Le Quotidien du 23 avril 2024 : Avocats/Responsabilité

[Brèves] Responsabilité de l’avocat qui avait déconseillé à son client de se porter partie civile dans l’affaire du « Mediator »

Réf. : TJ Paris, 20 mars 2024, n° 22/08870 N° Lexbase : A117627P

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par Marie Le Guerroué

le 23 Avril 2024

► Est retenue la responsabilité civile professionnelle de l’avocat qui avait déconseillé à son client de se porter partie civile dans l’affaire du « Mediator » ; l'avocat devra verser à son ancien client 49 005 euros en réparation de son préjudice matériel et 2 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Faits et procédure. Un justiciable avait chargé un avocat d'assurer la défense de ses intérêts en se constituant partie civile dans le cadre de l'information judiciaire « Mediator I », après avoir consommé de 2000 à 2009 du Benfluorex, un médicament commercialisé sous le nom de « Mediator ». Les juges d'instruction avaient notamment renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris les sociétés du groupe Servier du chef de tromperie sur les qualités substantielles et sur les risques inhérents à l'utilisation du Mediator avec mise en danger de l'homme, qui constitue une tromperie aggravée. Le justiciable figurait dans la liste des parties civiles ayant apporté la preuve d'une consommation de Mediator pendant plus de trois mois, située en annexe II de l'ordonnance de renvoi. Après avoir été interrogé par son conseil, il avait répondu qu'il ne souhaitait pas se constituer partie civile lors de l'audience correctionnelle. Par jugement du 29 mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris avait notamment déclaré coupables les sociétés du groupe Servier du délit de tromperie aggravée et avait indemnisé les parties civiles, victimes directes, qui justifiaient de la prise de Mediator pendant plus trois mois en réparation de leur préjudice moral et de leur préjudice d'anxiété. Reprochant à son ancien avocat un défaut de conseil sur l'opportunité de se constituer partie civile à l'audience correctionnelle, le client l’a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.

Réponse du TJ sur les fautes de l’avocat. Le tribunal rappelle qu’engage sa responsabilité civile à l'égard de son client sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil N° Lexbase : L0613KZQ, l'avocat qui commet un manquement dans sa mission de conseil juridique, notamment du fait des conseils erronés et de ceux omis, ainsi que du défaut de validité ou d'efficacité des actes à la rédaction desquels il a participé, sans possibilité de s'exonérer en invoquant les compétences personnelles de son client ou l'intervention d'un autre professionnel. Lorsqu'il est chargé d'une mission de représentation en justice, l'avocat est tenu d'accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de la procédure. Il doit plus généralement prendre toutes les initiatives utiles pour assurer avec diligence la défense des intérêts de son client. Il appartient à l'avocat de justifier l'accomplissement de ses diligences, et d'établir qu'il a rempli son devoir de conseil. Au cas présent, le tribunal relève qu’il ressort des échanges de courriels entre les parties que l’avocat a indiqué au demandeur, sur l'opportunité de se constituer partie civile, que le rapport de l'Oniam lui était défavorable et qu'il risquait de devoir payer des frais aux parties adverses en cas de rejet de ses demandes indemnitaires. Cependant, d'une part, le rapport de l'Oniam était indifférent s'agissant du délit de tromperie aggravée puisque le demandeur démontrait dès l'information judiciaire avoir consommé du Mediator et, d'autre part, le risque d'être condamné à payer des frais aux parties adverses était quasi inexistant pour une partie civile dans le cadre d'une procédure pénale. Ainsi, les conseils dispensés par le défendeur étaient dépourvus de pertinence pour la situation du client mais ont conduit ce dernier à renoncer à se constituer partie civile à l'audience correctionnelle. Dès lors, par ce manquement à son devoir de conseil, l’avocat a commis une faute engageant sa responsabilité.
Réponse du TJ sur les préjudices. Le tribunal rappelle ensuite qu’il incombe au client qui entend voir engager la responsabilité civile de son avocat de rapporter la preuve du préjudice dont il sollicite réparation. Qu'il soit entier ou résulte d'une perte de chance, ce préjudice, pour être indemnisable, doit être certain, actuel et en lien direct avec le manquement commis. La réparation d'une perte de chance doit être mesurée en considération de l'aléa jaugé et ne saurait, en toute hypothèse, être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. En particulier, le préjudice consistant en la perte d'une voie d'accès au juge constitue nécessairement une perte de chance, liée à la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, celle d'obtenir gain de cause. Il convient d'évaluer les chances de succès du recours manqué en reconstituant le procès qui n'a pas eu lieu, ce à l'aune des dispositions légales qui avaient vocation à s'appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat. Au cas présent, par la faute du défendeur, le client a perdu la chance d'être indemnisé par le tribunal correctionnel de Paris. Il ressort du jugement du tribunal correctionnel de Paris que le client en qualité de victime directe du délit de tromperie aggravée ayant consommé du Mediator pendant plus de 5 ans, aurait pu obtenir la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'atteinte au consentement et de son préjudice d'anxiété, outre 500 euros au titre des frais de justice. Le tribunal déduit cependant les 10 % d'honoraires de résultat qui auraient été versés à son ancien conseil, de sorte que l'assiette de sa perte de chance s'élève à la somme de 54 450 euros, sur la probabilité que, mieux informé par l'avocat défendeur, le client se constitue partie civile à l'audience correctionnelle. Compte tenu du très faible risque d'être condamné à payer des frais à la partie adverse en cas de rejet de ses demandes, le tribunal retient un taux de perte de chance de 90 %. Le demandeur est donc indemnisé de son préjudice par l'allocation de la somme de 49 005 euros. En outre, le tribunal relève que le client a pu ressentir une légitime déception de ne pas voir, par la faute de l'avocat, examiner ses demandes indemnitaires par le tribunal correctionnel de Paris. Le préjudice moral est réparé par l'allocation de la somme de 2 000 euros.

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