Réf. : Cass. soc., 18 mai 2022, n° 20-21.529, F-B N° Lexbase : A34007X9
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N1555BZM
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par Lisa Poinsot
Le 25 Mai 2022
► Il appartient à celui qui invoque la violation par l'employeur de son obligation de neutralité d'en rapporter la preuve.
Faits et procédure. Une société organise les élections des membres de huit CSEE, selon application d’un protocole d’accord préélectoral. Le syndicat CFTC saisit le tribunal judiciaire d’une demande d’annulation des élections des membres d’un des CSEE, en soutenant que l’employeur a méconnu son obligation de neutralité.
Le tribunal judiciaire (TJ Bobigny, 27 octobre 2020, n° 20/00424) relève, tout d’abord, que le protocole d’accord préélectoral prévoit que les listes de candidats, pour le premier tour des élections du premier collège d’un CSEE, doivent être déposées au plus tard le 4 novembre 2019 à 12 h. Il retient, ensuite, que la liste de candidats du syndicat CFTC, adressée par courriel à cette date à 12 h 16, n’a pas été retenue par l’employeur, faute d’avoir été déposée dans le délai fixé par le protocole d’accord préélectoral. Il relève également que, pour la liste des candidats du syndicat FO, déposée en main propre auprès de l’employeur le 4 novembre 2019, il n’est pas justifié l’heure de son dépôt.
De ces éléments de faits, les juges du fond considèrent qu’il est impossible d’apprécier :
Le tribunal judiciaire en déduit que la société ne justifie pas avoir respecté son obligation de neutralité, de sorte qu’il annule les premier et second tours des élections du premier collège d’un des huit CSEE.
La société forme alors un pourvoi en cassation.
La solution. Énonçant les solutions susvisées, la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule le raisonnement du tribunal judiciaire, en application des articles L. 2314-28 N° Lexbase : L8482LGA et L. 2314-29 N° Lexbase : L8481LG9 du Code du travail et des principes généraux du droit électoral. Pour la Cour, l’obligation de neutralité, qui est un principe général du droit électoral, suppose que l’employeur doit rester impartial et doit respecter et faire respecter les dispositions légales, réglementaires et conventionnelles lors du processus électoral. En cas de manquement, les règles de procédure civile en matière de charge de la preuve s’appliquent, de sorte que la preuve des irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral emporte annulation des élections indépendamment de leur influence sur le résultat des élections.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDES : Les manquements de l’employeur à son obligation de neutralité pour les élections N° Lexbase : E2099GAY, in Droit du travail, Lexbase. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 11 mai 2022, n° 20-18.318, F-D N° Lexbase : A10017XD
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N1624BZ8
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 25 Mai 2022
► En application de l’adage lex specialia generalibus derogeant, le droit spécial prime sur le droit commun de la responsabilité des constructeurs ;
► ll faut donc d’abord vérifier que les conditions d’application du droit spécial ne sont pas remplies avant d’engager l’action sur le droit commun.
C’est l’objectif même de la loi « Spinetta » (loi n° 78-12, du 4 janvier 1978 N° Lexbase : L3612IEI) : créer un régime spécial de responsabilité qui renforce la responsabilité du constructeur mais qui, en contrepartie, lui impose une assurance obligatoire. Les dispositions des articles 1792 N° Lexbase : L1920ABQ et suivants du Code civil, d’ordre public, s’imposent ainsi et prévalent sur le droit commun de la responsabilité contractuelle. Pour autant, ce droit commun persiste à s’appliquer mais subsidiairement, seulement lorsque les conditions d’application du droit spécial ne sont pas réunies.
Autrement dit, le droit commun ne s’applique que si les conditions du droit spécial ne sont pas remplies. Autrement dit encore, il faut, pour appliquer le droit commun, tenter préalablement d’appliquer le droit spécial. L’arrêt rapporté en est une nouvelle illustration.
En l’espèce, un mur de soutènement situé à l’arrière de l’habitation d’une parcelle voisine s’est effondré. Le désordre est imputé à une importante arrivée d’eaux souterraines en provenance des fonds supérieurs. Malgré les travaux de reprise, les voisins se plaignent de la persistance des désordres.
La cour d’appel de Fort-de-France, dans un arrêt rendu le 17 décembre 2019 (CA Fort-de-France, 17 décembre 2019, n° 17/00487 N° Lexbase : A2718Z9K), retient que la prestation réalisée, qui consistait en un simple remplacement d’une fosse sceptique par un épurateur, relevait de la seule responsabilité contractuelle de l’installateur et non pas de la garantie légale du constructeur.
La Haute juridiction censure pour défaut de base légale. Les conseillers auraient dû rechercher si les travaux des réseaux enterrés d’évacuation des eaux usées ne constituaient pas un ouvrage et si le dysfonctionnement affectant le filtre épurateur-percolateur ne relevait pas de la garantie légale biennale prévue à l’article 1792-3 du Code civil N° Lexbase : L6350G93, exclusive de la responsabilité de droit commun.
La solution est constante. Les désordres qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu à une action en réparation, contre les personnes tenues à cette garantie, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (pour exemple, Cass. civ. 3, 10 avril 1996, n° 94-13.157 N° Lexbase : A7736CQL). Le principe s’applique également à la garantie biennale (pour exemple, Cass. civ. 3, 6 octobre 1998, n° 96-20.296 N° Lexbase : A7208CNB).
La responsabilité de droit commun est donc une responsabilité subsidiaire applicable seulement dans les hypothèses où les conditions des garanties décennales et biennales ne sont pas réunies. La garantie de parfait achèvement, en revanche, coexiste avec la responsabilité de droit commun.
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Réf. : CE 9°-10° ch. réunies, 20 mai 2022, n° 446817, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A91407XS
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N1630BZE
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par Marie-Claire Sgarra
Le 25 Mai 2022
► L’exploitation, à l’issue de la vérification de comptabilité d’un contribuable, d’éléments recueillis à l’occasion de la vérification de comptabilité d’un tiers est sans incidence pour apprécier, au regard des dispositions de l’article L. 52 du LPF, la durée de la première de ces vérifications de comptabilité.
Les faits :
Principe. Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois. Par dérogation à ces dispositions, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration en cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois (LPF, art. L. 52 N° Lexbase : L3894MAH).
La société soutenait en appel que la durée de vérification de comptabilité menée à son encontre avait excédé le délai de six mois au motif que les éléments ultérieurement recueillis par l'administration dans le cadre des opérations qu'elle avait diligentées au cours de la vérification de la comptabilité d'un de ses prestataires auraient permis le recoupement d'informations contenues dans sa propre comptabilité, ce qui avait eu pour effet de prolonger la vérification dont elle avait fait l'objet.
Toutefois, l'exploitation, à l'issue de la vérification de comptabilité d'un contribuable, d'éléments recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité d'un tiers est sans incidence pour apprécier la durée de la première de ces vérifications de comptabilité.
Le pourvoi de la société est rejeté.
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Réf. : Cass. civ. 3, 11 mai 2022, n° 21-14.510, F-D N° Lexbase : A09417X7
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N1610BZN
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 25 Mai 2022
► Le stationnement, même intermittent, sur l'assiette d'une servitude de passage, de véhicules faisant obstacle à la circulation et en diminuant l'usage pour le propriétaire du fonds dominant, constitue un trouble manifestement illicite.
Faits et procédure. En l’espèce, la société McDonald's France était propriétaire d’une parcelle, sur laquelle était édifié un restaurant disposant d'un service « drive », exploité par une autre société. Une SCI était propriétaire des parcelles contiguës, qui bénéficiaient d'une servitude de passage grevant une partie de la parcelle au niveau de l'accès au « drive » du restaurant, et sur lesquelles une société exploitait un garage.
Dénonçant des difficultés d'usage de leur servitude de passage imputables, selon elles, aux conditions d'accès au « drive » du restaurant, la SCI et la société exploitant le garage avaient assigné en référé la société McDonald's France et la société exploitant le « drive » en rétablissement du droit de passage et de l'accès aux parcelles en cause.
Décision CA. Pour rejeter les demandes de rétablissement de l'assiette de la servitude de passage, la cour d’appel avait retenu que, même aux périodes de grande affluence, le gérant du garage avait pu accéder à la voie publique, dans des délais qui n'avaient rien d'anormal en zone urbaine fréquentée.
Cassation. Énonçant la solution précitée au visa de l’article 809, devenu 835, du Code de procédure civile N° Lexbase : L8607LYG, la Haute juridiction censure la décision, estimant que la cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, alors qu'elle avait constaté qu'à plusieurs reprises, le propriétaire du fonds dominant avait dû patienter plusieurs minutes avant de pouvoir emprunter la servitude de passage pour accéder à la voie publique, qu'il avait une fois renoncé à utiliser ce passage après avoir attendu plusieurs minutes sans pouvoir s'y engager, ce dont il résultait que les aménagements installés n'avaient pas permis d'éviter que des véhicules bloquent le passage.
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Réf. : Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-22.164, FS-B N° Lexbase : A33907XT
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N1560BZS
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par Vincent Téchené
Le 25 Mai 2022
► Lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement de l'article L. 641-12, 3°, du Code de commerce, d'une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d'un immeuble utilisé pour l'activité de l'entreprise, en raison d'un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, il doit se borner à constater la résiliation du bail si les conditions en sont réunies et ne peut accorder aucun délai de paiement.
Faits et procédure. La locataire de locaux commerciaux a été mise en liquidation judiciaire. Le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de la débitrice et la SCI, propriétaire de l'immeuble loué, a demandé au juge-commissaire de constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dus postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire.
Sur renvoi après cassation (Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17.563, FS-P+B+I N° Lexbase : A6604ZQN, cassant CA Paris, 5-8, 4 avril 2018, n° 17/19289 N° Lexbase : A0170XKI), la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-9, 24 septembre 2020, n° 19/19026 N° Lexbase : A83813UX) a notamment constaté la résiliation de plein droit du bail. La locataire a donc formé un pourvoi en cassation
Pourvoi. Elle soutenait que le juge-commissaire, saisi d'une demande de résiliation judiciaire de plein droit du bail commercial, a le pouvoir d'ordonner des délais de paiement, de sorte qu’en retenant l'inverse, la cour d'appel aurait méconnu ses pouvoirs, en violation des articles 1343-5 du Code civil N° Lexbase : L0688KZI et R. 641-21 du Code de commerce N° Lexbase : L9312ICU.
Décision. La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle rappelle un premier principe qu’elle a dégagé dans le précédent arrêt de cassation rendu dans cette affaire (Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17.563, FS-P+B+I, préc., E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, octobre 2019, n° 611 N° Lexbase : N0922BYS) : lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement de l'article L. 641-12, 3°, du Code de commerce N° Lexbase : L8859ING, d'une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d'un immeuble utilisé pour l'activité de l'entreprise, en raison d'un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l'article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE, à faire constater l'acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail.
Elle en avait alors conclu que le bailleur, qui agissait devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce (v. dernièrement, CA Aix-en-Provence, 28 avril 2022, n° 18/03846 N° Lexbase : A68537UD, V. Téchené, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1452BZS).
On notera qu’elle a rappelé cette solution peu de temps après l’étendant même au cas dans lequel le locataire fait l’objet d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire (Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127, F-D N° Lexbase : A91813BN, E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, février 2020, n° 624 N° N° Lexbase : N2234BYE).
Dans l’arrêt du 18 mai, la Haute juridiction, complétant sa jurisprudence sur la question, ajoute que dans un tel cas, le juge-commissaire doit se borner à constater la résiliation du bail si les conditions en sont réunies et ne peut accorder les délais de paiement prévus par l'alinéa 2 de l'article L. 145-41 du Code de commerce, qui est inapplicable, ni même faire usage de la faculté d'accorder des délais de paiement en application de l'article 1343-5 du Code civil, le seul délai opposable au bailleur étant le délai de trois mois prévu par l'article R. 641-21 du Code de commerce, pendant lequel il ne peut agir.
Ainsi, pour la Haute juridiction l'arrêt d’appel a exactement retenu qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge-commissaire, saisi sur le fondement de l'article R. 641-21, alinéa 2, du Code de commerce, d'accorder des délais de paiement.
Pour aller plus loin :
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newsid:481560
Réf. : CE 2°-7° ch. réunies, 19 mai 2022, n° 456425, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A58887XD
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N1631BZG
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par Yann Le Foll
Le 01 Juin 2022
► Un accord collectif issu d'une négociation dans la fonction publique peut être révisé à l’initiative des organisations syndicales représentant la majorité au moins des suffrages exprimés, y compris lorsqu’elles n’ont pas signé l’accord en cause.
Faits. Les syndicats requérants demandent l’annulation du décret n° 2021-904, du 7 juillet 2021, relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique N° Lexbase : L1112L7C.
Selon l'article L. 227-2 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L5848MB9 : « Ces accords peuvent être modifiés par des accords conclus dans le respect de la condition de majorité déterminée au I de l'article 8 quater et selon des modalités précisées par voie réglementaire. »
Position CE. Ces dispositions n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d'interdire aux organisations syndicales représentatives qui n'étaient pas signataires d'un accord collectif de prendre l'initiative de sa modification, les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité pouvant, même sans être signataires d'un accord, demander d'ouvrir une négociation en vue de sa modification ou participer à la négociation d'un nouvel accord dans le cadre prévu par l'article 8 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur.
En prévoyant que les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité peuvent demander d'ouvrir une négociation en vue de la révision d'un accord, l'article 8 du décret attaqué n'est pas entaché d'illégalité. En revanche, en réservant cette possibilité aux seules organisations signataires de l'accord, les dispositions de cet article 8 ont ajouté une condition, non prévue par la loi, qui méconnaît l'exigence résultant des sixième (libre adhésion au syndicat de son choix) et huitième (participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail) alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 N° Lexbase : L6815BHU.
Décision. Au premier alinéa de l'article 8 du décret n° 2021-904, du 7 juillet 2021 précité, le mot « signataires » est annulé.
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newsid:481631
Réf. : CE 2°-7° ch. réunies, 16 mai 2022, n° 459408, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A15117XA
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N1619BZY
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par Yann Le Foll
Le 25 Mai 2022
► La substitution d'un autre opérateur à l'un des membres du groupement d'opérateurs titulaires, caractérisant un nouveau marché, nécessite en principe une mise en concurrence préalable.
Principe. La substitution, au cours de l'exécution d'un marché passé avec un groupement d'opérateurs économiques, lequel n'est pas doté de la personnalité juridique, d'un ou de plusieurs des membres de ce groupement par un ou plusieurs autres opérateurs économiques, constitue une modification du titulaire du marché qui ne peut valablement avoir lieu sans mise en concurrence que dans les cas prévus par l'article L. 2194-1 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4685LRX et précisés par les articles R. 2194-5 N° Lexbase : L4268LRI, R. 2194-6 N° Lexbase : L4017LR9 et R. 2194-7 N° Lexbase : L4267LRH du même Code (lire La commande publique à quel prix ? - La modification anticipée du prix dans les marchés publics : les clauses contractuelles de modification N° Lexbase : N2367BYC).
Application. Dès lors, en jugeant que la substitution effectuée par l'avenant contesté de la société X à la société Y au sein du groupement titulaire du marché passé par le GHISF ne constituait pas une modification du titulaire du marché soumise aux dispositions précitées dès lors que cette modification ne concernait qu'un membre du groupement et que son mandataire n'avait pas changé, l'auteur de l'ordonnance attaquée a commis une erreur de droit.
Précision supplémentaire. Il n'entre dans la compétence du juge du référé contractuel, telle que définie par l'article L. 551-13 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1581IEB, de statuer sur un avenant à un contrat que lorsque la conclusion d'un tel accord est soumise aux règles de publicité et de concurrence qui s'appliquent à la passation des contrats visés aux articles L. 551-1 N° Lexbase : L3270KG9 et L. 551-5 N° Lexbase : L6260I3A du même Code.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, L'exécution du marché public, La modification du marché public en cours d'exécution : les modifications autorisées, in Droit de la commande publique (dir. N. Lafay, E. Grelczyk), Lexbase N° Lexbase : E1615ZMR. |
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N1639BZQ
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par Marie Pierre, Professeur associé, Département Droit des Affaires et management des ressources humaines - TBS ÉDUCATION, Avocat à la Cour
Le 26 Mai 2022
Mots-clés : legal design • legalTech • pédagogie • information juridique • services • numérique • définition • innovation
Le legal design s’inscrit dans la transformation numérique qui inonde le droit depuis quelques années. Si ces mutations ont accéléré le développement de ce nouveau concept au sein des laboratoires de recherche, des institutions, des entreprises et des cabinets, l’innovation vient surtout de la manière de penser le droit et de le transmettre. L’approche, centrée sur « l’utilisateur » (le justiciable, les services opérationnels de l’entreprise, les clients d’un cabinet d’avocat, l’étudiant, etc.), conjugue expertise juridique, techniques de design et technologies pour rendre le droit accessible, intelligible et engageant. Cet objectif n’est-il pas celui des professeurs de droit, notamment lorsqu’ils enseignent à des non-initiés ? Sans se départir de leur rigueur et de leur expertise, les enseignants doivent en effet adopter une démarche innovante afin de transmettre à des non-juristes, par exemple de futurs managers, des informations complexes de manière simple et optimisée. La mise en place brutale de l’enseignement à distance pendant la pandémie de covid-19 a certainement accéléré cette dynamique. Les professeurs ont dû abandonner certains réflexes pour expérimenter l’utilisation de nouveaux outils numériques et repenser en profondeur leurs méthodes de travail, leur manière d’enseigner et d’évaluer les connaissances. Par ailleurs, en France, les écoles de droit elles-mêmes (universités, écoles des avocats), commencent à se saisir des enjeux du legal design dans la formation des étudiants. La conceptualisation du legal design ainsi que son essor interrogent en miroir ces pratiques pédagogiques souvent bâties avec l’expérience, ainsi que leurs évolutions possibles en interaction avec une recherche pluridisciplinaire.
I. Qu’est-ce que le legal design ?
Comme son nom l’indique, le legal design correspond à l’intégration du design dans le domaine juridique. Cette approche de conception, qui peut se décliner de différentes façons, est toujours centrée sur l’utilisateur du droit.
A. Définition du legal design
Le design : un objectif fonctionnel. Le mot design vient du latin designare qui signifie « marquer d’un signe », « dessiner » « indiquer ». En Italie le terme disegno était déjà utilisé à la Renaissance en architecture, à la fois dans le sens de « dessein » et « dessin », désignant alors une méthodologie de l’anticipation de l’œuvre à réaliser. Le terme « design » a été ensuite repris en Angleterre au XVIIe siècle dans la théorie de l’art (« plan d’un ouvrage d’art »), puis utilisé dans son sens moderne dès le XIXe siècle. Il n’est apparu en France que dans le milieu des années 1960, en référence à l’usage anglo-saxon qui intègre cette double dimension technique et artistique. Le design est une approche de conception qui vise à donner du sens et à apporter des solutions à un/des utilisateurs (dessein), via des formes, un graphisme particulier, une expérience (le dessin). Autrement dit, il s’agit de donner forme à une vision et des valeurs par l’expérience sensible (par exemple par une affiche, un site web, un objet, un espace, ou encore un système de points de contact dans un service). C’est cet aspect fonctionnel qui est d’ailleurs retenu dans la définition proposée aujourd’hui par l’Alliance Française des Designers : « Le design est un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le seul but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux » [1]. Rien n’empêche alors de mobiliser le design dans le domaine juridique, notamment pour concevoir des contrats, des conditions générales de vente, des programmes de Compliance, ou encore des consultations.
La rencontre du design et du droit. Le legal design est une approche qui permet de structurer et de présenter les règles juridiques de manière claire, intelligible et engageante pour l’utilisateur. Son développement et ses applications concrètes, relativement récents, sont aujourd’hui en plein essor.
Deux évolutions ont permis la rencontre du design et du droit : d’une part l’extension des champs d’application du design, et d’autre part les changements sociotechniques qui ont eu un impact sur l’écosystème juridique. Le design, organisé d’abord autour des objets et produits, s’est ensuite étendu dans les années 1990 au domaine des services puis, dès les années 2000, au service public et aux interfaces utilisateurs. En parallèle, les mutations sociotechniques amenées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (développement des plateformes numériques, usage des algorithmes, intelligence artificielle, etc.) ont favorisé de nouvelles logiques de consommation et une volonté de simplification. Dans ce contexte, la posture des professionnels du droit (LegalTech, professions règlementées, éditeurs juridiques, associations professionnelles, entités publiques, entreprises, etc.) a évolué dans le sens de nouvelles pratiques destinées à rapprocher le droit et ses utilisateurs.
La première expérimentation date de 2009 avec l’initiative citoyenne et militante de la designer Candy Chang. En collaboration avec le Street Vendor Project, elle entreprend de refondre la règlementation complexe de la ville de New York relative à la vente ambulante en un guide succinct, présentant sous forme de dessins et de schémas les principaux droits et obligations des vendeurs de rue. L’information juridique est ainsi décodée et transmise de manière intelligible et optimisée à des non-juristes [2]. Par la suite, le legal design va véritablement être identifié et conceptualisé comme tel par Margaret Hagan de l’Université de Stanford en 2014 dans son célèbre ouvrage Law by design [3], suivie par Helena Haapio de l’Université de Vaasa [4] et Stefania Passera, designer et chercheur à l’Université Aavar Alto [5]. Ces trois auteurs analysent les moyens par lesquels le design peut apparaître comme un vecteur d’accessibilité du droit, et un outil efficace pour créer des documents juridiques – notamment des contrats – qui soient enfin lus, compris et appliqués.
Le legal design connait aujourd’hui un véritable essor, retenant toute l’attention non seulement des universités américaines et européennes, mais aussi plus largement des institutions, des directions juridiques, des cabinets de conseil et des LegalTech. La transformation numérique, l’évolution des modèles d’affaires et l’inflation normative actuelle sont autant de paramètres qui favorisent son développement. En outre, dans le contexte de crise sanitaire liée au covid-19, les périodes de confinement ont accéléré le mouvement de digitalisation et, par ricochet, la mise en lumière de cette approche innovante.
B. Différentes déclinaisons centrées sur l’utilisateur
Le legal design s’adresse à tous les utilisateurs du droit (citoyens, salariés, clients et partenaires de l’entreprise, apprenants, etc.), et concerne toutes ses normes et vecteurs (traités, lois et règlements, jurisprudence, contrats, programmes de conformité, conclusions devant les juridictions, etc.). Ses applications, encore assez peu nombreuses du fait de sa nouveauté, peuvent prendre différentes formes, toutes centrées autour de l’utilisateur.
Design de l’information. Le visual design, ou design graphique, est avant tout celui de l’information. L’objectif est ici d’utiliser les outils et méthodes du design pour d’une part favoriser l’accès au droit, et d’autre part communiquer et transmettre des messages clairs à fort impact. La démarche implique de repenser la structuration de l’information et d’utiliser un traitement linguiste et graphique approprié pour transmettre celle-ci.
Dans un contexte économique, social, et technologique complexe, que le droit entend précisément régir, le legal design ambitionne de recréer le lien fondamental entre les citoyens et le droit en favorisant une démarche active dans son appréhension et sa compréhension. C’est dans cet objectif que les administrations publiques se sont emparées du legal design pour refondre leurs sites internet : « service-public.fr », « impôts.gouv.fr » ou encore « justice.fr » [6] par exemple proposent des thématiques scénarisées sous la forme de fiches pédagogiques avec des schémas, des vidéos, etc., destinées à faciliter l’accès au droit. De la même manière, la réforme du mode de rédaction des arrêts de la Cour de cassation en 2019 est apparue nécessaire pour favoriser « un accès au droit plus précis et plus informé ». L’idée est que la clarté de la forme des décisions doit conduire à une dimension à la fois intelligible, pédagogique et persuasive, au service des droits fondamentaux des individus [7]. Dans des domaines spéciaux, des règlements récents imposent également une information exposée de manière compréhensible et accessible : ainsi par exemple, le Règlement Général sur la Protection des données (RGPD) indique dans son article 12 que les informations relatives au traitement des données personnelles doivent être fournies « de façon concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples ». La même exigence est posée à l’article 7.2 pour le recueil du consentement [8].
Les professionnels du droit, tels que les directions juridiques, les cabinets d’avocats, les éditeurs juridiques [9] et legalTech, ont de leur côté de plus en plus souvent recours au design graphique, à la fois comme mode de communication et de travail collaboratif plus ergonomiques, mais aussi comme un outil de performance permettant de développer et de consolider la relation client. Par exemple, un cabinet utilisera l’infographie pour expliquer la rupture conventionnelle ; une direction juridique choisira de « designer » certains contrats pour faciliter leur compréhension, réduire le temps de négociation et optimiser leur application, réduisant par là le risque de contentieux ; une autre utilisera le legal design pour former de manière plus fluide des opérationnels sur des sujets techniques a priori peu engageants. Loin d’être approximative, la démarche se doit d’être rigoureuse : il s’agit d’accompagner les textes juridiques, et non de s’y substituer. Seule une expertise solide permet de fluidifier la transmission de l’information juridique afin d’amener les non-initiés à la compréhension du droit.
Design de services. Le legal design offre par ailleurs un cadre d’innovation performant en matière de services : en s’appuyant sur le parcours et les besoins de l’utilisateur, l’approche permet de concevoir des situations scénarisées et synthétiques pour proposer des solutions concrètes et adaptées. De plus en plus de professionnels y voient un moyen d’innover dans la relation avec l’utilisateur. Il ne s’agit plus en effet de partir de contraintes techniques pour proposer une solution, mais de délivrer une prestation autour des besoins qu’il manifeste. La LegalTech « Captain Contrat » [10] par exemple s’appuie sur l’expérience client en proposant des solutions sur-mesure à partir d’onglets scénarisés correspondant à ses attentes : « Créer ma société », « Gérer ma société », « Rédiger un contrat », etc. En 2017, un cabinet d’avocats spécialisé en droit de la famille a lancé de son côté la première chaîne YouTube destinée à offrir un service gratuit aux familles qui traversent une crise : différentes séquences thématiques accompagnent ainsi l’utilisateur « pour faciliter sa décision » [11], etc. D’autres cabinets font le choix de repenser en profondeur leur métier, leurs offres et leurs codes de communication afin d’être plus proches des spécificités de la clientèle qu’ils souhaitent capter et fidéliser, comme des start-ups par exemple. Le design apparait ici comme une opportunité business au service de l’utilisateur. Il permet de repenser la manière de créer et d’apporter de la valeur. Il s’agit de favoriser l’expérience client pour lui permettre d’interagir davantage avec le cabinet ou le service juridique et rechercher la meilleure structuration des services en eux-mêmes.
Quelle que soit sa déclinaison, le legal design repose sur la manière de concevoir et de communiquer les règles juridiques en partant de l’utilisateur. Le droit est une discipline technique, à la réputation parfois austère, souvent obscure et hermétique pour les profanes. La complexité du langage juridique participe en partie à cette perception. Or, le droit n’est pas conçu par des juristes pour des juristes. Il constitue une discipline qui a vocation à en régir d’autres ; se greffant aux activités humaines, il intéresse le plus souvent les non-juristes. Quel est par exemple l’intérêt d’un mille-feuille contractuel si les opérationnels et les managers, en charge d’appliquer le contrat, ne saisissent pas ses termes et les obligations qui en résultent ? Il est donc essentiel de faire résonner le droit autrement.
II. La recherche académique et l’expérimentation au service de l’innovation pédagogique
Le legal design est une démarche pluridisciplinaire et collaborative : le développement de ses méthodes et outils est le fruit de recherches et d’expérimentations menées par des acteurs aux expertises diverses et complémentaires : juristes, designers, linguistes, spécialistes des neurosciences, etc. Véritable méthode de conception, le legal design dépasse largement la simple visualisation du droit. Sa conceptualisation offre l’occasion de mesurer son caractère pluridimensionnel et de s’interroger sur son efficacité, ses évolutions en termes de formation et d’apprentissage, et ses interactions avec divers domaines de recherche.
A. Le legal design, une méthode de conception pluridisciplinaire centrée sur l’utilisateur
Une méthode de conception multidimensionnelle. Le legal design repose sur la manière de structurer et de communiquer l’information juridique en partant de l’utilisateur. Il convient donc au préalable de cerner ses besoins, ses aspirations et ses contraintes. Ce sont ces critères qui permettent d’élaborer et de concevoir l’information à transmettre de manière adaptée, dans une dynamique porteuse d’une vision synthétique, concrète et intelligible. Une telle approche interroge inévitablement sa propre expertise juridique : elle requiert une solide compétence technique en droit pour parvenir à simplifier l’information sans dénaturer le fond, pour clarifier sans affaiblir les attributs du droit que sont la précision et l’exactitude. Ce travail de (re)structuration est le préalable nécessaire à une seconde étape qui consiste à formaliser l’information par un traitement linguistique et graphique, et/ou des points de contacts destinés à engager l’utilisateur, à maintenir son attention et à faciliter la compréhension des points importants. Le legal design est alors axé tout à la fois sur le droit (comprendre la règle juridique dans ses nuances), le design (intégrer une méthode de conception), la communication (élaborer et structurer les messages à transmettre en fonction des besoins de l’interlocuteur [12]), la psychologie (maîtriser le langage non verbal, les perceptions derrière les mots), la linguistique et les neurosciences cognitives (cerner les niveaux de langage, identifier les termes à double sens [13], utiliser un langage clair) et la technologie.
La démarche est donc transversale et pluridimensionnelle, mobilisant différentes expertises qui mériteraient d’être davantage articulées.
L’exemple du « langage juridique clair ». L’utilisation d’un « langage juridique clair » par exemple, qui est une des composantes du legal design, fait actuellement l’objet d’une attention particulière non seulement du côté des institutions publiques, mais aussi du côté des professionnels du droit. Il apparaît comme une branche du « langage clair », qui provient surtout de la linguistique et des neurosciences cognitives, dont l’objectif est de permettre d’identifier facilement l’information, de la comprendre correctement et de mémoriser les messages clés [14]. Bien connu du monde anglo-saxon (plain language), le procédé, dans sa dimension juridique, mobilise depuis longtemps les avocats Québécois [15], mais aussi les juristes belges [16], américains et suédois. Si en France les réflexions autour du « langage juridique clair » sont encore récentes, elles suscitent un intérêt grandissant [17]. Sans doute peut-on y voir quelques prémices non seulement dans l’ordre interne mais aussi au niveau européen. Le Conseil constitutionnel consacre depuis 1999 l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi [18]. De la même manière, la Cour européenne des droits de l’Homme exige que la loi soit précise et accessible au citoyen. Le Parlement européen abrite en outre depuis 2019 une Unité « Langage clair » [19] destinée à apporter de la clarté dans les textes et rendre le droit accessible aux citoyens. Plus précisément, c’est cette même exigence qui sous-tend l’adoption des nouvelles règles de rédaction des arrêts du Conseil d’État [20] et de la Cour de cassation [21], ou encore de certains règlements récents, tel le RGPD, qui recommandent un langage clair, accessible et compréhensible [22]. Les spécialistes en sciences du langage étudient ce procédé de simplification au sein des administrations publiques et les questions qu’il soulève, tant sur le plan linguistique et discursif que sur un plan politique et social ; autant d’analyses éclairantes qui pourraient davantag accompagner le processus d’élaboration d’un « langage juridique clair » par les juristes. Adapter le langage pour faciliter la compréhension interpelle de plus en plus les professionnels du droit, à qui l’on demande une posture proactive et transversale. Le juriste est en effet souvent perçu comme trop jargonneux et technique, manquant de pragmatisme. Or, on attend de lui qu’il puisse expliquer clairement des conclusions, les termes d’un contrat, d’un règlement, ou encore produire des présentations utilisables dans les instances de direction. Emerge ainsi un mouvement de réflexion et de conceptualisation autour de techniques permettant au juriste de transmettre de manière optimisée des concepts, des règles et des solutions juridiques à des non-initiés chargés de les appliquer concrètement. Le « langage juridique clair » en fait partie. Désormais l’outil s’analyse et se mesure [23]. Il optimise les rapports d’affaires et permet une approche collaborative de la pratique du droit [24]. Sans doute peut-on regretter le déploiement récent d’un véritable marché de la simplification du langage autour de prestataires privés plus ou moins aguerris, qui cohabitent désormais avec les réseaux, les associations et les initiatives plus « militantes » qui ont émergé dans les années 1980‑1990. Le développement du numérique a sans doute favorisé l’éclatement des initiatives. Nous l’avons vu, le « langage clair », qui s’inscrit dans les sciences du langage, va bien au-delà de la communication et de la rhétorique. Il doit permettre aux juristes de réfléchir à leurs propres actions et messages. Une expertise solide apparait nécessaire pour accompagner la démarche de simplification d’un langage de spécialité comme le droit, où il n’est pas toujours possible ni toujours souhaitable d’être « simple et clair ».
B. Le legal design et l’enseignement du droit dans le supérieur
Le legal design a pour objectif premier de faciliter l’accès au droit. S’il intéresse de plus en plus les professionnels, notamment les directions juridiques et les cabinets d’avocats, son impact en matière d’enseignement, de transmission des compétences et des savoirs, moins commenté, mérite cependant d’être mis en lumière. C’est d’ailleurs dans ce contexte que l’approche a commencé à être conceptualisée par Maraget Hagan à l’Université de Stanford [25].
L’enseignement du legal design dans les écoles de droit. Le legal design, émergent dans le paysage français, commence à interpeller les écoles du droit (universités et écoles des avocats notamment) : certains programmes proposent désormais des modules et ateliers dédiés, afin de sensibiliser les étudiants aux enjeux économiques d’une telle démarche et de les former à de nouveaux outils dont ils se serviront dans le cadre de leur future profession (schémas conceptuels, cartes heuristiques, etc.).
Le legal design, entre recherche et innovations pédagogiques. En outre, la dimension pluridimensionnelle du legal design dépasse largement la simple visualisation du droit et la compréhension de ses composantes : il ouvre un champ de réflexion intéressant en matière d’enseignement du droit, autrement dit en termes de pratiques pédagogiques et d’apprentissage. L’enseignant du supérieur est d’abord un chercheur, et l’on sait bien que l’université ne prépare pas toujours à la pédagogie. Or, celle-ci est essentielle lorsqu’il s’agit former des futurs managers, des ingénieurs, des architectes, etc. La prise en compte du profil des apprenants, de leurs besoins et de la diversité des métiers auxquels ils se destinent donnent à l’enseignement du droit une dynamique particulière, notamment lorsqu’il s’agit de former des non-juristes. Le professeur doit trouver un équilibre entre la transmission de la rigueur juridique que l’étudiant utilisera dans sa vie professionnelle bien au-delà des problèmes de droit, et la compréhension de problématiques juridiques essentielles de la vie professionnelle à travers des situations très concrètes. Enseigner le droit à des non-initiés demande de mobiliser des structures et des formules engageantes. Il convient alors d’abandonner certains réflexes pour clarifier des règles et des concepts afin de les rendre plus compréhensibles sans pour autant affaiblir le fond. Un schéma par exemple sera souvent plus efficace qu’un long discours ou une série de diapositives chargées de textes et de puces. Il s’agit pour l’enseignant, non pas de vulgariser sa matière, mais de transmettre aux étudiants des informations juridiques souvent complexes de manière claire et optimisée, parfois dans une approche de déconstruction-reconstruction [26]. Ainsi, la façon d’articuler les messages, les illustrations et le langage utilisé sont autant d’outils déployés pour susciter l’intérêt du public, aider à l’assimilation et à la mémorisation. La démarche du Legal design est en réalité déjà là, souvent expérimentée de manière intuitive.
Le passage brutal d’un enseignement en présentiel à un enseignement à distance ou en mode hybride lors de la pandémie de covid-19 a mis en exergue l’importance des méthodes et outils utilisés dans une approche de legal design. Dans ce contexte de distance imposée, l’enjeu était l’ouverture, dans une période de « fermeture » : éclairer, favoriser et fluidifier les échanges avec des étudiants qui, plus que jamais, avaient besoin d’être mobilisés, entendus individuellement, stimulés et accompagnés. Les enseignants ont dû faire preuve de créativité et d’imagination, abandonner certaines pratiques, expérimenter l’utilisation de nouveaux outils numériques, repenser en profondeur leur méthodes de travail et leur manière d’enseigner. Un cours dispensé au moyen de visioconférences s’accommode mal par exemple de diapositives classiques reprenant le plan du cours, traditionnellement étayées de schémas sur le coin d’un tableau blanc. La multiplication des mediums a pu par ailleurs s’avérer souvent contre-productive, rompant ce lien avec l’étudiant qu’il fallait conserver sans relâche. Quels moyens utiliser alors pour engager les étudiants ? Comment structurer les messages sachant que le premier impact allait être visuel ? [27] Quel langage utiliser pour capter l’attention et communiquer des informations souvent complexes de manière claire et aisément compréhensible ? La nécessité de partir de l’étudiant est rapidement apparue évidente, afin qu’il puisse s’impliquer en se projetant dans une situation juridique vécue ou à vivre. Ses besoins, ses aspirations et ses contraintes ont constitué le point de départ d’un travail destiné à repenser, parfois en profondeur, la structure de l’information à transmettre ainsi que sa communication. Sans forcément avoir conscience d’expérimenter des outils du design, les enseignants ont tous interrogé leurs pratiques et expérimenté quelques innovations pédagogiques. Certaines ont sans doute été abandonnées ; d’autres mériteraient peut-être d’être consolidées de manière plus structurée, s’inscrivant alors dans une véritable démarche de legal design, en dialogue avec divers domaines de recherche.
[6] Gérés respectivement par la DILA (Direction de l’Information Légale et Administrative), la Direction générale des Finances publiques et la Direction des services judiciaires du ministère de la Justice.
[8] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) N° Lexbase : L0189K8I.
[9] L’éditeur juridique Lexbase s’engage sur des procédés innovants afin de rendre le droit plus intelligible, en proposant des infographies juridiques, des résumés de décisions de justice sous la forme de bandes dessinées, de vidéos, etc.
[12] Le message sera par exemple différent selon que l’interlocuteur est juriste ou non-juriste ; il conviendra en outre de définir l’objectif de la communication : former ? Convaincre ? Demander au public de s’engager dans l’action ?
[13] Le terme « vice » par exemple, qui génère facilement, pour les non-initiés, une confusion entre les vices cachés et de dol, vice du consentement.
[14] Il s’articule autour de quelques principes, comme placer l’information principale avant le détail, structurer les messages à transmettre, rédiger de façon concise et précise, s’adresser au lecteur directement, porter une attention au choix des mots, privilégier les phrases courtes et la voie active, etc.
[15] Guide officiel du barreau du Québec : « Le langage clair : un outil indispensable à l’avocat » [en ligne].
[16] Par exemple l’association belge Droits Quotidiens dont la mission consiste, depuis plus de vingt ans, à rendre le droit compréhensible par tous en mettant à disposition des informations pertinentes et actualisées dans différents domaines du droit à consulter [en ligne].
[17] Les associations d’avocats conseils d’entreprises et les associations de juristes d’entreprises organisent aujourd’hui régulièrement des conférences et ateliers sur ce thème.
[18] Cons. const., 16 décembre 1999, n° 99-421 DC N° Lexbase : A8784ACC, cons. 13. Notons qu’en France, depuis le début des années 2000, le langage des administrations fait l’objet d’une attention particulière, dans une perspective de clarification et d’accessibilité de l’information à destination des différentes publics (contribuables, justiciables, etc.). En 2001, un comité dédié, le COSLA (Comité d’Orientation pour la Simplification du Langage Administratif) a été créé. Depuis, cette démarche de simplification s’est diffusée dans les pratiques des administrations publiques en leur ensemble : KRIEG-PLANQUE Alice, Quand la communication publique travaille son expression. Les administrations à la recherche d’un “langage clair », Politiques de communication, vol. 14, no. 1, 2020, pp. 3-34.
[20] Désormais, « les juridictions doivent rendre [leurs décisions] mieux compréhensibles à un public large, sans rien sacrifier de leur qualité » : Conseil d’État, Vade-mecum, 10 déc. 2018, [en ligne].
[21] Les décisions de la Cour de cassation sont désormais rédigées au moyen d’un style direct, contiennent des paragraphes numérotés et une motivation développée. Cette réforme de la forme des arrêts, porteuse d’une dimension explicative, pédagogique et persuasive, a été présentée par la Cour comme un gage de sécurité juridique : Supra
[22] Supra
[23] Son efficacité a été mis en récemment en exergue par l’Étude BVA 2019 de l’agence de communication, Labrador, spécialisée dans le domaine règlementaire et de la compliance, à partir d’un panel de 500 personnes représentatives de la population française : + 35 % de vitesse de lecture, + 55 % de lecteurs qui identifient l’information principale rapidement ; + 50 % de lecteurs qui comprennent l’information. Étude à consulter [en ligne].
[24] Lydia Zunino, Les apports du langage juridique clair, Village de la Justice, 4 septembre 2020 [en ligne] : « Le langage juridique clair favorise une approche collaborative de la pratique du droit, il fluidifie et accélère les rapports d’affaires. Allié à la maîtrise des soft skills, il sera une arme réelle pour lui permettre d’être un partenaire stratégique pour ses clients et de faire face avec agilité et efficacité aux bouleversements majeurs que connait actuellement le monde du droit ».
[25] Supra
[26] La force du raisonnement juridique réside dans sa rigueur intellectuelle ; c’est néanmoins le syllogisme qui permet de comprendre pourquoi le juriste a quasi systématiquement tendance à partir du général pour aboutir au particulier.
[27] « Nous vivons dans un monde d’image ; il est donc fondamental de faire un gros travail préparatoire de compréhension pour apporter le sens et non l’aspect esthétique » : La forme de la norme peut-elle restaurer sa fonction ? Thèse de Marie POTEL SAVILLE, ENSCI Les Ateliers, 5 janvier 2020.
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