Réf. : CJUE, 22 février 2024, aff. C-125/23 N° Lexbase : A56692PN
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par Vincent Téchené
le 06 Mars 2024
► L’exclusion de la couverture des créances salariales par l’AGS lorsque le travailleur a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat est contraire au droit de l’Union européenne.
Faits et procédure. Le 26 juin 2018, une société a fait l’objet d’un redressement judiciaire. Le 9 juillet 2018, des salariés de cette dernière ont pris acte de la rupture de leurs contrats de travail. Le 24 juillet 2018, la liquidation judiciaire de la société a été prononcée.
Le 31 juillet 2018, les travailleurs en cause ont saisi le conseil de prud’hommes de demandes d’inscription de leurs créances au passif de la liquidation judiciaire, sur le fondement de manquements de cette société que ces travailleurs considèrent comme étant suffisamment graves. Le conseil de prud’hommes a déclaré que la prise d’acte de la rupture des contrats de travail produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a inscrit leurs créances au passif de la liquidation judiciaire. En outre, il a déclaré que le jugement était opposable à l’AGS, tenue à garantie pour les sommes faisant l’objet desdites créances.
L’AGS a effectué un recours. La cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 24 février 2023, n° 21/15225 N° Lexbase : A07469GQ), saisie du litige, a posé des questions préjudicielles à la CJUE afin notamment de savoir si la Directive n° 2008/94 du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur N° Lexbase : L6970IBR, permet ou non d’exclure la prise en charge par l’institution de garantie des dédommagements pour cessation de la relation de travail lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
Décision. La CJUE constate que rien dans le texte de cette Directive ne permet de conclure que la garantie des créances des travailleurs par une institution de garantie puisse être exclue, par un État membre, dans le cas où la rupture du contrat de travail est à l’initiative de ce travailleur en raison d’un manquement de l’employeur.
Elle précise ensuite que la cessation du contrat de travail à la suite de la prise d’acte de la rupture de ce contrat par le travailleur, en raison de manquements suffisamment graves de l’employeur empêchant la poursuite dudit contrat, considérée par une juridiction nationale comme étant justifiée, ne saurait être regardée comme résultant de la volonté du travailleur, dès lors qu’elle est, en réalité, la conséquence desdits manquements de l’employeur.
Or, la Directive n° 2008/94 a une finalité sociale qui consiste à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum de protection au niveau de l’Union en cas d’insolvabilité de l’employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail (v. en ce sens CJUE, 28 juin 2018, aff. C‑57/17, point 46 N° Lexbase : A1614XUC).
Ainsi, la CJUE en conclut que la Directive s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit la couverture des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail par le régime national assurant le paiement des créances des travailleurs salariés par une institution de garantie lorsque la rupture du contrat de travail est à l’initiative de l’administrateur judiciaire, du mandataire liquidateur ou de l’employeur concerné, mais exclut la couverture de telles créances par cette institution de garantie lorsque le travailleur en cause a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et une juridiction nationale a jugé cette prise d’acte comme étant justifiée.
Observations. La position de la Cour de cassation, qui considère au contraire que les indemnités découlant de la prise d'acte, par un salarié, de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur ne sont pas garanties par l'AGS (v. Cass. soc., 20 décembre 2017, n° 16-19.517, FP-P+B N° Lexbase : A0654W94), est donc ici clairement jugée contraire au droit européen.
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