Réf. : Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218, F-B N° Lexbase : A84155DZ
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par Chantal Mathieu, Maîtresse de conférences HDR à l’Université de Franche-Comté
le 20 Juin 2024
Mots-clés : licenciement • obligation de loyauté • vie personnelle du salarié • obligation d’information • conflit d’intérêts
Le salarié, en dissimulant une relation intime, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, a manqué à son obligation de loyauté et ce manquement rendait impossible son maintien dans l'entreprise, peu important qu'un préjudice pour l'employeur ou pour l'entreprise soit ou non établi.
Il y a 5 ans, les déboires de certains dirigeants américains limogés en raison de relations consenties avec leurs subordonnées prêtaient à sourire [1] tant il paraissait acquis qu’en France, les relations amoureuses étaient à l’abri du pouvoir patronal [2]. Aujourd’hui, le sourire laisse place à la consternation. Dans un arrêt du 29 mai 2024, la Cour de cassation admet que la dissimulation par un salarié d’une relation intime avec une collègue caractérise une faute grave. Le lecteur est abasourdi ! La vie amoureuse ne serait-elle donc plus protégée par le droit au respect de la vie privée ? Tomberait-elle désormais dans l’aire du pouvoir de l’employeur ? Pourtant, dans trois autres arrêts du même jour, la Cour adopte une lecture beaucoup plus respectueuse de la vie personnelle, en permettant au salarié de préparer un projet professionnel pendant un arrêt de travail [3], en préservant sa liberté d’exprimer ses convictions politiques [4] et en affermissant sa capacité de résistance lorsque sa situation familiale est particulièrement contraignante [5]. L’arrêt commenté ne remet donc pas en cause la construction prétorienne de la vie personnelle et sa compréhension doit être recherchée dans son contexte.
En l’espèce, un salarié, en charge de la gestion des ressources humaines, amené à ce titre à présider différentes instances de représentation du personnel, avait caché à son employeur la relation amoureuse qu'il entretenait, depuis la fin de l'année 2008, avec une salariée qui exerçait des mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel. Celle-ci s’était largement investie dans des mouvements de grève en 2009 et 2010 et avait, en raison d’un projet de réduction d'effectifs, participé à diverses réunions abordant des sujets sensibles concernant les PSE. Or, les réunions des instances représentatives du personnel étaient justement présidées par son compagnon, représentant la direction. Découvrant la situation, l’employeur le licencie en septembre 2014 pour faute grave, lui reprochant son défaut de transparence. Le salarié, débouté de ses demandes en dommages-intérêts pour licenciement injustifié et atteinte à la vie privée, se pourvoit alors en cassation, mais sans succès. Pour assoir sa décision, la Cour régulatrice réitère sa formule classique - du moins, depuis qu’elle a fait le choix d’assimiler la vie personnelle à la vie hors temps de la subordination [6] : « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ». Et en l’espèce, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé un manquement du salarié à son obligation de loyauté. Le raisonnement peine à convaincre ! Sous couvert d’une analyse classique, il s’agit en définitive, par le truchement de l’obligation de loyauté, de réactiver la perte de confiance et de balayer le célèbre arrêt « Fertray » de 1990 [7] exigeant qu’un licenciement soit fondé sur des éléments objectifs. À ce titre, la solution est donc particulièrement contestable. Il ne s’agit pourtant pas de dénier à l’employeur toute ressource. Comme d’autres auteurs l’ont déjà montré, la vie amoureuse du salarié peut se trouver sous les radars de l’employeur [8]. Mais si on souhaite éviter le retour en force de la perte de confiance, il faut scruter attentivement les fondements de l’intervention patronale. La référence à la loyauté s’avère ici inadéquate en raison de sa subjectivité (I.). En revanche, en se plaçant sur le terrain du conflit d’intérêts, une objectivation de la situation parait envisageable (II.).
I. La subjectivité de la loyauté
Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi [9]. Cette exigence, découlant du contrat, habilite l’employeur à critiquer divers comportements du salarié, peu importe qu’ils se déroulent au temps de la subordination ou en dehors. C’est pourquoi dans la logique actuelle de la Cour de cassation, un acte dit « de vie personnelle » peut être sanctionné [10]. Il s’avère alors indispensable de préciser ce que recouvre la bonne foi, car à défaut, le concept de vie personnelle n’est qu’une coquille vide. Dans sa version objective, la bonne foi sert de fondement pour créer des obligations nouvelles. La loyauté contractuelle peut en effet faire naître une obligation d’informer (A.). Dans sa version subjective, la bonne foi est utilisée comme une norme comportementale. La loyauté du contractant [11] pourrait alors impliquer un devoir de dire (B.). Si la Cour admet dans l’arrêt commenté que le silence gardé par le salarié sur ses relations amoureuses est déloyal, elle n’explique cependant pas dans le sillage de quelle approche il faut se situer.
A. Une obligation d’informer
La Cour de cassation s’appuie parfois sur la bonne foi pour enrichir le contenu obligationnel du contrat. Le juge découvre, à la charge de l’employeur ou du salarié, des obligations implicites que les parties sont réputées avoir souscrites. La démarche est objective puisque tous les contrats de travail, quelle que soit l’activité de l’entreprise ou les fonctions du salarié, intègrent les mêmes obligations. Ainsi, tout employeur doit adapter son salarié à l’évolution de son emploi [12] ou lui rembourser les frais professionnels engagés pour les besoins de son activité professionnelle [13]. Tout salarié est tenu de ne pas se livrer à une activité concurrente de son employeur [14], doit être discret sur les informations confidentielles dont il a connaissance [15] ou restituer le matériel mis à sa disposition [16]. À l’égard du salarié, pour éviter un retour discret de la perte de confiance, la Cour de cassation exige que la violation de telles obligations soit établie par des éléments matériellement vérifiables [17]. Ce n’est donc pas le risque, mais sa réalisation qui peut être sanctionnée.
Reste à savoir si le contrat de travail implique une obligation spontanée d’information et dans la positive, sa teneur. Concernant l’employeur, on relèvera que la Cour a plutôt tendance à le dédouaner lorsque le salarié critique une absence d’information [18], sauf obligation légale spécifique [19]. Le contrat de travail ne recèle donc pas une obligation générale de renseignement de sa part. Concernant le salarié, la position de la Cour est plus ambigüe, car plusieurs arrêts retiennent, comme en l’espèce, qu’un défaut d’information peut caractériser une faute. Toutefois, pour que la démarche demeure objective, le juge doit se laisser guider par l’économie générale du contrat. Il est donc nécessaire d’identifier une catégorie d’information qui mérite nécessairement d’être dévoilée, quel que soit le salarié. Il ne peut alors s’agir que d’une information professionnelle étroitement liée à la capacité d’exécuter le contrat. On peut songer à la détention d’un titre ou d’un document indispensable à l’exercice de l’activité professionnelle, tel un permis de conduire pour un chauffeur [20]. Mais il nous parait impossible d’étendre cette obligation d’information à des données, qui, pour tout un chacun, ne présente aucun lien avec l’activité professionnelle. Le législateur a ainsi énoncé une série de motifs discriminatoires qui ne peuvent fonder une décision défavorable de l’employeur. Il n’est notamment pas possible de reprocher à un salarié de ne pas avoir dévoilé son handicap ou son activité syndicale [21]. Il en serait de même de sa situation de famille, ses mœurs, son orientation sexuelle ou encore sa grossesse. Certes, les relations amicales ou amoureuses ne figurent pas dans cette liste, mais la défenseure des droits a estimé que la « situation de famille » pourrait viser la situation actuelle ou envisagée et que de manière générale, il n’existe aucune obligation du salarié de préciser la teneur de sa relation avec un autre salarié [22]. Dès lors que le principe est l’indifférence de l’employeur aux relations amoureuses de ses salariés, la loyauté évoquée dans l’arrêt commenté ne peut s’inscrire dans une obligation générale d’information valable pour tout contractant. Il ne peut donc s’agir que de la loyauté du contractant, c’est-à-dire une norme attendue de comportement.
B. Un devoir de dire
Dans sa version subjective, la bonne foi rappelle que le contrat n’est pas uniquement une opération économique désincarnée, mais également une relation interpersonnelle impliquant certains devoirs d’inspiration morale. Elle ouvre la voie à un contrôle du comportement de l’une des parties à l’égard de l’autre. Deux approches sont possibles. Dans une version stricte, la déloyauté du contractant se cantonne à l’intention de nuire. Elle permet de critiquer la malice, la malveillance [23] ou encore les propos calomnieux, diffamatoires ou injurieux d’un co-contractant. Un salarié peut dès lors se voir reprocher un mensonge à une question pertinente posée par l’employeur. Mais cette approche est insuffisante à forger un devoir de dire, c’est-à-dire un devoir d’énoncer spontanément, sans qu’aucune question ne soit formulée, la nature de ses relations avec un autre salarié. Pour l’admettre, il faut donc retenir une approche plus exigeante de la loyauté. Celle-ci peut en effet être appréhendée comme impliquant un minimum de considération réciproque. On exige alors que les co-contractants tiennent compte, dans la mesure du possible, des attentes légitimes de l’autre. L’analyse peut être dite « subjective », en ce sens qu’elle dépend étroitement de la relation contractuelle en cause, c’est-à-dire de la nature des fonctions du salarié ou de l’activité de l’entreprise. C’est bien dans ce sillage que se situe l’arrêt commenté. La cour d’appel relève que le salarié licencié avait la charge de présider les réunions du personnel, que la personne avec qui il entretenait une relation était titulaire de différents mandats de représentation et que le contexte de l’époque était assez conflictuel, marqué par des grèves et un plan de réduction d’effectifs. La Cour régulatrice admet alors qu’en dissimulant cette relation intime, « qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice », le salarié avait manqué à son obligation de loyauté. Il s’agit même d’une faute grave. La protection de la vie personnelle vole ici en éclat.
Ce n’est pas la première fois que la Cour retient une lecture aussi exigeante de la loyauté du salarié [24]. Mais l’analyse n’en reste pas moins très discutable, car l’approche dite « subjective » de la loyauté, impliquant un jugement sur un comportement, ne signifie pas absence d’élément matériellement vérifiable. La déloyauté n’est pas la perte de confiance. Or ici, aucun élément n’atteste que le comportement du salarié se soit révélé contraire à l’intérêt de l’entreprise ou affectant sa réputation. Il n’est pas établi qu’il ait transmis plus d’informations que nécessaire ou qu’il ait privilégié les intérêts du personnel ou de sa compagne au détriment de la direction. La Cour se contente d’un risque hypothétique [25] et relève d’ailleurs qu’il importe peu qu’aucun préjudice pour l'employeur ou pour l'entreprise ne soit établi. En d’autres termes, le salarié est fautif, car il aurait dû anticiper que cette relation amoureuse pouvait être mal perçue par son co-contractant. L’idée de perte de confiance est d’autant plus prégnante que les juges du fond relèvent que sa compagne était vindicative et qu’elle avait participé à des grèves. Est-ce à dire qu’à l’inverse, si la représentante syndicale avait signé un accord PSE, la relation amoureuse aurait été mieux perçue ? Si être loyal c’est inspirer la confiance, la déloyauté se mue nécessairement en perte de confiance.
Cette lecture très exigeante de la loyauté est contestable. Lorsqu’elle est convoquée pour critiquer l’attitude de l’employeur, c’est pour relever qu’il n’a pas examiné avec sérieux la demande particulière d’un salarié qui lui révèle une situation contraignante. Elle ne l’oblige en revanche pas à se renseigner spontanément sur ses contraintes particulières [26]. Pourquoi en serait-il différemment du salarié ? À prendre à la lettre l’arrêt commenté, tout salarié devrait désormais s’interroger sur ses relations avec les autres membres de l’entreprise et détecter celles qui peuvent déplaire à son employeur. Faut-il déclarer une rencontre d’un soir ? Un sentiment amoureux non encore partagé, car après tout, le courtisan cherche nécessairement à séduire l’élu de son cœur, quand bien même ce serait également l’élu du personnel ! Et ensuite, quelle conséquence le salarié doit-il tirer d’un risque de désaccord de l’employeur ? La loyauté l’obligera-t-elle demain à un choix cornélien : rompre sa relation amoureuse ou sa relation de travail ? Il n’y a enfin aucune raison de limiter cette information aux relations amoureuses. Jusqu’à quel degré de filiation le défaut de transparence se révèle déloyal ? Jusqu’à quel degré de complicité les relations amicales deviennent problématiques ? Poser la question sous l’angle de la déloyauté, donc de la responsabilité du salarié, ne paraît pas pertinent. La situation de l’espèce révélait certainement un conflit d’intérêt. Mais il n’est pas nécessaire de l’appréhender sous l’angle contractuel. Il s’agit en définitive d’une question relative à l’organisation de l’entreprise qui implique une analyse en termes de pouvoir.
II. L’objectivation du conflit d’intérêts
L’employeur peut avoir un intérêt à connaitre certaines relations de ses salariés lorsqu’elles sont susceptibles de heurter le bon fonctionnement de l’entreprise. Il doit pouvoir prendre les mesures de gestion qui s’imposent lorsque la vie personnelle d’un salarié interfère sur l’organisation de l’entreprise. Or, l’analyse contractuelle promue par la Cour régulatrice ne permet qu’un contrôle faible des raisons pour lesquelles l’employeur souhaite accéder à des informations personnelles, évacuant trop rapidement les droits et libertés du salarié [27]. La recherche d’informations sur les relations amoureuses d’un salarié doit donc être analysée comme un acte de pouvoir, soumis à une exigence de justification (A.). La réaction de l’employeur face à la découverte d’une relation amoureuse problématique doit être abordée comme une situation objective, non fautive (B.).
A. La justification de la connaissance des relations amoureuses
Dès 1992, le législateur a entendu limiter les informations qu’un employeur peut prétendre obtenir sur la vie de ses salariés. Lors de l’embauche, les informations demandées ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles. Ce n’est qu’à la condition de présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé que le candidat est tenu de répondre de bonne foi. Une fois embauché, les décisions patronales portant atteinte à la vie privée du salarié impliquent un contrôle de justification et de proportionnalité. Il appartient alors à l’employeur d’établir que la restriction qu’il apporte au secret de la vie privée est nécessaire. Enfin, s’il s’agit d’une information protégée au titre de la discrimination, l’employeur doit démontrer une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour en tenir compte. Tous ces textes orientent la question de la connaissance de l’employeur sur les relations amoureuses d’un salarié vers le pouvoir et non le contrat. Cette connaissance est soumise à une exigence de justification. L’employeur doit soumettre ses raisons d’agir à l’appréciation d’un for externe et le convaincre de la légitimité de ses choix. Il peut, à ce titre, évoquer l’identification des conflits d’intérêts. Pour certaines fonctions, la connaissance des relations personnelles d’un salarié s’avère nécessaire. C’est notamment le cas lorsque, dans le cadre de son travail, un salarié est appelé à opérer des arbitrages et que les intérêts professionnels dont il a la charge entrent en concurrence avec des intérêts personnels [28]. D’ailleurs, de nombreuses chartes, codes de conduite ou règlements intérieurs identifient les situations à risque et définissent une politique de gestion de ces conflits. Certains textes législatifs exigent une telle anticipation [29]. De la même manière qu’il peut être compréhensible qu’un banquier ne gère pas les comptes de sa famille, il est admissible qu’un manager ne gère pas la carrière de son amant. Toutefois, et comme en matière de neutralité religieuse [30], une obligation de divulguer ses relations amoureuses ne doit pas être traitée au cas par cas, mais exige une règle générale, connue de tous. Cette règle peut alors faire l’objet d’une discussion avec les représentants du personnel et d’un contrôle par l’administration du travail ou le juge judiciaire [31]. Au regard de la nature de la tâche à accomplir, il sera possible d’apprécier si l’interférence des intérêts est suffisamment significative pour nuire à l’image de l’entreprise, justifiant ainsi sa connaissance. L’employeur doit donc prendre la responsabilité d’élaborer des grilles d’évaluation des conflits potentiels d’intérêts [32].
B. La réaction de l’employeur face au conflit d’intérêts
Dès lors qu’une règle générale a été posée et qu’elle répond aux exigences de justification et de proportionnalité, le défaut de sincérité du salarié peut être appréhendé sous un angle disciplinaire. C’est donc le mensonge à une question jugée pertinente qui fonde la sanction. Reste la délicate question du traitement du conflit d’intérêts lorsque le salarié a fait connaitre à son employeur une relation amoureuse avec l’un de ses collègues et qu’un risque de partialité de sa part est repérable. Une situation de conflit d’intérêts ne signifie pas que le salarié qui demeure à son poste manque nécessairement d’objectivité dans ses prises décisions. Aucun comportement fautif n’a encore été établi. En revanche, le conflit d’intérêts crée une apparence de népotisme susceptible d’affecter la confiance des collègues, des clients, des actionnaires, en la capacité du salarié concerné à assumer ses responsabilités. Le conflit d’intérêts peut faire naitre un trouble objectif caractérisé, c’est-à-dire une réaction négative, un désordre, susceptible de provoquer un dommage à l’entreprise. Pour éviter la survenance de ce trouble, l’employeur peut confier les dossiers concernés à un autre salarié, adopter une procédure permettant de rassurer les tiers, voire proposer une modification du contrat. Lorsqu’aucune solution alternative n’est envisageable, le licenciement en raison du trouble objectif caractérisé provoqué par la vie personnelle serait enfin envisageable. Mais il ne s’agit alors pas d’un licenciement disciplinaire !
La protection de la réputation de l’entreprise est sans doute aujourd’hui au cœur des préoccupations de ses dirigeants et la prévention des conflits d’intérêts souhaitable. S’il est question de confiance, ce n’est donc pas celle que l’employeur est en droit d’attendre de son salarié, mais celle qu’il entend inspirer à ses partenaires. Sauf à conduire à de sérieuses dérives, l’obligation de révéler une relation amoureuse doit donc être strictement encadrée. Lier loyauté et transparence amoureuse s’avère un terrain bien trop glissant.
[1] Ainsi, le directeur général américain de MacDo, Steve Easterbrook, avait été licencié pour avoir entretenu une relation avec une subordonnée : Le Monde, 4 novembre 2019 [en ligne].
[2] Cass. soc., 21 septembre 2006, n° 05-41.155, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2921DRM : le seul risque d’un conflit d’intérêts né du mariage du salarié avec une personne détenant la moitié du capital social d’une société affiliée au réseau de son employeur n’est pas une cause réelle et sérieuse et le silence du salarié n’est pas un manquement à son obligation de loyauté.
[3] Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-13.440, F-D N° Lexbase : A51035EQ : une salariée avait été licenciée alors qu’en arrêt de travail pour maladie, elle avait envoyé des courriers indiquant son intention de créer sa propre entreprise, concurrente de son employeur actuel. La Cour censure l’arrêt d’appel ayant admis la justification du licenciement. Ils n’avaient pas caractérisé l'exercice par la salariée d'une activité pour le compte d'une entreprise concurrente de l'employeur et partant, un manquement à l'obligation de loyauté.
[4] Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-14.779, F-D N° Lexbase : A50695EH : un salarié avait été licencié pour avoir remis un programme politique à une collègue à l'issue d'une remise de trophées de l'entreprise à laquelle tous deux participaient, en dehors du temps et du lieu de travail. Pour la Cour, ces faits, tirés de la vie privée du salarié, libre d'exercer ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques, ne pouvaient constituer un manquement aux obligations découlant du contrat de travail.
[5] Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-21.814, F-B N° Lexbase : A84165D3 : un salarié, parent d’un enfant lourdement handicapé, avait été licencié, car il avait refusé de passer sur un poste de jour alors qu’il travaillait de nuit et que cette modalité de travail lui permettait de s’occuper de son enfant. La Cour relève que cette décision portait une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale. Le refus n’était pas fautif.
[6] Le concept de vie personnelle n’a jamais été clairement cerné par la Cour de cassation, mais à l’époque où Philippe Waquet était Doyen de la Chambre sociale, la vie personnelle s’opposait fermement à la vie professionnelle et aucune superposition n’était possible. La vie personnelle était alors perçue comme une sphère d’action où le salarié était libre d’effectuer des choix et pouvait s’opposer à ce qu’une volonté étrangère ne lui dicte ou ne critique sa conduite. À l’inverse, la vie professionnelle désignait l’ensemble des contraintes, directives, obligations que le salarié se devait de respecter, qu’elles dérivent des règles de l’entreprise ou de son contrat de travail (sur ce point, lire notre thèse, La vie personnelle du salarié, Université Lyon 2, 2004). Mais, dans les années 2010, un changement de cap est repérable. La vie personnelle est désormais perçue comme le temps où le salarié n’est plus sous la subordination de l’employeur. Cette nouvelle manière d’appréhender la vie personnelle va rapidement poser difficulté à la Cour, car il n’est pas question de garantir une immunité disciplinaire pour tous les actes commis en dehors du temps et du lieu de travail. Aussi, la Cour va-t-elle développer un double système d’exception. Il est tout d’abord possible de démontrer que l’acte commis en dehors du temps de travail se « rattache à la vie de l’entreprise » ou à la « vie professionnelle ». Il est ensuite envisageable de démontrer que le salarié a violé une obligation contractuelle. C’est dans cette perspective que se situe l'arrêt commenté. Pour une étude récente concernant le rattachement à la vie de l’entreprise, lire P. Adam, Vie personnelle et faute disciplinaire, La notion de rattachement : un pied dans la tombe..., Droit social, 2024, p. 300. On peine pourtant à identifier la clé permettant de départager les deux sphères. Ainsi, des propos racistes tenus au temps et lieu de travail par le biais de la messagerie professionnelle, mais à titre privé, relevent de la vie personnelle (Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-11.016, FS-B N° Lexbase : A29592SE) alors que des propos racistes tenus par une salariée lors d'un repas de Noël, organisé par le CSE, hors temps de travail, relèvent de sa vie professionnelle (Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-16.287, F-D N° Lexbase : A17685CH).
[7] Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 87-40.184, publié N° Lexbase : A9039AAZ, D., 1991, p. 190, note J. Pélissier ; Droit social, 1992, p. 32, note F. Gaudu. En l’espèce, une salariée, secrétaire comptable, avait été licenciée aux motifs qu’elle était l’épouse d’un ancien cadre de l’entreprise, lui-même licencié pour motif économique et qui contestait son licenciement en justice.
[8] F. Fouvet, La vie amoureuse du salarié sous les radars de l’employeur, Droit social, 2024, p. 969 ; P.-Y Verkindt, Le couple dans l’entreprise au prisme du droit social, Droit social, 2024, p. 955.
[9] C. trav., art. L. 1222-1 N° Lexbase : L0806H9Q
[10] Selon l’approche que nous avons défendue de la vie personnelle, la violation d’une obligation professionnelle devrait plutôt être qualifiée d’acte relevant de la vie professionnelle.
[11] Pour une telle approche, voir notamment Ph. Stoffel-Munch, L’abus dans le contrat, essai d’une théorie, LGDJ, 2000.
[12] Par ex. Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 17-14.257, F-D N° Lexbase : A7904X4I.
[13] Par ex. Cass. soc., 20 juin 2013, n° 11-19.663 N° Lexbase : A4608KH7.
[14] V. Cass. soc., 29 mai 2024, préc., note 3.
[15] Par ex. Cass. soc., 28 janvier 1997, n° 94-42.033, inédit N° Lexbase : A4021C4P.
[16] Par ex. Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-46.345 N° Lexbase : A6415APB.
[17] Le seul fait de préparer son projet de création d’entreprise n’est pas un acte matériel de déloyauté. La Cour a toutefois admis que la création, sans en informer l’employeur, d’une activité directement concurrente, est un manquement à l’obligation de loyauté : Cass. soc., 30 novembre 2017, n° 16-14.541, F-D N° Lexbase : A4625W43, Bull. Joly Sociétés, n° 2, p. 81, note D. Baugard.
[18] Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-22.220, FS-B N° Lexbase : A859378R : « aucune disposition n'impose à l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés ».
[19] C. trav., art. L. 1221-5-1 N° Lexbase : L1579MHX.
[20] Voir également, pour une condamnation empêchant l’exercice de l’activité : Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08-41.243, FS-D N° Lexbase : A7556EN8. En revanche, tel n’est pas le cas pour le défaut d’information d’une condamnation pénale dès lors que le poste à occuper n’exige pas un casier vierge : Cass. soc., 25 avril 1990, n° 86-44.148, publié N° Lexbase : A8798AA4.
[21] Cass. soc., 28 février 2006, n° 03-45.855, F-D N° Lexbase : A4119DNU : « l’employeur ne peut se prévaloir d'un prétendu dol du salarié quant à son état de santé ou à son handicap, que ce dernier n'a pas à lui révéler ». Voir également pour l’activité syndicale : Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7069EIN.
[22] Défenseur des droits, décision n° 2023-0001, 23 juin 2023 N° Lexbase : Z5996927.
[23] Pour des exemples de malveillance de l’employeur : Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-14.451, FP-B+R N° Lexbase : A97099B9 ; Cass. soc., 6 novembre 2002, n° 00-44.177, inédit N° Lexbase : A6737A3W.
[24] Cass. soc., 17 mars 2010, n° 08-43.275, F-D N° Lexbase : A8100ET8 : la Cour reproche à une cour d’appel de ne pas avoir recherché si le fait pour un salarié de ne pas informer son employeur des activités professionnelles de son épouse n’était pas, au regard de ses fonctions spécifiques, un manquement à l’obligation contractuelle de loyauté ; Cass. soc., 29 septembre 2014, n° 13-13.661, FS-P+B N° Lexbase : A7965MXB, RDT, 2014, p. 762, note N. Moizard : le salarié n’avait pas informé son employeur de sa mise en examen. La cour évoque parfois également une obligation de probité : Cass. soc., 25 février 2003, n° 00-42.031, publié N° Lexbase : A3032A7G. Pour un autre arrêt liant le défaut d’information du conflit d’intérêts à la déloyauté : Cass. soc., 12 janvier 2012, n° 10-20.600, F-D N° Lexbase : A8118IAW, Bull. Joly Sociétés, 2012, n° 4, p. 354, note K. Grévain-Lemercier.
[25] Voir d’ailleurs pour une approche plus objective : Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-15.798, F-D N° Lexbase : A826797C.
[26] Cass. soc., 29 mai 2024, préc., note 5.
[27] D’ailleurs, désormais, concernant les propos tenus par un salarié, la Cour ne les analyse plus sur le terrain de la déloyauté, mais de l’abus de la liberté d’expression, permettant un contrôle exigeant des arguments de l’employeur. Lire L. Gratton, Liberté d'expression et devoir de loyauté du salarié, une cohabitation délicate, Droit social, 2016, p. 4.
[28] Le conflit d’intérêt peut ainsi être défini comme toute situation d’interférence entre la fonction exercée au sein d’une entreprise et un intérêt personnel, de sorte que cette interférence influe ou paraisse influer l’exercice de la fonction pour le compte de cette entreprise.
[29] Par ex. C. mon. fin., art L. 533-10 N° Lexbase : L9775L4S ou C. com., art. L. 811-2 N° Lexbase : L2727LBM.
[30] CJUE, 13 octobre 2022, aff. C‑344/20 N° Lexbase : A75928NI : un règlement édictant une obligation de neutralité religieuse n’institue pas une discrimination directe dès lors que cette sujétion est appliquée de manière générale et indifférenciée.
[31] C. trav., art. L. 1321-4 N° Lexbase : L8649LGG et L. 1322-1 N° Lexbase : L1852H9H et s..
[32] T. Labatut, Les outils de gestion des romances au travail (love contract) : faut-il aller plus loin ?, Droit social, p. 948.
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