Réf. : Cass. crim., 5 septembre 2023, n° 22-86.256, F-B N° Lexbase : A69771E7
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par Adélaïde Léon
Le 21 Septembre 2023
► L’utilisation par un salarié d’un code, qui lui a été attribué afin d’accéder aux locaux de la société pendant ses heures de travail, pour s’introduire de nuit dans les locaux de l’entreprise dans lesquels il commet un vol caractérise la circonstance aggravante de ruse au sens de l’article 311-5, 3° du Code pénal. L’échange de messages avec d’autres salariés afin d’organiser l’effacement de l’historique des traces informatiques d’activation et de désactivation de l’alarme caractérise quant à lui la circonstance aggravante de réunion au sens de l’article 311-4, 1° du même code.
Rappel des faits et de la procédure. Après la destitution de son poste, l’ancien président d’une société a appelé un salarié de cette entreprise afin qu’il s’introduise de nuit dans les locaux de celle-ci et qu’il désactive une alarme. Ce dernier y était parvenu en utilisant un code qui lui avait été attribué pour y accéder pendant ses heures de travail puis avait retrouvé l’ancien dirigeant sur le parking attenant.
Trois jours après les faits, ledit salarié et deux autres ont échangé des messages via l’application WhatsApp afin d’effacer l’historique des traces informatiques d’activation et de désactivation de l’alarme.
L’ancien dirigeant a été cité devant le tribunal correctionnel des chefs de vol par ruse dans un lieu destiné ou utilisé à l’entrepôt de fonds, valeurs ou marchandises, aggravé par une circonstance de réunion, de modification frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé et de détention non autorisée d’appareil permettant l’interception des communications ou la détection à distance des conversations.
L’intéressé a été reconnu coupable des faits reprochés. Il a relevé appel de ce jugement.
Que dit la loi ? Le vol simple est puni de 3 ans de prison et de 45 000 euros d’amende (C. pén., art. 311-4 N° Lexbase : L7493L9E). L’article 311-5 du même code N° Lexbase : L7624IP3 porte cette peine à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende notamment lorsque le vol est commis dans un local d’habitation ou dans un lieu utilisé ou destiné à l’entrepôt de fonds, valeurs, marchandises ou matériels, en pénétrant dans les lieux par ruse, effraction ou escalade.
Le dernier paragraphe prévoit que ces peines peuvent être portées à dix ans et 150 000 euros d’amende notamment lorsque le vol prévu à cet article est également commis dans l’une des circonstances prévues par l’article 311-4 du Code pénal, parmi lesquelles figure la commission par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.
En l’espèce les juges avaient retenu qu’était constituée l’infraction de vol par ruse de l’article 311-5, elle-même aggravée par la circonstance de réunion.
En cause d’appel. La cour d’appel a confirmé le jugement et condamné le prévenu, pour vol aggravé et atteinte à un système de traitement automatisé de données, à trois ans d’emprisonnement dont un an avec sursis, cinq ans d’interdiction professionnelle et une confiscation.
La cour a retenu qu’en empêchant tout déclenchement de l’alarme, le salarié avait agi par ruse et qu’il importait pu que cette manœuvre ait pour but de récupérer un dispositif à la demande de l’ancien président qui s’en disait propriétaire.
En outre, selon les juges d’appel, les échanges entre les trois salariés établissaient une action concertée de vouloir supprimer la preuve de la ruse employée. Ils constataient à ce titre que l’ancien président était parfaitement informé des demandes d’intervention faites à cette fin sur la centrale du système de l’alarme.
Le prévenu a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel.
Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir déclaré l’ancien président coupable de vol en réunion dans un local d'habitation ou dans un lieu utilisé ou destiné à l'entrepôt de fonds, valeurs, marchandises ou matériels, en pénétrant dans les lieux par ruse, alors que le salarié qui s’était introduit dans les locaux en utilisant son code n’avait utilisé aucun stratagème pour tromper la confiance de l’entreprise.
Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi en rappelant que la ruse se définit par l’utilisation d’un procédé habile, mais déloyal, destiné à parvenir à ses fins.
Selon la Haute juridiction, l’utilisation par un salarié d’un code, qui ne lui a été remis qu’à des fins professionnelles, pour s’introduire dans les locaux où est commis le vol caractérise la circonstance aggravante de ruse.
Pour aller plus loin : S. Fucini, Le vol, l’extorsion et les infractions assimilées, in Droit pénal spécial (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E0966038. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 7 septembre 2023, n° 21-14.279, FS-B N° Lexbase : A81911E4
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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à Aix-Marseille Université, Directeur du master Ingénierie des sociétés, Membre du Centre de droit économique (UR 4224) et de l’Institut de droit des affaires (IDA), Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence
Le 20 Septembre 2023
Mots-clés : baux commerciaux • résidence de tourisme • résiliation du bail • échéance triennale • bail renouvelé
L'article L. 145-7-1 du Code de commerce, qui déroge à la faculté de résilier le bail à échéance triennale reconnue au locataire par l'article L. 145-4 du Code de commerce, n'est pas applicable aux baux renouvelés soumis au seul article L. 145-12 du même code.
1. C’est un arrêt de principe qu’a rendu la troisième chambre civile de la Cour de cassation en matière de baux commerciaux dans les résidences de tourisme. Pour la première fois, elle juge que l'article L. 145-7-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5439IE8, qui prévoit que les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme sont d'une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l'expiration d'une période triennale, et déroge ainsi à l’article L. 145-4 du Code de commerce N° Lexbase : L9957LMQ, n'est pas applicable aux baux renouvelés soumis au seul article L. 145-12 du même code N° Lexbase : L2007KGG.
2. Selon l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 N° Lexbase : L5745IEI, « les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du Code du tourisme N° Lexbase : L6050ISU sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale ». Le contraste est saisissant avec le droit commun des baux commerciaux qui admet, sous certaines conditions, une résiliation triennale, étant rappelé toutefois que depuis la loi « Pinel » du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D), si les clauses de durée ferme sont dorénavant prohibées, elles restent possibles, par exception, dans l’un des cas visés à l’article L. 145-4, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L9957LMQ.
3. Pour être plus précis, l’article L. 145-7-1 du Code de commerce impose des baux commerciaux d’une durée ferme de neuf ans au moins. La raison en est tout à la fois fiscale, économique et financière : il s’agit d’interdire au preneur exploitant la résidence avec les différents baux commerciaux passés avec les investisseurs convaincus d’investir et de lui louer, par le promoteur, de se désengager de l’opération. En effet, la résiliation du bail pourrait mettre ceux-ci en grande difficulté pour respecter leur obligation fiscale de maintenir le local acquis en exemption d’impôt, loué à bail commercial pendant neuf années consécutives. En ce sens, les travaux parlementaires relatifs à la loi du 22 juillet 2009, auxquels la Cour de cassation fait justement référence, révèlent que « l'objectif poursuivi par le législateur est de rendre fermes les baux commerciaux entre l'exploitant et les propriétaires d'une résidence de tourisme classée afin d'assurer la pérennité de l'exploitation pendant une période initiale minimale de neuf ans » (paragraphe n° 15 de la décision).
4. Au vrai, le sujet n’est pas là. Cette première période de neuf ans n’a pas posé de difficulté en l’occurrence. La question posée concernait la période postérieure à cette première période initiale de neuf ans : lorsqu’un tel bail est renouvelé, faut-il considérer que le texte reste applicable, de sorte que le relation contractuelle doit durer encore au moins neuf ans, ou doit-on considérer que le texte n’est plus applicable, et qu’en conséquence la résiliation triennale est permise ?
5. La question se posait car le texte n’est pas des plus clairs. En effet, en faisant référence aux « baux commerciaux signés », une difficulté d’interprétation est créée : l’on ne sait pas s’il est fait référence aux baux conclus ou renouvelés ou encore consentis ultérieurement à un premier bail de neuf ans ou si seul est visé un bail initial de neuf ans.
6. La Cour de cassation prend position et ce, très expressément : l'article L. 145-7-1 du Code de commerce n'est pas applicable aux baux renouvelés. Elle permet donc aux exploitants des résidences de tourisme, en l’espèce le groupe Pierre et Vacances, de mettre fin aux baux commerciaux en leur qualité de preneurs, en donnant congé pour la fin de première échéance triennale qui suit le premier renouvellement du bail.
7. Dans une certaine mesure, les baux des résidences de tourisme, soumis dans un premier temps à un droit spécial, se trouvent soumis, une fois la période initiale achevée de neuf années au moins, au droit commun des baux commerciaux. D’ailleurs, la Cour de cassation précise bien, au paraphrage n° 17 de sa décision, que si l'article L. 145-7-1 du Code de commerce n'est pas applicable aux baux renouvelés, ces baux sont soumis au seul article L. 145-12 du Code de commerce selon lequel « La durée du bail renouvelé est de neuf ans sauf accord des parties pour une durée plus longue ». La Cour de cassation rappelle que ce dernier texte est d'ordre public [1], tout comme d’ailleurs pouvons-nous ajouter l’article L. 145-7-1 précité [2], et qu’il est applicable, comme au demeurant les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 145-4, aux baux renouvelés. L’article L. 145-7-1 du Code de commerce, conforme à la Constitution [3], applicable aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur [4], n’est cependant pas applicable aux baux renouvelés.
8. Bien que les bailleurs plaidaient en faveur d’une application extensive de l’article L. 145-7-1, interprétant ce texte qui ne distingue pas, il est vrai, les baux initiaux et les baux renouvelés, la solution rendue par la Cour de cassation, dans l’arrêt sous commentaire, publié, mais également dans quatre arrêts du même jour, non publiés [5], qui confirme les solutions du juge d’appel [6], nous semble conforme à l’esprit de la loi. En effet, la lecture des arrêts des juges du fond enseigne que : « l’avantage fiscal consenti prenant fin avec le bail initial, l’article L. 145-7-1 [...], qui institue un régime dérogatoire au régime légal de droit commun qui permet au preneur de mettre fin au bail à l’issue de chaque période triennale [...] et protège ainsi le bailleur pendant la durée initiale de neuf ans de toute perte de l’avantage fiscal, n’a plus de justification en ce qui concerne les baux ultérieurement renouvelés ou consentis ». Et selon le preneur : « […] il ne convient pas de retenir une application littérale de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, car tous les baux renouvelés ne sont pas signés et qu’une application littérale du texte conduirait à créer des différences entre bailleurs, parfois au sein de la même résidence, qu’ils aient ou non signé un bail commercial ; […] compte tenu de la rédaction du texte sujet à interprétation, il y a lieu pour en déterminer la portée de se référer aux travaux parlementaires et au but poursuivi par le législateur ; […] ce texte n’est applicable qu’aux baux commerciaux initialement conclus entre un bailleur et un preneur, et non aux baux renouvelés, même dans l’hypothèse où ces derniers feraient l’objet d’un avenant signé par les parties ».
9. La règle posée à l’article. 145-7-1 du Code de commerce est générale et ne comporte pas d’exception. Si la durée initiale, ferme, de neuf ans ou plus, a du sens, cela n’en a pas de maintenir la dérogation au-delà de cette période initiale. Le terme « baux signés » renvoie à la notion de « baux initiaux conclus lors de l’édification de la résidence ou lors de sa réhabilitation ». Par conséquent, le bail commercial qui intervient après un premier bail de neuf ans, qu’il s’agisse d’un nouveau bail ou du renouvellement du premier bail, peut être résilié de manière anticipée. L’interdiction des congés triennaux délivrés par les résidences de tourisme ne s’applique donc pas aux baux ultérieurement renouvelés ou consentis.
10. Du reste, et au-delà de l’interprétation nécessitée par l’absence de clarté du texte, on se souvient qu’un sénateur avait interrogé le ministre en charge (JO Sénat, 6 mars 2014, p. 583) qui lui avait alors répondu que, « passé ce délai [de neuf ans], les parties sont soumises au statut de droit commun des baux commerciaux […] ». La réponse inscrite dans l’ADN de l’amendement qui avait conduit le Sénat à adopter la règle dérogatoire à l’article L. 145-4 sur la résiliation triennale, ainsi que dans sa lettre (le bail « signé ») apparaît logique et pertinente. On observera cependant que, contrairement aux arrêts rendus par la cour d’appel de Paris, un arrêt de la cour d’appel de Poitiers, qui avait donné tort à Pierre et Vacances, avait jugé que l’interdiction des congés triennaux délivrés par les résidences de tourisme s’applique aux baux renouvelés [7].
11. La solution paraît donc conforme à l’esprit de la loi de 2009 sur les résidences de tourisme. Ne pas interpréter ce texte ainsi « aurait pour effet d’établir une différence entre les bailleurs qui auraient signé un contrat de bail renouvelé et ceux auxquels un tel document n’aurait pas été proposé à la signature, mais qui seraient néanmoins tenus envers le preneur par un bail renouvelé non signé, ce qui serait dépourvu de sens » [8].
12. Le mérite enfin de cette décision, rédigée aux termes d’une motivation qui fait montre d’une pédagogie exceptionnelle et remarquable, est d’éviter d’avoir, au sein du statut des baux commerciaux, qui constitue déjà un droit assez dérogatoire, un droit encore plus dérogatoire. Du moins, la spécificité des baux commerciaux conclus au sein des résidences de tourisme, liée à une durée initiale ferme, n’est que temporaire.
13. De manière plus large, cet arrêt du 7 septembre 2023 est sans doute une invitation à réfléchir à l’applicabilité du statut des baux commerciaux au sein des résidences de tourisme, voire au sein d’autres résidences (seniors, EHPAD, services, étudiants, etc.).
[1] Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 01-02.781, publié N° Lexbase : A9090AZP.
[2] Cass. civ. 3, 9 février 2017, n° 16-10.350, FS-P+B+I N° Lexbase : A7677TBX, Loyers et copr., 2017, comm. 79, obs. E. Chavance ; Dalloz Actualité, 13 février 2017, obs. Y. Rouquet ; RTD com., 2017, p. 46, obs. J. Monéger ; JCP E, 2017, act. 129 et JCP G, 2017, 437, note Y. Dagorne-Labbé ; Administrer, mars 2017, p 31, note D. Lipman W-Boccara ; J. Prigent, in Chron., Lexbase Affaires, mars 2017, n° 501 N° Lexbase : N7067BWN ; AJDI, 2017, 432, obs. A. Antoniutti ; RDC, 2017, 227, obs. Y.-M. Laithier ; JCP E, 2017, 1320, § n° 14, obs. B. Brignon. Adde : J.-P. Blatter, La loi sur le développement et de modernisation des services touristiques et les baux commerciaux, AJDI, 2009, p. 591 ; J. Monéger, Premières réflexions sur les lois estivales en matière de baux, Loyers et copr., 2009, étude 10, n° 9 s. ; J. Monéger, De la prédiction du droit, Loyers et copr., 2017, repère 3.
[3] Cass. civ. 3, 16 mars 2017, n° 16-40.253, QPC, FS-P+B N° Lexbase : A2656UCD, JCP E, 2017, 1207 ; Dalloz actualité, 24 mars 2017 et AJDI, 2017, p. 513, obs. Y. Rouquet ; J. Prigent, Lexbase Affaires, mars 2017, n° 503 N° Lexbase : N7332BWH.
[4] Cass. civ. 3, 9 février 2017, préc.
[5] Cass. civ. 3, 7 septembre 2023, 4 arrêts, n° 21-14.280, FS-D N° Lexbase : A24851G7 ; n° 21-14.281, FS-D N° Lexbase : A24731GP ; n° 21-14.282, FS-D N° Lexbase : A24511GU ; n° 21-14.283, FS-D N° Lexbase : A23871GI.
[6] Sur les arrêts rendus par la cour d’appel de Paris, v. obs de B. Brignon, in Pan., Lexbase Affaires, juin 2021, n° 681 N° Lexbase : N8033BY8.
[7] CA Poitiers, 28 mai 2019, n° 17/03289 N° Lexbase : A8819ZCM, AJDI, 2019, p. 908.
[8] CA Paris, préc.
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Réf. : Cass. soc., 13 septembre 2023, 2 arrêts, n° 22-17.340 N° Lexbase : A47891GH et n° 22-17.638 N° Lexbase : A47951GP, FP-B+R
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par Lisa Poinsot
Le 19 Novembre 2023
► Les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non-professionnelle), ont le droit de réclamer des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler ;
► En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an.
Telles sont les solutions énoncées par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a été saisie de nouveau de la question des droits à congés payés des salariés en arrêt et de la conformité du Code du travail français au droit de l’Union européenne.
Les faits. Dans la première affaire (n° 22-17.340), des salariés saisissent la juridiction prud’homale afin d’obtenir l’acquisition de congés payés. Ils soutiennent les avoir acquis pendant la suspension de leur contrat de travail à la suite d’un arrêt de travail pour cause de maladie non-professionnelle.
Dans la seconde affaire (n° 22-17.638), un salarié, victime d’un accident du travail puis licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement, saisit la juridiction prud’homale notamment d’une demande de rappel d’indemnité de congés payés.
La procédure. Dans le premier cas (n° 22-17.340), la cour d’appel (CA Reims, 6 avril 2022, n° 21/00776) déclare que la Charte des droits fondamentaux est opposable dans les litiges entre particuliers et commande de laisser le droit national inappliqué. La cour d'appel en déduit que c’est à raison que les salariés réclament un droit à congés payés annuels, nés pendant leur période d’absence pour cause de maladie non-professionnelle. Elle relève également le droit des salariés à un congé annuel minimal garanti de 4 semaines.
Elle décide d’écarter partiellement les dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail N° Lexbase : L6946K97 qu’elle juge comme contraires à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Dans la seconde situation (n° 22-17.638), la cour d’appel (CA Paris, 9 février 2022, n° 19/05052 N° Lexbase : A79497MD) présente la même solution. Toutefois, elle constate que le salarié, placé en congé maladie le 21 février 2014, ne peut prétendre à une indemnité de congés payés pour la période postérieure au 21 février 2015. Sur ce point, la cour d’appel retient que l’article 7 de la Directive n° 2003/88/CE N° Lexbase : L5806DLM n’est pas d’application directe en droit interne quand l’employeur n’est pas une autorité publique. Elle limite alors à une certaine somme la condamnation de l’employeur au titre de l’indemnité de congés payés en décidant que le calcul de cette indemnité ne pouvait prendre en compte plus d’un an d’arrêt de travail.
Au regard de ces décisions, des pourvois sont formés.
Le problème. L’enjeu porte principalement sur la conformité du droit du travail au droit européen en matière de droit d’acquisition de congés payés par le salarié lors de la suspension de son contrat de travail en raison d’un arrêt de travail lié à une maladie non-professionnelle et en matière de calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés en cas d'arrêt de travail pour cause d'accident du travail. En effet, comme le rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation dans chacune de ces décisions :
Rappel. La Cour de cassation a auparavant jugé que la Directive n° 2003/88/CE ne peut pas permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire. Dès lors, un salarié ne peut pas, au regard de l'article L. 3141-3 du Code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du Code du travail N° Lexbase : L6944K93 (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, FS-P+B N° Lexbase : A9780I94). |
La solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation relève, dans chaque arrêt, que, s’agissant d’un salarié, le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non-professionnelle ou pour cause d’accident du travail. Les dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail, qui subordonnent le droit à congés payés à l’exécution d’un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l’Union.
La Haute juridiction affirme par ailleurs qu’en application des articles L. 3141-1 N° Lexbase : L6948K99 et L. 3141-5 du Code du travail, les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ne permettent pas d’acquérir des droits à congés payés au-delà d’une durée ininterrompue d'un an.
👉 Si le législateur français tient compte à l'avenir de cette jurisprudence, quelles seraient les implications pour l'entreprise ?
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. civ. 3, 14 septembre 2023, n° 22-13.858, FS-B N° Lexbase : A57291GB
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 20 Septembre 2023
► Les désordres apparents à la réception ne sont pas couverts par la responsabilité décennale du constructeur ;
Le caractère apparent ou non du désordre dépend de la compétence de celui qui réceptionne.
Par principe, la réception sans réserve purge le vice. Cela signifie que les désordres apparents à la réception doivent être réservés. Par conséquent, la question de savoir pour qui et par qui le désordre peut être apparent ou caché est une question récurrente, même si le sujet va rarement jusqu’en cassation. Rien que pour cela, l’arrêt rapporté mérite, en effet, d’être publié.
En l’espèce, une SCI et une société entreprennent la construction d’immeubles comprenant 150 logements. Les lots sont vendus en l’état futur d’achèvement. Les travaux sont réceptionnés. Se plaignant de désordres affectant notamment les installations d’eau chaude sanitaire, le syndicat des copropriétaires a, après la désignation en référé d’un expert, assigné les locateurs d’ouvrage et leur assureur en indemnisation.
La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 24 janvier 2022 (CA Versailles, 24 janvier 2022, n° 19/07492 N° Lexbase : A25087K4), condamne les constructeurs et leurs assureurs in solidum. L’un d’entre eux forme un pourvoi en cassation. Il expose, à juste titre, que seuls relèvent de la garantie décennale, les désordres non apparents au maître d’ouvrage lors de la réception. Selon lui, le désordre qui peut être raisonnablement décelé par un maître d’ouvrage, normalement diligent, procédant à des vérifications élémentaires, est un désordre apparent. Précisément, le désordre affectant le circuit de distribution d’eau chaude sanitaire est apparent puisque sa manifestation concrète, à savoir un temps anormalement long pour obtenir de l’eau chaude, aurait pu et dû être décelé le jour de la réception.
Le moyen est rejeté. Le maître d’ouvrage, qui n’est pas un professionnel de la construction, n’avait pas pu déceler ce désordre tenant à la longueur anormale de la tuyauterie, quand bien même sa manifestation concrète aurait pu être décelée au jour de la réception.
Le raisonnement est subtil puisque la Haute juridiction distingue le désordre de sa manifestation. Le tout doit être compris comme la volonté de protéger le maître d’ouvrage, toujours réputé non-sachant, même lorsqu’il s’agit d’une société de construction ou d’un promoteur.
La décision n’est pas surprenante. L’apparence s’apprécie par rapport à la personne du maître d’ouvrage et la jurisprudence fait depuis longtemps preuve de mansuétude (pour exemple, Cass. civ. 3, 12 octobre 1994, n° 92-16.533 N° Lexbase : A7106ABS).
Pis, l’appréciation du caractère apparent ou caché d’un vice s’apprécie uniquement au regard du maître d’ouvrage, même lorsque celui-ci est accompagné d’un maître d’œuvre (pour exemple, Cass. civ. 3, 17 novembre 1993, n° 91-17.982 N° Lexbase : A5833ABN).
Ce n’est pas la seule exception. La jurisprudence admet, également, que même apparent à la réception, le défaut dont l’ampleur se manifeste dans le délai décennal peut relever du champ d’application de la responsabilité civile décennale du constructeur.
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par Michel Séjean, Professeur agrégé de droit privé et sciences criminelles
Le 22 Septembre 2023
Mots-clés : cybersécurité • cybercriminalité • LOPMI • OSINT • rançongiciel • cyberdéfense • darkweb • deepweb • Godfrain • STAD • LPM
La croissance des innovations technologiques est exponentielle. Il en est de même du nombre de textes qui composent le droit de la cybersécurité, c’est-à-dire de l’ensemble des textes ayant pour but de limiter les occurrences et les conséquences des incidents de sécurité informatique. Mais en technologie comme en droit, la nouveauté n’est pas toujours synonyme de progrès. Les quatre couches du cyberespace fournissent une illustration des rapports entre cybersécurité et lutte contre la cybercriminalité.
Les trois piliers de la cybersécurité en témoignent : qu’il s’agisse de la sécurité des systèmes d’information, de la lutte contre la cybercriminalité ou encore de la cyberdéfense, les inventions technologiques contribuent tout autant à la sécurité qu’à la criminalité [1]. En effet, les innovations menacent les trois dimensions de la cybersécurité, à savoir la disponibilité, la confidentialité et l’intégrité des systèmes, des données et des réseaux [2]. Il faut dire que la cybercriminalité est lucrative : pour la seule année 2021, elle aurait rapporté à ses auteurs plus de six mille milliards de dollars [3], c’est-à-dire 190 000 dollars par seconde ! Encore faut-il préciser qu’il est difficile de définir la cybercriminalité, même si la définition donnée par l’Union européenne, inspirée du rapport Breton & Watin-Augouard [4], est, selon nous, la plus juste dans le cadre du présent dossier. Elle vise les « infractions pénales commises à l'aide de réseaux de communications électroniques et de systèmes d'informations ou contre ces réseaux ou systèmes » [5].
Tandis que la cybercriminalité explose, les règles de droit, pour leur part, ruissellent à la surface de tous les écosystèmes. Le déluge est si fort qu’il sature les capacités des usagers du droit à absorber les règles nouvellement venues. Certes, cette inflation normative n’est pas propre à la cybersécurité. Toutes matières confondues, le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) compte, au 25 janvier 2023, 45,3 millions de « mots Légifrance consolidés » dans notre droit positif, soit un quasi-doublement en vingt ans (+ 98,7% par rapport à 2002) [6]. Promise par notre actuelle Première ministre Élisabeth Borne, la « sobriété normative » soulève ainsi des attentes nourries. C’est particulièrement vrai en droit de la cybersécurité, à condition de préciser que toutes les cartes ne sont pas entre les mains de la France. Dans une infographie frappante, le groupe de réflexion Bruegel a ainsi recensé que l’Union européenne compte actuellement soixante-huit textes publiés en son Journal Officiel dans le domaine du numérique, vingt-sept propositions issues de la Commission européenne en cours de processus législatif, et au moins neuf projets d’initiatives mentionnés par la même Commission [7]. La centaine de textes unionaux [8] en droit du numérique n’est plus très loin.
Ce déluge de textes sur la cybersécurité est-il une réponse satisfaisante au déchaînement de la cybercriminalité ? Tout dépend des contours que l’on assigne à la cybercriminalité. Faut-il, par exemple, en exclure l’espionnage, le sabotage et la déstabilisation, comme le fait le document interministériel intitulé « Revue stratégique de cyberdéfense » [9] ? Le cas échéant, la cybercriminalité serait cantonnée à la délinquance crapuleuse en ligne. Or, ce serait ignorer une grande partie des situations de cybersécurité menacées par des attaques.
Dès lors, quel point de vue adopter pour observer les grandes tendances des menaces que la cybercriminalité fait peser sur la cybersécurité ? Sur ce point, le Général Watin-Augouard apporte une réponse utile à l’introduction du présent dossier, lorsqu’il écrit que « le périmètre de la cybercriminalité se superpose à celui de l'espace numérique, qui est souvent présenté de manière pédagogique en quatre couches » [10]. D’où une observation des tendances actuelles sur la couche matérielle (I.), la couche des protocoles (II.), celle des logiciels (III.) et celle des données (IV.).
I. La couche matérielle
La couche des appareils et infrastructures physiques qui forment la structure du cyberespace est souvent oubliée, à cause de l’imaginaire qui entoure l’internet. Réseaux sans fil, internet « en nuage » (cloud), protocoles de transmission de données par AirDrop et autres références célestes font oublier que le cyberespace n’existe pas sans de lourdes infrastructures, à commencer par les ordinateurs, les serveurs, les répéteurs, les câbles sous-marins, les antennes-relais, etc. Il y est autant question de cybersécurité que de « cybersûreté », lorsqu’il s’agit de la sécurité d’immeubles comme des centres de données. Lorsque ces appareils ou ces infrastructures sont endommagés, le fonctionnement du réseau est compromis, voire arrêté. Pour ce qui est des câbles sous-marins, qui transmettent la quasi-intégralité des communications intercontinentales, une coupure involontaire (incident de pêche) ou volontaire (acte de sabotage) peut entraîner un désastre [11]. La guerre en Ukraine a ravivé les craintes des coupures volontaires des câbles [12]. À cet égard, notre législation n’est pas démunie, puisque l’article L. 81 du Code des postes et des communications électroniques prévoit cinq ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 euros pour quiconque rompt volontairement un câble sous-marin ou lui cause une détérioration qui pourrait interrompre ou entraver les communications électroniques. Certes, le préfixe « cyber » n’apparaît dans aucune de ces dispositions, et les câbles sous-marins n’ont pas attendu internet pour être déployés, mais l’infraction réprimée par le Code des postes et des communications électroniques fait entièrement partie, selon nous, de la cybercriminalité. Il en va de même pour les destructions volontaires infligées au réseau : lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, elles constituent un acte de sabotage (C. pén., art. 411-9 N° Lexbase : L1746AMM).
On le voit, il est indispensable d’inclure les infractions relatives à la couche matérielle du cyberespace si l’on veut avoir une idée plus juste des grandes tendances de la criminalité qui menacent la cybersécurité. La même observation vaut pour la couche des protocoles.
II. La couche des protocoles
Les échanges de données sur le cyberespace dépendent de protocoles, dont le plus connu est le TCP/IP. En sa première partie (Transfert Control Protocol (TCP)), il permet la transmission de paquets de données. Quant à sa seconde partie, l’Internet Protocol (IP), elle définit les numéros d'identification ainsi que les adresses des appareils connectés. Enfin, le protocole DNS (Domain Name System) définit les noms de domaines. Tous peuvent être affectés par une attaque, telle qu’une usurpation d'adresse IP (IP spoofing) ou de nom de domaine (DNS spoofing ou DNS cache poisoning). Ces infractions entrent dans le champ de la loi « Godfrain » de 1988 [13]. Il peut également en résulter des atteintes à la personnalité, comme l’usurpation d'identité numérique [14].
Signe que les atteintes à la couche des protocoles sont une tendance du moment, la nouvelle loi de programmation militaire (2024-2030) intègre des dispositions sur la vulnérabilité du protocole DNS au sein du Code de la défense, sous la forme de mesures préventives. C’est ainsi que l’article L. 2321-2-3 N° Lexbase : L3720MIM prescrit aux hébergeurs, aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) et aux « registrars » [15] des mesures de filtrage de noms de domaines en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale. Par ailleurs, une autre disposition permet à l’ANSSI d’agir auprès des fournisseurs de systèmes de résolution de noms de domaine qui conservent temporairement les « données de cache », c’est-à-dire les correspondances entre les adresses IP et les noms de domaines [16].
III. La couche logique
La tendance la plus lourde en ce qui concerne la couche logique est certainement l’exploitation des vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement. L’actualité est foisonnante en la matière.
Pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, à l’été 2023, Pôle Emploi a été victime de ce que l’on appelle une « attaque par rebond », c’est-à-dire une attaque qui passe par la chaîne d’approvisionnement. En langue anglaise, on parle volontiers d’attaque sur la supply chain. L’idée est aussi simple que redoutable : pour atteindre une cible, il est souvent plus efficace de s’en prendre à un prestataire ou à un sous-traitant que d’attaquer directement la cible. Selon un rapport publié en juin 2023 par l’agence européenne de cybersécurité (ENISA), les attaques par rebond concernaient, en 2022, entre 39 % et 62 % des entités [17]. En outre, elles représentaient en 2021 la deuxième méthode la plus utilisée pour infiltrer une organisation : 17 % des cas, contre seulement 1 % en 2020 [18] !
En l’occurrence, la première victime de l’acte de malveillance n’est pas Pôle Emploi, mais son prestataire de numérisation de documents, l’entreprise Majorel. Cette entreprise utilise un logiciel de transfert de données (MOVEit), qui comportait une vulnérabilité documentée dès le mois de juin 2023. Un programme malveillant intitulé Cl0p s’est chargé d’exfiltrer les données qui transitaient par MOVEit, dont celles de Majorel.
Pour Pôle Emploi, le préjudice réputationnel sera important. Est-ce au public de retenir toutes les subtilités de la chaîne d’approvisionnement ? Assurément non: pour l’opinion, peu importe à qui Pôle Emploi a transféré les données que chaque allocataire lui a confiées. Ce n’est pas la réputation de Majorel qui souffrira le plus, ni celle de MOVEit, mais bel et bien celle de Pôle Emploi. En effet, c’est à l’entité à qui l’on confie ses données d’être vigilante sur leur utilisation par des prestataires et des sous-traitants. Et c’est précisément pour cela que la gestion de la chaîne d’approvisionnement doit faire l’objet d’attentions particulières en matière de cybersécurité. Ce n’est pas pour rien que l’agence européenne de la cybersécurité s’est fendue d’un rapport sur les bonnes pratiques en matière de cybersécurité des chaînes d’approvisionnement, publié le 13 juin 2023 [19] ! L’on retrouve ici le thème du devoir de vigilance, né en dehors du domaine de la cybersécurité, qui fait que les marques de fast fashion sont tenues responsables de l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, où les habits étaient fabriqués dans des conditions épouvantables. Les marques ont eu beau prétendre qu’elles ne connaissaient même pas l’existence de ce sous-traitant, tellement la chaîne d’approvisionnement était longue : le mal était fait, et ce fut l’une des causes ayant permis l’émergence du devoir de vigilance que l’on retrouve aujourd’hui dans le droit de la cybersécurité.
Quoi qu’il en soit, les atteintes à la couche « logique » sont principalement réprimées par la loi « Godfrain » précitée (C. pén., art. 323-1 N° Lexbase : L6507MG4, s.). La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) [20] y a apporté des modifications, en traitant enfin de la gravité des cyberattaques, en particulier lorsque la cible est un établissement de santé ou un opérateur d’importance vitale [21]. Le nouvel article 323-4-2 du Code pénal N° Lexbase : L6510MG9 prévoit une peine de dix ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende pour les infractions prévues aux articles 323‑1 à 323‑3‑1 N° Lexbase : L0414IZD ayant pour effet d’exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ou de faire obstacle aux secours destinés à faire échapper une personne à un péril imminent ou à combattre un sinistre présentant un danger pour la sécurité des personnes.
L’autre apport de la LOPMI en matière de protection de la couche logicielle renforce le volet répressif. Un nouvel article 323-3-2 du Code pénal N° Lexbase : L6508MG7 instaure une responsabilité pénale des plateformes [22] qui n’accordent leur accès qu’aux personnes ayant recours à des techniques d'anonymisation, comme c’est le cas pour les darknets, et qui permettent sciemment la cession de produits manifestement illicites.
Enfin, illustrant les rapports complexes entre renforcement de la cybersécurité et lutte contre la cybercriminalité, la LOPMI a créé un article dans le Code des assurances qui a donné lieu à d’intenses discussions [23]. À l’origine, il était question d’interdire l’assurabilité du paiement de rançons en cas d’attaques par rançongiciels. Des débats nourris ont finalement évité de prendre position sur ce point, aboutissant plutôt à faire du dépôt de plainte dans les 72 heures de la découverte de l’atteinte à un STAD un préalable au versement d'une indemnisation. Mais la licéité du versement d’une rançon et de son assurabilité ne veut pas dire que l’acte soit anodin : les Américains ont pour habitude d’inscrire sur la liste noire des soutiens au terrorisme toute entreprise qui cède à cette extorsion, et il peut en résulter l’interdiction de participer à des transactions commerciales libellées en dollars américains, entre autres sanctions handicapantes dans le domaine des échanges internationaux.
IV. La couche cognitive
La couche des données, dite couche cognitive et parfois couche « sémantique » ou « informationnelle » est la plus sensible de toutes aux grincements qui peuvent se produire entre cybersécurité et lutte contre la cybercriminalité. Le meilleur terrain pour en juger à l’heure actuelle est certainement celui du moissonnage de données en sources ouvertes, que l’on désigne souvent par l’acronyme anglais OSINT (Open Source Intelligence) [24]. Il s’agit d’une discipline qui effectue des campagnes de collecte et de stockage de données librement accessibles en ligne afin de faire émerger, par leur croisement, du renseignement économique, sécuritaire, stratégique, etc.
Prenons l’exemple d’une entreprise qui souhaite se renseigner avant de recruter une personne-clé. Elle commandera une enquête en ligne qui, par le croisement de données relatives à la personne qui candidate, en dressera un premier portrait ou activera des signaux d’alerte. Les réseaux sociaux seront particulièrement scrutés, y compris par le moyen de faux profils : tant que ces faux profils n’ont aucune interaction avec la cible (pas de « likes » sur les réseaux, pas de messages à destination de la cible), l’on reste dans une démarche d’OSINT. Mais la pratique s’est industrialisée, s’appuyant désormais sur des robots qui écument non seulement le web, mais aussi le deep web et le dark web. En collectant chaque donnée comme s’il s’agissait d’une goutte d’eau, les robots créent des lacs de données dans lesquels peuvent se trouver des informations provenant d’une fuite ou d’une cyberattaque. Dans notre exemple, l’entreprise pratique l’OSINT pour des fins qui ne sont pas illégitimes : peut-elle néanmoins se trouver en situation de commettre un recel de vol de données ? Le risque est réel. Comment pourrait-il en être autrement ? Si le droit français acceptait le moissonnage à grande échelle des trois webs, il se créerait immédiatement un marché commercial de données obtenues illicitement, encore plus florissant que celui qui existe déjà !
Toutefois, il reste de nombreux problèmes liés au manque d’encadrement clair des pratiques d’OSINT. Ainsi, lorsqu’un prestataire de tests d’intrusion veut se comporter comme un véritable pirate avec le consentement du maître des systèmes qui souhaite découvrir ses propres vulnérabilités – on parle de hacker éthique, et en l’occurrence de « pentester » – peut-il fouiller le dark web à la recherche de données obtenues illicitement, ce qui lui permettrait d’élaborer des courriels d’hameçonnage taillés sur mesure pour inciter le destinataire, ainsi mis en confiance, à cliquer sur le lien qui va déployer le programme malveillant ? On parle d’hameçonnage pédagogique, à des fins de sensibilisation, et cette pratique fait l’objet d’une convention entre le « pentesteur » et l’entreprise désireuse de connaître ses vulnérabilités techniques et humaines. Mais quelle que soit la convention passée entre le prestataire et le client, elle n’a pas le pouvoir d’écarter l’application du droit pénal !
Autre exemple de ces zones grises de l’OSINT : des enquêteurs scrutent les trois webs, dans le cadre d’une veille de menaces numériques, et ils créent un lac de données avant que ces dernières ne disparaissent du dark web. En effet, les fuites illicites de données sont disponibles sur le dark web pendant un trait de temps avant d’être retirées. Vis-à-vis du droit des données personnelles, ces collectes massives de données se font sans finalité particulière. Mais en pratique, il existe un objectif opérationnel : les enquêteurs espèrent que de futures fuites de données pourraient être croisées avec ce lac de données et fassent émerger la menace qui, sans ce croisement, serait passée inaperçue. En phase administrative ou en phase pré-judiciaire, les services de renseignement et les forces de l’ordre peuvent-ils procéder à la constitution de lacs de données ? Et si oui, pendant combien de temps les données peuvent-elles transiter par leurs services ? C’est tout un cycle de la donnée qu’il faut ici redéfinir. Alors, espérons-le, il sera possible de dire que la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité sont des mots qui vont très bien ensemble.
[1] V. spéc. la tribune de P. Lecomte, Nouvelles technologies : “Le danger est de ne plus pouvoir différencier innovation et progrès”, Le Monde, 1er septembre 2023.
[2] V. spéc. la définition de la cybersécurité donnée par l’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI), site ssi.gouv.fr, rubrique Glossaire, V° Cybersécurité : « État recherché pour un système d’information lui permettant de résister à des événements issus du cyberespace susceptibles de compromettre la disponibilité, l’intégrité ou la confidentialité des données stockées, traitées ou transmises et des services connexes que ces systèmes offrent ou qu’ils rendent accessibles. La cybersécurité fait appel à des techniques de sécurité des systèmes d’information et s’appuie sur la lutte contre la cybercriminalité et sur la mise en place d’une cyberdéfense ».
[3] Le Figaro avec AFP, La cybercriminalité a coûté plus de 6000 milliards de dollars en 2021, 10 mai 2022.
[4] Th. Breton, rapporteur M. Watin-Augouard, Chantier sur la lutte contre la cybercriminalité, 1er février 2005 [en ligne].
[5] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité des Régions - Vers une politique générale en matière de lutte contre la cybercriminalité, 2007, COM/2007/0267 final [en ligne].
[6] V. spéc. C. Eoche-Duval, Inflation normative – Avec 45,3 millions de mots, quel pari de “sobriété normative” ?, JCP G, 21, 29 mai 2023, act. 625.
[7] K. Zenner, J. Scott Marcus et K. Sekut, A Data Set on EU Legislation for the Digital World, site internet Bruegel, 20 juill. 2023.
[8] L’adjectif « communautaire » ne se justifiant plus l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, hormis pour les matières relevant des matières du Traité Euratom. De même qu’existent les adjectifs national, régional, départemental, ou encore cantonal, l’adjectif « unional » est celui qui qualifie le mieux ce qui provient de l’Union européenne ; v. en ce sens R. Loljeeh, Chronique Jurisprudence française intéressant le droit de l'Union - Les mots du droit de l'Union dans la bouche du juge judiciaire français, RTD Eur. 2013.292, qui évoque les recherches de la Commission française de terminologie des affaires étrangères, dont nous n’avons cependant pas retrouvé les références.
[9] SGDSN, Revue stratégique de cyberdéfense, 12 février 2018, p. 11 s., sgdsn.gouv.fr.
[10] M. Watin-Augouard, Introduction au Livre II sur la lutte contre la cybercriminalité, in M. Séjean (dir.), Le Code de la cybersécurité, Dalloz, 2ème éd., 2023.
[11] V. parmi d’autres, Outre-mer : sans câble sous-marin, par d’internet, 12 avril 2023 [en ligne].
[12] V. spéc. G. Renouard, Comment la guerre en Ukraine transforme l’écosystème mondial des câbles internet, La Tribune, 28 juillet 2023.
[13] Loi n° 88-19, du 5 janvier 1988, relative à la fraude informatique, dite loi « Godfrain » ; v. spéc. C. pén., art. 323-2 N° Lexbase : L0871KCA.
[14] C. pén., art. 226-4-1, al. 2 N° Lexbase : L8548LXU.
[15] Les registrars sont des bureaux d’enregistrement de noms de domaines.
[16] C. défense, L. 2321-3-1, spéc. al. 1 et 2 N° Lexbase : L3722MIP.
[18] Ibid.
[19] ENISA, Good practices for Supply Chain Cybersecurity, enisa.europe.eu, 13 juin 2023.
[20] Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur N° Lexbase : L6260MGX.
[21] V. déjà, appelant à une réforme en ce sens, M. Watin-Augouard « Le droit pénal ne prévoit pas de circonstances aggravantes lorsque sont visées des infrastructures qui contribuent à la santé publique. Il me semble aujourd’hui nécessaire d’en créer au sein de la loi Godfrain », Souveraine.tech, 6 mai 2022 [en ligne].
[22] Elles sont ici entendues au sens du droit de la consommation, v. spéc. C. conso., art. L. 111-7, I N° Lexbase : L4973LAG.
[23] C. assur., art. L. 12-10-1 N° Lexbase : L6577MGP.
[24] En français, l’on parle parfois de renseignement en source ouverte (ROSO).
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Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 21-21.185, FS-B, Rejet N° Lexbase : A54001AA
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par Jean Sagot-Duvauroux, Maître de conférences en droit privé (HDR) à l'Université de Bordeaux
Le 20 Septembre 2023
Mots-clés : droit international privé • divorce • droit tunisien • divorce par compensation • répudiation • principe d’égalité entre époux • ordre public international •
Des décisions de divorce prononcées par les juridictions tunisiennes en application de l’article 31 d) du Code du statut personnel tunisien qui prévoit la possibilité pour les deux époux de dissoudre le mariage par volonté unilatérale ne sont pas contraires au principe d’égalité des époux consacré par l’article 5 du protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et, par conséquent, à l’ordre public international français dès lors que l’épouse, régulièrement citée et représentée par un avocat devant les juridictions tunisiennes, ne démontre pas que les décisions tunisiennes invoquées par l'époux, qui ont été obtenues à la suite d'un débat contradictoire et à l'encontre desquelles elle a exercé les voies de recours mises à sa disposition, ont été rendues en fraude de ses droits.
Longtemps la Cour de cassation de cassation a fait preuve d’une certaine tolérance à l’égard des répudiations musulmanes. En effet, se plaçant sur un terrain procédural, les juges acceptaient, par le jeu de l’effet atténué de l’ordre public international, de donner effet aux répudiations dès lors que la femme avait pu faire valoir ses droits devant le juge d’origine [1]. Cette condition relative au respect des droits de la défense fut même abandonnée par la suite. Dès lors que des garanties financières étaient accordées à l’épouse, rien ne s’opposait à « laisser se produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger » [2]. Après une période d’atermoiement dans les années 90 [3], cette jurisprudence fut définitivement abandonnée par cinq arrêts en date du 17 février 2004 [4]. Dans ces décisions rendues sur le fondement de l’article 5 du protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la première chambre civile affirme que, dès lors que la situation entretient des liens de proximité avec le for, les répudiations musulmanes ne peuvent produire aucun effet en France même si la femme a été entendue ou qu’elle a reçu des contreparties financières [5]. C’est ainsi à un double changement de perspective auquel on assiste. D’une part, ce n’est plus une atteinte à l’ordre public procédural, mais une violation du principe substantiel d’égalité des époux qui motive le rejet presque systématique des répudiations intervenues à l’étranger. D’autre part, ce n’est plus le caractère unilatéral de ce mode de dissolution du lien matrimonial, mais son aspect inégalitaire qui contrevient aux conceptions françaises.
C’est dans la continuité de cette jurisprudence que s’inscrit l’arrêt commenté, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juillet 2023. En l’espèce, deux époux de nationalité tunisienne s’étaient mariés en Tunisie le 8 avril 2006. Ils avaient ensuite acquis la nationalité française du fait de leur installation sur le territoire français. Le 8 août 2019, l’épouse a saisi un juge aux affaires familiales français d’une requête en divorce. En défense, l’époux a soulevé une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée d’un jugement de divorce prononcé par le tribunal de Sousse et ayant acquis autorité de force jugée en Tunisie après épuisement des voies de recours internes. Au second degré, la cour d’appel de Versailles a déclaré irrecevable la requête en divorce formée par l’épouse du fait de l’opposabilité en France du jugement tunisien, confirmé par la cour d’appel et la Cour de cassation tunisiennes.
Dans le moyen unique de son pourvoi en cassation, la demanderesse reproche aux juges du fond d’avoir considéré les décisions tunisiennes conformes à l’ordre public international français alors que le divorce avait été prononcé en Tunisie par volonté unilatérale du mari et qu’il n’avait pas été tenu compte de l’opposition de l’épouse. Selon cette dernière, de telles décisions heurteraient le principe d’égalité des époux consacré par l’article 5 du protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et auraient, par conséquent, dû être déclarées inopposables en France conformément à l’article 15 d) de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 [6].
Dans son arrêt du 12 juillet 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’opposabilité en France du divorce prononcé en Tunisie. Selon elle, le divorce par volonté unilatérale prévu à l’article 31 3) du Code du statut personnel tunisien ne saurait être assimilé à une répudiation dès lors que « celui-ci est ouvert de manière identique à chacun des conjoints ». Elle ajoute par ailleurs que le grief de contrariété à l’ordre public international ne pouvait pas être opposé aux décisions tunisiennes dans la mesure où les droits de la défense de l’épouse n’avaient pas été violés et que les principes du procès équitable avaient été respectés [7].
En définitive, la Cour de cassation réaffirme que s’il ne constitue pas le seul critère (II), la mixité du cas de divorce sur lequel repose la décision étrangère constitue bien le critère principal pour apprécier la conformité à l’ordre public international français (I).
I. La mixité du cas de divorce, critère principal d’appréciation la conformité à l’ordre public international
Afin d’apprécier la compatibilité des décisions tunisiennes de divorce à l’ordre public international français, la Cour de cassation procède en deux étapes. Dans un premier temps, elle analyse les décisions étrangères au regard des éléments de l’ordre juridique d’origine. Dans un second temps, elle confronte les décisions, ainsi analysées, aux conceptions fondamentales de l’ordre juridique du for.
Traditionnellement, en droit musulman, le mari dispose de la faculté de rompre unilatéralement le lien conjugal sans avoir à fournir un motif quelconque, sans que le juge n’ait besoin d’intervenir et sans aucune contrepartie financière. Cette figure originelle de la répudiation n’a cependant plus cours dans les pays du Maghreb. Au Maroc [8] et en Algérie [9], l’époux dispose toujours de la possibilité de décider unilatéralement de la dissolution du lien matrimonial. Toutefois, ce divorce par volonté unilatérale a lieu sous le contrôle d’un juge qui s’assurera notamment que la femme dispose d’une contrepartie financière. La femme, quant à elle, a la possibilité de rompre unilatéralement le mariage si l’époux lui a consenti cette possibilité au moment du mariage [10], moyennant compensation [11] ou pour l’un des motifs limitativement énumérés par les articles 53 du Code de la famille marocain ou 98 du Code de la famille algérien [12]. Les autres cas de divorce prévus dans les législations de ces deux pays du Maghreb sont, quant à eux, ouverts aux deux époux. Comme l’indique Kalthoum Meziou [13], en Tunisie, le Code du statut personnel a considérablement bouleversé la matière en établissant une stricte égalité entre les hommes et les femmes. Les alinéas 1 à 4 de l’article 31 du Code du statut personnel tunisien prévoient en effet trois cas de divorce : le divorce par consentement mutuel, le divorce à la demande des époux en raison du préjudice subi et le divorce à la demande du mari ou de la femme. Ainsi, si des différences de traitement demeurent s’agissant des effets du mariage[14], les époux se trouvent sur un pied d’égalité en ce qui concerne les cas de divorce. Ils sont tous ouverts aux deux époux est aucun n’est réservé à l’un d’entre eux en raison de son sexe. Il en résulte que le divorce par volonté unilatérale prévu à l’article 31 alinéa 3 du Code du statut personnel ne peut pas être assimilé à une répudiation unilatérale. Cet attachement de l’ordre juridique tunisien au principe d’égalité des époux en matière de divorce est d’ailleurs également perceptible dans les solutions de droit international privé. C’est ainsi, par exemple, que la Cour de cassation tunisienne n’a pas hésité à affirmer que le droit marocain était incompatible avec son ordre public international en ce qu’il n’ouvrait pas à l’épouse les mêmes droits qu’au mari [15].
Au regard de cette analyse du droit tunisien, les décisions tunisiennes ne pouvaient ainsi en aucun cas être considérées par la Cour de cassation comme contraires au principe d’égalité des époux consacré par l’article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Étaient-elles pour autant conformes aux conceptions fondamentales françaises ? Le principe de la rupture du mariage par volonté unilatérale n’est-il pas en soi contraire à l’ordre public international ? De manière implicite, la Cour de cassation répond négativement à cette question en admettant la régularité internationale des décisions tunisiennes. En d’autres termes, cela signifie que ce n’est pas la répudiation en tant que mode unilatéral de dissolution du mariage qui est susceptible de heurter les conceptions fondamentales françaises, mais uniquement son caractère discriminatoire [16]. Il n’y a là rien d’étonnant dans la mesure où, bien qu’il ne soit possible qu’au bout d’un an de séparation, le divorce pour altération définitive du lien conjugal prévu par les articles 237 et 238 du Code civil français s’apparente à un mode de dissolution du mariage par volonté unilatérale de l’un des époux.
En définitive, la mixité du cas de divorce constitue le principal critère pour apprécier la conformité à l’ordre public international de la décision étrangère. De là à considérer qu’il s’agit du seul critère, il n’y a qu’un pas qu’il faut se garder de franchir.
II. La mixité du cas de divorce, critère insuffisant d’appréciation de la conformité à l’ordre public international
Le fait que le cas de divorce soit ouvert de manière égalitaire aux deux époux sans considération de leur sexe constitue indéniablement un critère décisif pour apprécier la conformité à l’ordre public international. Pour autant, cette circonstance apparaît insuffisante pour déterminer la compatibilité de la décision étrangère avec les conceptions fondamentales de l’ordre juridique français.
D’une part, la mixité du cas de divorce sur le fondement duquel la décision étrangère a été rendue n’implique pas nécessairement sa régularité internationale du point de vue du juge français. Il est vrai que, dès lors qu’elle respecte le principe d’égalité des époux, une décision étrangère aura peu de chance d’être considérée comme contraire à l’ordre public international français dans sa dimension substantielle. Il est en effet difficile d’imaginer une forme de divorce qui, outre son caractère discriminatoire, heurterait, en elle-même, les conceptions fondamentales de l’ordre juridique français. Ceci est d’ailleurs d’autant plus vrai depuis que la loi du 18 novembre 2016 a introduit dans le droit français la possibilité de divorcer sans l’intervention d’un juge. À la limite, seule une impossibilité absolue de dissoudre le lien matrimonial pourrait se voir sanctionnée sur le terrain de l’ordre public substantiel. En revanche, le jugement étranger de divorce peut très bien être rejeté sur le terrain de l’ordre public procédural alors même qu’il repose sur un cas de divorce ouvert aux deux époux. C’est ce que rappelle implicitement la Cour de cassation dans l’arrêt commenté lorsque, reprenant les motifs de la cour d’appel, elle précise, pour justifier la reconnaissance des décisions tunisiennes, que l’épouse avait été « régulièrement citée et représentée par un avocat » et qu’elle « ne démontrait pas que les décisions, qui avaient été obtenues à la suite d'un débat contradictoire et à l'encontre desquelles elle avait exercé les voies de recours mises à sa disposition, avaient été rendues en fraude de ses droits ». En d’autres termes, l’égalité abstraite et substantielle des époux qui résulte de la mixité du cas de divorce ne préjuge en aucune façon de l’égalité concrète et procédurale des parties.
D’autre part, le fait que le cas de divorce ne soit ouvert qu’à un seul des époux n’entraîne pas automatiquement le rejet de la décision au nom de l’ordre public international. En effet, s’agissant, tout d’abord, de la répudiation réservée au mari, la Cour de cassation a pu considérer que le libre consentement au prononcé du divorce par l’épouse ou le fait que ce soit elle qui demande la reconnaissance en France pouvait purger ce mode de divorce de son caractère discriminatoire [17]. Ainsi, en présence d’un cas de divorce réservé à l’époux, l’appréciation in concreto de la conformité à l’ordre public international est susceptible de venir au secours de la décision étrangère [18]. S’agissant, ensuite, d’un cas de divorce réservé à la femme, dans un arrêt récent la Cour de cassation a estimé qu’une décision « prononcée à l’étranger en application d’une loi qui n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce (…) ne heurte pas l’ordre public international dès lors qu’elle est invoquée par celui des époux à l’égard duquel sont prévues les règles les moins favorables, que la procédure suivie n’a pas été entachée de fraude et que l’autre époux a pu faire valoir ses droits » [19]. Ainsi, dans cette décision, la Cour de cassation a accepté de donner effet à la décision étrangère qui était pourtant fondé sur l’article 54 du Code de la famille algérien (Khol’a) qui réserve à l’épouse la faculté de demander unilatéralement le divorce moyennant une compensation financière. Comme nous l’avions expliqué [20], en dépit de l’absence de mixité du cas de divorce en cause, cette tolérance apparaît justifiée au regard du contexte socioculturel dans lequel s’inscrit le débat.
[1] Cass. civ. 1, 18 décembre 1979, n° 78-11.085, publié au bulletin N° Lexbase : A0766CI9, JDI 1981, p. 597, note Ph. Kahn ; D. 1980, p. 549, note E. Poisson-Drocourt.
[2] Cass. civ. 1, 3 novembre 1983, n° 81-15.745, publié au bulletin N° Lexbase : A9346CEU, JDI 1984, p. 329, note PH ; Kahn ; Rev. Crit. DIP, 1984, p. 325, note I. Fadlallah.
[3] Si des répudiations furent rejetées au nom du principe d’égalité des époux (voir notamment Cass. civ. 1, 1er juin 1994, n° 92-13.523, publié au bulletin N° Lexbase : A3877ACL, Rev. Crit. DIP 1995, p. 103, note J. Déprez ; Cass. civ. 1, 31 janvier 1995, n° 93-10.769, publié au bulletin N° Lexbase : A7535ABP, JDI 1995, p. 343, note Ph. Kahn ; Rev. crit. DIP 1995, p. 569, note J. Déprez ; Cass. civ. 1, 11 mars 1997, n° 94-19.447 N° Lexbase : A3233CR8, D. 1997, p. 400, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; JCP G 1998, I, 101, n° 3, obs. H. Fulchiron ; JDI 1998, p. 110, note Ph. Kahn ; Cass. civ. 1, 5 janvier 1999, n° 96-14.535, publié au bulletin N° Lexbase : A1357CGD, D. 1999, p. 671, note E. Agostini), ce principe continuait à être appréhendé dans sa dimension procédurale et non substantielle. C’est ainsi que la reconnaissance demeurait possible lorsque la procédure avait été contradictoire et que des garanties financières avaient été octroyées à l’épouse (voir notamment Cass. civ. 1, 3 juillet 2001, n° 00-11.968, publié au bulletin N° Lexbase : A1115AUT, D. 2001, p. 3378, note M.-L. Niboyet ; Rev. crit. DIP 2001, p. 704, note L. Gannagé ; JDI 2002, p. 182, note Ph. Kahn).
[4] Cass. civ. 1, 17 février 2004, cinq arrêts, n° 01-11.549 N° Lexbase : A3072DBE, n° 02-10.755 N° Lexbase : A3199DB4, n° 02-11.618 N° Lexbase : A3073DBG, n° 02-15.766 N° Lexbase : A3074DBH et n° 02-17.479 N° Lexbase : A3075DBI, FS-P+B+R+I, D. 2004, p. 824, concl. Cavarroc et chron. P. Courbe, p. 815 ; Rev. crit. DIP 2004, p. 423, note P. Hammje ; JDI 2004, p. 1200, note L. Gannagé ; JCP G 2004, II, 10128, note H. Fulchiron ; Defrénois 2004, p. 812, obs. J. Massip ; RTD civ. 2004, p. 367, obs. J.-P. Marguenaud.
[5] Cette position ne fut jamais démentie par la suite. Elle a même été renforcée dans la mesure où une proximité avec un État adhérant à la Convention européenne des droits de l’Homme, et non avec l’ordre juridique français, semble suffire à empêcher toute reconnaissance des répudiations dans l’ordre du for, voir Cass. civ. 1, 4 juillet 2018, n° 17-16.102, F-D N° Lexbase : A5690XXZ, D. 2019, p. 1031, obs. F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2018, p. 469, obs. C. Roth ; Dr. famille 2018, comm. 270, note M. Farge.
[6] « En matière civile ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l’autre État s’il est satisfait aux conditions suivantes : (…) d) La décision ne contient rien de contraire à l’ordre public de l’État où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet État ».
[7] « (…) régulièrement citée et représentée par un avocat devant les juridictions tunisiennes, Mme [L] ne démontrait pas que les décisions, qui avaient été obtenues à la suite d'un débat contradictoire et à l'encontre desquelles elle avait exercé les voies de recours mises à sa disposition, avaient été rendues en fraude de ses droits ».
[8] Divorce par « talaq » prévu aux articles 78 et suivants du Code marocain de la famille sur lequel voir F. Sarehane, Jcl. dr. comp., V° Maroc, fasc. n° 20, Droit commun – Capacité. Mariage. Filiation, n° 180 et s.
[9] Code algérien de la famille, art. 48.
[10] Divorce par « tamlik » prévu par l’article 89 du Code de la famille marocain et sur lequel voir F. Sarehane, op. cit., n° 202.
[11] Divorce par « khol » prévu aux articles 115 et suivants du Code de la famille marocain et divorce « khol’â » prévu par l’article 54 du Code de la famille algérien.
[12] Pour plus de détails sur les droits marocain et algérien du divorce voir notamment F. Sarehane, Jcl. dr. comp., V° Maroc, fasc. n° 20, Droit commun – Capacité. Mariage. Filiation, n°179 et s. et K. Saidi, Jcl. dr. comp., V° Algérie, fasc. n° 20, Droit de la famille. – Mariage. Divorce. Filiation. Capacité, n° 67 et s.
[13] Jcl. dr. comp., V° Tunisie, fasc. n° 20, Droit civil – Droit de la famille, n° 160.
[14] Ibid., n° 163.
[15] Cass. civ. 1, 16 juin 1987, BCC 1987, p. 223 cité par K. Meziou, Jcl. dr. comp., V° Tunisie, fasc. n° 60, Droit international privé, n° 50.
[16] Voir dans ce sens M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ, 7ème éd., 2020, n° 387.
[17] Interprétation a contrario de Cass. civ. 1, 11 mars 1997, n° 94-19.447 N° Lexbase : A3233CR8, D. 1997, p. 400, note M.-L. Niboyet et Cass. civ. 1, 17 février 2004, n° 01-11.549, préc. : « une répudiation unilatérale du mari sans donner effet à une opposition éventuelle de la femme (c’est nous qui soulignons) (…) est contraire au principe d’égalité des époux ».
[18] M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, préc., n° 387. Toutefois la Cour de cassation se montre vigilante en ce qui concerne le consentement de la femme à la dissolution du lien matrimonial. Voir Cass. civ. 1, 22 mai 2007, no 06-10.433, FS-D N° Lexbase : A4879DWM qui estime que le simple fait de ne pas avoir exercé de voies de recours ne vaut pas acquiescement ou encore Cass. civ. 1, 25 mai 2016, n° 15-10.532, F-D N° Lexbase : A0375RRC, Dr. fam. 2016, comm. 192 selon lequel une demande d’augmentation du « don de répudiation » ne vaut pas acceptation.
[19] Cass. civ. 1, 17 mars 2021, n° 20-14.506, FS-P N° Lexbase : A89574LC, AJ fam. 2021, p.303, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2021, p. 662, note M.-L. Niboyet.
[20] J. Sagot-Duvauroux, La conformité à l’ordre public international du divorce par compensation algérien (Khol’â) réservé à l’épouse, note sous l’arrêt précité, Lexbase Droit privé, n° 863, 29 avril 2021 N° Lexbase : N7310BYE.
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Réf. : Cass. com., 13 septembre 2023, n° 22-15.296, F-B N° Lexbase : A57381GM
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par Vincent Téchené
Le 20 Septembre 2023
► La lettre du mandataire judiciaire au créancier se bornant à lui demander des pièces justificatives de sa créance en précisant qu'à défaut, il envisage de proposer au juge-commissaire le rejet de cette créance, n'est pas une lettre de contestation de l'existence, de la nature ou du montant de la créance, de sorte que le défaut de réponse du créancier dans un délai de trente jours ne le prive pas du droit de faire appel de l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté la créance.
Faits et procédure. Après la mise en redressement judiciaire d’une société le 26 mars 2018, un plan de redressement a été arrêté. Le 21 novembre 2018, le débiteur a porté à la connaissance du mandataire judiciaire une créance chirographaire d’EDF.
Le juge-commissaire a rejeté la créance aux motifs que, par une lettre du 10 décembre 2018, la créance avait été contestée et que la société EDF n'avait pas répondu dans le délai de 30 jours. La société EDF (le créancier) a donc interjeté appel.
Arrêt d’appel. La cour d’appel a déclaré irrecevable l’appel du créancier pour ne pas avoir répondu dans le délai de 30 jours. Il convient de préciser que, pour statuer de la sorte, les juges d'appel ont relevé que la lettre du mandataire judiciaire mentionnait en objet « contestation de créance », informait le créancier que la créance déclarée était injustifiée dans la mesure où le débiteur ne lui avait remis aucun justificatif et qu'il convenait de lui transmettre un relevé de compte récapitulatif et une copie des factures déclarées, et qu'à défaut, il envisageait de proposer au juge-commissaire un rejet de la créance. En outre, la lettre rappelait les dispositions de l'article L. 622-27 du Code de commerce N° Lexbase : L7291IZ3.
Le créancier a donc formé un pourvoi en cassation.
Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 622-27, L. 624-3, alinéa 2 N° Lexbase : L3982HB4, et R. 624-1, alinéas 2 et 3 N° Lexbase : L6267I3I du Code de commerce, rendus applicables au redressement judiciaire par les articles L. 631-14 N° Lexbase : L9175L7X, L. 631-18 N° Lexbase : L3322ICZ et R. 631-29 N° Lexbase : L1012HZI.
La Cour rappelle à cet effet qu’une disposition privant une partie d'une voie de recours doit être interprétée strictement. En conséquence, la sanction prévue par les textes susvisés en cas de défaut de réponse du créancier dans le délai de trente jours suivant la réception de la lettre du mandataire judiciaire l'informant de l'existence d'une discussion sur sa créance ne peut être étendue au cas où le mandataire judiciaire se borne à demander au créancier des pièces justificatives de la créance en précisant qu'à défaut, il envisage de proposer au juge-commissaire le rejet de cette créance.
Aussi, pour la Haute juridiction, il résultait des constatations précitées de la cour d’appel que la lettre du 10 décembre 2018 n'était pas une lettre de contestation de l'existence, de la nature ou du montant de la créance au sens des textes susvisés. Ainsi, le défaut de réponse dans le délai de trente jours ne le privait pas du droit de faire appel de l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté sa créance.
Observations. Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation. Elle a déjà clairement énoncé que la lettre se bornant à demander au créancier de joindre à sa déclaration des documents justificatifs sans lui faire connaître si la créance était discutée et, dans l'affirmative, sur quoi portait la discussion ne vaut pas contestation (Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-15.314 N° Lexbase : A1428ABI). De même, la lettre par laquelle un mandataire judiciaire invite un organisme de Sécurité sociale à produire le titre exécutoire constatant sa créance et lui précisant qu'à défaut, il proposera son rejet, n'est pas une lettre de contestation au sens de l'article L. 622-27 du Code de commerce (Cass. com., 31 janvier 2017, n° 15-17.296, F-P+B+I N° Lexbase : A6856TA8, Ch. Lebel, Lexbase Affaires, n° 489, février 2017 N° Lexbase : N6665BWR).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La vérification des créances déclarées, Le contenu de la contestation, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E0390EXQ. |
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par Ghizlane Loukili, Docteur en droit privé, spécialité droit du numérique
Le 20 Septembre 2023
Mots-clés : plateformes numériques • commerce électronique • OCDE
Si l’on se réfère aux estimations de la CNUCED, le secteur du commerce électronique a généré 25 300 milliards de dollars en 2015 [1]. L’un des catalyseurs du développement des ventes en ligne à des particuliers est l’émergence des plateformes, ces intermédiaires d’un type nouveau, aujourd’hui incontournable sur Internet [2]. Ce phénomène qui interpelle est souligné par l’ensemble des observateurs du domaine, en effet : « l’on assiste à un processus d’intermédiation important à travers tous les secteurs de la vente en ligne (quels que soient les produits ou les services vendus). Ces dernières années, un nombre limité de « mégaplateformes » (dont les incontournables Amazon et Alibaba) ont capté une partie importante du marché. En plus d’une réintermédiation, l’on assiste donc également à un processus de concentration » [3]. Voilà par le menu le rôle qu’occupent ces plateformes objet de notre étude.
De nombreuses questions se posent face à l’émergence des plateformes dans plusieurs domaines du droit [4]. Le domaine de la fiscalité ne fait pas exception, loin s’en faut. Dans le cadre de cette contribution, nous reviendrons sur la situation en matière d’imposition internationale des revenus qui, malgré les efforts importants d’organisations internationales comme l’OCDE et l’UE, évolue encore trop lentement pour véritablement prendre en compte les spécificités de l’activité des plateformes.
I. L’exposé des règles fiscales en présence
A. La philosophie qui sous-tend les règles
Dans un objectif pédagogique clair, on peut soutenir que les règles fiscales dans le domaine de l'économie numérique sont fondées sur les principes de bonne gouvernance fiscale et poursuivent des objectifs différents comme celui de mener à bien la transition écologique et numérique. Pour ce faire, une fiscalité équitable de l'économie numérique doit être mise en place. Les règles actuelles régissant les questions de fiscalité internationales ont été conçues pour s'appliquer aux entreprises ayant une présence physique dans un pays. L'intensification de la transformation numérique des économies présente des défis en matière de fiscalité, tels que la réduction des recettes fiscales dues à une évasion et à une fraude fiscales abusives. Les règles fiscales doivent donc être mises à jour de manière adéquate. Étant donné que les règles fiscales supposent toujours une présence physique, les bénéfices tirés des activités numériques ne sont souvent pas imposés dans la juridiction du marché (à savoir le pays où se trouvent les utilisateurs et les consommateurs).
B. L’ historique des textes communautaires
Dès mars 2018, la Commission européenne s’attèle aux nouveaux défis engendrés par l’économie numérique en proposant de nouvelles règles visant à assurer une imposition juste des activités numériques dans l'UE [5]. Cette intervention juridique aurait pour finalité de favoriser la croissance.
Le dispositif légal proposé en 2018 sur la fiscalité de l'économie numérique, est consécutif aux conclusions du Conseil européen, datant du 19 octobre 2017 [en ligne], ainsi qu’aux conclusions du Conseil sur la fiscalité de l'économie numérique du 30 novembre 2017 [en ligne]. Cet instrument comprenait deux propositions législatives ayant pour finalité : la réforme des règles relatives à l'impôt sur les sociétés, de façon à ce que les bénéfices soient imposés là où les entreprises ont une présence numérique significative, mais aussi, ériger une taxe provisoire pour les recettes tirées des services numériques (taxe sur les services numériques). Pour se faire, deux outils sont proposés, la Proposition de Directive du Conseil établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative [en ligne], puis, la Proposition de Directive du Conseil concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques [en ligne].
La législation de l'UE sur les règles relatives à l'impôt sur les sociétés est étroitement liée aux efforts déployés pour trouver des solutions mondiales, ce qui s’explique en raison du caractère international du réseau et des entreprises qui opèrent sur ce dernier.
C’est donc en ce sens que le G20 et l'OCDE ont mené des travaux sur la fiscalité de l'économie numérique au niveau international en vue de parvenir à un consensus sur une solution mondiale pérenne sur la durée, en ce qu’elle répondrait aux besoins en la matière.
Les négociations se sont déroulées pour l’essentiel dans le cadre du G20/OCDE sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) [6]. S’ensuit la promulgation d’une Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie (OCDE, 8 octobre 2021) [7]. Son contenu sera exposé en détail dans les développements suivants. Mais aussi une Directive du Conseil visant à assurer un niveau minimum d'imposition mondial pour les groupes d'entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l'Union (Journal officiel de l'UE) [8].
Quant à son contenu, la déclaration d'octobre 2021 du cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS propose une solution reposant en deux piliers. Le premier pilier porte sur des règles et des dispositions qui visent à rendre possible la réattribuer les droits d'imposition parmi les juridictions où les groupes d'entreprises multinationales les plus importantes et les plus rentables détiennent leur part de marché et réalisent des bénéfices [9].
Le second pilier expose les règles relatives à l'imposition minimale effective des groupes d'entreprises multinationales dominantes visant à réduire les possibilités d'érosion de la base d'imposition et de transfert de bénéfices. Il vise également à faire en sorte que le taux minimum mondial convenu pour l'impôt sur les sociétés, à savoir 15 %, soit payé [10].
Lors de sa réunion des 10 et 11 juillet 2023, le cadre inclusif G20/OCDE sur le BEPS a réalisé de nouveaux progrès concernant les éléments restants du projet reposant sur deux piliers. Parmi les points essentiels, il a été confirmé que l'accord final sur la convention multilatérale et la signature de celle-ci devraient intervenir d'ici la fin de l'année 2023.
C. Les règles en provenance de l’OCDE
Les règles types de déclaration applicables aux Opérateurs de plateformes numériques concourent à garantir la cohérence de la mise en œuvre du dispositif. Dans le cadre du rapport de l’OCDE datant du 22 juin 2021 [11], sont reprises les « règles types de déclaration à l’intention des vendeurs relevant de l’économie du partage et de l’économie à la demande ».
Les règles types imposent aux plateformes numériques qu’elles collectent des informations sur les revenus réalisés par les personnes proposant un hébergement, un transport et des services personnels par l’intermédiaire des plateformes et qu’elles communiquent ces informations aux autorités fiscales.
La finalité de ces règles est dédiée à l’aide des contribuables pour qu’ils puissent se conformer à leurs obligations fiscales, tout en garantissant des conditions de concurrence équitables avec les entreprises traditionnelles. Cette aide se cristallise par la mise à disposition d’un régime de déclaration standardisé, ces règles modèles contribuent à minimiser les charges qui pèsent sur les vendeurs de plateformes et les opérateurs de plateformes numériques.
Plus récemment, l’OCDE a publié dans le cadre de ces règles types de déclaration pour les plateformes numériques, un cadre pour les échanges internationaux, ainsi qu’un module optionnel pour la vente des biens, pour permettre l’extension du champ d’application des règles types à la vente de marchandises et à la location de moyens de transport. En effet, l’OCDE a développé un module optionnel permettant à ces juridictions d’appliquer les règles types avec un champ d’application étendu. Les échanges de renseignements dans le cadre des règles types sont opérationnalisés par un cadre juridique international sous la forme de l’accord multilatéral entre autorités compétentes [12].
II. L’exposé des règles dans les différentes catégories de droit fiscal
A. Imposition sur les bénéfices
Les plateformes numériques ayant un établissement stable en France sont soumises à l’impôt sur les sociétés françaises. Il reste important ici de mentionner la loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, adoptée définitivement le 11 juillet 2019 [13].
Pour une meilleure compréhension du glissement opéré ici, l’article 84, de la loi n° 2017-1837, du 30 décembre 2017, de finances pour 2018 N° Lexbase : L7952LHY avait réalisé une baisse du taux d’impôt sur les sociétés, et cela en conformité avec le CGI, article 219, selon le raisonnement suivant : pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018, le taux de 28 % s'applique à l'ensemble des redevables jusqu'à 500 000 euros de bénéfices ; au-delà, le taux normal de l'IS est de 33,33 %, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, le taux de 28 % s'applique à l'ensemble des redevables jusqu'à 500 000 euros de bénéfices ; au-delà, le taux normal de l'IS est de 31 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020, le taux normal de l'IS est fixé à 28 %, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021, le taux normal de l'IS est fixé à 26,5 %, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022, le taux normal de l'IS est fixé à 25 %.
La loi adoptée le 11 juillet 2019 opère sur la question une transformation, en ce qu’elle prévoit pour les exercices ouverts du 1er janvier au 31 décembre 2019, que le taux normal de l’impôt sur les sociétés des entreprises redevables qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 250 millions d’euros sera de 33,33 %, pour la fraction de bénéfice imposable supérieur à 500 000 euros. Le taux normal de 28 % s’appliquera pour la fraction de bénéfice imposable inférieure ou égale à 500 000 euros comme ce sera le cas pour les autres entreprises redevables de l’impôt sur les sociétés.
B. Taxe sur la valeur ajoutée
En application du principe de territorialité, les plateformes numériques situées en France doivent s’acquitter de la TVA conformément aux dispositions françaises pour les opérations réalisées sur le territoire national. Le premier obstacle ici provient de la pratique, en effet l’activité des plateformes en ligne s’intègre dans le cadre de relations transfrontalières, les opérateurs étant le plus souvent situés au sein d’autres États membres de l’Union. Les règles applicables en matière de TVA transfrontalière trouvent application afin de régir l’activité des plateformes [14]. Dans l’objectif de contourner le spectre d’une double imposition, la règle de l’imposition unique dans le pays de destination des biens et services est reconnue par l’Union européenne et est adoptée par la très grande majorité des États.
Le principe précédemment cité trouve application en matière de transactions B to B, cette application reste toute relative dans le domaine du B to C. Concernant les ventes de biens et services au profit de personnes non assujetties, la TVA est due, au lieu de départ du bien [15].
Cette situation soulève de nombreux questionnements, en ce qu’elle encourage la fraude en poussant les consommateurs à recourir à des opérateurs établis dans les États membres présentant les taux de TVA les plus faibles [16].
Afin de pallier ce manque lié à cette situation, la Directive TVA du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajouté [17] propose l’imposition en France des services de télécommunication , tels que : accès à Internet, téléphonie fixe et mobile, messagerie, de radio diffusion et de télévision, mais aussi, les services fournis par voie électronique : fourniture et hébergement de sites web, de logiciels, d’applications, de textes, d’images, d’ informations, d’enregistrements, de musique, de films, de jeux, de publicités [18], aux bénéfices des personnes non assujetties, c’est-à-dire les particuliers qui sont établies, ont leur domicile ou leur résidence habituelle en France, quelle que soit le lieu d’établissement du prestataire [19].
La Directive du 5 décembre 2017 (Directive (UE) n° 2017/2455 du Conseil, 5 décembre 2017, modifiant la Directive 2006/112/CE et la Directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens N° Lexbase : L7481LHK) [20] , remet sur le devant de la scène le principe d’imposition dans le pays d’établissement du prestataire de services de télécommunication et assimilés lorsque la valeur totale de la prestation demeure inférieure, pour une année civile, à 10 000 euros hors taxes. Au-delà de ce seuil, l’imposition dans l’État du destinataire de la prestation s’applique.
La finalité du dispositif est la simplification du régime de la TVA dans le cas de faibles opérations par le biais de la mise en place d’une exception à la règle de l’imposition dans le pays de destination, compte tenu du développement des services numériques B to C [21] .
Cette règle est centrale car elle intéresse l’ensemble des plateformes en ligne, dont l’activité repose essentiellement sur les services numériques qu’elles offrent à leurs utilisateurs.
La Directive du 5 décembre 2017 modifie aussi les règles de TVA en matière de ventes à distance et vise les plateformes numériques agissant en tant que cybervendeurs.
C. Impôts locaux
Les opérateurs de plateformes en ligne sont soumis aux impôts locaux français quand ils entrent dans le champ de la loi. Les impôts locaux portent sur les locaux ainsi que sur l’activité des entreprises.
Les plateformes pourront tout d’abord être redevables des droits de mutation en cas d’acquisition de terrains et de locaux dans lesquels leurs activités se dérouleront. Les plateformes seront également soumises, dans certaines circonstances aux impôts fonciers (taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties, taxe d’enlèvement des ordures ménagères, pour ne citer que ces exemples).
Elles pourront aussi être tenues d’acquitter la cotisation foncière des entreprises (CFE), qui constitue la part foncière de la contribution économique territoriale (CET) [22].
[1]. Rapport de la CNUCED sur l’économie de l’information 2017 : numérisation, commerce et développement, publication des Nations Unies, n° E. 17. II. D. 8. Statista, Retail E-commerce Sales Worldwide from 2014 to 2021, 2019. Selon Satitsta, en 2019 le taux de pénétration aux États-Unis était de 95 %.
Pour le continent européen, les chiffres sont également très élevés : 94 % en Europe de l’Est, 88 % en Europe du Sud et 80 % en Europe de l’Est. Statistiques pour l’année 2019 [en ligne]. Secrétariat de la CNUCED, « Favoriser les gains de développement du commerce électronique et des plateformes numériques », note pour la réunion du Groupe intergouvernemental d’experts du commerce électronique et de l’économie numérique, tenue à Genève les 18-20 avril 2018, p. 7. Document de travail des services de la Commission stratégie pour un marché unique numérique pour l’Europe, Bruxelles, 6 mai 2015, SWD(2015) 100 final, p. 53 [en ligne].
[2]. P. Collin et N. Colin, Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, Rapport au ministre de l’Économie et des Finances, au ministre du Redressement productif, au ministre délégué chargé du budget et à la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, janvier 2013, pp. 130 et s.
[3]. Marie Lamensch, Edoardo TraversaPlateformes numériques : développements récents en matière fiscale, Dans Revue internationale de droit économique 2019/3 (t. XXXIII), p. 329.
[4]. L.-M. Augagneur, Vers de nouveaux paradigmes de l’économie numérique : RTD com. 2015, p. 455 et s., spéc. p. 469, L.-M. Augagneur, La compliance a-t-elle une valeur ? : JCP E 2017, étude 1522. Rapport : CNNum
Neutralité des plateformes, Réunir les conditions d’un environnement numérique ouvert et soutenable : Rapport, mai 2014.
[5]. En Europe, des pays comme l’Irlande, les Pays-Bas, ou encore le Luxembourg, se sont retrouvés sous le feu de l’actualité non seulement médiatique, mais aussi judiciaire, notamment au regard de la compatibilité de certains arrangements fiscaux conclus avec des entreprises multinationales dans le domaine du digital avec le régime européen des aides d’État. Voir notamment E. Traversa et P. Sabbadini, Rulings et aides d’État fiscales : un état des lieux, JDE, 2017/4, n° 238, pp. 138-141.
[6]. Pour une description de la genèse et du contenu du plan d’action BEPS, voir notamment le site de l’OCDE [en ligne] ainsi que E. Traversa et M. Possoz , L’action de l’OCDE en matière de lutte contre l’évasion fiscale internationale et d’échange de renseignements : développements récents, Revue générale du contentieux fiscal, 2015, n° 1, pp. 5-24. Voir Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Rapports finaux 2015, OCDE, 2015, « Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique, Action 1 – Rapport final 2015 », OCDE, 2015. OCDE, « État des lieux des défis soulevés par la numérisation de l’économie – rapport intérimaire », OCDE, 2018, OCDE, « Relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie », document de consultation publique 13 février-6 mars 2019, « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable », Action 7 – Rapport final 2015, OCDE, 2015. OCDE, « Principes directeurs internationaux pour la TVA/TPS » [en ligne]. L’Organisation mondiale des douanes a également mis en place un groupe de travail sur le commerce électronique afin de cartographier les éventuelles réponses politiques qui pourraient être proposées. En juin 2018, elle a publié un « cadre de normes de commerce électronique transfrontalier » qui aborde, entre autres, la question de la collecte de la TVA/TPS et des droits de douane sur les importations.
[7]. Statement on a Two-Pillar Solution to Address the Tax Challenges Arising from the Digitalisation of the Economy – 8 October 2021 [en ligne].
[8]. Council Directive (EU) 2022/2523 of 14 December 2022 on ensuring a global minimum level of taxation for multinational enterprise groups and large-scale domestic groups in the Union ST/8778/2022/INIT, OJ L 328, 22.12.2022, p. 1–58 [en ligne].
[9]. « Pilier Un: réattribution des droits d'imposition. Le principal résultat attendu du Pilier Un est une convention multilatérale qui permettra aux parties d'exercer (ou de "réattribuer") un nouveau droit d'imposition (« montant A »).
Le texte couvrira un large éventail de règles concernant :
Le « montant B » du Pilier Un offrira une sécurité fiscale renforcée par l'établissement de critères de référence normalisés en matière de prix de transfert pour les types de transactions courants » [en ligne].
[10]. « Pilier Deux: imposition minimale effective
Les travaux relatifs au Pilier Deux ont avancé plus rapidement que ceux relatifs au Pilier Un. Le cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS a approuvé le modèle de règles OCDE « Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie - Règles globales anti-érosion de la base d'imposition (Pilier Deux) » le 14 décembre 2021. Tous les États membres se sont engagés à respecter ces règles.
L'imposition minimale effective, qui constitue l'essence du Pilier Deux, repose sur deux grandes règles, également connues sous le nom de règles globales anti-érosion de la base d'imposition (« règles GloBE ») :
Ces règles visent à assurer que les bénéfices réalisés par les groupes multinationaux dont le chiffre d'affaires est au moins égal à 750 millions d'euros soient imposés à un taux effectif d'au moins 15 %.
Les règles du Pilier Deux ont été transposées dans le droit de l'UE par la Directive du Conseil du 15 décembre 2022 visant à assurer un niveau minimum d'imposition mondial pour les groupes d'entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l'Union. » voir https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/digital-taxation/
[11]. Ces rapports sont accessibles [en ligne].
[12]. Revue de droit fiscal, n° 26. 1er juillet 2021.
[13]. Loi n° 2019-759, du 24 juillet 2019, portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés N° Lexbase : L2904LRY.
[14]. V. Mise en place du régime de TVA intracommunautaire in Le Lamy Fiscal : Wolters Kluwer, 2019, partie 2, div. 1 , chap. 4, sect. 2, n° 2425.
[15]. Cons. UE, Directive n° 2006/112/CE, 28 novembre 2006, art. 31 et 32. – CGI, art. 258) ou d’ établissement du prestataire (Cons. UE, Directive n° 2006/112/CE, 28 novembre 2006, art. 43. – CGI, art. 259, 2°).
[16]. F. Perrotin, Union européenne : un nouveau plan d’action sur la TVA, LPA, 27 juin 2016, n° 114y5, p. 4.
[17]. JOUE L 34711 décembre 2006, p. 1.
[18]. CGI, art. 259 B, 10° à 12° N° Lexbase : L2727IG4.
[19] . Cons. UE, Directive n° 2006 /112/CE, art. 58. – CGI, art. 259, D, I, 1.
[20]. JOUE 29 décembre 2017, art. 1er modifiant l’article 58, applicable en France depuis le 1er janvier 2019 (loi n° 2018-1317, du 28 décembre 2018, de finances pour 2019 N° Lexbase : L6297LNK, modifiant CGI, art. 259 D, I, 1.
[21]. V. A. Périn-Dureau, Un an de fiscalité de l’ incorporel, Comm. com. électr. 2019, chron. 3, n° 2.
[22]. V. A. Dehaine, Les ressources fiscales à l’ère du numérique : l’adaptation de la fiscalité locale, RFFP, septembre 2018, n° 143, p. 105.
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Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-24.122, FS-B N° Lexbase : A330398T
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par Magali Roussel, Maître de conférences en droit privé, Université Sorbonne Paris Nord
Le 20 Septembre 2023
Mots-clés : entretien d’évaluation • entretien professionnel • formation professionnelle • parcours professionnel • santé
En vertu de l’article L. 6315-1 du Code du travail, l’entretien professionnel est consacré aux perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualification et d’emploi. Il ne porte pas sur l’évaluation du salarié. Ce texte n’impose pas que l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation se tiennent à des dates différentes, dès lors que les questions d’évaluation ne sont pas évoquées lors de l’entretien professionnel. En retenant la faculté de mener ces entretiens le même jour, la Cour de cassation réfute l’idée selon laquelle la spécificité du contenu de l’entretien professionnel serait incompatible avec la proximité temporelle des deux dispositifs.
L’entretien professionnel doit être dissocié de l’entretien d’évaluation. L’exclusion de l’évaluation du travail des salariés du contenu de l’entretien professionnel dispose d’un fondement légal et a déjà fait l’objet de rappels et de précisions par la Cour de cassation. L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 5 juillet 2023 [1] apporte cette fois un éclairage sur l’articulation temporelle entre ces deux évènements de la vie professionnelle.
La saisine du tribunal judiciaire de Nanterre tendait à faire juger le non-respect, par une société, de son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et à ordonner la mise en place de mesures d’urgence afin de lutter contre les risques psychosociaux. Un CHSCT et un comité d’établissement, la Fédération CFDT communication, conseil, culture ainsi que l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT (UGICT-CGT) invoquaient un nombre important de syndromes d’épuisement professionnel et plusieurs suicides. N’ayant obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Versailles, le CSE (venant aux droits du comité d’établissement et du CHSCT) ainsi que la Fédération CFDT avaient formé un pourvoi en cassation et l’UGICT-CGT, un pourvoi provoqué. Il était notamment reproché à la cour d’appel d’avoir retenu l’absence de manquement de l’employeur à ses obligations de contrôler la durée du travail, d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs en matière de durée du travail. La cour d’appel avait, en ce sens, retenu que le système de déclaration du temps de travail, bien que défaillant, ne faisait pas obstacle à des déclarations des salariés par tout autre moyen et que la question du temps de travail et des moyens de contrôle faisait l’objet de négociations au sein de l’entreprise. La Chambre sociale de la Cour de cassation censure sur ce point l’arrêt de la cour d’appel, relevant que ces éléments n’étaient pas de nature à caractériser que l’employeur avait satisfait à ses obligations en matière de contrôle du temps de travail et de protection de la santé et sécurité des travailleurs.
Les deux pourvois contestaient également la décision de la cour d’appel d’admettre la quasi-concomitance entre l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation, ces derniers ayant été organisés le même jour.
Organisé en principe tous les deux ans, l’entretien professionnel est également proposé au salarié reprenant son activité après certains congés (maternité, parental d’éducation, d’adoption, sabbatique et proche aidant), une période de mobilité volontaire, une période d’activité à temps partiel, un congé longue maladie ou un mandat syndical. Il est consacré aux perspectives d’évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualifications et d’emploi, et permet au salarié d’être notamment informé sur la validation des acquis de l’expérience, l’activation et l’abonnement de son compte personnel de formation. Tous les six ans, l’entretien professionnel fait par ailleurs un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. L’article L. 6315-1 du Code du travail N° Lexbase : L7678LQG n’apporte cependant aucune précision sur la distinction temporelle entre l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation.
En retenant que « les dispositions légales n’imposent pas la tenue de ces entretiens à des dates différentes », la Cour de cassation réfute l’idée d’une incompatibilité entre la proximité temporelle des deux évènements et l’obligation de dissocier le contenu de l’entretien professionnel de celui de l’évaluation du travail des salariés. Au-delà du principe selon lequel l’entretien professionnel ne peut porter sur l’évaluation (du travail) du salarié (I.), l’arrêt interroge quant à la matérialisation de cette distinction lorsque ces entretiens se suivent (II.).
I. L’énonciation de l’autonomie de l’entretien professionnel
Dans le sillage des intentions des interlocuteurs sociaux, des exigences légales et des développements jurisprudentiels, la présente décision de la Chambre sociale confirme le principe de la stricte distinction de l’objet de l’entretien professionnel de celui de l’entretien d’évaluation. Après avoir rappelé que selon l’article L. 6315-1, I, du Code du travail, l’entretien professionnel « ne porte pas sur l’évaluation du salarié », elle retient que ces entretiens peuvent se dérouler le même jour « pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d’évaluation ne soient pas évoquées ». De prime abord, cette décision ne surprend guère, ni quant au caractère cardinal de l’autonomie de l’entretien professionnel par rapport à l’entretien d’évaluation, ni quant à l’évolution de l’objet de l’évaluation.
Sur ce second point, et sans que cela ne puisse surprendre outre mesure, l’objet de l’évaluation tel qu’il résulte de l’article L. 6315-1, I, du Code du travail est reformulé. Alors que cet article exclut que l’entretien professionnel porte sur « l’évaluation du travail du salarié », le pourvoi mentionne « l’évaluation de la prestation de travail du salarié ». La Chambre sociale de la Cour de cassation conclut sur « l’évaluation du salarié ». Cela n’est pas la première fois que cette dernière mentionne l’ « évaluation des salariés » [2] en lieu et place de ce qu’elle nommait par le passé l’évaluation « du travail du salarié » [3]. Il s’agit là d’un glissement témoignant de l’élargissement constant de l’objet d’une l’évaluation susceptible de se fonder sur des critères comportementaux [4]. On mesure ici, de façon sous-jacente, l’écart entre cet énoncé, reflet de l’évolution des pratiques managériales dans les entreprises, et celui émanant des représentants des salariés, attachés à la séparation entre la prestation de travail du salarié et la personne du salarié.
Si l’objet de l’entretien d’évaluation est subtilement déplacé par rapport à l’énoncé légal, le principe de distinction des objets demeure. Dès sa mise en place, l’entretien professionnel s’est en effet dessiné en délicate contradiction avec l’évaluation. Il s’agissait d’un entretien d’un nouveau genre, original, et a priori différent de l’entretien d’évaluation qui, bien qu’en principe facultatif, était d’ores et déjà mis en place dans nombre d’entreprises. L’absence de confusion entre ces deux entretiens apparait d’ailleurs dès l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle N° Lexbase : L7503IZW. Ce texte, qui confère « une place de haut rang à la formation professionnelle continue » [5] énonçait expressément que « l’entretien professionnel est distinct de l’entretien d’évaluation ». Ce principe a été repris, sous une formulation un peu différente dans la loi du 5 mars 2014 [6], l’article L. 6315-1, I, du Code du travail mentionnant que « cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié ». L’entretien professionnel est donc autonome.
Il ne faut toutefois pas s’y tromper. Derrière une apparence de clarification, cette précision témoigne en réalité de la proximité entre ces deux dispositifs ou, à tout le moins, d’un risque de confusion. Il a ainsi pu être remarqué que le devoir d’adaptation, l’obligation de veiller au maintien des capacités du salarié à occuper un emploi et le droit de la formation professionnelle appelaient une certaine évaluation des salariés [7]. De façon symétrique la fixation d’objectifs « peut prendre en compte un projet d’évolution de carrière répondant aux besoins de l’entreprise ou aux aspirations du collaborateur concerné, questions relevant en principe du périmètre de l’entretien professionnel » [8].
Dans les travaux préparatoires à l’adoption de la loi du 5 mars 2014 [9] l’objet de ces deux entretiens est pourtant clairement distingué. L’entretien professionnel permet au salarié d’« élaborer son projet professionnel à partir de ses souhaits dans l’entreprise, de ses aptitudes et en fonction de la situation de l’entreprise », alors que l’entretien d’évaluation des qualités professionnelles est quant à lui « destiné à déterminer les objectifs des salariés et à évaluer leur comportement professionnel ». L’ambition est ainsi que l’entretien professionnel, « qui s’apparente à un échange sur les potentialités du salarié, ne s’oriente pas vers l’évaluation du travail ». C’est notamment à cette condition que l’entretien professionnel peut être à la hauteur de l’enjeu de la mise en mouvement du droit à la formation professionnelle continue dont l’objet est « de favoriser l’insertion ou la réinsertion professionnelle des travailleurs, de permettre leur maintien dans l’emploi, de favoriser le développement de leurs compétences et l’accès aux différents niveaux de la qualification professionnelle, de contribuer au développement économique et culturel, à la sécurisation des parcours professionnels et à leur promotion sociale » [10]. L’entretien professionnel doit demeurer une manifestation du droit à l’accompagnement professionnel dont bénéficie le salarié [11], une procédure participant à la mise en œuvre de l’obligation de l’employeur de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi résultant de l’article L. 6321-1 du Code du travail N° Lexbase : L9898LL8 [12].
Le rappel, par la Cour de cassation, de l’autonomie de l’entretien professionnel est bien sûr salutaire. Si, ainsi que cela a été souligné, « la cohérence entre ces deux rapports participe d’une bonne gestion managériale » [13], cette interdiction est fondamentale, car elle permet en réalité de s’assurer que l’objet de l’entretien professionnel, clairement identifié dans l’ANI et la loi, ne soit pas dévoyé. De l’importance de cet entretien, mais également de sa distinction avec l’entretien d’évaluation, la Chambre sociale en a ainsi déduit la non-substitution de l’entretien professionnel par l’entretien d’évaluation. Selon cette dernière, la tenue d’entretiens d’évaluation ne peut ainsi pallier l’absence d’entretien professionnel, et ce, alors même que le salarié aurait bénéficié d’actions de formation [14]. La Cour de cassation semble toutefois aller plus loin en faisant de cette distinction un élément suffisant de l’autonomie de l’entretien professionnel, au risque d’en fragiliser l’ambition.
II. La matérialisation de l’autonomie de l’entretien professionnel
En dépit de la précision relative à la distinction entre l’objet de l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation, le Code du travail n’évoque pas l’articulation temporelle entre ces deux dispositifs. En jugeant que le Code du travail ne « s’oppose pas à la tenue à la même date de l’entretien d’évaluation et de l’entretien professionnel » dès lors que les questions d’évaluation ne sont pas évoquées à l’occasion de l’entretien professionnel, la Cour de cassation a fait des dispositions expresses de l’article L. 6315-1, I le pivot de l’articulation entre l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation. Selon la Chambre sociale, la distinction portant sur le contenu des entretiens n’impose donc pas que ceux-ci se déroulent à des dates séparées. À cet égard, elle ne s’embarrasse pas des précautions de la cour d’appel qui soulignait que ces entretiens étaient réalisés à des dates distinctes dans certaines hypothèses (« après une absence de longue durée et à la demande du collaborateur ») et qu’il était possible, pour les salariés le souhaitant, de demander « une dissociation à deux dates différentes » des entretiens. Le recours à l’existence de dérogations et au caractère facultatif pour justifier de la licéité d’un dispositif porteur de certains risques n’est pourtant pas original. La Cour de cassation l’a ainsi admis s’agissant d’un système d’autoévaluation [15] ou encore d’évaluation de représentants syndicaux [16].
La formule de la Cour de cassation semble en apparence peu contestable. Pourtant, le pourvoi invitait à considérer que la trop grande proximité entre ces deux entretiens pourrait rendre illusoire l’autonomie de l’entretien professionnel par rapport à l’entretien d’évaluation. Selon les pourvois, cette pratique était contraire à l’article L. 6315-1 et selon le pourvoi principal, cela constituait en outre un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels. Ces craintes ne paraissent pas sans fondement. Considérer qu’il n’y a pas d’obstacle à organiser les entretiens dans une même journée revient à supposer que l’un et l’autre des protagonistes de ces entretiens soient en mesure de mener une réflexion sur les perspectives professionnelles du salarié sans se fonder sur l’appréciation du travail réalisé dans l’année, menée le même jour, dans le cadre de l’entretien d’évaluation. Au sujet de la possibilité d’un regroupement des deux entretiens, un auteur avait alerté sur le fait que cela priverait l’entretien professionnel d’« effet utile », le législateur ayant entendu créer un « espace de liberté sans contrainte ou crainte liée à l’évaluation professionnelle » [17]. Il ne s’agit pas ici, il est vrai, d’une complète confusion des deux entretiens.
L’organisation de plusieurs entretiens le même jour présente sans nul doute un intérêt d’ordre organisationnel pour les entreprises. Il accentue néanmoins des écueils déjà identifiés liés à la multiplication des entretiens (entretien professionnel, entretien d’évaluation, entretiens liés au forfait jours), écueils tendant tant au risque de détournement qu’à l’accroissement du stress éventuellement généré par ces derniers [18].
Cette opération, toute licite est-elle, n’est pas sans risque pour l’employeur. Dans son rapport, le conseiller M. Florès rappelait qu’en cas de manquement de l’employeur à son obligation d’organisation de l’entretien professionnel des dommages-intérêts pourraient être demandés [19]. Cette mention invite à considérer que la confusion des objets des différents entretiens pourrait conduire à une déqualification de l’entretien professionnel, entrainant alors le prononcé de sanctions associées à l’absence d’entretien professionnel, tel que l’abondement du compte personnel de formation dans les entreprises de plus de 50 salariés [20].
La tenue successive des deux entretiens implique par conséquent une rigueur toute particulière dans la tenue de l’entretien professionnel de la part de l’employeur. Un gage du respect de l’objet de ce dernier peut résulter de la rédaction du document qui y est relatif dont une copie est transmise au salarié. Cette exigence légale [21] est d’ailleurs rappelée par la Cour de cassation qui ne reprend toutefois pas la formule de la cour d’appel selon laquelle il existerait une obligation « de rédiger deux comptes rendus distincts ». Il n’existe en effet aucun formalisme légal en matière de compte rendu d’évaluation. Cela n’en est pas moins opportun afin d’extérioriser davantage le respect de l’objet de l’entretien professionnel au regard de l’évaluation du travail du salarié, dont le compte rendu d’évaluation sera alors susceptible de faire état.
Il s’ensuit que si la tenue de ces deux entretiens le même jour est aujourd’hui admise, l’employeur qui s’y risque doit garder à l’esprit que cette proximité ne doit pas conduire à dénaturer l’objet de l’entretien professionnel. Dans le cadre du présent contentieux, l’avocate générale référendaire, Mme Molina, relevait dans son avis l’ « importance accordée par le législateur à la tenue d’un entretien professionnel » telle qu’elle ressort de l’exposé des motifs de la loi du 5 mars 2014. Les juges pourraient en effet rechercher avec une particulière attention une confusion d’objet lorsque les deux entretiens ont lieu le même jour. Pourtant, le risque ne réside peut-être pas tant dans cette confusion que dans celui de la dépréciation de l’entretien professionnel lié au cumul d’entretiens différents dans une période réduite. Alors qu’il a été montré un mouvement tendant à recentrer l’accompagnement de la mobilité professionnelle « sur le développement des compétences, l’individualisation et la responsabilité des personnes » [22], les modalités d’organisation de l’entretien professionnel dans les entreprises doivent être à la hauteur de cet enjeu.
[1] Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-24.122, FS-B N° Lexbase : A330398T, Bulletin Joly Travail, septembre 2023, n° 9, p. 6, note A. Charbonneau ; Dalloz actualité, 17 juillet 2023, note L. Malfettes [en ligne].
[2] Cass. soc., 5 novembre 2009, n° 08-43.112, n° 08-43.242 et n° 08-43.304, F-D N° Lexbase : A8166EME ; Cass. soc., 16 octobre 2013, n° 12-18.229, F-D N° Lexbase : A1058KNI.
[3] Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-42.268, inédit N° Lexbase : A9008AYB, Droit ouvrier, 2002, p. 535, obs. Wauquier ; A. Chirez, Notation et évaluation des salariés, Droit ouvrier, 2003, p. 309 ; RJS 10/02, n° 1066.
[4] Ces critères doivent toutefois être « suffisamment précis pour permettre aux salariés de l’intégrer dans une activité concrète et à l’évaluateur de l’apprécier avec la plus grande objectivité possible ». v. CA Toulouse, 21 septembre 2011, RG n° 11/00604 N° Lexbase : A9463HXR, Droit social, 2012, p. 1, note E. Boussard-Verrecchia, X. Petrachi ; JCP S, 2011, 1566, note S. Beal, P. Klein ; RJS, 12/11, n° 930 ; CA Versailles, 8 septembre 2011, RG n° 10/00567 N° Lexbase : A7451HXA ; JSL, 27 octobre 2011, n° 308, p. 11, obs. M. Hautefort ; RJS, 11/11, n° 853.
[5] P. Etiennot, La formation professionnelle pensée autrement, RDT, 2014, p. 112.
[6] Loi n° 2014-288, du 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale N° Lexbase : L6066IZP.
[7] A. Lyon-Caen, L’évaluation des salariés, D., 2009. 1124.
[8] A. Charbonneau, précit » p. 7.
[10] C. trav., art. L. 6311-1 N° Lexbase : L9730IE4. Ce dispositif s’inscrit ainsi pleinement dans la construction des parcours professionnels par les salariés. Il s’agit en ce sens d’un « entretien professionnel de formalisation des parcours professionnel », J. Gautié, N. Maggi-Germain, C. Perez, Fondements et enjeux des « comptes de formation » : les regards croisés de l’économie et du droit, Droit social, 2015, p. 169.
[11] F. Petit, Le droit à l’accompagnement professionnel, Droit social, 2020, p. 390. L’auteur relève en outre que ce droit à l’accompagnement peut être considéré comme lui-même fondé sur le droit à l’emploi figurant à l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 N° Lexbase : L1356A94.
[12] J.-M. Luttringer et S. Boterdael, Le renforcement de l’obligation de formation à la charge de l’employeur, Droit social, 2018. 1006.
[13] A. Charbonneau, précité p. 7.
[14] Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 15-18.419, F-D N° Lexbase : A9961RWT.
[15] CA Paris, 16 janvier 2020, n° 18/01653 N° Lexbase : A75843BI.
[16] La Cour de cassation a ainsi relevé le caractère facultatif de l’appréciation par l’employeur, en association avec l'organisation syndicale, des compétences mises en œuvre dans l'exercice du mandat du salarié. v. Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 18-13.529, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6603ZQM, RDT, 2019, p. 797, obs. L. Jubert ; Droit ouvrier, 2020, p. 124, note C. Nicod ; JSL, 2020, n° 489, obs. M. Hautefort ; RDT, 2020, p. 10, controverse, J.-D. Simonpoli, I. Meftah et M. Roussel ; SSL, 2019, n° 1881, p. 13, obs. F. Champeaux ; Lexbase social, 2019, n° 800, note P. Adam N° Lexbase : N0874BYZ ; JCP E, 2019, n° 47, p. 44, note J.-Y. Kerbouc’h.
[17] Y. Pagnerre, Les méandres de l’entretien d’évolution professionnelle, JCP S, 2015, 1189, spéc. n° 14.
[18] S. Tournaux, Évaluations et qualité de vie au travail, Droit social, 2015, p. 124.
[19] Cass. soc., 16 septembre 2020, n° 18-19.889, F-D N° Lexbase : A37823UM.
[20] En ce sens, v. L. Malfettes, précité. Sur le lien entre le respect de l’obligation de mettre en œuvre l’entretien professionnel et le préjudice lié au non-respect des obligations de formation de l’employeur, v. J. Barthélémy, Le rôle de la jurisprudence dans le droit de la formation, Droit social, 2014, p. 1007. La Cour de cassation a en revanche rejeté la nullité comme sanction d’un licenciement dans une situation où une salariée n’avait pas bénéficié de son entretien professionnel au retour de congé de maternité, v. Cass. soc., Avis, 7 juillet 2021, n° 21-70.011, FS-B.
[21] C. trav., art. L. 6315-1, I, alinéa 2 N° Lexbase : L7678LQG.
[22] N. Maggi-Germain, L’accompagnement des travailleurs, Droit social, 2018, p. 999.
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Réf. : CE référé, 12 septembre 2023, n°s 488177, 488195 N° Lexbase : A57221GZ
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N6753BZ7
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par Yann Le Foll
Le 20 Septembre 2023
► La condition d’urgence nécessaire à la mise en œuvre du référé-liberté n’étant pas remplie, doit être rejetée la demande d’annulation de l’ordonnance fondée sur ce même motif ne procédant pas à la suspension de l’arrêté préfectoral interdisant la tenue d’un spectacle.
Rappel. La procédure du référé-liberté, prévue par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT, permet au juge d’ordonner, dans un très bref délai, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures.
Faits. Par deux requêtes distinctes, deux personnes qui devaient se produire au Zénith le 14 septembre 2023 ont demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre l’arrêté du 6 septembre 2023 du préfet de police interdisant leur spectacle.
Position TA. La société Zénith de Paris a résilié avec effet immédiat le contrat la liant à la société productrice du spectacle « La cage aux fous » et lui a en conséquence interdit l’accès à la salle du Zénith.
La juge des référés ajoute qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative de connaître du litige lié à cette résiliation.
Elle a ainsi considéré qu’à la date où elle statue, la décision de résiliation faisait obstacle à la tenue du spectacle, quand bien même l’exécution de la décision d’interdiction du préfet de police du 6 septembre 2023 serait suspendue.
Elle en a déduit que la condition d’urgence particulière à laquelle est subordonnée l’intervention du juge des référés statuant sur le fondement des dispositions de l’article L.521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT n’était pas remplie.
En conséquence et sans se prononcer sur la condition tenant à l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale qui aurait été portée par l’administration, la juge des référés a rejeté les deux requêtes (TA Paris, 11 septembre 2023, n° 2320633 N° Lexbase : A33421GU et n° 2320676 N° Lexbase : A35121G8).
Confirmation CE. La Haute juridiction reprend l’argumentaire du tribunal administratif sur la résiliation pour confirmer l’ordonnance attaquée. Elle indique que, si les requérants font valoir qu’ils ont introduit une requête aux fins d’être autorisés à assigner la société productrice en référé d’heure à heure devant le président du tribunal de commerce de Paris, ils ne font état d’aucune décision du juge judiciaire qui serait intervenue à la date du 12 septembre 2023.
La décision de résiliation continue donc de faire obstacle à la tenue du spectacle, indépendamment de la mesure de sauvegarde sollicitée consistant en la suspension de l’exécution de l’interdiction préfectorale.
Décision. La demande d’annulation de l’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Paris le 11 septembre 2023 est donc annulée.
À ce sujet. Lire G. Devers, La décision « Dieudonné » : ce qui reste de la liberté d'expression quand on supprime la responsabilité, Lexbase Public, janvier 2014, n° 315 N° Lexbase : N0280BUW. |
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Réf. : Cass. civ. 2, 14 septembre 2023, n° 20-18.169, F-B N° Lexbase : A57261G8
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N6785BZC
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 27 Septembre 2023
► Lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit l'annulation de cette décision ; dès lors, la cour d’appel saisie par voie de conclusions d'une demande d'annulation de l'ordonnance d'un juge-commissaire, alors que la déclaration d'appel visait l'ensemble des chefs de dispositif de l'ordonnance critiquée, n’excède pas ses pouvoirs en statuant sur la demande d'annulation de l'ordonnance figurant dans les conclusions de l'appelant.
Faits et procédure. Dans cette affaire, la société Hoche a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 7 juin et 21 décembre 2017, et une société a été nommée en qualité de mandataire, puis de liquidateur judiciaire.
Par lettres des 7 juillet et 22 août 2017, une banque a déclaré des créances au titre d'un solde débiteur de compte courant et d'un prêt. La société Hoche a contesté cette déclaration.
Par ordonnance du 5 décembre 2018, un juge-commissaire a admis la créance de prêt pour un certain montant à titre privilégié. Par une autre ordonnance du même jour, il a admis la créance de solde débiteur du compte courant et de frais accessoires, à un certain montant, à titre chirographaire.
La société Hoche a interjeté appel de la première ordonnance par déclaration du 18 décembre 2018 tendant à sa réformation et visant l'unique chef de dispositif critiqué.
Le pourvoi. La banque fait grief à l'arrêt (CA Paris, 5, 8, 10 mars 2020, n° 18/28341 N° Lexbase : A49673IS) d’avoir annulé l’ordonnance déférée, et d’avoir statué sur le fond par l’effet dévolutif de l’appel, de n’admettre sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société au titre du prêt, qu’à titre chirographaire et de la débouter de sa demande d'admission des intérêts à échoir et de l'indemnité d'exigibilité anticipée. En l’espèce, la cour d’appel a relevé qu'elle était saisie par voie de conclusions d'une demande d'annulation de l'ordonnance d'un juge-commissaire et que la déclaration d'appel visait l'ensemble des chefs de dispositif de l'ordonnance critiquée.
Solution. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel et rejette le pourvoi. Elle estime que la cour d'appel n'a pas excédé ses pouvoirs en statuant sur la demande d'annulation de l'ordonnance figurant dans les conclusions de l'appelant.
La Haute juridiction :
- en premier lieu, rappelle que la déclaration d'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement critiqués expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, conformément des articles 562 N° Lexbase : L7233LEM et 901, 4° N° Lexbase : L5914MBN du Code de procédure civile ;
- en second lieu, relève que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation, en vertu des articles 542 N° Lexbase : L7230LEI et 954 N° Lexbase : L7253LED du Code de procédure civile.
Dès lors, la Cour conclut que la déclaration d'appel qui mentionne les chefs de dispositif du jugement critiqués délimite l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel quand les conclusions, par l'énoncé dans leur dispositif, de la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déterminent, quant à elles, la finalité de l'appel, qui tend à l'annulation ou à la réformation du jugement, dans les limites de la dévolution opérée par la déclaration d'appel.
Enfin, il en découle que lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit l'annulation de cette décision.
Elle déclare non fondé le moyen soulevé par la banque.
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 5 juillet 2023, n° 470936, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A375398I
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N6756BZA
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par Marie-Claire Sgarra
Le 20 Septembre 2023
► Un joueur de poker professionnel ne peut, au titre des années 2013 et suivantes, invoquer une erreur légitime qui lui permettrait d’échapper à la majoration prévue en cas de découverte d’une activité occulte. En effet, cette obligation déclarative ressort, depuis fin 2012, tant de plusieurs décisions définitives des juges du fond que des commentaires administratifs de l’administration fiscale.
Les faits. À l'issue de deux vérifications de comptabilité de son activité de joueur de poker professionnel, le requérant a été assujetti, à raison des bénéfices tirés de cette activité, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu une majoration pour activité occulte et des amendes.
Procédure. Le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande du requérant tendant à la décharge de ces impositions, pénalités et amendes. La cour administrative d'appel de Nantes l'a déchargé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, ainsi que de la majoration pour activité occulte correspondante, auquel il a été assujetti au titre de l'année 2016, ainsi que de la majoration pour activité occulte infligée au titre des années 2013 à 2015 (CAA Nantes, 9 décembre 2022, n° 21NT00480 N° Lexbase : A10638YZ).
Rappel.. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de 80 % en cas de découverte d'une activité occulte (CGI, art. 1728 N° Lexbase : L1445MDU).
Que dit la cour administrative d’appel ? Un contribuable qui a été mis en demeure de déposer ses déclarations d’impôt sur le revenu et n’y a pas donné suite ne peut invoquer une erreur légitime pour échapper à la procédure de taxation d’office mais peut, en revanche, invoquer une telle erreur à l’appui d’une demande de décharge de la majoration pour activité occulte. Pour les joueurs réguliers de poker, peut être invoquée au moins jusqu’en 2015 l’erreur légitime consistant à ne pas avoir déclaré à l’impôt sur le revenu les gains issus du jeu de poker au motif qu’il ne s’agit pas d’une occupation lucrative dont les gains seraient imposables.
Solution du Conseil d’État. Il résulte des dispositions de l’article 1728 du CGI précité que, dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.
Application en l’espèce. Le requérant ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalité des entreprises ou d'un greffe de tribunal de commerce et n'a pas déposé de déclaration de revenus au titre de l'activité de joueur de poker qu'il a exercée au cours des années 2013 à 2015.
Pour juger qu’un tel manquement déclaratif devait être regardé comme procédant d'une erreur de nature à justifier que le requérant ne se soit pas acquitté de ses obligations, la cour administrative d'appel s'est fondée notamment sur ce que ce n'est que postérieurement aux années 2013 à 2015 en litige que la jurisprudence et l'administration fiscale avaient expressément estimé que les gains réalisés au poker étaient, dans certaines conditions, imposables à l'impôt sur le revenu.
En statuant ainsi, alors que, quand bien même le Conseil d'État ne s'est lui-même prononcé sur la question du caractère imposable de tels revenus qu'en 2018 (CE 9° et 10° ch.-r., 21 juin 2018, n° 412124, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8764XTR), l'existence de l'obligation déclarative ressortait, depuis fin 2012, tant de plusieurs décisions définitives des juges du fond que des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-BNC-CHAMP-10-30-40, la cour a commis une erreur de droit.
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Réf. : Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-12.970, F-B N° Lexbase : A47981GS
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N6789BZH
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par Charlotte Moronval
Le 20 Septembre 2023
► Lorsque l'avis d'inaptitude du médecin du travail mentionne que tout maintien du salarié dans un emploi dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, l’employeur reste tenu de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les représentants du personnel.
Faits et procédure. Un salarié est déclaré inapte suivant un avis du médecin du travail, rédigé en ces termes :
« Inapte. Étude de poste, étude des conditions de travail et échanges entre le médecin du travail et l'employeur réalisés le 16 août 2017. Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».
Pensant être exempté de son obligation de reclassement et de consultation des représentations du personnel, l’employeur licencie le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le salarié saisit la juridiction prud'homale pour contester son licenciement.
La cour d’appel (CA Amiens, 6 janvier 2022, n° 20/06131 N° Lexbase : A62417HM) accède à sa demande et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle constate notamment que l'avis d'inaptitude du médecin du travail mentionne que « tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » et non pas que « tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à santé ».
L’employeur forme un pourvoi en cassation.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation approuve le raisonnement des juges du fond.
Rappel. Il résulte de l'article L. 1226-2-1 du Code du travail N° Lexbase : L6778K9W, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. |
En l’espèce, l'employeur aurait dû réaliser des recherches de reclassement et consulter les représentants du personnel.
Pour aller plus loin :
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newsid:486789
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N6759BZD
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par Jean-Félix Delile, Maître de conférences HDR en droit public à la faculté de droit de Nancy et Baïna Ubusheieva, docteur en droit public
Le 20 Septembre 2023
Cette chronique traite une sélection d’arrêts prononcés par la Cour de justice de l’Union européenne au cours du premier semestre 2023. Deux d’entre eux concernent le droit de l’environnement. Dans l’arrêt « JP », la Cour a ainsi décliné la possibilité d’engager un recours en responsabilité extracontractuelle d’un État membre sur le fondement de la Directive « qualité de l’air », tandis que l’arrêt « Repasi » du Tribunal a donné lieu à un rejet d’un recours en annulation introduit par un parlementaire européen contre l’inclusion par la Commission des énergies gazière et nucléaire dans la taxonomie carbone. Dans le champ du droit des relations externes de l’Union, l’arrêt « Espagne c/ Commission » a offert à la Cour la possibilité de proposer une définition de la notion de pays inspirée du droit international, lui permettant de qualifier le Kosovo comme tel. Enfin, dans l’arrêt « Commission c/ Pologne », la Cour a confirmé qu’un conflit entre l’identité d’un État membre et celle de l’Union européenne doit être résolu au profit de la sauvegarde de la seconde.
Sommaire
I. Le Kosovo est un pays, au sens du droit de l’Union européenne
CJUE, 17 janvier 2023, aff. C-632/20 P, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne (accord avec le Kosovo
CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-61/21, JP c/ ministère de la Transition écologique
CJUE, 5 juin 2023, aff. C-204/21, Commission c/ Pologne, indépendance et vie privée des juges
TribUE, 21 juin 2023, Repasi c/ Commission, T-628/22
I. Le Kosovo est un pays, au sens du droit de l’Union européenne (CJUE, 17 janvier 2023, aff. C-632/20 P, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne (accord avec le Kosovo) N° Lexbase : A169488A)
L’Union européenne est compétente pour conclure des accords internationaux avec des États tiers, mais également avec des acteurs non étatiques, tels que l’Organisation de libération de la Palestine, le Gouvernement de la région administrative spéciale de Hong Kong, ou encore la région administrative spéciale de Macao [1] . L’adoption de la décision relative à la participation de l’autorité de régulation du Kosovo à l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ci-après ORECE) [2] a toutefois été contestée par l’Espagne dans la mesure où la base juridique de celui-ci – le règlement 2018/1971 sur l’ORECE [13] – l’appréhendait comme un « pays tiers » [4]. L’Espagne a en effet soutenu que le Kosovo ne relève pas du champ d’application ratione personae de ce règlement, le Kosovo ne pouvant selon elle pas être qualifié de « pays ». En substance, la Commission européenne s’était fondée sur l’article 35, paragraphe 1, du Règlement 2018/1971, selon lequel l’ORECE peut coopérer « avec les autorités compétentes des pays tiers », pour adopter la décision relative à la participation du Kosovo à cet organe. Or, l’Espagne, qui n’a au demeurant pas reconnu le Kosovo comme État souverain, soutenait que le Kosovo ne saurait être qualifié de « pays », notion qu’elle considère équivalente à celle d’État en droit international public [5]. L’avocate générale Kokott a écarté cet argument en soulignant que l’examen systématique du droit international ne révèle pas d’identité de sens des deux notions. Elle a ainsi souligné à titre d’exemple que, selon l’article 2 des Articles sur l’accord relatif au Fonds monétaire international [6], l’adhésion est ouverte à certains « pays » [7] n’étant pas des États. Or, c’est précisément sur le fondement de cet article que l’adhésion de nombreux acteurs non étatiques, dont le Kosovo [8] , ont pu adhérer au FMI, en étant assimilés à des pays.
La Cour de justice a sur ce point suivi les conclusions de son avocate générale, sans pour autant reprendre son argumentaire. Plutôt que de procéder à un examen comparé de l’appréhension de la notion de pays dans différents instruments de droit international, la juridiction de l’Union a observé que la Cour internationale de justice a jugé dans son Avis relatif à la déclaration d’indépendance du Kosovo [9] que cette déclaration « n’a violé ni le droit international général, ni la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations unies, ni le cadre constitutionnel applicable » [10]. La Cour de justice a déduit de cette conclusion de l’Avis de 2010 que le Kosovo peut être assimilé à un pays, et donc entrer dans le champ d’application de l’article 35, paragraphe 1 du Règlement 2018/1971, sans contrevenir au droit international [11]. Il peut à ce stade être déploré que la Cour de justice n’ait pas pris soin d’expliciter les raisons pour lesquelles elle a accordé in casu une telle importance à cet Avis, dans la mesure où ce dernier statue uniquement sur la licéité de la déclaration d’indépendance, et n’aborde nullement le sujet de la nature juridique du sujet de droit international qui en est le produit [12] . Un raisonnement comparatiste, tel que celui proposé par Julianne Kokott, aurait à cet égard conféré davantage de clarté à la motivation de l’arrêt de la Cour de justice qui demeure à ce sujet perfectible.
Il est du reste précisé que le développement par la Commission de coopérations avec le Kosovo, appréhendé comme pays tiers, n’est « pas de nature à affecter les positions individuelles des États membres quant au point de savoir si le Kosovo a la qualité d’État indépendant réclamée par ses autorités » [13]. Cet obiter dictum était destiné à apaiser les craintes de l’Espagne quant au fait de se trouver à terme contrainte de reconnaître le Kosovo en tant qu’État. En somme, cet arrêt a permis à la Cour d’attribuer un périmètre étendu à la notion de « pays » qui, interprétée à la lumière du droit international général, est envisagée de manière bien plus extensive que celle d’État.
Jean-Félix Delile
II. La Directive 2008/50/CE sur la qualité de l’air ne peut pas être utilement invoquée dans le cadre d’une action en responsabilité introduite contre un État membre (CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-61/21, JP c/ ministère de la Transition écologique N° Lexbase : A556884Y, ECLI:EU:C:2022:1015)
L’affaire « JP » a donné l’occasion à la Cour de préciser les contours de la notion de « droit dont la violation est susceptible d’engager la responsabilité d’un État membre ». Le requérant au principal a en effet introduit un recours en responsabilité extracontractuelle contre la France sur le fondement de la Directive 2008/50/CE « qualité de l’air » [14] au motif que la violation de celle-ci en agglomération parisienne lui a causé un préjudice constitué par la dégradation de son état de santé. Dans ce contexte, la cour administrative d’appel de Versailles a appelé la Cour de justice à déterminer si les articles 13 et 23 de la Directive « qualité de l’air » attribuent aux particuliers des droits dont la violation est susceptible de fonder l’engagement de la responsabilité de l’État français. Au terme de ces dispositions, les États membres s’engagent à ne pas dépasser dans certaines agglomérations certains seuils déterminés de concentration de différentes substances polluantes dans l’air ambiant (article 13) [15], et à adopter des plans de réduction en cas de dépassement (article 23). La Cour en réponse a rappelé les trois conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’État : la règle du droit de l’Union violée doit avoir pour objet de leur conférer des droits, la violation de cette règle doit être suffisamment caractérisée et il doit exister un lien de causalité direct entre cette violation et le dommage subi par ces particuliers (pt. 44). La violation d’une règle de droit de l’Union non créatrice de droit individuel par un État membre est donc insusceptible de constituer la cause de l’engagement de sa responsabilité (pt. 45). L’attribution d’un droit individuel par une disposition de droit de l’Union européenne ne doit pas être nécessairement être explicite pour être reconnue par la Cour qui admet que celle-ci puisse résulter d’une obligation imposée aux institutions de l’Union ou aux États membres [16]. La Cour a ainsi formulé son approche de la théorie du parallélisme des droits et obligations : « [l]a violation de telles obligations positives ou négatives, par un État membre, est susceptible d’entraver l’exercice, par les particuliers concernés, des droits qui leur sont implicitement conférés en vertu des dispositions du droit de l’Union concernées » (pt. 47). Elle a du reste rappelé que l’effet direct d’une disposition de droit de l’Union européenne n’est ni nécessaire, ni suffisant, pour affirmer que celle-ci est attributive de droits individuels, confirmant de la sorte la distinction de ces deux propriétés potentiellement revêtues par les règles de droit de l’Union européenne.
Il convenait dès lors d’analyser les articles 13 et 23 de la Directive 2008/50/CE afin de déterminer si celles-ci étaient ou non créatrices de droit. La Cour a relevé à cet égard que ces dispositions « prévoient […] des obligations assez claires et précises quant au résultat que les États membres doivent veiller à assurer » (pt. 54). Il en résulte que celles-ci répondent aux critères requis pour reconnaître un effet direct aux règles de droit de l’Union européenne. Pour autant, comme cela vient d’être dit, cela ne permet de déduire ipso jure que cette règle est créatrice de droit. En effet, pour se prononcer sur cette question, la Cour de justice a opéré une interprétation systématique de ces dispositions de la Directive 2008/50 /CE, en les éclairant à la lumière de son préambule. Il a en effet été souligné que selon son considérant 2, « ces obligations poursuivent […] un objectif général de protection de la santé humaine et de l’environnement dans son ensemble » (pt. 55). La juridiction de l’Union a alors immédiatement poursuivi en jugeant que « les obligations prévues à ces dispositions, dans l’objectif général susmentionné, ne permettent pas de considérer que des particuliers ou des catégories de particuliers se seraient, en l’occurrence, implicitement vu conférer, à raison de ces obligations, des droits individuels dont la violation serait susceptible d’engager la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers » (pt. 56).
La motivation apparaît ici quelque peu hâtive, de sorte que ce raisonnement peut laisser, dans une certaine mesure, circonspect. En effet, les articles 13 et 23 de la Directive 2008/50/CE créent un cadre favorable à la mise en œuvre de la théorie du parallélisme des droits et obligations. Pour autant, celle-ci est neutralisée au moyen d’une référence à l’objectif général de protection de la santé et de l’environnement poursuivi de la directive. Il eut à ce propos été bienvenu de préciser en quoi l’affectation d’un tel objectif à un acte de droit dérivé exclut que les dispositions véhiculent des droits individuels. Il convient à cet égard de rappeler que différents actes de droit dérivé dont certaines dispositions ont été jugées attributives de droit poursuivaient dans leur globalité un objectif d’intérêt général. Par exemple, dans l’affaire « Francovich », la Directive 80/987/CE [17] avait ainsi une finalité d’intérêt général : la protection des travailleurs, ce qui n’a pas remis en cause l’aptitude de ses dispositions à engendrer des droits au bénéfice des particuliers. Le raisonnement de la Cour aurait ainsi tiré profit de quelques précisions au sujet de la singularité de l’objectif de protection de l’environnement qui met in casu en échec la mise en œuvre du système d’engagement de la responsabilité des États membres sur le fondement de la Directive 2008/50/CE. La Cour a en effet jugé que « la première des trois conditions [susmentionnée], conditions qui sont cumulatives, n’est pas satisfaite » (pt. 57), ce qui exclut l’indemnisation du préjudice prétendument subi par la requérant au principal en raison de la violation alléguée de la Directive 2008/50/CE. En tant que personne directement concernée par un risque de dépassement des valeurs limites susmentionnées, le requérant au principal se voit ainsi seulement reconnu la capacité de réclamer, au besoin devant les juridictions françaises, l’établissement d’un plan d’action susceptible de mettre un terme au dépassement de ces seuils (pts. 59-60). La responsabilité de l’État français ne sera donc pas engagée en raison du non-respect de la Directive 2008/50/CE en agglomération parisienne.
Jean-Félix Delile
III. Le respect de l’État de droit et du principe de primauté est une obligation indérogeable en droit de l’Union européenne (CJUE, 5 juin 2023, aff. C-204/21, Commission c/ Pologne, indépendance et vie privée des juges N° Lexbase : A18919YP, ECLI:EU:C:2023:442)
Le 5 juin 2023, la Cour de justice a prononcé en grande chambre un important et volumineux [18] arrêt de manquement constatant la violation par la Pologne de l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE N° Lexbase : L2119IP8, de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux N° Lexbase : L0230LGM, relatifs au droit à la protection juridictionnelle effective, ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union. La loi du 20 décembre 2019, relative à l’organisation de la justice en Pologne, a investi une chambre disciplinaire non indépendante inféodée au gouvernement polonais du pouvoir d’adopter des décisions ayant des incidences directes sur le statut et l’exercice de leurs fonctions par les magistrats polonais. Ce pouvoir est notamment exploité pour dissuader ces magistrats de contrôler la conformité de l’organisation de la justice polonaise aux exigences de l’État de droit dont l’indépendance de la justice est une composante et d’adresser des questions préjudicielles à la Cour de justice à ce sujet. Les justiciables polonais se trouvent dès lors dans l’incapacité d’obtenir l’assurance que la garantie de leurs droits issus du droit de l’Union est assurée par des juridictions indépendantes. Ces considérations avaient donné lieu à l’adoption d’une ordonnance du vice-président de la Cour enjoignant la Pologne de payer 1 million d’euros par jour tant qu’il ne serait pas mis un terme à ces violations du droit de l’Union puisant leur source dans la loi du 20 décembre 2019. Cette astreinte, réduite à 500 000 euros par ordonnance du vice-président le 21 avril 2023, n’a toutefois pas été suivie d’effet. En constatant définitivement les manquements précités, le présent arrêt met un terme à l’obligation de verser cette astreinte.
Dans ses points dédiés à la compétence de la Cour de justice, le présent arrêt comporte des développements intéressants sur l’État de droit et l’indépendance de la justice et sur la primauté du droit de l’Union. La problématique de la confrontation entre l’identité d’un État membre et l’identité de l’Union européenne elle-même est en effet abordée pour la première fois de manière très explicite. Dans son mémoire en défense, la Pologne se prévalait en effet de l’obligation pesant sur l’Union au titre de l’article 4, paragraphe 2 TUE N° Lexbase : L2141IPY, de respecter l’identité nationale des États membres pour soutenir que la Pologne détient une compétence exclusive en matière d’organisation de la justice, appréhendée comme une composante de l’identité de cet État (pts. 60-61). En réponse, la Cour a rappelé, dans la lignée des arrêts « IS » [19], « RS » [20] et « Association des juges roumains » [21] que cette compétence doit être exercée dans le respect des articles 2 et 19 du TUE (pt. 63). Comme dans l’arrêt « Hongrie contre Parlement et Conseil » [22], la juridiction de l’Union a à cet égard relevé que l’article 2 du TUE N° Lexbase : L8419IN7 « ne constitue […] pas une simple énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique, mais contient des valeurs qui relèvent de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun, valeurs qui sont concrétisées dans des principes contenant des obligations juridiquement contraignantes pour les États membres » (pt. 67). Or l’obligation de garantir une protection juridictionnelle effective et l’indépendance de la justice véhiculée par l’article 19 du TUE concrétise la valeur de l’État de droit, entendue comme composante de l’identité de l’Union européenne (pt. 68). Le respect de celle-ci conditionne l’adhésion et la participation d’un État à celle-ci, de sorte que ce dernier ne saurait se prévaloir de son identité nationale pour se soustraire à l’obligation de s’y conformer (pt. 72). En somme, la Cour de justice a jugé qu’en cas d’antinomie entre certaines concrétisations juridiques de l’identité d’un État membre et de l’identité de l’Union européenne, le conflit se résout au profit des secondes. Du point de vue de la Cour, l’identité de l’Union constitue donc le noyau du droit de l’Union européenne auquel aucune norme étatique, même de nature identitaire, ne saurait porter atteinte. D’une certaine manière, il est entendu qu’un État membre ne saurait se revendiquer membre de l’Union en se désolidarisant des valeurs identitaires qui fondent et subordonnent l’adhésion à cette dernière.
Pour réaffirmer l’importance prépondérante du principe de primauté dans l’édification de l’ordre juridique de l’Union, la juridiction de l’Union a ensuite opéré un renvoi à l’arrêt « Costa » pour rappeler qu’un État membre ne peut en aucun cas priver une règle de droit primaire ou dérivé au motif que celle-ci porte atteinte à une règle étatique sans « faire perdre à ce droit son caractère communautaire » et « mettre en péril la réalisation des buts des traités » institutifs (pt. 75). En d’autres termes, le respect du principe de primauté est une condition existentielle du fonctionnement du droit de l’Union. En outre, il subordonne la confiance entre les États membres dans la mesure où il est « nécessaire pour assurer le respect de l’égalité des États membres devant les traités et constitue une expression du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE » (pt. 77). Il est ainsi souligné que la primauté est un principe relationnel, qui garantit aux États membres qu’aucun d’entre eux ne s’exonère de l’obligation de respecter les obligations qui pèsent sur chacun au titre du droit de l’Union. Enfin, il est relevé qu’en tant que principe de droit de l’Union européenne, l’interprétation de la portée du principe de primauté relève de la compétence exclusive de la Cour et ne peut donc être délimitée par une juridiction, fût-elle constitutionnelle, d’un État membre. De cette manière, la juridiction de l’Union rappelle l’invalidité de la décision de la Cour constitutionnelle polonaise du 7 octobre 2021, habilitant notamment cette dernière à contrôler la constitutionnalité des arrêts de la Cour de justice et, si elle le juge pertinent, à les déclarer inapplicables dans l’ordre juridique de cet État membre [23]. Dans ces considérants dédiés à sa compétence pour traiter le recours en manquement dont elle a été saisie, la Cour a ainsi rappelé à la Pologne l’indérogeabilité de deux principes existentiels du droit de l’Union : la primauté et l’État de droit.
Jean-Félix Delile
IV. Taxonomie européenne : le rejet du recours individuel formé par l’eurodéputé Repasi contre le règlement délégué reconnaissant les activités de production de gaz fossile et d’énergie nucléaire comme activités transitoires contribuant à la décarbonisation de l’UE (TribUE, 21 juin 2023, Repasi c/ Commission, T-628/22 N° Lexbase : A22261HW, ECLI:EU:T:2023:353)
Par une ordonnance du 21 juin 2023, le Tribunal de l’Union européenne (ci-après, le Tribunal) a rejeté le recours individuel formé par René Repasi, député européen du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, contre le Règlement délégué 2022/1214 du 9 mars 2022. Son recours s’inscrivait dans une tentative visant à préserver la prérogative du Parlement européen d’adopter des actes législatifs portant sur des éléments essentiels de la législation litigieuse. L’objectif de cette législation est d’atténuer les effets du changement climatique et de respecter les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par l’Accord de Paris.
Selon le député européen, en adoptant le règlement délégué en question, la Commission européenne (ci-après, la Commission) avait outrepassé son pouvoir d’adopter des actes délégués prévu par l’article 290 du TFUE N° Lexbase : L2607IPA, empiétant ainsi sur la compétence législative du Parlement européen.
Plus concrètement, le recours présenté par le député allemand devant le Tribunal visait à contester l’adoption du Règlement délégué 2022/1214 du 9 mars 2022 modifiant le Règlement délégué 2021/2139 en ce qui concerne les activités économiques exercées dans certains secteurs de l’énergie et le Règlement délégué 2021/2178 en ce qui concerne les informations à publier spécifiquement pour ces activités économiques. Ce Règlement délégué 2022/1214 venait ainsi compléter le Règlement 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le Règlement 2019/2088. Conformément à l’article 10, paragraphe 3, du Règlement 2020/852, la Commission était habilitée à adopter des actes délégués afin de compléter la liste des activités économiques ayant le potentiel de contribuer substantiellement à l’atténuation du changement climatique. L’élément litigieux, aux yeux du député allemand, résidait dans la reconnaissance, par le règlement délégué, des activités de production de gaz fossile et d’énergie nucléaire comme des activités transitoires ayant vocation à décarboner l’économie de l’Union et à contribuer à l’objectif d’atténuation du changement climatique.
La reconnaissance des activités de production de gaz fossile et d’énergie nucléaire en tant qu’activités transitoires pour une économie zéro émission de carbone cache un enjeu crucial de partage des compétences entre les institutions de l’Union. En effet, l’adoption d’un règlement délégué avait permis à la Commission d’éviter la procédure législative ordinaire, entraînant ainsi non seulement l’absence de débats démocratiques au sein du Parlement sur la question de la reconnaissance des activités de production de gaz fossile et d’énergie nucléaire, mais aussi la légitimité démocratique directe de cet acte. À l’heure d’une triple crise planétaire, comprenant les défis du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution, qui requièrent une réduction urgente et significative des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ainsi que la préservation de l’environnement, le choix opéré par la Commission de reconnaître les activités de production de gaz fossile et d’énergie nucléaire comme des activités contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique soulève des interrogations quant à sa crédibilité. Ce choix, contesté par ailleurs par d’autres requérants comme l’Autriche [24] et certaines organisations non-gouvernementales de protection de l’environnement [25], semble privilégier davantage la logique économique au détriment de la durabilité et des politiques d’atténuation du changement climatique, les piliers fondamentaux du Pacte vert pour l’Europe.
L’affaire portée devant le Tribunal par l’eurodéputé Repasi présente un intérêt particulier dans la mesure où celui-ci affirme qu’en agissant en capacité de membre du Parlement européen, il a la qualité pour agir afin de défendre la compétence législative du Parlement européen et d’assurer le maintien de l’équilibre institutionnel en veillant au respect de la répartition des compétences. Il soutient que sa qualité de membre du Parlement européen lui octroie plusieurs droits confortant son recours individuel devant le Tribunal, dont les droits de vote et d’initiative, un droit à participer à une procédure législative régulière, des droits procéduraux au respect des dispositions en matière de compétence de procédure, ainsi qu’un droit à défendre les attributions démocratiques du Parlement. Selon le député allemand, sa qualité pour agir est justifiée par le fait qu’il est directement et individuellement affecté par le règlement délégué en question, il ne revendique donc de son point de vue aucunement un droit à l’actio popularis.
La Commission, en revanche, soutient que le requérant n’est pas individuellement et directement concerné par le règlement délégué litigieux. À l’appui de sa position, la Commission, avait invoqué plusieurs arguments en faisant valoir que la reconnaissance du droit de recours au requérant est contraire à l’équilibre institutionnel, au principe démocratique de l’adoption des décisions à la majorité et à l’exclusion des actio popularis. De même, selon la Commission, le principe du droit à une protection juridictionnelle effective et le respect des traditions constitutionnelles communes ne peuvent justifier la reconnaissance d’un droit de recours au profit du requérant.
Pour résoudre le litige en question, le Tribunal n’a pas proposé une analyse approfondie des arguments des parties, en restant succinct dans son raisonnement. Il a d’abord examiné les conditions de l’octroi de la qualité pour agir aux personnes physiques ou morales contre un acte dont elles ne sont pas destinataires, telles que prévues par l’article 263 TFUE N° Lexbase : L2577IP7. À cet égard, le Tribunal a rappelé que le requérant n’était pas affecté de manière « directe et individuelle » par le règlement délégué en cause dans la mesure où une prétendue atteinte à la compétence législative du Parlement ne peut influencer la situation du membre du Parlement européen que de manière indirecte. Le Tribunal a du reste refusé d’appliquer sa jurisprudence concernant les mesures d’organisation internes du Parlement ayant pour effet d’affecter directement ses membres.
Selon le Tribunal, pour garantir le respect de la répartition des compétences institutionnelles visé par le député allemand, les traités ont prévu l’article 263 TFUE octroyant au Parlement européen le recours en annulation contre les actes de l’Union. Adopter une perspective différente reviendrait à attribuer aux membres individuels du Parlement un droit de recours spécifique distinct de celui énoncé dans l’article 263 TFUE. Or, une telle compétence n’est pas explicitement attribuée par les traités fondateurs de l’UE aux membres du Parlement. En conséquence, le rejet du Tribunal n'est pas surprenant car celui-ci n’a pas de compétence pour créer de nouvelles modalités de recours non prévues par les traités.
Bien que ce raisonnement juridique suivi par le Tribunal soit compréhensible du point de vue des compétences attribuées par les Traités, la reconnaissance par la Commission des activités de production de gaz fossile et d’énergie nucléaire en tant qu’activités (même transitoires) contribuant aux objectifs ambitieux et nécessaires du Pacte Vert pour l’Europe, i.e. l’atténuation du changement climatique et la protection de l’environnement, demeure le sujet de vives controverses. À en croire le tweet de l’eurodéputé Repasi du 21 juin 2023, le jeu n’est toutefois pas terminé, car il envisage de faire appel de cette décision du Tribunal. L’affaire reste donc à suivre...
Baïna Ubusheieva
[1] TribUE, 23 septembre 2020, aff. T-370/19, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne (accord UE-Kosovo) N° Lexbase : A71943UY, ECLI:EU:T:2020:440, pt. 31.
[2] Décision de la Commission du 18 mars 2019 relative à la participation de l’autorité de régulation nationale du Kosovo à l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques, JO 2019, C 115, p. 26, ci-après la « décision litigieuse ».
[3] Règlement (UE) n° 2018/1971 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, établissant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques et l’Agence de soutien à l’ORECE, modifiant le Règlement (UE) 2015/2120 et abrogeant le Règlement (CE) n°1211/2009 N° Lexbase : L4476LN4, JO 2018, L 321, p. 1.
[4] Ibid ; pourvoi : CJUE, 17 janvier 2023, aff. C-632/20 P, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne (accord avec le Kosovo), ECLI:EU:C:2023:28.
[5] Selon l’Espagne, les deux notions sont équivalentes, « bien qu’elles répondent à un degré de formalité juridique différent » : CJUE, 17 janvier 2023, aff. C-632/20 P, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne, préc., pt. 34.
[6] Articles sur l’accord relatif au Fonds monétaire international, adopté par la Conférence économique et monétaire des Nations-Unies, à Bretton Woods, le 22 juillet 1944, amendé le 26 janvier 2016 par les modifications approuvées par le Conseil des gouverneurs dans la Résolution n°66/2, adoptée le 15 décembre 2010.
[7] Sont ainsi mentionnés, outre le Kosovo, la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine, la région administrative spéciale de Macao de la République populaire de Chine, et les territoires d’outre-mer britanniques Anguilla et Montserrat : Julianne Kokott, 16 juin 2022, Conclusions sous CJUE, 17 janvier 2023, aff. C-632/20 P, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne, ECLI:EU:C:2022:473, pts. 84.
[8] Communiqué de presse n° 9/240 du FMI du 29 juin 2009, Kosovo Becomes the International Monetary Fund’s 186th Member.
[9] CIJ, 22 juillet 2010, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, Rec. CIJ, 2010, p. 403.
[10] CJUE, 17 janvier 2023, aff. C-632/20 P, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne, préc., pt. 51 ; CIJ, 22 juillet 2010, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, préc., § 122.
[11] CJUE, 17 janvier 2023, aff. C-632/20 P, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne, préc., pt. 53.
[12] Le terme de « pays » n’est pas même employé au sujet du Kosovo dans l’Avis de la Cour internationale de justice. Dans l’ensemble, les organes de Nations-Unies conservent une attitude de neutralité quant au statut du Kosovo (voy. Avis du Secrétariat des Nations-Unies du 24 novembre 2010, AJNU, 2010, pp. 517-518).
[13] Ibid., pt. 52.
[14] Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe N° Lexbase : L9078H3M, JO 2008, L 152, p. 1.
[15] Les substances concernées sont l’anhydride sulfureux, le plomb, le monoxyde de carbone, le dioxyde d’azote et le benzène.
[16] Voy. en ce sens, CJCE, 5 février 1963, aff. 26/62, van Gend & Loos N° Lexbase : A5742AU9, EU:C:1963:1 ; CJCE, 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90, Francovich N° Lexbase : A5783AYT, EU:C:1991:428, pt. 31 ; CJUE, 11 novembre 2021, aff. C-819/19, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands N° Lexbase : A76077BD, EU:C:2021:904, pt. 47.
[17] Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur N° Lexbase : L9435AUY, JO L 283, 28 octobre 1980, pp. 23-27.
[18] 386 points.
[19] CJUE, 23 novembre 2021, aff. C-564/19, IS N° Lexbase : A61297CY, ECLI:EU:C:2021:949.
[20] CJUE, 22 février 2022, aff. C-430/21 [RS] N° Lexbase : A75257NZ, EU:C:2022:99, (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle).
[21] CJUE, 18 mai 2021, aff. C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România N° Lexbase : A95444RW, EU:C:2021:393.
[22] CJUE, 16 février 2022, aff. C-156/21, Hongrie c/ Parlement et Conseil N° Lexbase : A31347NE, EU:C:2022:97, pt. 232.
[23] Cour constitutionnelle polonaise, 7 octobre 2021, K 3/21.
[24] Austria to take EU to court over 'greenwashing' of gas and nuclear, Euronews, 13 juillet 2022.
[25] Selon le site du WWF, les organisations non-gouvernementales telles que ClientEarth, WWF’s European Policy Office, Transport& Environment (T&E), et BUND (Les Amis de la Terre Allemagne) ont saisi la Cour de Justice de l’UE.
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Réf. : Cass. civ. 3, 14 septembre 2023, n° 22-13.209, FS-B N° Lexbase : A57321GE
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 20 Septembre 2023
► Dans le cadre de la résolution d’un contrat de vente en viager, dont la clause résolutoire prévoit qu'en cas de résolution du contrat, seuls les arrérages versés et les embellissements et améliorations apportés au bien demeuraient acquis au vendeur, le débirentier :
- a droit à la restitution du « bouquet » correspondant à la part du prix payée comptant lors de la signature du contrat ;
- ne peut être condamné au paiement des arrérages échus et impayés au jour de la résolution, seuls les arrérages versés demeurant acquis au vendeur.
Faits et procédure. En l’espèce, par acte authentique du 6 janvier 1992, une maison d’habitation a été vendue moyennant le prix d'un million de francs payé comptant à hauteur de 440 000 francs, le solde ayant été converti en rente viagère d'un montant mensuel de 4 300 francs.
La rente n'ayant plus été payée régulièrement, par convention en date du 25 janvier 2012, les parties ont convenu que les vendeurs s'engageaient à renoncer au paiement de la rente contre paiement de la somme de 50 000 euros si le bien immobilier, mis en vente par l’acquéreur, faisait l'objet d'un acte définitif de vente avant un délai de six mois à compter du jour de la signature (cette somme étant revue à la baisse, si la vente intervenait plus tardivement).
Le bien n'a pas été vendu.
Le service de la rente ayant cessé à compter du mois d'août 2015, les vendeurs ont assigné le débirentier en résolution de la vente, paiement des arrérages impayés et expulsion.
Décision CA. La cour d’appel de Pau (CA Pau, 23-11-2021, n° 18/03414 N° Lexbase : A69617CS) a liquidé la créance des vendeurs à la somme de 28 495 euros, après avoir retenu que la rente ayant continué à courir jusqu'à l'acquisition de la clause résolutoire, l’acquéreur devait être condamné à payer aux vendeurs la somme de 830 euros par mois depuis le mois d'août 2015 jusqu'à la prise d'effet du commandement visant la clause résolutoire, somme à laquelle il fallait ajouter les indemnités d'occupation dues jusqu'à la libération des lieux et retrancher les arrérages versés de janvier 2012 à août 2015.
L’acquéreur a formé un pourvoi reprochant à la cour :
Cassation. Les arguments trouvent écho auprès de la Haute juridiction, qui censure la décision au visa des articles 1134 N° Lexbase : L1234ABC et 1183 N° Lexbase : L1285AB9 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Pour rappel, le premier prévoit que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Il résulte du second que la condition résolutoire entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat ainsi que des restitutions réciproques qui en constituent des conséquences légales.
On relèvera qu’il est fréquent que la clause résolutoire prévoit que le vendeur n’aura pas à rembourser à l’acquéreur les sommes versées au titre de la rente viagère antérieurement à l’annulation de la vente, ni le montant du bouquet.
Mais tel n’était pas le cas en l’espèce, et c’est bien pour cela que la Haute juridiction renvoie à l’article 1134 relatif à la force obligatoire du contrat.
La Haute juridiction reproche en effet à la cour d’avoir statué ainsi, sans ordonner la restitution du « bouquet » correspondant à la part du prix payée comptant lors de la signature du contrat et en incluant dans son calcul le paiement des arrérages échus et impayés au jour de la résolution, après avoir constaté, par motifs adoptés, que la clause résolutoire prévoyait qu'en cas de résolution du contrat, seuls les arrérages versés et les embellissements et améliorations apportés au bien demeuraient acquis au vendeur.
Pour en aller ainsi, encore fallait-il que la cour retienne que le « bouquet » et les arrérages échus et impayés étaient laissés au vendeur à titre de dommages-intérêts, ce qu’elle n’avait pas fait.
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