La lettre juridique n°988 du 20 juin 2024 : Successions - Libéralités

[Jurisprudence] Procédure de partage : l’article 1360 du Code de procédure civile sous tension

Réf. : Cass. civ. 1, 23 mai 2024, n° 22-16.784, F-B N° Lexbase : A92515CM

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N9633BZS

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

le 19 Juin 2024

Mots-clés : irrecevabilité • assignation en partage • partage amiable • fin de non-recevoir défaut de diligence • manque de base légale • insécurité juridique • juge du fait • juge du droit

Selon l’article 1360 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, l'assignation en partage contient un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable.

Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de diligences entreprises antérieurement à l'assignation en vue de parvenir à un partage amiable, l'arrêt constate que Mme [L] produit une lettre adressée le 28 octobre 2013 par son avocate au notaire faisant état de ce que Mme [M] serait d'accord pour quitter l'appartement et le vendre.

En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence de diligences en vue de parvenir à un partage amiable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.


La construction prétorienne du régime de l’irrecevabilité « 1360 » se poursuit jour après jour, comme en atteste la présente affaire. Les faits sont assez classiques. Hervé est décédé le 1er août 2011, laissant à sa survivance ses trois enfants, Vincent et Ivar, nés de sa première union avec Marthe, et Lara, née d'une seconde union. Le défunt était copropriétaire indivis d'un appartement avec Marthe. Lara a assigné Marthe, Vincent et Ivar aux fins d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession d'Hervé et, préalablement, de la communauté ayant existé entre lui et Marthe, en sollicitant la licitation de l'appartement indivis. Les défendeurs contestent la régularité de l’assignation, estimant que celle-ci ne satisfait pas aux conditions de l’article 1360 N° Lexbase : L6314H7Y, notamment quant aux diligences effectuées en vue de parvenir à un partage amiable. Une cour d’appel rejette leur demande (CA Caen, 8 mars 2022, n° 20/01457 N° Lexbase : A98667P4), constatant que Lara produit une lettre adressée le 28 octobre 2013 par son avocate au notaire, faisant état de ce que Marthe serait d'accord pour quitter l'appartement et le vendre. Sur pourvoi formé par Vincent et Marthe, l’arrêt d’appel est censuré, pour défaut de base légale, estimant que les motifs des juges du fond sont « insuffisants à caractériser l'existence de diligences en vue de parvenir à un partage amiable ».

Il faut le dire nettement, cet arrêt est dérangeant. Non par ce qu’il décide (car tout indique que la proposition amiable était, en l’espèce, assez faible), mais par la façon dont il le fait. La censure intervient pour défaut de base légale, et l’on a bien l’impression que la Cour de cassation s’est ici substituée aux juges du fond dans l’appréciation des faits de l’espèce. Cela ne saurait totalement surprendre, puisque ce cas d’ouverture à cassation a été jadis critiqué comme permettant, précisément, à la Cour de cassation de se mêler un peu trop des faits, au point de risquer de devenir un troisième degré de juridiction, donc un juge du fait plus que du droit [1]. Pourtant, nul ne disconviendrait plus, aujourd’hui, de son utilité, puisqu’il permet de s’assurer de la correcte application des conditions juridiques d’une norme. Là où la discussion peut néanmoins resurgir, c’est dans un cas comme celui sous examen, lorsque la loi pose une règle, mais sans indiquer les conditions spécifiques d’appréciation de la bonne application de ladite règle, lesquelles ne sont rien d’autre qu’une appréciation des circonstances de la cause. En pareil cas, il n’est pas douteux que le contrôle de la Cour de cassation risque fort de déraper vers une pure appréciation de pur fait, avec pour conséquence d’insécuriser la procédure de partage.

I. Le fondement de la cassation prononcée : le dogme de « la politique de l’amiable »

Si l’article 1360 du Code de procédure civile impose aux parties, avant toute assignation en partage, d’avoir effectué des diligences en vue de parvenir à un accord amiable, ce texte n’impose aucune diligence en particulier, étant muet sur celles qui seraient satisfactoires, et celles qui ne le seraient pas. C’est à cet instant que l’arrêt commenté s’égare quelque peu, car pour censurer une cour d’appel qui avait usé de son pouvoir souverain d’appréciation pour dire si les diligences étaient, ou non, satisfactoires, la Cour de cassation affirme lapidairement que ces diligences étaient « insuffisantes ». Or, pour statuer ainsi, la Cour de cassation a nécessairement apprécié les faits, se comportant exactement comme un troisième degré de juridiction, bref qu’elle se soit transformée en juge du fond.

Une telle façon de faire ne s’imposait pas car, dans le silence de la loi, c’est clairement aux juges du fond, et non à la Cour de cassation, de dire ce qui constitue des diligences « suffisantes » ou, au contraire, d’expliquer en quoi telle ou telle façon de faire ne convient pas. En endossant le rôle d’appréciateur en chef, la Cour de cassation n’est donc plus dans son rôle institutionnel. Elle s’abaisse au niveau du fait, et donne son opinion sur ceux-ci, en l’espèce, pour dire que la tentative amiable préalable était insuffisante.

Pour autant, la Cour de cassation ne nous dit pas ce qu’il eût été nécessaire de faire comme diligences pour parvenir à un seuil acceptable, au regard des exigences de l’article 1360 du Code de procédure civile. C’est en cela que sa décision dérange le plus, car son rôle de « constructeur » du droit implique que ses arrêts guident les plaideurs pour les affaires suivantes, au lieu de les plonger dans une perplexité encore plus grande.

Or, le fondement de la présente décision n’aidera sûrement pas à guider les praticiens dans les affaires similaires pour le futur. Tout ce que l’on sait au lendemain de l’arrêt commenté, c’est que les diligences retenues par la cour d’appel ne suffisaient pas (contrairement à ce que les juges du fond pensaient). L’arrêt reste cependant désespérément muet quant aux diligences qui eussent été suffisantes, au sens du texte tel que compris par la Cour de cassation.

On devine malgré tout que, cachée derrière ces piètres motifs, la Cour de cassation poursuit un autre but, qui est celui de la « politique de l’amiable », que la Chancellerie veut imposer à tout prix auprès des tribunaux. En ce sens, la présente décision cherche manifestement à être en accord avec cette politique, en rappelant que les exigences de l’article 1360 du Code de procédure civile ne sont pas là pour être prises à la légère, et qu’un réel effort doit être effectué par les parties avant d’assigner.

La présente décision revient donc à vouloir renforcer le sérieux des « diligences » accomplies en vue de parvenir à un accord amiable, et donc à « solenniser » l’amiable. Certes, nulle formule sacramentelle n’est imposée, mais l’on voit bien que c’est un « schéma amiable » qui apparaît en filigrane de la présente décision. C’est donc un « processus amiable » qui est désormais si strictement contrôlé par la Cour de cassation (au point de dire ce qui est et ce qui n’est pas suffisant…. « De minimis curat Curia Cassationis », oserait-on dire !), qu’il va finir par devenir purement formaliste : on se rencontrera, on échangera plus de courriers, on fera des propositions (plus ou moins fantaisistes, peu importe), mais toute cette activité sera, le plus souvent, de pure façade, en dépit de son apparence sérieuse. Certains s’en réjouiront peut-être, mais dans ce cas, nous les inviterons à relire l’opposition entre formalisme romain des obligations dans le jus civilis, et le consensualisme du jus gentium, pour voir comme cela s’est terminé…

Il n’en reste pas moins que le fondement de l’arrêt est purement dogmatique, obligeant la Cour de cassation à se transformer en juge du fait, ce qui constitue évidemment une lourde erreur.

II. Les conséquences négatives de l’arrêt

L’arrêt commenté aura de très négatives conséquences sur le plan pratique, cela n’est pas douteux, que ce soit pour les procédures en cours, ou pour celles à venir.

Pour les procédures en cours, l’arrêt ici commenté constituera un puissant facteur d’insécurité juridique. En effet, une fois que les juges du fond auront pris la mesure de la présente décision, ils auront compris que ce qui leur est demandé, c’est d’être beaucoup plus sévères dans l’appréciation des « diligences » en vue d’un partage amiable de l’article 1360 du Code de procédure civile. Nul doute qu’ils serreront alors la vis, déclarant alors irrecevables nombre de procédures qui furent introduites à une époque où les conditions d’application de l’article 1360 étaient vues plus souplement. On peut donc craindre que nombre de cours d’appels, désireuses d’éviter une censure, se montreront nettement plus strictes que ne le fut celle de l’arrêt commenté. Cette politique porte un nom : le « dégagisme judiciaire ». Bien entendu, cette politique n’offre qu’un répit de courte durée, puisque les procédures ainsi « dégagées » reviendront tôt ou tard, encore plus abîmées, et donc probablement encore plus contentieuses. Nous assistons donc, avec la présente décision, à la naissance de « l’amiable punitif », ce qui est une bien curieuse notion, puisque l’amiable devrait être (en bonne logique) exclusif de toute idée de punition ou de sanction.

Pour les procédures sur le point d’être introduites, la présente décision inquiètera au moins autant les praticiens. En effet, les avocats vont devoir réévaluer leurs dossiers et voir pour chacun d’entre eux s’il existe assez de « diligences » pré-assignation en vue d’un accord, en ayant bien présent à l’esprit que l’heure n’est pas (n’est plus ?) à la bienveillance. On sait qu’en pratique, depuis le 1er janvier 2007 (date d’entrée en vigueur de l’article 1360 du Code de procédure civile), la fréquence des moyens d’irrecevabilité pris des dispositions de l’article 1360 ne fait que croître, au point de devenir une plaie depuis la réforme de la procédure civile, puisqu’il faut désormais un incident devant le juge de la mise en état pour purger cette fin de non-recevoir. Or, ces incidents se multiplient désormais, engorgeant encore un peu plus les tribunaux, preuve manifeste de l’absurdité de « l’amiable punitif », qui finit par avoir l’effet inverse de celui initialement recherché. Avec la présente décision, les contestataires se sentiront soutenus, et assigner en partage va devenir difficile si les « diligences » ne sont pas réelles.

Conclusion. Au total, l’arrêt commenté renforce le formalisme de l’article 1360, mais sans rendre l’application de ce texte plus sûre, bien au contraire. Or, rendre un texte plus formaliste tout en rendant son application plus incertaine constitue une sinistre contre-performance, car tout formalisme renforcé devrait avoir pour contrepartie une sécurité, une prévisibilité, qui en ressortent, aussi, renforcées. Rien de tel en l’espèce. C’est en cela que la présente décision est la plus critiquable, car si ce formalisme renforcé servait au moins à rendre les procédures plus sûres, plus rapides, les justiciables autant que les praticiens s’en féliciteraient. Mais tel n’est pas le cas. La présente décision aggrave les défauts structurels de l’article 1360, et insécurisera toutes les procédures puisqu’elle favorise la tenue d’incidents pour faire la chasse aux assignations prétendument non-conformes, sachant que la Cour de cassation fait elle-même la chasse aux cours d’appel trop laxistes. Bref, tout le monde chasse tout le monde, au nom de… l’amiable ! Ce serait drôle, si une procédure lourde et lente par nature, la procédure de partage, n’était en cause.

Espérons donc que la Cour de cassation se ressaisisse, et qu’elle laisse aux juges du fond le soin de dire ce qui est suffisant ou non au regard de l’article 1360 du Code de procédure civile, et ceci au nom de leur pouvoir souverain d’appréciation. Tous les inconvénients de ce texte ne disparaitraient pas pour autant, mais au moins ne seraient-ils pas aggravés, ce qu’ils sont incontestablement aujourd’hui avec cette bien décevante décision.


[1] V., pour une présentation d’ensemble de ce cas d’ouverture à cassation, D. Foussard, Le manque de base légale, Bull. inf. C. Cass. du 1er avril 2010, p. 11.

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