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N7139BY3
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par François Saint-Pierre, Avocat au Barreau de Lyon
le 29 Avril 2021
Mots-clés : droits de la défense • avocat • défense pénale • contradictoire • indépendance du parquet • secret professionnel • accès au dossier
S’il est un principe, au barreau, sur lequel tous les avocats seront d’accord, du moins je l’espère, c’est la liberté : la liberté d’exercer ce métier comme chacun l’entend, suivant ses attraits et ses idéaux – dans le cadre de la loi et de la déontologie évidemment. C’est notre privilège, à nous, les avocats. Encore faut-il se fixer un but, définir une doctrine, une méthode, sans quoi il est difficile de mener une action utile. Pour ma part, voilà longtemps que je me suis inspiré de Tacite, l’historien romain, qui fut avocat lui aussi. La défense, disait-il, a pour fonction d’empêcher toute personne d’être « livrée à la force », c'est-à-dire à l’arbitraire, à la violence de l’État.
Cet article est issu du dossier spécial « Secret professionnel et droits de la défense » publié le 29 avril 2021 dans la revue Lexbase Pénal. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N7342BYL)
Un formidable développement contemporain des droits de la défense
Longtemps, en France, les avocats n’ont eu pour arme de défense que la parole, l’éloquence. De droits de la défense, les accusés n’en avaient aucun avant l’ouverture de leur procès, et cela en fut ainsi jusqu’en 1897, aux débuts de la IIIe République. Depuis, les choses ont considérablement évolué. C’est dans les années 1990 surtout qu’un ensemble efficace et cohérent de droits de la défense a été mis en place dans le cadre des informations judiciaires, notamment lors des réformes du 4 janvier 1993 [1] et du 15 juin 2000 [2]. Pour moi et ceux de ma génération, c’était hier. Mais pour la plupart des avocats qui ont prêté serment depuis, peut-être cela leur semble-t-il de l’histoire ancienne. Ce n'est pas le cas, notre système judiciaire est en évolution constante.
C’est pourquoi je crois qu’un regard sur le passé est toujours nécessaire pour analyser et comprendre une situation dans son ensemble. Notre procédure pénale est aujourd’hui très élaborée. Elle présente évidemment des défauts. Mais il est essentiel que les avocats puissent concevoir et mettre en œuvre une véritable doctrine de défense pénale, pour exploiter au mieux ces nombreux droits dont ils disposent désormais, non seulement au cours des instructions, mais aussi des audiences de jugement, en exerçant les diverses actions qui leur sont ouvertes. On peut définir la défense de différentes façons. Personnellement, j’avais adopté à cette époque une définition purement fonctionnelle : la défense, c’est l’exercice des droits de la défense.
C’est dans ce but que, dès les années 1990, j’ai entrepris de les compiler, de les classer et de les indexer, afin d’en faciliter et d’en optimiser l’usage dans la pratique judiciaire. Cela m’a semblé d’autant plus utile que la jurisprudence, celle de la Cour de cassation, de la CEDH, puis à compter de 2010 du Conseil constitutionnel, s’est tellement développée qu’elle a pris une place primordiale. Le droit pénal et la procédure pénale, qui sont des matières législatives par excellence, ont changé de nature : les lois votées par le Parlement se façonnent dans les tribunaux et devant les cours, de manière prétorienne, avant d’être mises à jour par de nouvelles lois de réforme. Nous, les avocats, jouons un rôle déterminant dans ce processus de création de la jurisprudence et de la loi. C’est dans cet esprit qu’en 2002 j’ai publié la première édition du Guide de la défense pénale, chez Dalloz, jusqu’en 2014, date à laquelle j’ai changé de formule et d’éditeur. J’ai alors transformé ce manuel en une Pratique de défense pénale, sous-titrée : droit, histoire, stratégie, qui est publiée chez Lextenso — dont la 4e édition est sortie ce printemps 2021, je me permets de vous le signaler.
Ma théorie est que le procès équitable est la meilleure protection des citoyens, des personnes, contre les abus de pouvoirs et les erreurs judiciaires. Et que les droits de la défense, pratiqués de manière effective, sont la condition nécessaire de ce procès équitable. Parmi ces droits, il y a ceux que j’ai appelés les droits premiers de la défense, ceux sans lesquels aucune défense n’est possible. Il s’agit successivement du droit à l’assistance par un avocat, puis des droits à la connaissance de l’accusation, à la contestation de l’accusation, à celle de la légalité de la procédure, mais aussi du jugement, et même à la contestation du juge. Comme je l’avais alors écrit, « l’ensemble de ces “droits-actions” forme un système de défense pénale, articulant les droits fondamentaux de la défense et les procédures nécessaires à leur exercice effectif, à l’initiative des personnes poursuivies et de leurs avocats ». Voilà en résumé la doctrine que je m’étais donnée.
Au cours des vingt dernières années, j’ai ainsi mesuré l’évolution de ces droits de la défense, classés et hiérarchisés selon ces catégories, ce qui me permet d’affirmer sereinement que nous n’avons jamais eu autant de moyens mis à notre disposition pour assurer la défense de nos clients, au cours de notre longue histoire judiciaire. Cela étant, nous avons bien sûr aussi des critiques à formuler, mais qui doivent être pensées et mûries, sans nous égarer dans de faux débats, ou dans des impasses purement protestataires. Les postures lacrymales et les vociférations ne servent à rien.
Les droits essentiels de la défense
Commençons par le droit à l’assistance de toute personne par un avocat. La grande loi « Constans » du 8 décembre 1897 [3] avait permis aux inculpés, comme l’on disait alors, d’être assistés de leurs avocats devant le juge d’instruction. Ce fut un progrès déterminant, historique. Il en a été de même, plus de cent ans plus tard, en 2010 et 2011 [4], lorsque le Conseil constitutionnel a décidé que notre régime de garde à vue ne pouvait plus convenir à une société démocratique comme la nôtre, et qu’il était essentiel que les personnes soient alors assistées par un avocat après s’être vu notifier leur droit au silence. La Cour de cassation décida à son tour le 15 avril 2011 [5] que ces droits devaient être mis en œuvre sans même attendre l’entrée en vigueur de la loi votée la veille par le Parlement, qui était prévue pour le mois de juillet suivant. Cette réforme de la garde à vue, qui semblait impossible à réaliser, est aujourd'hui totalement admise. Je prends un autre exemple. Souvenons-nous qu’avant 2004 [6], il était interdit d’assurer la défense d’un prévenu ou d’un accusé absent, lequel était déchu de tout droit. La loi a changé après que la CEDH a jugé ce régime trop sévère [7]. Les prisonniers eux non plus ne pouvaient pas être assistés d’un avocat au prétoire, lors des procédures disciplinaires, dans les établissements pénitentiaires, et cela jusqu’en 2000 [8]. Il est difficile de soutenir, dans cette perspective, que notre procédure pénale serait archaïque ou régresserait. C'est tout le contraire.
Passons au droit de connaître l’accusation. Ce n’est que depuis 1993 que les avocats ont un accès constant au dossier d’instruction judiciaire [9]. Autrefois, c’était 48 heures avant un interrogatoire. Et ce n’est que depuis 1996 [10] que nous pouvons remettre une copie de la procédure à notre client, sauf opposition du juge d’instruction. La numérisation des procédures facilite aussi grandement notre travail et notre suivi des dossiers. Et il nous faut espérer que d’ici peu la Justice s’adapte mieux encore aux nouvelles technologies – mais dans ce domaine, comme dans les autres, je ne crois que ce que je vois. C’est aussi au cours de ces mêmes années 1990 que nous avons pu solliciter des juges d’instruction des actes d’investigation et des expertises, ce qui nous a permis de mener des défenses actives en matière de preuves. L’ADN, la téléphonie, le traçage des personnes et les vidéos de toutes natures ont depuis bouleversé le débat sur la preuve, ce qui à mon avis a rendu beaucoup plus sûr le procès pénal. « Plaider avec ses tripes », comme je l’entends encore parfois dire, n’a plus guère de sens pour réfuter de telles preuves. Une bonne connaissance de ces techniques est une exigence, de même qu’il nous faut être de bons, d’excellents juristes.
Les questions de légalité ont en effet pris une importance majeure dans le procès pénal. Souvenons-nous qu’avant 1993, il nous était impossible de déposer une requête en nullité avant la fin de l’information judiciaire en matière criminelle, ou avant l’ouverture du procès correctionnel. Jusqu’en 2007 [11], on ne pouvait présenter que « des observations sommaires » devant les chambres de l’instruction, d’après les termes mêmes du code. C’est alors aussi que la procédure contradictoire de fin d’instruction a été organisée, nous incitant à rédiger et déposer des mémoires écrits présentant notre thèse de défense dès ce stade. Oui, la défense pénale, purement oratoire, est passée à l’écrit ! Et c’est une très bonne chose. Somme toute, que de changements au cours de ces années ! Et pour conclure, l’ouverture des questions prioritaires de constitutionnalité, en 2010 [12], a plus encore révolutionné notre pratique : non seulement nous pouvons discuter utilement les faits en cause et la légalité de la procédure, mais également la constitutionnalité de la loi ! L’œuvre jurisprudentielle du Conseil constitutionnel depuis dix ans a été remarquable, et ce sont nous, les avocats, qui en avons été les artisans, en imaginant et en posant ces questions à la barre des tribunaux.
La question de l’enquête préliminaire et du statut des magistrats du parquet
Après cet éloge de notre Justice, passons aux critiques. Il ne faut pas croire qu’un système judiciaire soit une architecture stable et immuable, c'est plutôt un moteur ou une constellation en mouvement permanent. En voici la meilleure démonstration. Nous avons vu qu’en 1993, en 2000, puis dans les années suivantes, les droits de la défense au cours des instructions judiciaires ont été considérablement développés. Mais c’est aussi à cette époque que les procureurs ont recouru de façon de plus en plus fréquente aux enquêtes préliminaires, surtout depuis la loi « Perben II » de 2004 [13], qui les a dotés de pouvoirs qui n’appartenaient jusqu’alors qu’aux juges d’instruction. Bien sûr, les procureurs avaient une bonne raison pour pratiquer de la sorte : la durée excessive des informations judiciaires. Mais enfin, la situation actuelle n’est pas acceptable : ce sont eux qui sont chargés des poursuites et de l’accusation, et qui sont ainsi une partie à l’instance, qui dans le même temps choisissent discrétionnairement le mode de poursuites. S’ils décident d’ouvrir une instruction, les parties civiles et les personnes mises en examen disposeront de droits de la défense effectifs. Mais s’ils optent pour une enquête préliminaire, ces derniers n’en auront aucun, jusqu’à l’audience. Est-ce satisfaisant ? Nous avons déposé de nombreuses requêtes en nullité et des QPC sur ce thème, mais la Chambre criminelle de la Cour de cassation les a invariablement rejetées, considérant que nous pourrions exercer ces mêmes droits devant la juridiction de jugement, le moment venu.
Je suis en désaccord : tout praticien peut constater que l’exercice de la défense n’est pas du tout le même dans le cadre d’une information judiciaire ou dans celui d’une audience sur enquête préliminaire ou de flagrance. Il est vrai que depuis 2016 [14], la situation s’est un peu améliorée, puisqu’au titre de l’article 77–2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4940K8H) nous pouvons solliciter du ministère public la communication de la procédure et déposer un mémoire de fin d’enquête pour exposer notre thèse en défense. Mais l’exercice de ce droit est soumis à l’appréciation discrétionnaire du procureur, et nous constatons tous les jours que, d’un tribunal à un autre, les pratiques sont très variables. Nous pouvons aussi, au titre de l'article 388-5 du code (N° Lexbase : L7512LPW), solliciter des suppléments d’instruction devant le tribunal correctionnel, mais il est évident que cela n’a rien à voir avec l’instruction approfondie et contradictoire d’une affaire dans le cadre d’une information judiciaire.
On peut continuer de réviser le système à la marge, par des modifications mineures. C’est le chemin qu’a pris la commission « Mattei », dont le rapport, finalement rendu avec retard fin février 2021, s’est avéré plus décevant encore qu’on l’avait deviné à la lecture du questionnaire diffusé aux différentes personnes auditionnées, lequel ne laissait guère envisager de progrès majeur – cela dit nonobstant ma sympathie personnelle pour le Bâtonnier Dominique Mattei. C’est en réalité un problème de structure, d’architecture. Cette dualité de mode de poursuites n’est plus acceptable. Il nous faut les fusionner, en différenciant les enquêtes courtes pour les affaires simples, et plus approfondies pour les affaires complexes. Dans tous les cas, les personnes victimes ou mises en cause doivent se voir reconnaître un statut juridique au plus tôt, et se voir dotées des droits de la défense afférents. Les magistrats chargés de ces enquêtes doivent avoir le même statut. Ce qui pose bien évidemment la question de les confier à des juges d'instruction, en bien plus grand nombre, statutairement indépendants, ou bien de réformer fondamentalement le ministère public.
Je suis partisan de cette seconde solution, notamment d’une rupture nette du parquet d’avec le Gouvernement, et cela pour une bonne raison que j’ai exposée dans l’un de mes derniers livres, Le droit contre les démons de la politique : les procureurs, qui ont pour mission de faire appliquer la loi pénale et de mener des politiques répressives, doivent disposer d’un statut constitutionnel qui leur impose de respecter et de faire respecter les droits fondamentaux des personnes et l’indépendance de la Justice, y compris contre un Gouvernement qui voudrait y porter atteinte, que ce soit pour manipuler une affaire politico-financière ou pour instrumentaliser la Justice pénale à des fins populistes, par des contrôles d’identité discriminatoires, des arrestations massives de manifestants, ou des politiques pénales ultra-répressives, entre autres exemples. Un ministère public dépendant du pouvoir politique n’est plus acceptable dans une démocratie contemporaine : c’est une source d’arbitraire qui met gravement en danger les libertés fondamentales.
Souvenons-nous de cet épisode déplorable de notre histoire judiciaire, qui n’est pas si ancien : en 1996, le ministre de la Justice, Jacques Toubon, avait envoyé un hélicoptère dans l’Himalaya pour ordonner au procureur de la République du tribunal d’Évry, Laurent Davenas, qui s’y était rendu pour une randonnée, d’annuler un réquisitoire signé par son adjoint en son absence, aux fins de poursuite du maire de Paris et de son épouse, Monsieur et Madame Tibéri, dans une affaire politico-financière. Chacun doit s’en souvenir pour bien comprendre pourquoi le pouvoir du ministre de la Justice sur les parquets est une aberration démocratique. Ce jour-là, ce ministre a discrédité notre système judiciaire. Pourtant, l’une des figures de la magistrature de l’époque, Hubert Dalle (SM), soutenait alors que cette subordination du parquet au pouvoir politique n’était pas en soi problématique, mais que la réforme primordiale était de séparer les juges du siège des procureurs, qui eux devaient rester aux ordres du Gouvernement : avec le recul du temps, cette posture détonne quelque peu, et cependant l’on entend encore quelques avocats et magistrats la reprendre, comme s’ils entonnaient un mantra. À chacun ses opinions, évidemment.
Séparer le siège du parquet, pourquoi pas, mais en quoi est-ce antinomique avec la séparation du parquet d’avec le Gouvernement ? Quoi qu’on en pense, les choses ont bien changé depuis ce temps-là. La loi de juillet 2013 [15] a interdit au ministre de la Justice de donner des ordres aux procureurs, ce que regrettent les conservateurs, libre à eux. Mais que les choses soient bien claires : un Gouvernement qui voudrait revenir en arrière ne le pourrait plus. Le 8 décembre 2017 [16], le Conseil constitutionnel a statué sur ce sujet, en réponse à une question de constitutionnalité que lui avait posée l’USM, qu’il a certes rejetée, mais avec des motifs d’une grande importance, qui consacrent le principe de l’indépendance des procureurs dans la conduite de l’action publique au cours des enquêtes puis des audiences. Toute immixtion du pouvoir politique est ainsi interdite. De mon point de vue, le temps est venu de parachever cette évolution, en refondant les statuts des procureurs et des juges d’instruction dans un système de poursuites pénales homogène, qui ne place plus les personnes mises en cause et les victimes dans des situations si différentes, notamment en termes de droits de la défense, selon le bon vouloir des procureurs, ouvrant ou non une information judiciaire.
Les questions du secret professionnel et de la liberté de parole des avocats
Le statut des avocats mérite lui aussi d’être revalorisé, symétriquement à celui des procureurs, face aux juges du siège. Je songe souvent à cet arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de 1897 [17], qui avait affirmé que, je cite de mémoire, le principe de libre défense commandait de respecter les communications confidentielles des avocats avec les accusés qui les ont choisis ou qui veulent les choisir. Oui, nous revendiquons haut et fort ce privilège de confidentialité de nos entretiens avec nos clients. Toute personne qui a fait l’expérience de poursuites en comprend immédiatement la nécessité vitale dans une société libre. Et pourtant, la protection de ce secret professionnel s’est singulièrement dégradée. Dès le début des années 1980, la Cour de cassation a admis que des personnes poursuivies soient placées sur écoutes téléphoniques par un juge d’instruction, au risque pourtant de voir captées leurs conversations avec leurs avocats. La seule précaution qu’elle ait ensuite prise, au cours des années 1990, fut d’interdire toute transcription de ces conversations confidentielles, sauf suspicion d’une infraction commise par l’avocat lui-même que révélerait incidemment l’écoute… [18] Il faut nous rendre à l’évidence : dans une société de surveillance globale, les services d’enquête ne peuvent pas renoncer à surveiller ces modes de communications, et nous voici donc inéluctablement surveillés nous-mêmes. Comment se protéger ? Communiquer sous de faux noms ou en employant des moyens cryptés me semble assez vain, et même indigne de notre profession d’avocat. Nous ne sommes pas des voyous.
C'est une protection juridique qu’il nous faut revendiquer. Moi qui fais volontiers l’éloge de la Cour de cassation, je déplore la décision qu’elle a prise en mars 2016, lorsqu’elle a statué dans cette pitoyable affaire « Paul Bismuth ». Elle a alors conditionné l’opposabilité de la confidentialité de nos entretiens aux enquêteurs et aux juges d’instruction, c’est-à-dire l’interdiction pour eux de retranscrire nos conversations avec nos clients, à la mise en cause formelle de ces derniers et à notre désignation pour leur défense. Or lorsque nous nous entretenons avec eux pour préparer une prochaine garde à vue, par exemple, nous parlons bien de leur défense pénale, avant toute mise en examen ! Notre conversation, si elle est écoutée, ne devrait donc être retranscrite, en aucun cas. Il ne fallait pas paramétrer notre statut juridique sur ce cas d’espèce, aussi regrettable fût-il. Mais il nous faut être réalistes. La Cour européenne des droits de l’Homme, en 2016 également [19], a validé cette jurisprudence de la Chambre criminelle, rappelant seulement que les confidences du client à son avocat ne pouvaient pas servir de preuves à son encontre (ce que prévoyait déjà l’article 432 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2335IP8). En 2015 et 2016 [20], le Conseil constitutionnel lui aussi a jugé que le secret professionnel de l’avocat n’était pas de nature constitutionnelle, pas davantage d'ailleurs que le secret des sources des journalistes. Il ne sert donc plus à rien de gémir en plaidant : « Je ne veux pas être écouté », puisque nous le sommes, et que comme toute personne sous surveillance nous avons à le savoir et à mesurer nos propos au téléphone, dans nos e-mails ou sur WhatsApp. De toute façon, le secret professionnel n’a jamais eu vocation à camoufler les activités illicites dans lesquelles il arrive à certains de se fourvoyer. La qualité d’avocat n’est pas en soi une immunité.
La raison profonde de ce secret professionnel, c’est de permettre à quiconque est confronté à la Justice, à quelque titre que ce soit, de se confier à un avocat, son « double juridique », comme l’avait si bien nommé Geoffroy de Lagasnerie, lorsque nous l’avions invité à l’Institut de défense pénale, à Marseille, il y a quelques années. C’est à l’écoute de son client qu’un avocat peut comprendre son passé et ses angoisses, pour lui expliquer son avenir judiciaire, le conseiller et construire sa stratégie de défense. Le secret professionnel est en ce sens étroitement lié à la liberté de parole de l’avocat : ce que l’on plaidera le moment venu sera nourri de ce que nous aura confié notre client sous le sceau de ce secret, avec son accord, bien entendu – un avocat qui trahirait son client en livrant son aveu malgré lui mériterait d’être radié. Dans un précédent article que m’avait demandé Lexbase il y a deux ans [21], j’avais déjà souhaité conjurer le pessimisme ambiant. Notre liberté de parole est plus grande et mieux garantie de nos jours que dans le passé, c’est indéniable. Les jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’Homme nous protègent : cet article, qui en offre un panorama, demeure d’une parfaite actualité.
Quelques mots de conclusion
Nous traversons une période tourmentée. Les conflits sociaux, la crise sanitaire et la menace constante du terrorisme forcent le pouvoir politique à mener des politiques sécuritaires. À chacun ses responsabilités. Notre devoir, à nous les avocats, c’est de défendre les droits et les libertés de nos clients, par tous les moyens que nous offre la loi. Ces moyens sont importants et effectifs : c’est ce que j’ai souhaité exprimer dans cet article. À nous de nous en emparer et d’exercer de manière active la défense de tous ceux dont nous avons la charge. De cette façon-là, nous défendons une certaine idée de l’État de droit, dont nous sommes les acteurs dynamiques lors de tout procès.
* Photographie © LyonDécideurs
[1] Loi n° 93-2, du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale (N° Lexbase : L8015H3A).
[2] Loi n° 2000-516, du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ).
[3] Loi du 8 décembre 1897, ayant pour objet de modifier certaines règles de l'instruction préalable en matière de crimes et de délits [en ligne].
[4] Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P) et Cons. const., décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, du 18 novembre 2011 (N° Lexbase : A9214HZB).
[5] Cass. crim., 15 avril 2011, n° 10-17.049, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4).
[6] Loi n° 2004-204, du 9 mars 2004, portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II » (N° Lexbase : L1768DP8).
[7] CEDH, 13 février 2001, Req. 29731/96, Krombach c/ France (N° Lexbase : A7215AW7).
[8] Loi n° 2000-321, du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, art. 24 (N° Lexbase : L0420AIE).
[9] Loi n° 93-2, du 4 janvier 1993, op. cit.
[10] Loi n° 96-1235, du 30 décembre 1996, relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme (N° Lexbase : O2731BLQ).
[11] Loi n° 2007-291, du 5 mars 2007, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale (N° Lexbase : L5930HU8).
[12] Loi organique n° 2009-1523, du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS).
[13] Loi n° 2004-204, du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8).
[14] Loi n° 2016-731, du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, art. 56 (N° Lexbase : L4202K87).
[15] Loi n° 2013-669, du 25 juillet 2013, relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique (N° Lexbase : L9267IXI).
[16] Cons. const., décision n° 2017-680 QPC, du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : A6818W4B).
[17] Cass. crim., 9 septembre 1897, Bull. crim., n° 309.
[18] Cass. crim., 15 janvier 1997, n° 96-83.753 (N° Lexbase : A1274AC8).
[19] CEDH, 16 juin 2016, Req. n° 49176/11, Versini-Campinchi et Crasnianski c/ France (N° Lexbase : A1124RTS).
[20] Cons. const., décision n° 2015-478 QPC, du 24 juillet 2015 (N° Lexbase : A1274AC8) et Cons. const., décision n° 2016-738 DC, du 10 novembre 2016, § 17) (N° Lexbase : A3812SGB).
[21] La liberté de parole et d’argumentation de l’avocat, Lexbase Avocats, septembre 2019 (N° Lexbase : N0137BYQ).
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