Réf. : Cons. const., décision n° 2021-949/950 QPC, du 24 novembre 2021 (N° Lexbase : A74927CH)
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par Adélaïde Léon
Le 21 Décembre 2021
► Ni l’article 131-21 du Code pénal ni aucune autre disposition ne prévoit que lorsque la confiscation d’un bien commun conjugal est envisagée, l’époux non condamné soit en mesure de présenter ses observations sur cette mesure devant la juridiction de jugement ; le Conseil constitutionnel censure par conséquent la quasi-totalité de l’article 131-21 du Code pénal à compter du 31 décembre 2022.
Rappel de la procédure. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 septembre 2021 par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, huitième et neuvième alinéas de l’article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ) dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW).
Motifs des QPC. Selon les requérantes, les dispositions en cause méconnaîtraient les exigences résultant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D), relative au droit à un recours effectif dans le respect des droits de la défense. Elles reprochaient au texte visé d’autoriser la juridiction de jugement à ordonner la confiscation d’un bien de la communauté conjugale sans prévoir que l’époux du condamné soit cité à comparaître ni informé de son droit de présenter des observations, de se faire représenter par un avocat et d’interjeter appel de la décision.
Par ailleurs, les dispositions visées seraient, selon les requérantes, contraires au principe de personnalité des peines et au droit de propriété au motif qu’elles ne prévoient pas la faculté, pour le juge pénal à l’origine de la confiscation d’un bien commun, de procéder à une liquidation partielle et anticipée de la communauté.
Décision. Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il a préalablement déclaré contraires à la Constitution le troisième alinéa de l’article en cause et les mots « ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » figurant au neuvième alinéa (Cons. const., décision n° 2021-932 QPC, du 23 septembre 2021 N° Lexbase : A141347H). En l’absence de nouvelles circonstances, il écarte la QPC portant sur ces dispositions.
S’agissant des autres passages visés, les Sages rappellent que, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, lorsque la confiscation porte sur un bien appartenant à la communauté, elle emporte sa dévolution pour le tout à l’État, sans que ce bien demeure grevé des droits de l’époux non condamné pénalement, et ce, même si ce dernier est de bonne foi.
Le Conseil note également que, selon l’interprétation faite par la Cour de cassation dans les arrêts de renvoi (Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-82.389, F-D N° Lexbase : A9161443 et Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-90.029, F-D N° Lexbase : A912944U), pour prononcer la confiscation d’un bien commun, le juge doit :
Toutefois, les Sages constatent que ni les dispositions contestées ni aucune autre ne prévoient le droit, pour l’époux non condamné, d’être mis en demeure de présenter ses observations devant la juridiction de jugement qui envisage de prononcer la mesure de confiscation.
Le Conseil constitutionnel déclare en revanche contraires à la Constitution les deuxième, quatrième, cinquième, sixième, huitième alinéas de l'article 131-21 ainsi que les dispositions du neuvième alinéa sur lesquelles il ne s'est pas prononcé par le passé.
Estimant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives en privant la juridiction de jugement de la faculté de prononcer une peine de confiscation, le Conseil reporte au 31 décembre 2022 l’abrogation desdites dispositions et décide que les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
On précisera qu'entre la saisine du Conseil et la décision ici décrite, la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire (adoptée le 18 novembre 2021 puis déférée au Conseil constitutionnel par le Premier ministre le 22 novembre 2021) est venue prévoir l'insertion d'un nouvel alinéa à l'article 131-21 du Code pénal, permettant aux tiers de bonne foi de faire valoir leurs droits et ainsi rédigé : « Lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels un tiers autre que le condamné dispose d’un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si ce tiers dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n’a pas été mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu’il revendique et sa bonne foi ».
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. civ. 2, 10 novembre 2021, n° 20-15.732, FS-B+R (N° Lexbase : A45197BY)
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par Yann Bougenaux, Avocat au Barreau de Lyon, Cabinet Fayan-Roux-Bontoux et associés
Le 08 Décembre 2021
Mots-clés : faute inexcusable • action récursoire • action directe à l’encontre de l’assureur • prescription quinquennale
L’action récursoire de la CPAM à l’encontre de l’employeur, auteur d’une faute inexcusable, ainsi que son action directe à l’encontre de l’assureur de ce dernier, se prescrivent par cinq ans en application de l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC).
Par un arrêt rendu le 10 novembre 2021, la Cour de cassation vient apporter une précision s’agissant du délai de prescription de l’action récursoire de la CPAM à l’encontre de l’employeur ou de son assureur.
I. Le principe de l’action récursoire de la CPAM en cas de reconnaissance de faute inexcusable
À la suite d’un accident du travail, ou d’une maladie professionnelle, le salarié peut solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, en vue d’obtenir une indemnisation complémentaire (CSS, art. L. 452-1 N° Lexbase : L5300ADN).
Pour mémoire, la faute inexcusable correspond à un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur lorsqu’il aurait dû avoir conscience d’un danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour le prévenir.
En cas de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, le salarié bénéficie alors d’une majoration de rente (CSS, art. L. 452-2 N° Lexbase : L7113IUY) et de la réparation des préjudices personnels.
Dans ce cas, le versement des indemnités allouées au salarié est à la charge de la CPAM qui doit en faire l’avance puis qui peut ensuite agir contre la société pour en obtenir le remboursement, dans le cadre d’une action récursoire.
Cette solution est prévue par l’article L. 452-3, alinéa 3, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5302ADQ) :
« La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur. »
La caisse verse ainsi au salarié les indemnités auxquelles leur ouvre droit la faute inexcusable de l’employeur (rente et dommages personnels) et ne dispose que d’une action récursoire contre l’employeur.
Les sommes en jeu peuvent être considérables.
C’est la raison pour laquelle, l’alinéa 3 de l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale permet à l’employeur de s’assurer contre ce risque :
« L'employeur peut s'assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable ou de la faute de ceux qu'il s'est substitués dans la direction de l'entreprise ou de l'établissement. »
Cette possibilité d’assurance permet à l’employeur de limiter les conséquences financières d’une reconnaissance de faute inexcusable qui pourrait être fatale pour la société.
Cependant, la survenue de l’assureur dans le cadre du litige, vient apporter un élément de complexification.
Se pose alors la question du recours direct de la CPAM à l’encontre de l’assureur.
Ce recours est prévu à l’article L. 124-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L4188H9Y) :
« Le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.
L'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré. »
Fort logiquement, l’action directe de la CPAM contre l’assureur suit le régime juridique de l’action de la CPAM à l’encontre de l’employeur (sauf exceptions qui ne concerne pas la problématique abordée).
Ainsi, le recours contre l’assureur est toujours possible tant que l’assureur est exposé au recours de son assuré (Cass. civ. 3, 20 octobre 2021, n° 20-21.129, F-D N° Lexbase : A00557AB ; Cass. civ. 2, 10 février 2011, n° 10-14.148, F-D N° Lexbase : A7373GWY).
Dans le cas qui nous occupe, la CPAM avait donc indemnisé le salarié et exerçait son action directe à l’encontre de l’assureur de l’employeur, qui se défendait en relevant la prescription de l’action.
Il convient également de préciser que la décision du tribunal des affaires de Sécurité sociale de Valence, confirmée par la cour d’appel de Grenoble et reconnaissant la faute inexcusable n’avaient pas été déclarées communes à l’assureur.
II. Le délai de prescription de l’action récursoire de la CPAM
Dans ce litige, trois textes relatifs à la prescription ont été successivement soulevés.
Devant la cour d’appel de Besançon, l’assureur invoquait l’article L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5309DYB), relatif à la prescription biennale de l’action de la victime contre l’employeur :
« Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :
1°) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ;
2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l'article L. 443-1 (N° Lexbase : L7108IUS) et à l'article L. 443-2 (N° Lexbase : L5299ADM), de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;
3°) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l'article L. 443-1 ;
4°) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l'éducation surveillée dans le cas où la victime n'a pas droit aux indemnités journalières. »
Selon l’assureur, la CPAM était subrogée dans les droits de la victime et devait donc se voir appliquer le même délai de prescription.
Selon cette thèse, la CPAM disposait d’un délai de deux ans à compter de la saisine du tribunal des affaires de Sécurité sociale (désormais pôle social du tribunal judiciaire) par le salarié.
Il convient de préciser que cette solution ne pouvait aboutir, tant il est clair que l’action de la CPAM ne dérive pas des droits de l’assuré, auquel elle n’est pas subrogée, mais dérive d’un texte spécifique.
La CPAM répondait qu’il convenait d’appliquer la prescription décennale de l’article 2226 du Code civil (N° Lexbase : L7212IAD) relatif aux réparations des préjudices corporels :
« L'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé. »
La cour d’appel de Besançon (CA Besançon, 17 mars 2020, n° 18/01591 N° Lexbase : A74433KU) a suivi le raisonnement de la CPAM considérant en effet que l’article L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale ne visait que les prestations versées à la victime et non le recours de la CPAM à l’encontre de l’employeur ou de son assureur :
« Qu'il est admis que si l'article L. 432-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8761KUZ) invoqué par l'intimée soumet à la prescription biennale les actions en remboursement des prestations versées au titre de la législation sur le risque professionnel, cette disposition ne vise que les prestations versées à la victime, de sorte qu'à défaut de texte particulier, l'action d'une caisse primaire d'assurance maladie en récupération des prestations versées, en application de l'article L. 452-3 du même code, à la victime d'une faute inexcusable, dirigée à l'encontre de l'employeur demeure soumise à la prescription de droit commun ; »
La cour d’appel de Besançon applique alors le délai de prescription décennal prévu en cas de dommage corporel.
La Cour de cassation va censurer ce raisonnement sur le fondement d’un troisième texte, l’article 2224 du Code civil, relevé d’office par les magistrats, et qui n’avait donc pas été débattu devant la cour d’appel de Besançon.
Cet article concerne le délai de droit commun de cinq ans applicable aux actions personnelles ou mobilières.
Par une motivation laconique et dénuée de toute ambiguïté, la Cour de cassation rejette l’application de l’article 2226 du Code civil :
« 8. Il en résulte qu'en l'absence de texte spécifique, l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur, auteur d'une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans en application de l'article 2224 du Code civil et que son action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre l'assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.
9. Pour accueillir la demande de la caisse, l'arrêt retient qu'en vertu de l'article 2226 du Code civil l'action en responsabilité née d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé de sorte que, la consolidation de la victime étant intervenue le 11 mars 2009, l'action intentée par la caisse par acte d'huissier de justice délivré le 9 mars 2016, soit dans le délai imparti par ce texte, n'est pas prescrite. »
La Cour de cassation considère que l’action récursoire de la CPAM se prescrit par cinq ans, en application de l’article 2224 du Code civil que ce soit aussi bien à l’encontre de l’employeur que de son assureur.
Cela confirme que la CPAM n’est pas subrogée à proprement parler des droits de la victime.
La Cour de cassation en profite pour confirmer le fait qu’il est possible de dépasser ce délai de cinq ans tant que l'assureur reste exposé au recours de son assuré.
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par Bertrand de Belval, Avocat au barreau de Lyon
Le 08 Décembre 2021
Mots-clés : avocat • comédien • déontologie • principes • dignité
« Il est très difficile de parler de comédien en général. Chaque comédien est un peu un comédien par accident », Michel Bouquet
« En Angleterre, un homme accusé de bigamie est sauvé parce qu’il prouve que son client à trois femmes », Georg Lichtenberg
1. « En même temps », l’expression a fait florès. Pourtant, il faut souvent choisir. Qui trop embrasse mal étreint dit la sagesse populaire. Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras rappelait La Fontaine. Etre Avocat et / ou Comédien ? That is the question…
N’est-ce pas notre actuel Garde des Sceaux, à l’époque célèbre avocat en exercice qui jouait sur les planches À la barre, au théâtre de la Madeleine ? Lorsque l’on est avocat pénaliste, rompu aux assises, l’art de la comédie est une seconde nature. Le cinéma aime beaucoup les avocats et pas seulement américains [1]. Pour se limiter aux disparus, Maurice Garçon, également académicien, peignait [2], c’était un comédien à sa façon. Isorni plaidait comme un acteur [3] – à la différence près qu’il en allait parfois de la vie de son client. Vergés avait l’art de la mise en scène. Moro-Giafferi devait aussi être une sorte de Gérard Depardieu des prétoires. Maître Derville, avoué, alias Fabrice Lucchini, dans le colonel Chabert, apparait authentique. Paul Newman incarne un vieil avocat désenchanté dans le Verdict et qui retrouve le feu de la défense… Dans certains barreaux, il existe une « Revue » comme on l’appelle à Lyon, où des confrères font le spectacle : chant, danse, humour, parodie, et sont des comédiens le temps de quelques représentations à guichet fermé… Parfois, des avocats-artistes se lancent dans le one-man-show [4]. Gilbert Collard avait fait un disque pour une campagne électorale…
Embrasser le métier d’avocat par la comédie est fréquent, mais peut-on être avocat et comédien à titre professionnel, conformément aux règles qui les régissent ?
2. Le temps a manqué pour faire des recherches approfondies. Il n’apparait pas de ténors du barreau qui fut aussi un comédien de renom de cinéma ou théâtre [5]. Quand on voit que des faits divers vont devenir des séries, il n’est pas impossible que certains avocats aient envie de jouer leur propre rôle… Il y a les habitués des plateaux TV, des chroniqueurs d’émissions, qui sont quasiment des comédiens - bien rémunérés. Plus avocat à la TV qu’au palais. Si jouer la comédie est le pendant d’effets de manche pour des avocats plaidants, ce n’est pas être comédien, qui est un statut distinct. À part, être à la Comédie Française, le comédien est un intermittent du spectacle. L’avocat, inscrit au tableau, peut-il donc cumuler les deux statuts ?
3. Pour tenter de répondre à cette question, et en cerner les contours, nous rappellerons la problématique des incompatibilités puis les qualités qui seraient nécessaires dans la mesure où l’avocat l’est « en toutes circonstances » (RIN, art. 1.3 et 6.1)
I. Des incompatibilités à l’exercice des deux professions
A. La lettre
4. Historiquement [6], la profession d’avocat, libérale, était incompatible avec celle de commerçant, relevant des charges publiques, d’associé dans une société en nom collectif, de fonctionnaires à l’exception des fonctions d’enseignements. Il fallait protéger l’avocat tant du lucre que de la faillite ainsi que des professions jugées préjudiciables à son statut de notable respectable. Percevoir un honoraire était dégradant, alors être une sorte de troubadour moderne ou d’amuseur public, cela était inconcevable.
5. Désormais, les articles 111 à 123 du décret du 27 novembre 1991 fixent les incompatibilités [7]. L’article 115 semble régler la question avec précision : « La profession d'avocat est incompatible avec l'exercice de toute autre profession, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires particulières. / La profession d'avocat est compatible avec les fonctions d'enseignement, les fonctions de collaborateur de député ou d'assistant de sénateur, de membre assesseur des tribunaux pour enfants ou des tribunaux paritaires de baux ruraux, de conseiller prud'homme, de membre des tribunaux des affaires de sécurité sociale, ainsi qu'avec celles d'arbitre, de médiateur, de conciliateur ou de séquestre. »
L’article 6.3.5 du Règlement Intérieur National prévoit la possibilité d’être agent d’artistes : « L’avocat peut exercer une activité de mandataire d’artistes et d’auteurs. / Cette activité doit être pratiquée aux termes d’un contrat et constitue pour l’avocat une activité accessoire. »
6. En conséquence, il semble, a priori, impossible d’exercer la profession de comédien car elle n’est pas expressément autorisée. Elle n’est pas interdite expressément non plus ; son cas ne semble pas avoir été envisagé car le cumul n’était pas une question.
B. L’esprit
7. Interdire à l’avocat d’être comédien [8] apparait discutable dans la mesure où il s’agit d’une activité artistique et culturelle, étant observé qu’il va de soi (?) qu’il ne s’agit pas d’être acteur de film d’horreur ou X (cf. infra). Mais, est-ce bien raisonnable, in abstracto, de ne pas permettre à un avocat de jouer professionnellement Molière, ou dans une comédie ou encore un western [9], une série policière, ou l’adaptation d’une histoire vraie comme la vie de Mandela ou Gandhi, qui furent avocats ? En effet, c’est une activité de l’esprit, des arts. Toucher un cachet ou percevoir des honoraires, n’est-ce pas très proche ? Il n’y a pas fondamentalement de différence, surtout dans notre monde médiatique, entre écrire un ouvrage et jouer un rôle dans un film (ex. l’affaire Dominici avec Emile Pollak), dont le livre pourrait être mis à l’écran.
8. Il reste à savoir si l’activité de comédien devrait être accessoire ou sans limites. À notre sens, le caractère accessoire ne se pose pas. Il reste néanmoins à vérifier que cette activité ne serait pas de nature à paralyser le métier d’avocat en rendant ce dernier indisponible pour ses clients, pour assurer les audiences, les commises, etc.. Mais, si l’avocat a décidé de se spécialiser par exemple dans les consultations, rien n’empêche qu’il exerce selon la fréquence qu’il souhaite.
9. Bref, si la lettre semble ne pas permettre le cumul d’activités, l’esprit des incompatibilités devrait autoriser expressément la possibilité d’avoir une activité littéraire ou artistique (comédien, musicien), ce que de nombreux avocats font d’ailleurs sans que cela ne pose de difficulté. Le cumul est donc plus (largement) toléré qu’autorisé. Il gagnerait à être reconnu, sous la limite des principes essentiels.
II. Un comédien nécessairement respectueux de la déontologie des avocats
A. Des principes essentiels et du secret professionnel
10. Au-delà du film pornographique, un avocat pourrait-il jouer un meurtrier (Mesrine), un violeur (L’été meurtrier), un criminel (un monde parfait), un psychopathe (Hannibal Lecter), un mafieux (Al Capone ou le Parrain) ? Cela n’est pas certain. En revanche, un avocat aurait-il pu remplacer Tom Cruise dans La firme ? ou Alain Delon dans Un Crime ? ou Jean Gabin dans Autant de Malheur de Claude Autant-Lara ? ou encore Tom Hanks dans Philadelphia ou Le pont des espions ? Assurément, en théorie.
11. Ces questions renvoient à la compatibilité avec les principes essentiels de l’avocat, et singulièrement la dignité [10]. La jurisprudence relative à l’avocate qui jouait de l’accordéon dans la rue continue de résonner dans les consciences, bien que le son semble plus diffus aujourd’hui quand on compare avec les manifestations des uns et autres sur les réseaux sociaux. Aussi, l’avocat devra veiller à faire en sorte que ses rôles ne contredisent pas les valeurs de sa profession, et puissent semer le trouble entre la fiction et la réalité de celui qui incarne un rôle et porte aussi un costume propre à son état. C’est le respect de la robe qui s’impose puisque si l’avocat est comédien le temps d’un film ou d’une représentation, il demeure avocat en toutes circonstances.
12. Le respect du secret professionnel est un impératif catégorique (loi du 31 décembre 1971, art. 66-5 N° Lexbase : L6343AGZ). Les coups du butoir actuels ne doivent pas faire perdre l’idée que des violations sont fréquentes à chaque fait divers où l’ancien avocat, voire celui qui intervient, se répand sur les chaines du tout-info avec largesse au risque de dévoiler des secrets protégés. Ainsi, il faudrait beaucoup de retenue et de prudence pour jouer dans une docu-fiction afin que le secret professionnel ne soit pas violé et que cette réalisation ne porte pas atteinte à des personnes mises hors de cause. Par exemple, les avocats des parties ont dû indiquer qu’ils suivaient de près l’adaptation de l’affaire Grégory.
B. L’indépendance et la liberté d’expression
13. Plaider, c’est une voix, une attitude, habiter un prétoire, rompre les codes, fissurer les certitudes, susciter de l’émotion, faire réagir... À l’aube du quatrième centenaire de Molière, dans ce pays qui a engendré aussi La Fontaine, l’artiste et l’avocat partagent le gout immodéré des mots, des scènes, de ces histoires auxquelles il faut donner vie, essayer de ramener sans cesse les personnes, auteurs de crimes ou pas, « dans la communauté des hommes » comme aime à dire Henri Leclerc. Passion, déraison, ou discours plus politique comme Vergès avec sa défense de rupture. L’indépendance de l’acteur et sa liberté d’expression vont de pair. Il n’y a d’acteur comme d’avocat qu’un être qui épouse son rôle, sa mission, avec l’objectif de convaincre : c’est un acteur en scène, avec pour public d’abord des juges et parfois jurés. L’avocat et le comédien sont des frères de sang. Ils sont frères en ce sens qu’ils sont différents. Mais, ils font partie de la même fratrie qui vise à émouvoir le cœur d’autrui, à lui transmettre une part d’humanité par les mots, les attitudes, les postures, les silences... L’indépendance et la liberté d’expression sont substantielles à leur exercice. Un avocat qui récite un texte sera écouté, mais entendu ? Un acteur qui ne donne pas l’impression d’être naturel surjoue et finalement mal joue. Ainsi, il n’y a pas de contre-indication éthique à être à la fois avocat et comédien. Bien au contraire, il y a une complémentarité forte, l’authenticité de l’engagement de soi. Interdire ce cumul apparait un non-sens sinon un contresens dans un pays de liberté. D’ailleurs, ne voit-on pas des initiatives [11] qui se multiplient dans les écoles pour apprendre la parole [12] et revenir à l’antique rhétorique [13], ô combien utile à entendre des plaidoiries...
**
14. Qui mieux en définitive que Balzac a décrit la « Comédie humaine », lui qui connaissait les gens de justice, pour avoir eu aux trousses ses créanciers sa vie durant ? L’avocat, l’acteur, la personne, sont tous comme dans le théâtre grec des gens portant le masque, représentant une réalité qui nous échappe toujours plus ou moins. Un avocat n’est pas si différent d’un acteur ou écrivain. C’est un être qui se nourrit de la glaise humaine. La grande différence, c’est que l’avocat n’est pas là pour jouer un rôle. S’il en met plein les yeux en plaidant, il ne doit jamais oublier qu’il est au service de son client, derrière qui il s’efface pour faire triompher la cause ou la défense. Il n’a pas droit à l’erreur, car il n’y a pas de coupe au montage, et le scénario n’est pas écrit à l’avance. Avocat et comédien sont mariés pour le meilleur et le pire. Là comme ailleurs, le risque de fusion peut aboutir à une confusion. N’est-il pas en définitive préférable qu’à quelques exceptions près, ceux qui ont le talent rare, chacun reste dans son domaine. De Delon à Deneuve, de Naud à Halimi, on ne peut pas être acteur à mi-temps ou avocat à mi-temps. L’avocat ou le comédien le deviennent par accident pour reprendre Michel Bouquet. Même tempo sans doute, mais en même temps, on en doute. Finalement, est-ce utile de changer les textes au lieu de se contenter de tolérer l’exceptionnel, ou de rappeler à l’ordre celui/celle qui oublierait les fondamentaux ? Être avocat ou acteur, cela ne reste-t-il pas un sacerdoce ?
[1] Ch. Guéry, Les avocats et le cinéma, préface F. Saint-Pierre PUF, 2011.
[2] G. Antonowicz, Maitre Maurice Garçon Artiste, ed. Seghers, 2021.
[3] G. Antonowicz, Isorni, les procès historiques, Les belles lettres, 2021.
[4] Nous avions un confrère de Saint-Etienne qui s’y était essayé.
[5] Réné Floriot a participé à des scénarios de films comme Ouvert contre X et joué son propre rôle dans La Prisonnière, film de Henri-Georges Clouzot sorti en 1968.
[6] H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat, Dalloz action, titre 43 s..
[7] Décret du 27 novembre 1991, art. 111 à 123 (N° Lexbase : L8168AID).
[8] Nous n’avons pas connaissance de décisions de conseil de l’Ordre ou de discipline.
[9] Cf. R. Pippin, La philosophie politique du western, Cerf, 2021 (éd. Orig. 2010)
[10] Cf., notre article, Quelques réflexions sur la dignité de l’avocat, Lexbase avocats, octobre 2020 (N° Lexbase : N4598BYX).
[11] J. Ambre, Je ne me tairai jamais, Robert Laffont, 1979, avocat reconnu, fut un adjoint audacieux à la culture de la ville de Lyon, pour le théâtre, la danse…
[12] Cf., B. Perier, La parole et un sport de combat, Le livre de poche, 2019 ; Sauve qui parle, JC Lattès, 2021 ; C. Viktorovitch, Le pouvoir rhétorique - Apprendre à convaincre et à décrypter les discours, Seuil, 2021.
[13] O. Reboul, Introduction à la rhétorique, 2ème éd. PUF Quadrige, 2013
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par Pierre-Edouard Lagraulet, Avocat au Barreau de Paris, Docteur en droit et chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux
Le 08 Décembre 2021
Mots-clés : administrateur provisoire • article 29-1 • conservation de l’immeuble • équilibre financier • responsabilité du syndicat des copropriétaires • désordre affectant les parties communes • comptes bancaires séparés • preuve • contrats conclus avant la mise en copropriété
Lexbase Droit privé vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique bimestrielle de jurisprudence des cours d’appel en matière de droit de la copropriété, de Pierre-Edouard Lagraulet, Avocat au Barreau de Paris et Docteur en droit.
I. Rétractation (non) d’une ordonnance de désignation d’un administrateur judiciaire en 29-1 (CA Aix-en-Provence, pôle 01 ch. 02, 28 octobre 2021, n° 20/08991 N° Lexbase : A90517AH)
La cour d’Aix-en-Provence a rendu le 28 octobre 2021 un arrêt relatif aux conditions de désignation d’un administrateur judiciaire selon la procédure de l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4832AHG). Elle y distingue, et c’est là l’intérêt de la décision commentée, la compromission de l’équilibre financier du syndicat des copropriétaires de l’impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble.
En l’espèce, le président du tribunal judiciaire de Nice avait rendu, dans un premier temps, une ordonnance désignant un administrateur provisoire sur le fondement de l’article 47 du décret du 17 mars 1967 ; le syndicat était alors simplement dépourvu de représentant. Quelques mois plus tard, l’administrateur provisoire a dû saisir le même président, sur requête, sur le fondement des articles 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 et 62-35 du décret du 17 mars 1967 (N° Lexbase : L7319KHK) afin qu’un administrateur provisoire soit désigné pour redresser la situation dégradée, selon lui, du groupement. Il fut désigné dans ces nouvelles fonctions.
Un copropriétaire assigna alors le syndicat devant le juge des référés de Nice aux fins d’obtenir l’annulation et la rétractation de l’ordonnance, ce dont il fut débouté. C’est ainsi que la cour d’appel d’Aix-en-Provence fut saisie, le copropriétaire ayant interjeté appel.
La cour d’Aix-en-Provence s’est alors livrée, comme elle y était invitée, à l’intéressant exercice d’appréciation de la situation du syndicat au regard des conditions alternatives d’ouverture de la procédure définies à l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965.
D’abord, pour examiner la situation financière, la cour d’appel étudia les comptes produits par l’ancien syndic et employa une méthode déjà commentée dans les colonnes de la présente revue pour en apprécier la situation (CA Aix-en-Provence, Pôle 1, 5ème ch., 14 mai 2020, n° 18/05592 N° Lexbase : A52623LH, com. P.-E. Lagraulet, Lexbase Droit privé, n° 833, 23 juillet 2020 N° Lexbase : N4277BY3). Elle a ainsi pu constater que, selon le rapport de l’administrateur provisoire (décret du 17 mars 1967, art. 47 N° Lexbase : L5551IGP) qui avait requis la désignation d’un administrateur provisoire sur le fondement de l’article 29-1 de la loi de 1965, les impayés s’élevaient à 131 258,79 euros et les dettes de fournisseurs à 99 225,82 euros. L’équilibre financier paraissait dès lors gravement compromis, du moins arithmétiquement, ce qui remplissait selon la cour l’un des deux critères, non cumulatifs, de l’article 29-1.
Ensuite, et c’est l’enseignement qu’il faut tirer de l’arrêt, la cour d’appel relève que le syndicat des copropriétaires se trouvait dans une situation de paralysie en raison de l’annulation de la presque totalité des assemblées générales causée par une application erronée des tantièmes de copropriété. La cour souligna également qu’en conséquence de cette paralysie administrative, le couvert de l’immeuble n’était plus assuré. Il en résultait des infiltrations dans les logements du dernier étage. C’est ainsi que la cour a pu en déduire que le syndicat se trouvait dans l’impossibilité de fonctionner et de pourvoir à la conservation de l’immeuble. Le lien de causalité entre l’annulation des procès-verbaux et le défaut de couverture est sans doute un peu rapidement établi pour caractériser « l’impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble » visée par l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965, mais il ressort bien de cette décision que les difficultés administratives (en l’espèce l’annulation des assemblées générales successives, mais on peut imaginer d’autres causes telles que l’impossibilité d’attribuer des lots, l’inexactitude de l’attribution des tantièmes répétée, le défaut de publication malgré l’application des modificatifs de copropriété régularisant des divisions de lots, etc.) peuvent paralyser le fonctionnement du syndicat et, dès lors, empêcher la conservation de l’immeuble.
En conséquence, l’ordonnance déférée qui avait rejeté la demande de rétractation ne pouvait qu’être confirmée puisque les deux conditions, alternatives, de l’article 29-1 de la loi de 1965 étaient réalisées.
II. Responsabilité de plein droit du syndicat des copropriétaires (CA Paris, Pôle 04 ch. 01, 3 septembre 2021, n° 20/12712 N° Lexbase : A298343U)
Par arrêt du 3 septembre 2021, la cour d’appel de Paris a rendu une intéressante décision relative à la responsabilité d’un syndicat des copropriétaires dans l’occurrence et la répartition du préjudice d’un copropriétaire dont l’origine se trouvait dans les parties communes.
En l’espèce, un copropriétaire subissait des désordres dans ses parties privatives à la suite de la construction d’un bâtiment municipal voisin qui avait entraîné le décrochement d’un mur de l’immeuble dont il était copropriétaire. Au terme d’une procédure devant la juridiction administrative, la commune fut condamnée à indemniser le copropriétaire, ainsi que le syndicat des copropriétaires, pour la réalisation de travaux de reprise. Ce dernier ne fit toutefois pas les travaux utiles à faire cesser les infiltrations chez le copropriétaire demandeur, causé par le décrochement du mur. Le copropriétaire assigna alors le syndicat des copropriétaires.
Après avoir été débouté en octobre 2011 par le TGI de Bobigny de sa demande de condamnation du syndicat à faire exécuter aux frais de l’ensemble des copropriétaires les travaux litigieux ainsi qu’à l’indemniser de son préjudice, le copropriétaire obtint gain de cause devant la cour d’appel de Paris, qui, par arrêt du 24 avril 2013, infirma partiellement le jugement et condamna, d’une part le syndicat à réaliser les travaux dès réception des fonds versés par la commune au copropriétaire pour la réalisation des travaux (92 466,30 euros) et d’autre part à l’indemniser au titre de la perte de loyers (230 480 euros) et des coûts des travaux d’investigations (25 352 euros).
Non content de cet arrêt, le syndicat saisit la Cour de cassation qui, par arrêt du 12 mai 2015 [1], censura la décision en ce qu’elle ne comportait pas de distinction dans le calcul de la perte de loyers pour la période séparant la signification de l’arrêt du versement effectif au syndicat par le copropriétaire de la somme qu’il a reçue de la commune ; cette période ne pouvant être indemnisée.
Par arrêt du 5 décembre 2018, la cour d’appel de renvoi a de nouveau condamné le syndicat à indemniser le copropriétaires, mais cette fois en distinguant parfaitement la première période couvrant l’origine du sinistre à la signification du jugement (189 610 euros) puis d’août 2014 (date de versement des fonds de la commune au syndicat) à septembre 2017 (102 332,80 euros).
À nouveau saisie par le syndicat des copropriétaires, la Cour de cassation cassa une nouvelle fois l’arrêt de cour d’appel, le 9 juillet 2020 [2], pour violation des articles 624, 625 et 738 du Code de procédure civile, au motif que la cour d’appel n’avait pas répondu à la question de l’éventuelle responsabilité du copropriétaire dans la survenance de son préjudice, ainsi que le soutenait le syndicat des copropriétaires. C’est ainsi que fut saisie une nouvelle fois, mais dans une composition différente, la cour d’appel de Paris.
La juridiction formula alors, et en premier lieu, un important rappel : l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4807AHI) modifié par l’ordonnance du 30 octobre 2019 ne s’applique pas au litige en cours. Si la précision est théoriquement importante, elle est néanmoins de faible conséquence dès lors qu’avant la réforme la jurisprudence avait affirmé que l’existence de dommages constatés suffisaient à engager sa responsabilité [3], sans qu’il n’y ait à démontrer un vice de construction ou un défaut d’entretien [4]. C’est ainsi que la réforme de 2019 sur ce sujet fut à droit constant, intégrant la jurisprudence constante de la Haute juridiction [5]. Cette précision sera donc sans incidence quant à l’appréciation des conséquences des désordres constatés sur le mur pignon du bâtiment, désordres ayant causé, d’après les constats de la cour d’appel, le préjudice du copropriétaire qui ne pouvait avoir créé son propre préjudice du fait d’avoir pris l’initiative de la procédure contre la commune plutôt que d’avoir laissé le syndicat agir. Son action ne pouvait dès lors pas constituer une faute exonératoire de la responsabilité du syndicat, qui fut, par conséquent, et logiquement nous semble-t-il, condamné à indemniser le copropriétaire du fait de son préjudice de jouissance faute d’avoir réalisé les travaux de réparation des parties communes endommagées. Le syndicat fut alors condamné à indemniser le copropriétaire au titre de son préjudice locatif à la somme de 321 900 euros à parfaire jusqu’à la date de réception des travaux de remise en état des parties communes du bâtiment. La solution paraît fondée.
On se demandera alors, pour conclure, quel était l’intérêt du syndicat à tant résister, à la fois à réaliser les travaux et à indemniser le copropriétaire demandeur. Il en coûta en effet 100 000 euros d’indemnités supplémentaires au syndicat des copropriétaires, entre la première et la dernière condamnation, outre le coût de la procédure… Une si longue procédure était-elle bien utile ? On peut en douter.
III. Ouverture de comptes bancaires séparés par le syndic : difficultés de preuve (CA Toulouse, ch. 01 sect. 01, 13 septembre 2021, n° 19/0261 N° Lexbase : A2977ZS3)
Par arrêt du 13 septembre 2021 la cour d’appel de Toulouse a rappelé le régime de la preuve de l’ouverture des comptes bancaires séparés du syndicat des copropriétaires par le syndic.
En l’espèce, un copropriétaire avait assigné devant le TGI de Toulouse le syndic professionnel de copropriété qui administrait le syndicat dont il était membre. Il lui reprochait des irrégularités et des négligences dans l’administration du syndicat et l’entretien de l’immeuble. Il était notamment demandé au premier juge de constater que le syndic n’avait pas ouvert un compte bancaire séparé comme il y est obligé par les dispositions de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4813AHQ) [6]. Débouté de ses demandes en première instance, le copropriétaire interjeta appel, reprochant au 1er juge d’avoir inversé la charge de la preuve. Il soutenait qu’il appartenait au syndic de rapporter la preuve de l’ouverture d’un compte séparé, conformément aux dispositions de l’article 1315 du Code civil, ce qui n’était pas le cas selon lui. En conséquence, son mandat serait nul de plein droit par application des dispositions de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965.
La cour d’appel de Toulouse, après avoir rappelé l’obligation résultant de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965, ainsi que le délai de cinq ans pour agir en nullité du mandat prévu par l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4849AH3) [7], souligna qu’en application de l’article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1013KZK), il appartient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et que, réciproquement, celui qui s’en prétend libéré doit « justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation ». En conséquence, la cour précisa que c’était bien sur le syndic que pesait l’obligation de prouver, librement, l’ouverture du compte séparé [8]. À cette fin, il pouvait tant produire la convention de compte bancaire, qui doit être établie au nom du syndicat [9], que des relevés périodiques adressés par la banque au titulaire du compte, etc..
En l’espèce, si une convention de compte était rapportée, le titulaire du compte n’y était pas précisé de sorte qu’il n’est pas possible « de savoir si c'est le syndic représenté par M. A qui est le titulaire du compte, ou le syndicat des copropriétaires représenté par M. A, ou les deux ». De la sorte, la preuve de l’ouverture du compte « séparé » n’était pas rapportée par cette convention. Néanmoins, selon la cour, une attestation émise par la banque ainsi que les relevés de compte mentionnant « Syndicat des copropriétaires … chez son syndic » permettaient de dire que le seul titulaire du compte était le syndicat des copropriétaires. Le syndic avait également pris la peine de produire le rapport d’audit de sa caisse de garantie qui indiquait que tous les syndicats gérés disposaient d’un compte bancaire séparé.
En conséquence, la cour d’appel de Toulouse confirma logiquement la solution retenue en première instance, tout en prenant soin de préciser que la preuve qui pesait sur le syndic d’ouverture d’un compte bancaire séparé avait bien été rapportée.
On rappellera pour conclure que l’obligation d’ouvrir deux comptes séparés, l’un pour les fonds « courants » et l’autre pour le « fonds de travaux » s’impose désormais, depuis le 1er janvier 2021 par application de la réforme opérée par l’ordonnance du 30 octobre 2019, à tous les syndicats puisqu’il n’est plus possible pour l’assemblée générale de dispenser les syndics des « petites copropriétés » [10].
IV. Contrats conclus avec le gestionnaire d’un immeuble en monopropriété : opposabilité des contrats au syndicat des copropriétaires après mise en copropriété de l’immeuble ? (CA Dijon, ch. civile 01, 14 septembre 2021, n° 19/00029 N° Lexbase : A348644U)
En l’espèce, une société détenant en totalité un immeuble en avait confié la gestion à une société spécialisée. Cette dernière avait alors conclu au nom de son mandant, en 2009, un contrat d’entretien des locaux avec un tiers. En 2015, l’immeuble a été mis en copropriété et un syndic fut désigné. Le contrat de prestation de services s’est poursuivi mais le prestataire s’est plaint de l’absence de paiement de novembre 2015 à décembre 2016 soit postérieurement à la mise en copropriété et désignation du syndic. La société a alors assigné en paiement, devant le tribunal de commerce de Dijon, le gestionnaire qui avait conclu, avec elle, le contrat d’entretien des locaux. Ce dernier a alors assigné en garantie le syndicat des copropriétaires qui bénéficiait, depuis la mise en copropriété de l’immeuble, des prestations.
Le prestataire de services soutenait toutefois n’avoir jamais été informé du changement de bénéficiaire de ses prestations, ni de la formation du syndicat des copropriétaires. De la sorte, il soutenait que son seul contractant était le gestionnaire avec qui il avait contracté en 2009. Le syndicat des copropriétaires affirmait pour sa part ne jamais avoir été informé de l’existence du contrat d’entretien. Il soulignait également que les factures n’avaient pas été libellées à son nom mais à celui des différents propriétaires de l’immeuble. De la sorte, le syndicat soutenait que l’appel en garantie était irrecevable à son encontre et aurait dû être dirigé contre les propriétaires successifs représentés par le gestionnaire qui avait commandé l’entretien des parties communes et des parties privatives.
Le tribunal de commerce a alors condamné le gestionnaire, comme ayant été l’interlocuteur du prestataire de services, ainsi que le syndicat des copropriétaires comme ayant bénéficié des prestations d’entretien et de gestion des poubelles. Le syndicat des copropriétaires a donc interjeté appel pour soutenir que le contrat conclu entre les propriétaires bailleurs, représentés par leur gestionnaire, n’a jamais été repris par le syndicat des copropriétaires.
La cour d’appel de Dijon, sur le fondement de l’article 1199 du Code civil (N° Lexbase : L0922KZ8) qui prescrit que le contrat ne créé d’obligations qu’entre les parties, a jugé que le syndicat des copropriétaires, bien qu’ayant pu bénéficier des prestations, n’était pas partie au contrat. Il ne saurait donc être tenu au paiement des prestations réalisées. Cette décision s’inscrit parfaitement dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a pu préciser, plusieurs fois, que celui qui n’est pas partie au contrat ne peut être condamné à payer les travaux commandés par un tiers [11]. La Cour de cassation avait également pu, lorsque les comptes bancaires du syndicat étaient des sous-comptes au nom du syndic, que la convention de compte était inopposable au syndicat des copropriétaires puisqu’elle était conclue entre la banque et la personne du syndic n’agissant pas en sa qualité de mandataire [12].
En l’espèce, ce qui semble tout de même étonnant, c’est que les factures émises par le prestataire l’ont été au nom des propriétaires successifs de l’immeuble, représentés par leur mandataire. En conséquence, le mandataire paraissait pouvoir soutenir que le prestataire connaissait le bénéficiaire de telle sorte qu’en application des articles 1997 (N° Lexbase : L2220ABT) et 1998 (N° Lexbase : L2221ABU) du Code civil, les propriétaires bailleurs étaient seuls tenus de ces engagements. On peut en ce sens rappeler la récente décision de la Cour de cassation, rendue sur ce fondement, qui a rappelé qu’il fallait rechercher dans un tel cas si le prestataire n’avait pas eu connaissance de la qualité de celui qui avait commandé les travaux. Il s’agissait en l’espèce de savoir si le syndic devait acquitter les factures de l’entreprise ayant effectué des travaux ou s’il pouvait en demander le paiement à son mandant, le syndicat des copropriétaires [13]. Ainsi, bien que le contrat paraissait en l’espèce conclu au nom du mandataire, dès lors que les factures étaient libellées au nom des propriétaires bailleurs, l’entreprise paraissait parfaitement informée du bénéficiaire et du fait que le mandataire n’avait pas traité avec lui en son nom propre. C’est ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation, condamnant le mandataire à s’acquitter des factures du tiers faute d’avoir révélé pour qui il agissait et pour avoir traité en son nom propre, paraissait devoir être écartée [14]. Il n’est toutefois pas évident que le débat ait été porté en ces termes devant la Cour.
On rappellera dès lors l’importance du libellé tant du contrat que des factures émises pour éviter ce type de confusion, que l’on peut dire regrettable, particulièrement lorsque les copropriétaires veulent, en l’absence de syndic, souscrire des contrats d’assurance ou d’entretien des parties communes. Dans une telle situation, ils veilleront en outre à faire ratifier ces engagements si le syndicat non représenté se trouvait ensuite administré par un syndic, ce afin de ne pas avoir in fine à supporter le coût des prestations, bien que bénéficiant à la collectivité des copropriétaires.
[1] Cass. civ. 3, 12 mai 2015, n° 13-21.958, F-D (N° Lexbase : A8662NHB).
[2] Cass. civ. 3, 9 juillet 2020, n° 19-11.710, F-D (N° Lexbase : A12333R4).
[3] Cass. civ. 3, 7 juin 2005, n° 04-12.930, F-D (N° Lexbase : A6552DII) ; Cass. civ. 3, 12 juillet 2018, n° 17-16.967, F-D (N° Lexbase : A9527XX7).
[4] Cass. civ. 3, 12 septembre 2012, n° 11-10.421, FS-P+B (N° Lexbase : A7443ISH) ; Cass. civ. 3, 18 septembre 2013, n° 12-17.440, FS-P+B (N° Lexbase : A4870KLX).
[5] V° sur le sujet, P.-E. Lagraulet, L’administration de la copropriété réformée, AJDI 2019, 852.
[6] V° sur cette obligation, P.-E. Lagraulet, Le syndic de copropriété, Edilaix, 2021, § III.1.108 ; P. Capoulade et D. Tomasin (dir.), La copropriété, Dalloz, 2021, § 341.431 et s.
[7] V° déjà en ce sens, Cass. civ. 3, 19 novembre 2014, n° 13-21.399, FS-P+B (N° Lexbase : A9260M3D).
[8] Il en va de même pour la preuve de la convocation dans le délai qui pèse sur le syndicat des copropriétaires.
[9] Cass. civ. 3, 9 avril 2008, n° 07-12.268, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8857D78).
[10] V° P.-E. Lagraulet, L’administration de la copropriété réformée, AJDI 2019, 852.
[11] Cass. civ. 1, 15 février 2000, n° 97-20.179, publié au bulletin (N° Lexbase : A5293AWX) ; Cass. com. 3 juillet 1990, n° 87-20.028 (N° Lexbase : A4257ACN).
[12] Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 07-10.750, FS-P+B (N° Lexbase : A6100D4P).
[13] Cass. civ. 3, 9 juillet 2020, n° 19-14.038, F-D (N° Lexbase : A12053R3).
[14] Cass. civ. 1, 17 novembre 1993, n° 91-16.733 (N° Lexbase : A5297ABS).
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Réf. : Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 20-11.921, FS-B (N° Lexbase : A5245497)
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
Le 08 Décembre 2021
Mots-clés : indivision • comptes de l’article 815-13 • assurance habitation • assurance multirisques • cotisations • dépenses de conservation • passif de l’indivision • échéances d’emprunt • paiement par l’assureur • assurance-invalidité
1°) Les sommes payées au titre des cotisations d’assurance habitation, qui participent à la conservation de l'immeuble indivis, doivent être imputées au passif de l'indivision, après déduction de la fraction correspondant aux garanties couvrant les dommages subis personnellement par le titulaire du contrat et sa responsabilité civile.
2°) Lorsque des échéances d’un emprunt indivis ont été réglées par un assureur au titre de la garantie assurance-invalidité, l’indivisaire invalide ne peut prétendre à une indemnité au titre des sommes avancées nécessaires à la conversation d'un bien indivis au sens de l'article 815-13 du Code civil.
(i) Selon l'article 815-13 du code civil, lorsqu'un indivisaire a avancé de ses deniers les sommes nécessaires à la conservation d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité et eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage. Après avoir relevé que M. [Aa] avait souscrit une assurance habitation dont il avait seul réglé les cotisations, la cour d'appel a retenu à bon droit, par motifs propres et adoptés, que les sommes ainsi payées, qui participaient à la conservation de l'immeuble, devaient être imputées au passif de l'indivision, après déduction de la fraction correspondant aux garanties couvrant les dommages subis personnellement par le titulaire du contrat et sa responsabilité civile.
(ii) Selon l'article 815-13 du code civil, lorsqu'un indivisaire a avancé de ses deniers les sommes nécessaires à la conservation d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité et eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage. Après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, qu'à la suite de l'invalidité de M. [Aa], l'assureur avait réglé, de décembre 2008 à décembre 2009, l'intégralité des mensualités de remboursement des deux emprunts, la cour d'appel a retenu à bon droit que celui-ci, qui n'avait exposé aucune dépense au moyen de ses deniers personnels pendant cette période, n'était pas fondé à obtenir de l'indivision une indemnité correspondant aux sommes ainsi versées pour son compte. En effet, l'établissement prêteur ayant, par l'effet de la stipulation ainsi faite à son profit, directement recueilli l'indemnité versée par l'assureur qui s'était substitué à l'assuré pour le remboursement du solde des prêts garantis, cette indemnité n'était jamais entrée dans le patrimoine dAa M. [V].
Le moyen n'est donc pas fondé.
Observations. L’arrêt tranche deux questions, non liées entre elles, mais qui intéresseront les praticiens, surtout la seconde. D’une part, quel rétablissement est dû à l’indivisaire ayant payé les primes d’assurances portant sur le bien indivis (I) ? D’autre part, lorsqu’un coïndivisaire devient invalide et que l’assureur paie les échéances de l’emprunt en lieu et place de ce coïndivisaire, ce dernier peut-il les compter comme provenant de sa poche personnelle (II) ?
I. Le rétablissement dû à l’indivisaire pour le paiement des primes d’assurance
La première question concerne le rétablissement dû par l’indivision à l’indivisaire qui a réglé les primes d’assurance du bien indivis. En pareil cas, qu’un remboursement soit dû au solvens est une solution acquise depuis longtemps, puisqu’il s’agit d’une dépense de conservation au sens de l’article 815-13 du Code civil (parmi une jurisprudence constante, v., deux arrêts publiés, Cass. civ. 1, 5 mars 2008, n° 07-14.729, F-P+B N° Lexbase : A3360D7L ; AJ fam. 2008. 215, obs. P. Hilt ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, n° 01-17.124 N° Lexbase : A8701DAI ; AJ fam. 2004. 103, obs. S. Deis-Beauquesne ; RTD civ. 2004. 765, obs. B. Vareille ; parmi les arrêts non publiés, v., par ex., Cass. civ. 1, 13 septembre 2017, n° 16-18.789, F-D N° Lexbase : A0862WSQ, obs. D. Krajeski, in Chronique de droit des assurances - Octobre 2017, Lexbase Droit privé, n° 717, 26 octobre 2017 N° Lexbase : N0910BXY ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2012, n° 11-26.054, F-D N° Lexbase : A1634IZK ; Cass. civ. 1, 1er décembre 2010, n° 09-70.269, F-D N° Lexbase : A29827E8 ; plus ancien : Cass. civ. 1, 24 février 1998, n° 96-16.318, inédit au bulletin N° Lexbase : A4995CZZ). Une fois acquis que l’indivisaire solvens a droit au remboursement, par l’indivision, de la prime d’assurance payée, se pose la question du montant de ce remboursement. Faut-il déduire des primes payées la fraction des primes se rapportant à des risques qui ne concernent que cet indivisaire personnellement (par exemple, des dommages délictuels causés ou subi par lui) ?
La question se pose, car de telles dépenses ne profitent manifestement qu’à l’indivisaire solvens, et sont indifférentes pour l’indivision. Il est tout à fait légitime, au plan des principes, de les retrancher des sommes exposées par cet indivisaire. On gardera cependant à l’esprit que dans nombre de cas, les primes payées correspondent à une assurance multirisques (de l’habitation à la responsabilité civile individuelle ou « chef de famille »), et qu’en pareil cas la prime est réputée indivisible. Il sera alors extrêmement difficile de savoir quel montant retrancher. On peut donc dire que la solution adoptée par les juges du fond, qui convient aussi à la Cour de cassation, est juste dans son principe, mais sera certainement difficile à mettre en œuvre pour les contrats multirisques.
II. Le paiement de l’assureur & les comptes de l’article 815-13
La deuxième question tranchée par l’arrêt, qui est plus fondamentale, est au carrefour du droit des assurances, de l’indivision et du régime général des obligations. Elle peut se résumer ainsi : lorsque des échéances d’un emprunt indivis ont été réglées par un assureur au titre de la garantie assurance-invalidité, faut-il compter ces paiements au crédit de l’indivisaire invalide, et donc les additionner à ses paiements personnels, pour connaître le montant dont il est créancier de l’indivision sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil (N° Lexbase : L1747IEG) ?
Avant toute chose, il convient de rappeler que l’assurance-vie repose sur le mécanisme de la stipulation pour autrui et qu’en application des règles gouvernant celle-ci, le bénéficiaire du contrat (ici, la banque prêteuse) tient ses droits directement de la compagnie d’assurance, elle ne les tient pas de l’assuré. C’est cette règle qui a donné naissance à une jurisprudence bien connue en régime de communauté, selon laquelle l’époux accidenté, et dont l’assurance-invalidité solde tout ou partie du prêt immobilier (ou de travaux), ne peut compter le montant réglé par son assurance parmi ses deniers personnels, ou ceux de la communauté lorsqu’il revendique une récompense au profit ou contre celle-ci. (v., Cass. civ. 1, 1er décembre 1987, n° 85-15.260, N° Lexbase : A1241AHG ; Cass. civ. 1, 12 avril 2012, n° 11-14.653, F-P+B+I N° Lexbase : A5980IIC, obs. V. Nicolas, in Chronique de droit des assurances, Lexbase Droit privé, 17 mai 2012 n° 485 N° Lexbase : N1904BTP). D’autres arrêts, pour denier le droit à récompense de la communauté, ont estimé que le capital versé était un substitut de salaires (v., pour une assurance « perte d’emploi », Cass. civ. 1, 3 février 2010, n° 08-21.054, F-P+B N° Lexbase : A6039ER4 ; JCP 2010. 487, n° 10 et 11, obs. Simler ; JCP N 2010. 1172, note V. Barabé-Bouchard ; Dr. fam. 2010, comm. 43, obs. B. Beignier ; RTD civ. 2010. 612, obs. B. Vareille ; idem pour une assurance invalidité, v., Cass. civ. 1, 14 décembre 2004, n° 02-16.110, F-P+B N° Lexbase : A4642DEN ; AJ fam. 2005. 68, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2005. 819, obs. B. Vareille ; D. 2005. 545, note R. Cabrillac ; D. 2005. Pan. 2118, obs. J. Revel ; Dr. fam. 2005, comm. 36, note B. Beignier).
En matière d’indivision, comme en l’espèce, la jurisprudence est plus confuse encore, les arrêts étant potentiellement contradictoires. C’est ainsi qu’il est des arrêts pour juger qu’au stade de la contribution à la dette (en cas d’acquisition indivise avec solidarité entre les emprunteurs), les fonds payés par l’assureur peuvent être comptés dans les dépenses faites par l’indivisaire assuré dont la garantie a joué (v., Cass. civ. 1, 15 décembre 2010, n° 09-16.693, F-P+B+I N° Lexbase : A1860GN9 ; Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-19.722, F-D N° Lexbase : A9595HUW ; Cass. civ. 1, 12 mars 2002, n° 00-21.271, publié au bulletin N° Lexbase : A2136AYR). Mais il est aussi des arrêts en sens contraire, qui jugent, sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil, que les sommes payées par l’assureur ne peuvent être comptées au bénéfice de l’indivisaire assuré dont la garantie a joué (v., Cass. civ. 1, 28 mars 2018, n° 17-18.127, F-D N° Lexbase : A8611XIR ; antérieurement, v., Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 12-25.662, F-D N° Lexbase : A7562KSU ; Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 02-12.319, F-D N° Lexbase : A7554DD7 ; Cass. civ. 1, 23 janvier 2001, n° 98-16.782, inédit au bulletin N° Lexbase : A3987AR4). Ce deuxième courant se fonde sur le fait que l’indivisaire n’a pas payé les deniers de sa poche, puisque c’est l’assureur qui l’a fait.
Le premier groupe d’arrêts se fonde sur les règles de la solidarité (et plus spécifiquement celles de la subrogation personnelle), alors que le deuxième groupe est fondé sur l’article 815-13 et l’absence d’appauvrissement personnel de l’indivisaire invalide pour ce qui est des échéances payées par l‘assureur. Les fondements étant distincts, il est tentant de dire que ces arrêts ne se contredisent pas directement. Mais dans les faits, la contradiction apparaît nettement, puisque dans le premier cas l’indivisaire invalide peut ajouter le capital payé par l’assureur à la banque à ses propres paiements pour être remboursé par l’indivision, alors que dans le second cas, il ne le peut pas. Pourtant, dans les deux cas, celui qui exerce un recours n’a pas supporté le poids de la totalité de ce qui a été payé, puisque l’assureur aura bel et bien payé à sa place, tout ou partie de la dépense d’acquisition (« l’impense nécessaire », pour parler le droit de l’indivision, au sens de l’article 815-13 du Code civil).
Au cas d’espèce, il y avait une clause de solidarité entre les coemprunteurs qui étaient aussi des coacquéreurs indivis. D’ailleurs, le deuxième moyen du pourvoi a allégué une violation des articles 1121 (N° Lexbase : L0833KZU) et 1213 (N° Lexbase : L0925KZB) du Code civil (dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016), ce qui montre que son auteur avait bien conscience que la jurisprudence fondée sur la solidarité était bien plus favorable à sa thèse que celle fondée sur l’article 815-13. C’est donc fort logiquement qu’il mettait la lumière sur la solidarité plutôt que sur l’indivision… Pourtant, le pourvoi est rejeté. Par une motivation qui est simple et claire, la Cour de cassation enterre les finasseries tirées des spécificités de la solidarité, et ne retient que cette réalité concrète : celui qui demande à être remboursé n’a pas payé de sa poche la totalité des sommes qu’il veut inscrire en tant que « dépense faite » par lui.
Il est donc manifeste que la présente décision a cherché à clarifier la question une bonne fois pour toutes. Cette clarification peut être exprimée comme suit : par l’effet de la stipulation pour autrui, les sommes payées par l’assureur n’ont jamais transité par le patrimoine de celui qui demande à son coïndivisaire de le rembourser, peu important la solidarité ; il s’ensuit que le demandeur au remboursement ne peut les compter à son bénéfice en tant que solvens. On ne peut qu’approuver cette solution, puisqu’elle entérine une vérité incontestable : le demandeur n’a jamais payé ces sommes lui-même. Certes, il a été victime d’un accident de la vie qui a mis en œuvre la garantie de l’assureur, mais cela ne veut pas dire que pour mettre en œuvre cette garantie son patrimoine s’est appauvri.
Il faut donc espérer que l’arrêt commenté contribuera à fixer la jurisprudence en matière d’acquisition indivise, et ceci qu’il y ait ou non solidarité entre les coemprunteurs, car cela donnerait une solution unifiée quelles que soient les hypothèses en cause : régimes matrimoniaux, concubinage, indivision. Le point commun de toutes ces matières est le même : du fait des règles gouvernant la stipulation pour autrui, le demandeur au remboursement n’a pas exposé de sa poche les sommes payées par l’assureur, de sorte qu’il ne peut les compter au titre de ses « impenses nécessaires » sur 815-13, et pas davantage dans sa « dépense faite » sur 1469 du Code civil (N° Lexbase : L1606AB4), et ceci qu’il y ait ou non solidarité entre les emprunteurs. Il reste donc à voir si cet arrêt clôt le débat, ce qui semble plus que probable. Avis aux avocats et à leur devoir de conseil, vous ne pouvez ignorer la présente décision, même en attendant qu’elle soit réaffirmée par un arrêt postérieur.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2021-953 QPC, du 3 décembre 2021 (N° Lexbase : A00987ED)
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N9653BY8
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par Yann Le Foll
Le 08 Décembre 2021
► Le cumul possible entre l'amende administrative et les sanctions pénales en cas de violation d'une mise en demeure prononcée par le préfet en matière d’installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ne saurait constituer une méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Objet QPC. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Ordonner le paiement d'une amende administrative au plus égale à 15 000 € » figurant à la première phrase du 4 ° du paragraphe II de l'article L. 171-8 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L5235LRC) et sur le 5 ° du paragraphe II de l'article L. 173-1 du même code (N° Lexbase : L5958LZP) sur renvoi de Cass. crim., 28 septembre 2021, n° 21-90.034, F-D (N° Lexbase : A050948D).
Selon la société requérante, serait contraire au principe non bis in idem le cumul possible entre l'amende administrative et les sanctions pénales prévues par ces dispositions en cas de violation d'une mise en demeure prononcée par l'autorité administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement. Il en résulterait, selon elle, une méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.
Position des Sages. À la différence de l'article L. 171-8 qui prévoit uniquement une sanction de nature pécuniaire d'un montant maximum de 15 000 euros, l'article L. 173-1 prévoit une peine d'amende et une peine d'emprisonnement pour les personnes physiques ou, pour les personnes morales, une peine de dissolution, de placement sous surveillance judiciaire, de fermeture temporaire ou définitive ou d'exclusion des marchés publics à titre temporaire ou définitif.
Dès lors, les faits prévus et réprimés par les dispositions contestées doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité (selon lequel une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux) et de proportionnalité (selon lequel le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues) des peines doit être écarté.
Solution. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
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Réf. : Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 20-18.122, F-B (N° Lexbase : A90897DY)
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N9689BYI
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 08 Décembre 2021
► La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 2 décembre 2021, précise que, dans le cadre d’une procédure ordinaire devant la cour d’appel, le cours du délai de péremption de l’instance est suspendu lorsque les parties sont dans l’impossibilité d’accomplir des diligences pour accélérer le déroulement de l’instance, à compter de la date de fixation de l’affaire, cela n’est pas le cas dans le cadre d’une procédure à bref délai, les parties étant invitées à la mettre en état pour qu'elle soit jugée.
Faits et procédure. Dans cette affaire, un jugement rendu par un juge de l’exécution a condamné une société à verser une certaine somme à ses créanciers au titre de la liquidation d’une astreinte. Le 22 décembre 2016, la débitrice a interjeté appel de la décision. Le 16 janvier 2017, l’appelante a été informée de la fixation de l’affaire à bref délai, avec injonction de conclure et de respecter le calendrier de procédure fixant les dates de la clôture et des plaidoiries. Le 31 mars 2017, en l’absence de communication des conclusions de l’appelante, l’affaire a été radiée. Le 13 février 2019, l’affaire a été rétablie à la demande des intimés qui ont conclu et formé appel incident.
Le 27 mars 2019, l’appelante a sollicité à titre principal que soit constatée la péremption de l’instance, et, à titre subsidiaire, que l’affaire soit renvoyée pour conclure fond.
Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt (CA Paris, 4, 8, 28 mai 2020, n° 19/04054 N° Lexbase : A38953M9, rectifié par l’arrêt CA Paris, 4, 8, 18 juin 2020, n° 20/07316 N° Lexbase : A96203NM), d’avoir rejeté sa demande tendant à voir constater la péremption de l’instance et d’avoir liquidé l’astreinte à une certaine somme. L’intéressée énonce la violation par la cour d’appel des articles 2 (N° Lexbase : L1108H4S) et 386 (N° Lexbase : L2277H44) du Code de procédure civile.
En l’espèce, les juges d’appel ont relevé que le point de départ du délai de péremption ne pouvait être fixé au jour de la déclaration d’appel. En effet, l’avis de fixation avait été adressé aux parties le 16 janvier 2017, et la radiation prononcée le 31 mars 2017 faisant ainsi courir un nouveau délai de deux ans. Les intimés ont interrompu ce dernier lorsqu’ils ont sollicité le rétablissement de l’affaire et conclu au fond le 13 février 2019.
Solution. Énonçant la solution précitée au visa de l’article 386 du Code de procédure civile, la Cour de cassation censure le raisonnement des juges d’appel, et casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel. Les Hauts magistrats énoncent la violation du texte précité, en relevant que l’avis de fixation qui avait été adressé à l’appelant, seul à avoir constitué avocat, l’informait des jours et heures auxquels l’affaire sera appelée, et invitait les parties à faire progresser l’instance.
En conséquence, le délai de péremption dans le cas d'espèce n’a pas été suspendu.
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newsid:479689
Réf. : Cass. com., Avis, 1er décembre 2021, n° 21-70.018, FS-N (N° Lexbase : A22827EA) ; n° 21-70.019, FS-N (N° Lexbase : A22147EQ) ; n° 21-70.020, FS-N (N° Lexbase : A22997EU) ; n° 21-70.021, FS-N (N° Lexbase : A21787EE)
Lecture: 3 min
N9696BYR
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par Marie-Claire Sgarra
Le 08 Décembre 2021
► L'article R.* 202-2 du LPF (N° Lexbase : L9274LTN) doit être interprété en ce sens que les parties à l'instance, dûment représentées par un avocat inscrit à l'un des barreaux du ressort de la cour d'appel dont dépend le tribunal judiciaire saisi, notifient valablement leurs mémoires entre elles par le « réseau privé virtuel avocat », dans les conditions prévues aux articles 748-1 (N° Lexbase : L0378IG4) à 748-7 (N° Lexbase : L0423IGR) du CPC, et sans autre formalité, tandis qu'elles doivent faire respectivement signifier leurs mémoires par voie d'huissier lorsque l'administration n'est pas représentée par un avocat.
Les faits. La Cour de cassation a reçu, le 6 septembre 2021, plusieurs demandes d'avis formées le 23 juillet 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion, dans une instance opposant des sociétés à la Direction régionale des Douanes et droits indirects de la Réunion.
🖊️ La demande est ainsi formulée : « L'article R.* 202-2 du LPF combiné à l'article 850 du CPC (N° Lexbase : L9345LTB) doit-il être interprété en ce sens que les parties à l'instance, dûment représentées par un avocat inscrit à l'un des barreaux du ressort de la cour d'appel dont dépend le tribunal judiciaire saisi, se notifient valablement leurs mémoires par le réseau RPVA, conformément à l'article 850 du CPC, et sans autre formalité, tandis qu'elles doivent se signifier respectivement leurs mémoires par voie d'huissier, lorsque l'administration n'est pas représentée par un avocat ? Ou doit-il être interprété en ce sens que les parties à l'instance, même dûment représentées par un avocat inscrit à l'un des barreaux du ressort de la cour d'appel, dont fait partie le tribunal judiciaire saisi, doivent se signifier leurs mémoires par voie d'huissier ? ».
🔎 Rappels. L'article 9 du décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile (N° Lexbase : Z82405RT) a modifié l'article R.* 202-2 du LPF :
Lorsqu'une partie a chargé une personne de la représenter en justice, les actes qui lui sont destinés sont notifiés à son représentant, les conclusions des parties devant le tribunal judiciaire sont signées par leur avocat et sont notifiées sous la forme des notifications entre avocats, lesquelles se font par signification ou par notification directe (CPC, art. 652 N° Lexbase : L6815H7K).
Devant le tribunal judiciaire, les parties ont la faculté, en application de l'article 748-1 du CPC (N° Lexbase : L0378IG4), d'effectuer l'envoi, la remise et la notification des actes de procédure et des pièces par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le titre vingt et unième du livre premier du même code, dès lors qu'elles ont chacune consenti à l'utilisation de ce mode de communication et que les procédés techniques utilisés garantissent, dans les conditions fixées par l'arrêté du 7 avril 2009, relatif à la communication par voie électronique devant les tribunaux judiciaires (N° Lexbase : L0193IEU), la fiabilité de l'identification des parties, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettent d'établir de manière certaine la date d'envoi et celle de la réception par le destinataire.
La cour rend par conséquent l’avis susvisé.
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Réf. : Cass. com., 1er décembre 2021, n° 20-10.875, F-B (N° Lexbase : A77587DP)
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N9656BYB
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par Vincent Téchené
Le 09 Décembre 2021
► Le délai d'un an imparti, à peine d'irrecevabilité au demandeur d’un brevet pour introduire un recours en restauration des droits à présenter une requête en poursuite de la procédure, commence à courir à l'expiration du délai de deux mois de la notification du rejet de sa demande de brevet pour non-accomplissement d'un acte.
Faits et procédure. Une société a, le 6 novembre 2015, déposé une demande de brevet auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI). Par une décision du 9 août 2016, notifiée le 16 août suivant, l'INPI a informé la société que sa demande n'était pas conforme, faute d'être accompagnée de certains documents, et lui a imparti un délai, expirant le 17 octobre 2016, pour les fournir.
Sans réponse de la société, le directeur général de l'INPI, par une décision du 4 novembre 2016, notifiée le 10 novembre suivant, a rejeté la demande de brevet.
Le 8 janvier 2018, la société a, sur le fondement de l'article L. 612-16 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2127ICR), présenté au directeur général de l'INPI un recours en vue d'être restaurée dans ses droits à présenter, en application de l'article R. 612-52 du même code (N° Lexbase : L4078ADE), une requête en poursuite de la procédure.
Par une décision du 17 juillet 2018, le directeur général de l'INPI a déclaré ce recours en restauration irrecevable comme tardif, faute d'avoir été introduit avant l'expiration, le 17 octobre 2017, du délai d'un an ayant couru à compter de l'expiration du délai imparti à la société pour produire les documents manquants et régulariser la demande de brevet. La société a formé un recours contre cette décision.
L'arrêt d’appel a rejeté le recours formé par la société contre la décision du 17 juillet 2018 du directeur général de l'INPI ayant déclaré irrecevable le recours en restauration des droits attachés à la demande de brevet déposée le 6 novembre 2015. La société s’est donc pourvue en cassation.
Décision. Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 612-16 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020 (N° Lexbase : L9353LUX), et R. 612-52 du même code.
Elle rappelle qu’il résulte de ces textes que le demandeur d'un brevet qui n'a pas présenté, dans un délai de deux mois à compter de la notification du rejet de sa demande de brevet pour non-accomplissement d'un acte, une requête en poursuite de la procédure, peut introduire un recours en vue d'être restauré dans ses droits à présenter cette requête.
Ce recours n'est recevable que dans un délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé.
La Cour de cassation relève ensuite qu’elle a interprété l'article 20 bis de la loi du 2 janvier 1968 (N° Lexbase : C10964IG) et l'article 124 du décret n° 79-822 du 19 septembre 1979 (N° Lexbase : C19214IY), dont les dispositions ont été codifiées, respectivement, à l'article L. 612-16 et à l'article R. 612-52 du Code de la propriété intellectuelle, en ce sens que les dispositions de l'article 124 du décret précité ne peuvent avoir pour effet de prolonger le délai d'un an prévu au deuxième alinéa de l'article 20 bis de la loi précitée et que, quel que soit le fondement du recours en restauration, celui-ci n'est recevable que dans un délai d'un an à compter de la date limite à laquelle l'acte initialement omis devait être accompli (Cass. com., 15 avril 1986, n° 84-12.527, publié N° Lexbase : A3027AAD).
Toutefois, selon la Haute juridiction, il y a lieu de reconsidérer cette interprétation.
Elle estime, en effet, d'abord, qu'il ressort du libellé même de l'article L. 612-16 du Code de la propriété intellectuelle que le délai d'un an qui y est prévu commence à courir à compter de l'expiration du délai non observé. Lorsque le demandeur introduit un recours en restauration de ses droits à présenter une requête en poursuite de la procédure malgré l'expiration du délai de deux mois imparti par l'article R. 612-52 du Code de la propriété intellectuelle pour présenter cette requête, le délai non observé est ce délai de deux mois.
Ensuite, la sécurité juridique recherchée pour les tiers par l'instauration du délai d'un an serait également assurée si le point de départ de ce délai n'était pas l'expiration du délai imparti pour accomplir l'acte initialement omis, mais l'expiration du délai de deux mois imparti pour présenter une requête en poursuite de la procédure.
Enfin, la Haute juridiction relève que l'article 122 de la Convention sur la délivrance de brevets européens et la règle 136 du règlement d'exécution de cette Convention ouvrant, devant l'Office européen des brevets (l'OEB), la même possibilité pour le demandeur qui n'a pas été en mesure d'observer un délai à l'égard de l'OEB, d'être rétabli dans ses droits en présentant une requête en restitutio in integrum dans un délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé, il apparaît souhaitable que le délai d'un an soit calculé de la même façon selon que la demande tendant à être rétablie dans ses droits est présentée à l'INPI par le demandeur d'un brevet français ou à l'OEB par le demandeur d'un brevet européen désignant la France. Or une Chambre de recours juridique de l'OEB a interprété les dispositions applicables devant elle en ce sens que, lorsque le demandeur sollicite le rétablissement dans ses droits à présenter une requête en poursuite de la procédure, le délai d'un an pour introduire la requête en restitutio in integrum commence à courir à compter de l'expiration du délai dont il disposait pour présenter la requête en poursuite de la procédure (OEB, décision du 30 avril 1993, affaire J 12/92). Prenant cette jurisprudence en compte, les directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB précisent que, lorsque le délai pour requérir la poursuite de la procédure a expiré, « la requête en restitutio in integrum doit être requise quant au délai pour requérir la poursuite de la procédure, et non quant au délai inobservé initialement » (Partie E, chapitre VIII, 3.1.1).
Dès lors, pour l’ensemble de ces raisons, la Cour de cassation en conclut qu’il apparaît nécessaire d'abandonner la jurisprudence précitée et d'interpréter désormais les articles L. 612-16 et R. 612-52 du Code de la propriété intellectuelle en ce sens que le délai d'un an imparti, à peine d'irrecevabilité, par le premier de ces textes pour introduire un recours en restauration des droits à présenter une requête en poursuite de la procédure, commence à courir à l'expiration du délai de deux mois prévu par le second texte.
Par ailleurs, la Haute juridiction estime que rien ne s'oppose, en l'espèce, à une application immédiate de cette nouvelle interprétation.
Or, pour rejeter le recours de la société contre la décision du directeur général de l'INPI déclarant irrecevable, comme tardif, son recours en restitution de ses droits, l'arrêt d’appel énonce que le recours en restauration n'est recevable, quel que soit son fondement, que dans le délai d'un an à compter de la date limite à laquelle l'acte initialement omis devait être accompli.
Par conséquent, la cour d'appel a violé les textes visés.
La Cour de cassation poursuit et statue au fond.
Elle relève ainsi que le délai de deux mois imparti à la société pour présenter une requête en poursuite de la procédure, ayant expiré le 10 janvier 2017, c'est à cette date qu'a commencé à courir le délai d'un an imparti, à peine d'irrecevabilité, par l'article L. 612-16 du CPI pour introduire un recours en restauration des droits à présenter cette requête. Le recours introduit par la société le 8 janvier 2018 est donc intervenu avant l'expiration, le 10 janvier 2018, dudit délai.
En conséquence, la Cour annule la décision du directeur général de l'INPI du 17 juillet 2018 déclarant ce recours irrecevable.
Précisions. Les modifications – à la marge – apportées à l’article L. 612-16 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L9504LUK) par l’ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020, n'emportent pas de conséquence en ce qui concerne la solution dégagée ici par la Cour de cassation, qui s’applique donc également aux affaires soumises à cet article dans sa rédaction postérieure au 1er avril 2020, date d’entrée en vigueur de la l’ordonnance.
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Réf. : Cass. civ. 1, 1er décembre 2021, n° 20-10.956, F-B (N° Lexbase : A77557DL)
Lecture: 2 min
N9719BYM
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 13 Décembre 2021
► L'aide personnalisée au logement accordée à l'acquéreur d'un bien affecté à sa résidence principale, selon la composition et les ressources de son foyer, constitue pour son bénéficiaire un substitut de revenus, de sorte que celle-ci entre en communauté, peu important qu'elle soit versée directement à l'organisme prêteur.
La précision ainsi apportée par la Cour de cassation (approuvant sur ce point la décision rendue par la cour d’appel de Colmar) est inédite à notre connaissance et vient ainsi compléter la longue liste des sommes assimilées aux substituts de gains et salaires, considérés comme biens communs en vertu de l’article 1401 du Code civil (N° Lexbase : L1532ABD) (cf. notamment : indemnité de départ anticipé à la retraite, Cass. civ. 1, 31 mars 1992, n° 90-16.343 N° Lexbase : A3162AC4 ; indemnité de licenciement, Cass. civ. 1, 3 janvier 2006, n° 04-13.734, F-P+B N° Lexbase : A1717DMK ; indemnité compensant une incapacité de travail, Cass. civ. 1, 23 octobre 1990, n° 89-14.448 N° Lexbase : A4511AHK ; indemnité perçue au titre d'une police d'assurance « perte d'emploi », Cass. civ. 1, 3 février 2010, n° 08-21.054, F-P+B N° Lexbase : A6039ER4 ; indemnité compensant la perte de valeur d’un fonds professionnel propre, Cass. civ. 1, 17 avril 2019, n° 18-15.486, FS-P+B N° Lexbase : A6091Y9H).
La conséquence de cette qualification de bien commun est la suivante dans le cas où, comme en l’espèce, la communauté s'était acquittée du remboursement de l'emprunt contracté par l’épouse, bénéficiaire de l’APL, pour l'acquisition d'un bien propre ayant servi de logement familial : l'aide personnalisée au logement versée directement par la caisse d'allocations familiales à l'organisme de crédit ayant consenti le prêt ne pouvait être soustraite de la récompense due par l’épouse à la communauté au titre de la fraction en capital des échéances dont celle-ci s'était acquittée.
Pour aller plus loin : cf. ÉTUDE : La répartition des biens, Les gains et salaires, in Droit des régimes matrimoniaux, (dir. J. Casey), Lexbase (N° Lexbase : E8897ETP). |
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Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 30 novembre 2021, n° 443922, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A73207DH)
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N9712BYD
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par Laïla Bedja
Le 09 Décembre 2021
► Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage dans le cadre d’une réparation d’un accident médical au titre de la solidarité nationale, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.
Les faits et procédure. À la suite d’une endartériectomie de la carotide droite pratiquée en juin 2005 dans un centre hospitalier, le patient a été atteint d’un accident vasculaire cérébral dont lui sont demeurées de graves séquelles invalidantes. Il a saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à la réparation de ses préjudices par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, en invoquant la survenance d'un accident médical non fautif.
Après rejet de sa requête par la cour administrative d’appel, il a formé un pourvoi en cassation (CAA Lyon, 9 juillet 2020, n° 18LY03992 N° Lexbase : A50913RY).
Rejet. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Le Conseil d’État rappelle les dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) et la définition de la condition d’anormalité qui conditionne la réparation du dommage par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale : « La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. » Les conséquences de l’acte médical pourront être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Dans le cas du requérant, la survenance du dommage ne présentait pas une probabilité faible, dès lors qu’il résultait des indications données par les experts que le risque d’un accident vasculaire cérébral post-opératoire immédiat chez les patients atteints, comme en l'espèce, d'une sténose carotidienne symptomatique, était de l'ordre de 5 %, et qu'en outre, ce risque était légèrement plus important chez le requérant, en raison de l'état initial du patient.
Pour en savoir plus : C. Lantero, ÉTUDE : Le champ d’application de la réparation par la solidarité nationale, Le critère alternatif : une probabilité faible, in Droit médical, Lexbase (N° Lexbase : E92823R9). |
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Réf. : Cass. soc., 1er décembre 2021, n° 19-25.715, FP-B (N° Lexbase : A77647DW)
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N9684BYC
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par Charlotte Moronval
Le 08 Décembre 2021
► Tenu par son obligation de sécurité dont participe l’obligation de prévention du harcèlement moral, l’employeur ne peut pas réintégrer un salarié accusé de faits de harcèlement moral.
Faits et procédure. Une salariée, ayant un mandat de représentant du personnel, est licenciée pour faute grave, après autorisation de l’inspecteur du travail. L’autorisation de licenciement est par la suite annulée sur recours hiérarchique pour défaut de motivation. L’employeur ne réintègre pas la salariée et la licencie à nouveau pour faute grave pour les mêmes motifs. La salariée saisit alors la juridiction prud’homale pour demander l'annulation de son licenciement et le paiement d’une indemnité pour réparation du préjudice subi pendant la période d’éviction.
Déboutée en appel, elle forme un pourvoi en cassation.
La solution.
L'indemnité due au salarié protégé, licencié sur le fondement d'une décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ensuite annulée, a, de par la loi, le caractère d'un complément de salaire. Il en résulte que cette indemnité ouvre droit au paiement des congés payés afférents.
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Le licenciement des salariés protégés, Les principes relatifs à la réintégration du salarié protégé en cas d'annulation de l'autorisation de licencier, in Droit du travail, Lexbase ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 44979, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "Les principes relatifs \u00e0 la r\u00e9int\u00e9gration du salari\u00e9 prot\u00e9g\u00e9 en cas d'annulation de l'autorisation de licencier", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E9592ES3"}}). |
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