La lettre juridique n°908 du 2 juin 2022

La lettre juridique - Édition n°908

Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Sociétés d’avocats de droit commun : un régime original ?

Réf. : Cass. civ. 1, 11 mai 2022, n° 20-18.542, F-B N° Lexbase : A56417WT

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N1646BZY

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre Avocats

Le 24 Août 2022

Mots-clés : jurisprudence • avocat • sociétés • régime • inscription • tableau de l'Ordre 

En premier lieu, le décret du 29 juin 2016, applicable à l'exercice de la profession d'avocat par des sociétés autres que les SCP et les SEL, ne renvoie pas à l'article 3 du décret du 25 mars 1993 exigeant que la SEL comprenne, parmi ses membres, au moins un avocat inscrit au barreau auprès duquel elle sollicite son inscription. En second lieu, en l'absence de disposition législative ou réglementaire l'y autorisant, le Conseil de l'Ordre ne peut apprécier l'opportunité d'inscrire au tableau une société dont aucun des membres n'y est inscrit, s'agissant d'une condition formelle de l'inscription.


 

Voilà un arrêt qui, tout à la fois, présente un intérêt théorique et devrait avoir des conséquences pratiques importantes [1]. La première chambre civile de la Cour de cassation vient en effet juger, par son arrêt publié au Bulletin en date du 11 mai 2022, qu’une société d’avocats, constituée non pas sous forme de SEL ou de SCP mais en tant que SARL de droit commun, peut procéder à son inscription au tableau d’un barreau, alors qu’aucun de ses associés n’y est lui-même inscrit. C’est que la règle exigeant qu’un associé au moins soit inscrit au tableau du barreau auprès duquel la société fait sa demande d’inscription est issue du régime des SEL et l’arrêt commenté juge que cette règle ne trouve pas application à une société de droit commun.

En l’espèce, une avocate inscrite au barreau de Sarreguemines avait constitué une SARL d’avocats avec l’un de ses confrères, qui était quant à lui inscrit au barreau de Metz. Ils exerçaient leur activité professionnelle au sein d'une association interbarreaux Metz-Sarreguemines, mais leur regard se tournait vers la capitale, et ils procédaient à la constitution d’une SARL d’avocats ayant donc son siège à Paris. Cette création était faite sous la condition suspensive de l’inscription de la société au tableau des avocats du barreau de Paris. Or, cette inscription était refusée par le Conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, au motif qu'aucun des deux associés de la SARL n'était inscrit au tableau du barreau de Paris. On relèvera d’ores et déjà que l’exigence en question se trouve formulée par le Règlement intérieur du barreau de Paris [2], et l’on reviendra sur ce point un peu plus loin.

Sur appel, la décision du Conseil de l’Ordre était cependant infirmée par la cour d’appel de Paris, qui jugeait qu’il convennait de procéder à l’inscription de la SARL au tableau des avocats du barreau de Paris. Le Conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris et le Bâtonnier de ce même Ordre formaient alors un pourvoi en cassation, qui était rejeté par l’arrêt commenté.

I. La question posée et la réponse apportée

A. La question

La question de principe qui était posée à la Cour de cassation est en réalité très intéressante. La loi n° 2015-990, du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron » N° Lexbase : L4876KEC, a permis aux avocats d’exercer leur profession par le biais de sociétés autres que des SCP ou des SEL [3]. L’article 7 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ, tel que modifié par la loi « Macron », permet ainsi aux avocats d’exercer leur profession « au sein d'entités dotées de la personnalité morale, à l'exception des formes juridiques qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant ». En clair, et dans le but de donner plus de souplesse et de compétitivité aux cabinets d’avocats, ceux-ci se sont vu offrir l’accès aux sociétés de droit commun : sociétés civiles, SARL, SA et SAS.

Ces sociétés de droit commun n’étant ni des SCP ni des SEL, elles ne sont pas soumises aux dispositions régissant ces formes sociales, et elles devraient échapper aux textes spéciaux encadrant l’exercice de la profession d’avocat en SCP/SEL. Ces deux formes sociales sont soumises, respectivement :

  • au décret n° 92-680, du 20 juillet 1992 N° Lexbase : L7112AZG pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 66-879, du 29 novembre 1966, relative aux sociétés civiles professionnelles N° Lexbase : L3146AID ;
  • au décret n° 93-492, du 25 mars 1993 N° Lexbase : L4321A4S pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 90-1258, du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé N° Lexbase : L2487LET.

Mais si la loi « Macron » a libéralisé l’exercice en groupe de la profession d’avocat, elle n’est pas allée jusqu’à permettre aux avocats exerçant leur profession par le biais des formes sociales de droit commun de s’abstraire complètement des règles préexistantes qui encadraient les SEL et les SCP d’avocats. Un décret n° 2016-882, du 29 juin 2016 N° Lexbase : L1248K94 est ainsi intervenu en application de l’article 63 de la loi « Macron » pour étendre aux sociétés de droit commun exerçant la profession d’avocat une partie des dispositions du décret précité du 25 mars 1993 relatif aux SEL.

Toutefois, l’article 3 de ce décret de 1993, qui dispose que « La société d'exercice libéral est constituée sous la condition suspensive de son inscription au barreau établi auprès du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est fixé le siège de la société et au tableau duquel est inscrit l'un au moins des associés exerçant au sein de la société », ne fait pas partie des dispositions dont l’application est étendue aux sociétés de droit commun par le décret du 29 juin 2016. Se posait par conséquent la question de savoir si cette règle ne devait pas, tout de même, s’appliquer aux sociétés de droit commun. Après tout, si l’on part de l’idée qu’une société d’avocats est d’abord la réunion de professionnels, ne faut-il pas, même en l’absence d’une disposition spéciale expresse, avoir égard à la situation desdits professionnels ? On notera d’ailleurs que la règle formulée pour les SEL d’avocats par l’article 3 du décret de 1993 est reprise par le dispositif propre aux SCP d’avocats, un article 3 du décret n° 92-680, du 20 juillet 1992, disposant que « La société est constituée sous la condition suspensive de son inscription au barreau établi auprès du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est fixé le siège de la société et au tableau duquel est inscrit l'un au moins des associés ».

B. La réponse

L’inscription au barreau de Paris était possible, même en l'absence d'inscription au tableau de ce barreau d'un associé de la société en cause. La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir tiré argument de l’absence de renvoi par le décret du 29 juin 2016 à l’article 3 du décret du 25 mars 1993 pour en déduire que la SARL litigieuse devait être inscrite au tableau.

Le Conseil de l'Ordre et le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris avaient bien tenté de bâtir une argumentation visant à faire obstacle à l'inscription de la SARL à leur tableau, argumentation qui comportait deux volets, l’un et l’autre fondés sur le droit spécial de la profession d’avocat.

Un premier volet consistait à tenter de faire reconnaître un pouvoir d’appréciation au Conseil de l’Ordre, qui lui aurait permis d’ « apprécier l'opportunité d'inscrire à son tableau une société dont aucun des membres avocats n'y est inscrit » ; pouvoir qui découlerait de l'article 17 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971. Il est vrai que ce texte donne au Conseil de l’Ordre le pouvoir de « statuer sur l’inscription au tableau des avocats », mais il ne prévoit pas de possibilité de traiter différemment les sociétés dont aucun associé n’est inscrit au barreau destinataire de la demande d’inscription des autres sociétés. La Cour de cassation refuse de reconnaître un tel pouvoir au Conseil de l’Ordre en relevant, d’abord, « l'absence de disposition législative ou réglementaire l'y autorisant », et ensuite le fait que la condition d’inscription d’un associé au barreau, serait-elle admise, constituerait « une condition formelle de l'inscription », empêchant, doit-on comprendre, la possibilité d’une appréciation subjective.

Plus intéressant était le second volet de l’argumentation développée pour s’opposer à l’inscription de la SARL au tableau, et qui consistait à soutenir que la postulation serait une activité consubstantielle à la profession d’avocat. La postulation est encadrée par une disposition qui n’était pas visée au soutien du pourvoi, et qui est l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971, qui dispose que les avocats « peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel ». Il était avancé que l’exercice de la profession d’avocat ne pouvait être complet qu’à la condition que la postulation soit possible, ce dont il aurait découlé que « l'inscription au tableau, qui doit correspondre au lieu effectif de l'exercice complet de la profession d'avocat, y compris la postulation, d'une telle entité doit par suite nécessairement être faite au barreau auquel l'un au moins de ses associés exerçant en son sein est inscrit ». Les magistrats de la cour d'appel avaient cependant précisé que la règle de principe de la territorialité gouvernant la postulation ne faisait pas obstacle à cette liberté d'inscription. Selon eux, elle limitait simplement l'activité de la nouvelle société comme pourrait l'être celle d'un bureau secondaire, l'exercice de la postulation qui revenait autrefois aux avoués n'étant pas consubstantiel à la profession d'avocat. Dit autrement, la SARL serait privée de la possibilité de postuler dans son barreau d’inscription. Bien qu’inscrite au barreau de Paris, elle devra donc prendre un postulant pour plaider à Paris… ce qui n’est pas idéal pour les clients ! Mais il est possible que l'activité judiciaire n’ait pas constitué le cœur de métier de cette SARL. La Cour de cassation reprend pour sa part l’idée que la postulation n’est pas une activité consubstantielle à la profession d’avocat.

Ainsi qu’on l’a relevé plus haut, le Règlement intérieur du barreau de Paris formule l’exigence qu’ « au moins un des associés doit exercer effectivement sa profession dans le ressort du barreau et travailler aux conditions de l'alinéa précédent », cet alinéa visant « L’avocat inscrit au tableau de l’Ordre ». Il est à noter que le Vademecum « Exercice en groupe » édité par l’Ordre des avocats au barreau de Paris mentionne dans un tableau récapitulatif l’exigence faite aux sociétés de droit commun d’avoir « au moins un associé exerçant inscrit au barreau de Paris » [4] […] », mais qu’il est moins clair lorsqu’il présente les sociétés de droit commun en indiquant : « Les sociétés de droit commun doivent être inscrites au Tableau mais à la différence des SEL, leur constitution n’est pas soumise à la condition suspensive de leur inscription au barreau de leur siège et au tableau duquel est inscrit au moins l’un de ses associés » [5]. On ne comprend pas clairement si c’est seulement le fait d’ériger en condition suspensive de la constitution l’inscription d’au moins un associé au tableau concerné qui est écartée, ou si c’est l’obligation d’inscription d’au moins un associé elle-même, ainsi que le juge l’arrêt commenté. La publication de cette décision incitera sans doute l’Ordre des avocats au barreau de Paris à procéder à une modification de la rédaction de l’article P. 31 du Règlement intérieur.

II. Les apports et les conséquences de l’arrêt

A. Reconnaissance de sociétés d’avocats extérieurs à leur barreau d’inscription de ces sociétés

L’apport le plus direct de l’arrêt du 11 mai 2022 consiste à reconnaître expressément la possibilité de voir s’inscrire au tableau des avocats rattachés à un Ordre x des sociétés constituées selon le droit commun (sociétés civiles, SARL, SAS et SA notamment) dont aucun des associés ne se trouvera être un avocat inscrit auprès du barreau en question.

Ces sociétés verront toutefois leur activité limitée par le fait qu’aucun de leurs associés ne sera en mesure d’assurer la postulation dans le barreau auprès duquel la société sera inscrite, ce qui conduira à limiter son activité comme pourrait l'être celle d'un bureau secondaire, ainsi que l’avait relevé la cour d’appel de Paris dans l’arrêt rendu dans la présente affaire. Rappelons qu’aux termes de l’article 8, III de la loi du 31 décembre 1971, la société d’avocats « peut postuler auprès de l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d'appel dans lequel un de ses membres est établi et devant ladite cour d'appel par le ministère d'un avocat inscrit au barreau établi près l'un de ces tribunaux », une dérogation étant simplement apportée pour certaines activités (saisie immobilière, partage, licitation, aide juridictionnelle, instances dans lesquelles l’avocat concerné ne serait pas maître de l'affaire chargé également d'assurer la plaidoirie), pour lesquelles la société d’avocats ne peut postuler que devant le tribunal où est précisément inscrit l’un de ses membres

B. Confirmation d’une application sélective des textes relatifs aux SEL et SCP

Sur un plan théorique, mais qui n’est pas dépourvu de conséquences pratiques, l’arrêt commenté confirme que les sociétés de droit commun par lesquelles est exercée la profession d’avocat ne sont pas soumises à l’intégralité des dispositions applicables aux SEL ou aux SCP. L’arrêt l’illustre de manière nette en refusant d’appliquer à une société de droit commun l’article 3 du décret n° 93-492, du 25 mars 1993 N° Lexbase : L4321A4S, relatif à l’exigence d’inscription d’au moins un associé au barreau au sein duquel la société demande son inscription. Mais les autres dispositions du décret du 25 mars 1993, qui ne sont pas rendues applicables aux sociétés de droit commun par le décret n° 2016-882, du 29 juin 2016 N° Lexbase : L1248K94, devraient connaître le même sort. Notons toutefois, sur un plan pratique, que les différences entre une SEL et une société commerciale de droit commun devraient être assez réduites, étant donné que la plupart des dispositions du décret du 25 mars 1993 sont rendues applicables aux sociétés de droit commun par les articles 2 et 3 du décret du 29 juin 2016.

Mais c’est surtout s’agissant des dispositions légales que la différence de régime entre les SEL/SCP et les sociétés de droit commun devrait se faire sentir. L’article 12 de la loi du 31 décembre 1990 relative aux SEL est ainsi particulièrement exigeant en termes de gouvernance, puisqu’il est demandé que « Les gérants, le président et les dirigeants de la société par actions simplifiée, le président du conseil d'administration, les membres du directoire, le président du conseil de surveillance et les directeurs généraux ainsi que les deux tiers au moins des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance [soient] des associés exerçant leur profession au sein de la société ». Ainsi, une SELARL a forcément à sa tête un ou plusieurs gérants qui doivent (1) être des avocats et (2) exercer leur activité au sein de la société. Bien différente est la situation des sociétés de droit commun. Lorsque la loi « Macron » a autorisé aux avocats l’exercice de leur profession dans le cadre d’une société de droit commun, elle s’est en effet contentée d’exiger qu’ « au moins un membre de la profession d'avocat exerçant au sein de la société [soit] membre du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société ». Comme le faisait remarquer notre collègue Henri Hovasse, l’exigence est modeste [6]. Il relevait également que « la disposition formulée par le législateur n’a vocation à s’appliquer qu’aux sociétés dotées par la loi de tels conseils : il s’agit, en l’espèce, exclusivement des sociétés anonymes ». Il précisait que si les SAS, voire les SARL, peuvent se doter de semblables conseils, « la disposition législative ne semble pas pouvoir être étendue à ces situations », ce qui, pour le coup, nous semble pouvoir être discuté. En revanche, moins discutable est le fait qu’une SARL d’avocats qui n’est pas une SEL puisse avoir à sa tête une personne qui ne sera absolument pas un avocat, ni même membre d’une profession juridique ou judiciaire [7].

Il est selon nous peu probable – et l’arrêt commenté le confirme – que les juges acceptent d’étendre aux sociétés de droit commun les règles légales et réglementaires propres aux SEL ou aux SCP d’avocats, en raison de l’identité des activités exercées. Pour autant, un contre-exemple vient immédiatement en tête concernant la responsabilité civile.

En matière de responsabilité civile professionnelle, une règle dérogatoire au droit commun des sociétés est prévue pour les SEL et les SCP. L’article 16 de la loi n° 90-1258, du 31 décembre 1990, dispose en matière de SEL que « Chaque associé répond sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit » et que « La société est solidairement responsable avec lui », et la règle est formulée en termes quasiment identiques par l’article 16 de la loi n° 66-879, du 29 novembre 1966, relative aux SCP. Cela fait longtemps que les experts-comptables et les commissaires aux comptes ont la possibilité d’exercer dans le cadre d’une société de droit commun. Or, le droit commun des sociétés ne prévoit rien de tel : si c’est la société qui accomplit les actes professionnels, ce devrait en principe être elle la seule responsable. Mais cela correspond-il au droit positif ? La solution est, en réalité, la même pour les experts-comptables et les commissaires aux comptes, mais le fondement diffère. S’agissant des experts-comptables, une disposition spéciale vient expressément prévoir que les auteurs des actes professionnels sont responsables, même si lesdits actes sont faits pour le compte d’une société [8]. S’agissant des commissaires aux comptes, ce n’est pas un texte spécial qui formule cette solution, mais un important arrêt de la Cour de cassation, qui l’avait vu juger en 2010 que « le commissaire aux comptes agissant en qualité d'associé, d'actionnaire ou de dirigeant d'une société titulaire d'un mandat de commissaire aux comptes répond personnellement des actes professionnels qu'il accomplit au nom de cette société, quelle qu'en soit la forme » [9]. Il convient tout de même de noter que la solution rencontre une certaine résistance [10]. Si la Cour de cassation n’a pas hésité à appliquer aux sociétés de droit commun de commissaires aux comptes une solution qui apparaissait véritablement relever du régime spécifique des SEL et SCP, on peut s’interroger sur la possibilité qu’elle réitère cette application pour d’autres dispositions spéciales, cette fois à propos des avocats.

On peut raisonnablement supposer que la solution formulée en 2010 pour les commissaires aux comptes devrait s’appliquer aussi aux sociétés de droit commun constituées par des avocats [11]. Sans doute faut-il distinguer, en réalité, entre les règles qui relèvent de l’essence de la profession libérale et qui doivent s’appliquer même en présence d’une structure d’exercice dotée de la personnalité morale, aux professionnels de chair et d’os, et les règles techniques qui relèvent du régime spécial des SCP/SEL et ne concernent pas les sociétés de droit commun. Il n’allait cependant pas de soi que doive relever de cette seconde catégorie la condition d’inscription au tableau du barreau concerné d’au moins un associé…

 

[1] Cass. civ. 1, 11 mai 2022, n° 20-18.542, F-B.

[2] Art. P. 31, al. 1 et 2 : « L’avocat inscrit au tableau de l’Ordre doit exercer effectivement sa profession dans le ressort du barreau et, en conséquence, disposer à Paris d’un cabinet conforme aux usages et permettant l’exercice de la profession dans le respect des principes essentiels.

Il en va de même de toute société inscrite au tableau de l'Ordre dont au moins un des associés doit exercer effectivement sa profession dans le ressort du barreau et travailler aux conditions de l'alinéa précédent ».

[3] Sur cette réforme, v. G. Parléani, L’exercice en société des professions libérales - essentiellement juridiques - dans la loi Macron, Rev. Sociétés, 2015, p. 638 ; H. Hovasse, La réforme des sociétés d’exercice des professions juridiques et judiciaires, BJS, 2015, p. 535 ; D. Piau, Décrets 63 et 67, Macron, I want your bizness, Part. 1 : les structures d’exercice ; JCP éd. G, 2016, 1086, §4-5, obs. L. Jariel.

[4] Vademecum « Exercice en groupe », novembre 2020, p. 10-11.

[5] Op. cit., p. 24.

[6] H. Hovasse, op. cit., sp. p. 538.

[7] H. Hovasse, loc. cit.

[8] Ordonnance n° 45-2138, du 19 septembre 1945, art. 12, al. 3 : « Les experts-comptables, les salariés mentionnés à l'article 83 ter et à l'article 83 quater et les professionnels ayant été autorisés à exercer partiellement l'activité d'expertise comptable assument dans tous les cas la responsabilité de leurs travaux et activités. La responsabilité propre des sociétés membres de l'Ordre, des personnes mentionnées au premier alinéa du I de l'article 7 et des associations de gestion et de comptabilité laisse subsister la responsabilité personnelle de chaque expert-comptable, salarié mentionné à l'article 83 ter et à l'article 83 quater ou professionnel ayant été autorisé à exercer partiellement l'activité d'expertise comptable à raison des travaux qu'il exécute lui-même pour le compte de ces sociétés, succursales ou associations. Les travaux et activités doivent être assortis de la signature personnelle de l'expert-comptable, du salarié ou du professionnel ayant été autorisé à exercer partiellement l'activité d'expertise comptable ainsi que du visa ou de la signature sociale ». V. pour l’application de ce texte : Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-22.790, F-P+B N° Lexbase : A5157HUK, n° 102 ; D., 2011, p. 1754, obs. A. Lienhard ; Dr. Sociétés, 2011, comm. n° 175, note M. Roussille ; JCP éd. G, 2011, 1085, note J.-J. Barbièri ; Rev. Sociétés, 2012, p. 93, note A. Reygrobellet.

[9] Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-10.791, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9782ETH, n° 60 ; BJS, 2010, p. 483, note Ph. Merle ; Dr. Sociétés, 2010, comm. n° 115, note D. Gallois-Cochet ; Rev. Sociétés, 2010, p. 174, note J.-J. Daigre ; RTD com., 2010, p. 384, obs. P. Le Cannu et B. Dondero. Adde B. Saintourens, Responsabilité personnelle du commissaire aux comptes associé pour les actes accomplis au nom de la société titulaire du mandat, Lexbase Droit privé, n° 393 du 6 mai 2010 N° Lexbase : N0543BPS.

[10] V., ainsi CA Paris, 20 mai 2010, n° 09/12504 N° Lexbase : A9030EXQ, Rev. Sociétés, 2010, p. 391, note Ph. Merle ; JCP éd. E, 2010, 1993, §2, obs. F. Deboissy et G. Wicker.

[11] V. en ce sens, Vademecum Exercice en groupe, p. 25.

newsid:481646

Construction

[Brèves] Vade mecum de l’article 1788 du Code civil : quid en cas de destruction partielle de l’ouvrage ?

Réf. : Cass. civ. 3, 25 mai 2022, n° 21-15.883, FS-B N° Lexbase : A25507Y4

Lecture: 4 min

N1703BZ4

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 01 Juin 2022

► Les dispositions de l’article 1788 du Code civil ont vocation à s’appliquer même lorsqu’une reconstruction n’est pas nécessaire ; elles s’appliquent lorsque le dommage survient avant réception.

La réalisation d’un ouvrage immobilier est une opération longue et complexe pendant laquelle une multitude de dommages peut survenir. Il est donc fondamental de savoir qui est le débiteur du risque de la perte (et non du simple dommage, Cass. civ. 3, 16 septembre 2015, n° 14-20.392, FS-P+B N° Lexbase : A3929NP9) des matériaux destinés à la réalisation de l’ouvrage. Res perit domino ou res perit debitori ?

Le législateur a attribué la charge de ce risque à l’entrepreneur, en distinguant, toutefois, selon que les matériaux sont fournis par l’entrepreneur ou non. L’article 1788 du Code civil N° Lexbase : L1916ABL dispose, en effet, que « si, dans le cas où l’ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelques manières que ce soit, avant d’être livrée, la perte en est pour l’ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose » tandis que l’article 1789 N° Lexbase : L1917ABM dispose que « dans le cas où l’ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, il n’est tenu que de sa faute ».

L’article 1788 s’applique plus fréquemment, dès lors que l’entreprise fournit les matériaux nécessaires à la réalisation de l’ouvrage, condition que le juge doit néanmoins constater (Cass. civ. 3, 14 juin 1983, n° 82-11.964, publié au bulletin N° Lexbase : A4466CHU) et dont la charge de la preuve incombe au maître d’ouvrage (Cass. civ. 1, 9 novembre 1999, n° 97-16.306, publié au bulletin N° Lexbase : A5219AW9). L’entrepreneur assume la charge du risque, quelle que soit l’origine du sinistre ayant conduit à la perte de l’ouvrage qui lui incombe avant réception (Cass. civ. 3, 19 février 1986, n° 83-17.052, publié au bulletin N° Lexbase : A2719AAX).

Lorsque l’entreprise ne fournit pas les matériaux, le régime est, logiquement, plus clément à l’égard du débiteur. Le maître d’ouvrage ne pourra engager la responsabilité de l’entreprise qu’en établissant qu’elle a commis une faute (Cass. civ. 3, 4 octobre 1989, n° 88-11.047, inédit au bulletin N° Lexbase : A5881CMR) et qu’il existe un lien de causalité entre le dommage et l’activité de l’entreprise (CA Paris, 20 décembre 2007). La jurisprudence a, toutefois, facilité la mise en cause de l’entreprise en inversant la charge de la preuve de la faute. Il appartient, désormais, à l’entrepreneur de faire la preuve de son absence de faute (Cass. civ. 3, 17 février 1999 n° 95-21.018, publié au bulletin N° Lexbase : A8258CHC).

Il ressort de l’articulation de ces articles que le législateur a mis en place deux régimes distincts selon que l’entreprise fournit la matière ou opère seulement sur une matière qui appartient au maître d’ouvrage.

En l’espèce, des maîtres d’ouvrage confient la construction de leur maison à une entreprise et souscrivent, dans ce cadre, un contrat d’assurances pour couvrir, notamment, le risque tempête, neige, et grêle avant l’achèvement de l’ouvrage. La maison est endommagée par une tempête de grêle mais l’assureur refuse de prendre en charge le coût des réparations, estimant que celui-ci incombe au constructeur en application de l’article 1788 du Code civil.

La cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt rendu le 4 février 2021 (CA Bordeaux, 4 février 2021, n° 18/02748 N° Lexbase : A91824ES) suit ce raisonnement. La destruction d’une partie de la toiture de la maison et l’effondrement des plafonds étant survenus du fait des orages, avant la réception, il en résulte que l’entreprise qui a fourni la matière doit supporter les risques.

Le constructeur forme un pourvoi en cassation qui est rejeté. Le constructeur doit supporter le coût des travaux de réparation de la maison qu’il devait livrer. La solution peut paraître sévère mais il n’est pas dit que le constructeur ne puisse s’exonérer en invoquant la force majeure, du fait de cette grêle justement !

Pour une autre décision rendue le même jour à propos de l’article 1788 du Code civil : Cass. civ. 3, 25 mai 2022, n° 21-18.098, FS-B N° Lexbase : A25487YZ ; et nos obs. Vade mecum de l’article 1788 du Code civil : restitution au maître d'ouvrage de la provision du prix des travaux que l’entreprise n’est pas en mesure de livrer, Lexbase Droit privé, n° 908, 2 juin 2022 N° Lexbase : N1704BZ7.

newsid:481703

Fiscalité du patrimoine

[Brèves] Pacte Dutreil et holding animatrice : la Cour de cassation sème le trouble !

Réf. : Cass. com., 25 mai 2022, n° 19-25.513 N° Lexbase : A14897YS

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N1652BZ9

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par Marie-Claire Sgarra

Le 07 Juin 2022

Le fait pour une holding animatrice de cesser, postérieurement à la transmission de ses titres, d’exercer de manière prépondérante son activité éligible n’entraine pas la remise en cause du régime de faveur Dutreil.

Les faits :

  • à la suite du décès de son père, sa fille dépose une déclaration de succession dans laquelle elle a revendiqué, s'agissant des parts de la société X entreprises, qu'elle a qualifiée de holding animatrice de groupe, le bénéfice de l'exonération partielle des droits de succession à hauteur de 75 % de la valeur de ces parts, prévue à l'article 787 B du CGI, en prenant l'engagement de les conserver pendant une durée de quatre ans à compter de leur transmission ;
  • l'administration fiscale a remis en cause cette exonération partielle au motif que, dès le 3 décembre 2010, la société X entreprises avait cédé ses participations dans certaines de ses filiales et que l'activité de la holding était devenue purement financière ;
  • après rejet de sa réclamation contentieuse, la requérante a assigné l'administration fiscale en décharge des rappels d'imposition réclamés.

Principe. Aux termes de l’article 787 B du CGI N° Lexbase : L5936LQW les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs sont, à condition qu'elles aient fait l'objet d'un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques, et d'un engagement individuel de conservation pendant une durée de quatre ans à compter de l'expiration de l'engagement collectif, exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur.

En appel, la cour énonce que s'agissant d'une société holding, le bénéfice de l'avantage fiscal Dutreil ne peut se concevoir, au regard de l'objectif fixé par le législateur, que si ladite société conserve, pendant la durée exigée, sa fonction d'animation d'un groupe formé de filiales (CA Rennes, 8 octobre 2019, n° 17/08339). La cour avait ainsi donné gain de cause à l’administration fiscale.

« La cession de la plupart des filiales exerçant une activité économique au sens de l’article 787 B du code général des impôts, sans que le produit de ces cessions ait été réinvesti dans une nouvelle activité économique, a modifié la nature de la société Y Entreprises qui de holding animatrice est devenue essentiellement une holding financière gérant les produits des cessions intervenues. Ayant perdu sa fonction d’animatrice d’un groupe de filiales, elle ne satisfait plus aux conditions légales ».

Lire en ce sens, F. Chidaine, Pacte Dutreil et exigence de conservation pour la société de sa fonction d'animation, Lexbase Fiscal, novembre 2019, n° 804 N° Lexbase : N1359BYY.

La Chambre commerciale rappelle qu’« est assimilée à une telle société la société holding qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, le caractère principal de son activité d'animation de groupe devant être retenu notamment lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l'imposition, des titres de ces filiales détenus par la société holding représente plus de la moitié de son actif total ».

En jugeant que la société avait perdu sa fonction animatrice, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les dispositions de l’article 787 B du CGI précité.

La Chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Rennes.

En pratique :

  • il suffit (suffirait ?) que la holding soit animatrice au moment de la transmission et pourrait cesser une fois cette transmission faite ;
  • la Cour de cassation, par cette décision, va à l’encontre des derniers commentaires de l’administration fiscale en date du 21 décembre 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 25 N° Lexbase : X6754ALQ) selon lesquels « la société doit vérifier la condition d’activité pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation » ; cette dernière devra certainement (une nouvelle fois) revoir sa position ;
  • cette décision est favorable au contribuable et par ricochet une aide pour les praticiens.

 

    Pour aller plus loin :


     

     

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    Fiscalité du patrimoine

    [Focus] Les commentaires administratifs définitifs sur le pacte Dutreil

    Lecture: 31 min

    N1697BZU

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    par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

    Le 25 Octobre 2022

    Mots-clés : pacte Dutreil • holding • transmission • patrimoine • sociétés

    Le 22 décembre 2021, l’administration fiscale a décidé de nous offrir un cadeau de Noël avant l’heure. Après 8 mois d’attente et d’incertitude, les services centraux de l’administration fiscale ont communiqué les commentaires administratifs concernant l’application de l’article 787 B du Code général des impôts, c’est-à-dire du pacte Dutreil. Il est dommage que l’administration fiscale n’ait pas modifié ses commentaires relatifs à l’application de l’article 787 C du Code général des impôts.

    On peut relever des changements de positionnement, important en pratique, sur plusieurs points.

    Nous vous proposons un petit d’horizon des principales nouveautés apportées par les commentaires administratifs du 21 décembre 2021.


     

    I. L’activité en question 

    L’application de l’article 787 B du CGI N° Lexbase : L5936LQW, cela est également vrai pour les entreprises individuelles, nécessite que la société exerce une activité opérationnelle.

    Ainsi sont éligibles les activités de nature industrielle, artisanale, commerciale, agricole ou libérale.

    AQuid de l’activité de location meublée ?

    Les commentaires administratifs du 6 avril 2021 [1] excluaient du champ d’application du pacte Dutreil les activités de location en meublée, sans distinction entre celle relevant du régime des locations meublées professionnelles et non professionnelles.

    Comme d’autres commentateurs, ces commentaires ont pu nous nous surprendre pour plusieurs raisons. En restant très succinct, d’une part, l’article 787 B du Code général des impôts ne contient aucune règle d’exclusion spécifique en la matière, ce denier se contentant de faire référence à l’ « activité commerciale ».

    Certes, au regard de l’article L.110-1 du Code de commerce N° Lexbase : L0093L8X, il s’agit d’une activité civile. Cependant, l’article 35,5 bis du Code général des impôts N° Lexbase : L3342LCR considère cette activité comme une activité commerciale relevant des bénéfices industriels et commerciaux.

    D’autre part, l’avis rendu par le Comité de l’abus [2] de droit fiscal du 6 novembre 2015 laissait la porte ouverte à la mise en place d’un pacte Dutreil sur ce type d’activité.

    Les commentaires administratifs [3] du 21 décembre 2021 conservent le positionnement du 6 avril 2021. En effet, ces derniers précisent :

    «- les activités de location de locaux nus, quelle que soit l'affectation des locaux ;

    - les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ;

    - les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation ;

    - les activités de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles ».

    L’administration fiscale n’apporte aucune distinction entre les loueurs en meublé professionnel et non professionnel.

    La doctrine administrative tend ainsi à exclure ces activités du champ d’application du pacte Dutreil, sans distinguer les LMP des LMNP.

    L’administration fiscale précise en revanche que les activités de construction-vente d’immeubles ou de marchands de biens sont éligibles au pacte Dutreil.

    B. Analyse de la prépondérance de l’activité éligible 

    Avant les commentaires administratifs du 6 avril 2021 [4], l’administration fiscale acceptait que les sociétés exerçant une activité mixte puissent voir leurs titres faire l’objet d’un engagement de conservation.

    Cependant, l’activité opérationnelle devait être prépondérante.

    L’administration fiscale donnait les critères cumulatifs suivants

    • le chiffre d’affaires procuré par cette activité devait représenter au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total
    • et le montant de l’actif brut immobilisé de cette activité devait représenter au moins 50 % du montant total de l’actif brut.

    Cependant, le 23 janvier 2020, le Conseil d’État [5] a censuré cette partie de la doctrine administrative. Ce dernier précisait : « l'interprétation que ces commentaires administratifs prescrivent d'adopter méconnaît le sens et la portée des dispositions du premier alinéa de l'article 787 B du code général des impôts ».

    Les commentaires administratifs du 6 avril 2021 [6] avaient tiré les conséquences de cette censure.

    Bien que les services centraux de l’administration aient pris acte de celle-ci, l’administration fiscale admettait en pratique que l’on puisse utiliser les anciens critères.

    « À titre de règle pratique, il est admis qu’une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant de son chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total ».

    L’administration fiscale avait inséré un nouveau critère, celui de l’actif circulant.

    Ce positionnement a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment au regard de la composition de l’actif. Que faire de l’actif immobilier du groupe ? Peut-on considérer que l’immobilier loué à une autre société du groupe est affecté ? Faut-il sortir l’immobilier de la société avant la mise en place du pacte Dutreil avec toutes les conséquences fiscales que cela peut avoir ? Et la trésorerie, faut-il également la limiter ?

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 [7] entérinent là encore ce positionnement.

    « À titre de règle pratique, il est admis qu’une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant de son chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total.

    Si une société exerce plusieurs activités ayant le caractère d’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, il est tenu compte de l’ensemble de ces activités pour l’appréciation de leur caractère prépondérant et pour l’application de la règle pratique exposée au paragraphe précédent ».

    L’ensemble des difficultés demeurent. On relèvera que l’administration fiscale n’apporte toujours aucune précision sur les éléments d’actifs qui doivent être considérés comme affectés à l’activité.

    Faut-il une affectation directe, ou une affectation indirecte suffit-elle ? Là encore, il peut être opportun d’étudier l’opportunité de la sortie de biens immobiliers non affectés directement à l’activité afin de sécuriser la mise en place du pacte Dutreil.

    Cependant, l’administration fiscale apporte une précision au cas des sociétés exerçant plusieurs activités éligibles. A priori, dans ce cas, l’appréciation du seuil de 50 % serait effectuée de manière globale. Cette précision a le mérite de clarifier l’appréciation, même s’il est surprenant que l’administration ait eu le besoin d’apporter cette précision.

    À titre d’exemple, une société X a pour activité :

    • la lfabrication et vente de chaussures ;
    • la vente de produits alimentaires
    • et la location à des tiers de biens immobiliers.

    Le chiffre d’affaires de ces activités est le suivant :

    • fabrication et vente de chaussures : 125 000 euros
    • vente de produits alimentaires : 75 000 euros
    • location de biens immobiliers : 125 000 euros

    L’actif brut de cette société serait le suivant :

    • immobiliers loués à des tiers : 3 000 000 d’euros
    • immobiliers affectés à l’activité de fabrication : 2 000 000 d’euros
    • immobiliers affectés à la vente de produits alimentaires : 100 000 euros
    • matériels de fabrication de chaussures : 50 000 euros.

    Ici, l’ensemble des critères seraient remplis.

    C. Quid des changements d’activités en cours de vie des engagements ?

    Les commentaires administratifs à jour jusqu’au 6 avril 2021 ne traitaient pas de la question.

    En revanche, telle n’était pas le cas des commentaires administratifs à jour au 6 avril 2021 [8].

    « Il est précisé que la société doit conserver son activité éligible au bénéfice de l’exonération partielle pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation. Le changement d'activité pendant cette durée est possible lorsque l’activité nouvelle est exercée immédiatement après ou concomitamment avec l’ancienne et revêt une nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ».

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 [9] conservent cette possibilité de changement de l’activité éligible en cours de vie des engagements.

    « La société doit vérifier la condition d’activité précisée aux I-A § 15 et 20 pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation. L’abandon d’activités et l’exercice d’activités nouvelles pendant cette durée sont possibles, pourvu que la règle rappelée à la phrase précédente soit respectée ».

    On notera que l’administration fiscale a supprimé la condition de temporalité. Il n’est plus exigé que la nouvelle activité soit exercée immédiatement. On remarquera également que l’administration fiscale ne vise plus le changement d’activité en tant que tel, mais l’ajout ou l’abandon d’une activité éligible. Cette rédaction est susceptible de poser des difficultés opérationnelles pour les sociétés qui changent d’activités éligibles après l’arrêt de l’activité éligible.

    Pour plus de sécurité, ne faudrait-il pas commencer par l’ajout de la nouvelle activité puis l’abandon de l’ancienne ?

    La problématique vient notamment du fait que l’administration fiscale ne précise pas la date à laquelle il convient de se référer pour apprécier l’exercice de cette activité, et les critères visés au BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°n20. L’appréciation se fait-elle en fin d’année civile, à la fin de l’exercice ou à tout moment ?

    Il aurait pu être opportun d’avoir une précision sur ce sujet.

    II. Du nouveau sur les engagements collectifs et unilatéraux 

    A. L’engagement unilatéral indirect est de nouveau possible 

    Les commentaires administratifs du 6 avril 2021 [10] excluaient la possibilité de conclure un engagement unilatéral de manière indirecte.

    « L’engagement de conservation peut être souscrit par une personne morale. Cette personne morale peut être une société interposée entre le donateur ou le défunt et la société dont les titres font l’objet de l’engagement de conservation (étant rappelé que la transmission à titre gratuit ne bénéficie de l'exonération que si son auteur est aussi partie à l'engagement) ».

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 [11] reviennent sur cette position.

    L’administration fiscale supprime purement et simplement la précision ci-dessus « étant rappelé que la transmission à titre gratuit ne bénéficie de l'exonération que si son auteur est aussi partie à l'engagement ».

    Nous en déduisons ainsi qu’une société holding peut tout à fait souscrire un engagement unilatéral sur les titres d’une société fille.

    B. Quid du pacte interposé : la présence du donateur n’est plus requise 

    Les commentaires administratifs du 6 avril 2021 admettaient la mise en place d’un pacte Dutreil de manière interposée (§ 87 du BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10). Cependant, le défunt ou le donateur devait être directement signataire du pacte conclu au niveau de la société fille.

    Cette interprétation de l’administration fiscale mettait à mal certains schémas d’apport, en obligeant l’apporteur à conserver quelque part de la société fille. Pour les situations déjà acquises à la date de publication des commentaires administratifs, cette interprétation obligeait le donateur à reprendre quelque part, soit par cession ou augmentation de capital, au niveau de la société fille.

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 mettent fin à cette analyse. Il n’y a désormais plus d’obligation pour le donateur d’être également signataire du pacte au niveau de la société fille.

    C. Pacte réputé acquis et exercice de la fonction de direction par le conjoint 

    Pour rappel, afin de bénéficier du mécanisme du pacte réputé acquis, la fonction de direction doit être exercée par le détenteur des parts ou son conjoint, le partenaire de PACS ou le concubin notoire, depuis au moins deux ans.

    Le paragraphe n° 255 du BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 à jour au 6 avril 2021 précisait :

    « L’exonération partielle n’est accordée que lorsque l’un des détenteurs des titres exerce dans la société mentionnée au I-A-1 § 10 effectivement depuis deux ans au moins à la date de la transmission, son activité professionnelle principale s'agissant d'une société de personnes visée à l'article 8 du CGI ou à l'article 8 ter du CGI ou l'une des fonctions de direction énumérées au 1° du 1 du III de l'article 975 du CGI s’agissant d’une société soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option ».

    Cette rédaction laisse supposer que la fonction de direction ne peut pas être exercée par un conjoint, un partenaire de PACS ou un concubin qui ne serait pas lui-même détenteur de parts.

    Il est surprenant de constater que cette rédaction a été conservée au paragraphe n°255 du BOI à jour au 21 décembre 2021.

    III. Assouplissement en vue concernant la fonction de direction

    A. L’analyse de la fonction de direction pour l’engagement collectif et unilatéral

    L’un des revirements les plus spectaculaires se situe certainement au niveau de la fonction de direction.

    Il convient ici de rappeler que la rédaction de l’article 787 B du Code général des impôts fait référence, pour l’exercice de la fonction de direction, aux signataires initiales du pacte ou à l’héritier, le légataire ou le donataire.

    La rédaction même de l’article 787 B du Code général des impôts permet d’avoir la fonction de direction exercée par le père ou l’enfant durant toute la vie des engagements.

    Ce positionnement était d’ailleurs repris par les commentaires administratifs [12] en vigueur jusqu’au 6 avril 2021.

    Les commentaires administratifs [13] du 6 avril 2021 avaient durci cette appréciation.

    L’administration fiscale identifiait trois périodes :

    • Sur la période courant jusqu’à la transmission : la fonction de direction devait être exercée par le signataire initial de l’engagement ;
    • De la transmission jusqu’à l’expiration de l’engagement collectif : la fonction de direction devait être exercée par l’héritier, le légataire ou le donataire ou par le signataire initial, encore fallait-il qu’il reste tenu par cet engagement collectif. Ainsi, en cas de donation de la totalité des parts sous Dutreil, le signataire initial n’était pas pris en compte pour l’appréciation de cette condition ;
    • À compter de l’engagement individuel, la fonction de direction devait être exercée par l’héritier, le légataire ou le donataire.

    Cette analyse de l’administration fiscale mettait à mal un certain nombre de schémas de transmission progressive. On l’avait déjà écrit, il était possible contourner ces problèmes en allongeant la durée des engagements collectifs, avec les inconvénients que cela génère en termes de durée d’engagement de conservation.

    Les commentaires administratifs [14] du 21 décembre 2021 opèrent un revirement de position.

    « Ainsi, pendant la totalité de cette période, la fonction de direction doit être effectivement exercée par:

    • l’un des associés signataires de l'engagement unilatéral ou collectif de conservation des titres de la société mentionnée au I-A-1 § 10, y compris, par tolérance, lorsque cet associé a, depuis la signature de cet engagement, transmis tous les titres qui y sont soumis ;
    • ou, à compter de la transmission, l’un des héritiers, légataires ou donataires qui a pris l'engagement individuel de conserver les titres ainsi reçus ».

    On retrouve ainsi la possibilité de pouvoir faire porter la fonction de direction après la transmission jusqu’à l’expiration de l’engagement collectif ou unilatéral, et durant l’engagement individuel par le parent donateur ou l’enfant bénéficiaire de la transmission.

    Les schémas de transmission progressive se retrouvent ainsi protégés avec cette nouvelle rédaction.

    En revanche, de la signature de l’engagement collectif ou unilatéral et jusqu’à la transmission, la fonction de direction doit être exercée par une personne ayant signé l’engagement collectif ou unilatéral de conservation.

    Il convient également de relever que les commentaires administratifs reprennent la portée de la réponse ministérielle Des Esgaulx [en ligne] (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 70 à jour au 21 décembre 2021).

    Ainsi, l’administration fiscale tolère, lorsqu’aucun des héritiers ou légataires n’est en mesure de poursuivre l’exploitation en raison de leur minorité ou de leur incapacité, que l’exploitation puisse être confiée à un mandataire.

    B. L’analyse de la fonction de direction au cas du pacte réputé acquis : le retour en grâce de la codirection 

    La fonction de direction dans le cadre d’un pacte réputé acquis pose des difficultés depuis un certain nombre d’années, notamment en raison de l’interprétation littérale qui en est faite.

    À ce titre, la réponse ministérielle [15] Moreau avait clairement indiqué que la fonction de direction devait être exercée par le bénéficiaire de la transmission.

    Il convient de relever que la cour d’appel de Bordeaux [16] a validé cette approche littérale de la fonction de direction.

    Les commentaires administratifs [17] du 6 avril 2021 ont posé d’importantes difficultés.

    « L'exonération partielle ne trouve donc notamment pas à s'appliquer en cas d'engagement réputé acquis lorsque le donateur continue d'exercer son activité professionnelle principale ou la fonction de direction dans la société après la transmission ».

    Cette rédaction empêchait purement et simplement les donateurs de continuer à exercer une fonction de direction au sein de la société. Là encore, les schémas de transmissions progressives apparaissaient également prohibés du fait de cette rédaction hasardeuse. Pire encore, cette rédaction aboutissait à demander au parent dirigeant de se retirer purement et simplement de la direction.

    On observera que la lettre de l’article 787 B du Code général des impôts n’impose pas une telle exigence.

    Les commentaires administratifs [18] du 21 décembre 2021 mettent fin à cette problématique.

    « En cas d’engagement réputé acquis, l’un des héritiers, donataires ou légataires doit exercer une fonction de direction afin de remplir les exigences du d de l’article 787 B du CGI. Néanmoins, cela n’exclut pas qu’un autre associé, y compris le donateur, exerce également une autre fonction de direction ».

    Le parent donateur, ou un autre associé peut ainsi continuer à exercer son activité au sein de la société, sans remise en cause du bénéfice de l’abattement de 75 %. Bien évidemment, l’enfant devra exercer la fonction de direction.

    C. Quid de la rémunération ?

    On peut relever que la rédaction de l’article 787 B, d du Code général des impôts se contente de renvoyer pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés aux fonctions de direction énumérées au 1° du 1 du III de l’article 975 du même Code N° Lexbase : L9125LHG.

    Autrement dit, la lettre de l’article 787 B du Code général des impôts ne renvoie pas à l’ensemble du régime des biens professionnels, mais uniquement à quelques fonctions visées de manière expresse.

    Ce point a pu poser des difficultés à certains praticiens qui ont pu considérer qu’il y avait une condition de rémunération. Certains ont pu considérer que la rémunération du dirigeant de la société « dutreillé » devait être prépondérante par rapport à ses autres revenus professionnels.

    Sur ce point, les commentaires administratifs [19] du 6 avril 2021 ont indiqué qu’il n’y avait pas de condition de rémunération. Seul était donc nécessaire que la fonction soit effectivement exercée. Cela laisse ainsi la possibilité de mettre en place plusieurs pactes Dutreil sur des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés.

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 restent également sur cette position.

    En revanche, on relèvera que les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 ne prennent pas position sur la situation des sociétés relevant de l’impôt sur le revenu. Certains contribuables, et notamment le monde agricole, sont particulièrement exposés à des difficultés pratiques d’application du pacte Dutreil.

    En effet, il n’est pas rare de voir des exploitants agricoles associés de plusieurs sociétés agricoles de type EARL ou SCEA, relevant de l’impôt sur le revenu. Se pose alors la question de l’appréciation de la condition d’activité professionnelle à titre principale.

    Les versions du BOFIP [20] du 6 avril et du 21 décembre 2021 n’apportent pas vraiment de réponse à cette question. En effet, les commentaires précisent que la notion d’activité professionnelle à titre s’apprécie comme en matière de biens professionnels pour l’impôt sur la fortune immobilière.

    Cependant, le BOI se contente de renvoyer au paragraphe 10 à 40 du BOI-PAT-IFI-30-10-10-30 N° Lexbase : X1199AUX. Or, la notion des activités soit similaires, soit connexes et complémentaires est logée au paragraphe 50 et suivant. Le principe d’interprétation stricte des instructions fiscales empêche de se référer à cette partie du BOI.

    Il est regrettable que les commentaires administratifs n’apportent pas de précisions explicites sur ce sujet, même si un début de réponse semble apporter eu égard à l’absence de conditions de rémunération.

    IV. Opération sur titres en cours de vie des engagements 

    A. Cession des titres au cours de l’engagement collectif à un ayant droit 

    Il convient de relever que les commentaires administratifs [21] du 21 décembre 2021 admettent que :

    « les dispositions de la deuxième phrase du deuxième alinéa du 1 du b de l’article 787 B du CGI s’appliquent en cas de cession ou de donation des titres à l’ayant cause à titre gratuit mentionné au I-A § 11. Ainsi, un associé signataire du pacte peut donner ou céder des titres soumis à l'engagement de conservation à un ayant cause à titre gratuit mentionné à ce paragraphe sans remettre en cause cet engagement ».

    On comprend ainsi que les cessions de titres effectués au profit d’un ayant cause ne remettraient pas en cause le pacte Dutreil.

    B. Apport de titres à une société holding 

    L’ancienne version de l’article 787 B, f du Code général des impôts était critiquée [22]. En effet, outre le fait que l’apport n’était pas possible en phase d’engagement collectif, la holding ne pouvait pas détenir d’autres titres ou d’autres éléments d’actif. 

    La condition relative à la composition de l’actif empêchait toute possibilité de développement de la société holding. En outre, l’objet social était clairement un facteur limitant pour le caractère animateur de la société holding.

    La loi de finances pour 2019 a assoupli [23] l’article 787 B, f du Code général des impôts sur plusieurs points. Le dispositif a été entièrement refondu.

    D’une part, les possibilités d’apports ont été élargies à la phase de l’engagement collectif post transmission.

    La condition d’objet social a également été supprimée. Celle-ci a été remplacée par une nouvelle exigence, la valeur réelle de l’actif brut de la société holding doit être composée à plus de 50 % des titres de la société « dutreillée » apportée. Ainsi, la société holding peut dorénavant accueillir d’autres éléments d’actifs tels que des titres d’une autre société, ou encore des immeubles par exemple. De même, n’étant plus cantonnée à la gestion des titres de la société « dutreillée », elle peut également rendre des prestations.

    Les conditions liées à la détention des titres et à l’exercice de la fonction de direction au sein de la société holding ont été remaniées.

    La lettre de l’article 787 B, f [24] du Code général des impôts indique dorénavant : « Les trois-quarts au moins du capital et des droits de vote y afférents de la société bénéficiaire de l'apport sont, à l'issue de l'apport, détenus par les personnes soumises aux obligations de conservation prévues aux a et c. Cette société est dirigée directement par une ou plusieurs de ces personnes. Les conditions tenant à la composition de l'actif de la société, à la détention de son capital et à sa direction doivent être respectées à l'issue de l'opération d'apport et jusqu'au terme des engagements mentionnés aux a et c ».

    On voit ici apparaître les premières incertitudes dues à la mauvaise rédaction de l’article 787 B, f du Code général des impôts, que plusieurs auteurs ont relevé [25]. Que faut-il comprendre de la conjonction de coordination « et », employée par le texte ? Faut-il conclure que seules les personnes tenues par l’engagement collectif et individuel doivent servir de base pour apprécier le seuil de 75 % et la fonction de direction. Ou au contraire faut-il y voir une appréciation alternative. Cette différence d’approche est importante en pratique, dans la mesure où selon l’appréciation adoptée, seul le donataire, l’héritier ou légataire sera pris en compte pour apprécier le seuil de 75 %, et seul lui pourra exercer la fonction de direction. Selon l’autre approche, le signataire initial pourra également être pris en compte pour l’appréciation du seuil de 75%, et l’exercice de la fonction de direction.

    La lecture des débats parlementaires pose ici de vraies difficultés dans la mesure où ils sont contradictoires. En effet, le rapport parlementaire [26] déposé au Sénat précise que le seuil de 75 % s’apprécierait par rapport aux bénéficiaires de l’exonération. Cela tend ainsi à favoriser le fait que le seuil de 75 % s’apprécie par rapport aux bénéficiaires de la transmission.

    En revanche, le rapport [27] déposé devant l’Assemblée nationale adoptait une approche alternative, permettant ainsi au signataire initial d’être pris en compte dans l’appréciation du seuil 75 %, ainsi que pour le respect de la fonction de direction.

    On constate ainsi que malgré une volonté d’assouplissement, la rédaction approximative de l’article 787 B ; f du Code général des impôts a fait naître de nouvelles incertitudes, entraînant de grandes difficultés d’application.

    1) Appréciation du seuil de 50 % 

    Les commentaires administratifs [28] du 6 avril 2021 posaient des difficultés importantes d’application de l’article 787 B du Code général des impôts.

    En effet, l’administration fiscale considérait que le seuil de 50 % s’appréciait à partir de la seule valeur vénale des seules parts ou actions qui sont soumises aux engagements de conservation.

    Ainsi, les titres d’une même société non soumis à engagement et apportés à la société holding ne sont pas pris en compte pour l’appréciation de ce seuil.

    L’exemple suivant permet d’illustrer les difficultés d’application du pacte Dutreil.

    À titre d’exemple, Monsieur D est associé avec son fils, Monsieur L de la SAS M, chacun à hauteur de 50 %. La société est évaluée à 400 000 euros. La valeur de la participation de chaque associé est donc égale à 200 000 euros.

    Monsieur D conclut un engagement unilatéral de conservation sur la totalité de ses actions. Monsieur D donne la totalité des titres à son fils.

    Monsieur L apporte l’intégralité des parts à la société holding J.

    À l’actif du bilan de la holding J, il y aura l’intégralité des parts de la SAS M, dont la moitié est soumise à un engagement collectif de conservation, soit 200 000 euros. Dans la mesure où, « seul » 50 % de l’actif brut de la société holding J sera soumis à l’engagement de conservation, alors l’abattement de 75 % prévu par l’article 787 B du Code général des impôts ne devrait pas pouvoir être maintenu au regard des commentaires administratifs du 6 avril 2021.

    L’approche des commentaires administratifs [29] du 21 décembre 2021 est beaucoup plus souple. « Pour apprécier ce seuil de 50 %, il est toutefois admis de prendre en compte la valeur vénale de toutes les participations dans cette société, y compris celles qui ne sont pas soumises à ces engagements de conservation ».

    Les nouveaux commentaires administratifs permettent ainsi d’inclure dans le seuil de 50 %, l’ensemble des titres d’une même société. Cette interprétation administrative est salutaire.

    En effet, l’enfant bénéficiaire de la transmission n’aura plus à faire le tri entre d’une part les titres qu’il a reçu au titre de l’article 787 B du CGI, et ceux qu’il détenait auparavant.

    Ainsi, avec la nouvelle rédaction de la base BOFiP l’exemple visé ci-dessus ne pose plus de difficulté. Les montages à effet de levier se retrouvent ainsi moins pénalisés avec cette rédaction de la base BOFiP.

    On retrouve en revanche toujours la même impossibilité d’apporter des titres de sociétés différentes sous Dutreil. L’analyse étant dorénavant faite par société, ce point risque de poser des difficultés en présence de sociétés membres d’un même groupe.

    Il faudrait ainsi probablement s’orienter vers des apports à deux holdings distinctes.

    2) Appréciation du seuil de 75 % 

    L’appréciation du seuil de 75 % se trouve également modifiée.

    Les commentaires administratifs du 6 avril 2021 découpaient cette approche en deux temps, l’une concernant la phase d’engagement collectif, et l’autre la phase de l’engagement individuel. La réponse ministérielle Patriat [30] était certainement un avant-goût du positionnement des commentaires du 6 avril 2021.

    Lorsque les titres de la société soumise au pacte Dutreil ont été donnés, puis apportés à une société holding au cours de l’engagement collectif, le seuil de 75 % intègre d’une part le bénéficiaire de la transmission, et d’autre part le signataire initial. Cependant, encore faut-il que ce dernier reste soumis à l’engagement collectif de conservation.

    En d’autres termes, si un parent ayant conclu un engagement collectif de conservation a donné l’intégralité de ces parts soumises à engagement, il n’est par hypothèse plus soumis à l’engagement collectif, et par conséquent il ne peut être pris en compte pour l’appréciation du seuil de 75 %. Il en est de même pour l’exercice de la fonction de direction.

    Ici, les commentaires administratifs [31] du 21 décembre 2021 tolèrent dorénavant que le parent puisse durant la phase d’engagement individuel conservait 25 %, au plus du capital et des droits de vote de la société holding, sous réserve que la majorité du capital et des droits de vote soit détenu par les bénéficiaires de l’exonération partielle.

    « Au cours de l'engagement individuel de conservation prévu au c de l'article 787 B du CGI, il est tenu compte, pour l’appréciation du seuil de 75 %, des titres détenus dans la société bénéficiaire de l’apport par les seules personnes soumises à cet engagement individuel de conservation. Il est admis que le ou les donateurs puissent détenir plus de 25 % du capital et des droits de vote de la holding, à la condition que la majorité du capital et des droits de vote soit détenue par les bénéficiaires de l’exonération partielle ».

    Cette rédaction est originale dans la mesure où elle semble inclure les participations des parents donateurs dans l’appréciation du seuil de 75 %. Cela permettrait ainsi d’avoir 25 % du capital de la société holding à disposition d’associé tiers, ou éventuellement d’autres enfants n’ayant pas bénéficié de l’application du pacte Dutreil.

    En revanche, en phase d’engagement individuel il ne pourrait pas être pris en compte dans le seuil de 75 % les titres soumis historiquement à un engagement collectif par d’autres associés tiers à la famille, dont l’engagement collectif serait arrivé à expiration.

    Il pourrait rentrer dans le seuil de 25 % restant libre.

    Par ailleurs, les commentaires administratifs [32] du 21 décembre 2021 réaménagent complètement les remarques du paragraphe 86 du BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20.

    L’ancienne rédaction du 6 avril 2021 était ambiguë et posait des difficultés d’interprétation.

    Dorénavant, il est possible d’inclure dans le seuil de 75% des titres de la même société cible provenant d’engagement différent.

    À titre d’exemple, Monsieur D détient 100 % des titres de la SAS J. Il conclut en janvier 2022 un engagement unilatéral de conservation de deux ans portant sur 40 % des titres. Il donne l’intégralité des 40 % à son fils Monsieur L.

    Monsieur L apporte les 40 % de titres à la société holding M d’une valeur de 100 euros la part. La valeur totale des titres apportés s’élève à 400 000 euros.

    En 2024, Monsieur D conclut un nouvel engagement unilatéral de conservation des titres sur les 60 % des titres de la SAS J qu’il détient. Il donne 30 % des actions de la SAS J à son fils Monsieur L qui les apporte à la holding M. Par hypothèse, la valeur de la part est identique. La valeur totale des titres afférents à ce second apport s’élève à 300 000 euros.

    Ainsi, la holding M aura à son bilan 40 % actions de la SAS J soumise à un engagement individuel, et 30 % des actions de la SAS J soumise à un engagement unilatéral de conservation.

    Monsieur L détiendra 100 % des titres de la holding M. Cependant les titres ne proviennent pas des mêmes engagements. En effet, 57 % des titres de la holding détenus par Monsieur L proviennent de titres sous engagement individuel issu de la donation de janvier 2022, et 43 % des titres sous engagement unilatéral issu de la donation de 2024.

    Au vu de la nouvelle rédaction des titres, il n’y aurait donc plus de difficultés sur l’appréciation du seuil de 75 % dans la mesure où il conviendrait de tenir compte des titres soumis à engagement collectif et individuel.

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 indiquent également qu’il est possible de faire de la somme des participations de plusieurs personnes soumises à un engagement individuel de conservation dans la même société.

    3) Exercice de la fonction de direction au sein de la société holding bénéficiaire de l’apport 

    Au vu des modifications apportées quant à l’appréciation du seuil de 75 %, l’approche de la fonction de direction au niveau de la société holding bénéficiant devait également être amendée.

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 [33] opèrent un découpage en deux temps :

    • Durant la phase d’engagement collectif ou unilatéral : la fonction de direction doit être exercée par l’un des signataires de l’engagement ou après la transmission par l’un des héritiers, donataires ou légataires bénéficiaires de l’exonération. On retrouve ici à peu près les mêmes possibilités que celle existant sous l’empire des commentaires du 6 avril 2021. Bien évidemment, on comprend qu’un enfant qui ne bénéficierait pas de l’article 787 B du CGI ne pourrait pas à lui seul porter la fonction de direction.
    • Durant la phase d’engagement individuel : la fonction de direction doit être portée par l’un des bénéficiaires de la fonction de direction, ou à titre de tolérance, par le donateur.

    Concernant l’exercice par le donateur, l’administration fiscale précise que cela peut être le cas, y compris s’il a transmis tous les titres qui sont soumis à engagement.

    Attention tout de même, l’administration fiscale semble limiter cette tolérance à la situation où le donateur a apporté des titres de la société cible à la société holding.

    Les commentaires administratifs du 21 décembre 2021 apportent de nombreux assouplissements. Si l’administration fiscale ne répond pas à l’ensemble des demandes, les nouveaux commentaires administratifs demeurent plus favorables au contribuable.

     

    [1] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 15 à jour au 6 avril 2021.

    [2] Avis CADF 2015-07 à 2015-09 du 6 novembre 2015 ; éditions Francis Lefebvre FR 10/16 du 25 février 2016.

    [3] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 15 à jour au 21 décembre 2021 N° Lexbase : X6754ALQ.

    [4] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 20 à jour du 19 mai 2014 au 6 avril 2021.

    [5] CE 3° et 8° ch.-r., 23 janvier 2020, n° 435562, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A56683CW. Lire en ce sens les conclusions du Rapporteur public, R. Victor, Lexbase Fiscal, février 2020, n° 812 N° Lexbase : N2102BYI.

    [6] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 20 à jour au 6 avril 2021.

    [7] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 20 à jour au 22 décembre 2021.

    [8] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 17 à jour au 6 avril 2021.

    [9] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 25 à jour au 21 décembre 2021.

    [10] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 87 à jour au 6 avril 2021.

    [11] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 87 à jour au 21 décembre 2021.

    [12] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 390 à jour jusqu’au 6 avril 2021.

    [13] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 390 à jour au 6 avril 2021.

    [14] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 380 à jour au 21 décembre 2021.

    [15] QE n° 99759 de M. Yannick Moreau, JOANQ 11 octobre 2016, réponse publ. 7 mars 2017 p. 1983, 14ème législature N° Lexbase : L7071LDA.

    [16] CA Bordeaux, 23 novembre 2021 n° 19/03868 N° Lexbase : A87317CD.

    [17] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 395 à jour au 6 avril 2021.

    [18] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 395 à jour au 21 décembre 2021.

    [19] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 290 - remarques à jour au 6 avril 2021.

    [20] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 280 à jour au 21 décembre 2021.

    [21] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 40 à jour au 21 décembre 2021.

    [22] La revue fiscale du patrimoine, n° 3, mars 2019, étude 7.

    [23] Droit fiscal n° 1-2, 3 janvier 2019, comm. 46.

    [24] CGI, art. 787 B, f, à jour au 24 mai 2019.

    [25] Actes pratiques et stratégie patrimoniale, n° 3, juillet 2020, dossier 22 n° 56, J.-F. Debusquois ; La revue fiscale du patrimoine, n° 7-8, juillet 2019, F. Fabrega Digby-Smith et O. De Saint-Chaffray.

    [26] Rapport général n° 147 (2018-2019) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 novembre 2018 [en ligne].

    [27] Rapport fait au nom de la commission des finances, de M. Joël Giraud, Tome II examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2019, 11 octobre 2018, art. 16.

    [28] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 81 à jour au 6 avril 2021.

    [29] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 81 à jour au 21 décembre 2021.

    [30] QE n° 06410 de M. François Patriat, JO Sénat 2 août 2018 p. 3929, réponse publ. 3 septembre 2020 p. 3895, 15ème législature N° Lexbase : L9121LZT.

    [31] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 86 à jour au 21 décembre 2021.

    [32] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 86, remarques à jour au 21 décembre 2021.

    [33] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 87, à jour au 21 décembre 2021.

    newsid:481697

    Fonction publique

    [Brèves] Conditions de révision d'un accord collectif issu d'une négociation dans la fonction publique

    Réf. : CE 2°-7° ch. réunies, 19 mai 2022, n° 456425, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A58887XD

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    par Yann Le Foll

    Le 01 Juin 2022

    ► Un accord collectif issu d'une négociation dans la fonction publique peut être révisé à l’initiative des organisations syndicales représentant la majorité au moins des suffrages exprimés, y compris lorsqu’elles n’ont pas signé l’accord en cause.

    Faits. Les syndicats requérants demandent l’annulation du décret n° 2021-904, du 7 juillet 2021, relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique N° Lexbase : L1112L7C.

    Selon l'article L. 227-2 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L5848MB9 : « Ces accords peuvent être modifiés par des accords conclus dans le respect de la condition de majorité déterminée au I de l'article 8 quater et selon des modalités précisées par voie réglementaire. »

    Position CE. Ces dispositions n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d'interdire aux organisations syndicales représentatives qui n'étaient pas signataires d'un accord collectif de prendre l'initiative de sa modification, les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité pouvant, même sans être signataires d'un accord, demander d'ouvrir une négociation en vue de sa modification ou participer à la négociation d'un nouvel accord dans le cadre prévu par l'article 8 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur.

    En prévoyant que les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité peuvent demander d'ouvrir une négociation en vue de la révision d'un accord, l'article 8 du décret attaqué n'est pas entaché d'illégalité. En revanche, en réservant cette possibilité aux seules organisations signataires de l'accord, les dispositions de cet article 8 ont ajouté une condition, non prévue par la loi, qui méconnaît l'exigence résultant des sixième (libre adhésion au syndicat de son choix) et huitième (participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail) alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 N° Lexbase : L6815BHU.

    Décision. Au premier alinéa de l'article 8 du décret n° 2021-904, du 7 juillet 2021 précité, le mot « signataires » est annulé.

    newsid:481631

    Marchés publics

    [Jurisprudence] Le référé contractuel contre un marché privé conclu en MAPA : la Cour de cassation s’aligne sur l’arrêt « Grand Port Maritime du Havre »

    Réf. : Cass. com., 11 mai 2022, n° 19-24.270, FS-B N° Lexbase : A56497W7

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    par Ana Gonzalez, Avocat associé, Aristee Avocats

    Le 01 Juin 2022

    Mots clés : référé contractuel • MAPA • candidat évincé • stand still • moyens invocables

    La limitation des cas dans lesquels les candidats à un marché privé de la commande publique évincés peuvent agir en référé contractuel ne porte pas atteinte à la substance de leur droit à un recours effectif et est proportionnée au but légitime poursuivi.


     

    Une société d'économie mixte a initié une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché privé portant sur la réalisation de travaux de construction de logements sociaux, en application des règles de la commande publique. Une entreprise évincée du lot n° 1 (terrassement, gros œuvre) a introduit un référé contractuel, devant le juge judiciaire, en vue de l'annulation du contrat.

    Le tribunal de grande instance rejette la requête, la société requérante se pourvoit en cassation, et obtient la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») au Conseil constitutionnel relative au droit au recours du requérant évincé devant le juge judiciaire, selon les dispositions issues de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique N° Lexbase : L1548IE3.

    Le Conseil constitutionnel retient la constitutionnalité de ces règles, ce qui conduit la Cour de cassation à rejeter le pourvoi en rappelant que les moyens invocables en référé contractuel s’apprécient de manière stricte (I) et que, pour autant, le requérant n’est pas privé d’un droit au recours effectif (II).

    I. Une lecture stricte par la Cour de casssation des moyens invocables en référé contractuel 

    Adoptant l’approche du Conseil d’Etat, la Cour de cassation retient que le référé contractuel n’est pas une « session de rattrapage » pour le concurrent évincé (A) et que la liste des moyens susceptibles d’être invoqués par ce dernier en référé contractuel est limitative (B).

    A. Le référé contractuel n’est pas une « session de rattrapage » pour le candidat évincé

    Contrairement aux idées reçues, les candidats malheureux à l’obtention d’un marché et souhaitant en contester la procédure de passation ne disposent pas de « plusieurs cordes contentieuses à leur arc ».

    Avant la signature du contrat, le référé précontractuel permet aux personnes ayant intérêt à conclure le contrat d’en contester la procédure de passation [1]. Le recours intervient ainsi au cours du délai de suspension (ou délai de « stand still ») pendant lequel l’acheteur qui notifie au candidat son éviction s’abstient de signer le marché. Ce délai est réglementé (au moins 11 jours s’agissant d’une procédure formalisée dématérialisée).

    Tout le problème est que l’acheteur n’est pas tenu d’observer un tel délai dans les procédures adaptées. Il est même autorisé à notifier l’éviction aux candidats non-retenus après la signature du marché, les privant du recours en référé précontractuel [2].

    Par ailleurs, le référé contractuel [3] permet à ces mêmes requérants de contester la validité du contrat une fois signé.

    Il faut souligner que le référé contractuel est redoutablement difficile à utiliser, et ne constitue en aucun cas une « deuxième chance » pour les concurrents évincés qui auraient « raté » le délai du référé précontractuel ou qui n’auraient pas pu l’activer, par l’effet de la signature du contrat sans délai de suspension [4].

    Le Conseil d’Etat a d’ores et déjà retenu cette solution dans le célèbre arrêt « Grand Port Maritime du Havre », s’agissant des recours contre les contrats issus d’une procédure adaptée [5].

    Sur ce point, la Cour de cassation confirme dans l’arrêt commenté et explique bien l’articulation des recours :

    « cette restriction s'inscrit dans un mécanisme par lequel les candidats à un appel d'offres ont, en amont de la conclusion du contrat, la possibilité de saisir le juge des référés précontractuel de tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, afin que soit ordonné le respect de ces obligations ou, le cas échéant, que soit prononcée l'annulation de la procédure. Cette possibilité est aussi ouverte aux candidats évincés après l'annonce de l'attributaire des offres et jusqu'à la conclusion du contrat » [6].

    Les deux ordres de juridiction adoptent donc la même approche : le référé contractuel doit être réservé « aux violations les plus graves des obligations de publicité et de mise en concurrence » [7].

    Finalement, les deux recours ne sont pas cumulatifs : ils n’ont pas la même vocation ; le référé précontractuel est utilisé avant la signature du contrat pour obtenir la sanction des violations des formalités de publicité et de mise en concurrence en vue de la conclusion du contrat ; le référé contractuel est utilisé une fois le contrat signé [8].

    Mais surtout, les moyens invocables à l’appui du référé contractuel ne sont pas communs au référé précontractuel. De plus, ils sont limitativement énumérés par l’article 16 de l’ordonnance du 7 mai 2009.

    B. Les moyens invocables en référé contractuel sont limitatifs

    La Cour de cassation retient que les moyens invocables en référé contractuel sont limitatifs [9] (et cette solution était déjà celle de la jurisprudence administrative [10]). Ils sont les suivants :

    1. Soit une absence totale de publicité (ou de publicité au JOUE lorsqu’elle est obligatoire) ;

    2. Soit une méconnaissance des modalités de remise en concurrence des marchés subséquent à un accord-cadre ou un SAD.

    Si ces manquements sont caractérisés, le juge peut annuler le contrat [11]. Lorsque l’annulation d’un contrat est prononcée pour l’un de ces motifs, elle n’est pas subordonnée à la condition que le manquement ait affecté les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat [12].

    3. Soit le non-respect du délai de suspension entre la décision d’éviction et la signature à la double condition que :

    - le candidat ait été ce faisant privé de son droit au recours ;

    - et qu’une violation des obligations de publicité et de mise en concurrence soit constatée, entraînant une lésion des intérêt du requérant [13].

    Même dans ce cas de figure, le pouvoir adjudicateur pourra toujours opposer une raison impérieuse d'intérêt général pour empêcher l'annulation du contrat, ou obtenir une annulation différée [14]. Dans la pratique, le juge prononcera rarement la nullité du contrat et parfois une pénalité financière [15], ce qui limite l'intérêt du recours pour le concurrent évincé (la pénalité ne lui est pas reversée [16] et le contrat survit).

    II. La question du droit au recours des candidats évincés de l'attribution d'un marché conclu selon la procédure adaptée 

    A. Le dispositif est validé par le Conseil constitutionnel

    Dans cette affaire, la Cour de cassation avait transmis une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après « QPC ») au Conseil constitutionnel, relative à la constitutionnalité de l’article 16 de l’ordonnance du 7 mai 2009 ; et plus précisément sur sa conformité au principe du droit au recours juridictionnel effectif du concurrent évincé et au principe d’égalité devant la loi.

    Selon le requérant, les dispositions de l’article 16 limitaient de manière excessive les manquements pouvant être invoqués, après la signature d’un contrat de droit privé de la commande publique, par les concurrents évincés afin d’en obtenir la nullité. Il soutenait que, de plus, aucune autre voie de recours n’était ouverte devant le juge judiciaire. Il soutenait ensuite que les candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique disposaient, après la signature du contrat, d’une voie de recours supplémentaire reconnue par la jurisprudence administrative leur permettant d’en contester la validité. Ces dispositions étaient donc, selon lui, contraires au principe d’égalité devant la loi [17].

    Le Conseil constitutionnel retient que l’article 16 de l’ordonnance est bien conforme à la Constitution (et plus précisément à l’article 16 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1363A9D), considérant que l’atteinte au droit au recours n’est pas « substantielle » dans la mesure où le législateur peut restreindre le droit au recours [18] et d’autres recours sont offerts au concurrent évincé [19] : « les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce qu’un candidat irrégulièrement évincé exerce, parmi les voies de recours de droit commun, une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement dénoncé ».

    S’agissant du principe d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel rappelle que : « les contrats administratifs et les contrats de droit privé répondent à des finalités et des régimes différents » et qu’ainsi, les candidats évincés d’un contrat de droit privé de la commande publique ne sont pas placés dans la même situation que les candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique. Le principe d’égalité devant la loi n’est donc pas méconnu.

    La Cour de cassation rejette donc le pourvoi, s’appuyant sur cette décision et rappelant qu’« En procédant de la sorte, le législateur a entendu éviter une remise en cause trop fréquente de ces contrats après leur conclusion et assurer la sécurité juridique des relations contractuelles, ainsi que la confiance dans les relations économiques. Il a ainsi poursuivi un but légitime ».

    Il reste que la situation spécifique des candidats évincés d’un marché privé de la commande publique conclu sous la forme d’une procédure adaptée est pour le moins délicate, car privés de la possibilité d’exercer un référé précontractuel dans le cas où l’acheteur ne s’astreint pas à respecter un délai de stand still, ils ne pourront pas utiliser le référé contractuel (sauf dans les cas très rares d’absence de publicité ou de remise en concurrence des marchés subséquents). Et contrairement à ce que retiennent la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, les autres voies de recours sont minces.

    B. Les solutions alternatives sont minces

    La Cour de cassation [20] et le Conseil constitutionnel [21] invitent le requérant évincé à former un recours indemnitaire contre l’acheteur pour obtenir réparation de son préjudice. Mais d’emblée l’on pense à la difficulté d’obtenir réparation d’un tel préjudice devant le juge administratif qui exige – pour caractériser ce préjudice - la démonstration d’une chance sérieuse d’emporter le contrat et la démonstration précise du manque à gagner du requérant [22]. Le juge judiciaire ne sera pas moins exigeant.

    Le Conseil constitutionnel écarte la transposition du recours en contestation de la validité du contrat, issu de la jurisprudence du Conseil d’Etat « Tarn-et-Garonne » [23], aux marchés privés de la commande publique, ce qui s’explique fort bien par la différence de nature des contrats concernés [24].

    Il restait l’espoir pour le candidat évincé d’attaquer directement le contrat sur le fondement de l’article 1178 du Code civil N° Lexbase : L0900KZD en invoquant la nullité absolue du contrat fondée sur un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. La jurisprudence judiciaire l’avait déjà reconnu [25].

    Mais en ne mentionnant pas cette voie de recours, il est raisonnable de penser que la Cour de cassation ne considère pas de tels manquements comme caractérisant des nullités absolues, et ferme ainsi une autre porte au (malheureux) concurrent évincé.

     

    [1] Ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, art. 2.

    [2] Puisque dès lors que le marché est signé, le juge du référé précontractuel est incompétent.

    [3] Ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, art. 11.

    [4] Ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, art. 12 : « Le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article 2 ou à l'article 5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article 4 ou à l'article 8 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours. » ; voir sur ce point comm. Cons. const., décision n°2020-857 QPC du 2 octobre 2020 N° Lexbase : A49413WW : « Les auteurs de la Directive comme ceux des textes qui en ont assuré la transposition ont entendu privilégier la contestation avant la passation du contrat, la nullité d’une procédure de passation apparaissant moins grave que celle du contrat lui-même. C’est la raison pour laquelle le référé contractuel est en principe fermé à ceux qui ont exercé un référé précontractuel ou qui auraient pu l’engager ».

    [5] CE 2° et 7° s-s-r., 19 janvier 2011, n° 343435, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1573GQC.

    [6] Arrêt rapporté.

    [7] Arrêt rapporté, expression également reprise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-857 QPC du 2 octobre 2020 N° Lexbase : A49413WW.

    [8] Dans les 31 jours de la signature en cas d’avis d’attribution ou dans les 6 mois de la signature à défaut de publicité, voir CPC, art. 1441-3 N° Lexbase : L3344K7Y.

    [9] Ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, art. 16.

    [10] CE, 19 janvier 2011, n° 343435, préc. ; CE, 11 décembre 2013, n° 372214 N° Lexbase : A3735KRR, et pour une formulation claire : TA Paris, 22 juillet 2020, n° 2009189 N° Lexbase : A98423SC : « Il résulte des dispositions précitées que les manquements susceptibles d’être utilement invoqués dans le cadre du référé contractuel sont limitativement définis. Lorsque le marché n’est pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de respecter un délai minimal entre la notification de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une offre et la signature du contrat, l’annulation d’un tel contrat de ne peut résulter que, soit du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1598IEW, soit de ce que le contrat a été signé, en méconnaissance des dispositions des articles L. 551-4 et L. 551-9 du même code N° Lexbase : L1566IEQ, alors que le tribunal administratif était saisi d’une demande en référé précontractuel ».

    [11] Cass com., 14 février 2012, n° 11-18.070 N° Lexbase : A8689ICS ; CE, 17 décembre 2014, n° 385033 N° Lexbase : A2639M8A ; CE, 23 novembre 2011, n° 343435, préc.

    [12] CE, 4 avril 2016, n° 396191 N° Lexbase : A2438RBW.

    [13] Cass. com, 5 juin 2019, n° 17-12.452 N° Lexbase : A9285ZDA ; Cass. com., 6 janvier 2015, n° 13-20.213 N° Lexbase : A0769M9D.

    [14] CE 2° et 7° s-s-r., 1er juin 2011, n° 346405, publié au recueil Lebon, préc.

    [15] CE 2° et 7° s-s-r., 30 novembre 2011, n° 350788, publié au recueil Lebon, préc. : « eu égard, d'une part, au très faible délai laissé à la société [X] par le centre hospitalier pour saisir le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, mais, d'autre part, à la nature de la méconnaissance par le centre hospitalier de ses obligations, n'affectant pas la substance même de la concurrence, et compte tenu du montant du marché, il y a lieu d'infliger au centre hospitalier une pénalité financière d'un montant de 10 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 551-20 du Code de justice administrative ».

    [16] « Le montant des pénalités financières est versé au Trésor public » (article 21 de l'ordonnance du 7 mai 2009).

    [17] Sur l’ensemble de la question, voir le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel.

    [18] Voir Cons. const., décisions n° 93-335 DC du 21 janvier 1994 N° Lexbase : A8301ACG, n° 2019-794 QPC du 28 juin 2019 N° Lexbase : A7057ZGH, n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 N° Lexbase : A4835XHK.

    [19] Voir Cons. const., décisions n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013 N° Lexbase : A2951I3P, n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017 N° Lexbase : A1482WYK, n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019 N° Lexbase : A8972ZHR, et a contrario si le requérant est privé de tout recours, Cons. const., décisions n° 2018-763 QPC du 8 février 2019 N° Lexbase : A6194YWC et n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 N° Lexbase : A9179NXA.

    [20] « Les candidats évincés ne sont pas pour autant privés de faire valoir leurs droits, dès lors que les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce qu'un candidat irrégulièrement évincé exerce une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement et obtienne ainsi réparation du préjudice qui en est résulté pour lui. Il s'en déduit que la limitation des cas dans lesquels les candidats à un marché privé de la commande publique évincés peuvent agir en référé contractuel ne porte pas atteinte à la substance de leur droit à un recours effectif et qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi ».

    [21] « D'autre part, les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce qu'un candidat irrégulièrement évincé exerce, parmi les voies de recours de droit commun, une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement dénoncé ».

    [22] Par ex. : CE, 14 octobre 2019,. n° 418317 N° Lexbase : A0695ZR8.

    [23] CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994 N° Lexbase : A6449MIP.

    [24] L’arrêt n° 358994 du 4 avril 2014 « Tarn-et-Garonne » constitue une exception au principe de l’effet relatif des conventions qui s’explique par le fait qu’il s’applique aux contrats administratifs.

    [25] CA Aix-en-Provence, 23 mai 2005, n° 2005/384.

    newsid:481655

    Procédure

    [Brèves] Irrecevabilité d’une demande au titre du paiement d’heures supplémentaires formulée pour la première fois en appel

    Réf. : Cass. soc., 25 mai 2022, n° 21-11.478, F-B N° Lexbase : A14827YK

    Lecture: 2 min

    N1633BZI

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    par Charlotte Moronval

    Le 01 Juin 2022

    ► La demande au titre du paiement des heures supplémentaires, formulée pour la première fois en appel, n'est pas l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire d'une demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif et exécution déloyale du contrat de travail, et est donc irrecevable.

    Faits et procédure. Contestant son licenciement pour insuffisance professionnelle, un salarié saisit la juridiction prud'homale.

    La cour d'appel (CA Dijon, 10 décembre 2020, n° 18/00344 N° Lexbase : A464039Q), qui constate que les demandes formées par le salarié devant les premiers juges étaient limitées à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution déloyale du contrat de travail, en déduit que la demande au titre du paiement des heures supplémentaires, formulée pour la première fois en appel, n'est pas l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire des prétentions originaires et qu'elle est donc irrecevable.

    Le salarié forme un pourvoi en cassation, soutenant sa demande est bien l'accessoire, la conséquence ou le complément des prétentions soumises au premier juge. En effet, il relève que la perte d'autonomie et le retrait d'attributions avaient pour conséquence la perte du statut de cadre dirigeant et en conséquence le droit au paiement d'heures supplémentaires.

    Rappel. CPC, art. 566 N° Lexbase : L7234LEN: les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

    La solution. Énonçant la solution susvisée, la chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

    Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’appel, Les conditions de fond, in Procédure civile, Lexbase N° Lexbase : E518049Q.

     

    newsid:481633

    Procédure civile

    [Brèves] Procédure d’appel : quid du défaut de communication des pièces simultanément à la notification des conclusions ?

    Réf. : Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-14.616, F-B N° Lexbase : A41057XC

    Lecture: 5 min

    N1647BZZ

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    par Alexandra Martinez-Ohayon

    Le 02 Juin 2022

    La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 19 mai 2022 vient préciser que l’article 906 du Code de procédure civile n’édicte aucune sanction en cas de défaut de communication des pièces simultanément à la notification des conclusions, même lorsque l'affaire est fixée à bref délai ; néanmoins, le juge est tenu de rechercher si ces pièces ont été communiquées en temps utile.

    Faits et procédure. Dans cette affaire, un groupe a assigné devant le juge des référés un autre groupe avec lequel il était lié par un accord de partenariat, aux fins notamment qu’il soit condamné à lui communiquer certaines informations relatives à une cession de titres au bénéfice d’un tiers. Par ordonnance, le juge a décidé qu’il n’y avait pas lieu à référé. La société subrogeant les droits du groupe demandeur a interjeté appel à l’encontre de cette décision.

    Le pourvoi. Les demandeurs font grief à l’arrêt (CA Paris, 6 janvier 2021, n° 20/05632 N° Lexbase : A16154CS) d’avoir déclaré recevables les pièces et conclusions de l’appelante, infirmé l'ordonnance et les avoir condamnés à communiquer diverses pièces à l’appelante, assortissant cette condamnation d’une astreinte. Les intéressés font valoir la violation des articles 16, 905-2 N° Lexbase : L7036LEC, 906 N° Lexbase : L7238LES et 954 N° Lexbase : L7253LED du Code de procédure civile, ainsi que le principe de la contradiction. Il faut exposer avant tout l’argument des demandeurs (ils soutiennent que le principe de contradiction suppose que l'intimé se soit vu notifier les pièces visées à l'appui de conclusions en demande dans le délai d'un mois qui lui est imparti à compter de la notification de ces conclusions lorsque l'affaire est fixée à bref délai). Ils reprochent alors à la cour d’appel d’avoir retenu que les conclusions et pièces étaient recevables quand bien même les pièces n'avaient pas été produites avec les conclusions d'appel dans le délai d'un mois imparti à l'appelant. Par ailleurs, d’avoir retenu qu’il était suffisant que les pièces visées par les conclusions de l'appelant soient versées avant la clôture, et qu’il était peu important qu'elles n'aient pas été produites dans le délai d'un mois imparti à l'intimé pour y répondre, si bien qu'il n'y avait pas lieu de prononcer l'irrecevabilité.

    Solution. La Cour de cassation rappelle que :

    • aux termes des dispositions de l'article 905-2 du Code de procédure civile, alinéas 1 et 2 , à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe. L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué ;
    • que l’article 906 du même Code énonce quant à lui que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie. Lorsqu’il y a une pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avocats constitués et qu’une copie des conclusions est remise au greffe avec la justification de leur notification. Les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables.

    Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction, rejette le pourvoi,  relevant que les intimés avaient conclu, dans le délai imparti par l'article 905-2 du Code précité et que si l'appelante avait communiqué à la partie adverse les pièces, figurant sur son bordereau de communication de pièces annexé à ses conclusions, après l'expiration du délai des intimés pour conclure, la sanction de cette communication tardive ne pouvait, au regard de l'article 906 du même Code, être l'irrecevabilité des conclusions de l'appelante, notifiées dans le délai requis par l’article 905-2.

    Les Hauts magistrats déclarent en conséquence le moyen non fondé et valident le raisonnement de la cour d’appel, précisant que c'est à bon droit et sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel, après avoir constaté que l'appelante avait communiqué ses pièces à une date permettant aux intimés de conclure utilement au fond bien avant la date de clôture, a déclaré recevables les conclusions et pièces de l'appelante.

    Pour aller plus loin : v. F. Seba, ÉTUDE : L’appel, La communication des pièces devant la cour, in Procédure civile (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E599449U.

     

     

    newsid:481647

    Responsabilité

    [Brèves] Responsabilité du fait des choses : l’absence de défaut d’entretien et l’exonération du gardien de la chose

    Réf. : Cass. civ. 2, 25 mai 2022, n° 20-17.123, F-B N° Lexbase : A15007Y9

    Lecture: 2 min

    N1701BZZ

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    par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

    Le 03 Juin 2022

    ► Le seul fait qu’un bâtiment soit dans un état vétuste ne suffit pas à établir le rôle actif des plaques de fibrociment ayant cédé ; pour établir un tel rôle, les juges du fond auraient dû rechercher si, même correctement entretenues, les plaques auraient cédé.

    Faits et procédure. Vains avaient été les efforts du propriétaire d’un bâtiment pour dissuader un mineur de monter sur le toit, lequel était déjà fissuré et l’ensemble du bâtiment vétuste. C’est dans ce contexte que des plaques de fibrociment cédèrent lorsque le mineur monta sur le toit. Le propriétaire, gardien de la chose, pouvait-il s’exonérer de sa responsabilité ? On sait qu’en présence d’une chose inerte, il est nécessaire de prouver le rôle instrumental de la chose dans la survenance du dommage (v. par exemple Cass. civ. 2, 11 janvier 1995, n° 92-20.162 N° Lexbase : A7345ABN). La cour d’appel avait admis le rôle actif en se fondant pour cela sur le défaut d’entretien et le mauvais état des plaques qui équipaient le toit (CA Douai, 2 avril 2020, n° 18/05713 N° Lexbase : A56853KR ; sur cet arrêt, v. M. Rouanne,  Partage de responsabilité entre le propriétaire d'un entrepôt mal entretenu à l'origine du dommage et la victime fautive, Lexbase Droit privé, n° 822, 30 avril 2020 N° Lexbase : N3129BYK).

    Solution. L’arrêt d’appel est cassé au visa de l’ancien article 1384 alinéa 1er, devenu l’article 1242, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7, siège de la responsabilité du fait des choses. La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de s’être exclusivement fondée sur le « défaut d’entretien de la plaque de fibrociment pour retenir le rôle actif du dommage, sans mettre en évidence l’anormalité de cette chose, en recherchant si la plaque, même correctement entretenue, n’aurait pas cédé sous le poids (du mineur) ». C’est ainsi considérer que si, en l’absence d’un défaut d’entretien, la plaque avait néanmoins cédé, alors la plaque de fibrociment n’aurait eu aucun rôle causal et qu’en conséquence le gardien aurait été exonéré de sa responsabilité.

    newsid:481701

    Santé et sécurité au travail

    [Brèves] L’absence de situation de harcèlement moral n’empêche pas de caractériser un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur

    Réf. : Cass. soc., 25 mai 2022, n° 21-12.811, F-D N° Lexbase : A40847YW

    Lecture: 2 min

    N1689BZL

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    par Lisa Poinsot

    Le 01 Juin 2022

    ► L'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle, de sorte que le juge ne peut, pour débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, retenir qu’aucun agissement répété de harcèlement moral n’étant établi, il ne peut être reproché à l’employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité.

    Faits et procédure. À la suite de sa mutation, un salarié sollicite, en 2017, auprès de la juridiction prud’homale la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Deux ans plus tard, ce salarié est déclaré inapte à tout poste par le médecin du travail. Il est alors licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

    Pour débouter le salarié de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, la cour d’appel (CA Paris, 6 janvier 2021, n° 19/06607 N° Lexbase : A15464CA) retient que :

    • après avoir estimé que les éléments produits par le justiciable étaient de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral, dit n'y avoir lieu à retenir celui-ci, au motif que les éléments produits ne caractérisaient pas le harcèlement de plusieurs salariés à son encontre ;
    • en l’absence de harcèlement moral, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ne peut être caractérisé.

    Le salarié forme alors un pourvoi en cassation.

    La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel. En matière de harcèlement moral, un salarié peut agir en justice sur deux fondements : l’obligation de sécurité de l’employeur en application des articles L. 4121-1 N° Lexbase : L3097INZ et L. 4121-2 N° Lexbase : L8844ITQ du Code du travail et la prohibition des agissements de harcèlement moral au titre des articles L. 1152-1 N° Lexbase : L0724H9P et L. 1154-1 N° Lexbase : L6799K9P du Code du travail.

    Pour aller plus loin :

    • v. déjà : Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551, FP-P+B N° Lexbase : A3486Z4U, Ch. Moronval, Réaffirmation de la distinction entre obligation de prévention des risques professionnels et prohibition des agissements de harcèlement moral, Lexbase Social, décembre 2019, n° 805 N° Lexbase : N1449BYC ;
    • v. ÉTUDE : Le harcèlement moral, Les obligations de l’employeur, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9486YUU.

     

    newsid:481689

    Sociétés

    [Brèves] Nomination de l’expert chargé d’évaluer les droits sociaux : important revirement de jurisprudence

    Réf. : Cass. com., 25 mai 2022, n° 20-14.352, FS-B+R N° Lexbase : A14857YN

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    N1693BZQ

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    par Vincent Téchené

    Le 02 Juin 2022

    ► La décision par laquelle le président du tribunal, saisi en application de l'article 1843-4 du Code civil, refuse, pour quelque cause que ce soit et, notamment, en raison de l'autorité de chose jugée attachée à une précédente décision de refus, de désigner un expert est susceptible d'appel ;

    En ce cas, au terme d'un réexamen complet des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel peut, si elle décide d'infirmer l'ordonnance qui lui est déférée, désigner elle-même un expert, et ce, par une décision sans recours possible, sauf excès de pouvoir.

    Faits et procédure. À la suite de la perte de leur qualité d’associés d’une société, deux époux ont assigné cette dernière devant le président d'un tribunal de grande instance sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil N° Lexbase : L1737LRR aux fins de désignation d'un expert pour fixer la valeur de leurs droits sociaux. Les associés ont été déclarés irrecevables en leur demande. Par la suite, le mari est décédé. Ses ayants droit ont alors, à nouveau, assigné la société aux mêmes fins et devant la même juridiction.

    Ces derniers ayant été également déclarés irrecevables, il ont formé un pourvoi en cassation, la société contestant la recevabilité de celui-ci.

    Décision. Sur la recevabilité du pourvoi, la Cour de cassation opère un important revirement de jurisprudence particulièrement argumenté.

    Elle rappelle que selon l'article 1843-4 du Code civil, la décision par laquelle le président du tribunal procède à la désignation d'un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible.

    Elle juge habituellement qu'il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir (Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-12.999, F-P+B N° Lexbase : A6991ILI ; Cass. civ. 2, 7 juin 2018, n° 17-18.722, F-P+B N° Lexbase : A7311XQT) et elle déclare irrecevables les recours dans lesquels une simple erreur de droit est invoquée (Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-17.866,  F-P+B N° Lexbase : A6914ILN ; Cass. com., 7 juillet 2020, n° 18-18.190, F-D N° Lexbase : A11853RC).

    Jusqu'à présent, elle précise qu’elle appliquait cette solution même lorsque le recours était formé contre une décision rejetant la demande de désignation d'un expert (Cass. com., 11 mars 2008, n° 07-13.189, FS-P+B N° Lexbase : A4067D7R).

    Toutefois, la Cour de cassation relève que cette unité de régime n'est pas exigée par la lettre du texte et ce n'est que lorsque le président désigne un expert que l'objectif de célérité poursuivi par le législateur commande l'absence de recours. Dès lors, elle estime qu’afin d'éviter de placer les parties face à une situation de blocage dans le cas où le président refuse de désigner un expert pour quelque cause que ce soit, il apparaît nécessaire de leur reconnaître le droit de relever appel de cette décision.

    Par ailleurs, la Haute juridiction poursuit en rappelant que la jurisprudence considérait, en outre, qu'en cas d'annulation d'une décision de première instance refusant de désigner un expert, la cour d'appel ne pouvait désigner elle-même cet expert (Cass. com., 10 octobre 2018, n° 16-25.076, F-D N° Lexbase : A3318YGY).

    Or, elle considère que cette limitation apportée au pouvoir de la cour d'appel, cohérente avec un appel-nullité, n'a plus lieu d'être dès lors qu'un appel, voie de réformation, est ouvert aux parties en cas de refus de désignation. Dès lors, elle retient désormais qu’en ce cas, au terme d'un réexamen complet des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel pourra, si elle décide d'infirmer l'ordonnance qui lui est déférée, désigner elle-même un expert, et ce, par une décision sans recours possible, sauf excès de pouvoir. La reconnaissance d'un tel pouvoir de désignation au juge d'appel contribuera à l'efficacité et à la célérité du dispositif.

    En l’espèce, la Cour relève que l'ordonnance attaquée ayant déclaré irrecevable comme se heurtant à l'autorité de chose jugée la demande de désignation d'un expert, il s'ensuit que cette décision, qui n'a pas désigné un expert, est susceptible de recours et qu'elle aurait dû être déférée à la cour d'appel.

    Toutefois, pour la Haute juridiction, l'application à cette instance de la règle issue du présent revirement de jurisprudence, qui devrait conduire à déclarer irrecevable le pourvoi au motif qu'il n'est pas dirigé contre une décision rendue en dernier ressort, aboutirait à priver les demandeurs, qui ne pouvaient ni connaître ni prévoir, à la date où ils ont exercé leur pourvoi en cassation, la possibilité qui leur est désormais reconnue de former un appel d'une décision de refus de désignation d'un expert, d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR.

    La Cour en conclut qu’il convient de déclarer le recours recevable.

    Elle poursuit en rejetant le pourvoi. En effet, le tribunal a constaté qu'une ordonnance en la forme des référés avait été rendue le 5 mai 2009, déclarant l’associé décédé et son épouse irrecevables en leur demande de désignation d'un expert chargé, en application de l'article 1843-4 du Code civil. Or, la demande dont il était saisi était présentée par les mêmes parties agissant dans la même qualité, avait le même objet et se fondait sur la même cause, de sorte qu’il en a déduit qu'elle se heurtait à l'autorité de chose jugée relativement aux contestations que cette ordonnance avait tranchées, et l'a déclarée irrecevable en application.

    Or, selon la Cour, le rachat des parts n'étant pas la conséquence du décès de l’associé mais de son exclusion, et la situation de blocage invoquée préexistant à la première saisine du président du tribunal, celui-ci n'avait pas à procéder à la recherche inopérante invoquée par les demandeurs au pourvoi.

    En outre, la Haute juridiction ajoute que l'absence de mention d'une possibilité de recours dans la notification de la première ordonnance déclarant les associés irrecevables ne pouvant avoir de conséquences que sur le point de départ du délai d'exercice d'une voie de recours, et n'étant pas susceptible de faire échec à l'autorité de chose jugée attachée, en l'absence de recours, à cette décision, le président du tribunal n'avait pas à répondre aux conclusions soulevant cette difficulté.

    Observations. Il s’agit là d’un revirement de première importance dans un contentieux particulièrement fourni. Cette solution, en ouvrant la voie de l’appel et la possibilité pour les juges d’appel de désigner, le cas échéant, l’expert risque d’engendrer un nouveau contentieux.

    On relèvera qu'un autre arrêt rendu le même jour par la Chambre commerciale est également venu préciser les pouvoirs juridictionnels du juge saisi sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil (Cass. com., 25 mai 2022, n° 20-18.307, F-B N° Lexbase : A14847YM, K. de Amorim, Lexbase Affaires, juin 2022, n° 719 N° Lexbase : N1696BZT).

    Pour aller plus loin : v. le commentaire de cet arrêt par le Bâtonnier Philippe Duprat, Avocat au barreau de Bordeaux, in Lexbase Affaires n° 721 à paraître le 16 juin 2022. 

     

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    Voies d'exécution

    [Pratique professionnelle] La mise à prix : le cas de la saisie immobilière

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    N1589BZU

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    par Denis Talon, avocat honoraire au Barreau de Paris, ancien membre du Conseil de l’Ordre et du Conseil national des Barreaux, ancien Président de Droit & Procédure, et Charles Simon, avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’AAPPE et de Droit & Procédure

    Le 01 Juin 2022

    Mots-clés : saisie immobilière • vente forcée • adjudication • mise à prix •adjudication • enchères • créancier poursuivant

    La mise à prix est le point de départ des enchères en saisie immobilière. Ce n’est pas leur point d’arrivée, sauf défaut d’enchère. C’est le créancier poursuivant qui fixe le montant de la mise à prix, à sa discrétion, sous réserve d’une éventuelle contestation par le débiteur en cas d’insuffisance manifeste. En pratique, les tribunaux apprécient la suffisance de la mise à prix au regard de son « attractivité ». C’est ainsi qu’ils ont pu valider des mises à prix de l’ordre de 30 % de la valeur vénale du bien. Les auteurs des présentes lignes sont, quant à eux, d’avis qu’un montant de mise à prix de l’ordre d’un quart à un tiers de la valeur du bien est de bonne politique.


     

    Cet article est le premier d’une série de deux sur la mise à prix. Il traite de la mise à prix en matière de saisie immobilière. Le second traitera de la mise à prix en matière de licitation. Nous ferons, tout d’abord, un rappel sur la notion de mise à prix et sur les textes qui l’encadrent en matière de saisie immobilière (I), puis nous développerons ce à quoi elle sert, c’est-à-dire à attirer des enchérisseurs (II). Enfin, nous conclurons en formulant des recommandations quant à la fixation de son montant (III).

    I. Rappel sur la mise à prix en cas de saisie immobilière

    A. Qu’est-ce que la mise à prix ?

    La mise à prix n’est définie nulle part dans le Code des procédures civiles d’exécution. Il s’agit cependant d’un terme du langage courant dont tout le monde comprend le sens. La mise à prix, c’est le point de départ des enchères lorsque la vente forcée d’un bien intervient dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.

    Ce n’est cependant pas le point d’arrivée des enchères, sauf en cas de défaut d’enchère.

    Pour illustrer de trois exemples la décorrélation qui peut exister entre le montant de la mise à prix et le prix d’adjudication, un premier bien de 10,52 m2 situé dans le 17ème arrondissement à Paris, mis à prix 31 000 euros courant mai 2022, a été adjugé 120 000 euros, soit près de quatre fois plus. Et encore, c’est sans tenir compte des frais annexes à la vente, en particulier des frais dits « préalables », correspondant aux actes d’huissier de justice, diagnostics, publicités et autres antérieurs à la vente. Le montant de ces frais préalables, à la charge de l’adjudicataire, est typiquement compris entre 8 000 et 15 000 euros à Paris. En l’espèce, le prix final de l’adjudication était donc en réalité plus de quatre fois supérieur au montant de la mise à prix.

    Un deuxième bien situé dans le 5ème arrondissement de Paris, à savoir quatre caves de 48 m2 (réunion de deux caves) ; 3,12 m2 et 16,80 m2, mis en vente lors de la même audience d’adjudication, a été adjugé quant à lui 70 000 euros sur une mise à prix de 5 000, soit un coefficient multiplicateur de 14 entre la mise à prix et le prix d’adjudication, hors frais préalables.

    Enfin, un troisième bien, un appartement de 170,15 m2 avec cave, situé dans le 15ème arrondissement de Paris, mis en vente une semaine plus tôt, n’a été adjugé « que » 1 905 000 euros sur une mise à prix de 1 000 000, soit un prix d’adjudication légèrement inférieur au double de la mise à prix.

    Ces exemples permettent de faire un premier constat : la mise à prix ne présage donc pas de ce que le prix d’adjudication sera.

    B. Les textes encadrant la mise à prix

    L’incertitude inhérente à toute vente publique peut expliquer la décorrélation entre mise à prix et prix d’adjudication, de même que les caractéristiques intrinsèques des biens saisis qui peuvent entraîner une modération du montant des enchères (bien dégradé ou occupé par le débiteur saisi ou un locataire, avec un loyer plus ou moins en adéquation avec les prix du marché). Mais le caractère allusif des textes régissant la saisie immobilière quant à la fixation du montant de la mise à prix n’y est sans doute pas non plus étranger. En effet, les textes du Code des procédures civiles d’exécution ne traitent la notion de mise à prix que de façon incidente.

    Elle n’est citée qu’à un seul article de la partie législative du Code des procédures civiles d’exécution, l’article L. 322-6 N° Lexbase : L5884IRD qui fixe les grands principes :

    « Le montant de la mise à prix est fixé par le créancier poursuivant. À défaut d'enchère, celui-ci est déclaré adjudicataire d'office à ce montant.
    Le débiteur peut, en cas d'insuffisance manifeste du montant de la mise à prix, saisir le juge afin de voir fixer une mise à prix en rapport avec la valeur vénale de l'immeuble et les conditions du marché. Toutefois, à défaut d'enchère, le poursuivant ne peut être déclaré adjudicataire que pour la mise à prix initiale. »

    Deux points essentiels se dégagent :

    • c’est le créancier poursuivant qui fixe le montant de la mise à prix et, les textes ne posant aucune contrainte à son pouvoir de fixation, il le fixe au montant qu’il veut. À charge pour le débiteur saisi de contester ce montant devant le juge de l’exécution s’il l’estime « manifestement insuffisant » afin de le voir augmenté « en rapport avec la valeur vénale de l'immeuble et les conditions du marché » ;
    • en cas de carence d’enchère, le créancier se voit déclaré adjudicataire pour le montant de la mise à prix qu’il a fixé, même si le juge a, par la suite, augmenté ce montant à la demande de la partie saisie (Cass. civ. 2, 12 avril 2018, n° 17-15.418, F-P+B N° Lexbase : A1317XLD).

    La partie réglementaire est plus prolixe, avec onze articles citant la mise à prix. Mais, là encore, s’il est beaucoup question du « montant de la mise à prix », rien n’est dit sur les critères permettant de le fixer.

    II. Le rôle de la mise à prix

    A. Le rôle attractif de la mise en à prix vis-à-vis des enchérisseurs

    Un arrêt de la Cour de cassation dévoile la clé de cette fixation aux non-initiés (Cass. civ. 2, 1er mars 2018, n° 16-28.042, F-D N° Lexbase : A0413XGE). Le premier rôle de la mise à prix est d’être « attractive ». Dans le cas soumis à la Cour de cassation, le montant de la mise à prix avait été fixé à 70 000 euros pour un bien évalué à 320 000 euros, soit moins d’un quart de cette évaluation. Cette notion « d’attractivité » est régulièrement reprise par les juridictions du fond (CA Orléans, 20 août 2020, n° 19/03451 N° Lexbase : A08323SM dans un cas concernant une vente par adjudication intervenant à l’occasion d'une procédure collective ; CA Versailles, 2 juillet 2020, n° 19/04812, N° Lexbase : A20543Q7  ; CA Poitiers, 18 juillet 2017, n° 17/00630).

    Par attractivité, il faut entendre, positivement, à même d’attirer le plus grand nombre possible de candidats à l’acquisition et, négativement, de nature à ne pas dissuader ceux-ci (cf. le motif d’une cour d’appel visé dans le troisième moyen de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 18-14.471, F-D N° Lexbase : A8933Y4M). Une mise à prix correspondant à une fraction seulement de la valeur vénale du bien est ainsi « normale ».

    Cette façon de procéder a deux effets :

    • écarter le spectre d’un défaut d’enchères ;
    • et faire espérer une compétition entre enchérisseurs faisant monter le prix d’adjudication final, jusqu’à, dans l’idéal, une somme égale, voire supérieure à la valeur vénale du bien.

    Ce rôle attractif de la mise à prix n’étant cependant nulle part inscrit dans les textes, l’avocat praticien doit régulièrement l’expliquer aux parties à la saisie, que ce soit le créancier poursuivant, le candidat à l’acquisition ou le débiteur, voire les créanciers inscrits ou intervenants.

    En effet, si la mise à prix est inférieure au montant de sa créance, le créancier poursuivant peut craindre de ne pas pouvoir la recouvrer intégralement. Quant à l’enchérisseur, il est trop souvent obnubilé par la potentialité d’une « bonne affaire » qu’une mise à prix faible fait espérer, croyant ainsi pouvoir profiter du malheur des autres en achetant un bien une fraction de sa valeur vénale. Enfin, à l’inverse du candidat à l’acquisition, le débiteur saisi peut craindre une « mauvaise affaire » qui le dépouillera de son bien à un prix de misère, le laissant, dans le pire des scénarii, sans maison, sans le sou et, pire, avec un reliquat de dette envers le créancier poursuivant.

    Le rôle de conseil de l’avocat, quelle que soit la partie à la saisie immobilière qu’il assiste, est donc fondamental ici et il est souvent nécessaire de rappeler ce rôle attractif de la mise à prix, par exemple à des syndicats de copropriétaires. Car certains d’entre eux, encore néophytes en matière de saisie immobilière et trop enthousiastes d’avoir enfin voté la saisie du bien d’un copropriétaire ne payant pas ses charges, sont parfois tentés de fixer la mise à prix à un montant proche du prix du marché, voire à celui-ci, risquant de faire fuir ainsi les amateurs.

    B. Le rôle protecteur de la mise à prix vis-à-vis du créancier poursuivant

    Le second rôle de la mise à prix est de protéger le créancier poursuivant. En effet, ainsi qu’il a été dit, à défaut d’enchère, il sera déclaré adjudicataire du bien pour le montant de celle-ci. C’est bien pourquoi c’est lui seul qui fixe ce montant.

    Car, imaginons que ce soit le débiteur et alors la situation serait particulièrement malsaine. Le débiteur pourrait être tenté de fixer la mise à prix à un montant supérieur à la valeur vénale du bien, dissuadant les candidats à l’acquisition d’enchérir. À l’issue de la procédure de saisie immobilière, le créancier se trouverait ainsi avec un bien au lieu d’espèces sonnantes et trébuchantes et il ne pourrait revendre le bien, pour le transformer en liquidités, qu’en acceptant une moins-value. Le débiteur pourrait ainsi exercer un véritable chantage sur le créancier poursuivant via la fixation du montant de la mise à prix.

    Si, par ailleurs, le montant de la mise à prix était supérieur non seulement à la valeur du bien mais aussi à la créance du créancier poursuivant, celui-ci serait assuré d’avoir à verser plus d’argent en règlement du prix d’adjudication, à savoir le montant de la mise à prix faute d’enchère, qu’il n’en recevra en retour à l’issue de la procédure de distribution du prix.

    Pour illustrer cette situation, imaginons un créancier qui poursuit le recouvrement d’une somme de 800 000 euros, fixant la mise à prix d’un bien à la somme de 1 700 000 euros en s’appuyant sur un avis de valeur obtenu après expertise.

    En réalité, l’expert s’est montré trop optimiste et lors de l’audience d’adjudication aucun enchérisseur ne se présente, dissuadé par une mise à prix fantaisiste.

    Le créancier sera déclaré adjudicataire sur la mise à prix. Il pourra compenser le paiement du prix à hauteur de 800 000 euros, mais devra verser à son débiteur la somme de 900 000 euros.

    La procédure de saisie immobilière n’étant pas sans aléa pour le créancier poursuivant (devenir adjudicataire plutôt que recevoir de l’argent), il est donc normal qu’il contrôle un élément-clé de l’adjudication, à savoir le prix de départ des enchères qui peut se transformer, pour lui, en prix d’arrivée qu’il doit payer.

    Un cas original, monté jusqu’en cassation, illustre bien le risque d’une mise à prix trop élevée pour le créancier (Cass. civ. 2, 28 juin 2018, n° 17-11.076, FS-P+B+I N° Lexbase : A5532XUG). En l’espèce, à la suite d’une erreur, le créancier poursuivant avait fixé le montant de la mise à prix dans le cahier des conditions de vente à la somme de 2 900 000 euros. Mais, selon une expertise postérieure, la valeur du bien était de l’ordre de 780 000 euros. En cas de défaut d’enchère, ce qui paraît certain dans une telle configuration, le créancier poursuivant risquait donc une moins-value de l’ordre de 2 100 000 euros. C’est pourquoi il a demandé au juge de l’exécution de modifier, à la baisse, le montant de la mise à prix. Sans succès puisque c’est uniquement le débiteur qui peut demander la modification de la mise à prix.

    III. Recommandations concernant la fixation de la mise à prix

    A. Cas classique

    Pour tenir compte de la nécessaire « attractivité » de la mise à prix, la doctrine propose de fixer son montant au prix du marché minoré de 30 ou 40 % (A. Coulot, JCl. Voies d’exécution, fasc. 1140, 103). Dans un article publié il y a presque un quart de siècle, l’un des auteurs de ces lignes évoquait quant à lui un usage alors en cours parmi les professionnels avisés consistant à fixer le montant de la mise à prix entre 30 et 50 % du prix présumé du bien (P. Regnault, D. Talon, De la mise à prix et du congé en matière de vente aux enchères, Gaz. Pal., 21 août 1998, Doctrine, p. 2 et s.). Cela nous semble élevé aujourd’hui et une fourchette inférieure, comprise entre un quart et un tiers du prix du marché, nous paraît pouvoir être retenue.

    Cette fourchette n’est « ni dérisoire, ni excessive et de nature à éloigner de nombreux acquéreurs potentiels » pour reprendre la formule d’un juge de l’exécution cité dans un moyen d’un arrêt de rejet de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 18 octobre 2018, n° 17-22.794, F-D N° Lexbase : A9997YGD). Le montant de la mise à prix avait été fixé, dans ce cas, à un tiers de la valeur évaluée du bien

    Un autre juge de l’exécution a pu retenir que le débiteur saisi ne prouvait pas l’insuffisance manifeste du montant de la mise à prix alors qu’il soutenait, en appel, que ce montant représentait un quart de la valeur du bien (CA Poitiers, 30 mai 2017, n° 16/04388 N° Lexbase : A7159WEU).

    Cette fourchette d’un quart à un tiers de la valeur vénale est objectivement inférieure au seuil de la rescision pour lésion en matière de vente immobilière qui est, pour rappel, de sept douzièmes de la valeur du bien, soit un prix de vente ne dépassant pas 42 % de ladite valeur (C. civ., art. 1674 N° Lexbase : L1784ABP). Mais, tout d'abord, cette procédure n'est pas applicable en matière de saisie immobilière. Ensuite et à nouveau, la mise à prix n’est pas le prix d’adjudication, sauf défaut d’enchère, et un montant de mise à prix objectivement bas, voire lésionnaire s’il s’agissait d’un prix de vente, est de nature à allécher les candidats à l’acquisition. Il augmente donc les chances que plus d’une personne enchérisse sur le bien et donc qu’une « guerre d’enchères » se déclenche à l’audience d’adjudication. L’objectif est alors que cette « guerre » pousse le prix d’adjudication vers le haut, ce prix et non le montant de la mise à prix étant, au final, le seul qui compte.

    B. Incidence de la plus ou moins grande tension du marché immobilier local

    En pratique, il arrive cependant que le montant de la mise à prix soit très nettement inférieur même à un quart de la valeur du bien comme préconisé ici, en particulier à Paris.

    Ainsi, à titre d’exemples, en février 2022, une chambre de service de 10,69 m2 dans le 13ème arrondissement a été adjugée 77 000 euros sur une mise à prix de 10 000 euros. Puis, un appartement de 37,55 m2 avec une cave avenue George-V dans le 8ème arrondissement a été adjugé 620 000 euros sur une mise à prix de 25 000 euros.

    Ces montants de mise à prix faibles, jusqu’à près de vingt-cinq fois inférieurs au prix d’adjudication, s’expliquent souvent par deux phénomènes propres à un marché immobilier tendu :

    • tout d’abord, les propriétaires de biens valant couramment plus d’une centaine de milliers d’euros et au-delà sont débiteurs de sommes de l’ordre de quelques milliers d’euros à l’encontre de créanciers tels qu’un syndicat de copropriétaires ou le service des impôts. Ces créanciers connaissent, et pour cause, la consistance du patrimoine immobilier de leur débiteur, sont habituellement familiers de la procédure de saisie immobilière et n’ont pas peur d’en engager une ;
    • ensuite, les candidats à l’acquisition se pressent aux audiences d’adjudication, le marché immobilier étant orienté « vendeur », en présence d’une demande de logements supérieure à l’offre.

    Ne souhaitant pas être déclaré adjudicataire du bien saisi ou, si c’est le cas, ne pas avoir à payer plus qu’il ne recevra, ce type de créanciers fixe le montant de la mise à prix uniquement par rapport au montant de sa créance, très faible par rapport à la valeur du bien saisi.

    Quant au débiteur, il ne conteste pas ce montant particulièrement bas, car, dans un marché tendu, il est quasi-assuré que son bien partira au « prix du marché », ce qui n’est pas forcément le cas dans un marché non-tendu. Car qu’est-ce que le « prix du marché » ?

    Selon l’encyclopédie en-ligne Wikipédia, le prix du marché, c’est le prix des biens et services déterminé par l’offre et la demande dans les régimes d’économie de marché. En matière immobilière, la personne qui souhaite connaître le « prix du marché » peut notamment consulter la base de données publique DVF (pour « Demande de Valeur Foncière ») qui liste les dernières transactions enregistrées et donc le « prix du marché ». Mais cette définition est un peu courte. Elle oublie, en effet, une variable fondamentale en matière de saisie immobilière : le temps.

    Dans un marché tendu, la demande est telle que, sauf à ce que la mise à prix soit supérieure au prix du marché, il se trouvera habituellement plusieurs personnes le jour de l’audience d’adjudication pour participer à celle-ci et enchérir sur un même bien, poussant le prix d’adjudication jusqu’au prix du marché, voire au-delà. Mais, dans un marché non-tendu, même avec un prix très inférieur au « prix du marché », il peut n’exister aucune demande le jour de l’audience d’adjudication. Le résultat sera alors un défaut d’enchère.

    C’est cette différence selon que le marché est tendu ou non qui explique que le caractère dérisoire de la mise à prix est indifférent, même pour le débiteur, dans le premier cas. Mais il s’agit bien d’un phénomène particulier qui ne peut être généralisé à l’ensemble des situations.

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