Le Quotidien du 15 juillet 2024 : Droit rural

[Brèves] Modalités du droit de reprise par une société en Guadeloupe

Réf. : Cass. civ. 3, 4 juillet 2024, n° 22-22.448, FS-B N° Lexbase : A68335MZ

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N9951BZL

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université de Franche-Comté

le 12 Juillet 2024

► Pour bénéficier du droit au renouvellement du bail rural en Guadeloupe, le preneur n’est pas tenu de répondre aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 de ce code ou de justifier bénéficier d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions ;

Lorsque le droit de reprise est exercé par une société, dès lors que la directrice générale de la société avait valablement donné pouvoir au président du conseil d'administration pour délivrer congé, ce dernier était, à compter de cette date, habilité à représenter la personne morale à cette fin, peu important que le changement des organes dirigeants ait été publié au registre du commerce et des sociétés ultérieurement.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation porte sur deux questions distinctes, la première relative aux particularismes du droit rural outremarin applicable en Guadeloupe et la seconde concernant les modalités de délégation de pouvoir dans une société foncière.

En l’espèce, une société foncière a consenti par acte authentique du 11 avril 1994 à une SA, un bail d'une durée de dix-huit ans commençant à courir le 31 juillet 1993 pour se terminer le 31 juillet 2011, date à laquelle il s'est renouvelé. Par acte extrajudiciaire du 20 juillet 2018, la bailleresse a fait délivrer à la preneuse un congé aux fins de reprise pour le 31 juillet 2020. Par un nouvel acte extrajudiciaire du 31 juillet 2018, un second congé portant sur les mêmes parcelles a été signifié à la locataire pour le compte de la propriétaire, agissant cette fois sur représentation du président de son conseil d'administration. La preneuse a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins d’annulation du congé. Ayant obtenu gain de cause, la bailleresse a interjeté appel.

Par un arrêt du 4 avril 2022, la cour d’appel de Basse-Terre (CA Basse-Terre, 4 avril 2022, n° 21/00482 N° Lexbase : A13537SW) a relevé que la société foncière avait sollicité en cause d'appel, la nullité du bail, au titre de la violation de la règlementation du contrôle des structures, qu’elle a rejeté au motif que cette demande ne figurait pas dans le dispositif ses dernières conclusions.

Puis, la cour d’appel a relevé que le directeur général de la bailleresse peut délivrer congé sans autorisation du conseil d'administration et qu'a contrario le président du conseil d'administration ne pouvait pas y procéder seul. La société appelante soutenait que ce congé était valable, dans la mesure où le président du conseil d'administration avait agi sur délégation de pouvoir de la directrice générale, conformément au pouvoir du 7 juillet 2018 par lequel cette dernière avait donné pouvoir au président de « signer tous documents au nom et pour le compte du mandant, et plus généralement faire dans ce cadre tout ce que les circonstances exigeront au mieux des intérêts du mandant et de la société à l'effet de mener à bonne fin l'opération et ses suites y compris faire délivrer signification du congé par voie d'huissier et représenter la société dans toutes les suites de ce congé notamment représenter la société en justice, tant en demande qu'en défense» après avoir pris connaissance du projet de donner congé à la société locataire au titre du bail à long terme conclu le 11 avril 1994 selon les modalités prévues au Code rural en vue d'une reprise personnelle de l'exploitation des terres à compter du 1er août 2020 et des principales conditions et modalités envisagées pour l'opération. En outre, les modifications statutaires concernant l'identité des organes dirigeants ont fait l'objet d'une déclaration au greffe du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre le 20 juillet 2018, ainsi qu'une publication dans un journal d'annonces légales le 27 juillet suivant. Pour autant, la cour d’appel considère que les congés litigieux ne sont pas valables, car les formalités étaient insuffisantes pour rendre opposables ces modifications aux tiers, lesquels ne prennent effet à leur égard qu'à compter de leur publication au registre du commerce et des sociétés.

La société forme un pourvoi et reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le preneur, pour bénéficier du droit au renouvellement du bail, était en règle avec le contrôle des structures, d’avoir considéré que le défaut de mention dans le congé de l’autorisation donnée au représentant de la personne morale bailleresse de délivrer en son nom le congé, emportait nullité de ce dernier et que la publicité légale opérée après la délivrance du congé rendait la modification des organes de direction de la bailleresse inopposable à la société preneuse.  

Ces critiques peuvent être regroupées en deux thèmes distincts relatif au droit au renouvellement du preneur et à la capacité à faire délivrer un congé pour reprise.

1. Question. Dans quelles conditions, le preneur à bail rural en Guadeloupe peut-il bénéficier du droit au renouvellement de son bail arrivé à expiration ?

Enjeu. Le preneur doit-il être en règle avec la législation du contrôle des structures pour bénéficier du renouvellement de son bail rural ?

Réponse de la Cour de cassation. Ni l'article L. 461-8 N° Lexbase : L4790K7K, ni l'article L. 461-5 N° Lexbase : L4793K7N du Code rural et de la pêche maritime n'impose au preneur de justifier, pour bénéficier du droit au renouvellement, de répondre aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 N° Lexbase : L6492DIB de ce code ou de justifier bénéficier d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions.

Ainsi, il résulte de la combinaison de ces textes que le dernier alinéa de l'article L. 411-46 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L0861HPL, qui dispose que le preneur qui a droit au renouvellement doit réunir les mêmes conditions d'exploitation et d'habitation que celles exigées du bénéficiaire du droit de reprise en fin de bail à l'article L. 411-59 N° Lexbase : L0866HPR, lequel dispose en son dernier alinéa que le bénéficiaire de la reprise doit répondre aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5, ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions, n'est pas applicable en Guadeloupe.

Par conséquent, le bailleur ne peut invoquer une règle de droit non applicable dans un département outremarin pour contester un droit conféré par le statut des baux ruraux au preneur à l’expiration du son bail.

Les décisions relatives au droit outremarin sont peu fréquentes. En pratique, il convient de vérifier les conditions territoriales d’applications de certaines règles, lesquelles peuvent parfois s’appliquer globalement aux zones françaises outremarines, et parfois chaque département ou collectivité bénéficie de règles qui lui sont propres. Il revient donc au praticien de vérifier le champ d’application des règles dont il demande l’application au juge.

Pour aller plus loin : v. Étude : Congé pour reprise délivré par le bailleur, spéc. Bénéficiaire du congé pour reprise in Droit rural (dir. Ch. Lebel), Lexbase N° Lexbase : E9182E9X.

2. Question. Lorsque le bailleur est une société foncière, qui dispose de la capacité juridique requise pour faire délivrer un congé pour reprise ?

Enjeu. Lorsque l’auteur du congé ne dispose pas des pouvoirs requis, l’acte est nul, ce qui permet au preneur d’en faire constater la nullité judiciairement, et de solliciter, par la suite, le renouvellement de son bail.

Réponse de la Cour de cassation. En application des articles L. 123-9 N° Lexbase : L5567AIZ et L. 210-9 N° Lexbase : L5796AII du Code de commerce, la Cour de cassation rappelle que la personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l'exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s'en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre. En outre, la personne assujettie à un dépôt d'actes ou de pièces en annexe au registre ne peut les opposer aux tiers ou aux administrations, que si la formalité correspondante a été effectuée. Toutefois, les tiers ou les administrations peuvent se prévaloir de ces actes ou pièces. Les dispositions des alinéas précédents sont applicables aux faits ou actes sujets à mention ou à dépôt même s'ils ont fait l'objet d'une autre publicité légale. Ne peuvent toutefois s'en prévaloir les tiers et administrations qui avaient personnellement connaissance de ces faits et actes.

Puis elle ajoute que selon le second texte, ni la société ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d'une irrégularité dans la nomination des personnes chargées de gérer, d'administrer ou de diriger la société, lorsque cette nomination a été régulièrement publiée. La société ne peut se prévaloir, à l'égard des tiers, des nominations et cessations de fonction des personnes visées ci-dessus, tant qu'elles n'ont pas été régulièrement publiées. Ainsi, dès sa désignation, un mandataire social est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société, et ce, indépendamment de la publication de sa désignation au registre du commerce et des sociétés (Cass. com., 12 juillet 2004, n° 02-17.255, FS-P+B+I N° Lexbase : A1026DDD ; Cass com., 10 juillet 2012, n° 11-21.395, F-P+B N° Lexbase : A8236IQ4).

En l’espèce, la société preneuse ne pouvait valablement fonder sa demande d’annulation du congé sur le défaut de pouvoir du président du conseil d’administration de la société bailleresse. Cependant, le congé ayant été annulé pour un autre motif, la société foncière n’a pas pu faire valoir son droit de reprise.

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