La lettre juridique n°865 du 20 mai 2021

La lettre juridique - Édition n°865

Droit pénal général

[Jurisprudence] Trouble mental, usage de stupéfiants et irresponsabilité pénale : la raison et l’émotion

Réf. : Cass. crim., 14 avril 2021, n° 20-80.135, FS-P+I (N° Lexbase : A25434PU)

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N7512BYU

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par Jean-Christophe Saint-Pau, Professeur à l’Université de Bordeaux (ISCJ), Doyen de la faculté de droit et science politique, Président de l’Association française de droit pénal, Président de la conférence des doyens

Le 19 Mai 2021


Mots-clés : trouble psychique • non-imputabilité • non-culpabilité • défense d'aliénation mentale • défense d'intoxication • droit pénal canadien • origine fautive • stupéfiants • intention • imprudence • discernement • abolition • expertise médicale

Selon la Cour de cassation, l’article 122-1 du Code pénal ne distingue pas selon l’origine du trouble ayant aboli le discernement. Il s’en suit que le texte vise indifféremment le trouble pathologique et toxicologique, alors qu’il serait possible, à l’instar du droit canadien, de distinguer une maladie mentale et une intoxication, et ainsi une cause de non-imputabilité excluant tout procès et une cause de non-culpabilité supposant une discussion contradictoire devant une juridiction de jugement. L’irresponsabilité pénale fondée sur un trouble toxicologique s’étend certainement aux infractions intentionnelles qui ne peuvent être caractérisées en raison de la faute antérieure de l’agent, mais la responsabilté pénale pour une infraction non intentionnelle, et en particulier l’homicide involontaire, reste envisageable sur le fondement de l’intoxication volontaire qui peut constituer une faute délibérée ou caractérisée ayant contribué à créer une situation ayant permis la réalisation du dommage.

L’indifférence de l’origine toxicologique et fautive du trouble s’explique par la prépondérance de l’abolition du discernement au moment des faits. La responsabilité pénale suppose, au-delà de la simple perception du réel, la capacité de discerner le bien du mal, et ainsi une conscience infractionnelle. C’est cette aptitude morale qui justifie l’irresponsabilité de l’agent qui, pourtant, a bien eu conscience de la matérialité de ses actes, et de la religion de sa victime, sans toutefois y donner un sens rationnel. L’abolition de cette aptitude, qui doit être démontrée par la personne poursuivie, est appréciée souverainement par les juges du fond qui doivent se livrer à une analyse concrète. La conviction du juge ne peut résulter de la simple appartenance d’une pathologie à un classement médical, et n’est pas liée par un rapport d’expertise. C’est au regard de la convergence des rapports des sept experts, concluant à une bouffée délirante de l’agent au moment des faits, que l’irresponsabilité pénale est constatée, en même temps que la commission des faits, présentant la figure d’un meurtre antisémite. Cette rationalité juridique, qui heurte l’émotion, invite à une réflexion visant à envisager distinctement l’intoxication volontaire pour permettre un débat judiciaire.


 

Alors même que les faits de cette affaire médiatisée sont connus, et repris dans les savants et volumineux rapports et avis annexés à la décision et les premiers commentaires [1], leur relation précise est nécessaire pour prendre toute la mesure d’un arrêt se fondant sur la raison, au-delà de l’émotion.

Fumeur régulier de cannabis depuis l’âge de 16 ans, et ayant consommé une dizaine de joints la veille des faits, un individu de confession musulmane (Kobili Traoré), qui a oublié ses clefs, sonne à la porte d’un voisin qui, le reconnaissant, lui ouvre sa porte dans la nuit du 3 au 4 avril 2017. S’engouffrant alors dans l’appartement, il verrouille la porte, conserve la clef et crie en Arabe que « Satan soit banni », puis récite le Coran pendant une vingtaine de minutes. Effrayée, la famille se réfugie dans une chambre, et appelle la police. L’individu décide alors d’aller sur le balcon et de l’enjamber sans savoir chez qui il allait se retrouver. Marchant dans ce second appartement, il y aperçoit une Torah et un chandelier, qui selon ses dires l’ont oppressé, ainsi qu’une femme de confession juive de 65 ans, Sarah Halimi, qu’il connaissait depuis de nombreuses années et à laquelle il demande d’abord d’appeler la police au motif d’un danger d’agression. Puis, en désaccord sur l’adresse des lieux et voyant dans cette victime le « Sheitan » (le diable), il se mit à la frapper avec le téléphone, et avec ses poings, avant de la soulever et de la jeter par la fenêtre en criant « tu vas fermer ta gueule, grosse pute, salope, tu vas payer », ainsi que « Allah Akbar » et « que dieu m’en soit témoin », et enfin « tu vas payer, c’est pour venger mon frère ». Des passants entendirent enfin l’individu dire « appelez la police, elle s’est suicidée ».

L’individu s’en retourna ensuite dans le premier appartement où il fut interpellé par la police judiciaire, alors qu’il hurlait et récitait des versets du Coran. Ne pouvant être entendu en garde à vue, il fut dirigé dans un hôpital pour des examens médicaux ou une expertise toxicologique indiqua qu’il était sous l’influence de l’effet psychotrope du cannabis au moment du prélèvement, c’est-à-dire le jour des faits, sans toutefois qu’il soit scientifiquement possible d’estimer de façon raisonnable le niveau de consommation.

Une information judiciaire est ouverte le 14 avril 2017 des chefs d’homicide volontaire et de séquestration avec absence de libération volontaire avant le septième jour. En raison de son état de santé mentale incompatible avec une audition, l’auteur des faits n’est mis en examen que le 10 juillet 2017. Lors de son premier interrogatoire, réalisé dans l’enceinte de l’hôpital, l’individu déclara qu’il ne sentait pas bien deux jours avant les faits, et qu’il était comme possédé, marabouté et craignait l’entourage. Il avait fumé une dizaine de joints la veille des faits, était allé à la mosquée avec un ami pour calmer ses angoisses, avait regardé un film violent (The punisher), avant de se rendre sur le lieu des crimes vers 3 heures 30 du matin.

Le 20 septembre 2017, le parquet prenait des réquisitions supplétives aux fins de mise en examen de l’individu du chef d’homicide volontaire avec cette circonstance que les faits ont été commis à raison d’une appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée. Interrogé le 27 février 2018 par les juges d’instruction, en présence de personnels hospitaliers, l’individu ne savait pas si les paroles qu’il avait prononcées telles que « Dieu m’en soit témoin Allah Akbar », entendues par les témoins, étaient liées aux démons qui le poursuivaient. À l’issue de cet interrogatoire, l’auteur des faits était mis en examen pour homicide volontaire au préjudice de Sarah Halimi avec cette circonstance que les faits ont été commis à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée.

Trois expertises psychiatriques étaient diligentées alors que l’individu était hospitalisé sans son consentement dans une unité pour malade difficile.

Le premier expert formule, en septembre 2017, deux séries de conclusions. D’une part, il évoque « une bouffée délirante aiguë » […)], trouble psychotique induit par l’augmentation de la consommation de cannabis », en ajoutant que « la bouffée délirante aiguë n’est pas l’ivresse cannabique », mais la réaction psychique à un moment donné, à la consommation habituelle du sujet. Dépassant la seule analyse médicale, il déclare : « En dépit du caractère indiscutable du trouble mental aliénant, son discernement ne peut être considéré comme ayant été aboli au sens de l’article 122-1, alinéa 1, du Code pénal (N° Lexbase : L9867I3T), du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis, de surcroit récemment augmentée ». D’autre part, ce premier expert estime que « l’existence avérée d’une bouffée délirante aiguë n’est pas incompatible avec une dimension antisémite » : « un crime peut être délirant et antisémite ». Mais il note que rien ne confirme chez le sujet un antisémitisme habituel, concluant que la victime « n’avait peut-être pas été recherchée et tuée parce que juive », son « entrée dans l’appartement s’étant télescopé avec la thématique délirante l’associant immédiatement au diable ».

La deuxième expertise est confiée à un groupe de trois experts qui conclut en juin 2018 que « l’infraction reprochée est en lien avec le trouble psychotique bref, dont il était atteint au moment des faits. Cette bouffée délirante s’est avérée inaugurale d’une psychose chronique, probablement schizophrénique ». En désaccord avec le premier expert, ils concluent que « ce trouble psychotique a aboli son discernement au sens de l’article 122-1 du Code pénal », estimant que la consommation de cannabis « n’a fait qu’aggraver le processus psychotique déjà amorcé », et que l’agent avait peu conscience de la dangerosité du produit dont il était dépendant : il était consommateur chronique depuis l’entrée dans l’adolescence et c’est au moment des faits qu’il a pour la première fois déliré ».

Une troisième expertise, sollicitée par les parties civiles, réalisée par un collège de trois experts le 18 mars 2019, conclut que « L’infraction reprochée ne peut être mise en relation avec une pathologie mentale chronique ; mais apparaît en lien direct avec une bouffée délirante aiguë d’origine exotoxique » [… ] orientant classiquement vers une abolition discernement au sens de l’article 122-1, alinéa 1, du Code pénal : compte tenu qu’au moment des faits son libre arbitre était nul et qu’il n’avait jamais présenté de tels troubles antérieurement ».

Alors que le procureur de la République requérait la mise en accusation devant la cour d’assises de Paris pour homicide volontaire aggravé par le mobile religieux et pour séquestration arbitraire, les juges d’instruction estimèrent qu’il existait des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal, écartèrent la circonstance aggravante, et qualifièrent les faits d’homicide (simple) et de séquestration. Sur appel des parties civiles et du parquet, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris jugea : d’une part qu’il existait des charges suffisantes contre l’auteur d’avoir volontairement donné la mort à la victime avec la circonstance aggravante d’antisémitisme et d’avoir séquestré une famille ; d’autre part que l’individu était irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits. L’hospitalisation complète de l’auteur fut ordonnée, ainsi que l’interdiction d’entrer en contact avec les parties civiles pendant une durée de vingt ans.

Les pourvois en cassation développent plusieurs moyens, analysés dans le rapport et l’avis annexés à la décision, et qui critiquent l’application de l’article 122-1 du Code pénal. Parmi le flot d’arguments développés, il est essentiellement soutenu que la consommation de stupéfiants n’est pas un trouble mental au sens du texte ci-dessus, qu’elle est constitutive d’un délit et d’une circonstance aggravante, et ainsi d’une faute antérieure à l’abolition du discernement qui neutralise l’article 122-1 du Code pénal. Une contradiction résiderait par ailleurs dans la qualification pénale retenue d’homicide aggravé par un mobile antisémite, impliquant une perception du réel, et la constatation d’un trouble mental ayant aboli le discernement.

Rejetant les pourvois, la Cour de cassation estime d’abord que les énonciations des juges du fond, fondées sur les témoignages et expertises, permettent de justifier la qualification pénale retenue d’homicide aggravé, et notamment le mobile antisémite et religieux. C’est bien en considération de la religion juive que l’auteur a donné la mort à la victime qu’il a associée au diable. Ces faits ne peuvent cependant être imputés moralement à l’auteur en application de l’article 122-1 du Code pénal qui se révèle applicable car « il ne distingue pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition du discernement ». Or les juges du fond, s’appuyant sur les conclusions unanimes des experts qui concluent à une « bouffée délirante » au moment des faits, et constatant qu’il n’était pas établi que la consommation de cannabis ait été effectuée avec la conscience que cet usage puisse entrainer un trouble, ont conclu qu’il n’existe pas de doute sur l’existence chez l’individu, au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Cette décision déclare ainsi que l’irresponsabilité pénale ne dépend pas de l’origine du trouble mental, qui est ainsi indifférente (I), mais de ses effets sur le discernement, qui sont ainsi prépondérants (II).

I. Indifférence de l’origine du trouble psychique ou neuropsychique

Selon la Cour de cassation, « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1, du Code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition du discernement ». Le trouble peut donc avoir une origine toxicologique et illicite.

A. L’indifférence de l’origine toxicologique du trouble psychique ou neuropsychique

1) Distinction du trouble pathologique et toxicologique

La règle signifie en premier lieu que le champ d’application du texte n’est pas limité au regard de la nature pathologique du trouble, ainsi que le prétendait l’un des moyens au pourvoi. Il était en effet soutenu que les articles 706-119 (N° Lexbase : L7475LPK) et suivants du Code de procédure pénale renvoient à la notion de trouble mental et au Code de la santé publique qui distingue la « lutte contre les maladies mentales » (CSP, art. L. 3211-1 N° Lexbase : L4891LW3 à L. 3251-6 N° Lexbase : L7021IQ4) de « la lutte contre l’alcoolisme » (CSP, art. L. 3311-1 N° Lexbase : L2895DKG à L. 3355-8 N° Lexbase : L3302DLU) et de la « lutte contre la toxicomanie » (CSP, art. L. 3411-1 N° Lexbase : L6808IGA à L. 3425-2 N° Lexbase : L7677LPZ).

Selon l’avis substantiel de l’avocate générale annexée à la décision [2], cette restriction ne correspond pas à la conception doctrinale classique qui envisageait, au titre des causes non-imputabilité, non seulement la démence visée à l’article 64 de l’ancien Code pénal, mais également les états qualifiés de voisins, tels que les troubles du système nerveux (hystérie, somnambulisme), ou encore l’ivresse [3]. La Cour de cassation admet ainsi classiquement que « l’aliénation mentale consécutive à l’ivresse est souverainement appréciée par la juridiction de jugement » [4]. Cette conception extensive se retrouve dans la doctrine moderne, estimant que l’article 122-1 du Code pénal reprend les solutions acquises sous l’empire de l’article 64 de l’ancien Code pénal [5], et vise les troubles pathologiques et « non pathologiques » [6], et ainsi toxicologues [7]. En d’autres termes, la formule empirique « trouble psychique ou neuropsychique » n’entend pas seulement renvoyer à la maladie mentale, mais aussi à d’autres facteurs pouvant provoquer une perte de discernement tel le sommeil, l’ivresse, l’hypnose ou le somnambulisme naturel [8].  

Cette position peut cependant être nuancée. Si les auteurs classiques évoquaient, d’un côté, la démence, expressément visée à l’article 64 de l’ancien Code pénal, et, d’un autre côté, les « états voisins » de la démence, c’est précisément que la première notion n’englobait pas nécessairement les secondes. Le rapprochement s’opérait par leur effet commun, l’irresponsabilité, en indiquant que son fondement pouvait être différent. Pierre Bouzat et Jean Pinatel déclarent ainsi, à propos des états voisins de la démence : « Si l’on s’accorde à reconnaître que ces états entrainent l’irresponsabilité, tout comme la démence proprement dite, on se demande comment la justifier. Les juges doivent-ils viser, comme s’il s’agissait de la démence, l’article 64 du Code pénal, ou, au contraire, se contenter de recourir au principe général que sous-tend la loi française, d’après lequel il n’y a pas de responsabilité sans faute ? Le mieux est d’adopter l’une ou l’autre solution, suivant qu’il s’agit d’états plus ou moins rapprochés de la démence » [9]. Plus anciennement, Faustin Hélie [10], d’ailleurs cité au soutien d’une position contraire [11], admettait l’irresponsabilité pénale en cas d’ivresse complète, en observant que nous sommes tout à fait dans l’esprit de l’article 64, et quoiqu’il n’y ait pas démence dans le sens technique du mot, c’est-à-dire quoiqu’il n’y ait pas état durable, permanent, habituel, il est clair qu’il n’y ait pas eu intelligence, sentiment, conscience de l’acte… ». Et d’ajouter : « Quel jurisconsulte, par exemple, oserait déclarer coupable de meurtre, c’est-à-dire coupable d’homicide commis volontairement, un homme dans un état d’ivresse… ». Il y aura, si l’on veut, négligence, imprudence, imputabilité civile ; mais où il n’y a pas d’intention de crime, volonté de tuer, volonté d’agir en connaissance de cause, il y aura impossibilité de déclarer l’accusé coupable… ». C’est encore la position de Garçon qui déclare si « l’ivresse n’est pas une excuse légale […] le jury a incontestablement le droit de répondre négativement à la question de culpabilité s’il lui parait que l’ivresse a aboli la responsabilité de l’accusé » [12].  

2) Distinction des causes de non-imputabilité et de non-culpabilité

De là, on aperçoit qu’il conviendrait de distinguer l’irresponsabilité fondée sur la démence, donc sur l’article 64 de l’ancien Code pénal, et l’irresponsabilité fondée sur d’autres troubles s’expliquant par le principe que toute responsabilité pénale est fondée sur libre arbitre, c’est-à-dire que toute infraction suppose « intelligence et volonté » [13]. Là où il n’y a pas de discernement, il ne peut y avoir de volonté coupable, et ainsi d’intention ou d’imprévoyance. La démence est une cause de non-imputabilité alors que les troubles non pathologiques, et en particulier le trouble d’origine toxicologique, sont une cause de non-culpabilité d’un agent qui, ordinairement, est imputable.

Cette distinction peut encore se retrouver dans l’article 122-1 du Code pénal. « On peut comprendre, également, que l’expression légale, visant la cause plutôt que l’effet, désigne uniquement une affection mentale, d’origine physique ou neuropsychique » [14]. Ce n’est pas dire que les autres troubles ne puissent abolir le discernement, mais c’est alors sous un autre angle, et selon un régime différent que l’irresponsabilité pénale serait éventuellement prononcée.

Une chose est de se prononcer sur une cause non-imputabilité, en l’occurrence le trouble psychique ou neuropsychique, qui empêche la réalisation d’un procès et ne peut conduire qu’à une déclaration d’irresponsabilité pénale selon la procédure prévue aux articles 706-119 et s. du Code de procédure pénale, autre chose est d’envisager une cause de non-culpabilité, en l’occurrence la psychose toxique provoquée par l’ivresse, et d’apprécier si elle empêche de qualifier l’intention criminelle. Cette analyse peut conduire à ce qu’une juridiction de jugement soit saisie des faits, et qu’elle apprécie concrètement si le trouble toxicologique a empêché de caractériser la culpabilité morale requise par le texte d’incrimination. Cette démarche n’est pas ignorée par la Cour de cassation qui a anciennement admis la condamnation pour homicide involontaire, d’un conducteur en état d’ivresse, en se retranchant derrière l’appréciation souveraine des juges du fond [15]. Le besoin de procès, invoqué par les victimes, est ainsi satisfait, sans remettre en cause le principe essentiel que toute responsabilité pénale suppose le discernement au moment des faits, et qu’une procédure pénale ne peut être diligentée contre une personne qui n’est pas à même de se défendre.

Le trouble pathologique correspond à un état structurel, qui empêche à la fois l’imputation morale de l’infraction, la réalisation d’une procédure de jugement, et l’accessibilité à la sanction. Le trouble toxicologique, qui ponctuellement, empêche la caractérisation d’une infraction, n’exclut pas nécessairement une procédure ultérieure, et une accessibilité à la peine, dès lors que la personne serait imputable.

3) Défense d’aliénation mentale et défense d’intoxication en droit pénal canadien

Cette dissociation fondée sur la nature et l’origine des troubles se retrouve clairement en droit pénal canadien où « l’intoxication et l’aliénation mentale demeurent deux concepts juridiques distincts » [16]. L’article 16 (1) du Code criminel canadien dispose ainsi que « La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenue alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendait incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais ». Pour appliquer ce texte, la Cour suprême du Canada définit la maladie mentale comme « toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement à l’exclusion toutefois, des états volontairement provoqués par l’alcool ou les stupéfiants, et des états mentaux transitoires comme l’hystérie ou la commotion » [17]. En cas d’intoxication volontaire, l’agent peut invoquer, pour sa défense et en application de l’article 33 (1) du Code criminel canadien, qu’il n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour la perpétration de l’infraction sauf, en cas d’atteinte à l’intégrité physique, lorsqu’il s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence raisonnablement généralement acceptée dans la société canadienne [18].

En application de ces principes, la Cour suprême du Canada a admis, dans l’arrêt « R. c/ Bouchard-Lebrun » du 30 novembre 2011, la condamnation pénale d’un individu qui s’était rendu coupable d’une agression physique sur deux victimes au motif que l’une d’elles portait une croix à l’envers, délire religieux provoqué par la consommation préalable de différentes drogues. Alors que les psychiatres avaient conclu qu’il était atteint d’une sévère psychose toxique le rendant inapte à juger la distinction entre le bien et le mal, la Cour estima que cette intoxication volontaire ne constituait pas un trouble mental, permettant d’invoquer l’irresponsabilité pénale sur le fondement de l’article 16 (1) du Code criminel.

Certes, il est d’abord rappelé que : « une règle traditionnelle de common law subordonne l’imputabilité en matière pénale à la commission d’un acte volontaire par l’accusé » (§ 45), « qu’un comportement humain n’entraine la responsabilité pénale que lorsqu’il représente le produit d’un « choix véritable » ou du « libre arbitre » de son auteur » (§ 48), ou encore que « la responsabilité criminelle n’est appropriée que lorsque l’agent est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien et le mal » (§49).

Toutefois, et au regard de l’article 16 (1) du Code criminel, l’incapacité doit découler d’une maladie de l’esprit, qu’il appartient au juge de qualifier, en toute indépendance par rapport aux expertises médicales. « Le juge du procès n’est pas lié par la preuve médicale puisque celle-ci ne prend pas en considération les éléments d’ordre public qui font partie de l’analyse requise » (§ 62). La qualification ne peut donc dépendre d’un seul diagnostic médical, car cette position conférerait aux experts en psychiatrie le soin de déterminer la portée de la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

Partant, est développée une méthode de qualification du trouble mental reposant sur deux critères, lesquels peuvent s’appuyer sur l’expertise médicale. Le premier, dit « facteur de la cause interne » consiste en une comparaison entre l’accusé et une personne normale. « Dans la mesure où une personne normale aurait également été susceptible de développer une psychose toxique à la suite de la consommation de stupéfiants, les tribunaux pourront plus facilement considérer que le désordre psychique dont a souffert l’accusé avait une origine purement externe, et ne constituait pas une maladie mentale au sens du Code criminel » (§ 72).

Le second outil analytique vise le « facteur du risque subsistant », qui tente d’évaluer la probabilité de récurrence d’un danger pour autrui. « Un état qui comporte un risque vraisemblable de récurrence d’un tel danger se trouve davantage susceptible d’être assimilé à une maladie mentale » (§ 74). « Lorsque la condition préexistante de l’accusé ne nécessite aucun traitement particulier et qu’elle ne constitue pas une menace pour autrui, les tribunaux devraient arriver plus facilement à la conclusion que l’accusé n’était pas malade mentalement au moment des faits » (§ 75). En application de cette méthode de qualification, il est alors jugé que la consommation d’une drogue, en l’espèce un comprimé de poire bleue, représente un facteur spécifiquement externe et qu’une personne normale semble effectivement susceptible de développer une psychose toxique à la suite de la consommation d’un tel comprimé. Ce constat suggère que l’individu ne souffrait pas, au sens juridique, d’un trouble mental au moment des faits. Sous l’angle du second facteur, il apparaît que les symptômes psychotiques de l’auteur se sont estompés, quelques jours après l’agression, et que la condition mentale de l’accusé ne présente pas un quelconque niveau de dangerosité inhérente. La Cour suprême conclut donc : « Les déséquilibres mentaux développés exclusivement en raison d’une intoxication volontaire ne peuvent être considérés comme une maladie mentale au sens juridique, puisqu’ils ne sont pas le produit de la constitution psychique inhérente d’un individu. Il en est ainsi malgré le fait que la science médicale puisse volontiers considérer de tels états comme des maladies mentales » (§ 85).

4) Refus de la distinction des troubles pathologiques et toxicologues

Cette position tranche avec la conclusion péremptoire de l’avocate générale française déclarant : « il ne peut être valablement soutenu que la notion de trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement ou le contrôle de ses actes devrait s’entendre dans un sens restrictif, excluant par principe toute cause d’abolition distincte d’une pathologie psychiatrique, une telle assertion étant contraire à la lettre et à l’esprit du texte, aux conditions historiques de sa production et à son application jurisprudentielle » [19]. Et cette position se retrouve dans la formule de la Cour de cassation jugeant que les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition du discernement ».

Ces affirmations sont assurément excessives. D’abord parce que les références aux auteurs classiques mériteraient de préciser que c’est au regard de leur conséquence commune, l’abolition du discernement, que les états voisins de la démence étaient présentés comme des causes de non-imputabilité, ce qui ne signifie pas qu’ils s’incorporent à la notion juridique de démence. Les états voisins peuvent en effet être compris, comme des causes de non-culpabilité.

Mais c’est surtout la lettre du texte de l’article 122-1 du Code pénal qui invite clairement à qualifier d’abord un trouble psychique ou neuropsychique puis l’abolition ou l’altération du discernement. Ces deux qualifications sont bien distinctes puisque, d’un côté, un trouble physique, par exemple un accident vasculaire cérébral pourrait provoquer une perte de conscience et, d’un autre côté, un trouble psychique ou neuropsychique, peut ne pas provoquer d’abolition, et même d’altération du discernement, parce que le trouble est maitrisé par l’individu (par exemple une personne atteinte de bipolarité, dont l’humeur est canalisée par un traitement, reste une personne dotée de son discernement).

Si les deux notions sont distinctes, il entre dans l’office du juge pénal de les interpréter, l’une et l’autre, sans abandonner la qualification à la science médicale, car une notion juridique dépend également de facteurs philosophiques, moraux et sociaux qui peuvent conduire, comme en droit pénal canadien, à juger que la psychose toxique abolissant le discernement n’est pas toujours un trouble psychique ou neuropsychique au sens de la loi pénale dès lors qu’elle trouve son origine dans une cause externe à la constitution psychique du sujet dont l’état délirant est temporaire. L’imputabilité morale de l’infraction est alors concevable. Ce n’est pas la position de la Cour de cassation qui ne distingue pas en fonction de la cause interne ou externe du trouble, et partant, juge également que son origine illicite est indifférente.

B. L’indifférence de l’origine fautive du trouble psychique ou neuropsychique

Le principe selon lequel l’article 122-1 du Code pénal ne distingue pas quant à l’origine du trouble ayant aboli le discernement conduit, en second lieu, à exclure la prise en considération de la faute antérieure de l’agent consistant dans la consommation volontaire de stupéfiants, incriminée par la loi pénale, position qui est ordinairement soutenue par une importante doctrine [20]. La portée de cette règle suppose cependant de distinguer les infractions intentionnelles et non intentionnelles [21].

1) L’usage de stupéfiants et la qualification de l’intention (meurtre)

Si l’usage de stupéfiants est assurément un délit (CSP, art. L. 3421-1 N° Lexbase : L0676L4S), cette faute pénale est distincte de l’intention requise pour qualifier un meurtre au sens de l’article 222-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2177AML) qui vise le fait de donner volontairement la mort à autrui, c’est-à-dire une intention de tuer. Or celui qui a l’intention de s’enivrer n’a pas l’intention de tuer sauf si l’enivrement constitue une préméditation de l’acte d’homicide qui devient alors un assassinat (boire pour se donner du courage) [22]. En l’espèce, la chambre de l’instruction avait expressément relevé : « Aucun élément du dossier n’indique que cet homicide volontaire ait été prémédité par H….Z… et qu’il se soit rendu dans l’appartement de Madame X…avec l’intention de tuer ».

Certes, l’enivrement volontaire crée ou contribue à créer une situation potentiellement dangereuse, dont l’agent aurait dû avoir conscience ou dont il a pu avoir conscience. Mais cette prévisibilité abstraite ou concrète du résultat n’est pas une intention : il n’y a qu’une imprudence consciente, voire une faute délibérée. La motivation de la chambre de l’instruction, qui est reproduite par la Cour de cassation (§ 26) laisse cependant entendre que la consommation antérieure de cannabis pourrait entrainer la responsabilité d’un meurtre consécutif si elle a été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entrainer une telle manifestation. La porte serait donc ouverte à l’admission exceptionnelle de la faute antérieure consciente [23].

Mais envisager la condamnation pour meurtre d’une personne qui commet une faute contributive d’un homicide accompli dans un état inconscient revient à imputer une infraction intentionnelle à une personne qui n’a commis qu’une faute d’imprudence, dont le caractère délibéré n’en transforme pas la nature. L’imputation d’une faute antérieure d’imprudence, même consciente, pour qualifier un meurtre est ainsi contraire à la lettre de l’article 222-1 du Code pénal, en même temps qu’à l’article 122-1 qui rappelle un principe général du droit exprimant que tous les éléments constitutifs d’une infraction doivent être caractérisés au moment des faits [24]. Qu’un individu soit conscient d’une imprudence avant les faits, n’empêche pas de constater qu’il est inconscient au moment des faits, et ainsi incapable de vouloir la mort d’autrui en accordant un sens moral à cet acte.

La position de la Cour de cassation est ainsi rationnelle et conforme au droit positif. L’examen minutieux de l’ensemble de la jurisprudence par l’avocate générale montre en effet qu’il n’existe aucune véritable jurisprudence, et surtout aucun arrêt de la Cour de cassation, qui aurait fait application de la théorie de la faute antérieure pour exclure l’irresponsabilité pénale d’un auteur d’infraction intentionnelle dont le discernement aurait été aboli ; une partie de la doctrine [25] ne procédant que par analogie de solutions classiques admises en matière d’état de nécessité [26] et de contrainte [27], et survalorisant une décision d’un simple tribunal correctionnel [28].

Certes, la Cour de cassation a pu déclarer que l’ivresse « ne constitue pas, en soi, une cause d’irresponsabilité pénale » [29], mais cette affirmation signifie que seule l’ivresse complète, c’est-à-dire abolissant le discernement, est une cause de non-imputabilité de l’infraction. Elle n’empêche donc pas la condamnation pour homicide involontaire, dès lors que les juges apprécient souverainement « les diverses circonstances » dans lesquelles le délit est commis [30]. En cas d’ivresse incomplète, l’agent reste au moins partiellement conscient de ces actes, et ainsi pénalement responsable.

C’est cette distinction qui permet de comprendre l’articulation, parfois jugée à tort illisible [31], entre l’ivresse constitutive d’une cause d’irresponsabilité pénale et d’une circonstance aggravante. Lorsque l’ivresse est complète, et qu’elle provoque une psychose toxique abolissant le discernement, l’article 122-1 du Code pénal commande l’irresponsabilité pénale qui exclut alors la caractérisation d’une infraction, et de sa circonstance aggravante : cette exclusion vaut, quelle que soit la qualification pénale [32]. Lorsque, en revanche, l’ivresse est incomplète, et que le discernement n’est qu’altéré, l’article 122-1, alinéa 2, du Code pénal n’exclut pas la responsabilité pénale de l’agent. L’enivrement volontaire est alors une circonstance, atténuante ou aggravante, que le juge peut prendre en considération. Et il s’agira forcément d’une circonstance aggravante s’il est établi que l’ivresse n’a même pas altéré le discernement [33]. On comprend alors la motivation de certains juges du fond, qui apprécient souverainement le caractère complet ou incomplet de l’ivresse et peuvent ainsi valablement juger que « l’ivresse manifeste ne constitue pas une cause d’irresponsabilité pénale ou d’atténuation de la responsabilité pénale, mais au contraire une circonstance aggravante » [34]. L’ivresse incomplète n’exclut donc pas la responsabilité d’une infraction intentionnelle [35] ; l’ivresse complète, qui abolit le discernement au moment des faits, est incompatible avec l’intention, mais peut permettre la qualification d’imprudence.

2) L’usage de stupéfiants et la qualification de l’imprudence (homicide involontaire)

Si l’article 122-1 du Code pénal s’applique également aux infractions non intentionnelles, il reste qu’une dissociation temporelle est concevable entre l’acte causal de la mort et l’imprudence [36]. La rédaction de l’article 221-6 du Code pénal (N° Lexbase : L3402IQ3), qui incrimine l’homicide involontaire, permet ainsi d’appréhender la faute qui selon les termes de l’article 121-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY), crée ou contribue à créer une situation dommageable.

Cette dissociation conduit à adapter l’appréciation du discernement dont on sait qu’elle doit se réaliser « au moment des faits » selon les termes de l’article 122-1 du Code pénal. « Les capacités volitives et cognitives de l’auteur s’apprécient alors au moment de la faute d’imprudence (à savoir l’intoxication) et non au moment de la survenance du dommage » [37]. L’article 122-1 du Code pénal devient alors inapplicable à la faute antérieure ou, plus exactement, contributive dès lors que le discernement de l’agent n’était pas aboli, ni même altéré, au moment de la commission volontaire de cette imprudence. En application de ce principe, est condamné pour homicide involontaire l’auteur d’un accident mortel de la circulation, qui fait usage de son véhicule, alors qu’il sait qu’il est susceptible de perdre à tout moment le contrôle de lui-même en raison de crises d’épilepsie [38]. Plus anciennement, la Cour de cassation admet la condamnation pour homicide involontaire d’un conducteur en état d’ivresse « dès lors que les juges du fond ayant régulièrement constaté les imprudences, maladresses et inobservations des règlements imputables au prévenu, il leur appartenait d’apprécier souverainement le montant de la peine, dans les limites fixées par la loi, compte tenu des diverses circonstances dans lesquelles le délit a été commis » [39].

Certes, la qualification supposerait aujourd’hui d’intégrer que la faute antérieure, ou plutôt « contributive » n’est qu’une cause indirecte de la mort, alors même qu’elle en serait une cause certaine [40]. Il conviendrait alors de prouver, en application de l’article 121-3 du Code pénal une faute délibérée ou une faute caractérisée.

Dans l’affaire commentée, il ne fait aucun doute que la consommation régulière de cannabis est à la fois source d’une imprévoyance en ce que l’agent n’a pas appréhendé les risques d’une consommation excessive et d’indiscipline sociale puisqu’il a agi consciemment en violation de la loi pénale qui incrimine la consommation de stupéfiants (CSP, art. L3421-1).

Il pourrait s’agir d’une faute caractérisée qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait ignorer. Certes, la chambre de l’instruction relève « qu’aucun élément du dossier d’information n’indique que la consommation de cannabis par l’intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entrainer une telle manifestation », et l’on pourrait en conclure à une difficulté de qualification [41]. Mais si cette inconscience de l’acte criminel permet d’exclure la faute antérieure pour qualifier un meurtre au sens de l’article 221-1 du Code pénal, elle n’empêche pas d’observer que l’agent ait pu, au sens de l’article 121-3 du Code pénal, avoir conscience d’un risque d’une particulière gravité résultant de la consommation excessive de cannabis. Cette conscience peut être déduite de ce qu’une personne raisonnable, et a fortiori un consommateur régulier, connait nécessairement les effets d’une drogue, et en particulier les risques de perte de contrôle de ses actes, pouvant conduire à des violences.

La responsabilité pénale pourrait également être engagée pour une faute délibérée, qui consiste bien dans la violation d’une obligation légale de prudence et de sécurité dont le caractère particulier peut résulter de son objet spécifique (CSP, art. L. 3421-1) [42], et qui a été la cause de bouffée délirante aiguë qui, selon l’avis des experts, est la cause exclusive du passage à l’acte mortel. Au moment de cette faute, l’individu était conscient de ces actes, et capable d’en prévoir les conséquences : l’article 122-1 du Code pénal est alors inapplicable ; une condamnation pour homicide involontaire (C. pén., art. 221-6) devrait s’imposer, en observant que l’usage de stupéfiants n’est envisagé comme circonstance aggravante que si la mort a été provoquée par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur (C. pén., art. 221-6-1, 3° N° Lexbase : L9678KXQ), mais que le caractère délibéré de la faute permet d’envisager l’aggravation prévue à l’article 221-6 alinéa 2 du Code pénal (ce que ne permet pas la constatation d’une faute caractérisée). Il n’est pas certain cependant que cette qualification de secours corresponde au besoin de procès des victimes et à la fonction expressive du droit pénal.

II. La prépondérance de l’abolition du discernement

Dès lors que la Cour de cassation estime que l’article 122-1 du Code pénal ne distingue pas selon l’origine du trouble psychique ou neuropsychique, le critère de l’irresponsabilité pénale se résume à la constatation de l’abolition, au moment des faits, du discernement ou du contrôle des actes. Ces termes méritent donc d’être précisés.

A. Le discernement

La notion de discernement, visée à la fois à l’article 122-1 et à l’article 122-8 (N° Lexbase : L2057AM7) du Code pénal, exprime une condition fondamentale de la responsabilité pénale qui comprend deux dimensions.

Le discernement est d’abord matériel en ce que l’agent doit être conscient du monde environnant. Sous réserve d’être en état d’inconscience physique (coma, évanouissement), tout homme dispose d’un minimum de conscience de son comportement, et il en est également ainsi des jeunes enfants ou personnes atteintes d’un trouble mental qui disposent bien d’une perception du réel, tout comme les animaux. C’est « la conscience matérielle » [43]. Ainsi un malade mental qui commet un vol ou qui accomplit un homicide n’agit pas nécessairement dans tous les cas avec une totale inconscience [44]. Dans l’affaire commentée, il ne fait ainsi aucun doute que l’agent a bien voulu défenestrer la victime, en ayant conscience de lui donner la mort, volonté au surplus animée par un mobile religieux établi par ses déclarations : « Allah Akbar, c’est le sheitan, je vais la tuer » puis « j’ai tué le sheitan » et « j’ai tué un démon ». Et cette conscience était invoquée par l’un des moyens du pourvoi estimant contradictoire de relever un mobile antisémite et l’abolition du discernement.

Mais ce discernement matériel des actes, et de leurs motivations, ne suffit pas à imputer, à mettre au compte, une infraction car cette opération suppose un reproche moral, une réprobation sociale qui suppose une conscience morale, philosophique et sociale, donc lucide. Le discernement est alors social, moral, intellectuel. Il devient l’aptitude à distinguer le bien du mal, le permis de l’interdit, le licite de l’illicite [45] ; il suppose une « intelligence de l’acte » [46] : c’est la « conscience infractionnelle » [47]. C’est le sens de la jurisprudence traditionnelle évoquant que toute infraction suppose « intelligence et volonté » [48]. C’est ce défaut de discernement qui « prive la responsabilité de son support moral et rend donc inadapté le recours à la répression, puisque le prévenu ou l’accusé est étranger à sa propre action, n’ayant pu en percevoir le caractère nuisible » [49] ; « tout désengagement moral ne peut que réduire la personne à une entité de laboratoire, et rejeter la part de mystère inhérente à la nature humaine » [50]. Lorsque le libre arbitre fait défaut, « la sanction pénale est inconcevable car lui seul confère à la culpabilité de l’agent la pleine signification morale qui appelle le blâme et justifie le reproche » [51]. On peut y voir une conséquence du principe de la légalité : celui-ci n’aurait aucun sens si les destinataires de la norme n’étaient pas en mesure de la comprendre et d’éviter, en connaissance de cause, de la violer [52]. La loi s’adresse à des hommes et non à des entités de laboratoire.

Cette distinction est fondamentale dans l’affaire commentée. On comprend ainsi avec le premier expert qu’un « un crime peut être délirant et antisémite », et ainsi que la conscience peut être suffisante pour appréhender une réalité purement matérielle et identifier une motivation religieuse délirante associant une personne juive à un démon, sans toutefois que cette conscience confère à l’individu l’intelligence morale de son action mortelle et de cette motivation antisémite. « Il n’est pas aberrant qu’une personnalité antisémite, lorsqu’elle est atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique, commette un acte qui présente un tel caractère. Mais on ne saurait en déduire que cet acte a été voulu comme tel et qu’il est donc l’expression d’un antisémitisme assumé. Il n’est plus que la conséquence d’un réflexe antisémite [53] ». Il n’y a qu’une conscience matérielle, mais pas une conscience infractionnelle.

C’est cette même distinction qui permet de dépasser un autre argument soulevé dans l’un des pourvois exprimant que l’auteur de l’homicide présentait des intervalles de lucidité, notamment en ce qu’il aurait élaboré une stratégie de défense en affirmant que la victime s’était suicidée. Mais l’une des expertises médicales déclare : « aussi profonds soient les désordres psychiatriques, il demeure toujours une part d’appréciation du réel ». Et le médecin ajoute que l’individu, « lors de son passage à l’acte criminel, dans le contexte de la bouffée délirante aiguë, peut très bien avoir entrevu fugacement les conséquences possibles de son crime et avoir à le présenter comme un suicide ». La chambre de l’instruction en conclut : « le fait que [l’agent] ait hurlé que la [victime] allait se suicider avant de la faire basculer par-dessus la rambarde ne saurait être considéré comme un élément stratégique, la réalité d’une bouffée délirante aiguë traduisant un sujet habité, et non raisonnant ». Quel est alors le critère de l’abolition du discernement moral ?

B. L’abolition du discernement

En distinguant l’abolition et l’altération du discernement, et ainsi une cause d’irresponsabilité et une cause d’atténuation de la peine, l’article 122-1 du Code pénal impose de qualifier l’effet du trouble psychique ou neuropsychique. Seul le trouble privant totalement de discernement l’auteur engendre son irresponsabilité pénale.

1) L’abolition du discernement et la qualification médicale du trouble

Cet effet neutralisant du trouble ne dépend pas d’un classement abstrait des pathologies, mais d’une certitude concrète que les faits et l’état d’esprit de l’auteur permettent d’établir et qui emporte la conviction du juge. « Autrement dit, il n’est pas, en droit, de trouble en eux-mêmes générateurs d’irresponsabilité : quelle que soit leur appartenance scientifique, quelles que soient leurs propriétés reconnues ou développées sur un plan psychiatrique, l’autorité judiciaire ne doit en juger que par rapport à des certitudes établies, et donc en relation exclusive avec l’infraction et la personnalité de son auteur » [54].

Ce principe apparaît relatif à la lecture de l’avis de l’avocate générale qui veut démontrer que, « sur le plan clinique, l’existence d’une bouffée délirante aiguë entraine en principe une abolition du discernement et du contrôle de ses actes » [55]. Cette affirmation est étayée par des études psychiatriques et sociologiques, concluant qu’il existe « un noyau irréductible de cas répondant à l’abolition du discernement », au sein desquels figurent « les bouffées délirantes aiguës ». Ces analyses sont reprises par la Haute autorité de santé qui propose de définir un corpus restreint d’états mentaux entrainant l’abolition du discernement dans lesquels elle range aussi la bouffée délirante aiguë. Selon l’avocate générale, « il ressort ainsi de cette approche épistémologique de la question que d’un point de vue médico-légal, la bouffée délirante aiguë constitue en principe une cause d’abolition du discernement » [56].

Il faut donc en conclure que le classement d’un état mental dans la catégorie des cas abolissant le discernement est un indice permettant au juge d’asseoir sa conviction, sans toutefois que le magistrat soit lié par cette analyse abstraite. Il faut en effet convenir, avec la Cour suprême du Canada,  que « la science médicale ne cerne pas toujours les causes de la psychose toxique avec le niveau de précision requis en droit » et que « nombre de facteurs semblent susceptibles de contribuer au déclenchement d’un trouble psychotique induit par une substance » tels que les symptômes actifs d’un trouble de la personnalité paranoïaque au moment de consommer des stupéfiants, l’effet combiné d’une exposition à des vapeurs toxiques et d’une période de stress intense, la dépendance à certaines drogues telles que la cocaïne, une consommation excessive de drogues au cours des jours et des heures précédant la perpétration du crime, ainsi qu’un sevrage suivant une période de consommation excessive d’alcool [57].

2) La preuve de l’abolition du discernement

S’agissant d’une cause d’irresponsabilité, la charge de la preuve de l’abolition du discernement incombe à la personne poursuivie, mais cette donnée est relativisée par le caractère inquisitoire de la procédure qui confère pratiquement au juge d’instruction le pouvoir d’ordonner une ou plusieurs expertises dès lors que le défaut de discernement est allégué. 

Lorsque l’abolition du discernement n’est pas certaine, la responsabilité pénale est envisageable, et il convient de renvoyer la personne poursuivie devant une juridiction de jugement [58]. Le risque de la preuve pèse ainsi naturellement sur le prévenu ou l’accusé car l’article 122-1 du Code pénal, qui n’envisage qu’une cause exceptionnelle d’irresponsabilité pénale, postule que les hommes sont naturellement dotés d’intelligence et de volonté, sauf à démontrer leur absence de discernement au moment des faits. Il existe ainsi une présomption de discernement qu’il appartient à la personne poursuivie de renverser, position que l’on retrouve par exemple en droit pénal canadien [59]. De là, son refus de se soumettre à une expertise peut empêcher le renversement de cette présomption de discernement [60].

L’appréciation de la certitude de l’abolition du discernement relève du pouvoir souverain des juges du fond dont la conviction s’appuie pratiquement sur des expertises qui, en droit, ne lient pas le juge. Cette liberté d’appréciation se vérifie pratiquement lorsque des expertises sont contradictoires, et que le juge pénal doit ainsi arbitrer, par exemple entre une expertise concluant à l’abolition et l’autre à l’altération du discernement [61]. Elle parait moins réelle lorsque les expertises sont convergentes, d’autant que la Cour de cassation admet que la mission d’expertise psychiatrique peut conduire l’expert à examiner les faits, envisager la culpabilité de la personne mise en examen et à apprécier son accessibilité à la sanction pénale [62].

Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation insiste ainsi sur l’unanimité des conclusions des trois expertises (formulées par sept experts) décrivant une « bouffée délirante ». Elle rappelle cependant que « seul le premier expert saisi a estimé qu’en dépit du caractère indiscutable du trouble mental aliénant, le discernement de M. Z…ne pouvait être considéré comme aboli au sens de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal, du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis ».

Mais cette divergence ne suffit pas à remettre en cause l’appréciation souveraine de la chambre de l’instruction. Il est en effet constant que les conclusions d’un rapport d’expertise, quelles qu’elles soient, ne lient pas le juge [63]  qui peut se forger sa propre opinion, en particulier lorsque l’expert évoque à la fois l’altération et l’abolition du discernement [64]. C’est en définitive le principe de l’intime conviction (C. proc. pén., art. 427 N° Lexbase : C65447LX) qui permet au juge d’apprécier la valeur probante d’une expertise.

Il est ensuite relevé que la première expertise ne conclut à l’altération du discernement qu’au regard de l’origine exotoxique de la bouffée délirante, ce qui revient à intégrer une dimension morale et sociale, et ainsi juridique, dans une analyse médicale. Ainsi que le relève l’avis de l’avocate générale, « ce n’est pas parce qu’il aurait considéré, par exemple, que l’envahissement de la conscience par ce trouble n’aurait pas été total qu’il a conclu à une simple altération du discernement, mais uniquement parce que ce trouble psychotique aigu a été induit par l’augmentation de la consommation de cannabis » [65]. En définitive, le premier expert concluait bien à l’existence d’une bouffée délirante dont il ne minimisait l’effet qu’au regard de la faute antérieure de l’agent, glissant de l’analyse médicale, vers une analyse juridique qui ne relève pas de sa compétence, l’expert n’étant sollicité que pour donner un avis technique au sens de l’article 156 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0946DYP). On aperçoit ainsi toute la relativité des expertises dès lors « qu’il existe inéluctablement une zone d’indétermination dans laquelle l’interprétation médicale atteint ses limites et se trouve contaminée par des considérations philosophiques ou morales quand ne s’y engouffrent pas des positions dogmatiques ou idéologiques » [66].

Quoi qu’il en soit, la constatation unanime d’une bouffée délirante, animée par un mobile religieux, au moment des faits permet de caractériser un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement au sens de l’article 122-1 du Code pénal, ouvrant alors la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale prévue par les articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale, sur laquelle l’arrêt ne se prononce pas. Il sera simplement observé que, en vertu de l’article 706-125 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5029K8R), la chambre de l’instruction est compétente pour rendre un arrêt déclarant à la fois qu’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits reprochés et qu’elle est pénalement irresponsable en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits.

La première déclaration conduit nécessairement la juridiction à envisager les faits tels qu’ils pourraient être pénalement qualifiés, c’est-à-dire au regard des éléments constitutifs du meurtre et de ses circonstances aggravantes. La chambre de l’instruction constate ainsi que Kobili Traoré avait « volontairement » précipité la victime de son balcon et avait agi « en conscience du judaïsme » de Sarah Halimi. Tous les éléments d’un meurtre aggravé par un mobile antisémite étaient réunis pour envisager une infraction qui, cependant, n’est pas imputable à son auteur privé de son discernement moral. On retrouve encore la distinction entre une perception du réel qui permet de qualifier objectivement une intention et un mobile, et une absence d’intelligence de l’acte, une inconscience morale de l’acte et de son motif en raison de la psychose toxique. Il y a ainsi une figure d’infraction qui ne peut être imputée, ce qui montre que ces deux concepts sont bien distincts [67].

La réponse à cet événement épouvantable n’est plus pénale, mais médicale : l’hospitalisation sous contrainte.

Si la raison commande une telle conclusion, l’émotion suscitée par l’affaire pourrait inviter à une réflexion qui, sans remettre en cause le principe essentiel que toute responsabilité pénale est fondée sur le libre arbitre, devrait permettre de distinguer les causes de l’abolition du discernement, et en particulier d’isoler la psychose toxique provoquée par l’usage de stupéfiants ou l’alcool, à l’instar du droit pénal canadien évoqué plus haut, ou encore du droit espagnol qui prévoit clairement l’hypothèse d’un trouble mental provoqué par une intoxication en écartant l’irresponsabilité pénale si l’enivrement est recherché volontairement (Code pénal espagnol, art. 20) [68].

Plutôt que d’envisager une déclaration d’irresponsabilité pénale privant les victimes et la société d’un débat judiciaire, et fondé sur des expertises dont le caractère relatif est suspecté, il conviendrait de confier à la cour d’assises, qui a plénitude de juridiction, d’envisager si l’agent, ordinairement discernant, a bien eu l’intention coupable de tuer au moment des faits, voire l’intention de commettre des violences sans intention de tuer [69]. Dans la négative, il serait possible de retenir la qualification d’homicide involontaire aggravé par de l’usage délibéré de stupéfiants, dès lors que, au moment de la faute antérieure, l’individu était lucide [70]. Cette réponse judiciaire est non seulement nécessaire pour les victimes, mais également pour l’auteur dont on observe que, retrouvant son discernement, il a parfois besoin d’être jugé [71]. Voilà une piste pour le projet de loi annoncé par le Garde des Sceaux…qui ne peut, à peine d’inconstitutionnalité, exclure par principe la défense d’intoxication ayant provoqué une psychose.

 

[1] Rapport de M. Guery, Conseiller [en ligne] ; Avis de Mme Zientara, Avocate générale [en ligne] ; F. Rousseau, De l’abolition du discernement consécutif à la consommation de produits stupéfiants, JCP G, 2021, 521 ; E. Dreyer, La folie, quelle qu’en soit la cause, fait toujours obstacle à la responsabilité pénale, JCP G, 2021, 522 ; Y. Mayaud, L’affaire Halimi : retour sur les principes de responsabilité et d’irresponsabilité pénale, D., 2021, p. 875.

[2] Avis de Mme Zientata, Avocate générale, p. 21 s. [en ligne].

[3] C. Robaczewski, Le rôle de la faute antérieure en matière de responsabilité pénale, A. Prothais (dir.), Thèse Lille II, 2002, n° 160 s. et tous les auteurs classiques cités. Par exemple, R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, T1, n° 329. 

[4] Cass. crim., 11 mars 1958, Bull. crim. n° 238.

[5] R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Cujas, 7e éd. 1997, n° 625.

[6] F. Desportes et F. Legunehec, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, p. 607.

[7] X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, 12e éd. 2020, n° 297.

[8] E. Bonis, v° Troubles psychiques- malades mentaux, Rép. pén. Dalloz, 2018.

[9] J. Pinatel et P. Bouzat, Traité de droit pénal et de criminologie, T 1, Droit pénal général, Dalloz, 1963, n° 252.

[10] F. Hélie, Leçons de droit criminel, Paris, A. Cotillon et cie, 1880, p. 186.

[11] Avis de l’avocate générale préc., p. 33.

[12] E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey 1901, art. 64.

[13] Cass. crim., 13 décembre 1956, n° 55-05.772 (N° Lexbase : A3538CHI) : M. Patin, note, D., 1957, J. 349.

[14] Ph. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, 7e éd. 2004, n° 354. Pour la reprise de cette remarque, F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, NBT, Dalloz, 2009, n° 36

[15] Cass. crim., 5 février 1957, Bull. crim., n° 112.

[16] Cour suprême du Canada, 30 novembre 2011, R c/ Bouchard Lebrun, n° 36 [en ligne].

[17] Ibid, n° 39, renvoyant à l’arrêt « Cooper ».

[18] La cour d’appel de l’Ontario a déclaré cette règle inconstitutionnelle, et l’affaire est pendante devant la Cour suprême du Canada [en ligne].

[19] Avis de Mme Zientara préc. p. 24. Position d’ailleurs suivie par les commentateurs, F. Rousseau, note, op. cit. ; Y. Mayaud, op. cit., avec il est vrai la référence à la circulaire d’application du Code pénal du 14 mai 1993, § 32.

[20] J. Leauté, Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale, D., 1981, p. 296 ; Y. Mayaud, Droit pénal général, n° 451 ; J.-H. Robert, Droit pénal général, PUF, 5e éd., 2001, p. 291.

[21] V. également sur cette distinction, F. Desportes et F. Legunehec, Economica, 16e éd. 2009, n° 667 ; J. Pradel, Droit pénal général, Cujas, 22e éd. 2019, n° 540.

[22] Dans le même sens, Avis de Mme Zientara, op. cit., p. 71.

[23] En ce sens, Y. Mayaud, L’affaire Halimi, op. cit.

[24] Ph. Conte et P. Maistre du Chambon, op. cit., n° 356.

[25] Par exemple, V. Tellier-Cayrol, La turpitude du fou : D., 2020, p. 349. – J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit.

[26] Cass. crim., 28 juin 1958, aff. Lesage : MRMP, note, D., 1958, 693.

[27] Cass. crim., 29 janvier 1921, aff. Trémintin : J.-A. Roux, note, S., 1922, 1, 85.

[28] T. corr. Nevers, 30 janvier 1976 : Gaz. Pal., 1976, 2, Somm. 227.

[29] Cass. crim., 21 juin 2017, n° 16-84.158, FS-P+B (N° Lexbase : A7159WLQ).

[30] Cass. crim., 5 février 1957, Bull. crim., n° 112.

[31] M. Daury-Fauveau, La question du discernement (à propos d’un crime antisémite), D., 2020, p. 341.

[32] V. pourtant pour l’affirmation étrange que Kobili Traoré aurait pu être condamné pour violences volontaires aggravées par l’usage de stupéfiant : M. Daury-Fauveau, ibid. Mais si l’abolition du discernement est totale, l’irresponsabilité est totale.

[33] En ce sens, E. Dreyer, note sous Cass. crim., 14 avril 2021, op. cit.

[34] Motivation des juges du fond approuvée par Cass. crim., 2 septembre 2004, n° 13-84.787, F-D (N° Lexbase : A0602MW9).

[35] Amiens, 26 mai 1954 : D. 1954, 579.

[36] Pour la même analyse, Y. Mayaud, l’affaire Halimi, op. cit.

[37] Avis de Mme Zientara, op. cit., p. 76.

[38] Paris, 27 mai 1970, Gaz. Pal., 1972.2. somm. 37 ; Levasseur, obs., RSC, 1971, 119.

[39] Cass. crim., 5 février 1957, Bull. crim., n° 112.

[40] Pour cette observation, F. Rousseau, op. cit.

[41] F. Rousseau, op. cit.

[42] Pour un point de vue différent, F. Rousseau, note préc.

[43] F. Rousseau, thèse op. cit. et note op. cit.

[44] R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., n° 616.

[45] Par exemple, X. Pin, Droit pénal général, n° 288. 

[46] F. Hélie, Leçon de droit criminel, op. cit., p. 184 ; R. Merle et A. Vitu, op. cit., n° 616 ; E. Dreyer, Droit pénal général, n° 804.

[47] F. Rousseau, thèse op. cit., et note op. cit.

[48] Cass. crim., 13 décembre 1956, op. cit.

[49] Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., n° 437.

[50] Y. Mayaud, L’affaire Halimi, op. cit.

[51] R. Merle et A. Vitu, op. cit., n° 616.

[52] E. Dreyer, op. cit., n° 803

[53] E. Dreyer, ibid.  

[54] Y. Mayaud, op. cit., n° 447.

[55] Avis de Mme Zientata, Avocate générale, op. cit., p. 25.

[56] Ibid. p. 28.

[57] Cour suprême du Canada, 30 novembre 2011, aff. R. c/ Bouchard-Lebrun, op. cit., §§ 66 et 67.

[58] Cass. crim., 21 mars 2012, n° 12-80.178, F-P+B (N° Lexbase : A6067IIK).

[59] Cour suprême du Canada, 30 novembre 2011, aff. R. c/ Bouchard-Lebrun, op. cit., § 49 : « Toute personne est un être autonome et rationnel dont les actes ou les omissions sont de nature à engager sa responsabilité. Cette présomption n’est toutefois pas absolue ».

[60] Cass. crim., 20 février 2019, n° 18-80.777, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8975YY3).

[61] Cass. crim., 12 mai 2004, n° 03-84.592, F-P+F (N° Lexbase : A5251DCH).

[62] Cass. crim., 29 octobre 2003, n° 03-84.617, F-P+F (N° Lexbase : A1403DA9).

[63] Cass. crim., 11 mars 1958, Bull. crim., n° 238, Cass. crim., 6 juin 1979, n° 78-92.860 (N° Lexbase : A3317CGX) ; Cass. crim., 6 janvier 1993, n° 92-83.316 (N° Lexbase : A3233CN3) ; Cass. crim., 2 septembre 2014, n° 13-84.787, F-D (N° Lexbase : A0602MW9).

[64] Cass. crim., 28 mars 2018, n° 17-81.232, FS-P+B (N° Lexbase : A8802XIT) : D., 2018, 723 ; Y. Mayaud, obs., RSC, 2018, 409.

[65] Avis de Mme Zientata, Avocate générale, op. cit., p. 28.

[66] Docteurs G. Rossinelli et J.-C. Penochet, Qui est responsable ?, L’Information psychiatrique 909, n° 3 (2014), 173-76 cité par l’avis de l’avocate générale, op. cit., p. 26.

[67] F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, thèse, op. cit.

[68] M. Ortubay Fuentes, Addictions et infractions pénales en Espagne, APC, 2009/1, n° 31, p. 195.

[69] V. pour cette proposition, Y. Mayaud, L’affaire Halimi, op. cit.

[70] Dans un sens comparable, Avis de Mme Zientata, Avocate générale, op. cit., p. 77

[71] E. Dreyer, op. Cit., n° 816, note 43.


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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] AT/MP des travailleurs indépendants : une nouvelle procédure dédiée

Réf. : Décret n° 2021-554, du 5 mai 2021, relatif à la procédure de reconnaissance et à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles (N° Lexbase : L3805L4P)

Lecture: 5 min

N7448BYI

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par Laïla Bedja

Le 19 Mai 2021

► Publié au Journal officiel du 6 mai 2021, le décret du 5 mai 2021 pose une nouvelle procédure de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles pour les travailleurs indépendants ayant souscrit à l’assurance volontaire AT/MP.

Ainsi, le décret aménage la procédure de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) pour les personnes bénéficiant de l'assurance volontaire AT/MP, en supprimant en particulier la procédure contradictoire, entre la victime et son employeur, sans objet pour les travailleurs indépendants, et en aménageant en conséquence les délais d'instruction de la demande.

Ces nouvelles règles s’appliquent à compter du 1er janvier 2022. Des dispositions transitoires sont prévues à l’article R. 743-3-1 du Code de la Sécurité sociale.

Accidents du travail

En cas d’accident du travail (CSS, art. R. 743-3-1), le travailleur indépendant doit déclarer son accident du travail à la caisse primaire d’assurance maladie dans un délai de quarante-huit heures. La caisse dispose alors de trente jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial, pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident.

Questionnaire. Si des investigations sont nécessaires, ce délai est porté à soixante jours francs. Elle adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs et par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Ce questionnaire est retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire. En cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable, comme la procédure le prévoit pour les accidents du travail des salariés.

La caisse doit informer la victime ou ses représentants de la date d’expiration du délai d’instruction lors de l’ouverture de l’enquête.

Maladies professionnelles

Pour les maladies professionnelles, il est aussi consacré une procédure particulière (CSS, art. R. 743-3-2 et R. 743-3-3). La déclaration de maladie professionnelle doit respecter les conditions posées par les articles L. 461-5 (N° Lexbase : L8865LHS) et R. 461-5 (N° Lexbase : L7331ADU) du Code de la Sécurité sociale. La caisse dispose alors d’un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle la caisse dispose de la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial mentionné à l'article L. 461-5 et à laquelle le médecin-conseil dispose du résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prévus par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie ou saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles mentionné à l'article L. 461-1.

Questionnaire. Si des investigations sont nécessaires et comme pour la procédure de reconnaissance de l’accident du travail, la caisse adresse un questionnaire dans un délai de trente jours francs à la victime ou ses représentants. Ils ont alors trente jours francs pour retourner le dossier. La caisse peut recourir à une enquête complémentaire.

CRRMP. En cas de saisine du CRRMP, elle dispose d’un nouveau délai de cent-dix jours francs à compter de cette saisine pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie. Elle en informe la victime ou ses représentants par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information. Le comité régional rend son avis motivé à la caisse dans un délai de cent jours francs à compter de sa saisine.

Le dossier adressé au comité doit contenir les pièces mentionnées à l’article D. 461-29 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0591LQX), à l’exception, cela relevant de l’évidence, des observations et éléments produits par l’employeur, de l’avis motivé du médecin du travail et du rapport circonstancié de l’employeur décrivant le poste de travail (CSS, art. D. 743-1).

Consultation du dossier. La caisse met le dossier d’instruction à disposition de la victime ou de ses représentants pendant une durée de trente jours. Ils peuvent alors le compléter par tout élément qu’ils jugent utile et faire connaître leurs observations. La caisse et le service du contrôle médical disposent du même délai pour compléter ce dossier. Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l’autorité judiciaire (CSS, art. R. 743-3-3).

Rechute ou nouvelle lésion

En cas de rechute ou de nouvelle lésion, la caisse dispose d’un délai de soixante jours francs à compter de la date à laquelle elle reçoit le certificat médical faisant mention de la rechute ou de la nouvelle lésion pour statuer sur son imputabilité à l'accident ou à la maladie professionnelle.

Si l'accident ou la maladie concernée n'est pas encore reconnu lorsque la caisse reçoit ce certificat, le délai de soixante jours court à compter de la date de cette reconnaissance.

En cas de nécessité, la caisse peut adresser un questionnaire à la victime ou ses représentants qui doit être retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa réception.

La décision de la caisse

Après l’instruction du dossier d’accident du travail, de maladie professionnelle ou de rechute/nouvelle lésion, la caisse rend une décision motivée.

Lorsque le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie n’est pas reconnu, elle notifie sa décision, qui comporte la mention des voies et délais de recours, à la victime ou ses représentants par tout moyen conférant date certaine à sa réception.

Lorsque le caractère professionnel est reconnu, elle adresse sa décision aux mêmes personnes par tout moyen.

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Assurances

[Brèves] Nullité du contrat d’assurance dépourvu d’aléa : obligation pour le juge de tirer, d'office, les conséquences de l’absence d’aléa !

Réf. : Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-25.395, F-P (N° Lexbase : A32324R7)

Lecture: 4 min

N7537BYS

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 20 Mai 2021

► En l'absence d’aléa, au jour de l’adhésion, concernant l’un des risques couverts par le contrat d'assurance, la garantie y afférente ne peut être retenue ;
Doit dès lors être censuré l’arrêt qui ne tire pas, d'office, les conséquences légales de la constatation de l’absence d’aléa, peu important que l’assureur n’ait pas sollicité la nullité du contrat d’assurance de ce chef.

Aux termes de l’article 1964 du Code civil (N° Lexbase : L1727IEP), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause : « le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain. [Tel est] le contrat d'assurance ».

C’est ce principe de l’inhérence de l’aléa au contrat d’assurance qui est ici rappelé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, et de la conséquence directe du défaut de garantie qui doit être tirée de l’absence d’aléa.

On rappellera que, désormais, depuis la réforme du droit des contrats, la définition du contrat aléatoire réside dans le nouvel article 1108 (N° Lexbase : L0817KZB), lequel précise que le contrat « est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ».

Faits et procédure. En l’espèce, un particulier avait acquis un véhicule au moyen d'un contrat de location avec option d'achat souscrit le 20 septembre 2012. Arguant avoir adhéré le 25 mai 2013 à un contrat d'assurance garantissant notamment l'incapacité totale de travail, il avait assigné le vendeur et l'assureur en paiement d'une somme représentant les mensualités du crédit qu'il avait réglées durant sa période d'arrêt de travail.

Décision cour d’appel. Pour condamner l’assureur à lui payer la somme de 11 642 euros majorée des intérêts au taux légal courant à compter du 2 décembre 2016, la cour d’appel de Nancy, après avoir retenu qu’il avait adhéré le 25 mai 2013 au contrat d’assurance affecté au contrat de location avec option d'achat, avait énoncé que ce dernier, souffrant d’une entorse du genou droit, avait bénéficié d’un arrêt de travail à compter du 18 février 2013, que cette pathologie avait été consolidée le 11 septembre 2014 et qu’il avait été de nouveau en arrêt de travail à compter du 12 septembre 2014 (CA Nancy, 24 octobre 2019, n° 18/02103 N° Lexbase : A4737ZSA).

L'arrêt rappelait que, pour s'opposer à la garantie, l’assureur faisait valoir que le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l'assuré sait déjà réalisé et ne peut ainsi être indemnisé de l'arrêt de travail qui était en cours et dont il avait connaissance au jour de la souscription de l’assurance litigieuse.

L'arrêt ajoutait que, toutefois, aux termes du dispositif de ses conclusions d'appel, l'assureur ne sollicitait pas la nullité du contrat d'assurance de ce chef de sorte que la cour n’était pas saisie de cette demande.

Cassation. C’est précisément sur ce dernier point que la décision est censurée par la Haute juridiction qui relève qu’en l'absence d’aléa (ce point n’était pas discuté), au jour de l’adhésion, concernant l’un des risques couverts par le contrat d'assurance, la garantie y afférente ne pouvait être retenue.

Aussi, la Cour régulatrice reproche à la cour d'appel de ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant l’article 1964 précité, alors qu’elle avait relevé que le premier arrêt de travail avait débuté le 18 février 2013, avant la date de l'adhésion.

newsid:477537

Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Le dispositif de la « clause de stage » porte une atteinte excessive au droit au respect des biens

Réf. : Cass. civ. 2, 12 mai 2021, n° 19-20.938, FS-P+R (N° Lexbase : A52734RQ)

Lecture: 5 min

N7498BYD

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par Marie Le Guerroué

Le 19 Mai 2021

► La Cour affirme pour la première fois qu’un régime de retraite contributif doit garantir un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les contraintes financières de ce régime et les droits à pension des assurés ; elle estime que tel n’est pas le cas du dispositif de la « clause de stage » du régime d’assurance vieillesse de base des avocats.

  • Faits et procédure

Un assuré, qui avait exercé la profession d’avocat de 1975 à 1990, avait sollicité la liquidation de ses droits à la retraite le 17 novembre 2015. La Caisse nationale des barreaux français lui avait délivré, le 18 mars 2016, un titre de pension lui attribuant, à compter du 1er janvier 2016, au titre de l’assurance vieillesse de base, l’allocation aux vieux travailleurs salariés, à proportion de 58/60èmes. Contestant les modalités de liquidation de sa prestation, l’assuré avait saisi d’un recours un tribunal de grande instance.

  • Cour d’appel

Pour débouter l’assuré de sa demande, l’arrêt retient essentiellement que l’assuré ne justifie que de cinquante-huit trimestres d’affiliation auprès de la Caisse et qu’il en résulte que le titre de pension qui lui a été notifié a été régulièrement établi.

  • Réponse de la Cour de cassation

Un régime de retraite contributif doit garantir un rapport raisonnable de proportionnalité. La Cour précise d’abord que l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9) implique, lorsqu’une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

Selon l’article L. 723-11 du Code de la sécurité sociale, l’assuré assujetti au régime d’assurance vieillesse des avocats qui ne justifie pas d’une durée d’assurance fixée par l’article R. 723-37, 3°, du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L2353LEU) à soixante trimestres, a droit à une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés en fonction de cette durée. Le droit individuel à pension constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d’application de l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CESDH.

Le cas de la « clause de stage ». La Cour précise ensuite que le dispositif, dit de « clause de stage », du régime d’assurance vieillesse de base des avocats constitue une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés au régime, en ce qu’il porte une atteinte à la substance de leurs droits à pension, en les privant de pension de retraite s’ils ne justifient pas de la durée d’assurance requise. Cette ingérence contrevient aux principes qui régissent l’aménagement des régimes obligatoires de base d’assurance vieillesse, dont le régime d’assurance vieillesse des avocats fait partie, et, notamment, au caractère contributif des régimes énoncé à l’article L. 111-2-1, II, alinéa 1er, du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L9411LXT) et aux règles de coordination entre les régimes au bénéfice des assurés ayant relevé simultanément ou successivement de plusieurs régimes au cours de leur carrière. Cette ingérence repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne accessibles, précises et prévisibles, et poursuit un motif d’intérêt général en tant qu’elle contribue à l’équilibre financier du régime de retraite concerné.

Toutefois, en ne prévoyant le versement à l’assuré qui ne justifie pas d’une durée d’assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d’une carrière professionnelle, que d’une fraction de l’allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la « clause de stage », si elle contribue à l’équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu’elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence. Dès lors, l’application des articles L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du Code de la sécurité sociale doit être écartée.

Dès lors, pour la Cour de cassation, en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes précités.

 

Lire précédemment : M. Le Guerroué, « Clause de stage » : une QPC est renvoyée !, note sous Cass. QPC, 13 février 2020, n° 19-20.938, FS-D N° Lexbase : A75283EK), Lexbase Avocats, mars 2020 (N° Lexbase : N2237BYI) ; M. Le Guerroué, « Clause de stage » : la différence de traitement est justifiée !, note sous Cons. const., décision n° 2020-840 QPC, du 20 mai 2020, Lexbase Avocats, juin 2020 (N° Lexbase : N3589BYL).

 

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le régime fiscal et social de l'avocat, Les conditions générales d'obtention des prestations de retraite de base, in La profession d'avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase (N° Lexbase : E42653RE).

 

 

 

 

newsid:477498

Bancaire

[Jurisprudence] Crédit à la consommation : l’information inexacte de l’emprunteur désormais autorisée ?

Réf. : Cass. civ. 1, 8 avril 2021, n° 19-25.236, FS-P (N° Lexbase : A12244PZ)

Lecture: 15 min

N7522BYA

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par Ghislain Poissonnier, magistrat

Le 19 Mai 2021


Mots clés :  contrat de crédit à la consommation • montant de la mensualité • assurance facultative • information de l'emprunteur

Dans un arrêt du 8 avril 2021, la Cour de cassation a jugé que le montant de l’échéance qui figure dans l’encadré au titre des informations sur les caractéristiques essentielles du contrat de crédit à la consommation n’inclut pas le coût mensuel de l’assurance souscrite par l’emprunteur accessoirement à ce contrat.


Voici un arrêt rendu le 8 avril 2021 [1] par la Cour de cassation qui surprendra tous ceux qui croient aux vertus d’une information précise et exacte du candidat emprunteur à un crédit à la consommation. Quelques rappels factuels et procéduraux sont au préalable nécessaires pour comprendre la surprise provoquée par cet arrêt.

Soit une offre préalable acceptée le 12 janvier 2013 selon laquelle la société Cofidis consent à un couple un crédit à la consommation d’un montant de 60 700 euros, remboursable en 144 mensualités, au taux d’intérêt nominal de 10,68 %. À la suite de la défaillance des emprunteurs, l’établissement de crédit prononce la déchéance du terme et les assigne en paiement du capital, des intérêts et de l’indemnité conventionnelle.

Le juge d’instance saisi relève d’office l’irrégularité formelle du contrat de crédit en ce qu’il mentionne, dans son encadré, un montant d’échéance erroné, ne prenant pas en compte le coût de l’assurance facultative. Par jugement du 20 décembre 2017, le juge prononce la déchéance du prêteur du droit aux intérêts, et condamne les deux emprunteurs à payer à Cofidis uniquement la différence entre le capital emprunté et les échéances payées, soit la somme de 28 537 euros.

Le 19 septembre 2019, la cour d’appel d’Amiens confirme cette décision [2]. La société de crédit se pourvoit en cassation. Elle fait grief à l’arrêt d’avoir prononcé la déchéance de son droit aux intérêts, alors que le Code de la consommation n’exigerait pas que le coût de l’assurance facultative figure dans l’encadré de l’offre préalable.

Le 8 avril 2021, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel rendu à Amiens.

La question que la Cour de cassation devait trancher est la suivante : le Code de la consommation impose-t-il, sous peine de déchéance du droit aux intérêts, que le prêteur, soumis à l’obligation d’informer l’emprunteur des caractéristiques essentielles du crédit, mentionne sur le contrat, dans l’encadré légalement prévu à cet effet, le montant de l’échéance comprenant le coût de l’assurance facultative, lorsque celle-ci a été souscrite ? La Cour de cassation répond négativement, en interprétant les dispositions relatives à l’encadré (I) dans un sens qui réduit la portée de l’information devant être délivrée à l’emprunteur (II) et qui valide la pratique de son information inexacte (III).

I. L’encadré au cœur du formalisme informatif

Dans cette affaire, le débat portait sur le contenu de l’encadré (appelé aussi « pavé financier ») inséré en début de contrat de crédit à la consommation. Le contrat de crédit à la consommation litigieux a été souscrit le 12 janvier 2013. N’étaient donc pas applicables au contrat les dispositions antérieures à la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation, dite loi « Lagarde » (N° Lexbase : L6505IMU) [3], qui avaient le mérite de prévoir des modèles types imposant, pour les crédits classiques, la reproduction au contrat d’informations financières assez exhaustives. En vertu de ces modèles types, devaient ainsi figurer sur l'offre, en valeur absolue, le coût total du crédit, avec et sans assurance, et la mention séparée du coût total de l'assurance, ainsi que le montant de l'assurance par échéance (C. consom., art. L. 311-11, anc. N° Lexbase : L8197IMK), et cela que l'assurance soit facultative ou obligatoire.

À l’époque de la souscription du contrat litigieux, les dispositions de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 [4] étaient entrées en vigueur depuis moins de deux ans [5] et naturellement les dispositions de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (N° Lexbase : L0300K7A) ne l’étaient pas.

Étaient donc applicables les articles L. 311-1 (N° Lexbase : L6640IMU) à L. 311-52 du Code de la consommation, dans leur version antérieure à celles issues de l’ordonnance du 14 mars 2016, c’est-à-dire dans leur version issue de la loi « Lagarde ». S’agissant des dispositions de nature règlementaire, étaient applicables au contrat celles issues des décrets d’application de la loi « Lagarde », soit ceux n° 2011-135 (N° Lexbase : L3462IPW) et n° 2011-136 (N° Lexbase : L3468IP7) du 1er février 2011, et non celles issues du décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 (N° Lexbase : L0525K9C).

L’arrêt de la Cour de cassation est ainsi rendu au visa des articles L. 311-18 (N° Lexbase : L8204IMS) et L. 311-48, alinéa 1er (N° Lexbase : L9552IMQ), du Code de la consommation (dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance de 2016), et de l’article R. 311-5 du même code (N° Lexbase : L9067IX4 dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret de 2016). 

L’article L. 311-18 disposait que : « Le contrat de crédit est établi par écrit ou sur un autre support durable. Il constitue un document distinct de tout support ou document publicitaire, ainsi que de la fiche mentionnée à l'article L. 311-6. Un encadré, inséré au début du contrat, informe l'emprunteur des caractéristiques essentielles du crédit.
Un décret en Conseil d'État fixe la liste des informations figurant dans le contrat et dans l'encadré mentionné au premier alinéa du présent article. ».

Sur la sanction encourue par le prêteur en cas de méconnaissance de cette obligation d’information, l’article L. 311-48, alinéa 1er, disposait que « le prêteur qui accorde un crédit […] sans remettre à l'emprunteur un contrat satisfaisant aux conditions fixées par les articles […] L. 311-18 […] est déchu du droit aux intérêts ».

La Cour de cassation résume ainsi la situation dans son arrêt 8 avril 2021 : « selon les deux premiers textes, un encadré, inséré en début de contrat, informe l’emprunteur des caractéristiques essentielles du crédit, sous peine de déchéance du prêteur du droit aux intérêts ».

Mesure d’application de l’article L. 311-18, l’article R. 311-5 du Code de la consommation précisait que, parmi les nombreuses informations devant être délivrées « de manière claire et lisible », l’encadré devait indiquer, « en caractères plus apparents que le reste du contrat, dans l'ordre choisi par le prêteur et à l'exclusion de toute autre information » : « d) Le montant, le nombre et la périodicité des échéances que l'emprunteur doit verser et, le cas échéant, l'ordre dans lequel les échéances seront affectées aux différents soldes dus fixés à des taux débiteurs différents aux fins du remboursement. Pour les découverts, il est indiqué le montant et la durée de l'autorisation que l'emprunteur doit rembourser ; [...] h) Les sûretés et les assurances exigées, le cas échéant ; ».

Dans son arrêt du 8 avril 2021, la Cour de cassation résume ainsi la situation : l’article R. 311-5 « fixe la liste des informations figurant dans l’encadré, à l’exclusion de toute autre ».

Ce même dispositif d’information de l’emprunteur est, désormais, prévu aux articles L. 312-28 (N° Lexbase : L9593LGE) et R. 312-10 (N° Lexbase : L3717L4G) du Code de la consommation. Son non-respect est également sanctionné de la déchéance du droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4 N° Lexbase : L1602LRR). La solution adoptée par la Cour de cassation le 8 avril 2021 est, par conséquent, susceptible de s’appliquer également aux contrats conclus depuis le 1er juillet 2016.

II. La portée de l’information devant être délivrée à l’emprunteur

Tout semble donc être prévu par le Code de la consommation pour la délivrance d’une information effective au candidat emprunteur ; l’établissement d’un contrat de crédit à la consommation par écrit (ou sur un autre support durable) ; l’insertion au début du contrat d’un encadré informatif ; des mentions obligatoires devant figurer dans l’encadré en caractères plus apparents et être délivrées de manière claire et lisible ; des mentions obligatoires portant sur les caractéristiques essentielles du contrat ; une sanction en l’absence de celles-ci.

Ces informations, pour la plupart de nature financière, doivent d'autant plus figurer dans les contrats qu'il s'agit d'éléments essentiels dans la décision du consommateur de souscrire ou pas le contrat de crédit et dans la compréhension et le suivi de celui-ci lors de sa phase d'exécution.

Il restait cependant à interpréter les textes pour déterminer si le « montant […] des échéances que l’emprunteur doit verser » figurant dans l’encadré devait ou non comprendre le coût supplémentaire représenté par une assurance facultative.

La question n’avait été tranchée ni par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) [6], ni par la Cour de cassation. Les juges du fond paraissaient quelque peu partagés sur le sujet.

Les juges d’instance semblaient favorables à ce que le coût de l’assurance facultative soit intégrée dans le montant des échéances mentionnées dans l’encadré, au motif, que l’emprunteur doit être informé de la somme qu’il aura à payer chaque mois [7]. Quelques cours d’appel (mais pas toutes [8]) statuaient en sens inverse, au motif que l’encadré est prévu pour renseigner l’emprunteur sur le coût du crédit et ne peut comporter toute autre information que celles indiquées par la loi et le règlement : le montant de la mensualité, assurance comprise, ne doit donc pas y être mentionné [9].

Selon la Cour de cassation, dans son arrêt du 8 avril 2021, il se déduit des dispositions applicables « que le montant de l’échéance qui figure dans l’encadré au titre des informations sur les caractéristiques essentielles du contrat de crédit n’inclut pas le coût mensuel de l’assurance souscrite par l’emprunteur accessoirement à ce contrat ».

La solution retenue repose sur une interprétation stricte du formalisme informatif, qui se retourne contre l’emprunteur. Cette interprétation se fait au détriment de la lettre et de l’esprit du dispositif mis en place par le législateur. Elle prive le consommateur d’une information importante relative au « montant […] des échéances que l’emprunteur doit verser », information qui fait partie des « caractéristiques essentielles du contrat ». En effet, l’emprunteur ne pouvant savoir à la lecture de l’encadré quel est le montant exact de ce qu’il doit verser tous les mois (le coût de l’assurance n’y figurant pas), un élément essentiel de son information fait défaut. Pour être parfaitement informé, il est contraint d’additionner par lui-même les sommes dues, mentionnées à divers emplacements. Il n’est donc pas informé, à la seule lecture de l'encadré, des caractéristiques essentielles du contrat [10].

La solution retenue par la Cour de cassation va également à l’encontre de l’intention du législateur, soucieux de l’importance du coût de l’assurance, et de la nécessité de renforcer l’information de l’emprunteur. La loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 (N° Lexbase : L9336IX3) a prévu sur la fiche d’informations précontractuelles (FIP) la mention d’informations nouvelles, que l'assurance soit facultative ou obligatoire : montant total dû en euros par l'emprunteur au titre de l'assurance sur la durée totale du prêt, coût en euros par mois, et taux annuel effectif de l'assurance [11]. Ce faisant, le législateur a clairement reconnu que le coût de l’assurance, facultative ou non, constituait bien une caractéristique essentielle du contrat de crédit, susceptible de peser dans la décision du candidat emprunteur d’accepter ou refuser l’offre préalable, et de comprendre à quoi il s’engage lorsqu’il se décide à l’accepter. Pourquoi la mensualité assurance facultative comprise serait-elle une caractéristique essentielle du contrat devant figurer dans la FIP et pas dans l’encadré ? Une telle incohérence est difficilement explicable et ce d’autant que l’encadré doit être rédigé par le prêteur en fonction du choix de l’emprunteur, lequel se détermine au vu de la FIP.

III. La conformité de l’information devant être délivrée à l’emprunteur

Si le but visé par l’encadré au contrat est de fournir des informations à l’emprunteur sur les caractéristiques essentielles du contrat, aussi faut-il que ces informations soient conformes à la réalité.

Dans cette affaire soumise à la Cour de cassation, il figurait bien dans l’encadré du contrat la mention « montant […] des échéances que l’emprunteur doit verser ». En face de cette mention, le montant indiqué était de 749,50 euros. Or, en vertu du contrat signé le 12 janvier 2013, qui comprenait l’adhésion à une assurance facultative, l’emprunteur devait verser les échéances assurance comprise d’un montant de 943,74 euros. Ainsi, ne figurait dans l’encadré que le montant hors assurance des mensualités (749,50 euros), alors que l’assurance ayant été souscrite, la mensualité assurance comprise était en réalité bien plus élevée (943,74 euros) et effectivement à verser.

Se posait donc la question de la sincérité de l’information figurant dans l’encadré sur un point financier essentiel. Comment un tel décalage entre ce qui est annoncé dans l’encadré comme étant à verser et ce que l’emprunteur devra effectivement verser peut-il être accepté par le juge ? Comme le soulignaient le juge d’instance, puis la cour d’appel d’Amiens, le montant de la mensualité indiqué dans l’encadré était en réalité inexact et devait donc être sanctionné. Les juges auraient pu aller plus loin, en indiquant que le procédé était trompeur.

Le constat peut être généralisé. Lorsque le contrat de crédit à la consommation signé comprend une adhésion à une assurance facultative, le montant de la mensualité à la charge de l’emprunteur est toujours plus élevé, voire beaucoup plus élevé. Si le montant de l’échéance figurant dans l’encadré ne contient pas le coût supplémentaire que représente la cotisation d’assurance, le candidat emprunteur est non seulement destinataire d’une information erronée sur le montant qu’il doit rembourser tous les mois mais est également induit en erreur, cette information lui faisant croire que la somme à verser est substantiellement moins élevée que celle qu’il devra effectivement payer. Il appartient bien au juge, dans un tel cas, de ne pas valider une telle pratique trompeuse.

Le fait que, selon les termes de l’article R. 311-5 du Code de la consommation, les mentions impératives figurant sur l’encadré sont exclusives de toute autre ne signifie pas que lesdites informations peuvent être fausses. Le respect de la sincérité de l’encadré peut justifier des précisions supplémentaires concernant les informations devant y figurer obligatoirement.

En outre, le prêteur, en sa qualité de professionnel du crédit, est tenu d’informer de manière loyale le candidat emprunteur. Or, selon le Code de la consommation, le contrat de crédit à la consommation n'est établi qu'après la réalisation des opérations précontractuelles (notamment la remise préalable au candidat emprunteur d’une FIP [12] et la délivrance d'explications pertinentes et personnalisées [13]). Par voie de conséquence, si le prêteur propose une assurance facultative et que l'emprunteur manifeste son souhait de la souscrire au stade précontractuel, le prêteur doit alors adapter le contrat à cette situation. Il lui revient ainsi de faire figurer dans l'encadré relatif aux caractéristiques essentielles du crédit le nouveau montant des échéances, cotisations d'assurance incluses. Cette adaptation de l’offre correspond parfaitement avec l’obligation de délivrer une information adaptée à la situation de l’emprunteur. Selon le vœu du législateur, la proposition d’une offre de crédit constitue un processus évolutif et il appartient au prêteur d’adapter les informations en fonction des situations individuelles qui se présentent.

On regrettera donc l’interprétation adoptée par la Cour de cassation, qui n’est pas conforme à l’esprit et à la lettre des dispositions du Code de la consommation. Cette décision semble d’autant moins opportune qu’elle aboutit à valider la pratique de la délivrance au candidat emprunteur d’informations financières inexactes et trompeuses. Ce n’était certainement pas le vœu des législateurs français et européen et ce n’est pas le meilleur des signaux à envoyer aux professionnels du crédit.


[1] J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2021, n° 673 (N° Lexbase : N7196BY8).

[2] CA Amiens, 19 septembre 2019, n° 18/00672 (N° Lexbase : A2693ZPG).

[3] La loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 a succédé à la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978, dite loi « Scrivener I » (N° Lexbase : L1051IUH).

[4] La loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 a transposé la Directive n° 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs (N° Lexbase : L8978H3W).

[5] Les dispositions relatives aux contrats de crédits à la consommation de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 à compter du 1er mai 2011.

[6] Au titre de l’interprétation de l’article 5, h), de la Directive n° 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs.

[7] TJ Le Havre, 26 octobre 2020, D. 2020, p. 2285, obs. G. Poissonnier : le jugement relève qu’une fois le contrat signé avec adhésion à l'assurance facultative, l'emprunteur doit verser les échéances assurance comprise, dont le montant doit donc être mentionné dans l'encadré (C. consom., art. L. 312-28 et R. 312-10). En l'espèce, seul figure dans l'encadré le montant hors assurance des mensualités (458,78 €), alors que l'assurance a été souscrite et que l'historique des paiements révèle que la mensualité assurance comprise est plus élevée (478,35 €). Il s’agit d’un motif de déchéance du droit aux intérêts. Voir aussi TI Saint-Brieuc, 26 juin 2017, D. 2017, p. 1525, obs. G. Poissonnier.

[8] CA Saint Denis de la Réunion, 1er mars 2019, n° 17/00559 (N° Lexbase : A9428Y4X) – CA Rouen, 27 juin 2019, n° 18/00758 (N° Lexbase : A8381ZGI) – CA Rouen, 16 janvier 2020, n° 19/00519 (N° Lexbase : A00483GU) – CA Basse-Terre, 20 janvier 2020, n° 18/016011 (N° Lexbase : A20163DZ) – CA Toulouse, 5 février 2020, n° 18/03258 (N° Lexbase : A49033DX) – CA Toulouse, 23 septembre 2020,  n° 18/04310 (N° Lexbase : A49033DX) – CA Amiens, 29 septembre 2020, n° 19/07223.

[9] CA Douai, 16 janvier 2020, n° 17/05631 (N° Lexbase : A6748ZIR) – CA Colmar, 20 janvier 2020, n° 19/00689(N° Lexbase : A14473CL) – CA Chambéry, 23 janvier 2020, n° 18/0208 – CA Paris, Pôle 4, 9ème ch., 25 juin 2020, n° 17/09721 (N° Lexbase : A47323PX).

[10] Cette irrégularité justifiait, aux yeux de la cour d’appel d’Amiens, la déchéance du droit aux intérêts conventionnels de Cofidis. Voir aussi ce sens, le raisonnement de la cour d’appel de Toulouse qui démonte bien la chronologie voulue par la loi (CA Toulouse, 23 septembre 2020, n° 18/04310, préc.) : « le "montant de l'échéance que l'emprunteur doit verser" s'entend de la somme totale devant être effectivement réglée par l'emprunteur en exécution du contrat et doit donc comprendre la prime d'assurance facultative lorsque l'emprunteur l'a souscrite. L'encadré visant à informer l'emprunteur des caractéristiques essentielles du crédit, ce dernier doit pouvoir être renseigné sur la somme totale à laquelle il s'est obligé sans devoir additionner les sommes dues mentionnées à divers emplacements ». 

[11] C. consom., art. L. 311-6, III (N° Lexbase : L7513IZB), devenu art. L. 312-12 (N° Lexbase : L9597LGK).

[12] C. consom., art. L. 311-6, III, devenu art. L. 312-12.

[13] C. consom. art. L. 311-8 (N° Lexbase : L8194IMG), devenu art. L. 312-14 (N° Lexbase : L1348K73).

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Eoliennes

[Brèves] Autorisations d'occupation du domaine public relatives aux éoliennes : contentieux relevant de la compétence des CAA en premier et dernier ressort

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 5 mai 2021, n° 448036, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A30624RT)

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N7542BYY

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par Yann Le Foll

Le 19 Mai 2021

► Une délibération communale portant, notamment, sur l'occupation du domaine public pour la réalisation d’éoliennes relève de la compétence de la cour administrative d’appel en premier et dernier ressort, ceci pour l'ensemble de la délibération.

Principe. L'article R. 311-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0905LNT) a pour objectif de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation de projets d'éoliennes terrestres en confiant aux cours administratives d'appel le jugement en premier et dernier ressort de l'ensemble du contentieux des décisions qu'exige l'installation de ces éoliennes.

Il résulte de ces dispositions que les cours administratives d’appel sont compétentes pour connaître des autorisations d'occupation du domaine public au sens de l'article R. 2122-1 du Code général de propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L2986IRZ), de la modification d'une de ces autorisations ou du refus de les prendre, ainsi que des actes permettant la conclusion de conventions autorisant l'occupation du domaine public dès lors que ces décisions sont relatives aux installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent classées au titre de l'article L. 511-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1910IR8), à leurs ouvrages connexes, ainsi qu'aux ouvrages de raccordement propres au producteur et aux premiers postes du réseau public auxquels ils sont directement raccordés.

Faits. La délibération d'une commune a approuvé, d'une part, la division d'une parcelle relevant de son domaine privé et différentes conventions à passer avec la société porteuse d'un projet de parc éolien, en vue de lui concéder une partie de ce terrain par bail emphytéotique rural et d'instituer diverses servitudes portant sur le domaine privé de la commune et, d'autre part, autorisant cette société à occuper une voie communale pour le passage de convois, les renforcements et élargissements de voirie ainsi que le passage de câbles électriques.

Solution. Il y a donc lieu d'attribuer à la cour administrative d’appel territorialement compétente le jugement des conclusions présentées contre la délibération dès lors qu'elle porte notamment sur l'occupation du domaine public pour la réalisation d'installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent classées au titre de l'article L. 511-2 du Code de l'environnement (voir pour la compétence en premier et dernier ressort des cours administratives d’appel concernant le contentieux des décisions exigées par l'installation des éoliennes s'étendant aux mesures de police qui en sont la conséquence directe, CE 5° et 6° ch.-r., 9 octobre 2019, n° 432722, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8992ZQ4).

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Procédure civile

[Le point sur...] La postulation : certitudes et incertitudes à la suite de la réforme de la procédure civile

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N7523BYB

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par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’AAPPE et de Droit & Procédure

Le 19 Mai 2021

Mots-clés : postulation • réforme de la procédure civile • référés • nullité de fond

Tout le monde connaît la postulation mais qui sait qu’elle n’est définie nulle part dans les textes ? Or, l’extension de la représentation obligatoire résultant de la réforme de la procédure civile entraîne mécaniquement sa propre extension. Il faut donc en maîtriser le fonctionnement, d’autant que le non-respect des règles qui la gouvernent constitue une irrégularité de fond qui peut être soulevée en tout état de cause et sans avoir à justifier d’un grief. En cas de non-respect, tout n’est pas perdu pour autant, mais il faut agir à temps : l’irrégularité peut être couverte, mais seulement avant que le juge statue.


 

La réforme de la procédure civile issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 (N° Lexbase : L8421LT3) n’a, en apparence, pas changé les règles de la postulation. En effet, la réforme n’a modifié qu’à la marge les articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Ces articles réservent la postulation, c’est-à-dire la représentation obligatoire par avocats, à certains avocats devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel, sur une base territoriale.

Après avoir rappelé ce qu'est la postulation est (I), nous verrons que la réforme a subrepticement étendue son champ, tout en créant des incertitudes (II). Nous conclurons en pointant les dangers liés à la non-prise en compte de cette extension et les solutions possibles (III).

I. Ce que la postulation est

De façon étonnante, la postulation n’est définie ni dans les textes ni dans les livres (A). Il faut aller chercher sa définition dans la jurisprudence de la Cour de cassation (B). On s’aperçoit alors que, comme M. Jourdain fait de la prose sans le savoir, les avocats postulent souvent sans le savoir non plus (C).

A. La postulation, un concept sans définition dans les textes et dans les livres

1) Absence de définition dans les textes

On cherchera en vain une définition de la postulation dans le Code de procédure civile ou dans n’importe quel autre code d’ailleurs. Une recherche en plein texte dans Légifrance ne permet de trouver que six occurrences de ce terme dans l’ensemble des codes.

Cinq sont situées dans le Code de commerce. Elles concernent le tarif des avocats dans des matières particulières (saisie immobilière ; partage ; licitation ; sûretés judiciaires). Elles se trouvent à l’article R. 444-71 (N° Lexbase : L1317LKY), au Tableau 6 annexé à l'article R. 444-3 (N° Lexbase : L2443LGL) et à l’Annexe 4-8 du Code de commerce. La sixième occurrence se trouve dans le Code de la Sécurité sociale, à son article R. 653-20 (N° Lexbase : L2222LRQ). Cet article concerne l’allocation que l’avocat peut recevoir en cas d’invalidité temporaire, impliquant la cessation de toute activité, y compris de postulation.

La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est plus riche en utilisation du verbe « postuler » et du mot « postulation » : dix occurrences. Elle oppose le verbe « postuler » à celui de « plaider ». Mais elle n’en propose pas pour autant de définition.

La postulation est donc un terme au contenu juridiquement indéfini.

2) Absence de définition dans les livres

La doctrine n’éclaire pas plus : le principal ouvrage en matière de procédure civile ne contient pas d’entrée « postulation » en tant que telle à son index. Il faut aller chercher sous l’entrée « tribunal judiciaire (procédure) / RO (avocat postulant/avocat plaidant) » pour trouver un renvoi (S. Guichard (s. la dir.), Droit et pratique de la procédure civile 2021|2022, Dalloz, 10e éd., 2019, 441.73).

Un autre ouvrage n’a pas non plus d’entrée propre à son index mais sa classification nous paraît plus convaincante : on retrouve le terme à l’entrée « Représentation en justice / postulation » qui propose deux renvois (J. Héron , Th. Le Bars, K. Salhi, Droit judiciaire privé, LGDJ, 7e éd., 2019, 205, 770). Là encore, aucune définition du terme n’est cependant clairement énoncée.

Enfin, un dernier ouvrage consulté mentionne bien une entrée « postulation » dans son index mais le point auquel il renvoie traite de la définition des dépens. Parmi ceux-ci, les frais de postulation sont évoqués en passant et une définition de la postulation, reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation, est proposée en note de bas-de-page (L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 10e éd., 2017, 47).

La postulation est donc largement un impensé de la procédure civile.

B. La définition issue de la jurisprudence de la Cour de cassation

1) Première définition : la postulation, c’est la représentation obligatoire devant les juridictions

Pour savoir ce qu'est la postulation est, il faut donc se tourner vers la Cour de cassation. Dans un arrêt du 28 janvier 2016, la Cour a posé que « la postulation consiste à assurer la représentation obligatoire d'une partie devant une juridiction ». En conséquence, « un avocat ne postule pas lorsque la représentation n'est pas obligatoire » (Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n°14-29.185, F-P+B+I (N° Lexbase : A9588N4U).

À retenir : la postulation est donc une forme de représentation particulière qui n’existe que lorsque la représentation est obligatoire devant les juridictions.

2) Seconde définition : la postulation, c’est la représentation obligatoire par avocat devant les juridictions

Par deux avis du 5 mai 2017 en matière de représentation devant la cour d’appel en matière prud’homale, la Cour de cassation a encore restreint cette définition (Cass. avis, 5 mai 2017, deux avis, n° 17006 N° Lexbase : A9752WBS et n° 17007 N° Lexbase : A9753WBT). En effet, il semble falloir déduire de ces deux avis que la postulation est la représentation obligatoire par avocat, à l’exclusion des cas où la représentation obligatoire peut se faire par avocat ou par une autre personne.

La Cour de cassation conclut en l’espèce que, si la représentation est bien obligatoire en matière d’appel prud’homale, elle n’est pas réservée aux seuls avocats, un défenseur syndical pouvant aussi représenter les parties. En conséquence de quoi, la Cour de cassation écarte les règles de la postulation.

Cette solution est critiquée en doctrine (J. Héron, Th. Le Bars, K. Salhi, ibid., 770) et nous paraît effectivement plus opportuniste que juridiquement fondée. Mais, en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation, force est de tenir compte de son existence.

À retenir : la postulation est donc une forme de représentation particulière qui n’existe que lorsque la représentation est obligatoire devant les juridictions et qui est de plus assurée par les seuls avocats, à l’exclusion de toute autre personne.

C. La postulation, c’est la prose des avocats

1) La postulation non-dite en cas de cumul des qualités d’avocat plaidant et postulant devant « ses » tribunaux judicaires et « sa » cour d’appel avant la réforme

Cette définition interroge par rapport au langage juridique courant. En effet, dans celui-ci, la postulation désigne le cas où l’avocat doit recourir à un correspondant local car il n’est pas établi dans le ressort de la cour d’appel du tribunal judiciaire saisi ou dans le ressort de la cour d’appel si c’est celle-ci qui est saisie. On a donc un avocat « plaidant » qui a la maîtrise du dossier et un avocat « postulant » qui assure la représentation obligatoire devant la juridiction saisie. Cette dichotomie est usuellement exprimée dans les écritures par la formule « ayant pour avocat postulant : […] et pour avocat plaidant : […] ».

On retrouve ainsi la distinction entre les fonctions de plaidoiries et de postulation de l’avocat énoncée à l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Mais, si l'on applique la définition de la Cour de cassation, la postulation est la représentation obligatioire devant les juridictions par avocat. Ni plus ni moins. L’avocat qui représente un client devant un tribunal judiciaire du ressort de la cour d’appel dans lequel il est établi postule donc aussi. Simplement, il cumule alors sur son chef les deux qualités d’avocat plaidant et postulant, raison pour laquelle les écritures portent usuellement la formule « ayant pour avocat : […] » sans plus de précision que l’avocat à la fois postule et plaide.

Comme M. Jourdain fait de la prose sans le savoir (Molière, Le Bourgeois Gentilhomme, acte II, scène IV), il faut donc en conclure que l’avocat fait souvent de la postulation sans le savoir, lorsqu’il cumule les qualités de postulant et de plaidant.

2) La double limitation territoriale à la postulation avant la réforme

L’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne disait en réalité pas autre chose avant la réforme de la procédure civile. Il ne faisait que fixer une double limitation à la postulation, la première matérielle, la seconde territoriale.

La première limitation, matérielle, concernait les juridictions devant lesquelles l’avocat pouvait postuler : les tribunaux de grande instance et les cours d’appel. Cette limitation matérielle à la postulation était logique puisque la représentation obligatoire par avocat existait essentiellement devant le tribunal de grande instance et la cour d’appel avant la réforme. On ne pouvait postuler devant les tribunaux de commerce ou les Conseils des Prud’hommes, faute de représentation obligatoire devant ces juridictions.

La seconde limitation, territoriale, concernait les tribunaux de grande instance et les cours d’appel devant lesquels l’avocat pouvait postuler : il s’agissait des seuls tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel dans lequel l’avocat était établi et de cette cour d’appel. 

Des ajustements dans deux sens, réduction et extension, étaient prévues à cette limitation territoriale.

Dans le sens de la réduction, devant les tribunaux de grande instance, l’avocat ne pouvait postuler que devant celui dans le ressort duquel il était établi en matière de saisie immobilière, de partage et de licitation, s’il intervenait au titre de l’aide juridictionnelle ou s’il postulait pour un confrère qui aurait été l’avocat plaidant.

Dans le sens de l’extension, les avocats de Paris, Bobigny, Créteil, relevant de la cour d’appel de Paris, et de Nanterre, relevant de la cour d’appel de Versailles, échappaient à la limitation territoriale de la postulation, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la « multipostulation ». C’était l’article 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

À retenir : avant la réforme de la procédure civile, la postulation était donc la représentation obligatoire par les seuls avocats devant les tribunaux judiciaires de la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’avocat était établi et devant cette cour d’appel, sauf limitation à son seul tribunal de grande instance d’établissement dans certains cas (saisie immobilière, partage, licitation, aide juridictionnelle, postulation au profit d’un avocat plaidant) ou extension dans certains endroits (multi-postulation à Paris, Bobigny, Créteil et de Nanterre).

II. L’extension de la postulation à la suite de la réforme et ses incertitudes

Avec la réforme de la procédure civile, le champ de la représentation obligatoire par avocat devant les juridictions s’est étendu, entraînant, mécaniquement, celui de la postulation (A). Mais cette extension n’est pas sans ses parts d’ombres qui, pour certaines, font encore débat aujourd’hui (B).

A. L’extension subreptice de la postulation à la faveur de la réforme de la procédure civile

On sait que l’un des changements majeurs issus de la réforme de la procédure civile résultant des décrets n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 (N° Lexbase : Z7419194) réside dans l’extension de la représentation obligatoire par avocat devant :

  • le tribunal judiciaire (CPC, art. 760) ;
  • le tribunal de commerce (CPC, art. 853) ;
  • le juge de l’exécution (CPCE, art. L. 121-4 et R. 121-6).

Nous renvoyons sur ce sujet aux commentaires précédemment publiés ici (S. Hazoug, Réforme de la procédure civile 2020- Extension de la représentation par avocat » Lexbase, Droit privé, janvier 2020, [LXB= N1954BYZ]C. Simon, Même joueur joue encore : la réforme de la réforme de la procédure civile, Lexbase, Droit privé, décembre 2020, n°847 (N° Lexbase : N5622BYU).

Mécaniquement, l’extension de la représentation obligatoire par avocat entraîne l’extension de la postulation puisque la seconde se définit précisément comme étant la première.

Les avocats postulent donc désormais devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel lorsque la représentation est obligatoire mais aussi devant les tribunaux de commerce et les juges de l’exécution.

C’est du moins le premier mouvement qu’on peut avoir. En pratique, la question est loin d’être claire.

B. Les incertitudes quant à l’étendue de cette extension

1) La déconnexion des règles de postulation issues de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 avec l’extension de la représentation obligatoire issue de la réforme

La réforme de la procédure civile n’a donné lieu qu’à un toilettage superficiel de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, en particulier ses dispositions sur la postulation. L’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 (N° Lexbase : L4046LSN) prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 (N° Lexbase : L6740LPC) et de réforme pour la justice a simplement remplacé les mots « tribunal de grande instance » et « tribunaux de grande instance » par « tribunal judiciaire » et « tribunaux judiciaires » aux articles 5 et 5-1 de la loi.

Alors que la réforme a étendu la représentation obligatoire aux tribunaux de commerce, rien n’est dit sur le cadre géographique de la postulation devant ceux-ci. Nous doutons que ce silence soit volontaire. Plus certainement, cela est dû à l’absence de réflexion d’ensemble des auteurs de la réforme. Celle-ci a modifié certains équilibres antérieurs sans souci des effets secondaires qui n’ont manifestement pas été anticipés car non maîtrisés.

Dans le silence des textes, il faut opter pour l’absence de limitation territoriale à la postulation devant les tribunaux de commerce. À défaut, cela rendrait la procédure impraticable devant cette juridiction puisque les conditions de représentation par avocat seraient inconnues.

Si les textes sont tout aussi silencieux quant à la postulation devant le juge de l’exécution, la logique milite pour appliquer les règles valant devant le tribunal judiciaire. En effet, tout d’abord, le Juge de l’exécution est une fonction particulière du tribunal judiciaire (COJ, art. L. 213-5 N° Lexbase : L7741LPE à L. 213-7 N° Lexbase : L7739LPC). Ensuite, le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, de la procédure de saisie immobilière (COJ, art. L. 213-6 al. 3 N° Lexbase : L7740LPD) qui fait l’objet d’une restriction aux règles habituelles de territorialité de la postulation devant le tribunal judiciaire (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 5 al. 3).

À retenir : après la réforme de la procédure civile, la postulation est la représentation obligatoire par les seuls avocats devant les juridictions.

L’avocat peut postuler devant tous les tribunaux de commerce lorsque la représentation y est obligatoire.

Il ne peut postuler que devant les tribunaux judiciaires et les juges de l’exécution de la cour d’appel dans le ressort de laquelle il est établi et devant cette cour d’appel, sauf limitation à son seul tribunal judiciaire ou juge de l’exécution d’établissement dans certains cas (saisie immobilière, partage, licitation, aide juridictionnelle, postulation au profit d’un avocat plaidant) ou extension dans certains endroits (multi-postulation à Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre).

2) La résistance d’une partie de la doctrine quant aux procédures de référé devant le tribunal judiciaire

Un autre auteur a défendu ici l’idée que la réforme n’aurait pas étendu la représentation obligatoire à l’hypothèse des référés devant le tribunal judiciaire. En effet, pour lui « il est permis de considérer, même si en pratique l’hypothèse est en réalité plutôt d’école, que la dispense de représentation en matière de référés, admise alors que la procédure ordinaire devant le tribunal de grande instance supposait l’intervention d’un avocat, pourra perdurer » (S. Hazoug, ibid.).

Le principal ouvrage en matière de procédure civile est cependant d’un avis contraire (S. Guichard, ibid., 441.71), de même que la Chancellerie.

À la question « l’extension de la représentation obligatoire par avocat à certaines procédures de référé est-elle applicable aux affaires en cours au 1er janvier 2020 ? », la Chancellerie a répondu dans sa Foire aux questions de février 2020 que l’extension de la représentation obligatoire n’était applicable qu’aux instances introduites après le 1er janvier 2020 (Direction des affaires civiles et du sceau, Réforme de la procédure civile – FAQ, février 2020, p. 13 - lien).

Elle vise dans sa réponse les articles 760 (N° Lexbase : L9225LTT) et 761 (N° Lexbase : L8600LY8) du Code de procédure civile propres au tribunal judiciaire. C’est donc bien que, pour la Chancellerie qui a rédigé la réforme, la représentation est désormais aussi obligatoire aux procédures en référé devant le tribunal judiciaire.

Il en est mécaniquement de même de la postulation. La Chancellerie répond d’ailleurs ainsi à la question suivante « est-ce que les règles de la postulation s’appliquent ? » : « Les règles de la postulation issues des articles 4 et 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 n’ont pas été modifiées de sorte qu’elles ont en principe vocation à s’appliquer aux matières qui se sont vues étendre la représentation obligatoire par avocat » (Direction des affaires civiles et du sceau, ibid., p. 13).

La conséquence pratique est que, devant le tribunal judiciaire, il convient désormais d'appliquer les règles propres à la postulation, en particulier sa limitation territoriale, y compris en référé.

À retenir : devant les tribunaux judiciaires, il faut tenir compte des éventuelles limitations territoriales à la postulation, y compris en référé.

3) Le cas du juge de l’exécution

Devant le juge de l’exécution, la Chancellerie a adopté dans sa foire aux questions une position qui étonne au premier abord : les limitations territoriales à la postulation s’appliqueraient en procédure ordinaire lorsque la représentation est obligatoire mais ne s’appliqueraient pas en matière de requête, alors même que la représentation par avocat serait obligatoire (Direction des affaires civiles et du sceau, ibid., p. 13-14).

Le raisonnement de la Chancellerie est le suivant : en matière de requête devant le Juge de l’exécution, il existe en réalité une représentation concurrente par les huissiers de justice, en application des articles L. 122-2 (N° Lexbase : L5811IRN) et R. 121-23 (N° Lexbase : L9213LTE) du Code des procédures civiles d’exécution. En conséquence, il conviendrait de se référer au raisonnement de la Cour de cassation en matière d’appel prud’homal où, pour rappel, la compétence concurrente des défenseurs syndicaux chasse la postulation (voir ci-dessus I. B. 2)). La postulation ne s’appliquerait donc pas en matière de requêtes devant le juge de l’exécution, du fait de la compétence concurrente des huissiers.

La Chancellerie prend cependant le soin d’indiquer qu’elle livre cette analyse « sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions », c’est-à-dire qu’elle reconnaît être incapable d’indiquer les effets d’un texte de procédure dont elle est pourtant l’auteur…

À retenir : les règles de postulation, en particulier leurs limitations territoriales s’agissant du tribunal judiciaire, s’appliquent devant le juge de l’exécution, sauf en matière de requêtes où n’importe quel avocat pourrait présenter une requête selon la Chancellerie.

4) Le séparatisme étatique

Un élément annexe de la réforme de la procédure civile aurait pu constituer une brèche de taille à la postulation devant les tribunaux judiciaires.

L’article 761 du Code de procédure civile prévoit en effet que l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration devant le tribunal judiciaire. Il s’agit d’une dispense générale à la représentation par avocat. La même dispense à l’obligation de représentation par avocat existe dans le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à l’article R. 311-9 (N° Lexbase : L9442LTU).

Cette compétence concurrente aurait pu être utilisée pour tenter d’écarter, de façon générale, les règles de la postulation devant le tribunal judiciaire. Mais la Cour de cassation vient de mettre le holà à une telle interprétation.

Par un avis du 6 mai 2021 concernant la procédure en matière d’expropriation, elle a jugé que cette dispense ne profitait qu’à certaines personnes publiques, ès-qualités, et ne s’étendait pas aux autres parties. Par conséquent, les règles de la postulation s’appliquent aux autres parties, malgré la compétence concurrente des fonctionnaire et agents de certaines personnes publiques pour représenter celles-ci mais seulement celles-ci (Cass. avis, 6 mai 2021, n° 15007 N° Lexbase : A88644RQ).

La postulation devant le tribunal judiciaire est donc sauve.

III. Dangers liés à l’extension de la postulation et solutions possibles

Ceci exposé, il convient de s’intéresser aux dangers liés à l’extension de la postulation. Ce sont, en pratique, les dangers habituels inhérents au non-respect des règles de la postulation (A). Il en est de même des solutions (B).

A. Dangers liés à l’extension de la postulation

1) La violation des règles de postulation est sanctionnée d’une nullité de fond

Le non-respect des règles de postulation constitue une irrégularité de fond. En effet, ce non-respect correspond à un défaut de capacité d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice au sens de l’article 117 du Code de procédure civile. La doctrine le dit (S. Guichard (s. la dir.), ibid., 441.73), tout comme la jurisprudence (Cass. civ. 2, 23 octobre 2003, n°01-17.806, FS-P+B N° Lexbase : A9382C9D ; Cass. civ. 2, 9 janvier 1991 n° 89-16.180N° Lexbase : A0501CQM, commenté dans JCP G n°16, 15 avril 1992, II 21831). Tout acte réalisé en violation des règles de postulation se trouve ainsi menacé d’une nullité de fond.

Le risque est donc aujourd’hui que certains avocats qui n’ont pas pris conscience des conséquences de la réforme de la procédure civile en matière de postulation se présentent demain par exemple devant le juge des référés d’un autre tribunal judiciaire qu’un de ceux se trouvant dans le ressort de la cour d’appel où ils résident alors que la représentation est obligatoire. Cette situation entraînera :

  • en demande, la nullité de l’assignation ;
  • en défense, l’impossibilité d’entendre l’avocat qui se présente pour plaider puisque son client n’est pas valablement représenté devant le tribunal.

Tout jugement obtenu en violation des règles de postulation se trouvera quant à lui automatiquement frappé de nullité (voir Cass civ. 2, 9 janvier 1991 précité).

Comme pour toute nullité de fond, l’irrégularité tenant au défaut de capacité de l’avocat ne pouvant postuler peut être soulevée en tout état de cause (CPC, art. 118 N° Lexbase : L8421IRC) et celui qui la soulève n’a pas à justifier d’un grief (CPC, art. 119 N° Lexbase : L1407H4U).

C’est donc un danger majeur pour l’avocat.

2) Le piège de la séparation des qualités d’avocat postulant et plaidant

Lorsque la postulation est obligatoire et qu’elle est de plus réservée à certains avocats sur une base territoriale, comme devant le tribunal judiciaire en application de l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, son respect est par conséquent primordial.

Cela inclut le respect de la restriction supplémentaire obligeant à ce que le postulant soit non seulement établi dans le ressort de la cour d’appel du tribunal saisi mais, plus encore, établi dans le ressort de ce tribunal s’il n’est pas le plaidant.

Pour illustrer cela d’exemples, soit une instance en référé devant le tribunal judiciaire avec représentation obligatoire :

  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat parisien pour une audience devant le juge des référés du tribunal de Paris n’est pas critiquable ;
  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat parisien pour une audience devant le juge des référés du tribunal de Grasse est frappée d’une nullité de fond (l’avocat parisien ne peut pas postuler devant le tribunal de Grasse) ;
  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat postulant niçois avec un avocat plaidant parisien devant le juge des référés du tribunal de Grasse est frappée d’une nullité de fond (l’avocat niçois ne peut pas postuler devant le tribunal de Grasse. Le tribunal de Grasse est certes dans le ressort de la même cour d’appel que le tribunal de Nice, celle d’Aix-en-Provence, mais l’avocat niçois n’a pas la maîtrise du dossier et ne plaide pas et ne peut donc pas postuler devant un autre tribunal que celui de Nice) ;
  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat postulant grassois avec un avocat plaidant parisien devant le juge des référés du tribunal de Grasse n’est pas critiquable (l’avocat grassois peut postuler devant le tribunal dans le ressort duquel il réside, même s’il n’a pas la maîtrise du dossier et ne plaide pas).

À retenir : le non-respect des règles de postulation, en particulier de leurs limitations territoriales s’agissant du tribunal judiciaire, est sanctionné par une nullité de fond.

B. Les solutions face à ces dangers

Le risque attaché à une nullité de fond est amoindri par le fait que ce type de nullités peut être couvert avant que le juge statue (CPC, art. 121 N° Lexbase : L1412H43).

C’est ainsi que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de sauver une procédure devant l’ancien tribunal de grande instance (Cass. civ. 2, 20 mai 2010, n° 06-22.024, FS-P+B N° Lexbase : A7198EXU). En l’espèce, la procédure avait débuté classiquement par une assignation mais celle-ci mentionnait en tant que postulant un avocat qui ne pouvait postuler devant le tribunal saisi. Heureusement pour le demandeur, un avocat pouvant postuler devant ce tribunal s’est constitué avant que le juge statue, couvrant l’irrégularité.

À retenir : si les règles de postulation n’ont pas été respectées, il est possible de couvrir l’irrégularité de fond en constituant un avocat pouvant postuler, jusqu'à ce que le juge statue.

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Revirement : fin de l'exclusivité des dispositions de l'article R. 411-21 du CPI

Réf. : Cass. com., 12 mai 2021, n° 18-15.153, FS-P (N° Lexbase : A52794RX)

Lecture: 8 min

N7526BYE

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par Vincent Téchené

Le 19 Mai 2021

► L'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3862ADE) doit être désormais interprété en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l'application de l'article 126 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1423H4H) et que, dès lors, l'irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l'INPI résultant de l'omission, dans la déclaration de recours, d'une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes.

Faits et procédure. La société Sogiphar, titulaire de la marque complexe « LIBEOZ », déposée le 25 juillet 2016 et enregistrée pour désigner, notamment, les produits pharmaceutiques, produits hygiéniques pour la médecine, aliments et substances diététiques à usage médical, compléments alimentaires, emplâtres, matériels pour pansements, désinfectants, appareils et instruments chirurgicaux, médicaux, articles orthopédiques et matériel de suture, a formé opposition à la demande d'enregistrement portant sur le signe verbal « LIBZ », déposée le 12 septembre 2016 par la société Biogaran, pour désigner des produits identiques et similaires. Par décision du 21 juin 2017, le directeur de l'INPI a rejeté l'opposition.

La société Sogiphar a formé un recours contre cette décision. Son recours ayant été déclaré irrecevable (CA Douai, 8 février 2018, n° 17/04577 N° Lexbase : A9290XC3), cette dernière a formé un pourvoi en cassation.

Décision : revirement. Opérant un revirement de jurisprudence de première importance, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 6, § 1, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR).

Elle rend un arrêt particulièrement pédagogique.

En effet, elle commence par rappeler qu’il résulte de l’article 6, § 1, de la CESDH, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme, que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle, de par sa nature même, une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même, et elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, de la CESDH que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, 28 octobre 1998, Req. 116/1997/900/1112, § 44 N° Lexbase : A7537AW3 ; CEDH, 26 janvier 2017, Req. 797/14 et 67755/14, § 42 N° Lexbase : A5893TAI ; CEDH, 13 mars 2018, Req. 56354/09 et 24970/08, § 40 N° Lexbase : A9077XGB).

Elle poursuit en précisant que, s'agissant plus particulièrement de la réglementation relative aux formes à respecter pour introduire un recours, elle vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, et la Cour européenne des droits de l'Homme a considéré que les intéressés devaient s'attendre à ce que ces règles soient appliquées, rappelant, à cet égard, qu'il leur incombe au premier chef de faire toute diligence pour la défense de leurs intérêts.

Or, les dispositions de l'article R. 411-21 du Code de propriété intellectuelle, dans leur rédaction alors applicable, qui prévoient qu'à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration de recours contre une décision rendue par le directeur de l'INPI comporte lorsque le requérant est une personne morale, les précisions de sa forme, sa dénomination, son siège social et de l'organe qui la représente légalement, sont légitimes, dès lors que, s'appliquant à un recours contre l'acte administratif individuel que constitue la délivrance d'un titre de propriété industrielle par le directeur de l'INPI (Cass. com., 31 janvier 2006, n° 04-13.676, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6045DMT), elles sont destinées à assurer le respect du principe de sécurité juridique. En effet, poursuit la Haute juridiction, l'obligation pour la personne morale de mentionner l'organe la représentant permet au juge et à la partie défenderesse de s'assurer que le recours est formé par un organe habilité à engager et représenter la personne morale.

La Cour de cassation estime ensuite que, énoncée clairement par le texte susvisé, cette formalité peut être aisément accomplie, dès lors que la personne morale connaît nécessairement l'identité de son représentant légal, de sorte que ce texte ne crée aucune incertitude et permet à l'auteur du recours, qui doit s'attendre à ce que ces règles soient appliquées et faire toute diligence pour la défense de ses intérêts, de se conformer aux exigences du texte. Cependant, tandis que l'article 126 du Code de procédure civile dispose que, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, il est jugé de façon constante que les dispositions de l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle sont spécifiques, qu'elles excluent l'application de l'article 126 du code précité et qu'il ne peut donc être procédé à la régularisation ultérieure d'un défaut de mention (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 02-14.115, F-D N° Lexbase : A6955DAT ; Cass. com., 17 juin 2003, n° 01-15.747, FS-P N° Lexbase : A8564C8P).

Or, la possibilité de régularisation jusqu'à ce que le juge statue n'empêcherait pas le contrôle du juge et ne porterait aucune atteinte aux intérêts légitimes de la partie défenderesse. Par ailleurs, les objectifs de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, auxquels répond l'irrecevabilité pour défaut d'une des mentions requises, ne seraient pas affectés par l'ouverture d'une telle possibilité de régularisation.

Par conséquent, opérant donc un revirement important, la Cour retient que l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il a jusqu'à présent été interprété, n'assure pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et porte une atteinte excessive au droit d'accès au juge. Il apparaît donc, selon elle, nécessaire d'abandonner la jurisprudence précitée et d'interpréter désormais l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l'application de l'article 126 du Code de procédure civile et que, dès lors, l'irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l'INPI résultant de l'omission, dans la déclaration de recours, d'une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes.

Application au cas d’espèce. Pour la Haute juridiction, cette nouvelle interprétation ne saurait toutefois être opposée à la société Sogiphar, pour lui reprocher de ne pas avoir procédé à la régularisation de la situation résultant du défaut de mention dans sa déclaration de recours de l'organe la représentant, dans la mesure où la jurisprudence antérieure excluait toute possibilité de régularisation. Or, elle constate que, pour déclarer irrecevable le recours de la société Sogiphar, l'arrêt d’appel relève qu'il a été formé par cette société, « prise en la personne de ses représentants légaux », et retient que, dès lors qu'une société anonyme n'a pas le même représentant légal, selon qu'elle est à conseil d'administration ou à directoire et conseil de surveillance, la seule mention de sa forme sociale ne permet pas de déduire l'organe la représentant légalement.

Censure. En conséquence, la Cour de cassation retient qu’en statuant ainsi, alors qu'elle devait écarter l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété alors, en tant qu'il atteignait de façon disproportionnée le droit d'accès à un tribunal de la société Sogiphar, la cour d'appel a méconnu les exigences de l’article 6, § 1, de la CESDH.

À noter : cet arrêt fera l’objet d’un commentaire par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski publié dans une édition de Lexbase Affaires à venir.

 

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Responsabilité

[Jurisprudence] Le fauteuil roulant électrique n’est pas un véhicule terrestre à moteur

Réf. : Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 20-14.551, FS-P+R (N° Lexbase : A32874R8)

Lecture: 17 min

N7518BY4

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par Marc Dupré, Enseignant-chercheur en droit privé, Université Catholique de l’Ouest – CREDO, Chercheur associé IEJUC EA1919

Le 19 Mai 2021


Mots clés : loi du 5 juillet 1985 • accident de la circulation • véhicule terrestre à moteur (VTM) • handicap • fauteuil roulant électrique • exclusion

Un fauteuil roulant électrique n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985. Son occupant ne peut donc être qualifié de conducteur de celui-ci et ne peut se voir opposer que sa faute inexcusable, cause exclusive de son dommage.


 

Par un arrêt rendu le 6 mai 2021 (Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 20-14.551, FS-P+R N° Lexbase : A32874R8), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur la qualification juridique des fauteuils roulants électriques utilisés sur la voie publique par des personnes en situation de handicap. Au visa de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (N° Lexbase : L7887AG9) et de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, elle considère que ces fauteuils sont des dispositifs médicaux qui ne peuvent être assimilés à des véhicules terrestres à moteur. Cette solution peut être approuvée, respectant l’esprit de la législation et les engagements internationaux de la France.

Une femme est infirme moteur cérébral et hémiplégique. Elle effectue tous ses déplacements en dehors de chez elle grâce à un fauteuil roulant électrique. Le 11 février 2015, elle subit un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur. L’assureur de ce dernier refuse de l’indemniser, arguant de la commission d’une faute exclusive de son droit à indemnisation.

Après avoir obtenu satisfaction par un jugement du 19 novembre 2018, la victime voit la cour d’appel d’Aix-en-Provence infirmer partiellement cette décision. Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2020, elle réduit de moitié son droit à indemnisation (CA Aix-en-Provence, 30 janvier 2020, n° 19/01114 N° Lexbase : A20963DY).

La cour d’appel considère, en effet, que la victime en fauteuil roulant électrique était conductrice d’un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985. Elle s’appuie pour cela sur la définition du véhicule terrestre donnée à l’article L. 211-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L4187H9X), ainsi que sur l’article R. 412-34 du Code de la route (N° Lexbase : L0795LTM) définissant la notion de piéton et assimilés.

La victime forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation, soulevant une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour refusera de transmettre au Conseil constitutionnel dans un arrêt du 1er octobre 2020 [1].

Elle conteste également dans un deuxième moyen, pris en ses deux premières branches, le fait que la cour d’appel ait retenu qu’elle était conductrice d’un véhicule terrestre à moteur et qu’elle aurait commis une faute justifiant la réduction de son droit à indemnisation. Le fauteuil roulant électrique ne relève pas, selon elle, de la catégorie des véhicules terrestres à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985.

Il s’agissait donc pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation de s’interroger sur la nature d’un fauteuil électrique disposant d’un mécanisme de propulsion autonome.

S’appuyant sur les articles 1er (N° Lexbase : C93968K9), 3 (N° Lexbase : C94228K8) et 4 (N° Lexbase : C94318KI) de la loi du 5 juillet 1985, et incidemment sur les articles 1, 3 et 4 de la Convention internationale des droits des personnes handicapées du 30 mai 2007, la Cour de cassation va casser l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Elle considère que le fauteuil roulant électrique est un « dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap » ne relevant pas de la catégorie des véhicules terrestres à moteur. Dès lors, la personne placée dans un tel dispositif ne peut être conductrice au sens de la loi. Sa qualité de non-conductrice consacrée, seule une faute inexcusable, cause exclusive de l’accident, peut lui être opposée.

Cette solution doit être approuvée. L’esprit de la loi du 5 juillet 1985 réside dans le fait de favoriser l’indemnisation des victimes d’un accident de la circulation, en ce notamment « les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées, et celles en situation de handicap ».

Tranchant une question réelle sur le champ d’application de la loi du 5 juillet 1985, la décision offre aussi des perspectives intéressantes quant à la finalité de la loi et à la protection des victimes en situation de handicap.

I. Une justification originale du statut du fauteuil électrique

Si l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 a donné des précisions quant à la nature d’un véhicule terrestre à moteur, il n’en demeure pas moins des ambiguïtés (A), résolues pour partie dans cette décision (B).

A. Les tergiversations du droit positif

L’article 1er de la loi précise que : « Les dispositions du présent chapitre s'appliquent, même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ». 

Il ne définit ainsi pas la notion de véhicule terrestre à moteur, ce qui n’est pas sans soulever des difficultés. Les précisions apportées par l’article sur les remorques ou semi-remorques ainsi que sur les chemins de fer et tramways disposant d’une voie propre soulèvent encore le débat [2].

Néanmoins, on trouve à l’article L. 211-1 du Code des assurances plusieurs critères du véhicule terrestre soumis à assurance obligatoire, à savoir « tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée ». Une correspondance entre les notions de véhicule terrestre au sens des deux textes apparaît cohérente puisque l’un des objectifs de la loi du 5 juillet 1985 est, in fine, de faire appel à l’assureur du véhicule pour indemniser les victimes. Tout véhicule ne rentrant pas dans cette définition ne devrait pas permettre l’application de la loi sur les accidents de la circulation. A contrario, peut-on déduire que tout véhicule y correspondant devrait être soumis à la loi du 5 juillet 1985 ? C’est dans cette logique qu’avait statué la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Pourtant, il n’existe pas une identité absolue entre les véhicules soumis à assurance obligatoire et la notion de véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985. La Cour de cassation a ainsi admis qu’une mini-moto, pourtant non soumise à assurance obligatoire, relevait de la loi sur les accidents de la circulation [3]. Par ailleurs, la Cour a pu exclure l’application de la loi lorsqu’un accident était dû à un élément étranger à la fonction de déplacement du véhicule [4].

Dès lors, se posait la question de savoir si un fauteuil roulant électrique devait ou non entrer dans la catégorie des véhicules terrestres à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985. Pour la cour d’appel, cela ne faisait aucun doute : d’une part le véhicule correspondait bien à la définition du Code des assurances en ce qu’il disposait d’un mécanisme autonome de propulsion. Par ailleurs, au regard de l’espèce, elle considérait qu’un tel engin ne pouvait assimiler son occupant à un piéton au sens du Code de la route [5], n’étant concernés dans celui-ci que : « Les infirmes qui se déplacent dans une chaise roulante mue par eux-mêmes ou circulant à l'allure du pas », ce qui n’est pas le cas de nombreux fauteuils électriques pouvant aller à une vitesse supérieure à la marche humaine.

Pourtant, et c’est ce qu’appuie la Cour de cassation, il existait bien des motifs permettant de justifier l’exclusion des fauteuils électriques de la catégorie des véhicules terrestres à moteur.

B. Une réponse à des enjeux juridiques et sociétaux

La Cour de cassation fait ici œuvre de pédagogie pour justifier sa solution. Elle rappelle que l’objectif de la loi de 1985 est de protéger un certain nombre d’usagers de la route, et notamment les personnes en situation de handicap. L’article 3, alinéa 2, de la loi mentionne en ce sens : « Les victimes […] titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur reconnaissant un taux d'incapacité permanente ou d'invalidité au moins égal à 80 p. 100 ». 

L’usage d’un fauteuil électrique par ces personnes est subi. Il ne s’agit pas d’une situation « normale » de conduite d’un engin motorisé, mais bien d’une situation dans laquelle une personne en état de faiblesse trouve l’occasion d’une certaine autonomie. Sans ce dispositif, il est peu probable que la personne puisse sortir régulièrement de chez elle, à moins de trouver un accompagnant pour pousser un fauteuil roulant mécanique. Il n’y a donc pas à distinguer, comme l’a fait à tort la cour d’appel, entre une personne en situation de handicap se déplaçant dans un fauteuil non motorisé et une personne en situation de handicap occupant un fauteuil électrique. Il faut tenir compte en priorité de l’état de la victime occupant un dispositif médical lui permettant de se déplacer. Néanmoins, la position peut encore être critiquable si l’on s’appuie sur le fait que nous sommes bien en présence d’un véhicule comprenant toutes les caractéristiques du droit des assurances.

La référence à la Convention internationale des droits des personnes handicapées, même si elle ne justifie pas in fine la cassation de l’arrêt d’appel, est à ce titre très intéressante. La Convention a été ratifiée par la France le 31 décembre 2009 et elle est entrée en application le 20 mars 2010.

La référence à celle-ci se situe également dans le prolongement de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la victime, qui évoquait « une atteinte au principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine tel qu’il résulte de l’article 1er du préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), la liberté d’aller et de venir protégée par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et les exigences constitutionnelles résultant des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 qui impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes handicapées ». La question avait été rejetée en invoquant l’absence de « caractère sérieux, dès lors que l’incompétence négative du législateur invoquée n’affecte aucun des droits ou libertés garantis par la Constitution, visés par la question, en l’absence d’interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées, dont il résulterait qu’un fauteuil roulant électrique est un véhicule terrestre à moteur au sens et pour l’application des articles 1er, 3 et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ».

La Cour opère indirectement une réponse à la question soulevée par la victime. En effet, cette Convention rappelle aux articles visés par la Cour de cassation « la pleine et égale jouissance de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées » [6]. Elle a pour objectif : « Le respect de la dignité intrinsèque, de l'autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l'indépendance des personnes […] ; L'accessibilité » [7]. Elle vise à : « Entreprendre ou encourager […] les aides à la mobilité, les appareils et accessoires et les technologies d'assistance […] » [8].

Du moment que le moyen de transport utilisé est adapté à une situation de handicap, et offre la possibilité à cette personne d’exercer ses droits fondamentaux, en ce notamment celui d’aller et de venir, il n’y a donc pas lieu de lui appliquer un statut différent d’une personne en situation de handicap utilisant un moyen de transport non motorisé, laquelle sera toujours considérée comme non-conductrice.

Plus encore, et bien que cela ne soit pas précisé dans la décision, il faut rappeler que les fauteuils électriques sont reconnus en droit français comme un dispositif médical de classe I [9]. Il ne faut donc pas observer d’abord la réalité objective d’un véhicule terrestre à moteur, mais bien l’existence d’un dispositif médical destiné au déplacement de personnes en situation de handicap. Il ne s’agit pas seulement d’un instrument de confort offrant la possibilité d’aller et de venir, mais véritablement d’un dispositif « destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales » [10].

La référence à la notion de « dispositif médical » par la Cour de cassation est d’ailleurs bienvenue pour éviter tout excès. Il nous semblerait largement critiquable de transposer la solution à d’autres véhicules transformés pour tenir compte d’une situation de handicap. Ainsi, un véhicule automobile dont la position du conducteur serait adaptée à une hémiplégie ne devrait pas entraîner le statut de non-conducteur de la personne occupant cette place. Il ne s’agirait plus ici d’un pur dispositif médical, mais d’une adaptation d’un véhicule terrestre à moteur à une situation de handicap, ce qui est différent.

Une fois le fauteuil électrique qualifié de dispositif médical, demeuraient encore les conséquences à en tirer quant au statut de son occupant victime d’un accident de la circulation.

II. La reconnaissance du statut de non-conducteur

L’intérêt premier de la qualification du fauteuil en dispositif médical est de placer la victime dans une situation de personne non-conductrice limitant les causes d’exclusion de son indemnisation (A). Par ailleurs, se pose incidemment avec cette décision la question des contrats d’assurance liés à l’utilisation de ces fauteuils (B).

A. Une indemnisation facilitée de la victime

La Cour exprime ici avec clarté les conséquences attachées au statut du fauteuil électrique.

Si la qualification de véhicule terrestre à moteur l’avait emportée, son occupant en aurait été le conducteur, disposant pour son utilisation « d’une direction, d’un siège et d’un dispositif d’accélération et de freinage ». L’article 4 de la loi, visé dans la décision, rappelle que : « La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ». C’est en ce sens que la cour d’appel avait pu réduire de moitié le droit à indemnisation de la victime.

En revanche, en qualifiant le fauteuil de dispositif médical, la Cour de cassation modifie le statut de son occupant, lequel devient un non-conducteur. L’article 3, alinéa 1er, de la loi du 5 juillet 1985 s’applique alors, lequel précise : « Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident ».

Cette disposition, qui vise à favoriser l’indemnisation des atteintes à la personne subies par les victimes, offre alors la quasi-garantie d’obtenir l’indemnisation intégrale des postes de préjudice correspondant. La démonstration d’une faute inexcusable, « faute volontaire, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » [11], est bien difficile pour le défendeur et son assureur [12].

Au-delà du cas d’espèce, cette décision pourrait s’étendre à d’autres situations. En rappelant que la loi protège « certaines catégories d’usagers de la route », la Cour de cassation pourrait être tentée de restreindre la notion de conducteur en vue de garantir l’indemnisation de ces victimes, à l’instar des enfants jouant avec une mini-voiture électrique qui seraient percutés par un véhicule [13].

Néanmoins, la solution pourrait paradoxalement se retourner contre son bénéficiaire. En effet, si un fauteuil électrique ou une mini-moto cause un dommage à un véhicule tiers ou renverse un piéton, le recours de la victime ne pourra se faire que sur le fondement du droit commun [14]. Si, pour le mineur, la question est réglée par l’assurance souscrite en principe par ses parents pour les dommages qu’il peut causer à des tiers, la situation des personnes en situation de handicap peut interroger.

Deux solutions apparaissent alors. La première consisterait à affirmer que le fauteuil électrique est un véhicule terrestre à moteur lorsqu’il est impliqué dans un accident causant un dommage à un tiers, tandis qu’il serait un pur dispositif médical lorsque son occupant subirait un dommage. Cette solution viserait à « quasi-garantir » à la victime la réparation de ses atteintes à la personne, tandis qu’elle serait responsable des dommages subis par les tiers en tant que gardien du véhicule. Cette approche n’est pas sans rappeler les enjeux des jurisprudences précitées relatives aux jouets motorisés pour enfants [15]. Néanmoins, cette solution qui qualifie la chose en fonction de son implication dans l’accident auquel un dommage peut être imputé et du statut de son gardien ou de son occupant s’avère en pratique tout à fait insatisfaisante.

La seconde solution, plus cohérente, consisterait à toujours définir un fauteuil électrique comme un dispositif médical, notion exclusive du véhicule terrestre à moteur pour celui qui le conduit ou son gardien. La solution, qui responsabiliserait sur le fondement du droit commun le propriétaire d’un tel dispositif, a des implications en droit des assurances.

B. Les implications en droit des assurances

En affirmant que le fauteuil électrique est un dispositif médical, et non un véhicule terrestre à moteur, la Cour de cassation ravive un véritable questionnement quant à l’assurance qu’il est nécessaire de souscrire pour couvrir sa responsabilité en cas de dommage causé principalement sur la voie publique [16].

En 2015, une réponse ministérielle avait pu fournir des éléments sibyllins sur le sujet [17] : « L'article L. 211-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L4187H9X) ne précisant pas le type d'assurance devant être souscrite, le ministère des Finances, chargé de la réglementation des assurances, précise que l'obligation d'assurance des véhicules n'entrant pas dans le champ du Code de la route, comme par exemple les fauteuils électriques utilisés par les handicapés, peut être remplie par la souscription d'une assurance multirisques habitation ou de toute assurance responsabilité civile dès lors qu'elle couvre la responsabilité civile de toutes les personnes ayant la garde du véhicule ».

Néanmoins, en pratique, certains assureurs jouent toujours sur une certaine ambiguïté du statut de ces fauteuils pour inciter les propriétaires à souscrire en plus d’une assurance couvrant leur responsabilité civile « classique », une assurance pour les accidents de la circulation dans lesquels le véhicule serait impliqué. Cela est notamment le cas lorsque le fauteuil électrique dépasse la vitesse de 6 km/h, correspondant à « l’allure du pas » prévue à l’article R. 412-34, II, 3°, du Code de la route (N° Lexbase : L0795LTM).

En évinçant très clairement les fauteuils roulants électriques de la catégorie des véhicules terrestres à moteur, la Cour de cassation nous semble inciter à exclure ces dispositifs de l’obligation d’assurance. En tout état de cause, une précision normative pourrait s’avérer utile en ce domaine.

 

[1] Cass. civ. 2, 1er octobre 2020, n° 20-14.551, F-D (N° Lexbase : A68503WM).

[2] Les accidents dans lesquels sont impliqués des tramways a encore récemment illustré les difficultés d’appréciation de la notion de « voie propre » : Cass. civ. 2, 5 mars 2020, n° 19-11.411, F-P+B+I (N° Lexbase : A04293HD) (rejet de l’application de la loi).

[3] Cass. civ. 2, 22 octobre 2015, n° 14-13.994, F-P+B (N° Lexbase : A0129NUC) ; v. contra Cass. civ. 2, 4 mars 1998, n° 96-12.242 (N° Lexbase : A2645ACX).

[4] Cass. civ. 2, 18 mai 2017, n° 16-18.421, F-P+B (N° Lexbase : A4903WDX) ; Cass. civ. 2, 9 juin 1993, n° 91-12.452 (N° Lexbase : A5588ABL) ; Cass. civ. 2, 8 janvier 1992, n° 90-19.143 (N° Lexbase : A5562AHH).

[5] C. route, art. R. 412-34, II, 3°.

[6] Convention internationale des droits des personnes handicapées, art. 1.

[7] Convention internationale des droits des personnes handicapées, art. 3.

[8] Convention internationale des droits des personnes handicapées, art. 4.

[9] Sur la notion de dispositif médical, v. CSP, art. L. 5211-1 (N° Lexbase : L7588IG7) et R. 5211-7 (N° Lexbase : L9267ISZ). Un dispositif de classe I a pour caractéristique de présenter un risque faible pour son utilisateur.

[10] CSP, art. L. 5211-1.

[11] Cass. civ. 2, 20 juillet 1987, n° 86-11.275 (N° Lexbase : A5422AYH) ; Ass. plén., 10 novembre 1995, n° 94-13.912 (N° Lexbase : A8505ABM).

[12] Cass. civ. 2, 6 novembre 1996, n° 95-12.428 (N° Lexbase : A0374ACT) ; Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 16-11.986, F-P+B (N° Lexbase : A9831TRK).

[13] Cass. civ. 2, 4 mars 1998, n° 96-12.242 (N° Lexbase : A2645ACX).

[14] V. notamment, parmi les dix arrêts rendus sur la question à cette date, Cass. civ. 2, 20 juillet 1987, n° 86-11.275 (N° Lexbase : A5422AYH).

[15] On peut aussi opérer un certain parallèle avec l’article 1255 de la Proposition de loi du 29 juillet 2020 portant réforme de la responsabilité civile [en ligne]. Il envisage que les victimes privées de discernement ne pourraient se voir opposer leur faute ayant contribué à la production de leur dommage, mais répondraient toujours de leur acte dommageable envers des tiers.

[16] B. de Bertier-Lestrade, La responsabilité civile et le handicap, D. 2020. 1628 : « À l'heure où les trottinettes à moteur ou même une mini moto pour enfant de six ans, ont été qualifiées de véhicules terrestres à moteur, le statut des fauteuils roulants électriques demeure incertain ce qui est source d'insécurité ».

[17] QE n° 60219 de M. Jean-Louis Bricout, JOANQ 15 juillet 2014, réponse publ. 9 juin 2015, p. 4335 (N° Lexbase : L6203KEH).

newsid:477518

Responsabilité

[Brèves] Consécration du préjudice de dévalorisation sociale de la victime exclue définitivement du monde du travail

Réf. : Cass. civ. 1, 6 mai 2021, n° 19-23.173, FS-P+R (N° Lexbase : A32544RX)

Lecture: 2 min

N7519BY7

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 19 Mai 2021

► Au titre de l’incidence professionnelle, la victime peut obtenir réparation du préjudice de dévalorisation sociale en cas d’exclusion définitive du monde du travail.

Faits et procédure. À la suite d’un accident de train, un passager s’est trouvé empêché de travailler. Représenté par son tuteur, la victime, ainsi que sa femme, agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de leurs enfants mineurs, demandèrent l’indemnisation de leur préjudice. La cour d’appel refusa d’admettre l’existence d’un préjudice lié à l’incidence professionnelle en excluant tout préjudice de carrière, perte de chance de progression et par conséquent, de préjudice distinct de la perte des gains professionnels futurs. Le pourvoi considérait quant à lui que l’impossibilité pour lui d’exercer une activité professionnelle faisait naître un préjudice lié « à la perte d’identité sociale que donne un emploi ou à l’"anomalie sociale", au-delà et en sus de la perte financière également subie ».

Solution. C’est après avoir visé « le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime » que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au motif que les juges du fond n’avaient pas recherché « l’existence d’un préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle ». Ce faisant, la Cour de cassation consacre le préjudice de dévalorisation sociale du fait de l’impossibilité définitive pour la victime de travailler (comp. préc. Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-18.199, F-D N° Lexbase : A5256NII), indépendant de la perte des gains professionnels futurs.

newsid:477519

Sociétés

[Brèves] Introduction par la loi « Sapin II » de la responsabilité des associés de SAS à l’égard des tiers en cas d’apport en nature : application dans le temps

Réf. : Cass. com., 12 mai 2021, n° 20-12.670, F-P (N° Lexbase : A52824R3)

Lecture: 3 min

N7561BYP

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par Vincent Téchené

Le 21 Mai 2021

► La règle introduite à l’article L. 227-1, alinéa 7, du Code de commerce (N° Lexbase : L2397LR9) par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (N° Lexbase : L6482LBP), selon laquelle lorsqu'il n'y a pas eu de commissaire aux apports ou lorsque la valeur retenue est différente de celle proposée par le commissaire aux apports, les associés de SAS sont solidairement responsables pendant cinq ans, à l'égard des tiers, de la valeur attribuée aux apports en nature lors de la constitution de la société, n'est applicable que lorsque les statuts de la société ont été signés à compter du 11 décembre 2016, date d'entrée en vigueur de cette loi.

Faits et procédure. Une SAS a été mise en redressement judiciaire le 6 décembre 2016, puis en liquidation judiciaire le 24 janvier 2017. Un arrêt a ensuite fixé les créances d’un créancier au passif de la procédure collective de la SAS au titre de factures impayées antérieures. Invoquant une surévaluation des apports en nature effectués par deux associés de la SAS lors de la constitution de la société, la créancière les a assignés en paiement des sommes dues au titre de ces factures, sur le fondement des articles 2285 du Code civil (N° Lexbase : L1113HI3) et L. 223-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L7636LBG).

La cour d’appel ayant rejeté les demandes de la créancière (CA Grenoble, 5 décembre 2019, n° 18/04530 N° Lexbase : A2519Z7G), elle a formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4) et L. 227-1, alinéa 7, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.

Elle rappelle que selon le premier de ces textes, la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. Il en résulte, selon elle, que la responsabilité extracontractuelle est soumise à la loi en vigueur au jour du fait générateur de responsabilité.

Par ailleurs, aux termes du second de ces textes, lorsqu'il n'y a pas eu de commissaire aux apports ou lorsque la valeur retenue est différente de celle proposée par le commissaire aux apports, les associés sont solidairement responsables pendant cinq ans, à l'égard des tiers, de la valeur attribuée aux apports en nature lors de la constitution de la société.

Selon la Haute juridiction, il en résulte que ce texte n'est applicable que lorsque les statuts de la société ont été signés à compter du 11 décembre 2016, date d'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.

Or, la Cour de cassation relève que, pour rejeter les demandes formées par la créancière, l'arrêt d’appel se fonde sur l'article L. 227-1, alinéa 7, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi « Sapin II ».

Ainsi, en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la SAS avait été mise en redressement judiciaire le 6 décembre 2016, de sorte que la constitution de la société était nécessairement antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, la cour d'appel a violé les textes visés.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La constitution de la société par actions simplifiée, Les apports en nature, in Droit des sociétés, (dir. B. Saintourens), Lexbase (N° Lexbase : E3260AUB).

 

newsid:477561

Vente d'immeubles

[Brèves] Pas d’exemption du paiement de la rémunération due à l’agent immobilier en cas d’exercice du droit de préemption

Réf. : Cass. civ. 3, 12 mai 2021, n° 19-25.226, FS-P (N° Lexbase : A52754RS)

Lecture: 3 min

N7558BYL

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 24 Mai 2021

► La commune qui exerce son droit de préemption est tenue au paiement de la rémunération due à l’agent immobilier auquel s’était engagé l’acquéreur pressenti ; mais cette obligation ne s’impose qu’à la condition que cette rémunération soit mentionnée dans l’engagement entre le vendeur et l’acquéreur pressenti, et dans la déclaration d’intention d’aliéner.

Faits et procédure. En l’espèce, le propriétaire d’un immeuble souhaitant se déposséder de son bien avait fait appel à un agent immobilier, lequel trouva un acquéreur. La promesse unilatérale de vente, conclue sous conditions suspensives, précisait le montant de la rémunération due à l’agent immobilier, rémunération qui incombait à l’acquéreur. Cependant, la commune exerça son droit de préemption. Il s’agissait alors de savoir si la rémunération promise à l’agent immobilier incombait à la commune ayant exercé son droit de préemption. La cour d’appel ne l’admit pas, au motif que la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse unilatérale n’avait pas eu lieu avant l’exercice du droit de préemption (CA Toulouse, 7 octobre 2019, n° 16/04868 N° Lexbase : A3167ZS4).

Solution. Telle n’est pas la solution retenue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. La cassation de l’arrêt d’appel intervient au visa de l’ancien article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC force obligatoire des conventions), de l’article L. 213-2 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L0202LNS déclaration préalable d’intention d’aliéner laquelle comporte les conditions de la vente projetée) et de l’article 6, I, alinéa 3, de la loi du 2 janvier 1970 (N° Lexbase : L7536AIX) relatif à la rémunération de l’agent immobilier (mentionnée dans un écrit, lequel précise à qui incombe sa charge). La troisième chambre civile considère qu’ « il résulte de ces dispositions que, lorsqu’il exerce son droit, le titulaire du droit de préemption, au profit duquel la vente a été effectivement conclue, est tenu de prendre en charge la rémunération de l’intermédiaire incombant à l’acquéreur pressenti, auquel il est substitué, dès lors que le montant de la commission et la partie qui en est tenue sont mentionnés dans l’engagement des parties et dans la déclaration d’intention d’aliéner ». Ainsi, la commune exerçant son droit de préemption ne saurait échapper au paiement de la rémunération due à l’agent immobilier. Les conditions de l’obligation pour le titulaire d’un droit de préemption de payer la rémunération de l’agent immobilier sont ainsi précisées.

Alors que, par le passé, la Cour de cassation avait admis que cette rémunération était due, tel qu’elle était conventionnellement prévue, peu importe que le prix d’acquisition du bien soit au final inférieur à celui initialement convenu entre le vendeur et l’acquéreur pressenti (Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-18.746, F-D N° Lexbase : A5470DMK), elle ajoute ici deux conditions : mention de la rémunération dans l’acte unissant le vendeur et l’acquéreur pressenti et dans la déclaration d’intention d’aliéner. Cette dernière précision n’ayant de sens qu’en présence du droit de préemption de l’article L. 213-2 du Code de l’urbanisme.

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