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N9141BY9
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Le 19 Octobre 2021
Lexbase : Quelles mutations identifiez-vous pour votre profession, et comment comptez-vous accompagner vos confrères ?
R. Dupeyré : Les mutations de la profession sont innombrables et rapides : les nouvelles technologies font irruption, le champ d'intervention des cabinets s'étend (conformité, affaires publiques, mandataires immobiliers, sportifs…), de nouveaux concurrents apparaissent sur le marché du droit... Ces transformations créent autant d'opportunités que d'inquiétudes pour les membres du Barreau. L'Ordre est justement l'outil qui, grâce à ses nombreux services, de l'Incubateur au Barreau Entrepreneurial, en passant, entre autres par ses commissions de règlement amiable des conflits et de prévention et traitement des difficultés, doit catalyser les initiatives des uns tout en accompagnant l'évolution des autres.
Julie Couturier et Vincent Nioré, la Bâtonnière et le Vice-Bâtonnier élus, ont notamment pour souhait de créer une commission de la prospective au sein du Barreau ainsi qu'un fonds d'investissement. Ce sont d'excellentes idées au soutien desquelles nous aimerions nous investir. J'ai commencé ma carrière en tant que collaborateur puis associé d'une SCP de niche avant de rejoindre un cabinet anglais coté sur la Bourse de Londres et qui met l'accent sur l'innovation en proposant notamment beaucoup de services parajuridiques. Je suis par ailleurs actionnaire de deux legaltechs (notamment la société Case Law Analytics). Ces différentes expériences très différentes me permettront de contribuer à ses initiatives.
L. Tiry-Hesse : J’ajouterais que les modalités et conditions d’exercice de la profession évoluent, et nous avons su nous adapter très rapidement aux mesures mises en place pendant le premier confinement. Je pense que les confrères souhaitent plus de mobilité dans leur exercice, mais se rendent également compte de l’importance des échanges en présentiel et des synergies dans un métier qui peut être très solitaire. L’ordre doit permettre à chacun d’évoluer, et à tous de se rassembler.
Lexbase : Comment coordonner défense des périmètres du droit et ouverture du marché du droit ?
R. Dupeyré : Je n'ai jamais aimé l'expression « braconniers du droit » pour désigner certaines sociétés s'aventurant sur le marché du droit, car elle renvoie à l'idée que le droit serait un gibier réservé aux seuls avocats. Le droit n'est pas un gibier. C'est la chose de nos concitoyens et, plus généralement, de tous les justiciables. C'est toutefois une matière fragile et de plus en plus complexe. Il faut s'assurer que l'accès au droit est tout à la fois aisé, voire de plus en plus aisé, mais de qualité. La multiplication de textes de « softlaw » et de « compliance » est également venue brouiller les frontières des prestations réservées aux avocats. Le périmètre du conseil juridique personnalisé doit toutefois être défendu, car c'est sur la base de ces conseils que les justiciables prennent des décisions fondamentales pour leur existence. La défense devant les tribunaux doit, elle aussi, rester tant dans l'intérêt des justiciables, que des avocats et des magistrats, le fait des avocats. L'extension récente du champ de la représentation obligatoire me semble ainsi être une bonne chose.
À l'heure (enfin!) de l'open data des décisions de justice, il faut favoriser le développement d'outils nouveaux pour naviguer dans cet environnement de plus en plus compliqué afin de pouvoir donner rapidement des conseils de qualité. C'est pourquoi il nous semble que l'essor de legaltechs et une bonne chose et que les avocats doivent prendre toute leur place dans cette évolution. Le fonds d'investissement du Barreau (qui pourrait peut-être aussi être abondé par d'autres institutions comme la BPI) est une excellente chose.
L. Tiry-Hesse : Je pense que l’ouverture du marché du droit le rend également plus visible pour les justiciables, et qu’il nous donne l’occasion de leur montrer que l’avocat doit être un réflexe. L’ouverture du marché du droit contraint également la profession à se réinventer, que ce soit concernant les nouveaux outils, qu’il faut s’approprier ou développer, les honoraires, que les clients veulent plus transparents et prévisibles, et le positionnement. Sur ces points, nous devons faire preuve d’intelligence et de créativité collectives.
Dans l’intérêt de tous, il est également nécessaire de défendre les périmètres de notre profession qui ne peuvent être automatisés et pour lesquels nos conseils, analyses, et expériences constituent une valeur ajoutée qui ne peut être remplacée. Cette défense passe aussi par celle du secret professionnel.
Lexbase : Quels outils pour la formation des élèves et des avocats ?
L. Tiry-Hesse : À l’EFB, j’ai particulièrement apprécié les enseignements pratiques et non théoriques. Je pense qu’il faut favoriser la participation orale et les ateliers en petits groupes, qui permettent de tisser des liens entre les futurs confrères.
Ensuite, pour les jeunes avocats, je pense que la mise en place d’un « mentoring » permettrait de renforcer la formation déontologique et de se sentir accompagné, surtout après la période que nous avons vécue. C’est un projet également porté par Julie Couturier et Vincent Nioré, et l’association AVO’MENTOR. J’éprouverais beaucoup de plaisir à travailler sur cette question ! Le LAB de l'EFB qui sensibilise maintenant tous les élèves aux enjeux de la transformation de la profession au travers d'exercice pratique en petit groupe pendant deux mois avec le coaching d'expert est également un excellent outil.
R. Dupeyré : Dans ce domaine, il me semble important de ne pas réinventer constamment la roue ! Je ne suis pour ma part jamais allé à l'EFB puisque j’ai bénéficié d’une passerelle après avoir passé le barreau de New York. J'ai survécu !
Le rapport « Clavel/Haeri », remis en octobre 2020, préconise de simplifier, raccourcir et professionnaliser la formation des avocats. Des choses ont été faites, comme le recours à un sujet national. Le rapport préconise toutefois de parachever l'ouvrage en organisant notamment une notation nationale et en raccourcissant la formation « théorique ». Ce sont d'excellentes idées. Il faut maintenant les mettre en œuvre !
Lexbase : Quelle « défense numérique » en face de la « justice numérique » ?
R. Dupeyré : La justice numérique nourrit certaines polémiques. Elle peut toutefois offrir des pistes d'amélioration de l'efficacité de la justice. Le dossier pénal numérique par exemple. Il nous semble que la « défense pénale numérique » gagne à pouvoir utiliser cet outil pour un accès facilité au dossier pénal.
De la même manière, dans certaines affaires civiles et commerciales, l'usage de la visioconférence, avec l'accord de l'ensemble des avocats, peut constituer une alternative intéressante afin de limiter des coûts et déplacements et concentrer le temps des magistrats et des avocats sur le traitement des dossiers. Un des collaborateurs du cabinet est ainsi allé plaider hier une demande de mise hors de cause dans une expertise… à Brest … contre une consœur parisienne. L'un et l'autre ont fait 8 heures de train pour plaider 10 minutes. C'est le type d'affaires dans lesquelles il faudrait privilégier les audiences en ligne.
Tout est bien sûr affaire de mesure et l'Ordre a un rôle majeur à jouer afin de se concerter avec les autres acteurs du procès (magistrats, greffiers…) pour s'assurer que les outils numériques sont des atouts et non des freins à l'accès au droit.
L. Tiry-Hesse : La transformation numérique de la Justice est une vraie avancée lorsqu'elle permet de la rendre plus accessible et plus fluide.
Par ailleurs, la période sanitaire que nous avons vécue a contraint la plupart des cabinets à une certaine dématérialisation de leur activité (pour ceux qui ne l’avaient pas déjà entamée). Je trouve cette évolution positive et intéressante, rien que sur un aspect écologique, si cela est maîtrisé.
En revanche, il est indispensable que le développement du numérique ne se fasse pas au détriment des droits de la défense, du principe du contradictoire ou du secret professionnel. Il est essentiel que les parties ne puissent pas se voir imposer de visioconférence.
Lexbase : Que pensez-vous du discours sur la défiance des citoyens envers la Justice ? Pensez-vous que cette défiance s’applique aux avocats ?
L. Tiry-Hesse : Le manque de confiance en la Justice est un vrai problème. Il est multifactoriel et provient notamment de la question de l’indépendance des magistrats ainsi que du manque de moyens qui engendre des délais extrêmement longs. Il fait partie de notre rôle, et de notre intérêt, de contribuer à rétablir cette confiance lorsque nous le pouvons.
Je pense que, parfois, cette défiance s’applique à l’avocat, mais surtout concernant les honoraires. Par exemple, en consultations gratuites, certains justiciables n’ont pas le réflexe d’aller consulter parce qu’ils ne savent tout simplement pas combien cela va leur coûter. Il est donc primordial de mieux communiquer (institutionnellement et individuellement) sur la convention d’honoraires obligatoire qui rendra le coût prévisible pour le client. C’est aussi toujours un défi de conserver la confiance du client lorsque, même dans le cadre d'une procédure à bref délai, aucune décision n'a été rendue six mois après l'assignation… la clef est donc la communication.
Lexbase : Quelles relations magistrats/avocats ?
R. Dupeyré : De meilleures, c'est certain ! Un certain nombre de facteurs tenant tant aux circonstances (crises sanitaires…) qu'à des incidents isolés (quoique graves) ont contribué à tendre les relations. Julie Couturier propose que des Assises Avocats/Magistrats se tiennent chaque année. Elle a raison. Cela permettrait de prévenir certaines difficultés. Je pense qu'il faut aussi être à l'écoute des demandes des magistrats. La récente proposition de la Direction des affaires civiles et du Sceaux d'imposer une synthèse des écritures en 1 000 mots, sous peine de nullité, était une mauvaise idée. Mais, il faut écouter le message sous-jacent et créer un groupe de travail avocats-magistrats afin de réfléchir ensemble à la structuration des écritures, le but étant de préserver la liberté des avocats tout en s'assurant que leurs écritures sont aussi utiles que possible pour les magistrats au moment de rédiger leurs décisions. La Cour de cassation elle-même a fait évoluer sa façon de rédiger ses arrêts. Ils sont désormais plus lisibles. Je pense qu'il ne faut pas se mettre de barrières a priori dans ce domaine.
L. Tiry-Hesse : Ayant une activité presque exclusivement contentieuse, je tiens particulièrement à notre droit de plaider, et à notre liberté dans la rédaction des conclusions. Nous avons suffisamment de règles de procédures pour nous faire sursauter à chaque réception de conclusions de nullité ou d’irrecevabilité. Mais nous avons également tous conscience du manque de moyens dans la Justice et du manque de magistrats. Nous mettons des mois à obtenir des décisions, les brefs délais sont renvoyés des semaines plus tard. Le dialogue est dans l’intérêt de tous. Je pense qu’il ne s’agit pas de mettre de nouvelles règles contraignantes, mais de savoir comment nous pourrions nous entendre pour une meilleure efficacité.
Lexbase : Remettre le droit au centre de la société : un enjeu ?
R. Dupeyré : Oui, il faut remettre le droit au centre de la société et combattre sans jamais faiblir les tribunaux médiatiques et des réseaux sociaux. Le Barreau compte une commission « Réseaux sociaux » qu'il faut sans doute étoffer afin de contribuer à lutter au mieux contre cette problématique. À la suite de la censure d'une partie de la loi sur les réseaux (ndlr : loi « Avia » N° Lexbase : L4895LXL) par le Conseil constitutionnel, il faudra aussi remettre le travail sur l'ouvrage législatif afin de lutter contre ce phénomène de plus en plus inquiétant. À quoi bon défendre un client après une longue et minutieuse instruction s'il a déjà été condamné par le tribunal médiatique, qui ne connaît ni recours ni oubli.
L. Tiry-Hesse : Je pense que le développement de ce tribunal médiatique est une question sociale. Il participe justement à la défiance de certains citoyens envers la Justice qui préfèrent se tourner vers les réseaux sociaux pour obtenir des réactions immédiates, fortes, et publiques. Il y a un gros travail de pédagogie et de communication pour expliquer aux justiciables les travers et risques de ces pratiques.
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Réf. : Cass. civ. 3, 13 octobre 2021, n° 20-12.901, FS-B (N° Lexbase : A3353493)
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N9138BY4
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par Vincent Téchené
Le 20 Octobre 2021
► L’extension, au cours du bail expiré, d’une terrasse de plein air devant un établissement de restaurant-bar-brasserie, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative, ne peut être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu’elle ne faisait pas partie de ceux-ci ;
Toutefois, l’autorisation municipale accordée, en permettant d’étendre l’exploitation d’une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l’activité commerciale, de sorte que cette situation peut modifier les facteurs locaux de commercialité et constituer par là-même un motif de déplafonnement du loyer du bail renouvelé.
Faits et procédure. Des bailleurs ont accepté, à compter du 1er novembre 2011, le renouvellement du bail commercial dont une société, exploitant un commerce de restaurant-bar-brasserie, était bénéficiaire, moyennant la fixation d'un loyer déplafonné. Ils ont, ensuite, assigné la locataire en fixation, selon la valeur locative, du loyer du bail renouvelé.
Les bailleurs ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel qui a rejeté leur demande tendant à la fixation d’un loyer déplafonné (CA Besançon, 11 septembre 2019, n° 18/00219 N° Lexbase : A4659ZNU).
Décision. La Cour de cassation approuve d’abord la cour d’appel d’avoir retenu que l’extension, au cours du bail expiré, de la terrasse de plein air devant l'établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative, ne pouvait être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu’elle ne faisait pas partie de ceux-ci.
En revanche, elle censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 145-33 (N° Lexbase : L5761AI9), L. 145-34 (N° Lexbase : L5035I3U) et R. 145-6 (N° Lexbase : L0044HZN) du Code de commerce. Elle rappelle que, selon ces textes, la valeur locative est déterminée notamment au regard des facteurs locaux de commercialité dont l’évolution notable au cours du bail expiré permet, si elle a une incidence favorable sur l’activité exercée dans les locaux loués, d’écarter la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé et de le fixer selon la valeur locative.
Or, pour rejeter la demande des bailleurs, l’arrêt d’appel a retenu que, parmi les quatre critères d'évaluation utiles, les bailleurs invoquent seulement la modification des caractéristiques du local loué.
Mais pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, alors que l’autorisation municipale accordée, en permettant d’étendre l’exploitation d’une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l’activité commerciale, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, comme elle y était pourtant invitée, si cette situation modifiait les facteurs locaux de commercialité et constituait par là-même un motif de déplafonnement, n’a pas donné de base légale à sa décision.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les exceptions au plafonnement du loyer commercial renouvelé, Les modifications des facteurs locaux de commercialité justifiant un déplafonnement du loyer commercial, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase (N° Lexbase : E0147AGK). |
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newsid:479138
Réf. : TJ Paris, référé, 18 octobre 2021, n° 21/52480 (N° Lexbase : A350949T)
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N9137BY3
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac
Le 27 Octobre 2021
► Par jugement du 18 octobre 2021 rendu en la forme des référés, le tribunal judiciaire de Paris condamne société Booking.com BV à 1 234 000 euros d'amende pour avoir méconnu certaines dispositions du Code du tourisme en ne transmettant pas dans les délais impartis les informations portant sur 3 085 meublés touristiques sollicitées par la Ville de Paris.
Faits et procédure. La Ville de Paris a assigné, en janvier 2021, la société Booking.com BV devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond.
Estimant qu’elle méconnaissait les dispositions de l’article L. 324-2-1 du Code de tourisme (N° Lexbase : L6613LX9) en ne transmettant pas dans les délais impartis les informations portant sur 3 085 meublés touristiques sollicitées par la Ville de Paris sur le fondement des dispositions de l’article L. 324-2-1, II, du Code du tourisme, du décret n° 2019-1104 du 30 octobre 2019 (N° Lexbase : Z965758U) et de l’arrêté du 31 octobre 2019 (N° Lexbase : L3481LT4) précisant le format des tableaux relatifs aux transmissions d’informations prévues par les articles R. 324-2 (N° Lexbase : L3585LTX) et R. 324-3 (N° Lexbase : L8344LYP) du Code du tourisme (nombre de jours au cours desquels un meublé de tourisme a fait l’objet d’une location, notamment), la Ville de Paris a demandé sa condamnation à une amende civile de 154 250 000 euros (équivalent à 50 000 euros d'amende par meublés) dont le produit lui soit intégralement versé.
Décision. Par jugement du 18 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a condamné la société Booking.com BV à payer une amende civile de 1 234 000 euros et a dit que le produit de l’amende serait versé à la Ville de Paris en application des dispositions du Code du tourisme. En effet, il a retenu que la société avait tardé à communiquer les données demandées permettant un traitement efficace de la demande de la mairie, en application de la loi, à laquelle elle est tenue de se conformer dès son entrée en vigueur. Il a relevé en particulier la rapidité des modifications législatives s’imposant aux plateformes d’intermédiation en location meublée touristique pour limiter l’amende à 400 euros par annonce, soit 1 234 000 euros (loin du montant de l'amende demandée par la ville de Paris).
Par ailleurs, le tribunal judiciaire de Paris a :
À savoir. En juillet dernier, la société Airbnb avait été condamnée à 8 millions d'euros d'amende pour publication d’annonces sans numéro de déclaration (TJ Paris, référé, 1er juillet 2021, n° 19/54288 N° Lexbase : A74934XS ; lire M.-L. Hardouin-Ayrinhac, Lexbase Droit privé, juillet 2021, n° 872 N° Lexbase : N8190BYY). |
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Réf. : Cons. const., décision n° 2021-940 QPC, du 15 octobre 2021 (N° Lexbase : A324349Y)
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N9139BY7
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par Marie Le Guerroué
Le 19 Octobre 2021
► Le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution l'obligation pour les transporteurs aériens de réacheminer un ressortissant étranger dont l'entrée en France a été refusée, qui n'a ni pour objet ni pour effet de leur confier une mission de surveillance ou de contrainte ; cette obligation ne méconnaît pas l'interdiction de déléguer l'exercice de la force publique à des personnes privées, qualifiée en des termes inédits par le Conseil constitutionnel de principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 juillet 2021 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (CE 2° et 7° ch.-r., 9 juillet 2021, n° 450480, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A70954YG) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 213-4 (N° Lexbase : L5834G4T) et du 1 ° de l'article L. 625-7 (N° Lexbase : L9208K4S) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En application de l'article 26 de la Convention d'application de l'accord de Schengen, les États signataires se sont engagés à instaurer l'obligation pour les entreprises de transport de « reprendre en charge sans délai » les personnes étrangères dont l'entrée sur le territoire de ces États a été refusée et de les ramener vers un État tiers. Les dispositions contestées de l'article L. 213-4 du CESEDA (N° Lexbase : L5834G4T) visent à assurer la transposition de la Directive n° 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 en prévoyant que l'entreprise de transport aérien ou maritime est tenue de ramener une personne étrangère non ressortissante d'un État membre de l'Union européenne en cas de refus d'entrée sur le territoire national. La société requérante et l'association intervenante reprochaient notamment à ces dispositions d'obliger les entreprises de transport aérien à réacheminer les personnes étrangères auxquelles l'accès au territoire national a été refusé, le cas échéant en exerçant des contraintes sur celles dont le comportement présente un risque pour la sécurité à bord de l'aéronef.
Sur la compétence. Le Conseil constitutionnel précise dans un premier temps ne pas être compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une Directive ou des dispositions d'un règlement de l'Union européenne. Il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette Directive ou ce règlement des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne (N° Lexbase : L3059INM). À cette aune, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées, qui ne portent que sur l'obligation faite aux transporteurs de réacheminer des personnes étrangères, se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la Directive du 28 juin 2001. Par conséquent, faisant application de sa jurisprudence constante, le Conseil juge qu'il n'est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où ces dispositions mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l'Union européenne, est inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.
Sur le fond. Le Conseil ajoute que la décision de mettre en œuvre le réacheminement d'une personne non admise sur le territoire français relève de la compétence exclusive des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière. En application des dispositions contestées, les entreprises de transport aérien ne sont tenues, à la requête de ces autorités, que de prendre en charge ces personnes et d'assurer leur transport. Ainsi, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant des seules compétences des autorités de police. Elles ne privent pas non plus le commandant de bord de sa faculté de débarquer une personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre de l'aéronef, en application de l'article L. 6522-3 du Code des transports (N° Lexbase : L6127INA). Le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 12 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1359A99) doit donc être écarté. Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant ces mêmes exigences. Les dispositions contestées sont donc déclarées conformes à la Constitution.
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Réf. : Cass. civ. 1, 29 septembre 2021, n° 20-18.954, F-D (N° Lexbase : A045848H)
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N8983BYD
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par Aude Lelouvier
Le 19 Octobre 2021
► Si la loi d’autonomie en matière contractuelle peut résulter d’un choix exprès, elle peut également résulter d’un choix tacite des parties résultant des dispositions du contrat et des circonstances de la cause.
La Cour de cassation revient sur sa jurisprudence relative au choix tacite de la loi d’autonomie en matière contractuelle (v. Cass. com., 8 juin 2010, n° 08-16.298, F-D N° Lexbase : A5608489 et Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 94-42.340 N° Lexbase : A6494AHY). Toutefois, c’est l’occasion pour les Hauts magistrats de retenir une application originale d’un choix tacite résultant à la fois des dispositions du contrat et des circonstances de la cause.
Dans cet arrêt, une société française était contractuellement liée avec une société algérienne pour la distribution de ses produits en Algérie, sans que le contrat ne mentionne de choix de loi. À la suite de la résiliation du contrat par la société française, un contentieux est né générant une difficulté sur la loi applicable.
La cour d’appel de Paris, par arrêt du 3 juin 2020 (N° Lexbase : A77583MB), a retenu la loi française applicable considérant qu’il résultait avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause que les parties ont entendu soumettre leurs relations contractuelles à la loi française. La société algérienne formait un pourvoi en cassation considérant que les juges du fond, en l’absence de choix de loi, auraient dû appliquer les dispositions internationales applicables à défaut de choix de loi.
La difficulté consistait donc à déterminer si la loi d’autonomie pouvait résulter d’un choix tacite. Les magistrats du Quai de l’Horloge répondent par la positive et considèrent alors que la cour d’appel pouvait justement écarter l’application de l’article 6 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats intermédiaires et à la représentation (N° Lexbase : L6789BHW), ainsi que l’article 4 du Règlement CE n° 593/2008 (N° Lexbase : L7493IAR), qui permettent de déterminer la loi applicable à défaut de choix d’une loi par les parties.
En effet, comme le rappelle la Haute cour, l’article 5 de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats intermédiaires et à la représentation et l’article 3, § 1, du Règlement (CE) n° 593/2009 retiennent comme loi applicable au contrat la loi d’autonomie, laquelle résulte d’un choix exprès ou résulte de façon certaine :
- des dispositions du contrat et des circonstances de la cause en vertu de la Convention de la Haye ou ;
- des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause en vertu du Règlement CE n° 593/2008.
Ainsi, dès lors que les juges du fond ont souverainement apprécié qu’il résultait des dispositions du contrat et des circonstances de la cause que les parties avaient eu la volonté de choisir la loi française pour leurs relations contractuelles, et ils pouvaient retenir cette loi comme applicable au contrat. En d’autres termes, la Cour de cassation rappelle aux parties que le choix de loi ne saurait résulter uniquement d’un choix exprès ! Il peut tout aussi bien résulter d’un choix tacite…
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newsid:478983
Réf. : Cass. com., 29 septembre 2021, deux arrêts n° 20-12.291, F-B (N° Lexbase : A043048G) et n° 20-12.292, F-D (N° Lexbase : A044548Y)
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N9050BYT
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par Vincent Téchené
Le 18 Octobre 2021
► Aucune forme particulière n'étant prévue pour la ratification de la déclaration faite en son nom par un créancier, a nécessairement ratifié cette dernière le créancier qui a demandé l'admission de sa créance dans ses conclusions d'appel signées et notifiées par son avocat.
Faits et procédure. Une banque a, par l'intermédiaire d'un salarié, déclaré au passif d’une société en liquidation judiciaire une créance correspondant au solde d'un prêt. Cette créance a été contestée par le mandataire judiciaire au motif que le salarié déclarant n'était pas titulaire d'une délégation de pouvoir régulière, celle qu'il avait obtenue du dirigeant de la banque étant devenue caduque à la suite de l'absorption de cette dernière.
Le liquidateur a alors formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt d'appel ayant admis la créance contestée (CA Lyon, 5 décembre 2019, deux arrêts, n° 19/01218 N° Lexbase : A0635Z7N et n° 19/01223 N° Lexbase : A1263Z7W).
Décision. La Cour de cassation rejette le pourvoi en substituant un motif de pur droit à ceux critiqués.
Elle rappelle que selon l'article L. 622-24, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L8803LQ4), dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 (N° Lexbase : L7194IZH), le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu'à ce que le juge statue sur l'admission de la créance et aucune forme particulière n'est prévue pour cette ratification, qui peut être implicite. Ainsi, selon la Cour, l'arrêt ayant constaté que la société créancière absorbante a, dans ses conclusions d'appel signées et notifiées par son avocat, demandé l'admission de sa créance, il en résulte qu'elle a nécessairement ratifié la déclaration de créance faite en son nom.
Précisions. La Cour de cassation opère, ici, un rappel. Elle a en effet posé ce principe dans un précédent arrêt du 10 mars 2021 (Cass. com., 10 mars 2021, n° 19-22.385, FS-P N° Lexbase : A01274LB ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, mars 2021, n° 670 N° Lexbase : N6879BYG). Comme le relève le Professeur Le Corre, dans son commentaire de l'arrêt du 10 mars 2021, « les difficultés ne pourraient donc exister en pratique que si le créancier n’est pas assisté par un avocat devant le premier juge. Il est alors impératif que celui qui s’exprime au soutien des intérêts du créancier ait bien le pouvoir de le représenter en justice. C’est à ce prix seulement que la ratification pourra opérer, sauf à ce que le créancier, par l’intermédiaire d’une personne habilitée à déclarer la créance, ratifie la déclaration faite par le déclarant sans pouvoir ».
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les modalités et le contenu de la déclaration de créance, L'allègement des conditions de déclaration par un tiers : la ratification de la déclaration faite au nom du créancier, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase (N° Lexbase : E3273E4Y). |
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Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 4 octobre 2021, n° 453368, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A211148P)
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N9048BYR
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par Marie-Claire Sgarra
Le 19 Octobre 2021
► Les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association sont exonérées de la CVAE dès lors que :
► La seule forme juridique d'une entité, indépendamment des conditions dans lesquelles elle exerce sa propre activité, ne permet pas de déterminer si elle doit être regardée comme une entreprise commerciale.
Les faits. À l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a notifié, selon la procédure de taxation d'office, à une association, dont l'objet statutaire est l'enseignement supérieur et la recherche en gestion et en management des organisations, des rappels de CVAE. Le tribunal administratif de Grenoble rejette la demande en décharge de ces impositions. La cour administrative d’appel de Lyon a prononcé la décharge partielle (CAA Lyon, 8 avril 2021, n° 18LY04681 N° Lexbase : A69294WK).
🔎 Principe. Ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année civile au titre de leurs activités lucratives n'excède pas 60 000 euros (CGI, art. 206 N° Lexbase : L8677L47).
⚖️ Solution du Conseil d’État
👉 Même dans le cas où l'association intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, elle continue de bénéficier de l'exonération de CVAE si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales :
👉 « Pour juger que les services rendus par l'association requérante n'étaient pas offerts en concurrence avec le secteur commercial, sur la seule forme juridique des organismes fournissant des prestations similaires dans la même zone d'attraction géographique, sans rechercher si, eu égard aux conditions dans lesquelles elles exerçaient leur propre activité, ces entités devaient être regardées comme des entreprises commerciales, la cour a commis une erreur de droit ».
💡 S'agissant du renvoi, pour la définition des redevables de la CVAE, à celle des redevables de la cotisation foncière des entreprises, le CE a rappelé que pour apprécier la qualité de redevable de la CVAE, l’article 1447 du CGI (N° Lexbase : L0819IPZ) renvoi à la définition du redevable de la CFE, laquelle exclue les organismes sans but lucratif (CE 9° et 10° ch.-r., 12 février 2020, n° 420605, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A72893EP). |
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Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 6 octobre 2021, n° 450379, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A343848T)
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N9061BYA
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par Laïla Bedja
Le 19 Octobre 2021
► Il résulte des articles L. 5422-13 (N° Lexbase : L2771H9I) et L. 5422-16 (N° Lexbase : L0260LML) du Code du travail que Pôle emploi assure pour le compte de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage le recouvrement des contributions dues par les employeurs des salariés engagés à titre temporaire relevant des professions de la production cinématographique, de l'audiovisuel ou du spectacle ; la décision de « radiation » du « compte employeur » que Pôle emploi prend à l'égard d'une entreprise se présentant comme employeur de tels salariés ne revêt pas le caractère d'une sanction à l'égard de cet employeur mais lui ferme la voie du versement des contributions à l'assurance chômage au titre du régime dont ces salariés relèvent ; elle se rattache donc à la mission que Pôle emploi exerce en qualité d'organisme chargé du recouvrement pour le compte de l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage en vue du versement des prestations auxquelles ont droit les travailleurs privés d'emploi ; il en résulte qu'il n'appartient qu'au juge judiciaire de connaître de la contestation d'une telle décision.
Les faits et procédure. Par deux décisions du 31 août 2020, deux sociétés ont vu leur « compte employeur » radié par le centre de recouvrement cinéma spectacle de Pôle emploi au motif que celles-ci n’avaient pas la qualité d’employeur permettant d’émettre à ce titre des attestations pour les artistes ou techniciens du spectacle. Les sociétés ont alors contesté les décisions devant le tribunal administratif qui a rejeté leurs conclusions comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Incompétence. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction confirme l’incompétence du juge administratif pour statuer sur ce litige. Il appartient au juge judiciaire de connaître de ce contentieux.
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