La lettre juridique n°972 du 1 février 2024 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] L’offre de renouvellement d’un bail commercial requalifiée en congé sans renouvellement

Réf. : Cass. civ. 3, 11 janvier 2024, n° 22-20.872, FS-B N° Lexbase : A20992D4

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N8242BZB

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à Aix-Marseille Université, Directeur du master Ingénierie des sociétés, Membre du Centre de droit économique (UR 4224) et de l’Institut de droit des affaires (IDA), Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence

le 31 Janvier 2024

Mots-clés : bail commercial • congé avec offre de renouvellement • clauses et conditions différentes du bail expiré • requalification • congé avec refus de renouvellement • indemnité d’éviction

Un congé avec une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s'analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction.


 

1. Par un arrêt en date du 11 janvier 2024, que personne n’avait vu venir, la troisième chambre civile de la Cour de cassation considère qu’un congé qui offre le renouvellement assorti de nouvelles conditions autres que le loyer doit s’analyser en un refus de renouvellement [1]. À la question donc de savoir si un congé avec offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, peut s'analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction, la Cour de cassation répond, étonnement, par la positive.

2. Les faits sont singuliers. En l'espèce, le 15 janvier 1999, un syndicat intercommunal d'aménagement touristique, aux droits duquel venait une communauté de communes, donna à bail à M. et Mme X un local commercial à usage de restaurant. Le 29 avril 2016, la bailleresse leur délivra un congé avec offre de renouvellement, subordonnée, notamment, à la modification de la contenance des lieux loués et à des obligations d'entretien des locataires [2]. Ces derniers restituèrent les lieux loués et assignèrent la bailleresse en paiement d'une indemnité d'éviction[3]. La cour d'appel [4] rejette leur demande. Elle relève que les modifications auxquelles la bailleresse entendait subordonner l'offre de renouvellement, portant atteinte à la fois à la contenance des lieux loués et aux obligations du preneur, ne pouvaient s'inscrire valablement dans le cadre d'un congé avec offre de renouvellement. Elle retient en outre que le congé exprimait néanmoins une offre de régularisation d'un nouveau bail, de sorte qu'il ne pouvait s'analyser en un congé sans offre de renouvellement[5].

3. Les locataires se pourvoient en cassation. La Haute juridiction censure la décision de la cour d'appel, retenant qu’il résulte des articles 1103 du Code civil N° Lexbase : L0822KZH, L. 145-8 N° Lexbase : L5735IS9 et L. 145-9 N° Lexbase : L2009KGI du Code de commerce qu'à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix. Dès lors, la Cour de cassation retient qu'un congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule manifestation de volonté de celui qui l'a délivré [6]. Par conséquent, un congé avec une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s'analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d'éviction.

4. La solution (I), mais encore plus les conséquences (II), appellent à la plus grande vigilance, d’autant plus que si les faits sont particuliers, la portée de l’arrêt annoté est sans nul doute générale.

I. La solution

5. A l’expiration d’un bail commercial, le locataire a droit au renouvellement de celui-ci (C. com., art. L 145-8) ou, à défaut, au paiement d’une indemnité d’éviction (C. com., art. L. 145-14 N° Lexbase : L5742AII), sauf les exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants du Code de commerce [LXB= L5745AIM]. Le renouvellement peut résulter d’un congé avec offre de renouvellement délivré par le bailleur au locataire, six mois au moins avant cette expiration (C. com., art. L. 145-9). Après avoir rappelé la jurisprudence constante selon laquelle, à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix [7], l’arrêt commenté ajoute une précision tout à fait nouvelle, à notre connaissance : lorsque le congé avec offre de renouvellement est fait à des clauses et conditions différentes de celles du bail expiré, il équivaut à un congé sans offre de renouvellement qui oblige le bailleur à payer au locataire une indemnité d’éviction.

6. Le congé étant un acte unilatéral puisque c’est la volonté de celui qui l’a délivré qui importe [8], en l’espèce, en proposant des clauses et conditions différentes de celles du bail initial, le bailleur avait manifesté son intention de ne pas renouveler celui-ci selon la Cour de cassation.

7. Pour autant, il résulte d’une jurisprudence constante que le renouvellement d’un bail commercial intervient aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré, et qu’aucune juridiction n’a le pouvoir de les modifier, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix [9]. Plus exactement, et excepté quelques exceptions assez particulières, sauf accord amiable des parties, les seuls éléments modifiés par le juge, dans le cadre d’un renouvellement, sont le montant du loyer que le juge a pour mission de fixer, et la durée qui est de neuf années, même si la durée du bail expiré était supérieure [10].

8. Dans ces conditions, les juges avaient en l’occurrence le choix entre plusieurs sanctions. Ils auraient pu admettre la validité du congé comportant offre de renouvellement en tenant pour nulles et de nul effet les modifications demandées comme contraires à la nature d’un renouvellement. Le congé resterait un congé comportant offre de renouvellement, sans modification des clauses et conditions antérieures. D’ailleurs, il a déjà été jugé par la cour d’appel de Versailles qu’une clause nouvelle insérée par le bailleur dans le bail renouvelé, sans que l’attention du preneur ait été attiré, était nulle [11]. Mieux, les juges auraient surtout pu considérer que le congé était valable mais que les nouvelles conditions proposées étaient non pas nulles mais inopposables [12]. Cette solution, qui est celle qui prévaut en matière de durée, aurait sans conteste été bien plus respectueuse de la volonté et l’intérêt du bailleur, d’autant qu’il est généralement admis que l’absence ou l’insuffisance de motifs d’un congé ne l’empêche pas de produire ses effets, à savoir mettre fin au bail et ouvrir droit pour le preneur à indemnité d’éviction, s’il en remplit les conditions [13].

9. Tout au contraire, la Cour de cassation a choisi de requalifier le congé. Le bailleur ayant clairement manifesté son intention de ne pas maintenir les clauses et conditions du bail expiré, sa volonté n’était pas de renouveler ce bail. Le congé est donc considéré comme comportant refus de renouvellement, ce qui oblige au paiement de l’indemnité d’éviction. C’est la solution retenue par la Cour de cassation, laquelle solution n’est au demeurant pas nouvelle. En effet, une cour d’appel qui avait requalifié en « congé-refus » un congé qui comportait une offre de renouvellement assorti de diverses modifications, notamment relatives à l’assiette du bail [14]. Plus que la solution, ce sont les conséquences qu’il est nécessaire d’anticiper.

II. Les conséquences

10. Au-delà de la solution en elle-même, ce sont surtout les conséquences très pratiques de cet arrêt du 11 janvier 2024 qu’il convient d’appréhender.

11. Ainsi, tout d’abord, certains auteurs soulignent que la solution devrait inciter le bailleur, qui, à l’occasion du renouvellement, souhaite modifier des clauses et conditions autres que le loyer, à en informer le locataire autrement que dans l’acte destiné à renouveler le bail, afin de rester maître des conséquences attachées à l’échec éventuel des négociations [15]. On peut par exemple tout à fait imaginer que le congé avec offre de renouvellement, délivré par acte extra-judiciaire, contienne le projet de bail renouvelé en annexe. La présence d’un tel projet suffit à témoigner, nous semble-t-il, de la volonté du bailleur de renouveler le bail.

12. La situation n’est pas non plus sans risque pour le locataire : ainsi, en présence d’un tel congé s’interprétant comme refusant le renouvellement, le locataire qui n’aurait pas agi dans un délai de deux ans (C. com., art. L. 145-60 N° Lexbase : L8519AID), pourrait se trouver privé de toute possibilité de demander une indemnité d’éviction [16]. Ici, le bailleur peut avoir pris le soin d’insérer dans le bail une clause, parfaitement légale, aux termes de laquelle il empêche le preneur de restituer les locaux. Certes, cette clause semble profitable au preneur puisqu’il demeure créancier de l’indemnité d’éviction, et il peut ainsi rester dans les lieux tant que ladite indemnité ne lui est pas intégralement versée. Mais pareille clause, que la pratique met déjà en œuvre, nous paraît déployer encore plus tous ses effets en pareille configuration au regard de l’arrêt du 11 janvier 2024 puisqu’elle offrira au bailleur plus que jamais une position de choix dans la négociation avec son preneur quelque part « coincé » à l’intérieur de ses murs.

13. Notons au demeurant que si la Cour de cassation juge, dans son arrêt du 11 janvier 2024, que le congé avec offre de renouvellement peut finalement être requalifié en congé sans offre de renouvellement, et donner lieu en conséquence au paiement d’une indemnité d’éviction, cela signifie que le congé délivré n’en est pas vraiment un, si bien que le bail aurait pu se poursuivre en tacite prolongation… Quoi qu’il en soit, cet arrêt du 11 janvier 2024, dont la Cour de cassation n’a peut-être pas mesuré tous les effets, appelle à la plus grande prudence des praticiens des baux commerciaux, généralistes comme spécialistes.

 

[1] Dalloz Actualité, 23 janvier 2024, obs. J.-D. Barbier et S. Valade ; Dalloz Actualité, 25 janvier 2024, note A. Confino in « Le droit en débats » ; Navis, actualités, 29 janvier 2024 ; Elnet, veille permanente, 24 janvier 2024, note P. Legrand.

[2] Il était demandé le respect de diverses conditions dont la régularisation d’un nouveau bail conforme aux textes en vigueur s’agissant notamment de la clause d’indexation des loyers, la modification de la contenance des lieux loués (exclusion des lieux publics, dont la plage et le poste de secours), la modification de certaines obligations du preneur (notamment quant à l’entretien des espaces verts - golf compris dans les lieux loués), ainsi que la proposition d’un loyer annuel ne pouvant être inférieur à une certaine somme.

[3] D’un montant de 501 000 euros.

[4] CA Bordeaux, 21 juin 2022, n° 19/06161 N° Lexbase : A411078Q.

[5] Par jugement du 24 octobre 2019, le tribunal compétent, après avoir dit que le congé n’encourait pas la nullité, a jugé que cet acte devait s’analyser en un refus de renouvellement au regard des modifications de contenance des lieux loués et des obligations des preneurs, dit que la communauté de communes bailleresse était débitrice envers les preneurs d’une indemnité d’éviction, et, avant dire droit, ordonné une expertise en vue de la fixer.

« En résumé, selon les magistrats angoumoisins, le congé était valable mais devait être requalifié en « congé-refus », tandis que pour leurs collègues bordelais, le congé était nul… mais cette nullité n’avait d’autre effet que de priver les preneurs de l’indemnité d’éviction en raison de leur départ des lieux ! » (A. Confino, préc.).

[6] Cass. civ. 3, 6 mars 1973, pourvoi n° 71-14.747, publié au bulletin N° Lexbase : A2913CGY – Cass. civ. 3, 12 juin 1996, n° 94-16.701, publié au bulletin N° Lexbase : A9930ABE, cités par la Cour de cassation, dans l’arrêt lui-même.

[7] Cass. civ. 3, 14 juin 1983, n° 82-11.275 N° Lexbase : A703587P – Cass. civ. 3, 7 mai 2006, n° 04-18.330, FS-P+B N° Lexbase : A8461DP3.

[8] Cass. civ. 3, 12 juin 1996, n° 94-16.701, publié N° Lexbase : A9930ABE – Cass. civ. 3, 4 février 2009, n° 07-20.980,  FS-P+B+I N° Lexbase : A9507EC4.

[9] Cass. civ. 3, 12 octobre 1982, n° 80-16.387, publié, N° Lexbase : A8576AH4, RTD com. 1983. 222, obs. M. Pédamon ; JCP 1984, II, 20125, obs. crit. B. Boccara – Cass. civ. 3, 6 mars 1991, n° 89-20.452 N° Lexbase : A4671ACY, D., 1992, Somm. p. 364, note L. Rozès ; Administrer, 2/1992. 28, note J.-P. Forestier.

[10] Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 01-02.781, publié N° Lexbase : A9090AZP, D., 2002, 3014 , obs. Y. Rouquet  ; AJDI, 2003, 28 , obs. J.-P. Blatter  ; RTD com., 2003, 277, obs. J. Monéger ; Gaz. Pal., 2003, 452, note J.-D. Barbier – Cass. civ. 3, 8 juin 2013, n° 12-19.568, F-D N° Lexbase : A1910KH9, AJDI, 2014, 279, obs. J.-P. Blatter ; ibid., 2013. 759 ; Administrer, 12/2013. 28, note J.-D. Barbier – Cass. civ. 3, 6 mars 2017, n° 15-27.920, F-D N° Lexbase : A2688UCK, AJDI, 2017, 513, obs. D. Lipman-W. Boccara  ; Gaz. Pal., 11 juillet 2017. 59, note J.-D. Barbier.

[11] CA Versailles, 14 novembre 1996, Loyers et copr., 1998, n° 245, obs. P.-H. Brault et C. Mutelet.

[12] En ce sens, A. Confino, préc. : « N’aurait-il pas été plus efficient, et plus respectueux de l’intention de l’auteur de l’acte, de considérer que les modifications demandées par le bailleur seront seulement tenues pour inefficaces et inopposables au preneur en l’absence d’acceptation par ce dernier, et de ne retenir que l’offre de renouvellement en son principe, puisqu’encore une fois le renouvellement a lieu aux mêmes clauses et conditions sauf meilleur accord des parties ? Le moment est peut-être venu, aussi, de poser de nouveau, comme l’avaient fait autrefois Bruno Boccara et Pierre-Yves Gautier (v. supra, 4), la question de la pertinence du maintien de la jurisprudence qui cantonne strictement le pouvoir du juge à la fixation du loyer ».
Dans le sens de cette proposition V. CA Pau, 19 octobre 2021, n° 21/00274 N° Lexbase : A641549H, JCP E, 2022, 1062, obs. Ph.-H. Brault : « le principe selon lequel le bail se renouvelle aux clauses et conditions du bail expiré, sauf désaccord concernant le loyer, est remis en cause par l’application de l’article L. 145-40-2 du Code de commerce N° Lexbase : L4976I3P, issu de la loi Pinel, et de l’article R. 145-35 N° Lexbase : L7051I4W issu du décret pris pour son application », « dès lors, il appartient au juge du fond d’interpréter le contrat et la commune intention des parties, pour dire si, en l’absence d’inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances notifié au preneur à la date d’effet du congé avec offre de renouvellement, les parties ont entendu renouveler le bail aux conditions antérieures, s’agissant des charges récupérables sur le preneur et de préciser ce que recouvrent ces charges et ce qu’elles ne peuvent inclure au regard des nouvelles dispositions de l’article R. 145-35 précité ».

[13] Contra :  J.-L. Fraudin, J.-Cl. Procédures Formulaire, v° Bail commercial – contentieux – Fasc. 30, n° 166.

[14] CA Versailles, 6 janvier 2000, Gaz. Pal., Somm. 2032, note Ph.-H. Brault. Voir le pourvoi : « Attendu qu’ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que le congé du 25 juin 1994 contenait l’offre du bail de locaux de superficie réduite par rapport à ceux du bail de 1986, pour des activités elles aussi réduites, donc faite en vue d’un renouvellement partiel et différent, sans qu’à aucun moment la société Guéry, dont elle a relevé qu’elle n’avait rendu les clés que le 22 décembre 1995, eût donné son accord sur ces modifications, la cour d’appel, sans dénaturation de l’acte de congé ni violation du principe de la prohibition des baux perpétuels, a pu déduire de ses énonciations et constatations que l’offre équivalait à un refus de renouvellement » (Cass. civ. 3, 5 décembre 2001, n° 00-12.350, FS-D N° Lexbase : A5475AX3).

[15] A. Confino, préc. ; J.-D. Barbier et S. Valade, préc.

[16] A. Confino, préc. ; J.-D. Barbier et S. Valade, préc.

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