Réf. : Cass. civ. 1, 23 mai 2024, n° 22-16.784, F-B N° Lexbase : A92515CM
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
le 11 Juin 2024
► Selon l’article 1360 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, l'assignation en partage contient un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ;
Entache sa décision d’un défaut de base légale, la cour d’appel qui, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de diligences entreprises antérieurement à l'assignation en vue de parvenir à un partage amiable, constate que Mme [L] produit une lettre adressée le 28 octobre 2013 par son avocate au notaire faisant état de ce que Mme [M] serait d'accord pour quitter l'appartement et le vendre, de tels motifs étant insuffisants à caractériser l'existence de diligences en vue de parvenir à un partage amiable.
L’arrêt fera l’objet d’un commentaire plus approfondi prochainement, mais il convient de le signaler d’ores et déjà aux praticiens, puisqu’il bouleverse sensiblement les habitudes prises depuis l’entrée en vigueur de l’article 1360 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6314H7Y, en matière de partage (donc depuis le 1er janvier 2007). La Cour de cassation censure une cour d’appel qui avait estimé qu’une lettre d’avocat contenant une proposition de vente amiable et de départ des lieux indivis émanant de l’une des héritières (la demanderesse future au partage), suffisait à satisfaire l’exigence de diligences entreprises (avant que ne soit délivrée l’assignation), en vue de parvenir à un partage amiable. Pour nos Hauts magistrats, de tels motifs sont jugés « insuffisants ». On sait combien le défaut de base légale a été critiqué, comme étant une façon pour la Cour de cassation de s’immiscer dans l’appréciation des faits et de s’éloigner de sa mission (v., pour une magistrale présentation d’ensemble de ce cas d’ouverture à cassation, D. Foussard, Le manque de base légale, Bull. inf. C. Cass., 1er avril 2010, p. 11.). La présente décision contribuera sûrement à alimenter ce débat, tant elle descend au ras des faits.
On comprend bien que la Cour de cassation cherche ici à imposer une politique juridique, qui est celle de « l’amiable », et qu’elle veut imposer de « vraies » diligences, une « vraie » volonté d’accord, de « vrais » efforts pour parvenir à une partage amiable. Mais elle le fait en s’adossant à un texte (CPC, art. 1360) qui ne donne strictement aucune indication sur ce que peuvent être ces « diligences ». Or, le présent arrêt, s’il nous dit ce qui est insuffisant (une lettre d’avocat contenant un accord pour que l’indivisaire quitte les lieux et que ceux-ci soient mis en vente), ne nous dit rien de ce qui est suffisant… Et comment le pourrait-il devant l’immense variété des situations de fait que l’on rencontre en pratique ? Par conséquent, en décidant de contrôler l’application de l’article 1360 du Code de procédure civile, la Cour de cassation s’est engagée dans un combat sans fin, qui finira, inéluctablement, par la transformer en juge du fait, donc en juge du fond.
Il eût été bien plus sage d’abandonner la question de l’appréciation des « diligences » (question de pur fait) aux juges du fond, quitte à bien contrôler que cette exigence a été vérifiée et appréciée par les cours d’appel. Contrôle du contrôle, en somme, non contrôle du fond du contrôle.
Ce qui est plus malheureux encore, c’est que cet arrêt va considérablement fragiliser de nombreuses procédures en cours, puisqu’il est à craindre que la majorité des juges du fond, lisant cette décision, décident de considérablement renforcer leurs exigences, et donc qu’ils prononcent encore plus d’irrecevabilités sur le fondement de cet article. Le dégagisme judiciaire a de beaux jours devant lui… Il n’est pas certain que cela contribuera réellement à désengorger les tribunaux. En revanche il paraît plus que probable que cela aidera à multiplier les procédures (et les incidents)…
Enfin, pour les avocats qui doivent assigner, que d’angoisses cet arrêt va leur causer, car, en bout de course, c’est leur responsabilité qui sera recherchée. Ai-je assez d’éléments prouvant les « diligences » pour assigner ? Dois-je multiplier les rendez-vous « notaires » ? Faut-il ressusciter le vieux « PV de difficultés non-judiciaire » dont on a eu tant de mal à se défaire ? Que faire si je suis à quelques jours de l’acquisition d’une prescription et que je n’ai pas le temps matériel d’organiser des réunions ? Bien malin qui saura quoi répondre à ces questions.
Nul doute que, désormais, toute assignation en partage deviendra un chef de contestation à part entière, agité par la partie qui aura intérêt à faire tomber la procédure, que ce soit pour bénéficier d’une prescription, ou simplement (comme souvent) pour gagner du temps, ou juste agacer les autres parties au partage. Nous dénoncions déjà voici presque 10 ans les dérives de l’article 1360, nous sommes désormais en plein dedans à la faveur de la « politique de l’amiable ».
L’arrêt ne règle donc rien, mais il insécurise tout. Telle est la portée, présentée sans fard, de la présente décision. Et que les juges ne viennent pas se plaindre si cette décision provoque un afflux encore plus massif d’incidents devant les juges de la mise en état pour voir juger une irrecevabilité, puisque la Cour de cassation aura directement été à l’origine de ce formidable résultat. Ainsi comprise et appliquée, on peut dire sans grand risque de se tromper que la « politique de l’amiable » n’est pas « la politique de l’aimable », car nous nous demandons bien qui serait assez téméraire pour « aimer » un « amiable » qui n'est que flou et insécurité juridique.
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