Réf. : Cass. civ. 3, 3 mai 2007, n° 06-11.092, Société Arceaux 49, FS-P+B (N° Lexbase : A0618DWS)
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N1968BBI
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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris
le 07 Octobre 2010
Déboutée par les juges du fond, la société bénéficiaire de l'apport s'est pourvue en cassation.
Faisant une application combinée des dispositions des articles L. 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5744AIL) et 1719 du Code civil (N° Lexbase : L1841ABS), la Cour de cassation a censuré l'arrêt qui lui était déféré.
I - La transmission du bail dans le cadre d'un apport partiel actif
L'apport du droit au bail à une société entraîne, en principe, la cession de ce dernier (Cass. civ. 3, 8 mai 1979, n° 78-10.502, Société Les Mimosas, Tétard c/ Compagnie de gestion et d'achats immobiliers COGEDI, office parisien N° Lexbase : A3447AGR et Cass. civ. 3, 8 juillet 1992, n° 90-16.758, SARL Suffren Fleurs c/ SCI 4, rue Desaix à Paris 15ème N° Lexbase : A8883AHH) et rend, en conséquence, applicables tant les dispositions légales que, le cas échéant, les stipulations du bail, relatives à cette opération.
Ainsi, la cession du droit au bail subséquente à un apport devra, en principe, être signifiée au bailleur, en application de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB), pour lui être opposable (Cass. civ. 3, 2 février 1977, n° 75-13.002, Moros, Julien c/ Ragoneaux N° Lexbase : A7159AGA).
Il y aura également lieu, en conséquence, d'appliquer l'article 1717 du Code civil (N° Lexbase : L1839ABQ) qui prévoit que la cession du droit au bail est, en principe, libre, sauf clauses contraires qui sont fréquentes, notamment dans les baux commerciaux.
La situation est différente lorsque la transmission du droit au bail par apport s'insère dans une opération entraînant une transmission universelle de patrimoine. Cette hypothèse est envisagée, notamment, par l'article L. 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5744AIL).
Dans le but de protéger le fonds de commerce dont le droit au bail est un élément essentiel, le statut des baux commerciaux prohibe les clauses qui tendent à interdire au preneur la cession du droit au bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise (C. com., art. L. 145-16). Cette prohibition ne s'applique, toutefois, qu'à une interdiction absolue et générale de toute cession et non à de simples clauses limitatives ou restrictives (sur ce point, voir J. Prigent, Les conditions de validité de la cession du bail commercial, Lexbase Hebdo n° 44 du 24 octobre 2002 - édition affaires N° Lexbase : N4371AA7).
En outre, toujours aux termes de l'article L. 145-16 du Code de commerce, en cas de fusion de sociétés ou d'apport d'une partie de l'actif d'une société réalisé dans les conditions prévues à l'article L. 236-22 du même code (N° Lexbase : L6372AIT), la société issue de la fusion ou la société bénéficiaire de l'apport est, nonobstant toute stipulation contraire, substituée à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations découlant de ce bail.
Le champ d'application de ce texte, qui concerne des hypothèses de transmission universelle du patrimoine, soulève plusieurs difficultés (sur ce point, voir J. Prigent, Rev. Loyers 2005, p. 77, note sous CA Paris, 16ème ch., sect. A, 13 octobre 2004, n° 03/11378, Mme Liliane Marie Evelyne Rolande Marceau c/ SA Société Actions Transactions N° Lexbase : A8069DD9).
En ce qui concerne l'espèce commentée, il s'agissait d'une opération d'apport partiel d'actifs. L'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce vise les apports partiels d'actifs réalisés "dans les conditions prévues à l'article L. 236-22" du Code de commerce, à savoir, les apports partiels d'actifs entre sociétés anonymes soumis au régime des scissions (C. com., art. L. 236-16 à L. 236-21 N° Lexbase : L6366AIM). La Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce, en dépit du fait qu'il ne vise que l'article L. 236-22 relatif aux sociétés anonymes, est applicable aux apports partiels d'actifs entre des sociétés à responsabilité limitée soumis au régime des scissions (C. com., art. L. 236-24 N° Lexbase : L6374AIW) (Cass. civ. 3, 30 avril 2003, n° 01-16.697, FS-P+B N° Lexbase : A7555BSM, J.-P. Dom, Le transfert du bail dans le cadre d'un apport partiel d'actif entre SARL facilité par la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 75 du 12 juin 2003 - édition affaires N° Lexbase : N7728AAH).
Si les faits exposés dans l'arrêt rapporté ne permettent pas de déterminer si l'apport avait été soumis à ce régime particulier, le visa de l'article L. 145-16 du Code de commerce permet de le supposer.
L'apport partiel d'actif soumis à ce régime emporte transmission universelle des droits et obligations pour la branche d'activité concernée même si la société titulaire du patrimoine transmis subsiste (Cass. com., 16 février 1988, n° 86-19.645, Banque française commerciale Antilles-Guyane c/ Consorts Erembert et autre N° Lexbase : A7012AAX et Cass. com., 10 décembre 2003, n° 02-11.818, F-D N° Lexbase : A4321DAB), sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité de scission ou d'apport, communauté ou confusion d'intérêts, fraude (Cass. com., 5 mars 1991, n° 88-19.629, Société Coignet c/ M. Burgaud et autres N° Lexbase : A1185ABI et Cass. com., 22 février 2005, n° 02-10.405, Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR) c/ Société financière de l'Erable, F-D N° Lexbase : A8540DGE) ou contrat conclu intuitu personae (Cass. com., 29 octobre 2002, n° 01-03.987, F-D N° Lexbase : A4127A3A).
En conséquence, lorsque l'apport partiel d'actif entraîne une transmission universelle du patrimoine, la société bénéficiaire de l'apport est substituée, par l'effet de cette transmission universelle, dans tous les droits et obligations de la société apporteuse, y compris ceux qui résulteraient d'un bail. La question se pose même, dans cette hypothèse, de savoir s'il y a encore une véritable cession du bail. Ainsi, en matière de legs universel ou à titre universel, la transmission du bail n'est pas analysée en une cession et les clauses du bail qui y sont relatives n'ont pas à être respectées (Cass. soc., 7 décembre 1960, n° 60-20.018, Sieur René Cottreau c/ Sieur Ristelhuber N° Lexbase : A5073DWS, Bull. n° 1131).
L'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce constitue l'application de cette solution relativement au bail qui aurait fait l'objet d'un tel apport.
L'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce a, en outre, pour effet de paralyser les clauses qui interdiraient cette substitution de plein droit ou qui la soumettraient au respect de certaines formalités à cette occasion, telle l'obligation de communiquer au bailleur un exemplaire du traité de fusion (Cass. civ. 3, 19 février 1997, n° 95-14.826, Société civile immobilière (SCI) Parimmo c/ Société 3 F Restaurant N° Lexbase : A8769AGU).
Il n'est par ailleurs pas nécessaire, en cas de transmission universelle du patrimoine, de signifier la transmission du bail au propriétaire, les dispositions de l'article 1690 du Code civil étant, en effet, inapplicables (Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-14.740, Société 3 F Restaurant c/ Société Parimmo N° Lexbase : A5695ABK).
Dans l'arrêt commenté, la société bénéficiaire de l'apport tentait d'obtenir du bailleur l'exécution de son obligation de délivrance telle qu'elle découlait du bail dont elle s'est trouvée titulaire par l'effet de l'apport. Le manquement reproché portant sur une branche d'activité qui n'avait pas fait l'objet de l'apport, les juges du fond avaient refusé d'accueillir sa demande.
Cependant, compte tenu de la substitution de la société bénéficiaire de l'apport dans tous les droits et obligations du titulaire initial du bail, cette solution ne pouvait qu'être sanctionnée. C'est de l'ensemble du bail dont elle devient titulaire et, à ce titre, elle pouvait exiger le respect par le bailleur de son obligation de délivrance qui lui impose de fournir au locataire un local lui permettant d'exercer l'activité qui y est stipulée.
II - L'étendue de l'obligation de délivrance du bailleur
L'obligation de délivrance du bailleur est prévue par l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L1841ABS) qui dispose que "le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière [...] de délivrer au preneur la chose louée".
Cette obligation comporte trois aspects.
Le bailleur est, tout d'abord, tenu de mettre matériellement à la disposition du preneur le local objet du bail, c'est-à-dire, de lui en permettre l'accès (Cass. civ. 3, 16 janvier 1980, n° 78-12.389, Epoux Sénéchal c/ Dame Durey N° Lexbase : A9825AGY et Cass. civ. 3, 28 septembre 2005, n° 04-13.720, FS-P+B N° Lexbase : A5912DK8, D. Bakouche, L'occupation illicite du bien loué par un tiers empêchant sa délivrance au preneur constitue-t-elle pour le bailleur une cause étrangère ?, Lexbase Hebdo n° 185 du 13 octobre 2005 - édition affaires N° Lexbase : N9413AIH). Il s'agit du coeur de cette obligation, la délivrance "au sens strict" (B. Vial-Pedroletti, Juris-Cl. Civil code, art. 1708 à 1762, fasc. 260, n° 2).
Ensuite, la chose objet du bail doit être remise au preneur "en bon état de réparations de toute espèce" (C. civ., art. 1720 N° Lexbase : L1842ABT). Cette obligation perdure au-delà de la remise de la chose louée puisque le bailleur est tenu de "faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives" (C. civ., art. 1720).
Enfin, le bailleur est tenu de délivrer un local conforme à la destination du bail, c'est-à-dire, permettant matériellement et juridiquement au locataire d'exercer l'activité qui y est stipulée. La question de savoir si l'exercice d'une activité dans le local loué est juridiquement possible se pose fréquemment en matière de bail commercial. Ainsi, l'activité contractuellement envisagée devra, le cas échéant, être exercée en conformité avec la réglementation relative à la sécurité (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 01-16.246, Société civile immobilière (SCI) Sept Adenauer c/ Société Péchiney, FP-P+B+I N° Lexbase : A0324C9U et Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-13.798, Société Barbara-Boris-Isabelle-Carles "BBIC" c/ Société l'Aventure, FS-D N° Lexbase : A3814DI4), à l'hygiène (Cass. civ. 3, 29 janvier 2002, n° 00-16.734, F-D N° Lexbase : A8924AXS), à l'urbanisme (Cass. civ. 3, 2 juillet 1997, n° 95-14.151, Société du Murget c/ Société Paris sanitaire N° Lexbase : A1836ACY) au changement d'usage des locaux destinés à l'habitation (Cass. civ. 3, 21 novembre 2001, n° 99-21.640, FS-D N° Lexbase : A2216AXD) et au règlement de copropriété.
Dans l'arrêt rapporté, l'action du preneur, titulaire du bail par l'effet de l'apport, était fondée sur "l'état des locaux et le refus du bailleur de réaliser les travaux de mise en conformité exigés par l'autorité administrative". Etait donc en cause le troisième aspect de l'obligation de délivrance, voire le deuxième si l'état des locaux, en dehors de toute question de mise en conformité, était tel qu'il ne permettait pas au preneur d'y exercer son activité. En effet, le local n'était pas conforme aux normes qui s'appliquent aux établissements d'enseignement. Il semble en outre, qu'en l'espèce, l'Administration ait exigé que ces travaux soient effectués. Or, selon une jurisprudence constante, fondée sur l'obligation de délivrance ou d'entretien du bailleur, les travaux imposés par l'autorité administrative incombent au bailleur (Cass. civ. 3, 28 septembre 2005, n° 04-14.577, FS-P+B N° Lexbase : A5924DKM).
Il était donc incontestable qu'en l'espèce, le bailleur était tenu de délivrer des locaux permettant, au regard des prescriptions administratives, l'exercice de l'activité d'enseignement qui était l'une des destinations prévues au bail.
Ces règles relatives à l'obligation de délivrance du bailleur sont néanmoins supplétives et il est loisible aux parties d'un bail commercial de transférer sur le preneur certains de ses aspects et de prévoir, notamment, qu'il appartiendra au preneur d'effectuer à ses frais les travaux de mise en conformité (Cass. civ. 3, 5 juin 2002, n° 00-19.037, FS-P+B N° Lexbase : A8532AYN) ou de prendre à sa charge les travaux prescrits par l'Administration (Cass. civ. 3, 20 septembre 2005, n° 03-10.382, F-D N° Lexbase : A5005DKL).
Toutefois, le bailleur manquera à son obligation de délivrance si ces travaux s'avèrent techniquement irréalisables (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 2 mars 2005, n° 03/10326, Gilbert Deloge c/ SCP Jean-Pierre Perney et Philippe Angel pour la société L. D. ès qualités de mandataire liquidateur N° Lexbase : A2918DHK) ou si le preneur, qui s'est engagé à obtenir les autorisations nécessaires, ne les obtient pas pour des raisons indépendantes de sa volonté (CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 30 mars 2000, n° 98/08348, M. Jean-Pierre Boulbet c/ M. Abdelaziz Trabelsi N° Lexbase : A3957ATQ).
Les aménagements contractuels ne peuvent, en effet, aboutir à vider de sa substance l'obligation essentielle du bailleur (en ce sens, voir Cass. civ. 3, 1er juin 2005, n° 04-12.200, FS-P+B N° Lexbase : A5185DIU).
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