Réf. : Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B (N° Lexbase : A17417GL)
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N9832BYS
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par Adélaïde Léon
Le 22 Décembre 2021
► Au terme d’un arrêt riche de détails sur les motifs de l’infléchissement de sa jurisprudence, la Chambre criminelle maintient le principe de l’interdiction du cumul des qualifications lors de poursuites concomitantes applicable à la déclaration de culpabilité tout en limitant son champ d’application.
Rappel des faits. À l’issue d’une information judiciaire, un individu est renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment des chefs de faux et usage de faux pour avoir falsifié deux attestations notariées ainsi qu’un certificat de dépôt fiduciaire et usage desdits faux.
Il est également poursuivi du chef d’escroquerie pour avoir, en employant des manœuvres frauduleuses, en l’espèce notamment en produisant les fausses attestations notariales ainsi que le faux certificat de dépôt fiduciaire visant à établir la solvabilité de l’acquéreur, trompé des individus pour les déterminer à vendre leurs parts dans la société sans réelle garantie de recevoir paiement de l’intégralité du prix de vente.
Les juges du premier degré ont déclaré l’intéressé coupable de ces infractions et l’ont condamné à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à dix ans d’interdiction de gérer.
Le prévenu, le procureur de la République et certaines parties civiles ont formé appel de cette décision.
En cause d’appel. La cour d’appel a condamné le prévenu pour faux et usage, escroquerie, banqueroute et abus de biens sociaux, à trois ans d’emprisonnement et une interdiction définitive de gérer. Elle jugeait que les délits en présence sanctionnent la violation d’intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents.
L’intéressé a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.
Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la chambre correctionnelle de s’être ainsi prononcée alors que les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes. En l’espèce, le prévenu estimait que les infractions de faux et usage de faux et celle retenue d’escroquerie procédaient, de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable. Il reprochait dès lors à la cour d’appel d’avoir violé le principe « ne bis in idem ».
Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi.
Rappel du cadre général de règlement des conflits de qualification. Après avoir rappelé l’objectif de « ne bis in idem » et les textes garantissant ce principe, la Cour évoque la règle qu’elle a même dégagée afin d’établir un cadre général de règlement des conflits de qualification permettant d’assurer le même traitement aux personnes poursuivies pour un comportement répréhensible sous plusieurs qualifications, que ce soit à l’occasion d’une même procédure ou lors de procédures successives. Elle reproduit ainsi le principe posé le 26 octobre 2016 selon lequel des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes (Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3230SCM).
Limites de la règle prétorienne. La Cour concède toutefois les limites du cadre général dégagé par elle.
Ainsi, en novembre 2018, la Chambre criminelle avait en effet jugé que les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction visée à la poursuite (Cass. crim., 21 novembre 2018, n° 17-81.096, FP-P+B N° Lexbase : A0164YNE). Or, l’application de la règle établie le 26 octobre 2016 peut conduire à ce que « certains plaignants, qui étaient recevables à se constituer partie civile pour l’un des faits poursuivis, ne puissent obtenir réparation en l’absence de préjudice en relation avec la seule qualification retenue ».
Par ailleurs, la règle prétorienne empêche le juge de prononcer une peine complémentaire sanctionnant une infraction non retenue, ce qui l’empêche, selon la Cour, d’individualiser la peine.
Enfin, la Cour affirme sans détour que le choix d’une seule qualification ne permet pas toujours d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions, l’abandon d’une des qualifications en présence pouvant avoir pour conséquence « d’occulter un intérêt auquel l’action délictueuse a porté atteinte ou une circonstance de cette action ». À cet égard, la Chambre criminelle rappelle qu’elle a d’ores et déjà infléchi sa jurisprudence dans des hypothèses où seul le cumul des chefs de poursuite permet d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions (Cass. crim., 16 avril 2019, n° 18-84.073, FS-P+B+I N° Lexbase : A2854Y9L et Cass. crim., 31 mars 2020, n° 19-83.938, F-D N° Lexbase : A90253KH).
Garanties de l’infléchissement. Dans la perspective d’un infléchissement de sa jurisprudence, la Haute juridiction souligne dans un premier temps les conditions dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) admet que des faits identiques puissent faire l’objet de poursuites successives. Ces poursuites doivent être prévisibles, unies par un lien matériel et temporel suffisamment étroit, s’inscrire dans une approche intégrée et cohérente du méfait en cause et permettre de réprimer les différents aspects de l’acte répréhensible. Elles ne doivent en revanche pas générer d’inconvénient supplémentaire pour la personne poursuivie ni conduire à lui faire supporter une charge excessive et se limiter à ce qui est strictement nécessaire au regard de la gravité de l’infraction (CEDH, 8 octobre 2020, Req. 67334/13, Bacjic c/ Croatie et CEDH, 31 août 2021, Req. 45512/11, Galovic c/ Croatie).
La Chambre criminelle invoque alors les dispositions de droit interne de nature à répondre aux exigences de la jurisprudence européenne.
La Haute juridiction relève ainsi qu’en prévoyant plusieurs qualifications applicables à un même fait, le législateur a entendu réprimer plusieurs aspects d’une action délictuelle de telle sorte que leur cumul au cours d’une même procédure permet d’appréhender cette action dans toutes ses dimensions. Ce cumul est par ailleurs prévisible dès lors que les différentes infractions sont définies par la loi. La Cour évoque ensuite successivement les règles d’encadrement du cumul des peines (C. pén., art. 132-3 N° Lexbase : L2106AMX et 132-7 N° Lexbase : L2045AMP) et l’article 485 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9916IQC) lequel prévoit l’obligation de motivation des peines principales et complémentaires en considération de critères intéressant autant les faits que l’auteur lui-même.
La Chambre criminelle estime dès lors que ces règles permettent de le prononcé de peines nécessaires, proportionnées et adaptées dans l’hypothèse ou plusieurs qualifications sont susceptibles de recevoir application à l’occasion d’une même poursuite et juge que sa jurisprudence d’octobre 2016 doit désormais être infléchie.
Formulation de l’infléchissement. La Cour juge ainsi que l’interdiction de cumuler les qualifications à l’occasion de la déclaration de culpabilité doit être réservée, ou à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’auteur, aux cas où un ou des faits identiques sont en cause et où l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes :
En l’espèce, la Cour juge qu’aucun des cas pour lesquels elle réserve ici l’interdiction n’est en l’espèce constitué.
Enfin, on notera que, le même jour, la Chambre criminelle a rendu un arrêt dans lequel elle affirme que le principe ni bis in idem n'est pas d'ordre public (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 20-85.924, FP-B N° Lexbase : A17547G3).
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. soc., 15 décembre 2021, n° 21-40.021, FS-B (N° Lexbase : A17477GS)
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N9831BYR
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par Charlotte Moronval
Le 05 Janvier 2022
► N’est pas transmise au Conseil constitutionnel, la QPC portant sur la constitutionnalité des dispositions prévues à l'article 14, II, de la loi du 5 août 2021, relative à la gestion de la crise sanitaire (N° Lexbase : L4664L7U), dispositions qui imposent aux salariés du secteur de la santé de se faire vacciner contre la Covid-19.
Rappel. L’article 14, II, de la loi du 5 août 2021, relative à la gestion de la crise sanitaire, impose la vaccination contre la Covid-19 à certains salariés du secteur de la santé, sous peine de suspension de leur contrat de travail. |
Faits et procédure. Plusieurs salariés du secteur de la santé refusent de se soumettre à l’obligation vaccinale prévue par la loi. Ces salariés saisissent les conseils de prud’hommes afin de contester la suspension de leur contrat de travail. Dans le cadre de ces différentes procédures, la Cour de cassation est saisie d’une même QPC.
La QPC. L’article 14, II, de la loi du 5 août 2021 est-il contraire au préambule de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L1356A94) qui rappelle l'engagement de la France à respecter les conventions internationales, notamment celles qui interdisent à un pays signataire de priver un travailleur quel qu'il soit de sa rémunération par le recours à différents artifices, notamment une suspension arbitraire de son contrat de travail ?
La position de la Cour de cassation. La Cour de cassation juge cette QPC irrecevable car :
Dès lors, s’ils l’estiment opportun, c’est devant les conseils de prud’hommes que ces salariés du secteur de la santé devront soutenir que l’obligation vaccinale, prévue par la loi du 5 août 2021, est contraire à tel ou tel article déterminé d’une convention internationale régulièrement ratifiée par la France. À cet égard, la CEDH est déjà saisie de requêtes formées par des pompiers français soutenant que l’obligation vaccinale qui leur est imposée est contraire à plusieurs articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
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Réf. : Ordonnance n° 2021-1652, du 15 décembre 2021, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des obligations d'information, de la gouvernance des produits financiers et des limites de position des investisseurs destinées à faciliter le financement des entreprises (N° Lexbase : L9816L9G)
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par Vincent Téchené
Le 16 Décembre 2021
► Une ordonnance transpose la Directive dite « Quick Fix » (Directive n° 2021/338 du 16 février 2021 N° Lexbase : L4188L3I) qui procède à des ajustements ciblés de la Directive dite « MiFID2 » (Directive n° 2014/65 du 15 mai 2014 N° Lexbase : L5484I3I) afin d'encourager le financement de l'économie européenne par les marchés financiers et les entreprises d'investissement dans un contexte de reprise économique et de besoin accru de financements dans le contexte de la crise liée à la covid-19.
Tout d’abord, l'article 1er de l’ordonnance précise que le mode de communication entre les entreprises d'investissement et leurs clients professionnels devient, par défaut, le format électronique.
Les articles 2 et 3 adaptent, par ailleurs, le régime relatif aux limites de position sur instruments dérivés sur matières premières pour tenir compte des aménagements introduits par la Directive « Quick Fix ». Ils définissent notamment les instruments dérivés sur matières premières considérés comme étant d'importance critique ou significative et précisent les entités auxquelles les limites de position ne s'appliquent pas. L'Autorité des marchés financiers (AMF) peut réexaminer les limites de position en cas de modification significative sur le marché. Elle notifie à l'Autorité européenne des marchés financiers les limites de position qu'elle entend fixer. Selon l'avis rendu par cette dernière à la suite de la notification, l'AMF modifie les limites de position ou lui fournit une justification expliquant pour quelle raison cette modification n'est pas jugée nécessaire.
Ensuite, les articles 4 à 6, 9 et 13 allègent notamment les exigences en matière d'information qui pèsent actuellement sur les PSI vis-à-vis de leurs clients professionnels (ces dispositions demeurent en revanche pour les non-professionnels). Elles concernent en particulier :
L'article 8 précise dans quelles conditions est autorisée la fourniture conjointe par les PSI de services d'exécution et de recherche sur les émetteurs dont la capitalisation n'excède pas un milliard d'euros.
L'article 12 dispose que les PSI qui conçoivent des instruments financiers destinés à la vente aux clients ou qui proposent, recommandent ou commercialisent des instruments financiers ne sont pas soumis aux obligations de la « gouvernance des produits » lorsque le service d'investissement qu'ils fournissent porte sur des obligations qui n'incorporent pas d'instrument dérivé autre qu'une clause de remboursement avec indemnité de remboursement anticipé (« make whole »).
L'article 15 introduit les mesures d'extension expresse aux collectivités d'outre-mer du Pacifique.
Entrée en vigueur. L'ordonnance entrera en vigueur le 28 février 2022 conformément au 2 de l'article 4 de la Directive.
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Le 16 Décembre 2021
Mots clés : autoroutes • nationalisation
À la faveur d’une proposition émise il y a peu par l’un des favoris à la prochaine élection présidentielle, la thématique d’une éventuelle renationalisation des autoroutes a resurgi dans le débat public. Mais une question se pose : cette proposition est-elle réaliste, voire même souhaitable ? Deux lignes s’affrontent : les tenants d’un État fort, légitimés par la politique actuelle du « quoi qu’il en coûte » et soucieux de redonner du pouvoir d’achat au citoyen susceptible de se transformer à tout instant en gilet jaune et les partisans d’une ligne plus « réaliste », effrayés à l’idée de l’ampleur de la somme à verser aux sociétés concessionnaires en guise d’indemnisation. Lexbase Public a interrogé sur cette question Thomas Perroud, Professeur de droit public, Université Paris II Panthéon-Assas et Bruno Deffains, Professeur en sciences économiques dans le même établissement*.
Lexbase : Plusieurs responsables politiques ont récemment évoqué la possibilité de renationaliser les autoroutes. Cette proposition vous semble-t-elle pertinente ?
Thomas Perroud et Bruno Deffains : La question de la nationalisation des autoroutes n’est pas récente. Aussitôt l’opération de privatisation annoncée et réalisée, des oppositions nombreuses ont été formulées. François Bayrou avait d’ailleurs le premier formé un recours qui a amené le Conseil d’État [1] à confirmer la constitutionnalité de l’opération. Depuis, l’opportunité de la privatisation n’a cessé d’être mise en cause.
Des rapports publics importants, de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes, une commission d’enquête parlementaire ont en effet mis en évidence les rentes importantes que ces entreprises réalisaient. Dès septembre 2014, un rapport de l’Autorité de la concurrence pointait du doigt la « rentabilité nette exceptionnelle » des sociétés concessionnaires qui « n’apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées » [2]. Quelques années plus tard, en 2019, la Cour des comptes ne dit pas autre chose lorsqu’elle met en avant une situation pour le moins déséquilibrée des pouvoirs publics face aux sociétés concessionnaires d’autoroutes : « L’État a accepté à la demande des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), qu’elles réalisent, moyennant compensation, des travaux qui n’étaient pas explicitement prévus dans la convention de concession. Que le financement soit assuré par l’usager actuel ou futur, ces plans d’investissement sont l’objet de négociations difficiles, dans lesquelles les pouvoirs publics sont souvent apparus en position de faiblesse » [3].
Dès lors, la question de la nationalisation des autoroutes n’est pas vraiment nouvelle. Elle arrive d’ailleurs après la mobilisation que la privatisation d’Aéroport de Paris avait suscitée et sur l’opportunité de laquelle nous avions formulé des avis négatifs dans la presse. Nous avions d’abord estimé qu’ADP constituait bien un monopole de fait [4] au sens de l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, nous pensons ensuite que la privatisation constituait un danger pour les politiques de transport [5]. Le même problème peut se retrouver avec les autoroutes, qui constituent certainement un monopole de fait, étant donné les rentes qu’elles dégagent et leur privatisation interdisant à l’État de mettre en place des politiques dont l’objet pourrait être de diminuer leur rentabilité étant donné les engagements souscrits dans les contrats.
La question qui nous semble importante désormais, les autoroutes ayant été privatisées, est moins de savoir s’il faut les nationaliser que de savoir quel projet politique on souhaite mettre en place. C’est en réalité ce projet qui seul pourra permettre de juger de l’opportunité du projet en termes économiques et financiers. Le bilan coût/bénéfice à long terme de l’opération ne peut être réalisé de façon pertinente que si la nationalisation relève, par exemple, d’une politique environnementale claire visant à dissuader l’utilisation de la voiture par des péages plus importants. La réalisation de surprofits durables mise en évidence ces dernières années par l’Autorité de la concurrence ou la Cour des comptes ne peut pas se justifier du point de vue du bien-être social. En revanche, le surplus de gains réalisé pourrait être utilisé par une personne publique pour subventionner, par exemple, les transports en commun et, en général, les mobilités propres. Étant donné le coût actuel et futur du réchauffement climatique en cours, le financement de cette politique pourrait compenser le coût pour les finances publiques. Ce simple exemple permet de montrer que l’intérêt financier ne peut être estimé qu’à l’aune du projet politique servi par une nationalisation éventuelle.
Lexbase : Quels seraient les éventuels obstacles juridiques et financiers ?
Thomas Perroud et Bruno Deffains : Les obstacles juridiques sont assez simples à identifier. Le droit constitutionnel des nationalisations a été mis en place par le Conseil constitutionnel en 1982 dans la fameuse décision « Nationalisation » [6]. Il en ressort une idée-force : le Conseil constitutionnel n’opère pas de contrôle de l’ampleur des nationalisations même s’il a affirmé à l’époque qu’il contrôlait l’opération référence à la liberté d’entreprendre — qu’il découvre à cette occasion — il est en revanche scrupuleux sur l’indemnisation, la nationalisation étant interprétée comme une expropriation au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1364A9E).
L’évaluation d’éventuels obstacles financiers suppose quant à elle d’estimer au préalable le coût de l’opération et sa rentabilité future. Mais dans l’immédiat, on comprend que la difficulté à court terme est surtout liée aux indemnités que l’État devra régler aux sociétés d’autoroutes.
En effet, l’État-propriétaire a confié la gestion et l’exploitation des autoroutes à des sociétés privées via des concessions. En cas de résiliation avant terme de ces contrats, il y a forcément des indemnités à la clé pour le préjudice subi. Et rien ne permet d’anticiper une négociation à l’amiable, de sorte que le risque d’un contentieux long et coûteux n’est pas exclu et pourrait déboucher sur des pénalités en plus. Il est difficile de chiffrer précisément le montant des indemnités encourues mais selon les sources, le montant varie entre 20 et 47 milliards d’euros (la partie haute de la fourchette étant celle exprimée au Sénat en mai 2021 par le ministre des Transports).
Lexbase : L’État et les usagers s’y retrouveraient-ils financièrement à long terme ?
Thomas Perroud et Bruno Deffains : L’équation financière ne se résume pas aux compensations à verser en cas de rupture des contrats de concession avant terme. À l’évidence, le sujet est complexe, car il y a plusieurs inconnues à intégrer dans l’analyse.
D’un côté, les dépenses. On a déjà évoqué les engagements à court terme sous forme d’indemnités, mais il faut également tenir compte des contraintes financières à plus long terme concernant l’aménagement et l’entretien des infrastructures autoroutières qui seraient désormais à la charge du secteur public. Sans préjuger des capacités de gestion de l’État, il semble évident que ce poste de dépenses sera très élevé.
De l’autre côté, les recettes. Si l’on s’en tient aux données de l’Autorité de régulation des transports pour 2019, les recettes des péages représentaient 97,4 % des 10,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires des sociétés concessionnaires, permettant de dégager des dividendes de l’ordre de 3,1 milliards.
À travers une vaste opération de nationalisation, l’État pourrait donc disposer en théorie de ces sommes, mais encore faudrait-il maintenir pour cela le niveau des péages au niveau actuel. De nouveau, des questions éminemment politiques rendent compliquée la résolution de l’équation pour savoir à quel horizon précis les usagers s’y retrouveraient financièrement. Beaucoup de scénarios sont possibles, y compris celui d’un horizon indéterminé.
En définitive, comme nous le disions, ce qui compte, c’est d’établir un projet : s’il s’agit de nationaliser les autoroutes pour diminuer les péages, l’opération pour le contribuable pourrait être coûteuse. S’il s’agit de mettre en place une politique de transport forte, prenant en compte les impératifs de la transition écologique, l’analyse coût-bénéfice pourrait être nettement en faveur d’une solution publique.
Lexbase : D’autres secteurs jugés trop rentables pour le secteur privé pourraient-ils à l’avenir faire l’objet de cette même proposition ?
Thomas Perroud et Bruno Deffains : Comme nous le disions plus haut, la question doit porter moins sur le principe que sur le projet et les modalités.
La situation est aujourd’hui ambiguë concernant la place de l’État. Les projets de privatisation ne manquent pas, dans beaucoup de domaines, en France comme à l’étranger, poursuivant la tendance initiée dans les années 80. Pour l’instant, les projets de « nationalisation » ont surtout eu le vent en poupe au niveau local, dans le domaine de l’eau par exemple.
Mais le problème nous semble aujourd’hui mal posé. La question de principe de la nationalisation doit aller de pair avec une réflexion sur les objectifs de politique publique (de politique sociale et environnementale notamment) que l’on veut porter. En outre, il faut aussi capitaliser sur les erreurs de la gestion publique pour ne pas les reproduire. Le public et le privé ne s’opposent pas nécessairement et la place de l’État doit être réfléchie de façon à construire une institution au service de l’intérêt général. Les modèles étrangers montrent que la nationalisation pourrait tout à fait prendre une forme autre qu’une société anonyme à capital public ou un établissement public. L’Allemagne, le Royaume-Uni ont mis en place, par exemple, des coopératives de services publics permettant d’inclure dans la gestion le public et le personnel. Ce modèle nous semble intéressant pour ne pas reproduire les erreurs de la gestion bureaucratique, car l’État n’a pas le monopole de l’intérêt général.
Il faut donc capitaliser sur le passif de la gestion publique pour construire des projets d’intérêt général permettant d’inscrire les services publics dans un projet social plus large, au service notamment de la transition écologique et des intérêts les plus faibles de la société.
L’approche des élections ne facilitera pas la tenue d’un débat complexe. C’est pourtant à notre sens l’enjeu. Le débat sur le mérite de la nationalisation ne doit pas éclipser celui du projet social qu’il doit porter et c’est là que la réflexion commence. L’enjeu de la transition écologique, de la justice sociale nécessite une montée en compétences des citoyens et donc un débat public à la hauteur des enjeux. C’est certainement un défi plus grand que celui de la nationalisation.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
[1] CE, Sect., 27 septembre 2006, n° 290716, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3223DRS).
[2] Avis Autorité de la concurrence n° 14-A-13, 17 septembre 2014, sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires (N° Lexbase : X9806ANI).
[4] B. Deffains et T. Perroud, La privatisation d'Aéroport de Paris et l'alinéa 9 du préambule de 1946 : Aéroport de Paris est un monopole de fait !, JP Blog, 28 janvier 2019 [en ligne].
[5] B. Deffains et T. Perroud, La privatisation d’ADP introduit un nouvel acteur qui sera opposé à toute évolution des politiques environnementales, Le Monde, 26 février 2019 [en ligne].
[6] Cons. const., décision n° 81-132 DC, du 16 janvier 1982 (N° Lexbase : A8037ACN).
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Réf. : Décret n° 2021-1608, du 8 décembre 2021, modifiant le décret n° 2015-641 du 8 juin 2015 relatif à l'attribution des aides déconcentrées au spectacle vivant (N° Lexbase : L9034L9H)
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par Vincent Téchené
Le 16 Décembre 2021
► Un décret, publié au Journal officiel du 10 décembre 2021, modifie le dispositif d'aides destinées aux artistes, compagnies et ensembles professionnels agissant dans les domaines du spectacle vivant et, avec lui, le décret n° 2015-641 du 8 juin 2015 (N° Lexbase : L7887I8M).
La modification de ce dispositif d'aides a pour objet de mieux prendre en compte le parcours des artistes et leurs projets artistiques et culturels dans leur globalité. Le décret supprime l'aide à la structuration et recentre le dispositif autour de deux types d'aide, l'aide au projet et le conventionnement, ouverts aux collectifs d'artistes et à la production déléguée.
Il clarifie et uniformise, par ailleurs, les critères permettant de bénéficier de l'aide au projet, plus souplement définie, et recentre le conventionnement sur l'accompagnement des différentes étapes du parcours des artistes.
Le texte prévoit en outre pour chacune des aides qu'il peut être dérogé à l'un de leurs critères d'attribution afin de permettre le soutien aux projets présentant des spécificités en raison de la singularité des esthétiques, de propositions de forme atypique, de conditions de production ou de diffusion liées au rythme ou au format de création.
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Réf. : Décret n° 2021-1639, du 13 décembre 2021, portant obligation de recours au téléservice pour réaliser la demande d'homologation de la convention de rupture du contrat de travail (N° Lexbase : L9627L9G)
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N9826BYL
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par Charlotte Moronval
Le 16 Décembre 2021
► Publié au Journal officiel du 15 décembre 2021, le décret n° 2021-1639 du 13 décembre 2021 modifie les conditions de dépôt de la demande d’homologation de la convention de rupture du contrat de travail.
Le décret adapte les conditions de dépôt de la demande d’homologation de la convention de rupture du contrat de travail, pour rendre obligatoire, à compter du 1er avril 2022, le recours au téléservice prévu à cet effet qui permet de présaisir en ligne une demande d’homologation de rupture conventionnelle.
Néanmoins, il prévoit que lorsqu’une partie au contrat de rupture conventionnelle n’est pas en mesure d’utiliser le téléservice, elle peut effectuer sa démarche par le dépôt d’un formulaire auprès de l’autorité administrative concernée.
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : La rupture conventionnelle individuelle, L’homologation administrative, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E3500ZH4). |
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