesure où il n’était lié à aucune clause de non-concurrence ou d’exclusivité, il n'était pas tenu de révéler spontanément à son employeur son projet de création d'activité concurrente et que la solution retenue par la cour d’appel portait une atteinte disproportionnée au principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle. Ces arguments sont toutefois écartés par la Cour de cassation, qui considère que l’arrêt d’appel n’a pas pour conséquence de « faire peser sur le salarié une obligation d'information contractuelle, ni [de] porter atteinte à sa liberté d'entreprendre » [18].
III. Effets de l’annulation de la rupture conventionnelle
Démission. L’autre apport majeur de l’arrêt commenté porte sur les effets produits par la rupture conventionnelle annulée à la suite d’un vice du consentement de l’employeur. La cour d’appel de Toulouse avait considéré que celle-ci devait s’analyser en une démission ; le salarié avait donc été condamné à rembourser à son ancien employeur l’indemnité spécifique de rupture perçue à l’occasion de la rupture de son contrat (à hauteur de 18 775 €) et à lui verser une indemnité compensatrice au titre du préavis non exécuté (à hauteur de 20 334 €). Le salarié contestait cette analyse devant la Cour de cassation, arguant notamment du fait qu’une démission ne pouvait résulter que d'une manifestation de volonté claire et non équivoque, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. La solution dégagée par la cour d’appel est néanmoins confirmée par la Haute juridiction, qui décide que « lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d'une convention de rupture ensuite annulée en raison d'un vice du consentement de l'employeur, la rupture produit les effets d'une démission ». Cette solution est nouvelle, la Cour de cassation faisant droit, pour la première fois, dans le cadre de cet arrêt, à une demande en nullité d’une rupture conventionnelle d’un employeur sur le terrain du vice du consentement. Elle est néanmoins logique dès lors que, à l’inverse, lorsque la nullité de la rupture conventionnelle est prononcée en raison d’un vice du consentement du salarié, la rupture produit alors les effets d’un licenciement dépourvu de cause et sérieuse [19].
[1] C. civ., art. 1128 N° Lexbase : L0844KZB.
[2] C. trav., art. L. 1237-11 N° Lexbase : L8512IAI.
[3] C. trav., art. L. 1237-13 N° Lexbase : L8385IAS.
[4] C. trav., art. L. 1237-14 N° Lexbase : L8504IA9.
[5] Cass. soc., 6 janvier 2021, n° 19-18.549, F-D N° Lexbase : A89254B8. En revanche, un salarié ne peut invoquer un vice du consentement s’il a été informé du PSE pendant la période de rétractation : Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-13.830, FS-P+B N° Lexbase : A3850NPB.
[6] CA Metz, 6 mai 2013, n° 11/01105 N° Lexbase : A2943KDD ; CA Rennes, 22 avril 2016, n° 14/03271 N° Lexbase : A7353RKK.
[7] CA Toulouse, 18 novembre 2022, n° 21/02902 N° Lexbase : A05928X9.
[8] CA Toulouse, 18 novembre 2022, n° 21/02902, préc..
[9] V. not : Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 08-42.486, F-D N° Lexbase : A2396GN3.
[10] Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-15.909, F-D N° Lexbase : A18747XP.
[11] CA Toulouse, 18 novembre 2022, n° 21/02902, préc..
[12] CA Toulouse, 18 novembre 2022, n° 21/02902, préc..
[13] Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-13.830, FS-P+B N° Lexbase : A3850NPB.
[14] Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-15.909, F-D N° Lexbase : A18747XP.
[15] Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-15.909, préc..
[16] Cass. soc., 17 mars 2021, n° 19-25.313, F-D N° Lexbase : A88574LM.
[17] CA Toulouse, 18 novembre 2022, n° 21/02902, préc..
[18] CA Toulouse, 18 novembre 2022, n° 21/02902, préc..
[19] Cass. soc., 30 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R N° Lexbase : A6245I43.
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