La lettre juridique n°156 du 24 février 2005 : Bancaire

[Jurisprudence] La protection du cessionnaire par le transport de la créance cédée vers son patrimoine

Réf. : Cass. com., 7 décembre 2004, n° 02-20.732, Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) d'Aquitaine, venant aux droits de la CRCAM d'Aquitaine Sud-Ouest c/ Société Labat-Merle, FP-P+B+I+R ([LXB=A0137DG8 ])

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par Marie-Elisabeth Mathieu, Jeantet Associés, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val d'Essonne

le 07 Octobre 2010

L'affirmation suivant laquelle "le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'égard du cédant fait obstacle aux droits de la banque cessionnaire sur les créances nées de la poursuite du contrat à exécution successive postérieurement à ce jugement" (Cass. com., 26 avril 2000, n° 97-10.415, Société Westpac Banking Corporation c/ Société Socpresse N° Lexbase : A5133AWZ, JCP éd. E, 2000, p. 1134) est, aujourd'hui, périmée depuis la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 décembre 2004. Le cessionnaire peut, dorénavant, demander au débiteur cédé le paiement de sa créance même si le cédant fait l'objet d'une procédure collective. Par conséquent, les créances correspondant à des périodes postérieures à l'ouverture de la procédure collective sont acquises au bénéficiaire du bordereau. Cette solution est marquée par un visa exhaustif de la Cour de cassation touchant les dispositions des articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH), L. 313-24 (N° Lexbase : L9257DYI) et L. 313-27 (N° Lexbase : L6399DIT) du Code monétaire et financier et précisant, sur ce fondement, que la créance "sortie du patrimoine du cédant, son paiement n'est pas affecté par l'ouverture de la procédure collective de ce dernier postérieurement à cette date".

La question est donc, avant tout, celle de la détermination du moment exact du transport de la créance (I) et son opposabilité au débiteur cédé (II).

I - Le transport de la créance dans le patrimoine du cessionnaire

Naît sur la tête du cessionnaire par cette cession, qu'elle soit Dailly ou traditionnelle, une créance l'investissant de la qualité de créancier du débiteur cédé. Il existe alors "une succession à titre particulier de la créance" (C. Larroumet, La cession du contrat : une régression du droit français, Mélanges M. Cabrillac, Litec 1999, p. 151). La qualité de cessionnaire lui permet de profiter des droits nés dans le patrimoine de son auteur, le cédant, au moment du transport.

La créance transmise soustrait une richesse du patrimoine du cédant : elle est une valeur patrimoniale. Ce droit de créance entre dans le patrimoine du cessionnaire tel qu'il existe dans celui du cédant (A. Rieg, Cession de créance, Rép. civ. Dalloz, 1970, n° 552). La créance est réellement une valeur : elle est cédée soit pour éteindre une dette, soit pour obtenir des liquidités. La cession de créance a une fonction purement économique. Bien souvent, sans le crédit accordé au cédant par la cession de créance, le contrat générateur de la créance ne pourrait survivre. D'ailleurs l'esprit de la cession Dailly est de protéger les droits du cessionnaire avant ceux du cédant en vue d'une parfaite efficacité de la cession.

La date de naissance de la créance contractuelle est au coeur du débat : est-ce la date de conclusion du contrat de cession qui génère la créance ou l'exécution successive de la prestation ? Il n'est pas toujours aisé, dans les contrats à exécution successive, d'affirmer, dès leur conclusion, que chacun est titulaire d'une créance dont les modalités d'exécution seraient échelonnées dans le temps. Néanmoins, ce courant est l'exacte représentation de l'esprit de la loi Dailly (loi n° 81-1 du 2 janvier 1981, facilitant le crédit aux entreprises N° Lexbase : L0197G8S). Les créances sont, en principe, transférées au cessionnaire à la date portée sur le bordereau, soit dans la présente décision avant la date d'ouverture de la procédure collective.

Par conséquent, dès le transfert de propriété, la créance n'est plus dans le patrimoine du cédant et appartient au cessionnaire. La force obligatoire du contrat de cession lie alors le cédant et le cessionnaire. Mais ce simple accord de volontés n'est pas, en principe, suffisant pour que le contrat de cession soit opposable au débiteur cédé et ce même si l'effet translatif de la créance a eu lieu.

II - L'opposabilité de la cession de créance au débiteur cédé

Deux étapes sont à distinguer dans le déroulement de la cession de créance du Code civil :

- la cession opère comme une vente entre le cédant et le cessionnaire et transfère instantanément la créance et ses accessoires (V. C. civ., art. 1692 N° Lexbase : L1802ABD ; V. aussi sur le transfert de la clause compromissoire comme accessoire de la créance, M.-E. Mathieu, La transmission de la clause compromissoire au cessionnaire de la créance, JCP éd. G, 2003, I, 116) ;
- puis, pour que le cessionnaire puisse demander paiement de cette créance, devenue sa propriété, au débiteur cédé, une autre formalité est à accomplir : celle de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB) (signification par voie d'huissier, acceptation par acte authentique). Par conséquent, entre le moment où la créance est transportée sur la tête du cessionnaire et la date de signification, le cédant peut poursuivre le débiteur cédé en paiement. Celui-ci ne pourra lui opposer la cession de créance car il est censé l'avoir ignorée.

Il est donc important de différencier ces deux étapes, reflets de deux principes fondamentaux du droit des obligations qui ne sauraient être confondus : la force obligatoire du contrat de cession entre les parties et son opposabilité aux tiers, plus spécifiquement au débiteur cédé. On ne saurait donc parler de force obligatoire de la cession de créance à l'égard des tiers.

En revanche, lorsque la cession est une cession de créance professionnelle (cession Dailly), le Code monétaire et financier, en son article L. 313-27, indique que la cession "prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de la remise". La date de transfert de propriété et la date d'opposabilité aux tiers de la cession de créance sont identiques. Le banquier cessionnaire est, dès la date de la cession, le seul et unique créancier du débiteur cédé (V. Cass. com., 8 février 2000, n° 97-17.627, Comité national olympique et sportif français c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Yonne N° Lexbase : A5239AWX, D. 2000, jur. p. 3110) : "la remise du bordereau à son destinataire opère de plein droit transfert de la créance avec tous les accessoires et suffit à rendre l'opération opposable aux tiers, c'est à dire à tout autre cessionnaire ou aux créanciers du cédant" (V. en ce sens, Fr. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 8ème éd., n° 1302). Aucun avertissement du débiteur cédé n'est requis.

Toutefois, l'établissement de crédit cessionnaire a la faculté de notifier au débiteur le transfert de la créance (C. mon. fin., art. L. 313-38 N° Lexbase : L9270DYY). La finalité de cette notification est d'éviter -ce qui fut le cas dans cette décision- que le débiteur cédé, ignorant l'existence de la cession, ne paye la dette entre les mains du cédant. Le banquier cessionnaire peut aussi soumettre la cession de créance au débiteur cédé pour acceptation. Le débiteur se libère ainsi de son paiement entre les mains du cessionnaire et est réputé avoir renoncé à toutes les exceptions qu'il pouvait opposer aux cédants à moins que l'établissement de crédit, en acquérant ou en recevant la créance, n'ait agit sciemment au détriment du débiteur. En revanche, ce débiteur est en droit, lorsqu'il n'a pas accepté la cession Dailly mais qu'il en a seulement reçu notification, d'opposer au cessionnaire les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le cédant et dont l'origine est antérieure à la notification.

Dès lors, la décision de la Cour de cassation du 7 décembre 2004 apparaît dans toute sa logique : si la créance est transférée à la date apposée par le bordereau, peu importe, dès lors, la procédure collective postérieure du cédant. Les droits du cessionnaire ont été transmis antérieurement à cette procédure et elle est donc sans aucun effet sur ces derniers. Le créancier du débiteur cédé ne peut alors entrer en conflit avec les créanciers du cédant quelle que soit la nature de la créance.

Il est donc impossible de modifier les droits attachés aux créances cédées à compter de la date apposée sur le bordereau. Le transfert de propriété est réalisé et la cession est opposable au débiteur cédé. Mais, à défaut de date mentionnée sur le bordereau, la cession n'a aucun effet à l'égard des tiers (V. Cass. com., 7 mars 1995, n° 93-12.257, Société générale de banque belge c/ M. Pierrat et autres N° Lexbase : A1134ABM, RTDcom. 1995, p. 632).

Et, ajoute la Cour de cassation, peu importe l'exigibilité de la créance.

Cette affirmation ne saurait étonner. L'efficacité des créances futures a été formellement reconnue par la loi Dailly. En témoigne, la lettre de l'article L. 313-23, alinéa 2, du Code monétaire et financier : "peuvent également être cédées ou données en nantissement les créances résultant d'un acte déjà intervenu ou à intervenir mais dont le montant et l'exigibilité ne sont pas encore déterminés". Seront transmises par bordereau les créances liquides et exigibles mais aussi les créances à terme et futures. Le législateur n'a pas prévu un régime distinct pour chacune de ces créances : les créances en germe et les créances exigibles répondent à un régime unique. L'établissement de crédit cessionnaire a sur les créances cédées, exigibles ou non, un droit acquis (V. en ce sens Cass. com., 8 février 2000, op. cit).

Pour ces dernières, ce sera à la banque d'apprécier le risque de telles créances. La Cour de cassation, dans ses décisions antérieures -lorsqu'elle refusait au bénéficiaire du bordereau, le bénéfice des créances nées avant la procédure collective mais dont l'exécution s'échelonnait postérieurement à la faillite du cédant-, apportait alors une restriction notable à l'efficacité des créances futures (V. en ce sens, Ch. Gavalda et J.Stoufflet, Droit bancaire, 5ème éd., n° 461). La Haute juridiction méconnaissait, par ce biais, "les aspects positifs des financements apportés grâce, notamment à la cession Dailly" (V. en ce sens, C. Maleky, Le bordereau Dailly à l'épreuve du droit des procédures collectives, Mélanges Y. Guyon, Dalloz 2003, p. 767 ; P. Crocq, L'efficacité incertaine du bordereau Dally, Dr. et patrimoine, 2002, p. 80).

Mais, plus encore, la Cour de cassation protégeait ainsi les droits du cédant à l'encontre de ceux du cessionnaire Dailly, solution peu convaincante au regard des textes. Il n'est pas inutile de rappeler que la loi Dailly, en son esprit, protège les intérêts de la banque cessionnaire : l'opposabilité de plein droit de la cession Dailly, dès la date apposée sur le bordereau, en est un exemple. A quoi serviraient les conditions de forme de la cession de créance professionnelle si le rôle joué par la date du bordereau perdait de son efficacité ? A peu de choses...au regard des intérêts du cessionnaire Dailly.

La Chambre commerciale, dans cette récente décision, l'a bien compris. Certes, il s'agit de concilier les différents intérêts en présence : ceux du créancier du cédant, celui du cessionnaire et ceux du cédant lui même. Mais le droit des procédures collectives ne peut modifier ceux attachés au transport de la créance à moins d'admettre qu'une faillite puisse nier l'existence d'un transfert de propriété.

Le Code de commerce a d'ailleurs protégé de la nullité pendant la période suspecte, les cessions de créance professionnelles : "sont nuls lorsqu'ils auront été faits par le débiteur depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants [...] : tout paiement pour dettes échues fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981". La cession par bordereau échappe donc à la nullité des paiements en période suspecte (V. Cass. com., 20 janvier 1998, n° 95-16.718, Société bordelaise de crédit industriel et commercial (SBCIC) c/ M. Rey et autres N° Lexbase : A3906CXX, RTDcom 1998, p. 396). N'y a t-il pas là un témoignage d'une protection particulière accordée au cessionnaire Dailly ?

A l'analyse, la cession de créance est une vente quelle que soit sa nature (V. en ce sens, la lettre de l'article 1692 du Code civil) et la propriété est "acquise de droit à l'acheteur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix" (C. civ., art. 1583 N° Lexbase : L1669ABG). Seule une disposition spéciale issue du droit des procédures collectives pourrait faire obstacle à ce principe. En son absence, il est une certitude : la créance cédée est sortie du patrimoine du cédant et se trouve dans celui du cessionnaire. Elle est donc hors du champ d'application de l'article L. 621-32 du Code de commerce qui vise "les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture [...]" et donc les créances situées dans le patrimoine du cédant. La question se poserait en des termes différents si la cession de créance était postérieure à l'ouverture de la procédure...

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