La lettre juridique n°988 du 20 juin 2024 : Assurances

[Brèves] Perte d’exploitation et Covid-19 : distinction entre « mise en quarantaine » et « confinement »

Réf. : Cass. civ. 2, 30 mai 2024, n° 22-21.574, F-B N° Lexbase : A97695D8

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par Stéphane Brena, Maître de conférences HDR en droit privé, Directeur de l’École de Droit de la Sorbonne au Caire-IDAI (Égypte), Codirecteur du Master droit des assurances de l’Université de Montpellier

le 20 Juin 2024

► La mise en quarantaine constitue une mesure nominative et la garantie perte d’exploitation, conditionnée à une mise en quarantaine, ne peut jouer en cas de confinement, mesure générale et impersonnelle.

L’affaire portée devant la Cour de cassation était des plus simples. Plusieurs sociétés exploitant des établissements hôteliers avaient souscrit auprès du même assureur (Axa France IARD) des contrats multirisques comportant une garantie « perte d’exploitation ». Cette garantie avait vocation à jouer en cas d’« arrêt d’activité totale ou partielle du fait de mesures administratives résultant d’une décision des autorités sanitaires de mise en quarantaine ». À la suite de la publication, le 15 mars 2020, d’un arrêté interdisant à certains établissements de recevoir du public et du décret n° 2020-260, du 16 mars 2020 N° Lexbase : L5030LW9, interdisant les déplacements de toutes personnes hors de leur domicile, en vue de lutter contre la propagation du virus Covid-19, les assurés sollicitaient la garantie « perte d’exploitation » auprès de l’assureur, dont la résistance les conduisait à agir en justice.

La cour d’appel de Paris, par arrêt du 7 septembre 2022 (CA Paris, 4-8, 7 septembre 2022, n° 21/03373 N° Lexbase : A88138HU), déboutait les assurés de leur demande. Les juges parisiens ont estimé que la notion de « mise en quarantaine » s’entend d’une mesure individuelle, nominative, là où le confinement désigne une mesure générale. Cette interprétation était justifiée par le renvoi, à l’ancien article L. 3131-15 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4891L7B, autorisant le Premier ministre à prendre une mesure de quarantaine, au Règlement sanitaire international de l’OMS de 2005 qui, en son article 1er, définit la quarantaine comme « la restriction des activités et/ou de la mise à l’écart des personnes suspectes qui ne sont pas malades ou des bagages, conteneurs, moyens de transport ou marchandises suspects, de façon à prévenir la propagation éventuelle de l’infection ou de la contamination ».

Les assurés se pourvoyaient en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir violé la force obligatoire du contrat et les dispositions de l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique, en refusant la qualification de quarantaine à des mesures collectives, non nominatives.

Le problème résidait donc dans la définition de la notion de quarantaine. Plus précisément, il s’agissait de déterminer tout à la fois si le contrat entendait lui donner un tel sens et si les textes ne devaient pas être compris comme faisant de la quarantaine une notion générique, englobant les mesures individuelles et les mesures collectives.

La Cour de cassation se rallie à la position des juges d’appel. Elle adopte une définition restrictive de la notion de quarantaine, « correspondant à la mise à l’écart d’un ou plusieurs personnes spécifiquement identifiées en raison du risque de propagation de maladies qu’elles constituent » et juge que « les conditions de mise en jeu de la garantie n’étaient pas réunies ».

La décision appelle trois observations au moins.

De première part, la quarantaine étant une condition de la garantie (événement permanent affectant le risque couvert) et non une exclusion (circonstance particulière de réalisation du sinistre), la clause échappe à l’exigence de stipulation en caractères très apparents (C. ass., art. L. 112-4 N° Lexbase : L0055AAB). Surtout, la voie d’une neutralisation de la clause pour défaut de caractère formel (clause non sujette à interprétation) et limité (clause ne privant pas la garantie de toute réalité), à tout le moins sur le terrain du droit spécial du contrat d’assurance (C. ass., art. L. 113-1 N° Lexbase : L0060AAH), est close. C’est la raison pour laquelle les juges du fond ont été conduits à interpréter cette clause, et non à l’écarter comme réputée non-écrite.

Précisément, et de deuxième part, l’interprétation, très favorable à l’assureur, de la notion de quarantaine, par référence aux dispositions du Code de la santé publique et du Règlement sanitaire international conclu sous l’égide de l’OMS et modifié en 2005, ne nous semble légitime que sous réserve d’un renvoi à cette source d’interprétation par la police. À défaut, l’application des dispositions de l’article 1190 du Code civil N° Lexbase : L0903KZH devrait conduire à interpréter le contrat, dès lors qu’il est d’adhésion, contre celui qui l’a proposé, en l’occurrence l’assureur. Il convient par ailleurs de noter que les dispositions de l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique ont été déplacées à l’article L. 3131-12 N° Lexbase : L5877MDZ… qui ne renvoie plus au Règlement sanitaire international…

De troisième et dernière part, il serait intéressant de questionner la clause sur le terrain de son impact sur l’obligation essentielle de l’assureur, à l’aune de l’article 1170 du Code civil N° Lexbase : L0876KZH, consistant à couvrir le risque de perte d’exploitation liées à une mesure de quarantaine. Plus précisément, il conviendrait de déterminer dans quelle mesure une quarantaine ainsi définie peut avoir un impact notable sur l’exploitation de l’établissement hôtelier assuré.  Cet impact nous paraît pratiquement nul si la mesure de quarantaine a vocation à concerner la clientèle ; auquel cas la limitation de la couverture du risque à la quarantaine pourrait être neutralisée. Le salut de la clause ne pourrait alors provenir que de son application au personnel de l’établissement, dont la mise en quarantaine serait susceptible d’empêcher, totalement ou partiellement, le fonctionnement.

Voilà quoi qu’il en soit une décision qui s’ajoute à la liste des victoires déjà remportées par les assureurs quant à la garantie « perte d’exploitation » à l’épreuve du virus Covid-19 et les mesures d’interdiction de réception du public et de confinement dont il a été à l’origine (clause d’exclusion considérée comme limitée et formelle, v. récemment : Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-19.341 N° Lexbase : A45408W3, n° 21-19.342 N° Lexbase : A54888W8 et n° 21-19.343 N° Lexbase : A54858W3, FS-B+R ; Cass. civ. 2, 19 janvier 2023, n° 21-21.516, FS-B+R N° Lexbase : A937388N ; Cass. civ. 2, 30 mai 2024, n° 22-20.958, F-D N° Lexbase : A72145EW).

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