Le Quotidien du 12 juin 2024 : Baux commerciaux

[Brèves] Prescription biennale applicable aux actions au titre d'un bail commercial : effet corruptif de la fraude

Réf. : Cass. civ. 3, 30 mai 2024, n° 23-10.184, FS-B N° Lexbase : A97715DA

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N9514BZE

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par Vincent Téchené

le 11 Juin 2024

► La fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions au titre d'un bail commercial.

Faits et procédure. Les propriétaires d'un local commercial l'ont donné à bail successivement à Mme S., aux termes d'un bail précaire conclu le 15 novembre 2011 pour une durée de vingt-trois mois, à la société Yoni, selon un bail dérogatoire conclu le 9 octobre 2013 pour une durée de vingt-trois mois, et à la société Gabi aux termes d'un bail dérogatoire conclu le 2 septembre 2015 pour une durée de trente-six mois.

Le 13 septembre 2018, les bailleurs ont délivré à la société Gabi un congé aux fins de quitter les lieux, puis, le 9 octobre 2018, une sommation de déguerpir et enfin, le 12 octobre 2018, une assignation en référé aux fins d'expulsion.

Le 5 novembre 2018, Mme S. et la société Gabi, invoquant une fraude des bailleurs, les ont assignés en reconnaissance d'un bail commercial au profit de Mme S. et en indemnisation de leur préjudice.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 8 septembre 2022, n° 19/19845 N° Lexbase : A72408KD) a déclaré prescrite l'action de Mme S. et de la société Gabi en requalification des baux conclus les 15 novembre 2011 et 9 octobre 2013, au motif qu'elle a été engagée plus de cinq années après la conclusion de ces contrats.

Mme S. et la société Gabi ont donc formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 145-5 N° Lexbase : L2320IBK, dans sa rédaction antérieure à la loi « Pinel » (loi n° 2014-626, du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D), et L. 145-60 du Code de commerce N° Lexbase : L8519AID, et le principe selon lequel la fraude corrompt tout

Elle rappelle que, selon le premier de ces textes, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du statut du bail commercial à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans. Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail statutaire.

Par ailleurs, il résulte de la combinaison du second texte et du principe précité que la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions au titre d'un bail commercial.

Ainsi, la cour d’appel aurait dû rechercher, comme il lui était demandé, si les fraudes, dont l'existence était invoquée, n'étaient pas de nature à suspendre le délai de prescription, faute de quoi elle n'a pas donné de base légale à sa décision.

Observations. La Cour de cassation opère ici un rappel : à partir du moment où la requalification du contrat en bail commercial intervient à la suite d’une fraude destinée à priver le locataire du bénéfice du statut des baux commerciaux, la prescription est suspendue en application de l'adage « fraus omnia corrumpit », dont la Cour de cassation a déjà fait usage dans le domaine des baux commerciaux, notamment en ce qui concerne des baux dérogatoires successifs (Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 08-70.338, FS-P+B N° Lexbase : A5821EU7) ou en requalification d’un contrat de prestations de services en contrat de bail commercial (Cass. civ. 3, 23 septembre 2021, n° 20-10.812, F-D N° Lexbase : A448947E).

On rappellera qu’antérieurement à la loi « Pinel »,  la durée totale du bail ou des baux successifs dérogatoire ne pouvait être supérieur à deux ans. Désormais, elle est de trois ans.

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