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par Vincent Vantighem
le 06 Novembre 2023
Ministre de la Justice, garde des Sceaux, d’une part. Prévenu d’un délit puni d’une peine maximale de cinq ans de prison et d’une amende délictuelle de 500 000 euros, de l’autre. Éric Dupond-Moretti n’a pas le don d’ubiquité. Mais il expérimente les deux statuts en parallèle depuis lundi 6 novembre. Après des mois de procédure qui auront entaché son action place Vendôme, le ministre de la Justice en exercice est jugé devant la Cour de justice de la République, seule juridiction capable de juger des ministres pour des crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Une première depuis sa création en 1993.
Avant même l’officialisation de son renvoi, le ban et l’arrière-ban du gouvernement se sont activés pour minimiser cet épisode judiciaire. Mais il n’empêche : le coup est rude. Pendant deux semaines, le ministre chargé de la Justice va donc comparaître à la barre d’une formation de jugement. Pour estomper l’impact dans l’opinion publique, l’entourage du ministre se plaît d’ailleurs à dire qu’il ne va pas comparaître durant deux semaines, mais pendant six jours et demi d’audience. D’ailleurs, après des semaines de tergiversations jusqu’au plus haut sommet de l’état, il a été décidé qu’il pourrait poursuivre sa mission de garde des Sceaux, en dépit de cette audience. Que cela n’entraverait pas le travail qu’il doit accomplir pour les magistrats, les avocats ou encore les prisons. Comme si l’on pouvait être ministre la nuit et prévenu le jour.
Mais c’est bien sur ce second rôle que l’attention de l’opinion publique va se cristalliser. Si elle en a le courage, elle pourra donc se plonger avec la Cour de justice de la République dans cette affaire de « prise illégale d’intérêts » pour laquelle il est donc jugé. Une affaire qui le poursuit finalement depuis qu’il a été nommé, un peu à la surprise générale, par Emmanuel Macron pour intégrer son Gouvernement à l’été 2020.
Simples procédures disciplinaires ou véritable esprit de vengeance ?
À l’époque, on s’en souvient, certains syndicats de magistrats avaient vu dans sa nomination une véritable « déclaration de guerre ». Et n’avaient pas hésité à exhumer cette affaire de « prise illégale d’intérêts ». Elle est simple et compliquée à la fois. Pour résumer, Éric Dupond-Moretti est accusé de s’être servi de son statut de ministre de la Justice pour régler ses comptes avec quatre magistrats avec qui il avait eu des différends lorsqu’il était avocat. Par esprit de vengeance, pourrait-on dire. Les magistrats en question ? Édouard Levrault, un juge anticorruption qu’Acquittator avait croisé lorsqu’il défendait un oligarque russe empêtré dans les affaires à Monaco. Un juge qu’il avait qualifié de « cow-boy ». Quant aux trois autres, ce sont trois magistrats du parquet national financier (PNF) qui étaient impliqués dans l’affaire dite des « fadettes » menée en parallèle du dossier des écoutes de Paul Bismuth. Éric Dupond-Moretti avait qualifié leurs méthodes de « barbouzes ».
Aussi, lorsqu’il a engagé des poursuites disciplinaires à leur encontre une fois parvenu place Vendôme, certains se sont posé des questions. Agissait-il ainsi, car les magistrats avaient franchi la ligne rouge ? Ou par pur esprit de vengeance ? Lui s’est toujours défendu d’avoir voulu régler ses vieux comptes en profitant de son tout nouveau statut de ministre. Il avait autre chose à faire que de penser à ces magistrats, a-t-il l’habitude d’assurer en petit comité. Et puis, surtout, il estime qu’il n’a fait que suivre les recommandations de son administration et les procédures lancées par sa prédécesseur, place Vendôme, Nicole Belloubet.
Le principal enjeu ? Celui de sa démission
Mais pour lui comme pour n’importe quel prévenu, le diable se niche dans les détails. Et si cette affaire est complexe, elle présente des aspects qui ont amené la commission d’instruction de la Cour de justice à s’interroger. À finalement ouvrir une enquête. À perquisitionner place Vendôme. À mettre le ministre en examen. Et in fine, à le renvoyer pour être jugé.
Dans ces aspects, il y en a un plus important que les autres. Il s’agit des arrêts du Conseil supérieur de la magistrature ayant eu à statuer sur les cas des fameux quatre magistrats prétendument opposés à leur ministre. Visés par la procédure de leur ministre de tutelle, ils ont finalement tous été blanchis, innocentés. Pire, le Conseil supérieur de la magistrature est allé au-delà de ce qu’on lui demandait en indiquant, noir sur blanc, que le ministre était en « situation objective » de conflit d’intérêts, les concernant.
Un sérieux caillou dans la chaussure de l’ancien ténor des barreaux qui va devoir s’en expliquer durant deux semaines d’audience, à peine entrecoupées par deux conseils des ministres. Au-delà de la peine encourue de cinq ans de prison et de l’amende de 500 000 euros, Éric Dupond-Moretti sait bien que le risque principal pour lui est celui d’une démission obligatoire du Gouvernement en cas de condamnation. Si l’exécutif semble encore hésiter à ce propos, Élisabeth Borne a déjà fait savoir à son propos que la règle générale s’appliquerait. Autrement dit, qu’il devrait faire ses cartons si l’audience aboutit à une condamnation. On n’en est évidemment pas encore là. Avant ça, le ministre aura l’occasion dès mardi 7 novembre de s’exprimer sur tout ça lors de son interrogatoire au fond. Pour une fois, ce sera lui qui sera à la barre… Son procès doit s’achever vendredi 17 novembre. La décision devrait être rapidement connue.
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