Réf. : Cass. com., 20 mars 2024, n° 22-11.648, FS-B N° Lexbase : A20562W3
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par Vincent Téchené
le 29 Mars 2024
► Les principes énoncés par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relative à la détermination de l'entité devant supporter la sanction infligée pour violation des règles de concurrence de l'Union européenne sont, seuls applicables pour déterminer l'entité tenue de réparer le préjudice causé par une telle violation. La personne morale qui dirigeait l'exploitation de l'entreprise en cause au moment de l'abus de position dominante est tenue de réparer le préjudice causé par celui-ci lorsqu'elle continue d'exister juridiquement.
Faits et procédure. Par une décision (Aut. conc., décision n° 14-D-06, 8 juillet 2014 N° Lexbase : X8799AMT), confirmée par un arrêt irrévocable de la cour d'appel de Paris, l'Autorité de la concurrence a dit que la société Cegedim avait enfreint les dispositions des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne N° Lexbase : L2399IPK et L. 420-2 du Code de commerce N° Lexbase : L9606LQT en commettant un abus de position dominante caractérisé par le refus discriminatoire de vendre sa base de données OneKey aux utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, et lui a infligé une amende.
La base de données OneKey relevait de la branche d'activité « Gestion de la relation clients et données stratégiques » de la société Cegedim.
Par un traité d'apport partiel d'actifs (le TAPA) du 18 décembre 2014, la société Cegedim a transféré cette branche d'activité à la société Cegedim Secteur 1 – CS1 (la société CS1).
Un article de ce TAPA stipule que « l'ensemble des droits et obligations liés à la procédure engagée par l'Autorité de la concurrence à l'encontre de la société apporteuse au titre de prétendues violations par cette dernière de règles du droit de la concurrence, ayant abouti le 8 juillet 2014 sur la décision n° 14-D-06 condamnant la société [Cegedim] au paiement d'une amende de 5 700 000 euros contre laquelle la société [Cegedim] a interjeté appel, est expressément exclu de l'apport ».
La société IMS a acquis la totalité des actions de la société CS1 à la suite d'un contrat, intitulé « Master acquisition agreement » (le MAA) entre la société Cegedim et la société IMS Health Incorporated, établie aux États-Unis.
Souhaitant être indemnisée du préjudice résultant des pratiques anticoncurrentielles établies par la décision de l'Autorité du 8 juillet 2014, la société Euris a assigné les sociétés Cegedim et IMS en responsabilité. C’est dans ces conditions que la société Euris a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel (CA Paris, 5-4, 8 décembre 2021, n° 19/01975 N° Lexbase : A48517EE) en ce qu’il a accueilli la fin de non-recevoir de la société Cegedim et l’a mise hors de cause.
Décision. La Cour de cassation, rappelant les principes dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne dans les arrêts « Skanska » (CJUE, 14 mars 2019, aff. C-724/17 N° Lexbase : A6948Y3Q) et « Sumal » (CJUE, 6 octobre 2021, aff. C-882/19 N° Lexbase : A9493484), retient que les principes énoncés par la jurisprudence des juridictions de l'Union relative à la détermination de l'entité devant supporter la sanction infligée pour violation des règles de concurrence de l'Union, sont seuls applicables pour déterminer l'entité tenue de réparer le préjudice causé par une telle violation.
En outre, il ressort également de cette jurisprudence qu'il incombe, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l'entreprise en cause au moment où l'infraction a été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l'adoption de la décision constatant l'infraction, l'exploitation de l'entreprise a été placée sous la responsabilité d'une autre personne (v. not., CJUE, 16 novembre 2000, aff. C-248/98 P, point 71 N° Lexbase : A8081AYX).
La Cour de cassation juge pareillement que l'entreprise dont les moyens humains et matériels ont concouru à la mise en œuvre d'une pratique anticoncurrentielle encourt les sanctions prévues à l'article L. 464-2 du Code de commerce N° Lexbase : L6286L4L tant qu'elle conserve une personnalité juridique, indépendamment de la cession desdits moyens humains et matériels (Cass. com., 20 novembre 2001, n° 99-16.776 et 99-18.253, publié N° Lexbase : A2172AXQ).
Ainsi, la personne morale qui dirigeait l'exploitation de l'entreprise en cause est tenue de réparer le préjudice causé par un abus de position dominante lorsqu'elle continue d'exister juridiquement.
Or, pour dire que la société Euris est irrecevable en son action dirigée contre la société Cegedim, l'arrêt d’appel, après avoir rappelé les règles de la transmission universelle du patrimoine applicable au traité d’apport d’actif, retient que la dérogation stipulée en l’espèce, dans le traité d’apport, concerne le paiement de l'amende infligée par l'Autorité à la société Cegedim au titre d'un abus de position dominante commis dans le cadre de cette branche. Il en déduit que les actions civiles consécutives à cette décision n'étant pas expressément prévues, il ne peut s'inférer de la lecture du TAPA que les procédures civiles dites de « follow on » sont comprises dans l'exclusion sans ajouter à la clause, qui doit s'interpréter de manière stricte.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. Les juges du fond ont en effet relevé, d'une part, que, par sa décision du 8 juillet 2014, l'Autorité avait dit que la société Cegedim avait enfreint les dispositions des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-2 du Code de commerce, d'autre part, que le TAPA n'avait pas emporté la disparition de cette société et, enfin, que la demande de dommages et intérêts de la société Euris se rapportait à ces pratiques anticoncurrentielles. Par conséquent, il incombait bien à la société Cegedim, qui exploitait l'entreprise en cause au moment où l'infraction avait été commise, de répondre des conséquences indemnitaires de cette dernière, sans préjudice de l'application des conventions entre cédant et cessionnaire dans leurs relations.
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