La lettre juridique n°988 du 20 juin 2024 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Sur la régularité de la procédure de taxation dans l’hypothèse d’une dissolution de la société (et brièvement sur la taxe annuelle de 3 % de la valeur vénale d’immeubles, article 990 du CGI, D et E)

Réf. : CA Chambéry, 26 mars 2024, n° 21/01519 N° Lexbase : A38732Y4

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N9623BZG

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[Jurisprudence] Sur la régularité de la procédure de taxation dans l’hypothèse d’une dissolution de la société (et brièvement sur la taxe annuelle de 3 % de la valeur vénale d’immeubles, article 990 du CGI, D et E). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/108776120-jurisprudencesurlaregularitedelaproceduredetaxationdanslhypothesedunedissolutiondelas
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Sorbonne Paris Nord

le 19 Juin 2024

Mots-clés : société • liquidation • immeuble • taxe annuelle 3 %

La présente affaire est centrée autour de l’article 990 D |LXB=L5483H9X] et 990 E N° Lexbase : L1479IZS du CGI. En vertu de l’article 990 D, les personnes morales (organismes, fiducies ou institutions comparables) possédant (directement ou via une entité interposée) un ou plusieurs immeubles situés en France (ou étant titulaires de droits réels portant sur lesdits biens) sont redevable d’une taxe annuelle. Le montant de cette dernière est égale à 3 % de la valeur vénale des immeubles ou des droits visés. Toutefois, une exonération peut advenir sur le fondement de l’article 990 E du CGI au profit d’une personne morale de droit étranger dont l’État a conclu avec la France une convention d’assistance administrative afin de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Dans cette hypothèse, la personne morale revendiquant cette exonération se doit d’établir chaque année une déclaration indiquant : la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l’identité et l’adresse des associés, le nombre des actions ou parts détenues par chacun d’eux.


 

Dans le cas présent, une société – dénommé Oryx Service, société de droit suisse - possède un bien immobilier en France. Si elle a bien réalisé la déclaration évoquée en amont (années 2008-2013), les informations transmises à l’administration ne sont pas jugées par celle-ci suffisantes pour établir la propriété des actions. Aucune déclaration n’a été opérée pour les années 2014-2016 ; les déclarations de 2015-2016 ont de surcroît été tardives.

Pour préciser le propos introductif, il convient d’ajouter quelques observations complémentaires. Dès lors que la société estime pouvoir bénéficier de l’exonération prévue à l’article 990 E du CGI, l’administration est en droit de lui demander copie de ses statuts et production de tout document probatoire. Dès novembre 2013, de tels documents lui sont demandés pour établir que M. W. est bien actionnaire de la société. Les documents fournis - statuts, certificats d’actions au porteur – ne possèdent pas, aux yeux de l’administration, une valeur probante au regard de la propriété des actions de la société. Cette dernière subit deux propositions de rectification quant à l’assujettissement à la taxe de 3 % ; les impositions sont mises en recouvrement en 2014 (171 000 euros en droits, 26 676 de pénalités). En 2018, la société se tourne vers le TGI de Chambéry pour que soit prononcée la décharge des rappels de taxe de 3 % en droits et pénalités. Une autre saisine advient en 2020, la société demandant au même TGI de juger viciée la procédure administrative. La genèse de ce contentieux remonte au mois de mars 2015 lorsque l’administration adresse une lettre de mise en demeure à la société Oryx : injonction lui est faite de fournir la déclaration n° 2746 (année 2014), accompagnée du paiement de la taxe de 3 % et ce dans un délai de 30 jours. Pour l’administration, non-respect des conditions d’exonération il y a, et défaut de prise d’engagement et de déclaration. La société avance l’absence de modification des éléments déclarés les années antérieures au titre de la répartition du capital des sociétés immobilières non transparentes dispensées de la déclaration 2072 et des immeubles possédés. Une seconde mise en demeure advient alors, à raison d’une seconde infraction de non-respect des conditions d’exonération et de l’obligation déclarative. Une proposition de rectification est formulée puis l’imposition survient. Le juge est saisi en 2020, comme évoqué supra, et il lui est demandé de juger la procédure administrative viciée. Après avoir réalisé la jonction des deux affaires relatives à la société, le TGI la déboute de l’ensemble de ses demandes. Une question de notable intérêt porte sur la radiation de la société - en cours de procédure - du registre de commerce et sur ses conséquences éventuelles. Reste que la personnalité juridique de la société « n’a jamais vraiment disparu, dans la mesure où sa liquidation n’est pas terminée à ce jour et qu’elle a toujours été valablement représentée ». Et il est patent, estime le TGI, que la société n’a pas fourni les éléments de preuve établissant avec certitude l’identité du porteur des actions au titre de la taxe de 3 % (années 2008-2013).

Appel est formé devant la Cour d’appel de Chambéry avec les prétentions suivantes :

  • si le principe jurisprudentiel en vertu duquel une fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir peut être couverte avant que le juge ne statue, cela n’emporte aucune conséquence quant à l’appréciation de l’existence de la personnalité juridique pendant la procédure d’imposition (seul le droit suisse est compétent en l’espèce, sur le fondement du droit international privé français),
  • les conditions d’application du principe de l’estoppel ne sont pas remplies,
  • la société n’était pas dotée de la personnalité juridique au cours de la procédure d’imposition de la taxe de 3 % (années 2008-2013),
  • les faits et actes de procédure n’ont pas été adressés aux organes représentatifs de la société, ce qui emporte constitution d’une irrégularité substantielle dans la procédure d’imposition de la taxe de 3 %,
  • les actes de procédure ont été adressés à une entité dénuée de personnalité juridique, ce qui emporte constitution d’une exception de nullité pour vice de fond, ainsi qu’une irrégularité substantielle dans la procédure d’imposition de la taxe de 3 %,

À l’aune de l’ensemble de ces éléments, la société demande à la CA le dégrèvement de la taxe de 3 %, ainsi que des majorations et intérêts de retard y afférents.

Avant de s’arrêter (très brièvement en réalité) sur le bien-fondé du montant de la taxation (II), il convient de s’appesantir (très longuement) sur la validité de la procédure de taxation (I). Ce point est en effet de notable intérêt eu égard au contexte : la société a été dissoute par un jugement suisse en 1998.

I. Validité de la procédure de taxation et dissolution de la société

Dissoute, la société est radiée du registre du commerce suisse en 2011. Elle estime que ses droits ont été violés dans la mesure où les actes de l’administration fiscale n’ont pas été adressés, après le prononcé de la liquidation, au liquidateur (seul habilité à la représenter). En effet, soutient-elle, elle avait perdu sa personnalité juridique après la radiation, sauf hypothèse d’une réinscription au registre du commerce, formalité non réalisée par l’administration fiscale. La CA se penche sur le droit suisse et sur les conséquences de la dissolution de la société, à savoir son entrée en liquidation sous l’égide d’un liquidateur. La société a été radiée d’office en 2011 du registre du commerce, personne n’ayant fait valoir un intérêt au maintien de l’inscription ; ce n’est donc pas le liquidateur – point important – qui a sollicité la radiation au motif que la liquidation aurait été achevée. Il n’a pas été fait application, par le liquidateur, de l’article 746 du code suisse des obligations en vertu duquel le liquidateur avise obligatoirement le préposé du registre du commerce après la fin de la liquidation pour extinction de la raison sociale. La société a même fait l’objet d’une réinscription au registre du commerce consécutivement à la décision de 1ère instance du canton de Genève en juillet 2019. Il est certes loisible de constater que la société ne possède plus – « a priori » - d’existence juridique entre janvier 2011 et juin 2019. Cependant, il n’est pas démontré, par la société requérante, que sa liquidation est alors terminée : l’ensemble de ses actifs n’est pas liquidé, elle est toujours propriétaire de l’immeuble au cœur du litige. En outre, elle ne démontre pas ne pas être valablement représentée par le liquidateur : il n’est en effet pas indiqué si la radiation d’office emporte de facto la cessation des fonctions du liquidateur alors même que la liquidation n’est pas terminée. La CA ne manque pas de s’interroger sur les effets de la radiation d’une société du registre du commerce suisse. Deux configurations hypothétiques sont envisageables : si la radiation a un effet déclaratif, la société cesse d’exister lorsque la liquidation est effective, la radiation lui retirant en ce cas la capacité active et passive … si la radiation a un effet constitutif, la société cesse d’exister. Il convient de se tourner vers l’article 739 du code suisse des obligations pour démêler l’écheveau : une société en liquidation garde la personnalité morale et sa raison sociale tant que la répartition entre actionnaires n’est pas achevée. Une fois précisé ceci, la CA peut se pencher sur le défaut de demande de réinscription ; on se souvient que l’administration fiscale n’a pas entrepris – au cours de la procédure de taxation - les démarches nécessaires pour réinscrire la société au registre du commerce. Le défaut de demande de réinscription doit être appréhendé au regard de l’article 80 C du LPF (français). Ce dernier énonce que le juge peut – en présence d’une erreur non substantielle dans la procédure d’imposition – prononcer (sur ce seul motif) la décharge des majorations et amendes (sauf droits dus en principal et intérêts de retard). En vertu de la même disposition, le juge prononce la décharge de l’ensemble en présence d’une erreur portant atteinte aux droits de la défense ou lorsque l’erreur est l’une des nullités visées expressément par la loi ou le droit international engageant la France. Quid de l’erreur ici commise par l’administration ? Certes, il y a eu erreur de l’administration en ce que ses actes ont été adressés à la société elle-même. Toutefois, il n’est pas établi – comme l’ont constaté les premiers juges – que soit advenue une violation des droits de la défense s’agissant de la procédure de taxation au titre de la taxe de 3%. Tous les actes de l’administration ont été adressés à une société d’expertise comptable au sein de laquelle exerce le liquidateur ; cette adresse est celle-là même figurant sur le registre du commerce et celle-là même communiquée pour la liquidation. Les droits de la défense n’ont pas été violés au cours de la procédure : la société a répondu à l’administration fiscale par le truchement de son liquidateur, elle a fait appel à un avocat pour faire parvenir ses observations. Tout cela amène la CA à la conclusion suivante : quand bien même la société n’aurait plus eu d’existence juridique à raison de sa radiation du registre du commerce, elle disposait encore de la personnalité morale. En témoigne par exemple sa réinscription au registre du commerce, ou encore sa représentation par un liquidateur. Mieux encore – et ici la CA fait montre d’une mordante ironie fiscale – la société ne peut en même temps exciper de son inexistence (et opposer celle-ci à l’administration) tout en assignant la même administration pour violation de ses droits. Ce que critique le juge – en termes abrupts – est l’« attitude » de la société et de son liquidateur qui ont créé « une situation apparente de légalité sur l’existence juridique de la société et sur la capacité (du liquidateur) à valablement la représenter au cours de la période de liquidation, d’ailleurs non terminée, dans la procédure fiscale ». Les droits de la société n’ont pas été méconnus, y compris celui permettant de se tourner vers le juge aux fins de contester la régularité de la procédure fiscale. Point d’irrégularité substantielle et point de violation des droits de la défense : l’absence de demande de réinscription, par l’administration fiscale, au registre du commerce n’est pas un grief permettant d’invoquer, à bon droit, la décharge des droits et pénalités.

II. Le bien-fondé du montant de la taxation

Le propos ici s’avère bref. La CA congédie en quelques lignes la société en ses prétentions. Il ne saurait être question de remettre en question le bien-fondé du montant de la taxation. Seule la nullité de la procédure a en effet été soulevée. Les juges de 1ère instance pouvaient donc à bon droit estimer que l’administration pouvait solliciter des éléments de preuve aux fins d’établir la taxe de 3 % et apprécier l’existence (ou non) des critères emportant exonération.

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