Réf. : Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360, F-B N° Lexbase : A166878B
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N2048BZU
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par Adélaïde Léon
Le 27 Juillet 2022
► En cas de poursuites concomitantes, le principe ne bis in idem n’interdit le cumul de qualification lors de la déclaration de culpabilité que lorsque les infractions retenues répriment des faits identiques ;
Les faits réprimés par les infractions de fraude fiscale par dissimulation et d’omission d’écriture en comptabilité sont nécessairement distincts puisque le Code général des impôts les sanctionne respectivement dans deux articles différents (CGI, art. 1741 et 1743).
Rappel des faits. Les faits concernent une société exploitant un centre de diagnostic et d’imagerie médicale et ayant pour cogérants plusieurs médecins radiologues. Sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, la direction départementale des finances publiques a adressé au procureur de la République une plainte visant ces cogérants du chef de fraude fiscale et omission d’écritures en comptabilité.
À l’issue d’une enquête préliminaire, les cogérants ont été convoqués devant le tribunal correctionnel pour s’être, en leur qualité de gérant de droit de la société frauduleusement soustrait à l’établissement ou au paiement de l’impôt sur les sociétés dû au titre des années fiscales 2010, 2011, 2012 en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l’impôt, en l’espèce en ayant souscrit des déclarations de résultat minorées, avec les circonstances que les dissimulations opérées excèdent le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.
Les intéressés étaient également renvoyés pour avoir, en leur qualité de cogérants, sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires au titre de l’exercice clos au 31 mars 2010, 2011 et 2012.
Le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus.
Le procureur de la République et la direction départementale des finances publiques ont formé appel de cette décision.
En cause d’appel. La cour d’appel a, pour fraude fiscale et omission d’écriture en comptabilité, condamné deux cogérants, l’un à huit mois d’emprisonnement avec sursis et 7 500 euros d’amende, le second à six mois d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende.
Les juges d’appel ont écarté le moyen pris de la méconnaissance du principe ne bis in idem aux motifs :
Les prévenus ont formé des pourvois contre l’arrêt d’appel.
Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir méconnu le principe ne bis in idem en déclarant les deux cogérants coupables de soustraction à l'établissement ou au paiement de l'impôt par dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt et d'omission de passer des écritures comptables. Selon les prévenus, la cour d’appel s’était livrée à une double déclaration de culpabilité pour des faits procédant de manière indissociable d’une action unique consistant à ne pas avoir enregistré en comptabilité les recettes provenant des forfaits techniques scanners caractérisée par une seule intention coupable.
Décision. La Chambre criminelle rejette les pourvois estimant que la cour d’appel n’a pas méconnu le principe ne bis in idem.
Elle rappelle qu’en cas de poursuites concomitantes, ledit principe n’interdit le cumul de qualification lors de la déclaration de culpabilité que lorsque les infractions retenues répriment des faits identiques (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B N° Lexbase : A17417GL).
La Cour ajoute que les faits réprimés par les deux infractions retenues en l’espèce (fraude fiscale par dissimulation et délit d’omission d’écriture en comptabilité) sont nécessairement distincts puisque le Code général des impôts (CGI) les sanctionne respectivement dans deux articles différents :
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. civ. 2, 16 juin 2022, n° 20-21.473, FS-B N° Lexbase : A482677U
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N1903BZI
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par Marie Le Guerroué
Le 30 Juin 2022
► Il résulte des articles 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 que si l'avocat ne peut réclamer un honoraire de résultat que lorsqu'il a été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, une convention d'honoraires peut prévoir les modalités de sa rémunération en cas de dessaisissement avant l'obtention d'une telle décision ; il appartient alors au juge de l'honoraire de rechercher si l'avocat a contribué au résultat obtenu et de réduire cet honoraire s'il présente un caractère exagéré au regard du résultat obtenu ou du service rendu
Faits et procédure. Un client avait confié la défense de ses intérêts dans un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice corporel à un avocat. Une convention d'honoraires avait été conclue et prévoyait un honoraire de résultat, notamment en cas de dessaisissement. Le client débouté de sa demande en première instance, avait confié à un autre avocat le soin de former appel et de suivre l'instance d'appel, au terme de laquelle il avait obtenu la condamnation du défendeur à lui verser une certaine somme en réparation de son préjudice. Le premier avocat avait saisi le Bâtonnier de son Ordre d'une demande en fixation d'honoraires.
Ordonnance. Pour fixer l'honoraire complémentaire au regard du résultat obtenu en appel, l'ordonnance rendue par le premier président de la cour d'appel de Toulouse relève qu'aux termes de la convention d'honoraires, « dans l'hypothèse où [le client] viendrait à retirer son dossier à [l’avocat] pour une raison quelconque à l'issue de la procédure de première instance clôturée par un jugement frappé d'appel, jugement assorti en tout ou partie de l'exécution provisoire, ou à n'importe quel moment de la procédure, [l’avocat] est autorisé à conserver sur son compte CARPA la moitié de l'honoraire complémentaire défini aux présentes jusqu'à ce qu'intervienne la décision au second degré » et que la convention ajoute que « dans la même hypothèse, mais en présence d'un jugement non assorti de l'exécution provisoire et en cas de décision favorable rendue par la cour d'appel, [l’avocat] sera également en droit de percevoir la moitié de l'honoraire complémentaire ». L'ordonnance relève encore que, bien qu'en première instance la décision ait été défavorable au client, l’avocat a accompli un certain nombre de diligences dont 14 rendez-vous, l'échange de nombreuses correspondances, la rédaction de deux assignations en référé et une assignation au fond, l'assistance de son client lors de deux réunions d'expertise, la rédaction d'un dire à expert, ou encore l'assistance lors de l'audience de référé et de l'audience au fond. L'ordonnance retient que le paiement, malgré le dessaisissement anticipé de l'avocat, de l'honoraire de résultat convenu entre les parties à hauteur de 10 % HT des sommes effectivement perçues, réduit de moitié, ne présente pas de caractère exagéré au regard du service rendu.
Réponse de la Cour. La Cour de cassation rend sa décision au visa des articles 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ et 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 N° Lexbase : Z69805QC. Elle en déduit que si l'avocat ne peut réclamer un honoraire de résultat que lorsqu'il a été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, une convention d'honoraires peut prévoir les modalités de sa rémunération en cas de dessaisissement avant l'obtention d'une telle décision. Il appartient alors au juge de l'honoraire de rechercher si l'avocat a contribué au résultat obtenu et de réduire cet honoraire s'il présente un caractère exagéré au regard du résultat obtenu ou du service rendu. Pour la Haute juridiction, en se déterminant comme précité, sans rechercher si l’avocat avait contribué au résultat obtenu, le premier président a privé sa décision de base légale.
Cassation. La Cour casse et annule, par conséquent, l'ordonnance précédemment rendue entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Toulouse.
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Réf. : Cass. civ. 3, 22 juin 2022, n° 20-20.844, FS-B N° Lexbase : A205978R
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N2005BZB
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par Vincent Téchené
Le 30 Juin 2022
► Il résulte de l'article 2241 du Code civil, applicable en matière de bail commercial, que la délivrance d'une assignation interrompt le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-9 du Code de commerce ;
En outre, l'obligation particulière de dépollution du site d'une installation classée pour la protection de l'environnement doit, à l'arrêt définitif de l'exploitation, être exécutée par le dernier exploitant, qui en est seul tenu, indépendamment de tout rapport de droit privé, de sorte que n'ont pas à être supportés par le bailleur les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs, au titre des indemnités accessoires.
Faits et procédure. Un EPIC a notifié, le 29 mai 2009, à sa locataire un congé à effet au 31 décembre 2009, avec refus de renouvellement du bail commercial consenti à compter du 1er décembre 1970 pour l'exploitation d'une station-service de distribution de produits pétroliers et vente d'accessoires automobiles.
La locataire a assigné l'EPIC en paiement d'une indemnité d'éviction par acte du 30 décembre 2011, remis au tribunal le 9 janvier 2012.
Une société d’économie mixte, qui a acquis les locaux commerciaux donnés à bail, le 31 août 2016, est intervenue à l'instance.
C’est dans ces conditions que la SEM et l'EPIC ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel (CA Paris, 5-3, 8 juillet 2020, n° 18/23546 N° Lexbase : A76163Q7) qui a fixé à une certaine somme le montant de l'indemnité d'éviction due par la bailleresse à la société locataire, outre les frais de licenciement des salariés sur justificatifs et les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollution et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs.
Décision. Les demanderesses au pourvoi avançaient deux arguments.
Elles soutenaient d’abord que seule la saisine du tribunal par l'enrôlement de l'assignation peut interrompre le délai imparti au preneur pour agir en paiement d'une indemnité d'éviction. Or, en l'état d'un congé en date du 31 décembre 2009, la seule délivrance d'une assignation signifiée le 30 décembre 2011 n'a pas interrompu le délai imparti au preneur pour agir en paiement de l'indemnité d'éviction, dès lors que le tribunal n'en a été saisi que par sa remise au greffe, le 9 janvier 2012, soit après l'expiration du délai ayant commencé à courir le 31 décembre 2009.
Cet argument ne convainc pas la Cour de cassation qui retient qu’il résulte de l'article 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9, applicable en matière de bail commercial, que la délivrance d'une assignation interrompt le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-9 du Code de commerce N° Lexbase : L2009KGI, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776, du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR, applicable au litige.
Ainsi, selon la Haute Cour, ayant relevé que le délai pour agir qui avait commencé à courir le 31 décembre 2009, date d'effet du congé, avait été interrompu par la délivrance de l'assignation au bailleur, le 30 décembre 2011, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action de la locataire n'était pas prescrite.
En revanche, sur l’obligation de dépollution, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 512-12-1 du Code de l'environnement N° Lexbase : L0778LZT, 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 relatif aux réservoirs enterrés de liquides inflammables ou combustibles et de leurs équipements annexes, et 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux stations-service relevant du régime de l‘enregistrement au titre de la rubrique n° 1435 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement.
Elle retient qu’il résulte de ces textes que le preneur à bail dont le renouvellement est refusé, dernier exploitant d'une installation classée pour la protection de l'environnement, est tenu de prendre, en application de l'article L. 512-12-1 du Code de l'environnement, toutes les dispositions utiles pour la mise en sécurité du site et, s'agissant des réservoirs de carburant et de leurs équipements annexes, de les neutraliser conformément aux dispositions de l'article 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 et de l'article 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010.
Ainsi, l'obligation particulière de dépollution du site d'une installation classée pour la protection de l'environnement doit, à l'arrêt définitif de l'exploitation, être exécutée par le dernier exploitant, qui en est seul tenu, indépendamment de tout rapport de droit privé.
Or, la Haute juridiction relève que, pour retenir que les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, seront dus à la locataire évincée sur justificatifs, au titre des indemnités accessoires, l'arrêt d’appel énonce que les frais de mise en sécurité ou de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs sont directement liés à l'éviction avec arrêt de l'exploitation.
Par conséquent, en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes visés.
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newsid:482005
Réf. : Cass. civ. 3, 22 juin 2022, n° 21-10.512, FS-B N° Lexbase : A165978X
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N1999BZ3
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 30 Juin 2022
► Le décret n° 2002-120, du 30 janvier 2002, n'imposant pas d'installer des garde-corps dans les immeubles anciens qui en seraient dépourvus, ne manque pas à son obligation de mise à disposition d'un logement décent le bailleur qui n'a pas équipé de garde-corps les fenêtres de l'appartement donné à bail.
Telle est la précision d’importance apportée par la Cour de cassation à cette question soulevée dans l’affaire qui lui était soumise.
En l’espèce, quelques mois après son entrée dans les lieux, la locataire d’un appartement situé en étage avait chuté depuis une fenêtre du logement dépourvue de garde-corps et dont la partie basse se situait à moins de 90 centimètres du plancher. Elle avait assigné la bailleresse et son assureur en responsabilité et indemnisation. Elle n’obtiendra pas gain de cause.
La Haute juridiction approuve en tous points le raisonnement suivi par les conseillers d’appel parisiens.
En premier lieu, la cour d'appel a retenu à bon droit que le décret n° 2002-120, du 30 janvier 2002 N° Lexbase : L4298A3L imposait seulement aux bailleurs d'entretenir les garde-corps existants dans un état conforme à leur usage, mais non d'installer de tels dispositifs dans les immeubles anciens qui en étaient dépourvus, en l'absence de dispositions légales ou réglementaires l'imposant.
Elle en a exactement déduit que le fait pour la bailleresse de ne pas avoir équipé de garde-corps les fenêtres de l'appartement donné à bail ne caractérisait pas un manquement à son obligation de mise à disposition d'un logement décent satisfaisant aux conditions prévues par le décret privé en matière de sécurité et de santé.
En second lieu, la cour d'appel a pu retenir que l'absence de garde-corps dans un immeuble construit avant 1955 ne constituait ni un vice de construction ni une défectuosité dont le bailleur devait répondre, mais une caractéristique apparente inhérente à sa date de construction, dont le locataire pouvait se convaincre lors de la visite des lieux.
On rappellera que la Cour suprême, dans un arrêt rendu le 14 février 2012, avait eu l’occasion de retenir que « ne satisfait pas aux caractéristiques du logement décent le logement dont les dispositifs de garde-corps des balcons ne sont pas dans un état conforme à leur usage » (Cass. civ. 3, 14 février 2012, n° 11-13.135, F-D N° Lexbase : A8692ICW). Et c’est bien l’argument qui avait été avancé par la locataire au soutien de son pourvoi. Mais sans contredire cette solution, l’arrêt rendu le 22 juin 2022 vient tout simplement mettre l’accent sur la distinction à opérer entre :
Il faut par ailleurs relever que la solution ainsi retenue se réfère au décret n° 2002-120, du 30 janvier 2002, après avoir relevé l’absence d’autres dispositions légales ou réglementaires imposant au bailleur d'installer de tels dispositifs dans les immeubles anciens qui en seraient dépourvus, et qu’il appartient donc au bailleur, en tous les cas, de bien se renseigner sur la réglementation applicable, étant rappelé que la Haute juridiction a déjà retenu qu’il pouvait, par exemple, être fait application des dispositions du règlement sanitaire départemental qui peuvent se révéler plus rigoureuses que celles du décret précité du 30 janvier 2002 (à propos des règles de calcul du volume habitable : Cass. civ. 3, 17-12-2015, n° 14-22.754, FS-P+B N° Lexbase : A8523NZP).
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newsid:481999
Réf. : Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-11.846, FS-B N° Lexbase : A166178Z
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N2026BZ3
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)
Le 30 Juin 2022
► L’objectif de défiscalisation peut être érigé, expressément ou tacitement, en une qualité essentielle du bien faisant l’objet du contrat de vente
Des « qualités essentielles » (C. civ., nouv. art. 1132 N° Lexbase : L0831KZS) à l’ancienne « qualité substantielle » (C. civ., anc. art. 1110 N° Lexbase : L1198ABY), il n’y a qu’un pas ; l’arrêt rendu par la Chambre commerciale le 22 juin 2022 conservera donc son intérêt dans les hypothèses, de plus en plus fréquentes, soumises à l’application des dispositions issues de l’ordonnance du 10 février 2016.
Faits et procédure. En l’espèce, des « quirats » d’un navire, part de propriété indivise d’un navire, avaient été acquis, les acquéreurs souhaitant réaliser, par ce biais, une opération de défiscalisation. Néanmoins, faute d’éligibilité du navire au dispositif de défiscalisation, l’objectif poursuivi n’avait été atteint. Les acquéreurs pouvaient-ils prétendre à la nullité du contrat sur le fondement de l’erreur ? La cour d’appel de renvoi (CA Paris, 15 mai 2018, n° 16/12131 N° Lexbase : A7106XM7) ne l’avait pas admis, considérant que l’objectif de défiscalisation été mentionné dans une plaquette d’information fournie par une société tierce.
Solution. La Cour de cassation casse l’arrêt au visa des anciens articles 1108 N° Lexbase : L1014AB8, 1109 N° Lexbase : L1197ABX et 1110 N° Lexbase : L1198ABY du Code civil, considérant que « les parties peuvent convenir, expressément ou tacitement, que le fait que le bien, objet de la vente, remplisse les conditions d’éligibilité à un dispositif de défiscalisation constitue une qualité substantielle de ce bien ».
La formule n’est pas sans rappeler celle employée par le nouvel article 1133, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L0830KZR, lequel dispose que « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».
Ce faisant, les juges du fond auraient du rechercher si l’objectif de défiscalisation n’avait pas été érigé par les parties en une qualité substantielle. L’arrêt d’appel est ainsi cassé.
Une précision doit être apportée quant aux conséquences de la cassation. En application de l’article 131-1 du Code de procédure civile, la Cour de cassation ordonne une mesure de médiation, mesure à laquelle les parties ont donné leur accord, et dans l’attente de laquelle la Cour de cassation sursoit à statuer quant à un éventuel renvoi.
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Réf. : Cass. com., 22 juin 2022, n° 19-25.434, FS-B N° Lexbase : A165778U
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N1974BZ7
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par Yann Le Foll
Le 29 Juin 2022
► Les contrats de dépannage et de remorquage sur les autoroutes ne rentrent pas dans la catégorie des marchés publics, dès lors que n’est perçue aucune rémunération versée par le concessionnaire et que la situation de monopole de l'entreprise de dépannage désignée pour accomplir la mission n'étant pas exclusive de l'existence d'un aléa susceptible d'affecter le volume et la valeur de la demande de dépannage sur la portion d'autoroute concernée.
Rappel. Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs [soumis au présent Code] avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent (CCP, art. L. 1111-1 N° Lexbase : L4504LRA), par exemple un contrat d’abonnement à des services téléphoniques (CE, 2°-7° ch. réunies, 25 septembre 2020, n° 432727, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A13063WB).
Rappel bis. Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent Code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix.
La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d'exploitation lorsque, dans des conditions d'exploitation normales, il n'est pas assuré d'amortir les investissements ou les coûts, liés à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, qu'il a supportés (CCP, art. L. 1121-1 N° Lexbase : L4672LRH).
Position du tribunal de grande instance. Pour déclarer l'action de la société dont la candidature n'avait pas été retenue recevable (saisine du juge du référé contractuel en nullité du contrat au motif que la société concessionnaire n'avait pas respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence), le juge du référé contractuel relève que si le concessionnaire ne verse aucun paiement au dépanneur pour l'exécution du contrat, I'agrément qu'il donne à celui-ci en lui permettant d'intervenir de façon exclusive sur un secteur d'autoroute déterminé a pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers, sans l'exposer pour autant véritablement aux aléas du marché compte tenu de sa situation monopolistique.
Il déduit de ces éléments que, malgré l'absence de définition de la notion de marché dans le Code de la voirie routière, les contrats de dépannage et de remorquage sur les autoroutes, qui permettent à la société concessionnaire d'assurer une mission qui lui incombe en vertu du contrat de concession pour les travaux, fournitures ou services, doivent être qualifiés de marchés entrant dans le champ d'application de l'article L. 122-12 du Code de la voirie routière N° Lexbase : L3171LUY.
Position de la Cour de cassation. En statuant ainsi, après avoir relevé que le contrat qui lui était soumis ne prévoyait aucune rémunération versée par le concessionnaire à l'entreprise de dépannage, la situation de monopole de l'entreprise de dépannage désignée pour accomplir la mission n'étant pas exclusive de l'existence d'un aléa susceptible d'affecter le volume et la valeur de la demande de dépannage sur la portion d'autoroute concernée, le juge du référé contractuel a violé l'article L. 122-20, 2° du Code de la voirie routière, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-1428, du 24 décembre 2019 N° Lexbase : L1861LUH, l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515, du 7 mai 2009 N° Lexbase : L1548IE3 et les articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du Code de la commande publique.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Les marchés publics : définitions et champ d'application, Les marchés publics, in Droit de la commande publique (dir. N. Lafay, E. Grelczyk), Lexbase {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 53611702, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "Les march\u00e9s publics", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E9090ZMM"}}. |
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newsid:481974
Réf. : Décret n° 2022-933, du 27 juin 2022, relatif aux modalités d'option de l'entrepreneur individuel pour l'assimilation au régime de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ou de l'exploitation agricole à responsabilité limitée et de renonciation à l'option pour l'impôt sur les sociétés N° Lexbase : L2538MDD
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N1998BZZ
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par Marie-Claire Sgarra
Le 29 Juin 2022
► Le décret n° 2022-933, publié au Journal officiel du 27 juin 2022, définit les modalités d'option des entrepreneurs individuels pour l'assimilation à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), valant option pour l'impôt sur les sociétés, et, le cas échéant, les modalités de renonciation à l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, en transposant les règles applicables aux EIRL.
Rappel. Les entrepreneurs individuels qui exercent leur activité sous forme d'entreprise individuelle sont soumis à l'impôt sur le revenu de plein droit, sans possibilité d'option pour l'impôt sur les sociétés. Afin de soumettre les résultats de leur entreprise à l'impôt sur les sociétés :
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Dans le cadre de la réforme du statut de l'entrepreneur individuel, la faculté de créer de nouvelles EIRL est supprimée (loi n° 2022-172, du 14 février 2022, en faveur de l’activité professionnelle indépendante N° Lexbase : L3215MBP).
Apports de la loi de finances pour 2022. L’article 13 de la loi de finances pour 2022 (loi n° 2021-1900, du 30 décembre 2021, de finances pour 2022 N° Lexbase : L3007MAM) permet aux entrepreneurs individuels relevant de plein droit ou sur option d'un régime réel d'imposition, d’opter pour être assimilés à une EURL ou EARL et soumis à l’impôt sur les sociétés sans avoir à modifier leur statut juridique. Les modalités d’option seront fixées par décret. L'option pour l'IS est révocable jusqu'au cinquième exercice suivant celui au titre duquel elle a été exercée. À noter. À la suite de cette option, la fraction des dividendes excédant 10 % du montant du bénéfice net imposable sera assujettie aux cotisations et contributions sociales. |
Que prévoit le décret du 27 juin 2022 ? Le texte :
Ces nouvelles dispositions sont à retrouver à l’article article 350 bis de l'annexe III au CGI.
► Sur l’exercice de l’option. Pour l'exercice de l'option, l’entrepreneur individuel adresse une notification au service des impôts du lieu de son principal établissement.
L'option est notifiée avant la fin du troisième mois de l'exercice au titre duquel l'entrepreneur individuel souhaite être assimilé à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ou à une exploitation agricole à responsabilité limitée, en application du 1 ou du 2 de l'article 1655 sexies du CGI N° Lexbase : L5769MAW.
► Sur la renonciation à l’option. La renonciation à l'option pour l'impôt sur les sociétés est adressée au service des impôts auprès duquel est souscrite la déclaration de résultats dans le délai prévu à l'article 239 du CGI N° Lexbase : L9083LNQ.
Cette renonciation contient l'indication de la dénomination de l'entreprise individuelle, son adresse et, s'il est différent, le lieu de son principal établissement, ainsi que l'indication de l'exercice auquel elle s'applique.
Le décret est entré en vigueur le 29 juin 2022.
Pour aller plus loin : v. Dossier spécial, La reforme de l'entrepreneur individuel par la loi du 14 février 2022, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 709 N° Lexbase : N0787BZ8. |
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Réf. : Cass. civ. 2, 9 juin 2022, cinq arrêts, n° 20-22.588, FS-B N° Lexbase : A7921747 ; n° 21-10.724, F-B N° Lexbase : A793374L ; n° 21-11.401, FS-B N° Lexbase : A791374T ; n° 20-16.239, F-B N° Lexbase : A41147XN ; n° 19-11.671, F-B N° Lexbase : A790874N
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N1989BZP
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par Yannick Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Centre de Recherches Juridiques – EA 1965
Le 06 Novembre 2023
Mots clés : Appel • formalisme • conclusions • déféré • indivisibilité de l’objet du litige • dépendance nécessaire • radiation
Par cinq arrêts rendus le 9 juin 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation procède à quelques rappels toujours utiles manifestement, comme lorsqu’elle réaffirme que si l’appelant a l’obligation de mentionner, dans le dispositif de ses conclusions d’appel s’il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement, cette obligation ne peut être appliquée qu’aux déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020, ou que la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier. Mais au sein de ces cinq arrêts, d’autres décisions se veulent plus novatrices. Tel est le cas lorsque la Haute juridiction affirme que l’indivisibilité de l'objet du litige doit être expressément mentionnée par l'appelant dans sa déclaration d'appel, lorsqu'il entend s'en prévaloir, et ne peut être déduite de formules englobantes, alors qu’il incombe à la cour d’appel de rechercher s'il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés. Enfin, il convient de signaler une décision dans laquelle la deuxième chambre civile retient que la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure dans les procédures introduites avant l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 qui ont modifiées l’article 526 du Code de procédure civile (devenu l’article 524).
Résumé : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que l’obligation pour l’appelant de mentionner, dans le dispositif de ses conclusions d’appel s’il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation, affirmée pour la première fois par un arrêt publié en date du 17 septembre 2020, fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle qui ne peut être appliquée qu’aux déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020.
L’on se souvient qu’à l’occasion de l’arrêt rendu le 17 septembre 2020 [1], la Cour de cassation a retenu qu’il résulte « des articles 542 N° Lexbase : L7230LEI et 954 N° Lexbase : L7253LED du Code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. » Eu égard à la sévérité de la sanction encourue par les plaideurs, la haute juridiction avait fait le choix de moduler dans le temps l’application de la solution nouvelle par deux arrêts en date du 20 mai 2021 [2] en affirmant qu’elle ne pouvait être appliquée aux déclarations d’appel antérieures à la date du 17 septembre 2020, au risque de priver l’appelant de son droit à un procès équitable. C’est précisément cette solution que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle dans l’arrêt commenté.
En l’espèce, une salariée relève appel d’un jugement rendu par un conseil de prud’hommes dans un litige l’opposant à une société de taxi qui soulève, devant le conseiller de la mise en état, la caducité de la déclaration d’appel au motif que le dispositif des premières conclusions de l'appelante ne contient aucune demande d'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, de sorte qu'elles ne satisfont pas aux exigences de l'article 908 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7239LET. Le conseiller de la mise en état, qui a rejeté cette demande, voit son ordonnance déférée à la cour d’appel qui prononce la caducité de la déclaration d’appel au motif que les conclusions d'appelant ne comportent aucune formule indiquant que l’appelante sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée.
Dans son pourvoi, la demanderesse fait grief à l'arrêt d’avoir déclaré caduc l'appel qu’elle a interjeté le 28 juillet 2017 alors que la solution nouvelle introduite par l’arrêt du 17 septembre 2020 ne peut être appliquée à des instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date dudit arrêt sans priver les appelants du droit à un procès équitable ; qu'il en résulte donc que la cour d'appel, en décidant que l'appel était caduc dès lors que les conclusions d'appelant ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, a violé les articles 542 et 954 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 §.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR.
Dans son arrêt n° 20-22.588 du 9 juin 2022, la Cour de cassation, au visa des articles 542, 908 et 954 du Code de procédure civile et 6, §. 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, approuve le raisonnement du demandeur au pourvoi et rappelle que l'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954 du code précité. Or, il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies [3]. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié du 17 septembre 2020, fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle dont l’application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable, ce qui était le cas en l’espèce, puisque l’appelante avait relevé appel, le 28 juillet 2017.
Avec cette décision, la Cour de cassation confirme une solution qui peine pourtant à convaincre, tant en ce qui concerne l’alourdissement du formalisme des conclusions d’appel que l’atteinte supposée au droit fondamental processuel au juge, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire [4]. D’une part, parce que le renforcement du formalisme des conclusions d’appel ne s’impose pas comme une évidence dès lors que la modification de l'article 542 du Code de procédure civile par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile N° Lexbase : L2696LEL, qui pose le principe selon lequel « l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel », n'emportait pas, selon nous, l'ajout d’une référence à une réformation ou à une annulation du jugement, mais la simple adjonction de la proposition de la critique du jugement, ce qui n'a rien à voir ; d’autre part, parce que l’on peut douter, malgré ce que dit la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, que la modulation dans le temps de l’application de la nouvelle charge procédurale imposée aux parties ait pour objectif la préservation de l’accès au juge d’appel face à une interprétation jurisprudentielle inattendue des règles de droit.
Sur le premier point, nous nous contenterons de rappeler que les dispositions de l’article 542 du Code de procédure civile enseignent seulement que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties (alinéa 1er), qu’elles doivent comporter une discussion des prétentions et un dispositif récapitulant les prétentions (alinéa 2), et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif (alinéa 3), point de référence à l'exigence d'une demande de réformation ou d'annulation qui constituerait donc une prétention, là où l'on aurait pu penser qu’elle était consubstantielle à la voie de recours qu'est l'appel.
Sur le second point, il est possible de s’interroger sur le fait de savoir si la modulation dans le temps de la solution nouvelle posée par la Cour de cassation a réellement pour finalité de garantir le droit au juge des plaideurs en cause d’appel, puisque c’est bien de ce droit fondamental processuel dont la Haute juridiction se fait la garante ? Si l’article 910-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9354LTM dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’appelant doit présenter dès ses premières conclusions l’ensemble de ses prétentions sur le fond, il faut rappeler, d’une part, que la demande d’infirmation ou d’annulation est nécessairement contenue dans la discussion des premières conclusions de l’appelant qui critique le jugement dont il fait appel, de sorte que le fait de reprendre formellement cette demande dans le dispositif de conclusions ultérieures ne devraient pas en faire une prétention nouvelle, et d’autre part, rien ne lui interdit d’ajouter dans des conclusions ultérieures des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses (CPC, art. 910-4), de sorte que, si l’absence de la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant est soulevée par l’intimé, l’appelant devrait pouvoir y répliquer en ajoutant cette demande dans son dispositif. Ainsi, il nous semble que l’omission de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant peut être contournée en pratique dès lors que l’appelant régularise l’omission dans ses dernières écritures.
À retenir : l’obligation pour l’appelant de mentionner, dans le dispositif de ses conclusions d’appel s’il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement, ne peut être appliquée qu’aux déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020. |
Résumé : au visa des articles 914 et 916 du Code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle que la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier.
Si la Cour de cassation a été contrainte de rappeler récemment au conseiller de la mise en état qu’il n’appartient qu’à la formation collégiale de la cour d’appel de statuer sur l'absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel tendant à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, quand bien même la nullité de cette déclaration d’appel aurait été rejetée par le conseiller de la mise en état [5], elle est maintenant contrainte de rappeler à la cour d’appel que, lorsqu’elle statue dans le cadre d’un déféré, qui n’est qu’un renvoi à la formation collégiale de la cour d’appel saisie à l’encontre des décisions de son conseiller de la mise en état [6], et non une voie de recours introduisant une instance autonome [7] ayant un effet suspensif [8], elle ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier.
En l’espèce, par acte du 23 mai 2007, deux vendeurs ont cédé une parcelle à des acquéreurs, aux droits duquel est venue une SCI qui a assigné les vendeurs, pour les voir condamner, notamment, au paiement de diverses sommes du fait d'une servitude sur le fonds. De leur côté, les vendeurs ont soutenu que l'acte de vente était un faux et conclu à la nullité de la vente, provoquant l’intervention volontaire d’une SCP, notaire instrumentaire. Par jugement du 11 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a dit que l'acte authentique n'était pas un faux, prononcé la nullité pour dol de la vente consentie le 23 mai 2007 et débouté les parties du surplus de leurs demandes. La SCI a relevé appel de ce jugement par déclaration du 26 avril 2018, puis elle a formé une seconde déclaration d'appel le 30 avril 2018 afin d’intimer d’autres consorts omis de la première déclaration ; les deux déclarations ont été jointes le 14 mai 2018. Le 14 septembre 2018, les vendeurs ont saisi le conseiller de la mise en état d'un incident de caducité de la déclaration d'appel et ont déféré à la cour d'appel son ordonnance du 25 mars 2019 ayant rejeté leur demande.
Dans son pourvoi, la SCI fait grief à l'arrêt de déclarer caduque les deux déclarations d’appel, enrôlées après jonction et de dire que sa décision mettait fin à l'instance, alors que la cour d’appel n’était saisie que d'un déféré à l'encontre d'une ordonnance du conseiller de la mise en état se bornant à statuer sur un incident soulevé par les seuls consorts L., intimés, tiré de la caducité de la déclaration d'appel du 28 avril 2018. Or, la cour d’appel, statuant sur déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état, ne peut connaître de prétentions ou soulever d'office des incidents qui n'ont pas été soumis au conseiller de la mise en état sans violer les articles 914 et 916 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8615LYQ, ce qu’elle a fait en l’espèce en retenant que la déclaration d'appel du 28 avril 2018 était caduque à l'égard de la SCP, qui n'avait pas soumis un tel incident au conseiller de la mise en état, et que la déclaration d'appel du 30 avril 2018 était également caduque.
Au visa des articles 914 et 916 du Code de procédure civile, la Cour de cassation accueille favorablement les arguments du demandeur au pourvoi, et rappelle que la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui ne lui ont pas été soumis. Or, en relevant d’office, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel du 26 avril 2018, dirigée notamment contre la SCP et celle du 30 avril 2018 dirigée contre plusieurs vendeurs, alors qu’elle n’était saisie que du déféré formé contre une ordonnance d'un conseiller de la mise en état ayant rejeté un incident de caducité de l'appel soulevé par un seul des intimés, que le litige est indivisible à l'égard de l'ensemble des intimés, la cour d’appel, qui s'est prononcée sur des incidents qui n'avaient pas été soumis au conseiller de la mise en état, a violé les articles 914 et 916 du Code de procédure civile.
La décision commentée peut surprendre tant la solution retenue par la Cour de cassation est classique. En effet, les décrets n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 N° Lexbase : L0292IGW, n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 N° Lexbase : L9934INA réformant la procédure d'appel avec représentation obligatoire, et n° 2017-891 du 6 mai 2017 précité, ont accru les compétences du conseiller de la mise en état afin de concentrer le règlement des incidents au stade de la mise en état et de permettre à la cour d'appel de se pencher avant tout sur le fond de l'affaire. Dans cette logique, l’article 914 du Code de procédure civile dispose désormais que le conseiller de la mise en état est, jusqu'à la clôture de l'instruction, seul compétent pour prononcer la caducité de l'appel, pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel, pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 N° Lexbase : L7240LEU et 910 N° Lexbase : L7241LEW du Code de procédure civile ou encore pour déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l'article 930-1 (obligation de remise par voie électronique à la juridiction des actes de procédure dans la procédure d'appel avec représentation obligatoire, sauf si la partie est représentée par un défenseur syndical). Il est donc acquis, depuis plusieurs années maintenant que, dans le cadre du déféré, la cour d'appel ne statue que dans la limite de la compétence d'attribution du conseiller de la mise en état [9], ce qui a notamment conduit la Cour de cassation à juger que la cour d'appel saisie sur déféré n'a pas à connaître d'une cause d'irrecevabilité de l'appel qui n'avait pas été soulevée devant le conseiller de la mise en état [10]. La solution est parfaitement compréhensible dès lors que l’effet dévolutif qui s’attache, aussi, au déféré et qui a déjà été rappelé par la Cour de cassation[11] fait que l’on ne peut demander à la cour statuant sur déféré de juger au-delà de ce qui a été demandé préalablement au conseiller de la mise en état.
À retenir : la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier. |
Résumé : Si l'appelant n'est pas tenu de mentionner dans la déclaration d'appel un ou plusieurs des chefs de dispositif du jugement qu'il critique, lorsqu'il entend se prévaloir de l'indivisibilité de l'objet du litige, il n'en doit pas moins se référer, dans la déclaration d’appel, à cette indivisibilité [12].
De la même manière que l'indivisibilité entre les parties entraîne des conséquences particulières quant à la portée de l'acte d'appel, il va de soi que l'indivisibilité de l'objet du litige a des effets sur l'étendue de la dévolution. Lorsque l'appel porte seulement sur certains chefs du jugement, mais que ceux-ci sont liés d'une manière indivisible à d'autres chefs qui n'ont pas été visés expressément par l'acte d'appel, il était jusqu’à présent acquis que les uns comme les autres étaient en principe dévolus à la cour. Si le principe demeure, l’arrêt rendu le 9 juin 2022 vient toutefois en atténuer la portée en imposant à l’appelant de mentionner, dans la déclaration d’appel, l’indivisibilité de l’objet du litige lorsqu’il entend s’en prévaloir, au risque de voir l’effet dévolutif ne pas opérer devant la cour d’appel.
En l’espèce, un tribunal d’instance a condamné une femme à se séparer de deux coqs sous astreinte et à payer à ses voisins une certaine somme à titre de dommages-intérêts. La plaignante a interjeté appel du jugement. La Cour d’appel de Dijon, par arrêt du 10 novembre 2020, a constaté que la déclaration d'appel de l’appelante mentionne que l'appel est « limité aux chefs de jugement expressément critiqués », sans les détailler, de sorte qu’en l'absence de référence à l'indivisibilité de l'objet du litige dans la déclaration d'appel, elle en a déduit que l'effet dévolutif n'avait pas opéré.
Dans son pourvoi en cassation, la demanderesse fait grief à l'arrêt de dire que n'étaient pas déférés à sa connaissance les chefs du jugement frappé d'appel, alors que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, alors qu’en l’espèce, les deux chefs de dispositif du jugement ayant condamné un propriétaire à se séparer de ses coqs sous astreinte pour anormalité du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, sont nécessairement unis de manière indivisible par un lien de dépendance et de subordination. En énonçant, pour dire que l'objet du litige ne pouvait être qualifié d'indivisible et, par suite, en déduire que l'effet dévolutif de l'acte d'appel, « limité aux chefs de jugement expressément critiqués », ne s'était pas opéré, au motif que le recours de l’appelante pouvait porter sur l'une de ses condamnations, plusieurs d'entre elles, et ou non le rejet de sa demande pour procédure abusive, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile N° Lexbase : L7233LEM, ensemble l'article 901-4° du même code.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en commençant par rappeler le contenu de l’article 562 du Code de procédure civile en vertu duquel « l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ». Elle déduit de ce texte que, « si l'appelant n'est pas tenu de mentionner, dans la déclaration d'appel, un ou plusieurs des chefs de dispositif du jugement qu'il critique lorsqu'il entend se prévaloir de l'indivisibilité de l'objet du litige, il n'en doit pas moins se référer, dans la déclaration à cette indivisibilité » pour retenir que, la cour d'appel qui relève que la déclaration d'appel se borne à mentionner en objet que l'appel est « total » ou encore qu'il est « limité aux chefs de jugement expressément critiqués » sans les détailler, en a exactement déduit que l'effet dévolutif n'avait pas opéré, en l'absence de référence à l'indivisibilité de l'objet du litige dans la déclaration d'appel.
Si le principe d’indivisibilité de l’objet du litige en lui-même ne présente aucune difficulté – sauf dans l’hypothèse de demandes incidentes en garantie [13] – la volonté de renforcer le formalisme de la déclaration d’appel qui innerve l’œuvre jurisprudentielle comme législative de ces dernières années conduit la Cour de cassation à restreindre une solution jurisprudentielle ancienne [14] frappée du sceau du « bon sens ». En effet, il était acquis jusqu’à présent que l’objet du litige est indivisible lorsqu’il n’est pas possible d’attaquer certains chefs du jugement sans attaquer indirectement les autres. En pareille hypothèse, il était de jurisprudence constante de considérer que l’effet dévolutif opérait pour le tout. En l’espèce, l’on se trouvait bien en présence d’un objet du litige indivisible comme en la demanderesse au pourvoi le démontrait, les deux chefs de dispositif du jugement l’ayant condamnée à se séparer de ses coqs sous astreinte pour anormalité du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, et à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, étaient manifestement unis de manière indivisible par un lien de dépendance et de subordination. Mais c’était sans compter sur les évolutions de la jurisprudence de la Cour de cassation qui n’a eu de cesse de renforcer le formalisme de la déclaration d’appel – et nous l’avons suffisamment écrit au fil des mois dans les colonnes de cette revue pour ne pas y revenir une fois encore – de sorte qu’il était prévisible, qu’à la première occasion, la Haute juridiction ferait le choix de rompre avec la logique qui irriguait jusqu’alors sa jurisprudence en imposant aux plaideurs qui entendent se prévaloir de l’indivisibilité de l’objet du litige de le mentionner expressément dans leur déclaration d’appel. C’est désormais chose faite !
Nous ne pouvons que conseiller aux avocats qui nous lisent de se montrer extrêmement vigilants lors de la rédaction de la déclaration d’appel. Non seulement, la solution retenue à l’occasion de l’arrêt commenté leur impose désormais de mentionner s’ils entendent se prévaloir de l’indivisibilité de l’objet du litige, mais encore, de démontrer cette indivisibilité de l’objet du litige. Il nous semble certain que la notion d’indivisibilité va être l’objet de toutes les attentions devant les cours d’appel, et que les plaideurs ne démontrant pas suffisamment l’indivisibilité de l’objet du litige se verront opposer par les cours d’appel le fait que l’effet dévolutif n’a pas opéré, comme cela a été le cas dans l’arrêt commenté.
À retenir : l'indivisibilité de l'objet du litige doit être expressément mentionnée par l'appelant dans sa déclaration d'appel, lorsqu'il entend s'en prévaloir. Elle ne peut être déduite de formules englobantes. |
Résumé : selon l'article 562, alinéa 1er, du Code de procédure civile, l'appel ne défère à la cour d'appel que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, lesquels s'entendent de tous ceux qui sont la conséquence des chefs de jugement expressément critiqués. Il appartient à la cour d'appel de rechercher s'il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement et dont l'appelant invoque l'existence. Encourt la cassation un arrêt qui retient que ce moyen est inopérant, dès lors que l'appelant s'est abstenu de critiquer la disposition du jugement déféré.
Consacré par l’article 562 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 qui a abandonné la référence à la connaissance des chefs du jugement implicitement critiqués qui était source d’imprécision dans le texte, le principe selon lequel l'appel « ne défère à la cour que la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent » emporte comme conséquence qu’il appartient à l’appelant d’indiquer dans sa déclaration d'appel les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, et que l’appelant ne peut sortir des limites qu’il a assignées à son appel [15], la cour étant néanmoins saisie des chefs visés dans les appels incidents [16]. Reste que l’article 562 du Code de procédure civile prévoit les cas où la limitation de l’appel à certaines dispositions de la décision attaquée est sans effet : tel est le cas de l'indivisibilité et de la dépendance nécessaire qui existerait entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés. La notion de dépendance nécessaire, qui semble impliquer une appréciation plus souple que celle d'indivisibilité [17], est au cœur de l’arrêt rendu le 9 juin 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
En l’espèce, mandaté par un syndicat de copropriétaires pour effectuer certains travaux, le gérant d’une Sarl a été blessé à la suite d'une chute survenue depuis une nacelle, prise en location auprès d’une société, qui s'est déséquilibrée au moment de son intervention sur le parking d'un membre d’une copropriété voisine sur laquelle la nacelle était installée. Le gérant a assigné devant le Tribunal de grande instance de Besançon les deux syndicats de copropriétaire et l’assureur du premier, aux fins de les condamner, sur le fondement de leur responsabilité civile, à réparer les préjudices subis. La seconde assurance du second syndicat des copropriétaires est intervenue volontairement à l'instance. Par jugement du 16 juillet 2019, le tribunal a notamment dit que la demande du gérant est recevable et fondée, mais sur les articles 1er et suivants de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 N° Lexbase : L7887AG9, mis hors de cause les sociétés d'assurance, fixé l'assiette des préjudices, débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et ordonné la réouverture des débats en invitant le gérant à justifier de tous éléments sur l'indemnisation éventuellement perçue par l'assureur de la nacelle ou des actions entreprises à son encontre. Par déclaration du 28 août 2019, le gérant a formé un appel puis, par acte du 22 octobre 2019, a assigné en intervention forcée la société propriétaire de la nacelle, et son assureur.
Par arrêt du 10 mars 2020, la cour d’appel de Besançon a déclaré le gérant irrecevable en ses demandes tendant à remettre en cause le régime juridique applicable au litige et les modalités de fixation de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux et, en conséquence, a confirmé le jugement rendu le 16 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Besançon, en ce qu'il a mis hors de cause les assureurs, en leur qualité d'assureur de responsabilité civile immeuble et propriétaire d'immeuble du syndicat des copropriétaires de l'immeuble. Mais surtout, la cour d’appel retient que le gérant invoque à son bénéfice l'alinéa 1er de l'article 562 et prétend qu'en critiquant la seule mise hors de cause des assureurs, il a nécessairement critiqué l'application de la loi du 5 juillet 1985. Les juges bisontins considèrent que cet argument est inopérant puisqu’il s'est abstenu de critiquer la disposition du jugement déféré disant que sa demande est recevable et fondée mais sur les articles 1er et suivant de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.
Dans son pourvoi en cassation, le gérant fait valoir que, si son acte d'appel se borne effectivement à critiquer le dispositif du jugement rendu le 16 juillet 2019 en ce qu'il a mis hors de cause les assureurs en leurs qualités respectives d'assureurs des syndicats de copropriétaires, cela implique nécessairement celle du chef de dispositif du jugement qui a dit sa demande recevable exclusivement sur le fondement des dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dès lors que la mise hors de cause des assureurs n'a résulté que du choix de ce fondement, puisque la garantie qu'ils apportaient aux syndicats ayant pour objet de couvrir, non des sinistres résultant d'un accident de la circulation, mais des accidents résultant de la « responsabilité civile immeuble et propriétaires d'immeuble ». En jugeant donc que la demande du gérant tendant à remettre en cause le régime juridique applicable au litige était irrecevable, au seul motif que le chef du dispositif du jugement ayant retenu l'application de la loi du 5 juillet 1985 n'était pas visé par son acte d'appel, sans rechercher, comme elle y était invitée, et comme la loi le lui imposait, s'il n'existait pas un lien de dépendance nécessaire entre le chef du jugement portant sur la mise hors de cause des assureurs, dont il était fait appel, et le chef du jugement ayant décidé que l'indemnisation du gérant reposait sur la seule loi susvisée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 562 alinéa 1er du Code de procédure civile, en vertu duquel « l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ».
Dans son arrêt du 9 juin 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Besançon au visa de l’article 562 du Code de procédure civile. La Haute juridiction commence par rappeler que selon ce texte, l'appel ne défère à la cour d'appel que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, lesquels s'entendent de tous ceux qui sont la conséquence des chefs de jugement expressément critiqués, puis reprend le raisonnement des juges d’appel ainsi que celui du demandeur au pourvoi exposé supra, avant de trancher la question qui lui est soumise en retenant qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans rechercher s'il existait un lien de dépendance entre les chefs de jugement portant sur la mise hors de cause des assureurs et le chef de jugement ayant tranché le régime de responsabilité applicable, la cour d'appel qui, au surplus, ne pourrait que constater l'absence d'effet dévolutif sur ce point, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Les arrêts relatifs au lien de dépendance existant entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés sont peu nombreux, et c’est bien là tout l’intérêt de la présente décision. En vertu de l’adage « tantum devolutum quantum appellatum », il relève de l’office du juge d’appel de recherche s’il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement critiqués par l’appelant dans sa déclaration d’appel, laquelle fixe l’objet de l’instance d’appel, et les chefs de jugement délaissés par ce dernier. En effet, l’appelant peut limiter son appel à certains chefs du jugement, de sorte qu’il n’est en principe alors dévolu qu’autant qu’il est appelé. Et si le nouvel article 562 du Code de procédure civile, modifié par le décret n° 2017-891du 6 mai 2017, ne fait plus référence à la critique implicite du jugement, ce texte précise néanmoins que même lorsque la dévolution est limitée, elle s’étend toutefois aux chefs du jugement qui dépendent des chefs critiqués expressément. Toute la difficulté pour le juge d’appel est de caractériser le lien de dépendance qui peut exister entre les chefs de jugement expressément critiqués dans la déclaration d’appel et les chefs de jugement délaissés par l’appelant. En l’espèce, aucune des parties ne se prévalait, à juste titre, de l'indivisibilité de l’objet du litige et il n'était pas davantage sollicité l'annulation du jugement attaqué mais son infirmation partielle. Toutefois, l’appelant invoquait à son bénéfice l'alinéa 1er de l’article 562 du Code de procédure civile et prétendait qu'en critiquant la seule mise hors de cause des assureurs des deux syndicats de copropriétaires il avait nécessairement critiqué l'application de la loi du 5 juillet 1985. Toute la difficulté, comme le relève d’ailleurs la cour d’appel, tient dans le fait que l’appelant s'est abstenu de critiquer la disposition du jugement affirmant que la demande de gérant était recevable et fondée mais sur les articles 1er et suivant de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, de même qu’il s’est abstenu de critiquer dans sa déclaration d'appel le chef du jugement déboutant les parties de leurs demandes plus amples et contraires et celui fixant assiette de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux en en énumérant les différents quantums, de sorte que la cour d’appel pouvait effectivement considérer, au regard du contenu de la déclaration d'appel, que l’appelant ne critiquait que la mise hors de cause du litige des assureurs des deux syndicats de copropriétaires et donc la mise en œuvre de leur garantie. Mais la cour d’appel a commis une erreur en retenant que l’argument, tiré de ce que la critique dirigée contre la mise en hors de cause des assureurs emportait également celle du régime juridique retenu par le tribunal pour fonder la décision, était « inopérant ». Cet argument soulevait précisément la question de la dépendance de deux chefs de dispositif du jugement, car la mise hors de cause des assureurs n'a résulté que du choix du fondement des dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. Il existait donc, manifestement, une interrogation sur l’existence d’un lien de dépendance nécessaire entre le chef du jugement portant sur la mise hors de cause des assureurs, dont il était fait appel, et le chef du jugement ayant décidé que l'indemnisation de gérant reposait sur la seule loi du 5 juillet 1985 à laquelle la cour d’appel n’a pas répondu. Et c’est bien cette absence de réponse qui est censurée par la Cour de cassation.
À retenir : il incombe à la cour d’appel de rechercher s'il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés. |
Résumé : il résulte des articles 377 N° Lexbase : L2241H4R, 526 N° Lexbase : L7263LEQ, 908 et 911-2 N° Lexbase : L7244LEZ du Code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure.
En principe, le procès est suspendu lorsque survient un incident qui oblige le juge à suspendre l’instance. Il en est ainsi chaque fois que la loi l’y contraint, par exemple, pour permettre à un héritier de faire inventaire ou à une partie d’appeler un garant en cause. Mais il existe une autre cause de suspension de l’instance bien plus redoutable, spécifique à la procédure d’appel : la radiation de l’appel prévue à l’article 526 du Code de procédure civile – devenu 524 depuis l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3. Ce texte disposait alors que « lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision. Le premier président ou le conseiller chargé de la mise en état autorise, sauf s'il constate la péremption, la réinscription de l'affaire au rôle de la cour sur justification de l'exécution de la décision attaquée ». Une question, âprement débattue en doctrine, consistait à se demander si la décision de radiation emportait une suspension des délais dans lesquels l’appelant doit conclure ? C’est à cette question que la Cour de cassation répond dans l’arrêt du 9 juin 2022, dans la droite ligne de la solution retenue par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017.
En l’espèce, une société, domiciliée en Belgique, a interjeté appel le 25 février 2015 d'un jugement rendu dans un litige l'opposant à deux autres sociétés. La société appelante a déposé et notifié à l’une des sociétés intimées ses premières conclusions d'appel le 17 juillet 2015. L'affaire a été radiée le 17 juillet 2015 en raison de l'inexécution du jugement par la société appelante. L’autre société intimée a constitué avocat le 10 août 2015 et l'affaire ayant été rétablie au rôle le 19 avril 2017, la société appelante a notifié ses conclusions d'appel à l’ensemble des sociétés intimées le 21 avril 2017. Celles-ci ont saisi le conseiller de la mise en état d’un incident de caducité de la déclaration d’appel. Les sociétés intimées ont déféré l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté leur incident de caducité de la déclaration d'appel fondé sur l'article 908 du Code de procédure civile devant la cour d’appel. Pour confirmer le rejet de l'incident de caducité de la déclaration d'appel, la cour d’appel retient qu'en l'état du droit antérieur à l'entrée en vigueur, le 1er septembre 2017, du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la radiation de l'affaire pour inexécution du jugement, en application de l'article 377 du Code de procédure civile et en l'absence de texte contraire, a entraîné la suspension de l'instance et des délais prévus aux articles 908 et 911-2 du Code de procédure civile, de sorte que l'instance, suspendue le 17 juillet 2015 du fait de la radiation prononcée sur le fondement de l'article 526 du même Code, a repris son cours le 19 avril 2017. Elle en déduit que la notification de ses conclusions par la société appelante aux sociétés intimées le 21 avril 2017 est intervenue avant l'expiration du délai de cinq mois résultant des articles 908 et 911-2, qui avait couru du 25 février 2015 au 17 juillet 2015, et qui a recommencé à courir à compter du 19 avril 2017.
Dans leur pourvoi, les deux sociétés font grief à l'arrêt d’avoir rejeté le déféré et de dire que l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 12 septembre 2017 sortira son plein et entier effet, alors que la radiation prononcée sur le fondement de l'article 526 du Code de procédure civile n'emporte ni suspension ni interruption du délai imparti à l'appelant par les articles 908 et 911-2 du Code de procédure civile. De fait, pour les deux sociétés, en jugeant que la radiation prononcée le 17 juillet 2015 avait eu pour effet d'interrompre ce délai, la cour d'appel a violé ces dispositions.
Pour la Cour de cassation, il résulte des articles 377, 526, 908 et 911-2 du Code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure, de sorte qu’en déduisant que la notification de ses conclusions par la société appelante aux sociétés intimées est intervenue avant l'expiration du délai de cinq mois résultant des articles 908 et 911-2, qui avait couru du 25 février 2015 au 17 juillet 2015, et qui a recommencé à courir à compter du 19 avril 2017, alors que la radiation de l'instance d'appel prononcée le 17 juillet 2015 n'avait pas pour effet de suspendre le délai pour conclure imparti à la société appelante, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Dans la droite ligne de l’article 526 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, devenu 524 depuis l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, la Cour de cassation considère que la demande de radiation ne suspend que les délais impartis à l'intimé par les articles 905-2,909,910 et 911 du même Code, et notamment les délais pour conclure, et en déduit naturellement que la suspension des délais consécutive à la demande de radiation fondée sur l’article 526 du Code de procédure civile, et non les délais de l’appelant qui continuent donc à courir malgré la radiation ordonnée. Il appartient donc à ce dernier, lorsqu’une demande de radiation a été formée sur le fondement de ce texte, de conclure au soutien de son appel pour éviter la caducité de son appel, et ce, quel que soit le sort qui sera réservé à la demande de radiation de l’intimé, et avant même qu’il n’ait été statué sur cette demande. La solution pourrait être discutée dès lors qu’antérieurement à l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’article 377 du Code de procédure civile prévoyant qu’« en dehors des cas où la loi le prévoit, l'instance est suspendue par la décision qui sursoit à statuer, radie l'affaire ou ordonne son retrait du rôle », il était permis de penser, en l’absence de texte contraire, que la radiation entraînait la suspension de l'instance, et des délais prévus aux articles 908 et 911-2 du même Code à l’égard de toutes les parties. Cette interprétation ne nous semble toutefois pas emporter la conviction dès lors que la radiation est une sanction qui a vocation à inciter l’appelant à exécuter le jugement assorti de l’exécution provisoire qu’il frappe d’appel s’il souhaite pouvoir effectivement contester cette décision avant que la péremption ne vienne le priver définitivement de cette possibilité. La finalité de la radiation interdit de faire bénéficier l’appelant de la suspension des délais pour conclure, et c’est bien la solution qui a été retenue par le législateur. De ce point de vue, la décision de la Cour de cassation nous semble devoir être pleinement approuvée.
À retenir : la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure dans les procédures introduites avant l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 qui ont modifiées l’article 526 du Code de procédure civile (devenu l’article 524). |
[1] Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I [LXB=A88313TA.
[2] Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 19-22.316, F-P N° Lexbase : A25334SM ; Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 20-13.210, F-P N° Lexbase : A25324SL.
[3] Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 20-15-766, F-B N° Lexbase : A07267BI.
[4] Y. Joseph-Ratineau, Dispositif des conclusions d’appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, juin 2021, n° 868 N° Lexbase : N7812BYY ; V. égal. : Y. Joseph-Ratineau, Précisions des chefs de jugement critiqués dans le dispositif des conclusions d’appel : tout va bien (ou presque…) Lexbase Droit privé, mars 2022, n° 900 N° Lexbase : N0911BZR.
[5] Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B N° Lexbase : A41087XG ; Y. Joseph-Ratineau, Panorama de jurisprudence : la procédure d’appel dans tous ses états, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 909 N° Lexbase : N1753BZX.
[6] Cass. civ. 2, 11 janvier 2018, n° 16-23.992, F-P N° Lexbase : A2014XAT ; Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 18-23.299, F-B, N° Lexbase : A67504MX.
[7] Il serait donc opportun que les cours d’appel cessent d’attribuer des numéros de RG au déféré formé et de supprimer le précédent RG attribué à l’instance au fond car c’est une source de complications inutiles, et cette pratique ne répond nullement à une quelconque exigence du code.
[8] Cass. civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18-23.631, F-P+B+I N° Lexbase : A6637ZYH.
[9] Cass. civ. 2, 13 octobre 2016, n° 15-24.932, F-P+B N° Lexbase : A9663R7Z.
[10] Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-22.765, FS-P+B N° Lexbase : A9790YU7.
[11] Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-13.801, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8860NHM ; Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-22.765, FS-P+B N° Lexbase : A9790YU7 ; Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-15.695, FS-PN° Lexbase : A00264K8.
[12] V. égal. : Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-20.936, FS-B N° Lexbase : A791574W ; A. Martinez-Ohayon, Appel civil et indivisibilité de l’objet du litige : l’appelant est tenu d’en faire référence dans sa déclaration d’appel, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 911 N° Lexbase : N1906BZM.
[13] V. not., en matière d’arrêté d’un plan de sauvegarde en procédures collectives (Cass. com., 9 juill. 2019, n° 18-17.129, FS-D N° Lexbase : A3292ZK7 ; en matière d’admission des créances en procédures collectives : Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-27.060, F-D N° Lexbase : A9770YSN ; en matière de saisie immobilière entre tous les créanciers : Cass. civ. 2, 21 février 2019, n° 17-31.350, F-P+B N° Lexbase : A8802YYN ; en matière de fixation de la date de cessation des paiements en procédures collectives : Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-20.289, F-D N° Lexbase : A4560T3B.
[14] Cass. soc. 30 juin 1950, Bull. III, n° 562. – Cass. civ., 15 décembre1943, DP 1944, 37.
[15] V. not. : Cass. civ. 3, 14 novembre. 1991, n° 89-16.683, P N° Lexbase : A2712AB3 ; Cass. civ. 2, 7 mars 2002, n° 00-16.240, P N° Lexbase : A1808AYM.
[16] Cass. civ. 2, 13 octobre 2016, n° 15-21.973, F-P+B N° Lexbase : A9620R7G.
[17] Cass. civ. 2, 26 octobre 2006, n° 05-21.398, FS-P+B N° Lexbase : A3429DSS ; Cass civ. 2, 15 décembre 2005, n° 04-12.299, F-P+B N° Lexbase : A9967DLQ.
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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la Cour, NFALAW
Le 29 Juin 2022
Mots-clés : réforme de la procédure civile – propriété intellectuelle – propriété industrielle – droit d’auteur – fin de non-recevoir – question de fond - juge de la mise en état
La réforme portée par le décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile n'ayant pas tenu toutes ses promesses en termes de simplification procédurale notamment, les magistrats parisiens de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris – dédiée au contentieux de la propriété intellectuelle – ont fait connaître aux avocats leur intention d'adapter leur pratique, en conséquence de l'engorgement qu'ils ont pu constater. Quand bien même la loi leur accorde désormais compétence pour trancher les fins de non-recevoir, ils se disent prêts à renvoyer au fond celles présentant une certaine complexité car nécessitant de trancher une question de fond. L'occasion, notamment, de revenir sur la notion de fin de non-recevoir en matière de propriété intellectuelle.
On le sait, le juge de la mise en état a compétence exclusive pour statuer sur les exceptions de procédure [1], sur les demandes formées en application de l'article 47 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7226LED [2] et sur les incidents mettant fin à l'instance lorsque de telles demandes sont présentées postérieurement à sa désignation [3]. Depuis le 1er janvier 2020, le décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3 lui a attribué des compétences encore élargies puisqu’il lui appartient désormais de statuer également sur les fins de non-recevoir. Une nouvelle dévolution qui ne va pas sans soulever des difficultés pratiques.
I. Une réforme procédurale aux effets manqués
La ratio legis de la réforme est aussi limpide que louable : purger la procédure des questions procédurales, quelles qu’elles soient, pour ne saisir la formation de jugement que du fond du litige et des problématiques complexes. Ainsi, le juge de la mise en état se voit érigé en maître ultime de la procédure. Un principe de bonne administration de la justice, en somme, censé préserver la formation de jugement.
Malheureusement, de bonnes intentions ne font pas nécessairement de bonnes réalisations et, à l'usage, la réforme est apparue peu adaptée à un domaine du droit – la propriété intellectuelle – riche en potentielles fins de non-recevoir. La simplification procédurale attendue et les gains d’efficacité et de rapidité escomptés ont laissé la place à un constat d'engorgement des services du juge de la mise en état, voire de paralysie de la procédure en général [4].
À telle enseigne que, par le biais d’un communiqué diffusé en juin 2022, les magistrats de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris [5] ont officiellement informé les avocats parisiens de la mise en œuvre d’une nouvelle pratique consistant « à renvoyer au tribunal statuant au fond l’examen de certaines fins de non-recevoir nécessitant de trancher une question de fond (article 789, 6°, in fine, du code de procédure civile [6]) lorsqu’il est évident que cette fin de non-recevoir ne mettra pas fin au litige (parce que par exemple seule l’irrecevabilité d’une partie du litige est invoquée) et ce, avec le reste de l’entier litige, afin de ne pas en retarder exagérément l’examen ».
Cette prise de position n'est pas véritablement une surprise. Elle était à vrai dire déjà annoncée par une ordonnance du 22 février 2022 [7], aux termes de laquelle le juge de la mise en état avait déjà exprimé un certain scepticisme quant à la pertinence de la réforme pour certaines fins de non-recevoir complexes. Renvoyant à l’esprit de l’article 789 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9322LTG, issu du décret précité du 11 décembre 2019, le juge y soulignait en effet que « si la fin de non-recevoir suppose une mise en état longue et complexe (comme c’est le cas pour le moyen de déchéance qui appelle un important effort probatoire), elle vide de son efficacité la voie rapide prévue par le texte et ôte toute justification à un traitement dissocié de la fin de non-recevoir et de la défense au fond ». Seules les fins de non-recevoir appelant une réponse rapide et plus simple que l’examen au fond de la demande auraient donc vocation à suivre le même régime juridique que les exceptions, les provisions et les mesures provisoires et à être tranchées directement au stade de la mise en état.
À l'issue de deux années d’application de la réforme, le constat que dressent ainsi les magistrats parisiens est relativement amer : l’examen de trop nombreux dossiers a été considérablement retardé, notamment en cas d’appel « et ce, de manière totalement inutile puisque la fin de non-recevoir ne concernait qu’une partie du litige ». Les plaideurs sont désormais prévenus : par souci d’efficacité et de rapidité, le juge de la mise en état de la troisième chambre ne statuera désormais sur les fins de non-recevoir nécessitant que soit tranchée au préalable une question de fond que si elles sont susceptibles de mettre définitivement fin à l’instance et ce, sans qu’il soit besoin qu’une des parties s’y oppose [8] (ainsi que le prévoit pourtant l’article 789, 6° précité) ; à défaut, elles seront renvoyées à la formation de jugement qui retrouvera donc sa compétence pour statuer sur la question de fond, après la clôture de l'instruction.
II. La notion de fin de non-recevoir en question en droit de la propriété intellectuelle
Le communiqué diffusé en juin 2022 par les magistrats de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris annonce par ailleurs une réflexion sur la notion de fin de non-recevoir en droit de la propriété intellectuelle, jugée « un peu trop extensive ».
L’article 122 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1414H47 dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». La lettre même de ce texte confirme le caractère non exhaustif des six exemples de fins de non-recevoir ainsi énumérés.
Les fins de non-recevoir se distinguent des exceptions de procédure (incompétence, litispendance et connexité, exceptions dilatoires, et nullité des actes de procédure), et des défenses au fond, lesquelles sont définies par l’article 71 N° Lexbase : L1286H4E comme « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire ».
Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a exposé comme suit la distinction entre fin de non-recevoir et défense au fond : « si la défense au fond conteste au demandeur le droit d’obtenir ce qu’il réclame, la fin de non-recevoir lui conteste la possibilité même de le réclamer. Le demandeur peut bien caractériser toutes les conditions du droit qu’il invoque (par exemple, en justifiant qu’il détient un droit de propriété intellectuelle valide, et que le défendeur y a porté atteinte), le défendeur lui conteste le droit d’agir » [9].
A. En matière de propriété industrielle
À la lumière de ces principes et de l'objectif de rapidité sous-tendu par la réforme, la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris juge que « la titularité ou la validité du droit de propriété intellectuelle invoqué par le demandeur, faisant partie des conditions d’application du régime juridique invoqué pour fonder la demande, et donc des conditions de fond de celle-ci, relèvent des défenses au fond, et non des fins de non-recevoir » [10]. Ainsi, une contestation portant sur des causes de nullité de marques (par exemple pour absence de caractère distinctif [11]) ou de dessins et modèles relève de la compétence des juges du fond. Il a également été jugé que le moyen tiré de l’absence d’usage d’une marque dans la vie des affaires (visant donc à faire échec à la qualification de contrefaçon) est une défense au fond et non une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du Code de procédure civile [12].
Lorsque la fin de non-recevoir ne pose pas de difficulté pratique particulière, permettant un traitement rapide, elle continue à être tranchée par le juge de la mise en état [13] ; tel est par exemple le cas d'une irrecevabilité tirée du transfert supposément irrégulier de la marque invoquée [14] ; l'absence de capacité à agir s’agissant d’une association qui n’existait pas lors du dépôt de la marque constitue également une fin de non-recevoir [15].
La nature juridique du moyen tiré de la déchéance pour défaut d'usage réel et sérieux de la marque (CPI, art. L. 715-4 N° Lexbase : L5818LTN) a posé plus de difficulté aux juges parisiens. Bien que cette exception conteste au demandeur l'existence du droit qu'il invoque et relève donc « à l'évidence » du fond, la lettre des articles L. 716-2-3 N° Lexbase : L5896LTK et L. 716-4-3 N° Lexbase : L5905LTU du Code de la propriété intellectuelle [16] a finalement conduit les juges parisiens à la qualifier de fin de non-recevoir, examinée à ce titre au stade de la mise en état.À l’inverse, l’article 127 du Règlement (UE) n° 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne N° Lexbase : L0640LGS dispose que les tribunaux considèrent la marque « comme valide, à moins que le défendeur n’en conteste la validité par une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité ». Ce texte qualifie de « défense au fond » (dans le titre même de l’article) le moyen de la déchéance pour défaut d’usage sérieux face à une action en contrefaçon, de sorte que – à l'inverse de la déchéance d'une marque française – la déchéance opposée à une marque de l’Union européenne relève de la compétence de la formation de jugement [17].
B. En matière de droit d'auteur
En matière de droit d'auteur, l'on constate une tendance actuelle restrictive des juges parisiens dans le cadre de l'appréciation de la notion de fin de non-recevoir. Ainsi, il a été jugé que « l’absence d’identification précise alléguée des œuvres invoquées […] n’est pas une condition de recevabilité de l’action, mais une défense au fond, faisant échec aux demandes formées au titre du droit d’auteur dès lors que l’appréciation de l’originalité ne peut porter que sur une œuvre dont l’auteur délimite précisément les contours » [18].
De même, le défaut d'originalité ne constitue pas une fin de non-recevoir mais relève de l'examen du bien-fondé de la demande en contrefaçon pour les juges parisiens [19]. À l'inverse, la cour d'appel de Versailles a très récemment abordé cette question comme une fin de non-recevoir [20].
Il a par ailleurs été jugé que la qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droit d’auteur et non la condition de sa recevabilité : « en effet, la qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l’esprit ne résulte d’aucun titre enregistré, cette qualité étant appréciée par référence aux articles L. 113-1 N° Lexbase : L3337ADX à L.113-10 du Code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, cette appréciation dépend de la question préalable de l’originalité de l’œuvre en litige, dont il est constamment jugé qu’il s’agit d’une condition dont dépend le bien-fondé de l’action en contrefaçon, et non sa recevabilité. Pour l’ensemble de ces raisons, la "qualité" d’auteur d’une œuvre doit être regardée comme une condition dont dépend le bien-fondé de l’action en contrefaçon et non sa recevabilité » [21]. Pourtant, les juges parisiens n'ont pas toujours adopté cette analyse et avaient eu l'occasion de retenir, quelques mois auparavant, que la titularité des droits d’auteur sur des œuvres relève d'une fin de non-recevoir et ce, quand bien même l’appréciation des conditions de la présomption requiert un travail de vérification des éléments d’exploitation communiqués [22].
***
À la lumière des décisions précitées, il apparaît que la notion de fin de non-recevoir est au centre de toutes les attentions. L'insécurité juridique qui l'accompagne, au gré des décisions et en fonction des juridictions amenées à statuer, pose évidemment problème, y compris pour les avocats dont la responsabilité professionnelle pourrait être engagée. Ainsi, la cour d'appel de Douai a eu l'occasion de juger irrecevable une exception d'incompétence soulevée devant les juges du fond et non devant le juge de la mise en état [23]. Dans le doute ou par pure stratégie procédurale, les plaideurs pourraient donc avoir intérêt à continuer à former des incidents devant le juge de la mise en état, quand bien même celui-ci renverrait finalement le moyen devant la formation de jugement, soit parce qu'il s'agit d'une défense au fond, soit par ce qu’il nécessite de trancher une question de fond.
[1] CPC, art. 73 N° Lexbase : L1290H4K : « Constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ».
[2] « Lorsqu'un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe […] ».
[3] CPC, art. 771, anc. N° Lexbase : L8431IRP ; CPC, art. 789 N° Lexbase : L9322LTG.
[4] Il n'est qu'à rappeler la possibilité de faire appel de l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état.
[5] Sous la plume de Madame Nathalie Sabotier, juge référente de la chambre.
[6] Pour mémoire, l’article 789, 6° du Code de procédure civile N° Lexbase : L9322LTG, prévoit que « Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire ».
[7] TJ Paris, ord., 22 février 2022 n° 21/03340 N° Lexbase : A42767UW.
[8] En pratique d’ailleurs, les défendeurs s’opposaient le plus souvent à ce que le juge de la mise en état tranche la fin de non-recevoir lorsqu’il était nécessaire de trancher préalablement une question de fond… Pouvait-on le reprocher à un défendeur ?
[9] TJ Paris, ord., 22 février 2022, préc.
[10] TJ Paris, ord., 22 février 2022, préc.
[11] CA Paris, 5-2, 8 avril 2022, n° 21/12841 N° Lexbase : A91577SX.
[12] TJ Paris, ord., 25 janvier 2022, 20/11720.
[13] Sur la prescription : TJ Paris, ord., 6 mai 2021, 20/07066 ; sur la prescription et la forclusion : TJ Paris, ord., 24 février 2022, n° 20/10473.
[14] TJ Paris, ord., 7 mai 2021, n° 20/05448.
[15] CA Paris, 2 mars 2022, n° 21/05219.
[16] Renvoyant à l'« irrecevabilité » d'une demande en nullité ou d'une action en contrefaçon.
[17] TJ Paris, ord., 8 février 2022, n° 20/12226 N° Lexbase : A994374Z ; TJ Paris, ord., 22 février 2022 préc.
[18] TJ Paris, 11 mars 2021, 19/09106 ; dans le même sens, TJ Nanterre, 13 février 2020, n° 15/15573.
[19] CA Paris, 5-1, 29 juin 2021, n° 18/05368 N° Lexbase : A58014X7.
[20] CA Versailles, 22 mars 2022, n° 20/03988 N° Lexbase : A10667RW.
[21] TJ Paris, 24 mai 2022, n° 21/11677 ; CA Douai, 19 mai 2022, n° 20/02925 N° Lexbase : A56327XU ; ayant à l'inverse écarté sa compétence « pour connaître, en cause d’appel, d’une fin de non-recevoir non soumise au juge de la mise en état et sur laquelle celui-ci n’a pas statué » : CA Paris, 5-2, 3 juin 2022, n° 21/09883 N° Lexbase : A83177YP ; de même, ayant tranché la question de la titularité des droits d'auteur à titre fin de non-recevoir : CA Rennes, 7 septembre 2021, n° 18/08384 N° Lexbase : A664143D
[22] TJ Paris, ord., 24 février 2022, n° 20/10473 ; TJ Paris, ord., 6 mai 2021, n° 20/02574.
[23] CA Douai, 12 mai 2022, n° 20/02733 N° Lexbase : A78407WB.
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par Elsa Peskine, Professeure de droit privé à l’Université Paris-Nanterre, IRERP
Le 29 Juin 2022
Mots clefs : établissement distinct • critères • autonomie • décision unilatérale • contestation • périmètre
Ces derniers mois ont été l’occasion pour la Chambre sociale de la Cour de cassation de poursuivre la construction de sa jurisprudence relative à l’établissement distinct. Quelques décisions méritent l’attention.
Ces derniers mois ont été l’occasion pour la Chambre sociale de la Cour de cassation de poursuivre la construction de sa jurisprudence relative à l’établissement distinct, réinitiée depuis la réforme issue de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7628LGM ayant fusionné les anciennes institutions élues, délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT [1]. Quelques précisions ont ainsi été livrées par la Chambre sociale, à l’occasion d’arrêts rendus au cours de l’année 2021, pour certaines confirmées en ce début d’année 2022 [2]. Les précisions ont été formulées sur deux fronts, celui des modes de reconnaissance (I.), et celui des critères de reconnaissance (II.).
I. Les modes de reconnaissance de l’établissement distinct
On rappellera que, aux termes des articles L. 2313-2 N° Lexbase : L8477LG3 et suivants du Code du travail, l’établissement distinct est reconnu prioritairement par accord collectif. Il est maintenant acquis que cette priorité trouve une traduction dans l’exigence requise de l’employeur qu’il négocie de manière sincère et loyale avec les syndicats [3]. À défaut, la décision unilatérale de l’employeur peut être annulée. L’accord collectif issu de ces négociations doit, pour être valable, être conclu par des syndicats ayant recueilli plus de la moitié des suffrages lors des dernières élections professionnelles, sans qu’il ne soit possible de pallier la non-atteinte de la majorité des voix par l’organisation d’une consultation référendaire. À défaut d’un tel accord et en l’absence de délégué syndical, le découpage en établissements distincts peut également trouver sa source dans un accord signé au sein du CSE avec la majorité des membres titulaires [4]. Ce n’est qu’en l’absence de cet accord collectif, signé avec les syndicats ou au sein du CSE, que la seconde voie offerte pour la reconnaissance de l’établissement distinct est accessible. L’employeur est alors en mesure de procéder à la division de l’entreprise en établissements distincts, de manière unilatérale. Aux termes de l’article L. 2313-5 du Code du travail N° Lexbase : L0972LT8, cette décision unilatérale peut être contestée par les syndicats de l’entreprise, ou par le CSE, devant la DREETS du siège de l’établissement, dont la décision administrative peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal judiciaire.
Quelques précisions ont été livrées par la Chambre sociale, à l’occasion d’arrêts rendus ces derniers mois. Ces précisions sont relatives en premier lieu à l’office du juge. Il appartient ainsi au tribunal, selon la Chambre sociale, « d'examiner l'ensemble des contestations, qu'elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision du DIRECCTE, et, s'il les dit mal fondées, de confirmer la décision, s'il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l'autorité administrative, sur les questions demeurant en litige » [5]. La Chambre sociale reproduit ainsi une formule déjà utilisée dans sa décision inaugurale du 19 décembre 2018[6], qui lui avait permis de clore les incertitudes relatives à la compétence du tribunal judiciaire [7], alors que la contestation du découpage en établissements distincts est d’abord portée devant la DREETS. Ce dernier - le tribunal d’instance dans l’affaire rapportée - est bien compétent, y compris concertant les contestations portant sur la régularité formelle de la décision administrative.
Les directives formulées se rapportent en deuxième lieu à la charge de la preuve des éléments susceptibles de convaincre de l’existence ou de la non-existence d’un établissement distinct. C'est ainsi, au regard des éléments produits par l'employeur et par les organisations syndicales, que l'autorité administrative et les juges devront fonder leur décision [8]. Reprenant une solution antérieure [9], la Chambre sociale organise ainsi un partage de la charge d’une preuve qui aurait été sinon difficile à rapporter en application du droit commun pour la partie syndicale, tant elle suppose l’accès à des documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise. C’est donc aux deux parties qu’il incombe de présenter des documents témoignant par exemple de l’organisation hiérarchique de l’entreprise, de l’existence de délégations de pouvoir ou de décisions prises en matière de gestion du personnel.
Enfin, on mentionnera encore quelques précisions relatives à la disparition d’un établissement distinct. Rappelons à cet égard que l’article L. 2313-6 du Code du travail N° Lexbase : L8473LGW, relatif à la perte de qualité d’un établissement distinct, renvoie simplement aux articles L. 2313-2 N° Lexbase : L8477LG3 à L. 2313-5 N° Lexbase : L0972LT8 du Code du travail, propres à sa reconnaissance. La Cour de cassation a dès lors précisé, dans une décision du 20 octobre 2021 [10], que le constat de la perte de qualité d’établissement distinct conduisant à « déterminer le nombre et le périmètre de ces établissements », il devait relever des mêmes dispositions que celles concernant sa détermination. Par conséquent, la décision unilatérale de l’employeur peut être contestée devant la DREETS par les organisations syndicales représentatives et les organisations syndicales ayant constitué une section syndicale dans l’entreprise. Il en résulte que les salariés « ne sont pas recevables à demander la suspension des effets de cette décision unilatérale et l'organisation d'élections sur un périmètre n'étant plus reconnu comme constituant un établissement distinct » [11].
II. Les critères de reconnaissance de l’établissement distinct
Lorsque l’employeur procède à une reconnaissance par voie unilatérale [12], il est tenu de respecter les critères dégagés par le juge et issus d’une interprétation de l’article L. 2313-4 du Code du travail N° Lexbase : L8475LGY, aux termes duquel l’employeur doit, pour déterminer le nombre et les contours des établissements distincts, tenir compte « de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel ». Ce critère de l’autonomie, placé au cœur de la reconnaissance de l’établissement distinct, a été renforcé par la Cour de cassation qui a estimé que l’établissement distinct doit être mis en place au niveau où le responsable de l’établissement dispose « d’une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service » [13]. Cette position a d’abord été quelque peu nuancée, la Cour de cassation ayant admis qu’un établissement distinct puisse être reconnu, « même si certaines compétences en matière budgétaire et de gestion du personnel étaient centralisées au niveau du siège » [14], et plus largement en dépit de la centralisation de fonctions support ou de la définition de procédures de gestion au niveau du siège [15]. Inversement, le juge ne doit pas reconnaître un établissement distinct lorsque le représentant de l’employeur dans l’établissement revendiqué est dépourvu de la possibilité de recruter des salariés et du pouvoir de prononcer de sanctions les plus graves [16]. La solution a ensuite été reformulée dans l’un des arrêts rapportés, les juges étant chargés de « déterminer si la reconnaissance à ce niveau d'établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques [est] de nature à permettre l'exercice effectif des prérogatives de l'institution représentative du personnel » [17]. Ce faisant, l’accent est alors mis sur la finalité de la reconnaissance de l’établissement distinct. Le caractère fonctionnel de la notion d’établissement, autrefois consacré, affleure ici à nouveau. Mais si la formule étonne par sa nouveauté, il ne faut pas lui prêter d’effets trop importants. Certains auteurs y voient d’abord le rappel de la possibilité de reconnaître un établissement distinct dans un cadre plus large que celui déterminé par la présence et les prérogatives du chef d’établissement [18]. Plus généralement, on peut y voir également l’exigence que le chef d’établissement dispose certes d’une autonomie, mais qu’elle soit en outre relative à un domaine de décision dans lequel le CSE est amené à intervenir [19]. D’une certaine manière, c’est alors pour conforter le critère de l’autonomie qu’il faut comprendre l’exigence relative à l’exercice effectif des prérogatives. Il n’y a là en réalité qu’un rappel d’une règle présente dans les décisions antérieures qui, déjà, opéraient une distinction selon les prérogatives conférées au chef d’établissement. Aussi, le critère de l’exercice effectif des prérogatives doit être relativisé. Il ne permettrait pas d’instaurer un CSE dans un périmètre en dépit du fait que le chef d’établissement ne dispose pas d’une autonomie suffisante.
La reconnaissance du caractère fonctionnel de la notion d’établissement distinct ne s’est pas toujours accompagnée d’une reconnaissance de son caractère relatif, c’est-à-dire variable selon l’institution en cause. En particulier, on rappellera qu’à compter d’un arrêt en date du 18 mai 2011, il a été affirmé que « sauf accord collectif en disposant autrement, le périmètre de désignation des délégués syndicaux est le même que celui retenu, lors des dernières élections, pour la mise en place du comité d'entreprise ou d'établissement » [20]. C’est pour conjurer une telle jurisprudence que la loi du 5 mars 2014 N° Lexbase : L6066IZP avait introduit un article L. 2143-3 du Code du travail N° Lexbase : L1436LKE, relatif à la désignation des délégués syndicaux, aux termes duquel la désignation « peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques ». Cette définition légale avait bien été suivie d’arrêts reconnaissant la spécificité de l’établissement distinct relatif à la désignation des délégués syndicaux. Mais aucune décision n’avait encore été rendue depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017 qui avait fusionné les différentes institutions élues. C’est chose faite avec plusieurs décisions inédites [21], puis dans un arrêt publié et rendu le 2 mars 2022 [22], décisions dans lesquelles il est affirmé que « ni un accord collectif de droit commun, ni l'accord d'entreprise prévu par l'article L. 2313-2 du Code du travail concernant la mise en place du comité social et économique et des comités sociaux et économiques d'établissement ne peuvent priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d'un établissement au sens de l'article L. 2143-3 du Code du travail ». La formule invite à formuler trois remarques. D’une part, est souligné que le cadre d’implantation du délégué syndical peut être distinct de celui du comité d’établissement. On rappellera à cet égard que l’accent est placé, s’agissant de la désignation du délégué syndical, non pas sur l’autonomie du chef d’établissement, mais sur l’existence d’une communauté de travail, construite au regard de la spécificité de l’établissement et notamment des conditions de travail communes au salarié. D’autre part, même l’accord collectif, aujourd’hui central dans le champ des relations professionnelles, est impuissant à imposer sa propre définition de l’établissement distinct au syndicat. La définition légale de l’établissement distinct étant d’ordre public, selon la Chambre sociale, elle ne peut se trouver écartée par l’accord. Cela ne signifie pas que les syndicats ne peuvent pas désigner les délégués syndicaux dans un cadre similaire à celui reconnu pour le comité d’établissement. En effet, la Chambre sociale avait déjà eu l’occasion de préciser que les syndicats étaient libres de le faire dans un tel cadre [23]. Cela signifie en revanche qu’un accord collectif ne peut leur imposer ce cadre et par conséquent les priver de la possibilité de choisir un autre cadre, plus restreint, dès lors qu’il est conforme aux critères légaux. L’accord collectif, impropre à instaurer un espace de représentation se substituant au périmètre légal, peut en revanche diversifier les espaces de représentation [24]. L’enjeu est bien sûr d’autant plus important que la fusion des institutions représentatives a entraîné la disparition des délégués du personnel, lesquels pouvaient être élus dans un cadre distinct de celui du comité d’établissement, la définition de l’établissement distinct au sens des délégués du personnel étant en effet similaire à celles des délégués syndicaux. De sorte que le périmètre de désignation des délégués syndicaux demeure le seul périmètre susceptible de permettre à une représentation de proximité de s’exercer [25].
[1] Pour un panorama complet, v. C. Wolmark, L’établissement distinct, Répertoire, Dalloz.
[2] Plusieurs arrêts constitueront ainsi le support de l’étude : Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.153 N° Lexbase : A41044UK et n° 19-23.745 N° Lexbase : A41034UI, FS-P+R ; Cass. soc., 20 octobre 2021, n° 20-60.258, F-B N° Lexbase : A525249E ; Cass. soc., 5 janvier 2022, n° 20-16.725, F-D N° Lexbase : A83037HY ; Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-18.442, FP-B+R N° Lexbase : A10607PX.
[3] Cass. soc., 17 avril 2019, n° 18-22.948, FS-P N° Lexbase : A3539Y9X.
[4] C. trav., art. L. 2313-3 N° Lexbase : L8476LGZ.
[5] Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.153, FS-P+R N° Lexbase : A41044UK.
[6] Cass. soc., 19 décembre 2018, n° 18-23.655, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0670YRA, D., 2019, p. 19 ; RDT, 2019, 119, obs. C. Wolmark ; Dr. ouvrier, 2019, 302, obs. L. Milet ; JCP S, 2019, 1021, note A. Coeuret.
[7] G. Auzero, L’établissement distinct : caractérisation et contestation, obs. sous Cass. soc., 19 décembre 2018, préc., Lexbase Social, janvier 2019, n° 768 N° Lexbase : N7173BXX.
[8] Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.745, FS-P+R N° Lexbase : A41034UI.
[9] Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011, FS-P+B N° Lexbase : A58943CB, D., 2020, 221 ; Droit social, 2020, 281, obs. F. Petit ; RDT, 2020, 415 et 555, obs. F. Signoretto.
[10] Cass. soc., 20 octobre 2021, n° 20-60.258, F-B N° Lexbase : A525249E.
[11] Cass. soc., 20 octobre 2021, n° 20-60.258, F-B N° Lexbase : A525249E.
[12] Comp., lorsque celui-ci est reconnu par accord collectif (E. Jeanson, Le contentieux de la reconnaissance conventionnelle des établissements distincts : l’heure des choix, Bull. Joly Travail, juin 2021, p. 29).
[13] Cass. soc., 19-12-2018, n° 18-23.655, préc..
[14] Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011, FS-P+B N° Lexbase : A58943CB.
[15] Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011, préc., RDT, 2021, p. 415, obs. F. Signoretto.
[16] Mais ce partage de compétence doit être équilibré (Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 19-11.918, FS-P+B+R N° Lexbase : A10593RN).
[17] Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.745, FS-P+R N° Lexbase : A41034UI.
[18] C. Wolmark, CSE d'établissement : reconnaissance et perte de la qualité d'établissement distinct, RDT, 2022, p. 50.
[19] F. Petit, L’autonomie de gestion de l’établissement distinct accueillant le CSE et de son responsable, obs. sous Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.153, préc., Droit social, 2021, p. 762.
[20] Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.383, FS-P+B+R N° Lexbase : A2617HSQ, D., 2011, 1491 ; D., 2012, 2622, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Droit social, 2011, 1005, obs. F. Petit ; RDT, 2011, 419, G. Borenfreund.
[21] Cass. soc., 29 septembre 2021, n° 20-15.870, F-D N° Lexbase : A049248Q, RDT, 2021, 660, obs. C. Wolmark ; Cass. soc., 8 décembre 2021, n° 20-60.257, F-D N° Lexbase : A79957ET ; Cass. soc., 05-01-2022, n° 20-16.725, F-D N° Lexbase : A83037HY.
[22] Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-18.442, FP-B+R N° Lexbase : A10607PX.
[23] Cass. soc., 28 septembre 2017, n° 16-18.817, F-D N° Lexbase : A5764WTN ; Cass. soc., 7 juillet 2021, n° 20-16.497, F-D N° Lexbase : A62704YU.
[24] Ch. Mariano, Le caractère d’ordre public de la définition d’établissement distinct pour la désignation du délégué syndical, Bull. Joly Travail, 2022, p. 19.
[25] G. Borenfreund, La fusion des institutions représentatives du personnel, RDT, 2017, 608.
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Réf. : Cass. soc., 22 juin 2022, n° 20-21.411, FS-B N° Lexbase : A206178T
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par Charlotte Moronval
Le 29 Juin 2022
► En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur.
Faits et procédure. Un salarié est embauché en CDD saisonnier pour une durée de cinq mois le 23 avril 2018.
Le 21 mai 2018, une altercation intervient entre l’employeur et le salarié et celui-ci est placé en arrêt de travail. Il décide d’assigner son employeur en justice pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, aux torts de l’employeur.
La cour d’appel (CA Poitiers, 10 septembre 2020, n° 19/00826 N° Lexbase : A46143T3) prononce la rupture anticipée du CDD aux torts exclusifs de l’employeur à la date du 21 mai 2018 (date de l’altercation). Le salarié démontre qu'il a subi une atteinte physique de la part de son employeur et qu'un certificat médical, un compte-rendu de passage aux urgences et un arrêt de travail, tous datés du 21 mai 2018, viennent le confirmer. La cour d’appel retient que l’employeur commet un manquement grave à ses obligations, qui porte une atteinte physique ou morale à son salarié et que cette faute grave rend impossible le maintien de la relation contractuelle.
L’employeur se pourvoit en cassation. Selon lui, en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n’a pas été rompu à cette date et que le salarié est toujours au service de l’employeur.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa des articles 1224 N° Lexbase : L0939KZS et 1227 N° Lexbase : L0936KZP du Code civil.
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. soc., 22 juin 2022, n° 21-11.325, FS-B N° Lexbase : A205878Q
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N2009BZG
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par Lisa Poinsot
Le 30 Juin 2022
► La démission du salarié, bénéficiant de l’ACAATA attribuée et servie par les caisses régionales d’assurances maladie, lui ouvre droit au versement par l’employeur d’une indemnité de cessation d’activité d’un montant égal à celui de l’indemnité de départ à la retraite et calculée sur la base de l’ancienneté acquise au moment de la rupture du contrat de travail, sans préjudice de l’application de dispositions plus favorables prévues en matière d'indemnité de départ à la retraite par une convention ou un accord collectif de travail ou par le contrat de travail.
Faits et procédure. Trois salariés se voient notifient leur admission, par la caisse régionale d’assurance maladie, au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA), prévue par l’article 41 de la loi n° 98-1194, du 23 décembre 1998 N° Lexbase : L5411AS9. Dans le cadre de ce dispositif, ces salariés présentent leur démission pour un départ en retraite et sollicite de leur employeur le bénéfice de l’indemnité de cessation d’activité.
La cour d’appel (CA Paris, 18 novembre 2020, n° 18/08804 N° Lexbase : A856434X) constate, en premier lieu, que les salariés, admis au bénéfice de l’ACAATA par la caisse régionale d’assurance maladie, ont présenté leur démission à leur employeur, de sorte que la rupture de leur contrat de travail leur ouvre droit au versement de l’indemnité de cessation d’activité.
En second lieu, les juges du fond relèvent qu’un accord de groupe du 15 avril 2009 régit spécifiquement le départ des salariés bénéficiant d’un tel dispositif. Toutefois, elle affirme que les dispositions de l’accord de groupe de gestion prévisionnelle des emplois et des âges (GPEA) du 30 janvier 2012, fixant le montant de l’allocation de départ à la retraite pour tout départ volontaire à la retraite à l’initiative du salarié, sont plus favorables que celles de l’accord du 15 avril 2009. Les juges du fond accordent aux salariés une indemnité de cessation d’activité correspondant au montant de l’indemnité de départ en retraite prévue par l’accord de groupe GPEA.
L’employeur forme un pourvoi en cassation en soutenant que :
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur en application de l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, des articles L. 1237-9 N° Lexbase : L1407H9Y et L. 1234-1 N° Lexbase : L1300H9Z du Code du travail.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le départ volontaire à la retraite, L’assiette de l’indemnité de départ à la retraite, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9748EST. |
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Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 1er juin 2022, n° 443808, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61637YW
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par Guillaume Blanc, Avocat spécialiste en droit public, cabinet Fayol & Associés
Le 29 Juin 2022
Mots clés : lotissement • règlement • double majorité • surface des lots • copropriété
En cas de modification des documents d'un lotissement composé de maisons individuelles, de copropriétés et de lots non affectés à l'habitation, le calcul de la majorité qualifiée des colotis comprend le décompte des avis de chaque propriétaire individuel et de chaque copropriété et celui des superficies de chaque lot destiné à la construction, qu'il soit, ou non, destiné à la construction d'habitations.
L’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9986LMS permet à la majorité des colotis de modifier les documents du lotissement, et notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé et les clauses de nature réglementaire du lotissement du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé.
La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY) (loi « ALUR ») a, par son article 159-II, modifié ce texte pour rendre plus facile, à un double niveau, la modification de ces documents du lotissement.
D’une part, une telle modification ne pouvait intervenir qu’à condition que soit réunie la majorité des deux tiers des propriétaires détenant ensemble les trois quarts au moins de la superficie d'un lotissement ou les trois quarts des propriétaires détenant les deux tiers de cette superficie.
Désormais, la règle de majorité requise est abaissée : il suffit de réunir la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie.
D’autre part, le texte précise désormais expressément que cette modification peut concerner les clauses réglementaires des cahiers des charges non approuvés.
Cette double modification poursuit un but : encourager la densification des quartiers de lotissement en facilitant la subdivision des lots.
Reste à savoir comment calculer cette majorité, et c’est dans cette perspective que le Conseil d’État vient de rendre un arrêt qualifié de « petit rebondissement jurisprudentiel » par Mme Lucienne Erstein, Conseiller d’État honoraire [1].
Les faits illustrent un cas d’école.
Par un arrêté en date du 3 décembre 1958, le préfet de la Savoie a approuvé le cahier des charges du lotissement "La Frasse", situé dans la station de Méribel, sur le territoire de la commune des Allues.
Ce lotissement comprend 37 lots répartis comme suit :
Ces lots sont répartis entre 19 propriétaires, pour une superficie d’environ 17 500 m².
Un permis de construire un immeuble de logements collectifs (un chalet de 8 logements) a été délivré, à l’intérieur de ce lotissement, au profit d’une SARL le 22 janvier 2015, permis ensuite transféré à une SCCV.
Le bénéficiaire du permis de construire a sollicité du Maire des Allues la modification du cahier des charges approuvé du lotissement, afin de supprimer la limitation du nombre de logements par lots.
Considérant que la double majorité requise par l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi « ALUR » du 24 mars 2014, était atteinte, le maire a, par arrêté du 15 décembre 2015, modifié l’article 1er dudit cahier des charges.
L’un des colotis, la SCI Le Flocon propriétaire de 7 lots, a saisi le tribunal administratif qui, par un jugement du 18 décembre 2018, a annulé cet arrêté municipal.
Les bénéficiaires du permis de construire ont relevé appel et, selon arrêt du 7 juillet 2020, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement, et rejeté la demande d’annulation de l’arrêté municipal [2].
La Cour a retenu que la modification avait obtenu l’accord de 12 propriétaires sur 19 (soit plus de la moitié des propriétaires), totalisant près de 12 000 m² de superficie (soit plus des deux tiers de la superficie du lotissement).
Sur pourvoi formé par la SCI Le Flocon, le Conseil d’État vient confirmer cet arrêt, par une solution classique sur le calcul du nombre des propriétaires, et innovante sur le calcul de la superficie du lotissement.
Le calcul de la règle de la majorité suppose de répondre à deux questions :
Sur ces deux points, par l’arrêt n° 443808 du 1er juin 2022, le Conseil d’État vient fixer le cadre juridique.
Sur le nombre de propriétaires, l’arrêt est confirmatif d’une solution antérieurement dégagée par le Conseil d’État : dans le cas où le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété, il y a lieu de compter pour une unité l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et pour une unité également l’avis exprimé par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire.
Cette solution est désormais constante depuis un arrêt du 13 juin 1975 [3] même si la Cour de Cassation a pu retenir, dans un ancien arrêt du 17 juillet 1973, que le décompte du nombre des propriétaires, personnes morales ou physiques, ne peut s'effectuer que par lot constitué [4].
En revanche, sur le calcul de la superficie, l’arrêt est un revirement de jurisprudence : dans le cas où le lotissement comporte des lots affectés à d'autres usages que l'habitation, il y a lieu de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires que celles des lots destinés à la construction, qu'il s'agisse ou non de lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion des surfaces des lots affectés à d'autres usages.
La partie en souligné correspond au revirement de jurisprudence.
En effet, une solution différente avait été retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 28 février 1996 [5].
Dans ce précédent arrêt, le Conseil d’État avait déjà retenu qu’il y a lieu, d'une part, de compter pour une unité l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, d'autre part.
En revanche, il avait estimé qu’il n’y avait lieu de retenir, pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion, par conséquent, des surfaces des lots affectés à d'autres usages.
La nouveauté réside donc dans le fait qu’il faut prendre en compte tous les lots destinés à la construction, qu’il s’agisse ou pas de constructions à usage d’habitations.
Ce faisant, le Conseil d’État revient à une solution plus ancienne, dégagée dans un arrêt de Section du 17 octobre 1980 [6].
Cet arrêt avait retenu que les propriétaires sont exclusivement ceux qui ont gardé ou acquis la propriété de lots destinés à la construction, sans distinguer s’il s’agissait de lots destinés à l’habitation ou à un autre usage.
Dans cette affaire, le lotisseur avait vendu tous les lots destinés à la construction, et n’avait conservé que la voirie du lotissement et les terrains situés entre les constructions et servant à la circulation des piétons.
Ces lots, non destinés à la construction, n’ont pas à être pris en compte dans le calcul du nombre de propriétaires, ni dans la superficie du lotissement, pour l’appréciation de la majorité qualifiée requise par l’article L. 442-10 précité.
En conclusion de l’affaire portée à la connaissance de la Haute juridiction, il a été jugé que chaque coloti compte seulement pour un, quel que soit le nombre de lots qu’il détient : ainsi, la SCI Le Flocon, comptant 7 lots, comptait pour un seul vote contre, de même que l’accord de la commune, propriétaire également de plusieurs lots, a compté pour un seul vote pour.
De même, le Conseil d’État a approuvé la Cour d’avoir retenu que, pour les lots appartenant à plusieurs personnes (ici, une indivision – assimilée pour les besoins du texte à une copropriété – était propriétaire de plusieurs lots), l’accord comptait seulement pour un.
Enfin, la Haute juridiction a jugé que tous les lots destinés à la construction, qu'il s'agisse de construction d'habitations ou d'autres constructions (et en l’espèce à l’usage de garages, d’entrepôt de stationnement couvert pour gros véhicules et de bâtiments publics), doivent être pris en compte pour le calcul de la superficie du lotissement.
Reste à savoir ce que peut recouvrir un lot non destiné à la construction.
Cela vise d’abord les lots à usage de voirie, les lots à usage d’espace commun inconstructible, mais cette liste n’est pas limitative.
À titre d’exemple, la cour administrative d’appel de Marseille a récemment considéré qu’un lot, appartenant à Enedis, n'est pas destiné à la construction dans la mesure où un transformateur électrique y est implanté [7].
[1] L. Erstein, Quelle majorité pour modifier les documents du lotissement ?, JCP éd. A, 13 Juin 2022, n° 23, p. 405.
[2] CAA Lyon, 7 juillet 2020, n° 19LY00589 N° Lexbase : A69813SD.
[3] CE, 13 juin 1975, n° 92275 N° Lexbase : A9265B7B, Lebon 358, JCP 1976, II. 18257, note Bouyssou.
[4] Cass. civ. 3, 17 juillet 1973, n° 72-11.842, D. 1973. 758, note Franck.
[5] CE, 28 février 1996, n° 105846 N° Lexbase : A7466ANT, Lebon, p. 53.
[6] CE, Sect., 17 octobre 1980, n° 05398 N° Lexbase : A1902B8X, Lebon, p. 379.
[7] CAA Marseille, 17 décembre 2021, n° 20MA00126 N° Lexbase : A22387HD.
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