Réf. : Cass. crim., 4 novembre 2021, n° 21-80.413, F-B (N° Lexbase : A07337BR)
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N9395BYM
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par Adélaïde Léon
Le 24 Novembre 2021
► Aucune disposition n’exclut un ministère sacerdotal de l’application de l’article 223-15-3 du Code pénal, lequel prévoit que les personnes physiques déclarées coupables d’abus de faiblesse encourent la peine complémentaire d'interdiction d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ; l’application de ces dispositions peut donc conduire au prononcé d’une interdiction d’exercer la profession de prêtre.
Rappel des faits. Un tribunal correctionnel reconnait un prêtre et une femme respectivement coupables d’abus de faiblesse et de violences pour l’un et non-dénonciation de mauvais traitements infligés à une personne vulnérable pour l’autre.
Les deux prévenus et le ministère public relèvent appel de cette décision du tribunal correctionnel.
En cause d’appel. La cour d’appel condamne la femme et le prêtre à des peines de huit mois d’emprisonnement avec sursis pour la première et, pour le second, à trois ans d’emprisonnement, 100 000 euros d’amende, cinq ans d'interdiction d'activité, cinq ans d'interdiction des droits civils, civiques et de famille. La cour ordonne également des mesures de confiscation et de publication et prononce sur les intérêts civils.
Les intéressés forment des pourvois contre l’arrêt d’appel.
Moyens des pourvois. Le pourvoi présenté par le prêtre fait grief à la cour d’appel d’avoir prononcé l’interdiction d’exercer pendant cinq ans les fonctions de prêtre alors que « la prêtrise ne constitue par une activité professionnelle ou sociale mais un ministère sacerdotal » lequel relève de la liberté de culte. Le prévenu estimait donc que la cour d’appel avait méconnu le principe constitutionnel de laïcité et les articles 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L6799BHB) (liberté de penser, de conscience et de religion), 1er (N° Lexbase : C03134QN) et 2 (N° Lexbase : C03144QP) de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État, 131-27 (N° Lexbase : L9467IYB) (modalités de la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle) et 223-15-3 (N° Lexbase : L9603IEE) (peines complémentaires encourues en cas d’abus de faiblesse) du Code pénal.
Décision. La Chambre criminelle rejette les pourvois, notamment au visa de l’article 223-15-3 du Code pénal.
La Haute juridiction souligne que pour prononcer l’interdiction mise en cause, la cour d’appel a précisé que les faits d’abus de faiblesse avaient été commis à l’occasion de l’exercice des fonctions de prête. Fonctions qui ont permis à l’intéressé de s’introduire auprès des sœurs qu’il fréquentait de manière régulière et qui avaient toute confiance en lui.
La Chambre criminelle rappelle que selon l’article 223-15-3 du Code pénal, les personnes physiques déclarées coupables d’abus de faiblesse encourent la peine complémentaire d'interdiction d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise et affirme qu’aucune disposition dérogatoire n’existe s’agissant d’un ministère sacerdotal.
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Réf. : Cass. civ. 2, 10 novembre 2021, n° 20-15.732, FS-B+R (N° Lexbase : A45197BY)
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N9389BYE
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par Laïla Bedja
Le 17 Novembre 2021
► En l'absence de texte spécifique, l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur, auteur d'une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans en application de l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) et son action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre l'assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré ; dès lors, une cour d’appel ne saurait appliquer la prescription décennale prévue à l’article 2226 du Code civil (N° Lexbase : L7212IAD) relative à l’action en responsabilité née d’un événement ayant entraîné un dommage corporel.
Les faits et procédure. Un salarié a été victime, le 2 avril 2006, d’un accident du travail pris en charge au titre de la législation professionnelle.
La faute inexcusable de l’employeur ayant été définitivement reconnue, la caisse a fait assigner la société A, intermédiaire en assurance, en remboursement des arrérages échus de la majoration de rente, du capital représentatif des arrérages à échoir, ainsi que des sommes versées en réparation de ses préjudices à la victime. La société B, assureur de l'employeur (l'assureur), est intervenue volontairement à l'instance.
La cour d’appel. Pour accueillir la demande de la caisse, la cour d’appel retient qu'en vertu de l'article 2226 du Code civil l'action en responsabilité née d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé de sorte que, la consolidation de la victime étant intervenue le 11 mars 2009, l'action intentée par la caisse par acte d'huissier de justice délivré le 9 mars 2016, soit dans le délai imparti par ce texte, n'est pas prescrite.
Cassation. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. La solution sera largement publiée. Selon elle, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un texte inapplicable au litige, a violé les articles 2224 du Code civil, L. 452-2 (N° Lexbase : L7113IUY), L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ) et L. 452-4, alinéa 3 (N° Lexbase : L7788I3T), du Code de la Sécurité sociale et L. 124-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L4188H9Y).
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Le recours contre le tiers responsable en cas d'accident du travail, Le remboursement des prestations versées, in Droit de la protection sociale, Lexbase (N° Lexbase : E5600ACE) |
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Réf. : Cass. civ. 2, 10 novembre 2021, n° 19-26.183, F-B (N° Lexbase : A45077BK)
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N9412BYA
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par Marie Le Guerroué
Le 06 Décembre 2021
► L’indication d’un honoraire de diligence dans une convention est insuffisante. Le montant de cet honoraire ne doit pas être dérisoire ou symbolique ;
► La règle selon laquelle, le client qui a librement payé les honoraires d'avocat après service rendu ne peut plus les contester, ne s'applique que lorsque le paiement est effectué en toute connaissance de cause.
Faits et procédure. Un avocat, avait reçu mandat de sa cliente, selon convention d'honoraires, aux fins d'assurer la défense de ses intérêts devant la commission arbitrale des journalistes de Paris, dans une instance l'opposant à une société. Les parties avaient conclu une convention d'honoraires aux termes de laquelle les honoraires de l'avocat seraient de 120 euros TTC, outre un honoraire complémentaire de résultat fixé selon un taux variable en considération de sommes allouées par la juridiction. Contestant le montant des honoraires, la cliente avait saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Nîmes d'une demande de fixation de ceux-ci. Devant la Cour de cassation, l’avocat fait grief à l'ordonnance rendue par le premier président de la cour d’appel de Nîmes de confirmer l'ordonnance du Bâtonnier de l'Ordre des avocats en ce qu'elle fixe à la somme de 1 200 euros TTC le montant de ses honoraires pour la défense des intérêts de sa cliente et le condamne à restituer à cette dernière la somme de 6 840 euros qu'elle lui avait déjà versée.
Moyen. L’avocat fait grief à l'ordonnance de confirmer l'ordonnance du Bâtonnier de l'Ordre des avocats alors que toute fixation d'honoraires, qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire est interdite mais que la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu est licite. Dès lors, pour l’avocat, en annulant la convention d'honoraires au regard de la disproportion entre l’honoraire de résultat et l’honoraire fixe, le premier président, qui a ajouté à l'article 10, alinéa 5, de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) une condition de proportion qu'il ne comporte pas, a violé ce texte.
Réponse de la Cour. La Cour relève que l'ordonnance a retenu que la cliente a obtenu un gain de 67 000 euros à la suite de la procédure devant la commission arbitrale des journalistes, pour laquelle elle a bénéficié de l'assistance de l’avocat, qu'en application des dispositions de la convention d'honoraires, un honoraire de résultat de 10 % du gain obtenu, soit 6 700 euros HT, reviendrait à l’avocat. L'ordonnance ajoutait que cet honoraire de résultat était à mettre en rapport avec l'honoraire fixe de 100 euros HT, soit 120 euros TTC et qu'il présentait un caractère manifestement dérisoire par comparaison avec l'honoraire de résultat de 6 700 euros HT, soit 8 040 euros TTC. Pour la Cour, de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, le premier président a pu déduire que l'honoraire de diligence revêtait un caractère manifestement dérisoire par comparaison avec l'honoraire de résultat et que la convention était illicite. Le moyen n'est dès lors, pour la Cour, pas fondé.
Moyen. L’avocat fait encore grief à l'ordonnance de confirmer l'ordonnance du Bâtonnier de l'Ordre des avocats alors que si le premier président apprécie souverainement, d'après les conventions des parties et les circonstances de la cause, le montant de l'honoraire dû à l'avocat, il ne lui appartient pas de le réduire dès lors que le principe et le montant de l'honoraire ont été acceptés par le client après service rendu, que celui-ci ait ou non été précédé d'une convention. Dès lors, pour l’avocat, en le condamnant à restituer à sa cliente la somme trop perçue de 6 840 euros qu'elle lui avait déjà versée sans rechercher si, comme il le soutenait, celle-ci n'avait pas autorisé le prélèvement de l'honoraire de résultat sur le compte CARPA, après service rendu, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles 1104 du Code civil (N° Lexbase : L0821KZG) et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
Réponse de la Cour. La règle selon laquelle, le client qui a librement payé les honoraires d'avocat après service rendu ne peut plus les contester, ne s'applique que lorsque le paiement est effectué en toute connaissance de cause. Le premier président ayant prononcé la nullité de la convention d'honoraire, c'est par une juste application de cette règle, que sans avoir à procéder à la recherche visée au moyen, il a fixé les honoraires par référence aux critères de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 au montant qu'il a retenu.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les honoraires, émoluments, débours et modes de paiement des honoraires, Le paiement des honoraires et la reconnaissance de dette pour « service rendu », in La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase (N° Lexbase : E37723R7). |
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Réf. : Cass. civ. 3, 13 octobre 2021, n° 20-19.278, FS-B (N° Lexbase : A331249K)
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N9403BYW
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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970
Le 17 Novembre 2021
Mots-clés : bail commercial • obligation de délivrance • obligation d’entretien • désordres affectant la charpente de l’immeuble donné à bail • sous-dimensionnement de la charpente • désordres antérieurs à la conclusion du bail (non) • vices apparus en cours de bail (oui) • manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance pendant l’exécution du bail (non) • articles 1719 et 1720 du Code civil • information tardive des bailleurs de la survenance des désordres par le locataire • responsabilité des bailleurs (non) • ancien article 1147 du Code civil • offre de travaux de nature à mettre un terme aux désordres allégués restée sans réponse de la part du locataire • comportement fautif du locataire • résolution judiciaire du bail commercial (non).
L’obligation de délivrance est probablement l’une des notions les plus énigmatiques du droit des contrats. Cet oxymore a largement agité les plumes de la doctrine, celle-ci la qualifiant souvent d’obligation à géométrie variable et insaisissable. La délivrance prend une coloration particulière dans le cadre du bail commercial au regard de la finalité spécifique de ce contrat spécial qui a vocation à permettre l’exercice d’une activité économique. La présente décision offre une nouvelle occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur les contours de l’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur de locaux commerciaux. Elle rappelle d’abord le principe selon lequel, sans porter atteinte à l'obligation continue d'entretien de la chose louée, les vices apparus en cours de bail et que le preneur était seul à pouvoir constater, ne sauraient engager la responsabilité du bailleur uniquement si, informé de leur survenance, celui-ci n'a pris aucune disposition pour y remédier. Cela lui permet d’en déduire que les bailleurs n’ont pas manqué à leur obligation de délivrance pendant l’exécution du bail dans la mesure où, d’une part, il n’était pas établi que le désordre affectant la charpente existait antérieurement à la conclusion du bail et où, d’autre part, le locataire, qui a informé tardivement les bailleurs des difficultés liées à l'état de la charpente n’a tenu aucun compte de l’offre de travaux faite par les bailleurs qui auraient été de nature à mettre un terme aux désordres allégués.
1. Cet arrêt vient s’ajouter aux innombrables décisions déjà rendues par la Haute juridiction à propos des contours de l’obligation de délivrance dont est tenu le bailleur de locaux commerciaux vis-à-vis de son locataire. La solution n’est pas nouvelle et prend place dans la droite ligne jurisprudentielle de la Cour de cassation.
2. Dans l’espèce litigieuse, des époux ont, par acte du 18 décembre 2007, donné à bail, à effet du 1er janvier 2008 jusqu'au 31 décembre 2017, des locaux commerciaux à usage de café, débit de boissons, restaurant, brasserie de cidre, bar, dancing entrepreneur de spectacles. Le 3 janvier 2008, les époux bailleurs ont cédé leur fonds de commerce à leur locataire, après avis favorable de la commission de sécurité communale. L'exploitation du fonds de commerce a été donnée en location-gérance par le locataire à une société. En décembre 2014, après avis de cette même commission, défavorable à la poursuite de l'exploitation (désordre affectant la charpente de l'immeuble), le maire a ordonné la fermeture au public de l'établissement, ce dont les bailleurs ont été informés le 15 décembre 2014. Parallèlement, le locataire est placé en redressement judiciaire dès janvier 2012, puis mis en liquidation judiciaire par jugement du 1er septembre 2015. Le 1er octobre 2015, invoquant un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance, le liquidateur judiciaire du preneur les a assignés en résolution judiciaire du bail commercial, en restitution des loyers perçus et en indemnisation de divers préjudices.
3. Le tribunal de grande instance de Rouen déclare, entre autres, irrecevables les demandes portant sur la réparation du préjudice économique et le règlement d'une indemnité, mal fondée la demande faite au titre de l'indemnisation du préjudice moral, et surtout irrecevables les demandes portant sur la résolution du bail et la résolution de la cession du fonds de commerce [1]. Critiquant l'ensemble des dispositions de ce jugement, le liquidateur et le locataire interjettent appel. Confirmant la décision des juges de première instance, la cour d'appel a estimé que les bailleurs avaient respecté leur obligation de délivrance dans la mesure où au vu d'un certain nombre d'éléments, il convenait de considérer que lesdits bailleurs, dès qu'ils avaient été mis en demeure, avaient pris les dispositions nécessaires pour remédier aux défauts constatés, que la non-exécution des travaux nécessaires ne leur était pas imputable et que les appelants n'établissaient aucun manquement antérieur au bail ou en cours d'exécution de celui-ci [2]. Faisant grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande de résolution judiciaire du bail commercial, le liquidateur et le locataire se pourvoient donc en cassation. D’une part, ils prétendent qu’en refusant de caractériser un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance au motif que la démonstration de l’existence d’un désordre affectant la charpente de l’immeuble antérieurement à la conclusion du bail n’était pas établie, alors que l’expert judiciaire avait conclu que « l'origine du désordre provient d'un sous-dimensionnement de la charpente qui a fléchi jusqu'à occasionner la rupture des entraits, le temps ayant fait son œuvre », ce dont il résultait que l’immeuble donné à bail était d’emblée affecté d’un défaut structurel majeur, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses constatations et à violé l’article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 applicable en l’espèce, et les articles 1719 (N° Lexbase : L8079IDL) et 1720 (N° Lexbase : L1842ABT) du même code. D’autre part, ils invoquent que la cour d’appel, en énonçant que le liquidateur ne démontrait, ni que le désordre affectant la charpente « était visible des bailleurs », ni que les bailleurs « aient été mis en demeure, antérieurement au 14 janvier 2015, d'avoir à effectuer des travaux en lien avec l'affaissement de la charpente », mais qu’il appartenait aux bailleurs, en exécution de leur obligation de délivrance, de veiller d’emblée et de façon constante à l’état de l’immeuble donné à bail, sans avoir à être informé sur ce point par leur locataire, s’est déterminée par une motivation inopérante et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes suscités.
Ce moyen ne convainc pas les hauts conseillers qui rejettent le pourvoi. Ils commencent par rappeler le principe selon lequel « sans préjudice de l'obligation continue d'entretien de la chose louée, les vices apparus en cours de bail et que le preneur était, par suite des circonstances, seul à même de constater, ne sauraient engager la responsabilité du bailleur que si, informé de leur survenance, celui-ci n'a pris aucune disposition pour y remédier ». Puis, ils considèrent que les juges du fond ont souverainement retenu qu’il n’était pas établi que le désordre affectant la charpente existait antérieurement à la conclusion du bail et constaté que le locataire, averti dès le mois de janvier 2013 d'une difficulté liée à l'état de la charpente, n’en avait informé les bailleurs que le 14 janvier 2015 et que ceux-ci avaient pris alors les dispositions nécessaires pour y remédier, mais que le locataire n’avait tenu aucun compte de leur offre de travaux qui auraient été de nature à mettre un terme aux désordres allégués. Partant, ils en déduisent que les bailleurs n’ont pas manqué à leur obligation de délivrance pendant l’exécution du bail.
4. Ce refus des juges de prononcer la résolution judiciaire du bail commercial sur le fondement de l’obligation de délivrance en raison des désordres apparus en cours de bail apparaît justifié à un double titre. Premièrement, il l’est au regard du défaut de preuve de l’antériorité des désordres à la conclusion du bail (I). Deuxièmement, il l’est compte tenu du fait que le preneur, après avoir pris connaissance de ces désordres, a tardé à en avertir les bailleurs et a méconnu l’offre de travaux émise par les bailleurs (II).
I. Le défaut de preuve de l’antériorité des désordres à la conclusion du bail
5. Bien qu’ayant affaire à un contrat de bail commercial, le Code de commerce, dans ses articles L. 145-1 (N° Lexbase : L2327IBS) à L. 145-60, ne définit pas les obligations des parties quant à l'exécution de ce contrat, de sorte que celui-ci est soumis au droit commun du bail régi par les articles 1714 (N° Lexbase : L1775IEH) et suivants du Code civil [3]. Ce n’est qu’à la marge que le statut des baux commerciaux traite de l’obligation de délivrance dans ses articles L. 145-40-2 (N° Lexbase : L4976I3P) et R. 145-35 (N° Lexbase : L7051I4W) [4]. S’agissant des obligations du bailleur, et précisément son obligation de délivrance de la chose louée, il faut donc se référer au Code civil, mais le législateur n’a pas défini l’obligation de délivrance, les articles 1719, 1° et 1720, alinéa 1er, du Code civil se contentant d’instituer l’obligation sans la définir. L’article 1719, 1° dispose que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée ». Et l’article 1720, alinéa 1er, ajoute que « le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce ». La notion d’obligation de délivrance s’est donc construite au gré des décisions jurisprudentielles et des interprétations doctrinales. Au-delà de la question centrale relative à la marge de liberté contractuelle, cette obligation a soulevé d’autres questionnements, notamment ceux de son contenu exact, de son autonomie par rapport à ses obligations voisines ou encore de sa conception temporelle [5]. C’est justement sur ces derniers points que l’arrêt soumis à notre analyse apporte des précisions.
6. De façon analytique, l’obligation de délivrance correspond à une double prestation : une prestation de mise à disposition et une prestation de mise en état conforme de la chose louée [6]. Ces deux prestations, qui cristallisent le contenu de l’obligation de délivrance, comprennent l’ensemble des actions qui assurent la mise à disposition de la chose et qui tendent à mettre la chose louée dans un certain état matériel, fonctionnel ou juridique. D’un point de vue fonctionnel, cette même obligation a pu être définie comme une mise en capacité d’exercice de l’activité économique du preneur, justifiant ainsi son caractère essentiel [7] et paralysant toute clause qui porterait atteinte à sa substance [8]. Obligation première du bailleur, elle permet la réalisation de la finalité du bail commercial qui n’est autre que l’exercice du droit de jouissance et donc le retrait des utilités du bien loué. Cette obligation se distingue de l’obligation de délivrance du vendeur, en ce qu’elle est bien plus étendue [9], dans le sens où le vendeur n’est obligé que de délivrer la chose dans l’état où elle se trouve [10]. Cela est tout à fait logique puisque les contrats de vente et de bail n’ont pas la même finalité, l’un portant sur la propriété d’un bien, l’autre sur sa jouissance. L’obligation de délivrance trouve ses prolongements dans d’autres obligations dont elle se distingue : obligations d’entretien, de jouissance paisible, de réparation et de garantie des vices cachés [11]. L’obligation d'entretien (C. civ., art. 1719, 2°) n’est destinée qu’à assurer le maintien de l'état de la chose louée en cours de bail alors que l'obligation de délivrance fixe l'état initial de cette chose [12]. L’obligation de jouissance paisible (C. civ., art. 1719, 3°), quant à elle, est en réalité une obligation de ne pas troubler l’exercice du droit de jouissance du preneur qui vient pérenniser la situation créée par l’exécution de l’obligation de délivrance. L’obligation de délivrance en bon état de réparations se distingue encore de l'obligation de réparation (C. civ., art. 1720, al. 2), qui ne comprend que les réparations autres que locatives, les réparations dites locatives étant à la charge du preneur [13]. La garantie des vices ou défauts cachés de la chose louée (C. civ., art. 1721 N° Lexbase : L1843ABU) s’éloigne de la délivrance en ce qu’elle vise les vices cachés et exclut les défauts de conformité [14]. Aussi, la délivrance est une obligation continue qui perdure pendant toute la durée du bail [15]. Si elle se maintient pendant toute la durée du contrat, il faut garder à l’esprit qu’elle s’apprécie en principe au moment de la conclusion du bail [16], à moins d’une délivrance échelonnée ou d’une conformité évolutive [17]. Cette vision temporelle de l’obligation de délivrance implique que si le défaut de conformité ou le vice n’est avéré qu’après la conclusion du bail ou en cours de bail et que l’origine de ce défaut ou vice ne peut être datée antérieurement à la conclusion du bail, d’autres obligations prendront le relais [18]. Enfin, les manquements à l’obligation de délivrance peuvent être sanctionnés de diverses manières, notamment par la résolution du bail [19]. Ce faisant, au regard de ces caractéristiques, la troisième chambre ne pouvait que refuser d’établir un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance pour un désordre survenu en cours de bail, bien que le moment de survenance du désordre interroge.
7. En effet, pour approuver la solution de la cour d’appel, elle rappelle, dans la première partie de sa solution, la règle applicable aux faits d’espèce selon laquelle sans préjudice de l'obligation continue d'entretien de la chose louée, les vices apparus en cours de bail et que le preneur était, par suite des circonstances, seul à même de constater, n’engagent la responsabilité du bailleur que lorsqu’il a été informé de leur survenance et qu’il n'a pris aucune disposition pour y remédier. L’obligation d’entretien est visée, mais peut-être était-il davantage question de l’obligation de réparation [20] dans le sens où elle intervient en cours de bail pour remédier à des désordres affectant, tels qu’en l’espèce, des éléments structurels et où la singularité de cette dernière obligation tient justement à ce qu’elle seule nécessite une information du bailleur par le preneur, tenu de lui adresser une mise en demeure d’effectuer les travaux de réparation nécessaires [21]. Quoi qu’il en soit, d’après la formule rappelée, il fallait identifier des vices apparus en cours de bail et que le preneur était seul à pouvoir constater. S’agissant de la date des désordres, la troisième chambre civile de la Cour de cassation estime que la cour d’appel « a souverainement retenu qu’il n’était pas établi que le désordre affectant la charpente existait antérieurement à la conclusion du bail ». En l’occurrence, il s’agissait d’un désordre affectant la charpente du bien loué, à propos duquel les conclusions du rapport d’expertise judiciaire ont conclu que « l'origine […] provient d'un sous-dimensionnement de la charpente qui a fléchi jusqu'à occasionner la rupture des entraits, le temps ayant fait son œuvre ». On aurait pu penser qu’un tel désordre était présent depuis l’origine du bail, même avant, depuis la date d’achèvement de l’immeuble, et c’est d’ailleurs la ligne de défense déployée par les demandeurs au pourvoi, ceux-ci faisant valoir que « que l’immeuble donné à bail était d’emblée affecté d’un défaut structurel majeur » pour bénéficier de la traditionnelle et bien connue jurisprudence sanctionnant un manquement à l’obligation de délivrance en présence de désordres affectant la structure de l’immeuble [22]. Pourtant, ce n’est pas la voie suivie par les juges du fond qui font jouer leur pouvoir souverain d’appréciation, ce que les magistrats de la Cour de cassation, qui sont juges du droit, pouvaient difficilement contredire. Concernant la connaissance de l’existence des désordres, de toute évidence, le locataire était le seul à pouvoir constater un dommage affectant la charpente du bien loué. Ainsi, la responsabilité des bailleurs ne saurait être retenue au titre de leur obligation de délivrance, tout comme la résolution du bail pour ce motif.
Cela étant établi, la responsabilité des bailleurs avait d’autant moins de chance d’être reconnue compte tenu du comportement du locataire.
II. Le comportement fautif du locataire
8. Pour aller au bout de son raisonnement, il fallait encore que la Cour de cassation, conformément à sa formule de départ, se positionne sur le comportement des bailleurs et du locataire. En effet, le bailleur est responsable des vices de la chose louée apparus en cours de bail, dès lors qu'il n'a pris aucune disposition ou des dispositions insuffisantes pour y remédier dans un délai raisonnable [23], et ce, même en l'absence de mise en demeure [24]. C’est sur ce point que la solution commentée se prononce en second lieu.
9. En pareilles circonstances, le bailleur peut être condamné à indemniser le préjudice d'exploitation subi par le locataire pendant la durée des travaux rendus nécessaires par le vice de construction [25]. Ainsi, un locataire ne peut reprocher au bailleur le défaut d'exécution de cette obligation particulière lui imposant de réaliser des travaux dont il ne peut pas connaître de lui-même qu'ils lui incombaient [26]. Il a été jugé qu'en l'absence de mise en demeure adressée au bailleur d'avoir à effectuer les travaux et de décision de justice autorisant le preneur à les faire exécuter, le bailleur n'était pas tenu d'en supporter la charge [27]. C'est pourquoi la jurisprudence a pu décider que l'obligation du locataire d'user de la chose louée en « bon père de famille » comprend celle d'informer le bailleur des réparations qui lui incombent [28]. De ce fait, une information tardive sera constitutive d’une faute du locataire qui, ayant contribué à la réalisation de son propre dommage, peut être condamné à supporter une partie du coût de la réparation des désordres subis [29]. Plus encore, l’intégralité du coût de la réparation des désordres subis peut lui être imputée lorsqu’à cette faute s’ajoute celle liée à son incurie, comme ce fut le cas dans cette affaire.
10. Pour écarter la responsabilité du bailleur, la Cour de cassation constate d’abord que l’information du bailleur par le locataire a été tardive, ce dernier n’ayant informé les bailleurs d'une difficulté liée à l'état de la charpente que le 14 janvier 2015 alors qu’il en a eu connaissance dès le mois de janvier 2013. Ensuite, elle relève que les bailleurs ne sont pas restés inactifs et ont pris les dispositions nécessaires pour remédier auxdits désordres. Enfin, elle soulève que le locataire n’avait tenu aucun compte de l’offre de travaux des bailleurs alors que celle-ci aurait été de nature à mettre un terme aux désordres allégués. Par conséquent, la responsabilité des bailleurs pour manquement à leur obligation de délivrance ne pouvait qu’être écartée eu égard au comportement fautif du locataire.
[1] TGI Rouen, 27 novembre 2018, n° 17/01968.
[2] CA Rouen, 23 janvier 2020, n° 18/05384 (N° Lexbase : A02323GP).
[3] F. Auque, Les baux commerciaux. Théorie et pratique, LGDJ, 1996, p. 6, n° 6 ; C. Denizot, Droit civil et bail commercial, th. Paris XI, 2003, p. 214 et s., n° 251 et s..
[4] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A.-M. Luciani, L’Harmattant, 2021, p. 49, n° 20, p. 155, n° 126, p. 285-287, n° 281 et s..
[5] V. pour ces questionnements : ibid., p. 55, n° 31.
[6] Ibid., p. 67 et s., n° 41 et s..
[7] Ibid., p. 243 et s., n° 217 et s., p. 291 et s., n° 285 et s..
[8] Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5449D9P), JCP E, septembre 2008, n° 38, pan. 2131, p. 25 ; JCP N, juillet 2009, n° 29, chron. 1241, p. 24, obs. H. Kenfack ; AJDI, novembre 2008, n° 11, p. 841, obs. V. Zalewski ; Dalloz Actualité, 15 juillet 2008, obs. Y. Rouquet ; D., septembre 2008, n° 29, p. 1999, obs. Y. Rouquet ; RLDA, novembre 2008, n° 32, act. 1922, p. 19, note H. Kenfack ; RLDA, octobre 2008, n° 31, act. 1870, p. 43, obs. M. Filiol de Raimond ; Rev. loyers, octobre 2008, n° 890, jur. 821, p. 432, note B. Humblot‑Gignoux ; RLDC, octobre 2008, n° 53, act. 3140, p. 16, obs. V. Maugeri – Cass. civ. 3, 2 juillet 2013, n° 11-28.496, F-D (N° Lexbase : A5551KIG), Loyers et copr., octobre 2013, n° 10, comm. 280, p. 27, obs. E. Chavance ; AJDI, mai 2014, n° 5, p. 376, obs. C. Dreveau – Cass. civ. 3, 6 mars 2012, n° 11-14.156, F-D (N° Lexbase : A3889IER), AJDI, mai 2012, n° 5, p. 348 – Cass. civ. 1, 11 octobre 1989, n° 88-14.439 (N° Lexbase : A8594AHR) – CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 1er juin 2011, n° 10/03286 (N° Lexbase : A1727HT7), AJDI, juin 2012, n° 6, p. 427 – CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 16 janvier 2013, n° 10/23656 (N° Lexbase : A3787I3N), AJDI, septembre 2013, n° 9, p. 612 ; AJDI, décembre 2014, n° 12, p. 898, chron. J.-P. Blatter.
[9] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 198 et s., n° 171 et s..
[10] J. Derrupé, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et des droits de créance, th. Toulouse, 1952, p. 149, n° 122 ; J. Le Bourg, La remise de la chose - Essai d'analyse à partir du droit des contrats, th. Savoie, 2010, pp. 227‑228, n° 181 ; J. Raynard et J.-B. Seube, Droit civil, Contrats spéciaux, LexisNexis, 2015, p. 278, n° 342.
[11] Sur la distinction de l’obligation de délivrance par rapport à ses obligations voisines : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 208 et s., n° 184 et s..
[12] F. Cohet-Cordey, L'obligation de délivrance du bailleur dans les contrats de location d'un bien immeuble, AJDI, décembre 1998, n° 12, p. 1014 ; F. Auque, Quelques remarques sur la location dans l'avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, D., mars 2018, n° 8, p. 423.
[13] F. Cohet-Cordey, L'obligation de délivrance du bailleur dans les contrats de location d'un bien immeuble, art. cit.
[14] Ibid..
[15] V. pour la démonstration du caractère continu de l’obligation de délivrance : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 329 et s., n° 335 et s..
[16] CA Paris, 16ème ch., sect. B, 20 septembre 2002, n° 2001/14534 (N° Lexbase : A4305A3T).
[17] V. spécialement sur ces idées : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 340-343, n° 347-348.
[18] CA Bordeaux, 16 septembre 2004, n° 03/00834.
[19] V. sur les sanctions d’un manquement à l’obligation de délivrance : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 520 et s., n° 588 et s., spéc. p. 557, n° 605.
[20] M. Hervieu, Bail : contours de l’obligation de délivrance, note sous Cass. civ. 3, 13 octobre 2021, n° 20-19.278, Dalloz Actu Étudiant, 3 novembre 2021.
[21] Cass. civ. 3, 20 mars 1991, n° 89-19.866 (N° Lexbase : A4651ACA).
[22] Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, préc. et les obs. préc..
[23] V. pour des fenêtres : CA Paris, 16ème ch., sect. B, 16 novembre 1995.
[24] CA Toulouse, 2 avril 2002.
[25] CA Caen, 16 septembre 2010.
[26] CA Douai, 10 mai 2007 – Cass. civ. 3, 31 octobre 2006, n° 05-18.377, FS-P+B (N° Lexbase : A2071DSI), LPA, 11 mai 2007, p. 12, note D. Mancel ; RJ com., 2007, n° 2, p. 134, note F. Auque.
[27] Cass. civ. 3, 11 janvier 2006, n° 04-20.142, FS-P+B (N° Lexbase : A3462DM8).
[28] Cass. req., 23 juin 1924, S. 1925, chron. p. 381 ; Cass. civ., 13 novembre 1940, S. 1941, chron. p. 11.
[29] Cass. civ. 3, 9 février 2005, n° 03-19.609, FS-P+B (N° Lexbase : A6942DG9) ; Cass. civ. 3, 11 décembre 1991, n° 90-17.720 (N° Lexbase : A3003ABT).
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Réf. : Cass. civ. 3, 10 novembre 2021, n° 20-20.294, FS-B (N° Lexbase : A45157BT)
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N9445BYH
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 17 Novembre 2021
► La responsabilité décennale du constructeur suppose de démontrer que les travaux caractérisent un ouvrage ou un élément d’équipement ;
► dont la preuve incombe au demandeur maître d’ouvrage ;
► Les travaux de terrassement ne caractérisent pas automatiquement un ouvrage.
L’article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) conditionne la mise en jeu de la responsabilité civile décennale et, par-devers elle, la mobilisation des garanties souscrites dans le cadre de l’assurance RCD, à la présence d’un dommage affectant un ouvrage. Cette notion n’a, toutefois, pas été définie, ce qui a conduit la jurisprudence à adopter, au fil des décisions, une conception extensive par la combinaison de plusieurs critères comme celui de l’importance des travaux (pour exemple, Cass. civ. 3, 28 janvier 2009, n° 07-20.891, FS-P+B N° Lexbase : A9505ECZ), de la fixation au sol (pour exemple, Cass. civ. 3, 28 avril 1993, n° 91-14.215 N° Lexbase : A5660ABA), de travaux de clos ou de couvert ou, encore, celui de travaux de construction.
L’espèce rapportée est une illustration des enjeux de la qualification. Un maître d’ouvrage confie à une entreprise des travaux d’aménagement et de terrassement. Un glissement de terrain se produit, lequel entraîne des dommages, notamment sur le fond voisin. Ce dernier assigne, après expertise, le maître d’ouvrage, le constructeur et son assureur de responsabilité civile décennale, en réparation des dommages.
La cour d’appel de Versailles a, aux termes d’un arrêt rendu le 13 juillet 2020, déclaré l’action irrecevable car prescrite. Les conseillers ont considéré que le maître d’ouvrage ne rapportait pas la preuve que les terrassements pris en litige se seraient intégrés dans un ouvrage de construction permettant, en raison de leur intégration, de les qualifier d’ouvrages au sens de l’article 1792 précité.
Le maître d’ouvrage forme un pourvoi en cassation mais ce dernier est rejeté. La qualification d’ouvrage est une question de fait qui relève de la libre appréciation des juges du fond. La Cour de cassation opère simplement un contrôle de motivation. Après avoir relevé que la cour d’appel avait constaté que les travaux de terrassement et d’aménagement n’incorporaient pas de matériaux dans le sol au moyen de travaux de construction, elle a pu en déduire que les travaux n’étaient pas caractéristiques d’un ouvrage.
Les conseillers d’appel avaient combiné deux des critères utilisés à la qualification d’ouvrage :
Ce qui est fréquent.
La solution n’est pas nouvelle. En ce qui concerne les terrassements et travaux assimilés, la jurisprudence avait déjà pu estimer qu’il était nécessaire de prouver l’incorporation des matériaux dans le sol au moyen de travaux de construction (V. not. Cass. civ. 3, 12 juin 2002, n° 01-01.236 N° Lexbase : A9034AYA) soit, mots pour mots, la même solution.
À titre d’exemples encore, un talus non construit avec des matériaux n’est pas un ouvrage (CA Nîmes, 20 décembre 2001, n° 99/5388) pas davantage que des travaux de terrassement pour la pose d’une canalisation de gaz (CA Nancy, 21 mai 2002, n° 96/01264). Ont, en revanche, été qualifiés d’ouvrages des travaux de terrassement liés à la réalisation d’un autre ouvrage (CA Aix-en-Provence, 18 novembre 1997).
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Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 9 novembre 2021, n° 438388, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A39397BI)
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N9392BYI
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par Yann Le Foll
Le 17 Novembre 2021
► Le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits constitutifs d'un vice de consentement de nature à affecter la validité d'un contrat.
Faits. SNCF Réseau a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner financièrement la communauté d'agglomération Côte Basque-Adour et la communauté d'agglomération du Grand Montauban en exécution de la convention de financement et de réalisation du tronçon central Tours-Bordeaux de la ligne ferroviaire à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique, avec intérêts de retard et capitalisation de ces intérêts. Celles-ci avaient suspendu leurs versements au titre de cette convention, invoquant un vice de consentement.
En cause d’appel. Pour rejeter cette argumentation, la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 10 décembre 2019, n° 17PA02660 N° Lexbase : A2688Z83) a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'il résultait des stipulations de la convention de financement et de réalisation du tronçon central Tours-Bordeaux de la LGV SEA que cet engagement trouvait sa cause dans la réalisation de ce seul tronçon. Elle a notamment relevé à cet effet que ni l'article 7 de la convention, ni le protocole d'accord relatif à la branche Bordeaux-Espagne signé sur son fondement, ne subordonnaient l'engagement des collectivités signataires de participer au financement du tronçon central à la réalisation de cette branche. Contrairement à ce qui est soutenu, elle n'a pas jugé que la convention et le protocole d'accord ne se rattachaient pas à un même ensemble contractuel.
Position CE - intérêt économique de la convention. Au regard de l'intérêt économique de la convention (à savoir renforcer l’accessibilité et l'attractivité des territoires communautaires et, par suite, favoriser leur développement économique), la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier ni commis d'erreur de qualification juridique des faits en écartant les moyens tirés de l'absence de cause de la convention et de la méconnaissance de l'interdiction pour les collectivités territoriales de consentir des libéralités.
Position CE - absence de vice du consentement. Après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, que la signature de la convention par l'ensemble des signataires pressentis n'avait pas constitué un élément déterminant de leur consentement, d'autre part, que ni la convention, ni le protocole ne comportaient d'engagement à leur égard de réaliser la branche Bordeaux-Espagne, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant, pour écarter l'existence d'un vice du consentement, que la communauté d'agglomération du Pays Basque et la communauté d'agglomération « Mont-de-Marsan agglomération » n'avaient été induites en erreur ni sur l'étendue des obligations de leurs cocontractants, ni sur l'objet de la convention de financement.
Pour rappel, dans un arrêt rendu le 20 décembre 2017, le Conseil d'État avait déjà estimé que, si le juge du fond apprécie souverainement l'existence d'une intention dolosive, le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits constitutifs d'un vice de consentement de nature à affecter la légalité d'un contrat (CE 2° et 7° ch.-r., 20 décembre 2017, n° 408562, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4778W9T et lire le commentaire de D. Guillou, Lexbase Public, janvier 2018, n° 488 N° Lexbase : N2237BX7).
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N9401BYT
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par Aurélie Dort, Maître de conférences, Faculté de Droit, Économie et Administration de Metz, Université de Lorraine
Le 29 Décembre 2021
Mots-clés : contrôle fiscal • fraude fiscale • data mining • algorithmes
La lutte contre l’évasion et la fraude fiscale est devenue un enjeu majeur de souveraineté et de redressement des comptes publics, et constitue une priorité de l’action publique. Les scandales financiers tels les Panama Papers ou plus récemment les Pandora Papiers ne font qu’alimenter cette nécessité de lutter contre l’évasion et la fraude fiscale. L’annexe du projet de loi de finances pour 2021 relatif à la lutte contre la fraude fiscale dispose en ce sens que « l'objectif d'amélioration de l'efficacité de la lutte contre la fraude s’appuie […] sur la détection des comportements frauduleux et le ciblage de plus en plus efficace des opérations de contrôle, le renforcement de l’approche judiciaire des fraudes, le développement des moyens consacrés à la lutte contre certaines formes de fraude, en particulier la fraude internationale, et l’amélioration du recouvrement suite à contrôle fiscal » [1].
L’administration fiscale a donc pour objectif de détecter plus efficacement les incohérences déclaratives mais aussi d’exploiter les informations des différentes sources pour mieux cibler les affaires. Elle utilise ainsi pleinement les nouvelles potentialités de l’exploitation des données, et notamment le data mining qu’elle souhaite par ailleurs optimiser [2].
Afin de mieux cibler ces opérations de contrôle, la Direction générale des finances publiques dispose désormais « d’un outil d’analyse des données non structurées (text-mining) » en plus de développer « l’exploitation des données, toujours enrichies (ex. : données des plateformes d’échanges, des réseaux sociaux), ou d’informations acquises auprès d’entreprises privées (dans le respect du règlement général sur la protection des données RGPD), ou a recours à des data-scientists » [3].
Rappelons que le data mining est le procédé permettant de trouver des corrélations ou des patterns entre de nombreuses bases de données. Il repose sur des algorithmes complexes et sophistiqués permettant de segmenter les données et d’évaluer les probabilités futures [4]. Si le terme est récent, la technologie ne l’est pas puisque l’analyse des données s’est développée en parallèle du développement du numérique, de l’informatique et des réseaux.
La délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) le définit en 2014 comme « une démarche méthodologique rigoureuse développée en vue de révéler de l’information contenue dans les systèmes d’information, en mettant en exergue d’éventuelles corrélations significatives entre les données observées » [5]. Le data mining se compose dès lors pour l’administration fiscale d’un « ensemble de techniques relevant du domaine des statistiques et des mathématiques permettant, à partir d'un important volume de données, d’extraire des informations visant à améliorer la connaissance des […] comportements de fraude […] et permettre d’engager des actions adaptées à l’objectif poursuivi [de] lutte contre la fraude » [6]. Le data mining permet ainsi de faire parler l’information en établissant des liens et corrélations entre les données observées [7]. Deux cas de figure peuvent alors se présenter : soit la recherche de critères discriminants de fraude en l’absence d’historique de cas détectés ; soit il y a déjà un contexte avec des informations relatives à des cas de fraude déjà identifiés.
Différentes étapes doivent être respectées dans une démarche de data mining. Tout d’abord, la cible à atteindre doit être définie, ainsi que le périmètre. Ensuite les données doivent être fiabilisées. Il convient ensuite de procéder à une déclaration auprès de la CNIL. L’efficacité du data mining est conditionnée par la qualité des données collectées, mais aussi par l’identification des compétences à mobiliser ainsi que par l’exhaustivité des contrôles menés. L’un des objectifs principaux du recours au data mining est donc de permettre une exploitation « de plus en plus fine » [8] des données collectées afin de permettre un ciblage plus efficace des contrôles fiscaux à initier. Le data mining est ainsi une « discipline qui se situe au croisement de l’étude statistique et de l’intelligence artificielle » [9]. Appliqué à la matière fiscale, il vise à identifier des caractéristiques de fraudes complexes pour rétablir une certaine équité fiscale. À partir des données, l’algorithme va calculer la probabilité qu’un dossier comporte un risque de fraude et « l’outil va ainsi se perfectionner au fil du temps en mettant en relation les dossiers désignés avec les motifs de rehaussement opérés » [10].
Dès 2013, l’administration fiscale s’est engagée à moderniser des contrôles fiscaux à travers la Mission Requête et Valorisation. La première expérimentation menée par cette mission a été mise en place dès 2014 avec le ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR) [11]. Ce programme a pour objectif d’améliorer l’efficacité des opérations de contrôle fiscal grâce à l’introduction de méthodes d’analyses modernes des données [12], et vise ainsi à détecter la fraude à la TVA. L’expérimentation a ensuite été étendue en 2017 à la recherche des fraudes perpétrées par les particuliers. Dans la continuité, la loi de finances pour 2020 [13] permet à l’administration fiscale et aux douanes d’investiguer et d’exploiter les données recueillies sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne de vente ou d’échanges de biens et services. Les conditions d’application de la mesure seront néanmoins précisées plus d’un an plus tard dans un décret publié le 13 février 2021 [14] après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) [15]. Les contrôles sont désormais mieux ciblés grâce à l’utilisation de ses nouvelles modalités d’exploitation des données et des méthodes d’analyse prédictive. L’optimisation du contrôle fiscal provient à la fois du recours à l’intelligence artificielle, mais aussi en raison du développement du datamining. Ces techniques « basées sur le recoupement de données, l’analyse statistique et l’apprentissage automatique permettent un traitement optimal du volume et de la masse des données détenues par la DGFiP » [16]. Le traitement automatisé des données envisagées devrait notamment « détecter plus facilement les fausses domiciliations à l’étranger de personnes physiques » [17]. En 2019, 22 % des contrôles fiscaux ont été programmés en utilisant des méthodes d’analyse des données. Ce sont ainsi 100 000 dossiers issus du ciblage qui ont été adressés aux services opérationnels de contrôle fiscal [18]. Le recours au data mining a ainsi permis de rapporter près de 785 millions d’euros en 2019 [19], et 794 millions d’euros de droits et pénalités en 2020 [20]. Il est d’ailleurs intéressant de constater que si les montants ont peu évolué entre 2019 et 2020, la part des contrôles ciblés par Intelligence Artificielle (IA) et data mining [CF-51] soit quant à elle passée de 21,95 % à 32,49 % [21]. Dorénavant, près d’un contrôle sur trois est donc ciblé par l’intelligence artificielle ou le data mining. Ce développement du recours au numérique est pleinement souhaité par l’administration fiscale qui rappelle par ailleurs dans sa lettre interne que « la montée en puissance des contrôles ciblés par le data mining reposera par ailleurs, en 2021 et 2022, sur l’exploitation accrue des données extérieures aux déclarations fiscales afin d’avoir une vision plus globale des entreprises et des particuliers qui prenne en compte les éléments de contexte (patrimoine et comportement des dirigeants, antécédents fiscaux ...) » [22]. Afin de faciliter l’exploitation des données recueillies sur les plateformes collaboratives et les réseaux sociaux, il est notamment prévu une transformation du système d’information relatif à l’administration fiscale à travers notamment la mise en œuvre du projet PILAT (Pilotage et analyse du contrôle). Ce projet a pour objet d’aider les agents « à mieux cibler la fraude et à automatiser les travaux de suivi en améliorant les interfaces entre les nombreuses applications numériques dédiées au contrôle fiscal » [23]. Ce projet vise ainsi à « décloisonner les bases de données de l'ensemble des acteurs impliqués dans le recouvrement et dans le contrôle de la fraude » et vient dès lors compléter le projet CFRV. Ces changements actent par conséquent la « transformation profonde et pérenne du contrôle fiscal français dans ses formes, sa nature et du paradigme dans lequel il s’insère » [24].
Force est de constater qu’à travers le développement des algorithmes et du numérique, on assiste à une réelle numérisation des contrôles fiscaux. Avec la numérisation, les informations d’un support sont converties en données numériques qui pourront ensuite être traitées par des dispositifs informatiques. L’article 154 de la loi de finances pour 2020 [25], qui autorise les administrations fiscale et douanière à collecter automatiquement des données personnelles sur les réseaux sociaux, concerne, de manière limitative, la détection des fraudes les plus graves. Elle illustre ainsi comment les administrations fiscales et douanières ont franchi une étape supplémentaire dans la numérisation des contrôles. Cette numérisation des contrôles fiscaux n’est cependant pas sans limites puisque l’utilisation des algorithmes est encadrée (I), mais aussi limitée (II).
I. La numérisation des contrôles fiscaux, une utilisation encadrée
L’utilisation des données personnelles recueillies par l’administration fiscale est encadrée tant dans son champ d’application (A) que dans sa mise en œuvre (B).
A. Un champ d’application strictement défini
L’encadrement de cette expérimentation a été clairement déterminé puisque l'administration fiscale et l'administration des douanes et droits indirects peuvent, chacune pour ce qui la concerne, collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés n'utilisant aucun système de reconnaissance faciale les contenus, librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne, manifestement rendus publics par leurs utilisateurs. Sont concerné ici toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service.
Il n’est ainsi permis que l’exploitation des seuls contenus rendus publics. Sont donc visés les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, LinkedIn), les sites de vente en ligne (Leboncoin, Vinted, eBay) ainsi que les plateformes d’échange de services (Blablacar, Airbnb, Allovoisins, Jwebi….) [26]. La collecte des contenus librement accessibles et manifestement rendus publics sur les sites ne concerne toutefois que les contenus « se rapportant à la personne qui les a délibérément divulgués et dont l'accès ne nécessite ni saisie d'un mot de passe ni inscription sur le site en cause peuvent être collectés et exploités ». Le décret du 11 février 2021 précise d’ailleurs que la collecte de ces contenus « au moyen d'identités d'emprunt ou de comptes spécialement utilisés à cet effet par l'une des administrations [fiscale ou douanière] est prohibée, sous la seule réserve de la création de comptes destinés à être utilisés par l'intermédiaire d'interfaces de programmation mises à disposition par les opérateurs de plateforme ». Il est également précisé que « lorsque la personne est titulaire sur internet d'une page personnelle permettant le dépôt de commentaires ou toute autre forme d'interactions avec des tiers, ces commentaires et interactions ne peuvent faire l'objet d'aucune exploitation ».
B. Une mise en œuvre délimitée
L’article 154 de la loi de finances pour 2020 dispose notamment que l’expérimentation mise en place est prévue pour une durée de 3 ans. Elle fera ensuite l’objet « d’une analyse d'impact relative à la protection des données à caractère personnel dont les résultats sont transmis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés » ainsi que d’une « première évaluation dont les résultats sont transmis au Parlement ainsi qu'à la Commission nationale de l'informatique et des libertés au plus tard dix-huit mois avant son terme ». Il est également prévu qu’un bilan définitif de l'expérimentation soit transmis au Parlement ainsi qu'à CNIL au plus tard six mois avant son terme. Le Conseil constitutionnel dispose par ailleurs que « pour apprécier s'il convient de pérenniser le dispositif expérimental en cause au terme du délai de trois ans fixé par la loi, il appartiendra au législateur de tirer les conséquences de l'évaluation de ce dispositif et, en particulier, au regard des atteintes portées aux droits et libertés précités et du respect des garanties précitées, de tenir compte de son efficacité dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ». De plus, « à la lumière de cette évaluation, la conformité à la Constitution de ce dispositif pourra alors de nouveau être examinée » [27].
Le déroulement de l’expérimentation est précisé dans le décret du 11 février 2021 qui dispose qu’elle se déroulera en deux temps. Tout d’abord, est mise en place une « phrase d’apprentissage et de conception » qui permettra à l’administration « de développer des outils de collecte et d'analyse des données et d'identifier des indicateurs qui ne sont pas des données à caractère personnel, tels que des mots-clés, des ratios ou encore des indications de dates et de lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés, ainsi que les modélisations de détection des activités frauduleuses ». Dans un second temps, les outils de traitement seront utilisés dans une phase d’exploitation qui est constituée par la collecte et la sélection des données pertinentes, puis leur transfert éventuel pour analyse, auprès du service des impôts compétents.
Les données concernées sont donc non seulement limitées, mais leur exploitation est également encadrée. Si le développement des outils technologiques est indispensable pour permettre aux services, administrations et directions de traiter l’ensemble des données qu’ils reçoivent et de détecter les fraudes les plus complexes, le ratio de rentabilité reste bien moindre pour les contrôles ciblés par intelligence artificielle ou datamining et ayant donné lieu à rectification [28]. L’utilisation des données numériques recueillies est limitée.
II. La numérisation des contrôles fiscaux, une utilisation limitée
L’utilisation des données collectées est limitée au regard de leur exploitation (A), mais aussi en raison de la protection même de ces données (B).
A. Une limitation dans l’exploitation des données
Il n’y a pour l’instant pas de traitement automatisé du contrôle fiscal. Les traitements ne peuvent effectivement être « réalisés que par des agents de la direction générale des finances publiques ayant au moins le grade de contrôleur, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur général des finances publiques » [29].
De plus, les traitements de collecte et de recherche des données pertinentes sont retracés dans un journal recensant les opérations de collecte, de modification, de consultation, de communication, d'interconnexion et d'effacement des données. Les journaux des opérations de consultation et de communication permettent d'établir le motif, la date et l'heure de celles-ci et, l'identification de la personne qui a consulté ou communiqué les données à caractère personnel, ainsi que l'identité des destinataires de ces données à caractère personnel. Les journaux contiennent les références des bases de données et variables consultées et la nature des requêtes effectuées. Les informations des journaux sont conservées pendant une durée d'un an.
Chaque trimestre, un ou plusieurs agents s’assurent, au moyen des outils de traçabilité, que seuls les agents spécialement habilités consultent et réalisent les traitements. Ils s'assurent également, au moyen d'outils spécifiques développés en ce sens, que seules les données strictement nécessaires à la recherche des manquements et infractions visées sont collectées et traitées.
Lorsque les traitements réalisés permettent d'établir qu'il existe des indices qu'une personne ait pu commettre un des manquements ou infractions recherchés, les informations traitées sont transmises de manière sécurisée et contrôlée aux seuls agents des services de la Direction générale des Finances publiques ou de la direction générale des douanes et des droits indirects chargés de la recherche et du contrôle qui sont territorialement compétents. Ces informations, qui se limitent aux renseignements strictement utiles à la mission de ces agents et dans la limite de leur besoin d'en connaître, précisent la personne physique ou morale visée, les infractions ou manquements détectés, et le ou les indices de nature à concourir à leur constatation. Les renseignements ainsi recueillis ne peuvent être opposés au contribuable que dans le cadre d'une procédure de contrôle fiscal ou douanier [30].
Un droit d’accès aux informations collectées peut être exercé auprès du service dont dépendant les agents habilités. L’article 11 du décret du 11 février 2021 prévoit toutefois expressément que le droit d’opposition ne s’applique pas aux traitements proprement dits. Il serait en effet contraire à l’objectif de lutte contre la fraude fiscale de permettre aux contribuables de s’opposer à la collecte d’informations les concernant.
Quant à la durée de conservation des données, elle dépend de leur nature et de leur utilisation. Les données sensibles et les autres données manifestement sans lien avec les infractions visées (les activités commerciales occultes, les domiciliations fiscales frauduleuses, les activités illicites) sont détruites au plus tard cinq jours ouvrés après leur collecte. En vertu de l’article 8 du décret du 11 février 2021, lorsqu'elles sont de nature à concourir à la constatation des manquements et infractions mentionnés précédemment, les données collectées strictement nécessaires sont conservées pour une période maximale d'un an à compter de leur collecte et sont détruites à l'issue de cette période. Toutefois, lorsqu'elles sont utilisées dans le cadre d'une procédure pénale, fiscale ou douanière, ces données peuvent être conservées jusqu'au terme de la procédure. Les autres données sont détruites dans un délai maximum de trente jours à compter de leur collecte.
Rappelons qu’est entendu par données sensibles, « celles qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les options politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne ; les données génétiques et biométriques et celles concernant la santé ou la vie ou l’orientation sexuelle » [31]. Elles ne peuvent faire l’objet d’aucune exploitation.
Le data mining s’inscrit pleinement comme un outil supplémentaire utilisé par l’administration pour détecter, identifier la fraude fiscale. S’il s’agit là des mises en œuvre les plus connues, certaines utilisations du data mining sont moins transparentes. Pour lutter contre la fraude, le fisc a signé un partenariat avec la société américaine de conseil informatique Accenture. Les Alpes-Maritimes, la Charente-Maritime et la Drôme ont expérimenté ce logiciel qui repère les anomalies fiscales en croisant les déclarations des contribuables, les vues aériennes et les plans de cadastre [32].
B. L’expression d’une conciliation constitutionnelle équilibrée
La numérisation des contrôles fiscaux amène le Conseil constitutionnel a opéré une conciliation constitutionnelle entre la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et d’autres droits à valeur constitutionnelle comme le droit à la vie privée, la liberté d’expression et de communication.
La fraude fiscale se définit comme la méconnaissance volontaire par le contribuable de ses obligations fiscales tandis que l’évasion correspond plus généralement à « l’ensemble des comportements qu’ils soient légaux ou non, visant la minoration de l’impôt dû » [33]. La lutte contre la fraude et celle contre l’évasion fiscale ont toutes deux étés érigées en objectifs de valeur constitutionnelle, et ceci dès 1983 [34] pour la première, en 2010 pour la seconde [35]. Depuis 2011, il se réfère régulièrement à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale [36].
Cet objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale doit néanmoins être concilié avec d’autres droits et libertés fondamentaux, notamment avec le droit au respect de la vie privée [37] qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 [38]. Il appartient en effet au législateur d’assurer « la conciliation entre le respect de la vie privée et d’autres exigences constitutionnelles, telles que la recherche des auteurs d’infractions et la prévention d’atteintes à l’ordre public » [39].
Le Conseil constitutionnel a ainsi déjà pu se prononcer sur des dispositions instituant des traitements de données à caractère personnel. Dans la décision n°2012-652 DC, il a précisé la nature du contrôle exercé en la matière en affirmant que « la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée ; […] par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » [40].
Quant à la protection constitutionnelle de la liberté d’expression et de communication, elle se fonde sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 [41]. Dans sa décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il s’agissait d’« une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale » [42].
Concernant l’article 154 de la loi de finances pour 2020, le Conseil constitutionnel a donc confronté les dispositions aux exigences qui s’attachent au respect de la vie privée et de la liberté d’expression et de communication. Il a ainsi caractérisé les atteintes portées à ces exigences constitutionnelles, puis il a identifié les finalités poursuivies avant d’examiner en dernier lieu les différentes conditions et garanties prévues par la loi de nature à limiter les atteintes portées aux exigences constitutionnelles. Ce contrôle complet lui a permis d’affirmer que le législateur a « assorti le dispositif critiqué de garanties propres à assurer, entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ». Pour les mêmes motifs, il a jugé que l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication était nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis.
Le Conseil constitutionnel est cependant venu limiter davantage l’utilisation qui pouvait être faite des données ainsi collectées. S’il a validé pour l’essentiel la collecte expérimentale de données sur les réseaux sociaux par l’administration fiscale [43], il a toutefois censuré la possibilité pour l’administration d’utiliser ces données pour la recherche du défaut ou retard de production d’une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure. Il juge en effet que « dans une telle situation, l'administration, qui a mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, a déjà connaissance d'une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles. Dès lors, en permettant la mise en œuvre d'un tel dispositif pour la simple recherche de ce manquement, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée et à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » [44]. Le dispositif est donc conforme à la Constitution en l’état actuel des choses. Néanmoins le Conseil constitutionnel a tout de même rappelé que la pérennisation d’un tel dispositif est susceptible de faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, sans que puisse s’y opposer l’autorité de chose jugée attachée à la décision commentée.
[1] Projet de loi de finances pour 2021, « Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales », Annexe, 2021, p. 9.
[2] Ibidem, p.12
[3] Projet de loi de finances pour 2022, « Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales », Annexe, 2022, p. 9.
[4] Bastien L., Data Mining : qu’est-ce que l’exploration de données ?, Lebigdata, 31 janvier 2018 [en ligne].
[5] Délégation nationale à la Lutte contre la Fraude, « Le « data mining », une démarche pour améliorer le ciblage des contrôles », ministère de l’Économie et des Finances, 2014, p. 2.
[6] Délégation nationale à la Lutte contre la Fraude, « Le « data mining », une démarche pour améliorer le ciblage des contrôles », ministère de l’Économie et des Finances, 2014, p. 2.
[7] C. Lequesne-Roth, « La science des données numériques au service du contrôle fiscal français. Réflexions sur l’Algocratie », in A. Pariente (dir.), Les chiffres en finances publiques, Paris, éd.
Mare & Martin, 2019.
[8] J.-P. Lieb, G. Exerjean, « Efficacité du contrôle fiscal et protection des contribuables : la perpétuelle recherche d’un équilibre des armes », Option Finances, 23 juillet 2018, n° 1472, pp. 55-56.
[9] M. Kimri et P. Legros, « Le régime juridique du contrôle fiscal algorithmique – De l’expérimentation à l’encadrement du recours aux dispositifs algorithmiques fiscaux », Droit fiscal, n° 5, 4 février 2021, p. 122.
[10] P. Cocheteux, « Contrôle fiscal : vers une autre informatique liée aux réorganisations au sein de la DGFIP », LPA, 22 décembre 2017, 129u9, p. 9.
[11] Arrêté du 21 février 2014, portant création par la Direction générale des Finances publiques d'un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes », JORF n° 0055 du 6 mars 2014 ; arrêté du 16 juillet 2015, modifiant l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un outil de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes », JORF n° 0225 du 29 septembre 2015.
[12] Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, Avis sur le programme « CFVR », 13 mars 2019.
[13] Loi n° 2019-1479, du 28 décembre 2019, de finances pour 2020 (N° Lexbase : L3002LZ9).
[14] Décret n° 2021-148, du 11 février 2021, portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l’exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne (N° Lexbase : L1395L33).
[15] Délibération n° 2020-124, du 10 décembre 2020, portant avis sur un projet de décret portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l’exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateformes en ligne (demandes d’avis n° 2218895 et 2218896) (N° Lexbase : Z307781C).
[16] F. Perrotin, « Contrôle fiscal et intelligence artificielle : des résultats prometteurs », LPA, 20 janvier 2021, n° 157h8, p. 4.
[17] Exposé sommaire de l’amendement n° II-CF1379, Assemblée nationale, 1er novembre 2019.
[19] DGFIP, Rapport d’activité, 2019, p. 35.
[20] DGFIP, Rapport d’activité, 2020, p. 30.
[21] DGFIP, Rapport d’activité, 2020, p. 61.
[23] A. De Montgolfier, Rapport général fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances adopté par l’Assemblée nationale pour 2020, Tome 3 – Les moyens des politiques publiques et les dispositions spéciales (seconde partie de la loi de finances), Annexe n° 15a – Gestion des finances publiques et des ressources humaines, crédits non répartis. Action et transformation publique, Sénat, 21 novembre 2019, p. 29.
[24] C. Lequesne-Roth, « La lutte contre la fraude à l’ère digitale – Les enjeux du recours à l'intelligence artificielle par l'administration financière », Droit fiscal, n° 5, 4 février 2021, p. 120.
[25] Loi n° 2019-1479, du 28 décembre 2019, de finances pour 2020.
[26] F. Perrotin, « Contrôle fiscal et intelligence artificielle : des résultats prometteurs », LPA, 20 janvier 2021, n° 157h8, p. 4.
[27] Cons. const., Décision n°2019-796 DC, du 27 décembre 2019, Loi de finances pour 2020, paragraphe n° 96 (N° Lexbase : A8973ZHS).
[28] C. Nougein et T. Carcenac, Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les moyens du contrôle fiscal, 22 juillet 2020, p. 12 et 61.
[29] Décret n° 2021-148, du 11 février 2021, portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l’exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne, art. 9 (N° Lexbase : Z36415S9).
[30] Décret n° 2021-148, du 11 février 2021, portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l’exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne, art. 10 (N° Lexbase : Z36416S9).
[31] Cons. const., décision n° 2019-796 DC, du 27 décembre 2019, paragraphe 87 (N° Lexbase : A8973ZHS).
[32] A. Lebelle et M. Pelloli, Accenture, la nouvelle arme antifraude du fisc, sévit maintenant dans la Drôme, Le Parisien, 1er décembre 2019 [en ligne].
[33] B. Lignereux, Précis de droit constitutionnel fiscal, LexisNexis, 2020, p. 413.
[34] Cons. const., décision n° 83-164 DC, du 29 décembre 1983, cons. 27 (N° Lexbase : A8074ACZ).
[35] Cons. const., décision n° 2010-16 QPC, du 23 juillet 2010, cons. 6 (N° Lexbase : A9194E4B).
[36] Cons. const., décision n° 2011-165 QPC, du 16 septembre 2011, cons. 5 (N° Lexbase : A7449HX8).
[37] Cons. const., décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 45 (N° Lexbase : A8782ACA).
[38] « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».
[39] Cons. const., décision n° 2011-209 QPC, du 17 janvier 2012, cons. 3 (N° Lexbase : A5323IAE).
[40] Cons. const., décision n° 2012-652 DC, du 22 mars 2012, cons. 8 (N° Lexbase : A3670IGZ).
[41] « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
[42] Cons. const., décision n° 84-181 DC, du 11 octobre 1984, cons. 37 (N° Lexbase : A8097ACU).
[43] B. Lignereux, Précis de droit constitutionnel fiscal, LexisNexis, 2020, p. 527.
[44] Cons. const., décision n° 2019-796 DC, du 27 décembre 2019, paragraphe 94 (N° Lexbase : A3062Z9B).
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Réf. : Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 20-11.875, F-B (N° Lexbase : A07127BY)
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 17 Novembre 2021
► La deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 4 novembre 2021, rappelle que dans le cadre d’une procédure d’appel à jour fixe, la cour est saisie par la remise d'une copie de l'assignation au greffe, et que cette diligence doit être effectuée avant la date fixée pour l’audience ; à défaut la déclaration d’appel est caduque ; la Haute juridiction censure l’arrêt d’appel ayant retenu la caducité de la déclaration d’appel sans constater, au préalable, que l’assignation incomplète remise au greffe était affectée d’un vice de forme susceptible d’entraîner sa nullité par la démonstration d’un grief par l’intimée.
Faits et procédure. Dans cette affaire, à la suite de la signification d’un commandement de payer valant saisie immobilière, un liquidateur judiciaire a poursuivi la vente du bien et a assigné la débitrice devant le juge de l’exécution aux fins d’ordonner la vente forcée du bien et fixer sa créance. Le jugement d’orientation a débouté la débitrice, ordonné la vente forcée du bien saisi, et retenu la créance du liquidateur à hauteur de 200 000 euros en principal. La débitrice a interjeté appel à l’encontre de cette décision. Le président de la cour d’appel a autorisé par ordonnance l’appelante à faire délivrer l’assignation pour une audience fixée au 6 novembre 2019. En l’espèce, pour constater la caducité de l’appel, la cour a retenu que l’appelante avait remis au greffe avant l’audience une copie incomplète de l’assignation à jour fixe, ne comprenant pas le dispositif de l’assignation. La cour d’appel a retenu qu’elle n’était donc pas valablement saisie.
Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt (CA Paris, 4, 8, 28 novembre 2019, n° 19/08249 N° Lexbase : A9131Z4X), d’avoir déclaré caduque sa déclaration d’appel.
Solution. Énonçant la solution précitée au visa de l’article 922 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0982H47), la Cour de cassation censure le raisonnement des juges d’appel, et casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’appel, La procédure à jour fixe, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase (N° Lexbase : E5677EYW). |
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Réf. : Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L6549L83) ; Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L6564L8M)
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N9418BYH
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par Karine Lemercier, Maître de conférences Le Mans Université
Le 29 Novembre 2021
Mots clés : Portail du justiciable • Portalis • numérique • dématérialisation • communication électronique • justice • données personnelles • traitement de données
Dans la continuité du décret du 3 mai 2019 (N° Lexbase : L0963LQQ) instaurant le Portail du justiciable, deux arrêtés techniques en date du 21 octobre 2021 viennent abroger les arrêtés « CPVE » du 6 mai 2019 (N° Lexbase : L4266LQ3), et « traitement de données » du 28 mai 2019 (N° Lexbase : L4280LQL), pour les remplacer et les compléter. Ils sont entrés en vigueur le 25 octobre 2021. Le nouvel arrêté « CPVE » relatif à la communication par voie électronique, étend le service de la consultation à distance aux affaires pénales. Ce service est désormais ouvert depuis le 15 novembre 2021. Le nouvel arrêté « traitement de données » apporte quant à lui quelques précisions sur les données collectées, ainsi que sur les droits d’accès et de rectification.
Lancé en 2015, le projet « Portalis » a pour finalité la dématérialisation totale des procédures civiles et pénales [1] ; de la saisine de la juridiction par les justiciables, les auxiliaires de justice ou les administrations jusqu’à la transmission de la décision de justice sur un Portail sécurisé. Ce projet s’inscrit dans l’objectif de la transformation numérique de la justice [2], qui fait partie des cinq grands chantiers annoncés en 2018 [3]. Cette transformation numérique est un projet d’ampleur, au développement parfois chaotique – avec des dématérialisations reportées voire abandonnées -, mais qui avance, certes lentement, mais progressivement [4]. Le projet « Portalis » comporte plusieurs versions [5] parmi lesquelles la mise en place du Portail du justiciable apparaît peut-être comme la plus emblématique, en tant que porte d’entrée du justiciable à un guichet numérique unique.
Issu du décret du 3 mai 2019 [6], et régi par l’article 748-8 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1185LQX) [7], le Portail du justiciable a fait l’objet de deux arrêtés techniques [8], l’un en date du 6 mai 2019 [9] relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » (arrêté « CPVE »), l’autre en date du 28 mai 2019 [10] autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (arrêté « traitement de données »). Ces arrêtés, qui ont été consolidés par deux arrêtés en date du 18 février 2020 [11], viennent d’être abrogés par ceux en date du 21 octobre 2021 [12]. Ils sont entrés en vigueur le 25 octobre 2021. Les deux arrêtés comportent des dispositions qui, pour la plupart, étaient déjà prévues dans les arrêtés abrogés ; les nouvelles dispositions sont donc souvent identiques, parfois modifiées voire précisées. On notera d’ailleurs que, dans cette méthode de « copier/coller » des dispositions antérieures [13], une erreur s’est glissée dans l’intitulé du chapitre III de l’arrêté « CPVE », en ce qu’il reprend l’intitulé du chapitre II et non celui du chapitre III relatif à « l’identification des parties à la communication électronique et sa fiabilité » tel que prévu par l’arrêté « CPVE » abrogé.
Ces précisions apportées, nous axerons notre commentaire sur les modifications opérées par les deux arrêtés ; celles-ci portent - pour l’arrêté « CPVE » - sur le périmètre d’application du Portail du justiciable (I), et, - pour l’arrêté « traitement de données » - sur les données collectées et les droits y afférents (II).
I. Les modifications apportées au périmètre du Portail du justiciable
À son ouverture en mai 2016, le Portail du justiciable fut d’abord un portail informatif ayant pour objectif d’orienter le justiciable dans ses démarches à l’aide de notices d’information, de formulaires à télécharger et de simulateurs lui permettant de calculer ses droits [14]. L’arrêté technique en date du 6 mai 2019, et désormais abrogé, a permis une nouvelle phase de déploiement du Portail en le faisant évoluer en portail applicatif afin que le justiciable puisse « adresser une requête à une juridiction » [15]. Le nouvel arrêté « CPVE » poursuit ce déploiement en ne présentant plus le Portail comme une « application » [16] mais comme un « service » [17] fondé sur une communication par voie électronique. L’arrêté prend acte du changement de vocabulaire, déjà effectif dans les services du Ministère, mais aussi depuis peu sur le site justice.fr, pour désigner à la fois le service de la consultation en ligne (ou suivi en ligne) et celui de la saisine en ligne. Mais surtout, et c’est l’aspect de plus notable, l’arrêté « CPVE » étend le service de la consultation en ligne aux procédures pénales (A). Plus subrepticement, l’arrêté précise que le Portail permet au justiciable de « saisir la justice », ce qui apparaît comme un nouveau signal à son déploiement (B).
A. Extension du service de la consultation en ligne aux procédures pénales
Accessible depuis le site justice.fr, le service de la consultation en ligne permet à une personne physique [18] ayant une procédure en cours, avec ou sans représentation obligatoire, d’accéder à un espace personnel sécurisé (www.monespace.justice.fr) et de consulter l’état d’avancement de son affaire judiciaire. Il permet également d’accéder, par une transmission sécurisée, à certains documents dématérialisés tels que des avis, des convocations ou des récépissés [19] émis par le « greffe du siège d’un tribunal judiciaire ou, le cas échéant, de l’une de ses chambres de proximité, d’un tribunal paritaire des baux ruraux, d’un conseil de prud’hommes, ou d’une cour d’appel » [20]. Enfin, le service permet au justiciable de recevoir par SMS les rappels d’audience ou d’auditions [21]. Afin d’accéder au service de la consultation en ligne, le justiciable doit au préalable posséder un compte auprès d’un des fournisseurs d’identité de « FranceConnect » [22], consentir au suivi dématérialisé de son affaire et l’ajouter à son espace personnel. Le justiciable peut ainsi suivre en ligne son affaire, dès lors qu’elle est enregistrée sur l’un des applicatifs des juridictions (Citi, Natai, WinCI, WinCA, etc.).
Depuis son ouverture au public en 2019, le service de la consultation en ligne par le justiciable était réservé aux seules procédures civiles [23]. L’article 1er de l’arrêté « CPVE » étend désormais ce service aux procédures pénales ; il est d’ailleurs effectif sur le Portail depuis le 15 novembre 2021. Dans ce cadre, l’article 6 de l’arrêté vise désormais les « avis, convocations et récépissés mentionnés à l’article 748-8 du Code de procédure civile et à l’article 803-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9513I7H) » parmi les éditions qui peuvent être reçues électroniquement. Cette extension du périmètre du Portail permet de couvrir toutes les affaires ouvertes devant les juridictions pénales qui font l’objet d’un suivi sur l’application Cassiopée [24]. Certaines procédures en sont donc exclues telles que les phases d’enquête du parquet, d’instruction et d’exécution des peines, ou bien encore les contraventions, les procédures en appel ou les procédures relevant de la cour d’assises. On notera que certaines procédures civiles restent encore exclues du périmètre de consultation. Il en est ainsi notamment des ordonnances de protection, des saisies des rémunérations ou des injonctions de payer.
B. Le développement du service de saisine en ligne
Parmi les modifications apportées par l’arrêté « CPVE », il faut relever la formulation générale de l’article 2, alinéa. 2, précisant que le Portail du justiciable permet « de saisir la justice via la requête numérique », et non la seule possibilité « d’adresser une requête » à une juridiction » [25]. Si le changement de vocabulaire peut apparaître mineur, il n’en constitue pas moins un signal du déploiement à venir du service de saisine en ligne. Pour le moment, seuls trois types de requêtes peuvent être adressés à une juridiction. Il en est ainsi des requêtes en gestion d’une mesure de protection des majeurs, de la constitution de partie civile par voie d’intervention, et des requêtes devant le juge aux affaires familiales (hors et post divorce, tutelles des mineurs et ordonnances de protection). L’objectif du Ministère est d’élargir progressivement la dématérialisation à l’ensemble des requêtes sans représentation obligatoire par un avocat. Les prochaines requêtes ouvertes à la saisine devraient concerner celles relatives aux « petits litiges », aux litiges locatifs et au contentieux social [26]. Précisément, la requête peut être effectuée par une personne physique, pour les procédures sans représentation obligatoire par un avocat, et par les représentants légaux personnes physiques des mineurs et majeurs protégés, à l’aide d’un formulaire dématérialisé, auquel le justiciable peut joindre ses pièces justificatives, depuis son espace personnel sécurisé. Cette requête numérique est ensuite transmise aux greffiers sur un portail dédié, le Portail des requêtes numériques (PRN). Ce portail permet au greffe de récupérer les données enregistrées par le justiciable afin de les reporter dans les applicatifs métiers existants. On notera qu’une précision est apportée par l’article 2 de l’arrêté « traitement de données » sur le statut de la requête en ce qu’il ajoute la requête « réceptionnée » [27] aux autres statuts possibles (brouillon, échec, envoyée, enregistrée). La procédure d’accès au service reste pratiquement la même que pour celle de la consultation en ligne. Le justiciable doit s’identifier avec le dispositif FranceConnect pour accéder à son espace personnel [28]. Il doit ensuite accepter les conditions générales d’utilisation du site [29].
II. Les modifications apportées au traitement des données à caractère personnel
Par comparaison avec l’arrêté « traitement de données » abrogé, le nouvel arrêté apporte quelques précisions sur les données collectées (A) ainsi que sur les droits d’accès et de rectification dans le cadre de la consultation en ligne (B).
A. Des précisions sur les données collectées
La dématérialisation des procédures via le Portail conduit le justiciable à donner son consentement lorsqu’il souhaite suivre son affaire en ligne (arrêté « CPVE », art. 6) et à accepter les conditions générales d’utilisation du Portail lorsqu’il adresse une requête à la juridiction (arrêté « CPVE », art. 5). Le justiciable délivre à cet effet différentes informations – des données personnelles – qui doivent être protégées, conformément à la loi « Informatique et Liberté » n° 78-17 du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS) et au Règlement européen n° 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (« RGPD ») (N° Lexbase : L0189K8I). Rappelons que seuls le justiciable, les agents de greffe et les magistrats peuvent accéder directement à ces données [30]. Si l’article 2 de l’arrêté « traitement de données » reprend les données d’identification enregistrées dans le traitement, telles qu’elles étaient énoncées dans l’arrêté abrogé, il en élargit le champ d’application. Sont désormais ajoutés :
B. Des précisions sur les droits d’accès et de rectification
L’article 5 de l’arrêté « traitement de données » apporte également quelques ajustements relatifs aux droits d’accès et de rectification des données, mais uniquement dans le cadre de la consultation de l’état d’avancement d’une affaire judiciaire. Par un nouvel alinéa, l’arrêté étend le droit d’accès aux autres personnes que le justiciable [31]. Ce droit s’exerce, dans ce cas, auprès du greffe de la juridiction en charge de l’affaire. S’agissant du droit de rectification applicable à ces personnes, le texte reprend, par parallélisme, les dispositions du I de l’article 5 prévues pour le justiciable, pour préciser que le droit de rectification ne s’applique pas, conformément au f de l’article 23 du Règlement (UE) n° 2016/679 du 27 avril 2016. L’arrêté introduit toutefois une exception, applicable à la fois au justiciable (art. 5, I) et aux autres personnes concernées par une consultation à distance (art. 5, II) en leur octroyant un droit de rectification des données relatives à l’identité et des coordonnées du justiciable ; droit qui s’exerce directement dans les deux cas auprès du greffe de la juridiction en charge de l’affaire.
À retenir :
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[1] Les tribunaux de commerce disposent d’un tribunal digital ; ils font d’ailleurs « figure d’exception en matière de transformation numérique » au sein des juridictions judiciaires, v. Cour des comptes, Le plan de continuité d’activité des juridictions judiciaires pendant la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid 19, Rapport, mai 2021, p. 54.
[2] Sur ce sujet, v. Fl. G’sell, Justice numérique, Dalloz, coll. À savoir, 2021 ; G. Canivet (dir.), Justice, faites entrer le numérique, Rapport de l’Institut Montaigne, novembre 2017 ; S. Amrani-Mekki, Efficacité et nouvelles technologies , Rev. Procédures avril 2010, dossier 5.
[3] V. Chantier de la Justice, min. de la Justice, Rapp. n° 1, « Transformation numérique », 2018 [en ligne].
[4] V. K. Lemercier, La dématérialisation progressive de l’accès à la justice, Lexbase Avocats n° 316 du 1er juilliet 2021
[5] Le projet Portalis est décomposé en six versions qui correspondent à différentes étapes de son développement, v. La transformation numérique du Ministère de la justice, disponible [en ligne].
[6] Décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 portant diverses mesures relatives à la communication électronique en matière civile et à la notification des actes à l'étranger, JO 4 mai 2019. V. H. Croze, Décret n°2019-402 du 3 mai 2019 : la Justice entr’ouvre le portail du justiciable, Rev. Procédures n°7, juill. 2019, repère 7.
[7] V. C. Bléry et J.-P. Teboul, Dématérialisation des procédures : saisine d’une juridiction par le Portail du justiciable, Dalloz actualité, 5 mars 2020.
[8] V. C. Bléry, Portail du justiciable : complexité juridique mais faible avancée technique, Dalloz actualité, 17 juillet 2019.
[9] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L4266LQ3).
[10] Arrêté du 28 mai 2019 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L4280LQL).
[11] Arrêté du 18 février 2020 modifiant l'arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L1833LWS) ; Arrêté du 18 février 2020 modifiant l’arrêté du 28 mai 2019 autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (suivi en ligne par le justiciable de l’état d'avancement de son affaire judiciaire (N° Lexbase : L1858LWQ).
[12] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable » ; Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable ».
[13] Certains auteurs soulignent que la légistique est ici « troublante » et « peu rassurante », C. Bléry et Th. Douville, Petite brique apportée au Portail du justiciable : deux nouveaux arrêtés, Dalloz actualité, 29 oct. 2021.
[14] Simulateurs d’aide juridictionnelle, de pension alimentaire ou de saisies sur rémunérations.
[15] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog
[16] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog.
[17] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 1
[18] Les personnes morales, les avocats et autres auxiliaires de justice ne peuvent accéder au service.
[19] Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable », art. 1er (
[20] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 1er al. 2.
[21] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 9
[22] Impotsgouv.fr, amelie.fr, L’identité numérique de La Poste, Mobile Connect et moi avec Orange, MSA, Alicem.
[23] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog.
[24] Sur l’application, v. G. Thierry, « 2019, l’année Cassiopée », Dalloz actualité, 23 janvier 2019.
[25] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog.
[26] V. Arrêté du 25 juin 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portalis contentieux prud'homal » (N° Lexbase : L1314L7S).
[27] Ce statut correspond à la réception de la demande par le PRN.
[28] V. supra.
[29] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 5
[30] Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable », art. 3 (
[31] Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable », art. 5, II, al. 2
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Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263, FS-B (N° Lexbase : A45237B7)
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N9443BYE
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par Charlotte Moronval
Le 17 Novembre 2021
► Constitue un mode de preuve illicite, l’enregistrement issu d’un dispositif de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l'entreprise et au contrôle et à la surveillance de l'activité des salariés, dès lors que l'employeur n'a pas informé les salariés et consulté les représentants du personnel sur la partie d'utilisation de ce dispositif à des fins de contrôle des salariés.
Faits et procédure. Des enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance sont produits devant la juridiction prud’homale pour justifier le licenciement pour faute grave d’une salariée caissière d’une pharmacie qui avait notamment facturé des produits à un prix inférieur au prix de vente.
La cour d’appel considère les enregistrements de la vidéosurveillance licites. En effet, elle relève que le système de vidéosurveillance, destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l'entreprise, avait bien fait l’objet d’une information préalable des salariés (y compris de l’intéressée) et d’une consultation des représentants du personnel.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. Elle constate que le dispositif de vidéosurveillance permettait également de contrôler et de surveiller l'activité des salariés, et avait d’ailleurs été utilisé à cette fin, sans que cet objectif ait fait l’objet d’une information et d’une consultation préalable. Les enregistrements issus du dispositif sont donc considérés comme un moyen de preuve illicite.
La Cour de cassation rajoute et rappelle que l’illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Pour en savoir plus :
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Réf. : Cass. civ. 1, 13 octobre 2021, n° 19-24.008, FS-B (N° Lexbase : A328849N)
Lecture: 17 min
N9426BYR
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
Le 17 Novembre 2021
Mots-clés : récompense • bien propre • exploitation d’un fonds propre • revenus d’exploitation • dépenses d’entretien • dépenses de gestion courante • charges de jouissance • dépenses d’investissement • passif de communauté • acte anormal de gestion • écran d’une société
1°) N'ouvre pas droit à récompense au profit de la communauté le paiement, au moyen des revenus bruts d'une exploitation agricole propre à un époux, des dépenses résultant de la gestion courante de celle-ci, tels le remplacement d'un matériel amorti ou l'entretien des biens mobiliers ou immobiliers affectés à l'exploitation.
2°) Seul le solde des emprunts afférents au remplacement d'un matériel amorti doit être supporté à titre définitif par la communauté à compter de sa dissolution, le solde relatif à l'acquisition du nouveau matériel devant être supporté par l’époux propriétaire de l’exploitation propre.
(i) Vu les articles 1401, 1403 et 1437 du code civil :
Il ressort de ces textes que la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens et que leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu'il a été fait avec des fonds communs. Il s'ensuit que n'ouvre pas droit à récompense au profit de la communauté le paiement, au moyen des revenus bruts d'une exploitation agricole propre à un époux, des dépenses résultant de la gestion courante de celle-ci, tels le remplacement d'un matériel amorti ou l'entretien des biens mobiliers ou immobiliers affectés à l'exploitation.
Pour dire que M. B doit une récompense à la communauté à raison de l'acquisition de matériel pour les besoins d'une exploitation agricole lui appartenant en propre, l'arrêt retient que celui-ci, dont une partie a accru le patrimoine de l'exploitation et l'autre a remplacé le matériel déjà présent lors du mariage, a été payé à l'aide des revenus de cette exploitation et non pas à l'aide des salaires de l'épouse.
En statuant ainsi, en reconnaissant à la communauté un droit à récompense pour l'ensemble du matériel acquis en cours d'union, alors qu'il ressortait de ses constatations que cette acquisition se rattachait partiellement à la gestion courante de l'exploitation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
(ii) Vu les articles 1485, 1404, alinéa 2, et 1406 du code civil :
Il résulte du premier de ces textes qu'à partir de la dissolution de la communauté, dans les rapports entre époux, chacun de ceux-ci supporte seul les dettes qui n'étaient devenues communes que sauf récompense à sa charge.
Aux termes du deuxième, forment des propres par leur nature, mais sauf récompense s'il y a lieu, les instruments de travail nécessaires à la profession de l'un des époux, à moins qu'ils ne soient l'accessoire d'un fonds de commerce ou d'une exploitation faisant partie de la communauté.
Selon le troisième, forment aussi des propres, sauf récompense s'il y a lieu, les biens acquis à titre d'accessoires d'un bien propre, ainsi que les valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres.
Pour inscrire au passif de la communauté le capital restant dû au titre des prêts contractés par les époux afin de financer l'acquisition de matériel pour les besoins de l'exploitation agricole de M. B, l'arrêt retient que ce matériel, dont une partie a accru le patrimoine de l'exploitation et l'autre a remplacé le matériel déjà présent lors du mariage, faisait partie du patrimoine propre de ce dernier.
En statuant ainsi, alors que seul le solde des emprunts afférents au remplacement d'un matériel amorti devait être supporté à titre définitif par la communauté à compter de sa dissolution, le solde relatif à l'acquisition du nouveau matériel devant être supporté par M. B, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
L’arrêt commenté est d’importance. En matière de récompense due par la communauté à l’une des masses de biens propres, la Cour de cassation accepte pour la première fois depuis 1992 d’amender sa jurisprudence « Authier c/ Pouyat », ce qui n’est pas rien. Ainsi qu’il sera démontré ci-après, cette évolution est bienvenue, car elle corrige l’un des défauts majeurs de cette jurisprudence lorsque l’un des époux a l’imprudence d’exploiter un fonds propre (artisanal, libéral, commercial, peu importe) en nom, et donc sans l’écran d’une société.
En l’espèce, deux ex-époux se chamaillaient après le prononcé de leur divorce à propos d’une récompense que Juliette revendiquait (au nom de la communauté) contre la masse propre de Romeo. Ce dernier était propriétaire en propre d’une exploitation agricole, et avait affecté (pendant le mariage, bien entendu) des revenus de cette exploitation à l’acquisition de matériel agricole. Une cour d’appel a estimé que la récompense était due par Romeo à la communauté. Utilisant le pourvoi formé par Romeo, la Cour de cassation soulève d’office deux moyens de pur droit et censure partiellement l’arrêt attaqué, en posant deux principes complémentaires :
1°) n'ouvre pas droit à récompense au profit de la communauté le paiement, au moyen des revenus bruts d'une exploitation agricole propre à un époux, des dépenses résultant de la gestion courante de celle-ci, tels le remplacement d'un matériel amorti ou l'entretien des biens mobiliers ou immobiliers affectés à l'exploitation ;
2°) seul le solde des emprunts afférents au remplacement d'un matériel amorti doit être supporté à titre définitif par la communauté à compter de sa dissolution, le solde relatif à l'acquisition du nouveau matériel devant être supporté par l’époux propriétaire de l’exploitation propre.
Pour mémoire, on rappellera que dans l’arrêt « Authier c/ Pouyat », la Cour de cassation a décidé que la communauté a vocation à encaisser les revenus des biens propres, et qu’en conséquence de cela, elle doit supporter les charges de jouissance (charges usufructuaires) des biens propres (Cass. civ. 1, 31 mars 1992, n° 90-17.212 N° Lexbase : A3176ACM, JCP 1993, II, 22003, obs. J.F. Pillebout et 22041, obs. A. Tisserand ; Defrénois 1992, art. 35348, p. 1121, note G. Champenois ; RTD civ. 1993, p.401, n° 1, obs. F. Lucet et B. Vareille ; Petites Affiches, 23 avril 1993, p. 16, note R. Le Guidec). Cet arrêt a été une sorte de point d’aboutissement, clôturant une célèbre controverse doctrinale relative à la nature des biens propres, née de la rédaction ambiguë de la loi du 13 juillet 1965. La loi du 23 décembre 1985 leva cette ambiguïté, et quelques années plus tard la Cour de cassation en tira toutes conséquences dans l’arrêt « Authier » précité.
La jurisprudence « Authier » a donc fixé une ligne de répartition qui est assez logique :
Une telle distinction permet de répondre à la majorité des situations, et le critère distinctif est relativement aisé à mettre à œuvre. Ainsi, les loyers d’un immeuble propre sont communs, et en cas de vacance d’un appartement au sein de cet immeuble, la communauté devra payer les charges courantes que le locataire ne paie plus du fait de son départ. Symétriquement, si l’époux propriétaire décide d’ajouter une piscine en sous-sol et une terrasse sur le toit, la communauté devra être remboursée si d’aventure elle a financé ces dépenses, qui sont de véritables investissements et non de simples dépenses d’entretien courant.
Cependant, la netteté de ce critère tend à disparaître lorsque le bien propre est une exploitation (agricole, artisanale, libérale, commerciale, peu importe). En effet, il n’est pas douteux qu’un loyer provenant d’un immeuble loué soit un revenu. En revanche, est-il si facile d’en dire autant des résultats financiers d’une exploitation propre ? Économiquement, il est certain que le chiffre d’affaires n’est pas le bénéfice final (hélas !), et que pour engendrer du chiffre d’affaires, il faut dépenser. Alors que pour engendrer un loyer, il suffit d’être propriétaire. Bref, il y aurait sans doute nécessité à distinguer revenus bruts et revenus nets lorsque l’on parle des revenus d’une exploitation.
Saisie de cette question, la Cour de cassation a décidé, en 2007, que cette distinction n’avait pas lieu d’être (v., Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 05-18.066, FS-P+B N° Lexbase : A6864DUR ; D. 2207, 1578, note M. Nicod ; AJ fam. 2007, 230, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2007, 618, obs. M. Grimaldi ; Defrénois 2008, 38719, 307, note G. Champenois ; JCP 2007, I, 208, n° 11, obs. Ph. Simler), allant jusqu’à juger expressément que les revenus bruts de l’exploitation devaient être affectés à la communauté (Cass. civ. 1, 14 novembre 2007, n° 05-18.570, FS-P+B N° Lexbase : A5845DZI ; AJ fam. 2008, 39, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2008, 143, obs. B. Vareille ; JCP 2008, I, 144, obs. crit. Ph. Simler ; Gaz. Pal. du 22 novembre 2008, p. 50, obs. crit. J. Casey).
Bien entendu, les inconvénients d’une telle solution sont majeurs : l’époux professionnel qui exploite un fonds propre sans l’écran d’une société s’expose à devoir de fortes récompenses à la communauté, puisque dans l’immense majorité des cas c’est avec les revenus bruts de son exploitation qu’il paie ses charges professionnelles (loyer, cotisations obligatoires, assurances, etc.), ou rembourse les emprunts qui lui permettent de renouveler son matériel. L’indépendance professionnelle de l’époux en souffrira forcément beaucoup puisqu’elle n’existera qu’au prix de récompenses à la masse commune, ce qui se traduira concrètement par une majoration de 50 % des sommes en jeu (la fraction de de chaque récompense revenant à son conjoint). Une approche plus rationnelle, au plan comptable, et plus soucieuse de respecter l’indépendance des époux, serait de ne compter au bénéfice de la communauté que le produit net de la gestion, une fois déduites les dépenses de fonctionnement, tout en excluant de cette répartition les dépenses d’investissement, lesquelles doivent toujours rester à la charge de l’époux professionnel. Telle était notre position au lendemain de l’arrêt du 14 novembre 2007, mais la Cour de cassation ne semblait pas y être sensible du tout, estimant manifestement que là où la loi (C. civ., art. 1401 N° Lexbase : L1532ABD) ne distinguait pas entre les revenus bruts et les revenus nets de la masse propre, le juge ne devait pas distinguer non plus. C’était l’un de ces cas, au demeurant assez rares, où la Cour de cassation s’enferme dans ce que nous nommons une forme de juridisme étroit, laissant le justiciable se débrouiller d’une solution pratique absolument non satisfaisante, voire franchement injuste, et qui est en outre impossible à expliquer au non-juriste. Bref, c’était le droit déconnecté de toute réalité.
C’est donc peu dire que l’on accueillera avec la plus grande satisfaction la présente décision. Celle-ci tempère ce qu’il y avait d’excessif dans la jurisprudence « Authier », et qui s’est matérialisé dans l’ultra-rigoriste arrêt précité du 14 novembre 2007. L’arrêt commenté rompt donc avec cette rigueur, et admet finalement qu’il y a lieu de distinguer entre les dépenses permettant le fonctionnement de l’exploitation propre, et les dépenses d’investissement.
Cette correction a été faite, par nos Hauts magistrats, au moyen de deux principes.
Il n’est pas sûr que la référence à la notion d’amortissement soit très opérante, puisqu’il s’agit d’une notion comptable ayant peu à voir avec celle, juridique, de « charges de jouissance ». Il n’en demeure pas moins que l’idée générale exprimée par la Cour de cassation est claire. Toute la période pendant laquelle le bien a été amorti (même partiellement) ne donnera pas lieu à récompense (pour les dépenses d’entretien ou de renouvellement) puisque la communauté en a encaissé les revenus pendant ladite période. En revanche, après la dissolution de la communauté, ce passif doit rester à la charge exclusive de l’époux professionnel, puisque les revenus de l’exploitation seront personnels à cet exploitant.
On voit donc que certaines dépenses d’acquisition entreront dans le groupe des « charges de jouissance », lesquelles ne comprennent donc pas que les dépenses d’entretien. Acheter du stock, ou acquérir du matériel permettant l’exploitation du fonds propre, sont des actes qui n’ouvriront pas droit à récompense au profit de la communauté (alors même que ce stock, ce matériel formeront des biens propres par accessoires, et non des acquêts), et ceci tant que la communauté encaissera les revenus produits par cette exploitation propre.
Mais on voit tout aussi clairement que nombre de dépenses d’acquisition donneront lieu à récompense au profit de la communauté. Il s’agit des dépenses d’investissement. Ainsi du médecin qui place son résultat d’exploitation dans des œuvres d’art exposées au cabinet, ou du commerçant qui fait construire un terrain propre un bâtiment pour agrandir son exploitation. Dans les deux cas, l’opération est susceptible de procurer une vraie plus-value à son patrimoine. Il serait incompréhensible que la communauté, qui aura financé ces dépenses via la notion de revenus de bien propre, n’ait pas droit à récompense.
En outre, tout ce qui précède est à modérer par la possible qualification d’acte anormal de gestion. Dans l’exemple précité des œuvres d’art, les dépenses constitueront tout à la fois un acte d’investissement ET un acte anormal de gestion. Mais l’on peut aussi imaginer un commerçant multipliant les séminaires de quatre semaines dans des destinations huppées pour soi-disant développer la cliente et le chiffre d’affaires. Si une hausse des bénéfices en résulte vraiment, la communauté n’aura rien à dire (et aucune récompense à réclamer), l’opération correspondant à la liberté professionnelle dont cet époux doit pouvoir disposer pour développer son entreprise. En revanche, si le chiffre d’affaires ne progresse pas en dépit de telles dépenses, et si ces dépenses ne font que réduire, voire détruire tout bénéfice, il y aura alors de vrais arguments pour dire que les sommes ainsi dépensées (qui sont communes) ouvrent droit à récompense pour la communauté (surtout si ledit séminaire a été passé en compagnie d’une tierce personne qui n’est pas le conjoint…).
Bien entendu, certaines dépenses sont tout à la fois nécessaires à l’exploitation du fonds propre et d’investissement. Ainsi du tracteur ou de la moissonneuse-batteuse, qui peuvent coûter fort cher. C’est sans doute là que l’on peut comprendre la référence de la Cour de cassation à la notion d’amortissement. Si le tracteur a été intégralement amorti pendant la communauté, celle-ci n’a rien à dire puisqu’elle aura, symétriquement, encaissé tous les revenus (nets) produits grâce à ce bien pendant la période d’amortissement. Certes, la valeur résiduelle du tracteur amorti existe, mais elle est tout de même assez faible, et l’on peut penser que le bien sera devenu un élément ordinaire d’exploitation dudit fonds. Pour une moissonneuse-batteuse, les spécialistes du monde rural diront peut-être que c’est un vrai investissement, qu’il existe un gros marché de l’occasion, même pour du matériel intégralement amorti. Mais peu importe. Chacun voit l’idée. Ce sera aux juges du fond de dire, dans chaque affaire ce qui est un acte procédant d’une « gestion courante » comme dit l’arrêt commenté, et ce qui relève d’un investissement, voire d’un acte anormal de gestion. Gageons que, dans plus de 90 % des cas, la dépense considérée sera aisément classable, de sorte que la réponse sera facile à donner.
Ainsi, la présente décision met à l’unisson le principe de libre disposition des revenus de biens propres (question de pouvoirs) avec le jeu d’une éventuelle récompense (question de propriété), alors que jusqu’à la présente décision, pour les fruits revenus de biens propres, un hiatus existait entre la règle de pouvoirs et la règle de propriété. Ce faisant, l’arrêt donne de l’air aux exploitants en nom d’un fonds propre, en leur évitant une double peine, payer les charges de l’entreprise ET payer une récompense à la communauté (soit une majoration de 50 % de sommes pourtant nécessaires pour faire marcher son entreprise…). C’est un retour à la réalité économique en somme.
Il est cependant manifeste que cet assouplissement de la jurisprudence « Authier » ne s’est pas fait sans débats lors du délibéré de la Cour de cassation, tant cette jurisprudence est imprimée au fer rouge dans l’esprit des spécialistes de la matière, outre que la lettre même de l’article 1401 du Code civil, n’invite pas forcément à distinguer entre revenus bruts et nets. Cependant, le changement apporté par la présente décision est heureux, car il soulagera nombre de professionnels qui ont eu l’imprudence d’exercer sans écran sociétaire alors qu’ils sont communs en biens et que leur exploitation est propre. Il existe donc désormais un point d’équilibre entre la préservation de la communauté et la liberté d’exercice de l’époux professionnel exploitant un fonds propre. La jurisprudence « Authier » demeure, mais, appliquée à une exploitation propre, elle est atténuée afin de mieux prendre en compte la réalité économique, faisant disparaître l’extraordinaire injustice qui résultait de l’arrêt du 14 novembre 2007. Voici bien le genre de décision qu’aucun praticien qui navigue dans les eaux dangereuses de la liquidation du régime de communauté ne peut se permettre d’ignorer…
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Réf. : Cass. com., 4 novembre 2021, n° 19-12.342, FS-B (N° Lexbase : A06657BA)
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par Vincent Téchené
Le 17 Novembre 2021
► La recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé contre un tiers est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, c'est-à-dire d'un préjudice qui ne puisse être effacé par la réparation du préjudice social, le seul fait que cet associé agisse sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne suffisant pas à établir le caractère personnel du préjudice allégué.
Faits et procédure. Une société, dont les titres étaient négociés sur un marché réglementé avant que leur cours ne soit suspendu en mars 2008 et que les titres ne soient radiés en janvier 2011, a confié en 2006, à une banque d'affaires et d'investissements, la mission de l'assister dans la réalisation d'une opération d'adossement à un nouvel actionnaire. Ce mandat conclu entre la société, son actionnaire de référence et la banque n'ayant pas été signé, les parties ont conclu le 10 mars 2008 un second contrat de mandat précisant que la mission incluait le travail réalisé depuis deux ans.
La société ayant rencontré des difficultés financières, le tribunal de commerce a ouvert une procédure collective. Estimant que les offres qui lui avaient été présentées par la banque étaient irréalistes et insuffisantes au regard de la valorisation du catalogue de la société et soutenant que la banque avait œuvré dans le but de faire baisser les cours de bourse afin de permettre l'acquisition à vil prix de la société, l’associé de référence l'a assignée en réparation de son préjudice financier et de son préjudice moral, qu'il imputait aux fautes commises par cette société dans l'exécution de son mandat. Après le décès de l’intéressé, ses héritiers ont poursuivi l’action.
La banque a alors formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt d’appel (CA Paris, Pôle 5, 10ème ch., 10 décembre 2018, n° 17/11765 N° Lexbase : A9400YPT) lui reprochant de déclarer l'action recevable, alors que l'action intentée par un associé contre un cocontractant de la société n'est recevable que si un préjudice distinct du préjudice collectif est invoqué et que tel n’est pas le cas en l’espèce. Les héritiers ont, pour leur part, formé un pourvoi incident en raison du rejet de la demande de réparation du préjudice moral.
Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9) et 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43).
Elle rappelle qu’il résulte de ces textes que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé contre un tiers est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, c'est-à-dire d'un préjudice qui ne puisse être effacé par la réparation du préjudice social. Or, selon la Cour, le seul fait que cet associé agisse sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne suffit pas à établir le caractère personnel du préjudice allégué.
Elle relève ensuite que pour déclarer recevable la demande de l’associé en réparation de son préjudice financier, l'arrêt se borne à retenir que ce dernier était une des parties au contrat de mandat en qualité d'actionnaire et qu'il était envisagé de trouver un repreneur pour racheter son bloc de participation au sein du groupe.
Dès lors, en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice financier allégué par l’actionnaire n'était pas, en tout ou partie, le corollaire du préjudice subi par la société du fait de la dépréciation alléguée du catalogue d'œuvres constituant son principal actif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Pour être complet, on relèvera que la Cour de cassation censure également l’arrêt d’appel en ce qu’il a rejeté la demande formée au titre du préjudice moral, au motif qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice distinct de celui qui est réparé au titre du préjudice financier. Or, pour la Haute juridiction, en statuant ainsi, après avoir constaté que la banque avait, par sa faute, terni l'image de l’actionnaire de référence de la société auprès de la presse et des actionnaires, ce dont il résultait un préjudice moral qui n'était pas réparé par l'indemnisation du préjudice financier, la cour d'appel a violé le même article 1382, devenu 1240, du Code civil.
Précisions. La Cour de cassation avait déjà retenu, dans le cadre d’une société coopérative, que l’associé qui agit sur le fondement d’une inexécution du contrat par l’un des cocontractants de la société ne peut obtenir réparation que s’il démontre que son préjudice est personnel et distinct de celui de la personne morale (Cass. com., 8 février 2011, n° 09-17.034, F-P+B N° Lexbase : A7230GWP, D., 2011, 1535, obs. A. Lienhard ; RTD civ., 2011, 350, obs. B. Fages). Ainsi, convient-il de préciser que le préjudice résultant de la dépréciation des titres de la société est nécessairement absorbé par le préjudice social ; il n'en est pas distinct, ni n'est personnel aux associés (Cass. com., 8 octobre 2013, n° 12-18.252, F-D N° Lexbase : A6930KMM). On rappellera que, identiquement, l'action individuelle en responsabilité dont disposent les associés à l'encontre des dirigeants de la société ne peut tendre qu'à la réparation d'un préjudice personnel distinct de celui causé à la personne morale (v. par ex., Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-16.790, FS-P+B N° Lexbase : A7391EIL).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La capacité juridique de la société personne morale, Le droit pour une société d'obtenir réparation d'un préjudice, in Droit des sociétés, (dir. B. Saintourens), Lexbase (N° Lexbase : E1063AWB). |
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