Le Quotidien du 4 juillet 2024 : Éditorial

[A la une] La présence de l’avocat en perquisition pénale : une urgence saisissante

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par Vincent Nioré, Ancien vice-Bâtonnier du barreau de Paris, Membre du CNB, STAS & Associés et Julien Brochot, Ancien membre du Conseil de l’Ordre du barreau de Paris, Membre du CNB

le 04 Juillet 2024

Lors de son Assemblée Générale du 14 juin 2024, le Conseil National des Barreaux (CNB) a voté à l’unanimité de ses 82 membres une résolution en faveur de la présence de l’avocat en perquisition pénale. Cette revendication des robes noires est ancienne. Elle se heurte à une opposition politique ferme mais injustifiée. Le principe de la libre défense commande sa présence même lorsque la perquisition a déjà commencé sans lui.

La loi de programmation et d’orientation pour la Justice du 20 novembre 2023 étend la faculté d’opérer des perquisitions de nuit en cas de suspicion de crime contre les personnes de droit commun là où autrefois cette mesure était réservée aux crimes les plus graves.

Le garde des Sceaux soutenait cette réforme par l’exemple :

« Imaginons que, dans un domicile, une femme et deux enfants viennent d’être tués. Doit-on ou non y entrer ? Voilà l'hypothèse qui nous préoccupe » (Sénat - 7 juin 2023).

Or, en cas de crime flagrant, un enquêteur pouvait déjà pénétrer dans un domicile, procéder à toute constatation utile et conserver les indices.

Le CNB a, d’une seule voix, alerté sur les dangers que représentait l’extension des perquisitions de nuit tant on sait que cette mesure est attentatoire au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection du domicile protégés par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH).

C’est si vrai, et souvent occulté, que la perquisition ne concerne pas la seule personne du mis en cause mais également tout lieu pouvant contenir un indice utile à l’enquête ou à l’instruction en cours.

Le Barreau de Paris, soutenant la position du CNB, a tenté un subsidiaire audacieux partant du principe qu’une atteinte à un droit pouvait être rééquilibrée par le renforcement d’un autre droit : il a proposé un amendement de compromis permettant à la personne non placée en garde à vue, et contre laquelle n’existe aucune raison plausible, d’être assistée de son avocat.

Ainsi, il s’est appuyé sur de sérieux précédents parlementaires. 

En effet, à l’occasion de la discussion de la loi « Belloubet » de 2019, le Sénat avait proposé un texte consacrant la présence de l’avocat en perquisition. De même, lors de la discussion de la loi confiance de 2021, la députée Naïma Moutchou avait proposé un amendement dans le même sens, lequel fut validé puis retiré.

En outre, les débats au sein des deux Assemblées avaient permis de dégager une ligne claire au niveau de la majorité.

À titre d’exemple, Didier Paris, député LREM, a affirmé en 2020 :

« La perquisition n’interdit absolument pas à la personne chez qui elle a lieu de prévenir qui elle veut et d’être assistée de qui elle veut ».

Confirmé en ce sens un an plus tard par Stéphane Mazars, député LREM :

« La personne reste libre de faire ce qu’elle veut, y compris d’appeler son avocat ».

En dépit du consensus sur le droit à l’avocat hors garde à vue, l’amendement a été rejeté au motif de la préservation de l’équilibre de la procédure. Comprenne qui pourra.

Par la force des choses cependant, l’évolution de notre droit plaide de plus en plus en faveur de la présence de l’avocat en cours de perquisition pénale, que l’occupant des lieux soit mis en cause ou non.

De première part, il faut souligner que les textes relatifs aux perquisitions des autorités administratives ou aux visites domiciliaires consacrent expressément le droit à l’avocat. La loi ne consacre pas moins de dix-sept cas d’intervention de l’avocat de la personne dans des matières aussi diversifiées que les douanes, la matière financière, la fiscalité, la sécurité intérieure ou la concurrence.

De deuxième part, la jurisprudence française a heureusement fait sa mue sous l’impulsion du droit européen. Cette évolution s’est matérialisée de façon spectaculaire en ce qui concerne la notification du droit de se taire qui est désormais régulièrement rappelée par le Conseil Constitutionnel, jusqu’en matière de presse (Cons. const., décision n° 2024-1089 QPC, du 17 mai 2024).

Il en va de même pour les perquisitions, bien que la gestation soit plus lente : dans un arrêt du 5 mars 2024, la Cour de cassation a consacré le droit pour l’avocat perquisitionné d’être assisté de l’avocat de son choix pendant l’audience du Juge des Libertés et de la détention (JLD). La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que, nonobstant le silence des textes, « toute personne suspectée ou poursuivie, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix » (Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.229, FS-B).

De troisième part, le nouvel article 56-1-1 du Code de procédure pénale, création de la loi confiance et de la commission "Mattéi", permet à toute personne perquisitionnée de contester une saisie en cours de perquisition si le support ou le document qui en est l’objet est susceptible de contenir des informations relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. 

Cette irruption de la contestation et du contradictoire est une nouvelle incitation à la présence de l’avocat en perquisition pénale  outre le fait que l’on pourrait s’interroger sur la question de savoir si une personne perquisitionnée pourrait, sans être assistée de son conseil, avoir le réflexe voire la force mentale  d’invoquer la nouvelle disposition qui suppose en pratique d’exiger des enquêteurs et des magistrats présents sur place  de placer sous scellés fermés les éléments saisis et contestés couverts par le secret du conseil et de la défense à charge pour ces derniers de saisir le JLD.

La perquisition est un acte d’intrusion et de coercition grave, attentatoire aux droits et Libertés dont chacun peut aisément mesurer l’ampleur.

De ce seul fait, l’assistance par l’avocat semble, pratiquement, incontournable.

L’évolution de notre procédure pénale, sa technicité croissante, le renforcement du contradictoire exigent que la personne perquisitionnée, mise en cause ou non, puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix faute de quoi elle sera bien incapable de comprendre le sens de la perquisition et de faire respecter ses droits.

Il est par ailleurs de notoriété publique que la personne perquisitionnée se trouve dans une situation émotionnelle instable, la rendant plus fragile encore. C’est en ces moments précis qu’elle est la plus exposée au risque d’auto-incrimination quand bien même l’enquêteur ne lui poserait aucune question - ce qu’aucun tiers ne peut, en tout état de cause, vérifier faute d’avocat présent.

Enfin et surtout, l’expérience des Bâtonniers et des délégués du Bâtonnier en perquisition de cabinets ou domiciles d’avocats tend à démontrer que la présence d’un avocat de la défense agit comme un vecteur de pacification de la mesure liberticide et participe du bon déroulement de l’enquête ou de l’instruction.

Plus que jamais la présence de l’avocat en perquisition pénale doit être prochainement consacrée par la loi. Mesdames, Messieurs les parlementaires, qui goûtez de temps à autre aux saveurs du parcours judiciaire en ce monde troublé, d’expérience vous n’êtes pas sans savoir, quelle que soit votre obédience politique, que l’urgence s’impose. Osez !

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