Réf. : Cass. civ. 1, 3 juillet 2024, n° 22-13.639, F-B N° Lexbase : A58035MU
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par Jérôme Casey, Avocat au Barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
le 11 Juillet 2024
► Il se déduit de l'article 883 du Code civil que l'effet déclaratif du partage est sans incidence sur l'efficacité de la cession d'une quote-part de l'universalité d'une indivision, de sorte que le cessionnaire acquiert, par le seul effet de la cession, la qualité d'indivisaire ; il résulte de l'article 840-1 du même code, qu'il ne peut être procédé au partage unique de plusieurs indivisions que si celles-ci existent entre les mêmes personnes ;
En conséquence, viole ces textes la cour d'appel qui, pour ordonner le partage, entre les trois fondateurs de sociétés civiles immobilières, des parts sociales indivises de celles-ci et dire qu'il conviendra de procéder à un partage unique de ces parts avec d'autres biens indivis entre eux, retient que le sort des donations qu'ils ont faites à leurs propres enfants, dans des proportions variables, de leurs quotes-parts indivises des parts de tout ou partie des SCI, dépendra du sort du partage à intervenir entre eux trois.
L’arrêt rapporté tranche une situation de fait assez complexe. Des parents donnent divers biens à leurs trois enfants, lesquels les apportent à plusieurs SCI, dont ils démembrent les parts sociales entre eux-mêmes et leurs propres enfants. Ce système, issue d’une « ingénierie patrimoniale » fort mal réfléchie tourne au désastre lorsque l’un des trois enfants se brouille avec les deux autres. Comment partager alors cet amas de droits indivis ? Deux des enfants soutenaient qu’un partage unique pouvait être fait, nonobstant les cessions secondaires à la deuxième génération (petits-enfants des donataires d’origine), puisque la cession des parts sociales dépendait du résultat du partage des premières donations de droits indivis consenties par les parents entre les trois enfants. Ainsi, selon eux, nonobstant l’existence d’indivisions distinctes, un partage unique pouvait intervenir puisqu’il intervenait entre les mêmes personnes, dès lors que les droits de leurs propres enfants dépendaient, via l’effet déclaratif du partage, du résultat du partage de l’indivision d’origine (sur les biens apportés aux différentes SCI).
La Cour de cassation ne l’entend pas de cette façon et décide que l’effet déclaratif du partage est « sans incidence » sur l’efficacité d’une cession d’une quote-part de l’universalité d’une indivision de sorte que le cessionnaire acquiert, par le seul effet de la cession, la qualité d'indivisaire, avec pour conséquence qu’un partage unique des indivisions n’était pas possible, puisque certains biens indivis n’avaient cette qualité qu’entre les petits-enfants.
Si l’on comprend bien le raisonnement de l’arrêt, celui-ci n’en demeure pas moins surprenant, tant il rompt avec ce qui se jugeait jusque-là.
En effet, pour les cessions à titre gratuit de droits indivis (comme en l’espèce), il était traditionnellement jugé qu’en cas de donation d’une quote-part de droits indivis par l’un des indivisaires, l’efficacité de cette donation dépendait du résultat du partage de l’indivision d’origine (Cass. civ. 1, 23 octobre 2013, n° 12-18.170, F-P+B N° Lexbase : A4678KNL), de sorte que la donation par l’un des indivisaires de sa quote-part de droits indivis n’empêchait pas l’application de l’article 840-1 du Code civil N° Lexbase : L9980HNX (qui permet le partage unique d’indivisions multiples si celles-ci existent exclusivement entre les mêmes indivisaires), ce qui a d’ailleurs été jugé dans une affaire peu banale, portant sur des biens situés dans les superbes îles Chausey (v., Cass. civ. 1, 4 mai 2017, n° 16-20.025, F-P+B N° Lexbase : A9430WBU ; AJ fam. 2017, p. 417, obs. J. Casey). La présente décision rompt donc avec cette logique, affirmant que l’effet déclaratif du partage est « sans incidence » sur les droits indivis reçus par les cessionnaires (qui sont donc hors indivision d’origine). Il est tout de même étonnant que ce qui était vrai en 2013/2017 devienne faux en 2024, et ceci sans l’once d’une explication…
La solution convainc d’autant moins que pour les cession à titre onéreux de droits indivis (C. civ., art. 815-14 N° Lexbase : L9943HNL), on enseigne traditionnellement que le cessionnaire n’a pas la qualité d’indivisaire, de sorte que, par exemple, il ne peut demander le partage (v. F. Collard et J. Lafond, L’indivision, Lexis-nexis, 2e éd., 2023, § 957, et les réf.), ce qui est cohérent avec ce qui se décidait (avant la présente décision) pour les cessions à titre gratuit, comme il a été vu ci-dessus. Est-ce à dire que, par extension de la présente décision, pour les cessions à titre onéreux, les cessionnaires deviendraient également indivisaires ? Bien malin qui pourra le dire, puisqu’en l’espèce la Cour de cassation ne s’explique pas sur la raison qui permet la mise à l’écart de l’effet déclaratif du partage (lequel n’est pas absolu, c’est entendu, mais tout de même on ne peut l’anéantir ainsi, sans explication).
On prendra donc cet arrêt pour ce qu’il est, une décision de revirement, sans explication (alors que la Cour sait utiliser la motivation enrichie quand elle en a envie, v., par exemple, Cass. civ. 1, 27 mars 2024, n° 22-13.041, FS-B N° Lexbase : A17922XN), dont la portée pratique sera assez dévastatrice, tant il remet en cause des principes bien établis, et bien des stratégies patrimoniales. On peine à comprendre pourquoi la Cour de cassation veut s’engager dans cette voie, et dans le cas de l’arrêt commenté, nous ne sommes pas loin de penser qu’elle condamne les parties à un enfer indivis, dont elles auront toutes les peines du monde à se sortir. Quelle étrange décision…
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