La lettre juridique n°988 du 20 juin 2024 : Droit rural

[Brèves] Nullité de la déclaration de préemption de la SAFER : précisions

Réf. : Cass. civ. 3, 13 juin 2024, n° 22-20.992, FS-B N° Lexbase : A78915HQ

Lecture: 8 min

N9643BZ8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Nullité de la déclaration de préemption de la SAFER : précisions. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/108777467-brevesnullitedeladeclarationdepreemptiondelasaferprecisions
Copier

par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à l’Université de Franche-Comté

le 19 Juin 2024

► Au sens de l’article L. 412-8 du Code rural et de la pêche maritime, rendu applicable au droit de la préemption de la SAFER par l’article L. 143-8 du même code, a la qualité d’acquéreur évincé, la personne mentionnée dans la notification du notaire au bénéficiaire du droit de préemption ;

En outre, l’acquéreur évincé peut agir en nullité lorsque la réalisation de l’acte de vente n’a pas été réalisée dans les deux mois, sans que le non-respect de ce délai ne soit pas imputable à la SAFER.

Un couple a souhaité acquérir deux parcelles cadastrées. Le 3 août 2016, le notaire a notifié le projet de cession à la SAFER qui, par courrier du 30 septembre 2016, lui a notifié en retour sa décision d'exercer son droit de préemption. Par la suite, le couple d’acquéreurs contestant la préemption, a fait assigner la SAFER devant le tribunal par exploit délivré le 27 mars 2017. Ces derniers demandaient au tribunal de constater la nullité de plein droit de la décision de préemption de la SAFER et subsidiairement d’annuler cette décision. Par jugement du 28 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a déclaré irrecevables les demandes des acquéreurs, lesquels ont interjeté appel.

Par un arrêt du 5 juillet 2022, la cour d’appel de Riom (CA Riom, 5 juillet 2022, n° 20/01634 N° Lexbase : A59478AI) rappelle que le premier juge a considéré que les acquéreurs étaient dépourvus de qualité à agir, dans la mesure où ils ne justifiaient pas de leur statut d'acquéreurs évincés, faute de démontrer l'approbation unanime des propriétaires indivis des parcelles litigieuses. La cour d’appel ne partage pas cette analyse, en indiquant qu’une condition avait été ajoutée à l'article L. 412-8 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4062AE8, que ce texte ne contenait pas. Le législateur n’exige nullement qu'un engagement ferme et définitif ait déjà été conclu entre les vendeurs et le candidat acquéreur. Par conséquent, le couple avait effectivement la qualité d’acquéreur évincé au sens de ce texte, justifiant de la qualité requise pour agir en nullité.

Sur la réalisation du droit de préemption de la SAFER, la cour d’appel indique que, par renvoi de l'article L. 143-8 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L1860KGY, l'article L. 412-8 du même code est applicable au droit de préemption de la SAFER. Par conséquent, celui qui exerce son droit de préemption bénéficie d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire vendeur pour réaliser l'acte de vente authentique. En l’occurrence, la SAFER avait indiqué au notaire vouloir préempter par courrier du 30 septembre 2016. Les acquéreurs avaient adressé un commandement de réaliser l’acte authentique par acte d’huissier du 27 mars 2017. Considérant que depuis sa réponse positive au notaire le 30 septembre 2016, la SAFER ne s'était nullement préoccupée de mettre en œuvre l'acte authentique nécessaire pour finaliser sa décision de préemption, et ce n'est que le 30 mars 2017, soit trois jours après avoir reçu le commandement des acquéreurs, qu'in extremis, qu'elle a confirmé au notaire son intention de régulariser la vente par acte authentique, la cour d’appel a jugé que la déclaration de préemption de la SAFER était nulle.

La SAFER a formé un pourvoi, en vain. Par un arrêt du 13 juin 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette les deux moyens du pourvoi.

Notion d’acquéreur évincé au sens de l’article L. 412-8 du Code rural et de la pêche maritime. La qualité pour agir en nullité de la préemption de la SAFER n’a pas toujours été reconnue à l’acquéreur évincé. En effet, l'article L. 412-8 du Code rural et de la pêche maritime a été modifié par la loi n° 88-1202, du 30 décembre 1988 N° Lexbase : L9121AGW, afin de conférer à l'acquéreur évincé la qualité pour délivrer la mise en demeure de régulariser la vente consécutive à la préemption de la SAFER. Antérieurement, la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 28 janvier 1987, n° 85-14.406, publié au bulletin N° Lexbase : A6513AAH) considérait que l'acquéreur évincé n'avait pas qualité pour initier une procédure destinée à constater la nullité de la préemption de la SAFER pour défaut de régularisation de l'acte authentique dans le délai imparti. La règle de droit actuelle le permet clairement : « l'action en nullité appartient au propriétaire vendeur et à l'acquéreur évincé lors de la préemption ». Ainsi, le propriétaire, mais également l'acquéreur évincé, peuvent d'agir en nullité de la préemption réalisée par la SAFER, comme l’a précisé l’arrêt infirmatif de la cour d’appel dans cette affaire.

L'arrêt du 7 décembre 2011 a formellement énoncé cette solution une première fois (Cass. civ. 3, 7 décembre 2011, n° 10-27.027, FS-P+B N° Lexbase : A1891H4S), laquelle a été rappelée en 2014 (Cass. civ. 3, 21 mai 2014, n° 12-35.083, FS-P+B N° Lexbase : A5001MM8, nos obs., Mise en demeure faite par acte d'huissier : l'enveloppe est interdite !, Lexbase Droit privé, juin 2024, n° 574 N° Lexbase : N2664BU9). La décision du 13 juin 2024, dix ans plus tard, se situe dans le même sillage jurisprudentiel. Pour cette raison, la solution était prévisible.

Délai de deux mois pour réaliser la vente par acte authentique. Par ailleurs, cette décision permet de faire le point sur le délai dont dispose le titulaire d’un droit de préemption, en l’occurrence la SAFER, pour réaliser l’acte authentique de la vente.

Question. À l’issue de quel délai l’acquéreur évincé peut-il agir en nullité de la décision de préemption de la SAFER ?

Cadre juridique. En application de L. 412-8 du Code rural et de la pêche maritime, celui qui exerce son droit de préemption bénéficie d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire vendeur pour réaliser l'acte de vente authentique. Passé ce délai, sa déclaration de préemption sera nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure à lui faite par acte de commissaire de justice et restée sans effet.

Réponse de la Cour de cassation. Le pourvoi contre la décision d’appel critiqué est rejeté, la Cour de cassation considérant que celle-ci avait valablement motivé sa décision.
En effet, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que, selon l'article L. 412-8 du Code rural et de la pêche maritime, en cas de préemption, c'est celui qui l'exerce, en l'occurrence la SAFER, qui dispose d'un délai de deux mois à compter de l'envoi de sa réponse pour réaliser l'acte de vente authentique et à qui il incombe donc d'accomplir les diligences nécessaires.

En l’espèce, l’envoi ayant été adressé au notaire par courrier du 30 septembre 2016, la SAFER disposait d’un délai expirant le 30 novembre 2016 pour faire réaliser l’acte authentique. Elle a été mise en demeure par commandement du 27 mars 2017, fixant le point de départ de l'ultime délai de quinze jours accordé à la SAFER. Ce n’est que trois ajours après la réception de cette mise en demeure que la SAFER a informé le notaire de son intention de régulariser la vente par acte authentique et lui avait demandé de lui adresser un projet d'acte, en précisant que la signature de l'acte devait intervenir impérativement dans ce délai de quinze jours, et que le notaire, qui n'avait reçu ce courrier que le 3 avril 2017, n'avait alors disposé que de huit jours, samedi et dimanche compris, pour passer l'acte, alors que les vendeurs étaient au nombre de sept dans le cadre d'une indivision. Or, la SAFER n’ignorait pas cette situation. Pour cette raison, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel faisait ressortir que la SAFER ne justifiait pas que le défaut de réalisation de la vente dans les délais légaux ne lui était pas imputable, elle a pu en déduire que sa déclaration de préemption en date du 30 septembre 2016 était nulle de plein droit.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Droit de préemption et droit de priorité du preneur à bail rural, Délai de réalisation de la vente en cas de préemption du preneur, in Droit rural (dir. Ch. Lebel), Lexbase N° Lexbase : E9295E97.

 

 

newsid:489643