Réf. : Cass. civ. 1, 3 février 2021, n° 19-21.403, FS-P (N° Lexbase : A01634G7)
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N6429BYR
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)
Le 17 Février 2021
► L’agent commercial, personne physique, habilité en vertu de l’article 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 (N° Lexbase : L8042AIP), peut se substituer une personne morale, mais cette dernière doit alors être titulaire de la carte professionnelle d’agent immobilier.
Faits et procédure. Si la question des conventions réglementées fait l’objet d’un contentieux nourri et était évoqué par l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 février 2021, telle n’est pas la raison pour laquelle cet arrêt aura les honneurs de la publication au Bulletin. Elle réside dans l’imbrication de contrats d’agent commercial, d’une substitution de personnes au titre de ceux-ci et d’une habilitation au titre de l’article 9 du décret du 20 juillet 1972. En l’espèce, des contrats d’agent commercial confiés à une personne physique, laquelle s’était substitué une personne morale dans l’exécution de ces contrats. La personne morale substituée est titulaire de la carte professionnelle d’agent immobilier et émet des factures, lesquelles ont été à l’origine du litige. Les mandants, ayant consenti les contrats d’agents commercial, pratiquent des saisies conservatoires sur les biens et les avoirs de la société substituée. La mainlevée de ces saisies fut prononcée par la cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 4 juillet 2019, n° 19/01175 N° Lexbase : A0667ZIK) qui considéra que les factures étaient conformes aux stipulations contractuelles. Pourvoi fut formé par les sociétés ayant confié la mission d’agent commercial. Pour l’essentiel, reproche était fait aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les conventions n’étaient pas illicites car intervenant dans le secteur immobilier.
Solution. La première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que « si, en vertu de l’article 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, un mandat d’agent commercial est confié à une personne physique, celle-ci peut, sous réserve des dispositions de ce contrat le prévoyant, se substituer une personne morale à la condition que cette dernière soit titulaire de la carte professionnelle d’agent immobilier ». Quelques précisions s’imposent. L’article 9 du décret du 20 juillet 1972 permet à l’agent immobilier d’habiliter toute personne physique, y compris un agent commercial, à négocier, s’entremettre ou s’engager pour son compte. Une attestation doit alors être délivrée à cette personne physique, laquelle atteste des pouvoirs qui lui sont conférés. Toutefois, en présence d’une habilitation consentie à un agent commercial, il faut tenir compte du droit du mandat. En effet, l’article 1994 du Code civil (N° Lexbase : L2217ABQ) permet au mandataire de recourir à un sous-mandat, sauf si la loi ou la convention s’y oppose. Cette faculté est reconnue à l’agent commercial (v. C. com., art. L. 134-1 N° Lexbase : L5649AI3) et en l’espèce, aucune stipulation conventionnelle ne venait entraver la faculté de substitution. Par conséquent, en dépit du contexte particulier, l’agent commercial pouvait procéder à une substitution, mais la Cour de cassation subordonne cette faculté à une condition : la personne morale substituée doit être titulaire de la carte professionnelle (sur l’obtention de la carte professionnelle aux personnes morales v. S. Brena, J-Cl. Contrats-Distribution, fasc. 3400, « Agents immobiliers », n° 88 et s.).
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Réf. : Cass. civ. 1, 3 février 2021, n° 16-19.691, FS-P (N° Lexbase : A01944GB)
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N6443BYB
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par Marie Le Guerroué
Le 03 Mars 2021
► La décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un avocat associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation.
Faits et procédure. Un avocat associé au sein d’une société d'avocats était en arrêt maladie depuis le 6 février 2013 lorsque, le 29 août, il avait informé celle-ci de son intention de quitter le cabinet, puis lui avait adressé, le 1er octobre 2013, sa démission à effet au 31 décembre suivant. Une assemblée générale extraordinaire avait été convoquée au titre de cette démission sur laquelle elle n'avait pas statué et par délibération du 25 novembre 2013, la société d'avocats avait prononcé l'exclusion de l’avocat au titre d'une incapacité d'exercice professionnel pendant une période cumulée de neuf mois au cours d'une période totale de douze mois. Le 23 décembre 2013, l’avocat avait saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris d'une demande d'arbitrage portant sur des rappels de rétrocession d'honoraires depuis 2008 et l'octroi de dommages-intérêts. L’avocat fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en annulation de la résolution votée par l'assemblée générale le 25 novembre 2013 ayant prononcé son exclusion de la société d'avocats, et sa demande en paiement de sa rémunération pour un montant de 4 108 627 519,10 euros au titre de l'année 2013, alors « qu'est nulle la délibération abusive de l'assemblée générale extraordinaire des associés d'une SELAS ; qu'en considérant qu'en raison du caractère abusif de l'exclusion de l’avocat, " seuls peuvent être alloués à celui-ci des dommages-intérêts s'il démontre que la décision litigieuse lui a causé un préjudice ”, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ) et 1833 (N° Lexbase : L8681LQL) du Code civil. »
Réponse de la Cour. Au visa des articles 1832, 1833 et 1844-10, alinéa 3 (N° Lexbase : L8683LQN) du Code civil, la Cour de cassation précise qu’il résulte du dernier de ces textes que la décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation. Or, pour rejeter la demande d'annulation de la résolution d'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande en paiement de la rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt énonce que, si l'exclusion prononcée par l'assemblée générale est abusive, dès lors que cette assemblée avait été convoquée pour prendre acte de la démission de l’avocat et que la mesure prononcée était motivée par la volonté de résister à ses prétentions financières, seuls peuvent être alloués à celui-ci des dommages-intérêts s'il démontre que cette décision lui a causé un préjudice.
Cassation. En statuant ainsi, la cour d'appel a, pour la première chambre civile de la Cour de cassation, violé les textes précités.
Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Les structures d’exercice, Généralités relatives à l'exercice de la profession d'avocat au sein d'une société d'exercice libéral (SEL) d'avocats, in La profession d'avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase (N° Lexbase : E41563RD). |
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Réf. : Cass. civ. 1, 3 février 2021, n° 19-21.046, F-P (N° Lexbase : A02274GI)
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N6428BYQ
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)
Le 10 Février 2021
► Le transfert des risques dans la vente au consommateur s’opère au moment où le consommateur ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel prend physiquement possession de ces biens.
Faits et solution. Alors qu’en droit commun, le transfert de propriété, et corrélativement celle des risques, s’opère au jour de la conclusion du contrat de vente (C. civ., art. 1196 N° Lexbase : L0908KZN se substituant à l’ancien article 1138), la vente au consommateur introduit une règle dérogatoire. En effet, l’article L. 216-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1609K7Q), issu de la loi « Hamon » n° 2014-344 du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX), dispose que « tout risque de perte ou d'endommagement des biens est transféré au consommateur au moment où ce dernier ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel, prend physiquement possession de ces biens ». Il opère ainsi une dissociation entre le transfert de la propriété et celle des risques : seule la livraison opère transfert des risques. Autrement dit, c’est la prise de possession physique du bien par le consommateur qui opère ce transfert. L’adage res perit domino est écarté au profit de l’adage res perit debitori.
Ce n’est ni plus ni moins que la solution retenue par la première chambre civile dans son arrêt du 3 février 2021, alors qu’était en cause un contrat de vente de produits achetés sur Internet, produits qui n’avaient pas été livrés au consommateur. L’orthodoxie est respectée. Peu importe, contrairement à ce qu’avaient retenu les juges du fond (tribunal d’instance, Villeurbanne, 12 juin. 2019), que le transporteur ait indemnisé le consommateur ou que l’acheteur ne rapporte pas la preuve d’un manquement du vendeur à ses obligations.
Portée. Reste alors à préciser que toute autre aurait été la solution si le consommateur avait choisi d’avoir recours à un transporteur qui n’est pas celui du vendeur professionnel. Le transfert des risques aurait été opéré lors de la remise du bien au transporteur (C. consom., art. L. 216-5 N° Lexbase : L1608K7P). Il faut, enfin, rappeler que ces dispositions protectrices du consommateur sont d’ordre public (C. consom., art. L. 216-6 N° Lexbase : L1607K7N) : toute éviction de la protection est donc impossible.
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Réf. : Min. Travail, communiqué de presse, 5 février 2021
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N6437BY3
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par Charlotte Moronval
Le 11 Février 2021
► La ministre du Travail a rappelé, lors d’une conférence de presse du 4 février 2021, que le télétravail demeure la règle pour toutes les activités qui le permettent. Une nouvelle instruction (Instr. DGT du 3 février 2021, relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail (SIT) dans le cadre des mesures renforcées de lutte contre la covid-19 N° Lexbase : L1004L3L) a été adressée aux services de l’inspection du travail pour renforcer l’accompagnement et le contrôle sur la mise en oeuvre du télétravail dans les entreprises et le respect des mesures de prévention face au covid-19.
L’instruction rappelle que lorsque les tâches sont « télétravaillables », elles doivent être « télétravaillées » pour éviter les interactions et l’exposition des salariés au risque de contamination. Le recours au télétravail peut être total si la nature des tâches le permet ou partiel si seules certaines tâches peuvent être réalisées à distance. Par ailleurs, la possibilité de permettre aux salariés d’être présents en entreprise une journée par semaine demeure, mais est soumise à la demande individuelle de chaque salarié afin de prévenir le risque d’isolement. |
Il est ainsi demandé aux agents de contrôle de l’inspection :
S’agissant des salariés dont les tâches ne peuvent être totalement télétravaillées, les agents de contrôle de l’inspection du travail vérifieront la bonne mise en œuvre des mesures de prévention prescrites par les autorités sanitaires. Ils cibleront les secteurs et entreprises :
Une attention particulière sera accordée au secteur du BTP et au travail saisonnier dans les exploitations agricoles ainsi qu’au commerce de détail, au secteur médico-social, aux plateformes logistiques et aux abattoirs.
Les points de vigilance porteront notamment sur les locaux collectifs, les modalités de transports collectifs mises en place par les entreprises, les espaces collectifs de travail et les locaux d’hébergement et de restauration collectifs.
L’ensemble des interventions fera par ailleurs l’objet d’un suivi qualitatif et quantitatif.
Depuis le début de la crise sanitaire, les agents de l’inspection du travail ont effectué 64 000 interventions liées à l’épidémie de covid-19. Près de 400 mises en demeure ont été adressées aux entreprises qui ne respectaient pas leurs obligations de prévention. Dans 93 % des cas, ces mises en demeure ont été suivies d’effets.
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Réf. : CJUE, 2 février 2021, aff. C-481/19 (N° Lexbase : A23374EB)
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N6421BYH
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par Vincent Téchené
Le 24 Février 2021
► Une personne physique soumise à une enquête administrative pour délit d’initié a le droit de garder le silence lorsque ses réponses pourraient faire ressortir sa responsabilité pour une infraction passible de sanctions administratives présentant un caractère pénal ou sa responsabilité pénale ;
Cependant, le droit au silence ne saurait justifier tout défaut de coopération avec les autorités compétentes comme le refus de se présenter à une audition ou le recours à des manœuvres dilatoires
Faits et procédure. La Consob (commission nationale des sociétés et de la bourse, Italie) a infligé à une société des sanctions pour une infraction administrative de délit d’initié ainsi qu’une amende pour défaut de coopération. Dans le cadre de cette affaire, la Cour constitutionnelle italienne a été saisie d’une question incidente de constitutionnalité portant sur la disposition de droit italien sur le fondement de laquelle a été infligée la sanction pour défaut de coopération. Cette disposition sanctionne le défaut d’obtempérer dans les délais aux demandes de la Consob ou le fait de retarder l’exercice des fonctions de surveillance de cet organisme, y compris en ce qui concerne la personne à laquelle la Consob reproche un délit d’initié. La disposition concernée ayant été adoptée en exécution d’une obligation spécifique imposée par la Directive n° 2003/6 du 28 janvier 2003, dite Directive « Abus de marché » (N° Lexbase : L8022BBQ) et constituant actuellement la mise en œuvre d’une disposition du Règlement n° 596/2014 du 16 avril 2014, dit Règlement « Abus de marché » (N° Lexbase : L4814I3P), la Cour constitutionnelle italienne a alors interrogé la CJUE sur la compatibilité de ces actes avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la Charte) et, plus particulièrement, avec le droit de garder le silence.
Décision. La Cour, réunie en grande chambre, reconnaît l’existence, en faveur d’une personne physique, d’un droit au silence, protégé par la Charte, et juge que la Directive et le Règlement précités permettent aux États membres de respecter ce droit dans le cadre d’une enquête menée à l’encontre d’une telle personne et susceptible de conduire à l’établissement de sa responsabilité pour une infraction passible de sanctions administratives présentant un caractère pénal ou sa responsabilité pénale.
En outre, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative au droit à un procès équitable, la CJUE souligne que le droit au silence, qui est au cœur de la notion de « procès équitable », s’oppose, notamment, à ce qu’une personne physique « accusée » soit sanctionnée pour son refus de fournir à l’autorité compétente, au titre de la Directive n° 2003/6 ou du Règlement n° 596/2014, des réponses qui pourraient faire ressortir sa responsabilité pour une infraction passible de sanctions administratives à caractère pénal ou sa responsabilité pénale. La Cour précise, à cet égard, que la jurisprudence relative à l’obligation pour les entreprises de fournir, dans le cadre de procédures susceptibles de conduire à l’infliction de sanctions pour des comportements anticoncurrentiels, des informations qui pourraient ultérieurement être exploitées aux fins d’établir leur responsabilité pour de tels comportements ne peut pas s’appliquer par analogie pour établir la portée du droit au silence d’une personne physique accusée de délit d’initié.
La Cour ajoute que le droit au silence ne saurait toutefois justifier tout défaut de coopération de la personne concernée avec les autorités compétentes, tel qu’un refus de se présenter à une audition prévue par celles-ci ou des manœuvres dilatoires visant à en reporter la tenue. Elle note enfin que tant la Directive que le Règlement se prêtent à une interprétation conforme au droit au silence en ce sens qu’ils n’exigent pas qu’une personne physique soit sanctionnée pour son refus de fournir à l’autorité compétente des réponses dont pourrait ressortir sa responsabilité pour une infraction passible de sanctions administratives présentant un caractère pénal ou sa responsabilité pénale. Dans ces conditions, l’absence d’exclusion explicite de l’infliction d’une sanction pour un tel refus ne saurait affecter la validité de ces actes. Il incombe aux États membres d’assurer qu’une personne physique ne puisse pas être sanctionnée pour son refus de fournir de telles réponses à l’autorité compétente.
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Réf. : TA Paris, 3 février 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976 (N° Lexbase : A39684EP)
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N6385BY7
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par Yann Le Foll
Le 10 Février 2021
► L’État est reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique, sa carence partielle à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engageant sa responsabilité en la matière.
Faits. Plusieurs associations ont introduit en 2019 des requêtes devant le tribunal administratif de Paris afin de faire reconnaître la carence de l’État français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer non seulement leur préjudice moral mais également le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’État à ses obligations en matière de réduction des gaz à effet de serre. La Haute juridiction a déjà enjoint à l’État d’agir pour prouver l’efficacité de son action en la matière (CE 5° et 6° ch.-r., 19 novembre 2020, n° 427301, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A944734N).
Existence du préjudice écologique. Ce préjudice est caractérisé, se manifestant notamment par l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre. Cette augmentation, responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques, a déjà provoqué notamment l’accélération de la fonte des glaces continentales et du pergélisol et le réchauffement des océans, qui ont pour conséquence l’élévation du niveau de la mer, qui est en voie d’accélération. Ce dernier phénomène se combine avec l’augmentation, en fréquence et en gravité, des phénomènes climatiques extrêmes, l’acidification des océans et l’atteinte des écosystèmes. Pour le tribunal, les associations requérantes sont fondées à soutenir qu’à hauteur des engagements qu’il avait pris et qu’il n’a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, l’État doit être regardé comme responsable, au sens des dispositions précitées de l’article 1246 du Code civil (N° Lexbase : L7607K9M), d’une partie du préjudice écologique.
Réparation du préjudice écologique. Le tribunal rejette la demande de réparation pécuniaire des associations au motif qu’elles ne démontrent pas que l’État serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique mais accueille la demande de réparation en nature concernant la contribution du non-respect du premier budget carbone à l’aggravation des émissions de gaz à effet de serre. Afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’État pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation, les juges ont prononcé un supplément d’instruction, assorti d’un délai de deux mois. Le tribunal a enfin accordé un euro symbolique aux associations requérantes en réparation de leur préjudice moral.
Lire la réaction de Corinne Lepage sur cette décision : « Une décision intéressante mais pas révolutionnaire » (N° Lexbase : N6351BYU). |
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 3 février 2021, n° 434120, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A50454EL)
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N6390BYC
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par Marie-Claire Sgarra
Le 11 Février 2021
► La seule circonstance qu'un immeuble fasse, ultérieurement à son achèvement et alors qu'il est soumis à ce titre à la taxe foncière sur les propriétés bâties, l'objet de travaux qui, sans emporter sa démolition complète ou porter une atteinte à son gros œuvre, le rendent inutilisable au 1er janvier de l'année d'imposition, ne suffit pas à lui faire perdre son caractère de propriété bâtie pour l'application de l'article 1380 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9812HLY).
Les faits :
⇒ une société est propriétaire d'un ensemble immobilier qui abritait un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes avant de faire l'objet à partir de 2016 de travaux en vue de le transformer en logements ;
⇒ elle a contesté son assujettissement pour 2017 à la TFBP en raison des travaux s'y déroulant ;
⇒ le tribunal d’Orléans rejette sa demande de décharge de l’imposition contestée.
Principes :
Solution du Conseil d’État. La démolition en cours, qui n'est pas totale, n'a pas au 1er janvier de l'année d'imposition, affecté le gros œuvre d'une manière telle qu'elle rendrait le bâtiment dans son ensemble impropre à toute utilisation.
Cette solution apparait comme restrictive. En effet pour échapper à la TFPB lorsque sont entrepris d’importants travaux, ces derniers doivent en plus de rendre l’immeuble impropre à toute utilisation, porter en partie sur le gros œuvre.
Taxe foncière et notion d’immeuble impropre à toute utilisation : rappel de la jurisprudence du Conseil d’État. ✔ Le Conseil d’État a précisé les conditions d’exonération de taxe foncière en cas de restructuration lourde d’un immeuble dans un arrêt du 16 février 2015 (CE 8° et 3° ssr., 16 février 2015, n° 369862, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0273NC4). Ainsi « un immeuble qui fait l’objet de travaux nécessitant une démolition qui, sans être totale, affecte son gros œuvre d’une manière telle qu’elle le rend dans son ensemble impropre à toute utilisation ne peut plus être regardé, jusqu’à l’achèvement des travaux, comme une propriété bâtie assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties ». ✔ Dans un arrêt du même jour, le Conseil d’État s’est prononcé de manière identique en jugeant qu’un immeuble, devenu impropre à toute utilisation dans son ensemble car « délabré et en ruine en raison d’importantes dégradations qu’il avait subies », ne constitue pas une propriété bâtie assujettie à la TFPB (CE 3° et 8° ssr., 16 février 2015, n° 364676, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0265NCS). ✔ De même pour un immeuble devenu impropre à toute utilisation en raison d’importantes dégradations subies à la suite d’un incendie (CE 9° ch., 29 mai 2017, n° 369577, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5478WEM). |
En pratique : 👉 tous ces arrêts montrent une forme de résistance de l’administration face aux demandes d’exonération de TFPB sur les propriétés bâties fondées sur l’état de l’immeuble ; 👉 il est essentiel de pouvoir justifier de l’état de l’immeuble au 1er janvier de chacune des années au cours desquelles les travaux demeurent en cours ; 👉 il convient d’apprécier au cas par cas si un immeuble est rendu, ou non, impropre à toute utilisation. |
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N6383BY3
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par Thomas Gaspar, Avocat au barreau de Montpellier, Selas Charrel & Associés, chargé d’enseignement à la faculté de droit de l’Université de Montpellier
Le 19 Juillet 2021
Mots-clés : Télérecours - dématérialisation des procédures - production des piéces
Le décret n° 2020-1245 du 9 octobre 2020 précise et complète les dispositions du Code de justice administrative relatives aux téléprocédures applicables aux avocats et aux administrations (application Télérecours) et aux personnes privées sans avocat (application Télérecours citoyens). Il tire les conséquences au niveau réglementaire des évolutions techniques résultant de refonte de l'application Télérecours.
Il fût un temps – que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… – où les règles de recevabilité des requêtes ne relevaient que des délais de procédures, de la précision ou non des moyens soulevés, du caractère faisant grief ou non d’une décision, ou d’autres règles relatives à l’office du juge administratif.
Il est ce temps où, malgré une parfaite démonstration juridique de la recevabilité d’un recours juridictionnel, ô combien parfois compliquée quand il s’agit de justifier d’un intérêt à agir très particulier ou de démontrer une théorie des opérations complexes pour exciper de l’illégalité d’une décision, la technologie peut tout anéantir.
La dématérialisation des procédures juridictionnelles, aujourd’hui quasi généralisée, est un véritable progrès, tant pour l’environnement que pour la qualité du service public de la justice. Sans être chauvins, nous oserons même dire qu’elle est plus efficace et ludique devant la juridiction administrative (Télérecours) que devant la juridiction judiciaire qui était initialement plus avance (Réseau Privé Virtuel des Avocats - RPVA).
Pour autant, l’évolution de la technologie fait nécessairement naître de nouvelles règles procédurales « dématérialisées » et, partant, de nouvelles causes d’irrecevabilité, finalement plus matérielles que juridiques, qui ont, depuis sa création par le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016, relatif à l'utilisation des téléprocédures devant le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs (N° Lexbase : L9754LAI), conduit à la création d’un véritable « droit du Télérecours ».
C’est ainsi pour tirer les conséquences des – mauvaises – pratiques dans l’utilisation de Télérecours depuis sa création, et des jurisprudences afférentes, que le décret n° 2020-1245 du 9 octobre 2020, relatif à l'utilisation des téléprocédures devant le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs et portant autres dispositions (N° Lexbase : L4283LYB), a vu le jour.
Nous reviendrons ainsi sur les « histoires contentieuses » liées à l’utilisation de Télérecours (I) avant de décrypter les nouvelles règles issues du décret précité (II).
I. Retour sur la création de l’application Télérecours et sa jurisprudence
A. La création de Télérecours et ses règles
La « Téléprocédure administrative » a été introduite dans le Code de justice administrative par le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016, créant ainsi, dans le sillage du décret « JADE » du même jour [1], l’application « Télérecours » obligatoire à compter du 1er janvier 2017.
S’en suivra l’application « Télérecours citoyen », aux caractéristiques techniques un peu différentes et dont l’interface se rapproche plus du site « Sagace » pour le suivi de l’instruction des dossiers, pour toutes les personnes non représentées par un avocat, en application du décret n° 2018-251 du 6 avril 2018, relatif à l'utilisation d'un téléservice devant le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs et portant autres dispositions (N° Lexbase : L9576LII).
L’article R. 414-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4414LY7), modifié par ledit décret, prévoyait que « lorsqu'elle est présentée par un avocat, un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, une personne morale de droit public autre qu'une commune de moins de 3 500 habitants ou un organisme de droit privé chargé de la gestion permanente d'un service public, la requête doit, à peine d'irrecevabilité, être adressée à la juridiction par voie électronique au moyen d'une application informatique dédiée accessible par le réseau internet. La même obligation est applicable aux autres mémoires du requérant ».
Quant à l’article R. 414-3 (N° Lexbase : L4416LY9), il mentionnait que « les pièces jointes sont présentées conformément à l'inventaire qui en est dressé », que « lorsque le requérant transmet, à l'appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus » et que « s'il transmet un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire ».
Ces règles de présentation dématérialisée des écritures et pièces étant prescrites « à peine d'irrecevabilité de la requête ».
Et nécessairement, comme toutes règles de recevabilité, aussi matérielles soient-elles, ces dispositions ont donné lieu à diverses décisions administratives, créant une véritable jurisprudence sur l’utilisation de la Téléprocédure.
B. Les débats jurisprudentiels sur l’application de ces règles
L’irrecevabilité de la requête pour défaut de dépôt sur Télérecours a vite été tranchée par le Conseil d’État et, pour le coup, ne fait pas, et n’a pas fait, nécessairement débat [2].
Plus délicate a été la question du formalisme lié au dépôt des pièces, au visa de l’article R. 414-3 du Code de justice administrative.
Les juridictions des premier et second degré ont tout d’abord adopté une position stricte, en tout cas une position littéralement très conforme au texte de l’article R. 414-3 qui prévoit expressément que :
« Soit les pièces jointes sont transmises dans un fichier unique : dans ce cas, elles doivent être répertoriées par un signet la désignant conformément au bordereau de pièces ;
Soit les pièces sont transmises individuellement, fichier par fichier : dans ce cas, l’intitulé de chacune d’elle doit être conforme au bordereau de pièces ».
La règle peut apparaître très matérialiste, et les conséquences d’une irrecevabilité totale de la requête – alors que l’irrecevabilité de la ou des pièces concernées pourrait dans certaines hypothèses être plus appropriée – peuvent paraître excessives dans bien des cas.
Il faut pourtant rappeler qu’outre son formalisme, cette règle a pour objectif, comme l’affirmera plus tard le rapporteur public Vincent Daumas dans ses conclusions sous l’arrêt « Sergent » [3] sur lequel nous reviendrons, non pas de servir « uniquement le confort des magistrats appelés à compulser des dossiers dématérialisés », mais de définir des « modalités d’accès uniformisées et rationalisées aux différents éléments du dossier dématérialisé […] dans l’intérêt de tous ceux qui sont conduits à le consulter – autrement dit dans l’intérêt de l’ensemble des acteurs du procès. Elle concourt, ultimement, à la qualité́ du service public de la justice rendu par les juridictions administratives ».
L’on pourrait même ajouter qu’elle participe du respect du contradictoire, tant ce formalisme sur les pièces dématérialisées, a aussi pour but de permettre à son contradicteur de pouvoir aisément, sans travail archéoinformatique (et souvent « rématérialisation »), se reporter aux pièces justifiant les moyens développés.
Quoiqu’il en soit, les premières jurisprudences quant à cette désignation et présentation des pièces ont été assez strictes avec les parties, les cours administratives d’appel de Marseille [4] et de Bordeaux [5], adoptant une position rigide sur la lecture du texte en estimant qu’une requête comportant en pièces jointes des documents produits sous la forme de fichiers individuels, mais dont la dénomination ne correspondait pas à l’intitulé du bordereau de pièces, étaient irrecevables.
La cour administrative d’appel de Marseille jugeait aussi que l’absence totale d’individualisation des pièces jointes, notamment par la pose de signets dans un fichier unique est sanctionnée d’irrecevabilité [6], y compris si seulement une partie des pièces individualisées par un signet n’est pas identifiable par comparaison avec l’inventaire, pour la cour administrative d’appel de Bordeaux [7].
D’autres juridictions ont adopté une position plus souple et tolérante, ne déclarant pas irrecevable une requête dont une pièce jointe ne comportait pas d’intitulé, mais portait un numéro d’ordre à l’inventaire [8], ni une requête comportant des pièces en un fichier unique sans signets mais comportant un numéro conforme au bordereau [9].
C. Une insécurité juridique évidente qui a nécessité l’intervention du Conseil d’État
Dans un premier arrêt du 5 octobre 2018, après avoir rappelé que l’objectif des dispositions de l’article R. 414-3 du Code de justice administrative est de définir « un instrument et les conditions de son utilisation qui concourent à la qualité du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et à la bonne administration de la justice » et qu’« elles ont pour finalité de permettre un accès uniformisé et rationalisé à chacun des éléments du dossier de la procédure, selon des modalités communes aux parties, aux auxiliaires de justice et aux juridictions », la Haute Juridiction a opté pour la position souple [10].
Le Conseil d’État vient ainsi affirmer que « l’inventaire doit s’entendre comme une présentation exhaustive des pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d’elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu’un libellé suffisamment explicite », ce qui impose « de désigner chaque pièce dans l’application Télérecours au moins par le numéro d’ordre qui lui est attribué par l’inventaire détaillé, que ce soit dans l’intitulé du signet la répertoriant dans le cas de son intégration dans un fichier unique global comprenant plusieurs pièces ou dans l’intitulé du fichier qui lui est consacré dans le cas où celui-ci ne comprend qu’une seule pièce ».
Pour en conclure que « la présentation des pièces jointes est conforme à leur inventaire détaillé lorsque l’intitulé de chaque signet au sein d’un fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule pièce comporte au moins le même numéro d’ordre que celui affecté à la pièce par l’inventaire détaillé ».
Le bon numéro prime donc sur l’intitulé hasardeux, qu’il s’agisse d’un fichier global et de plusieurs fichiers, et suffit à rendre la requête recevable.
Dans un deuxième arrêt du 6 février 2019, un nouvel assouplissement est apporté sur les pièces transmises en un seul fichier unique, là où l’article R. 414-3 du Code de justice administrative impose pourtant expressément que « chacune d'entre elles [soit] répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus ».
Le Conseil d’État vient affirmer que « ces dispositions ne font pas obstacle, lorsque l'auteur de la requête entend transmettre un nombre important de pièces jointes constituant une série homogène, telles que des factures, à ce qu'il les fasse parvenir à la juridiction en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans répertorier individuellement chacune d'elles par un signet, à la condition que le référencement de ces fichiers ainsi que la numération, au sein de chacun d'eux, des pièces qu'ils regroupent soient conformes à l'inventaire » [11].
Le bon référencement en conformité avec l’inventaire, prime aussi sur l’exigence des signets à l’intérieur du même fichier PDF, à la condition que ces documents globalisés constituent une série homogène.
Position que le Conseil d’État confirmera quatre mois plus tard dans un arrêt du 14 juin 2019, cette fois-ci non pas pour des factures, mais pour des documents visant à établir la résidence en France d'un étranger au cours d'une année donnée, en remplaçant la notion de conformité à l’inventaire par la notion de « conform[ité] à l'énumération, figurant à l'inventaire, de toutes les pièces jointes à la requête » [12].
Même si l’impératif de sécurité juridique commandait évidemment l’adoption d’une position souple compte tenu du nombre d’instances pendantes susceptibles d’être concernées et impactées, ces décisions demeurent pragmatiques pour éviter que les atouts de la dématérialisation soient réduits à néant par un formalisme technologique excessif.
Elles ont conduit à l’adoption du décret du 9 novembre 2020, qui est venu donner un caractère règlementaire auxdites règles, et adapter en conséquence le Code de justice administrative dont la lettre demeurait encore plus stricte que l’interprétation faite par le Conseil d’État.
II. Les apports du décret n° 2020-1245 du 9 octobre 2020
A. La simplification des règles de production des pièces pour tenir compte de l’interprétation jurisprudentielle
Le décret du 9 octobre 2020 réorganisant le fameux chapitre IV « transmission de la requête par voie électronique » du Code de justice administrative, qui comprend désormais sept articles (CJA, art. R. 414-1 à R. 414-7) afin de regrouper les règles relatives à « Télérecours » et à « Télérecours Citoyens », l’article anxiogène relatif à la production des pièces est désormais l’article R. 414-5 (N° Lexbase : L4412LY3) (et son pendant l’article R. 611-8-5 N° Lexbase : L1668LKY) et non plus l’article R. 414-3.
Le décret supprime tout d’abord la possibilité de transmettre les pièces sous un fichier unique, même avec signets, en prévoyant que « le requérant transmet chaque pièce par un fichier distinct, à peine d'irrecevabilité de sa requête ».
Au moins, la règle est claire, et il n’y en a qu’une.
Une exception est toutefois faite, dans un souci de logique et pour rester cohérent avec la position du Conseil d’État, « lorsque le requérant entend transmettre un nombre important de pièces jointes constituant une série homogène eu égard à l'objet du litige ».
Dans ce cas, il est possible de « les regrouper dans un ou plusieurs fichiers, à la condition que le référencement de ces fichiers ainsi que l'ordre de présentation, au sein de chacun d'eux, des pièces qu'ils regroupent soient conformes à l'énumération, figurant à l'inventaire, de toutes les pièces jointes à la requête ».
Le décret précise ensuite que les pièces « portent un intitulé commençant par le numéro d'ordre affecté à la pièce qu'il contient par l'inventaire détaillé [et] décrivant son contenu de manière suffisamment explicite ».
Une prise en compte de la position de la Haute juridiction mettant fin à l’obligation rigide de nommer les fichiers précisément comme leur intitulé dans le bordereau, offrant un peu de pragmatisme, l’idée étant simplement de comprendre aisément au regard de leur intitulé à quelles pièces de l’inventaire ils correspondent.
Le décret atténue enfin les conséquences du non-respect de ces règles.
Si la production d’un fichier unique (hors hypothèse de série homogène) à l’appui de la requête est toujours sanctionnée par l’irrecevabilité, en revanche, un fichier unique produit sous l’égide de la « série homogène » qui n’en serait pas une, ou les pièces d’un mémoire complémentaire produites en méconnaissance de ces dispositions, sont désormais seulement « écartés des débats après invitation à régulariser non suivie d'effet ».
Une sanction certainement plus proportionnée à l’importance de l’erreur.
En conséquence, le débat sur le fichier unique ou non, le signet ou non, ou l’intitulé ou non, avec ses lourdes conséquences afférentes, est a priori levé. Il ouvrira potentiellement en revanche le débat sur la notion de « série homogène » qui, pour l’heure, n’est pas expressément définie.
Ce débat-là aura toutefois le mérite d’être éventuellement un peu plus « juridique ».
L’on peut imaginer que la notion de « série homogène » couvre un ensemble de pièces convergeant toutes vers la même démonstration de ce que l’on souhaite justifier : un ensemble de factures ou de devis prouvant une même créance, un ensemble de bulletins de salaires justifiant une rémunération, un ensemble de documents visant à justifier un lieu de résidence, ou encore un ensemble de documents administratifs justifiant d’un titre ou d’un droit particulier.
B. Les autres apports
Trois autres nouveautés peuvent être recensées au sein de ce décret.
D’une part, les dispositions combinées des articles R. 414-3 et R. 414-4 du Code de justice administrative modifiés, précisent que l’indication des nom et domicile du requérant dans l’application « Télérecours » ou « Télérecours citoyens » vaut indication de ces mentions dans la requête.
Si cela ne change pas grand-chose pour les requêtes déposées par un avocat – qui contiennent classiquement ce formalisme -, elle offre de la souplesse pour les requêtes déposées par des requérants sans avocat.
D’autre part, le chapitre IV ne contient plus aucune disposition sur la possibilité de demander la délivrance d’une copie papier de la décision rendue, en complément de la notification faite par Télérecours ou Télérecours citoyens, pour les personnes ayant utilisé cette application ou ce téléservice.
Cette faculté maintenue lors de la création de la Téléprocédure, est donc désormais supprimée.
Enfin, dans l’hypothèse d’une communication des mémoires et pièces sur support matériel lorsque la communication dématérialisée est impossible, possibilité maintenue au sein de l’article R. 414-4, a été ajoutée l’obligation que cette communication soit « annoncée par le requérant dans la rubrique correspondante de l’application ».
Toutes ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021, à l’exception des premier (dispense d’inventaire détaillé en cas de génération automatique de l’inventaire) et troisième (modalités de désignation des fichiers en cas de recours à la génération automatique de l’inventaire) alinéas de l’article R. 414-5, qui entreront eux en vigueur le 1er juin, dès que ces nouvelles fonctionnalités seront en place.
Maintenant, à vos requêtes et, surtout, vos ordinateurs !
Quel impact dans ma pratique ? ⇒ Déposez obligatoirement vos pièces sur Télérecours par des fichiers distincts. ⇒ Intitulez vos pièces, dans l’idéal, précisément comme l’intitulé figurant dans le bordereau de pièces. ⇒ Si vous déposez certaines pièces dans un fichier unique, assurez-vous qu’elles constituent une série homogène, c’est-à-dire qu’elles tendent toutes à démontrer la même chose, et précisez-le idéalement dans votre bordereau de pièces. ⇒ En cas de transmission sur support matériel de certaines pièces, pensez à le mentionner dans la rubrique afférente sur l’application. |
[1] Décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, pour la justice administrative de demain (N° Lexbase : L9758LAN).
[2] CE, référé, 17 novembre 2017, n° 415439 (N° Lexbase : A4828W4L).
[3] Conclusions V. Daumas sous CE, Sect., 5 octobre 2018, n° 418233 (N° Lexbase : A5187YET), citant lui-même le Professeur F. Poulet (in La justice administrative de demain selon les décrets du 2 novembre 2016, AJDA, 2017 p. 279).
[4] CAA Marseille, 25 septembre 2017, n° 17MA02291 (N° Lexbase : A6083WTH).
[5] CAA Bordeaux, 28 novembre 2017, n° 17VE02680.
[6] CAA Marseille, 11 juillet 2017, n° 17MA02021 (N° Lexbase : A1635WY9).
[7] CAA Bordeaux,18 juin 2018, n° 18BX02179 (N° Lexbase : A0380XUM).
[8] CAA Nancy, 18 mai 2017, n° 16NC01247 (N° Lexbase : A5142WDS).
[9] CAA Douai, 30 novembre 2017, n° 17DA00686 (N° Lexbase : A6299W43).
[10] CE, Sect., 5 octobre 2018, n° 418233, préc..
[11] CE, 6 février 2019, n° 415582 (N° Lexbase : A6204YWP).
[12] CE, 14 juin 2019, n° 420861 (N° Lexbase : A6066ZEE).
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Réf. : Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 20-10.685, F-P+I (N° Lexbase : A81594EW)
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 10 Février 2021
► La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 4 février 2021, précise que dans un acte de procédure, l’erreur relative à la dénomination d’une partie n’affecte pas sa capacité à ester en justice, cette dernière étant rattachée à la personne ; cette erreur ne constitue qu’un vice de forme, quelle que soit sa désignation, qui ne peut entraîner la nullité de l’acte de procédure que dans le cas de justification d’un grief.
Faits et procédure. Dans cette affaire, un litige opposait la société L’Araignée de la roche et la commune auprès de laquelle elle avaitbon acquis une parcelle. La société a obtenu l’annulation d’un arrêté lui refusant le permis de construire d’un hangar sur son terrain. La société a assigné la commune devant le tribunal de grande instance en vue d’obtenir l’annulation de la vente de la parcelle. Par jugement rendu le 5 février 2018, le tribunal l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes. La demanderesse a relevé appel de la décision par une déclaration d’appel formée au nom de la société « L’Araignée sous la roche ». Le conseiller de la mise en état a rendu une ordonnance le 28 mai 2019, déclarant nulle la déclaration d’appel et irrecevables les conclusions déposées par l’appelante au nom de la « SCI L’Araignée sous la Roche ». L’appelante a déféré devant la cour d’appel cette décision.
Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt (CA Grenoble, 1er octobre 2019, n° 19/02458 N° Lexbase : A1851ZQM) d’avoir violé les articles 114 (N° Lexbase : L1395H4G) et 117 (N° Lexbase : L1403H4Q) du Code de procédure civile, en retenant qu’il n’y avait lieu à déférer et en maintenant l’ordonnance du CME, énonçant que la déclaration d’appel était nulle et déclarant irrecevables les conclusions déposées par l’appelante. En l’espèce, les juges d’appel ont retenu que le CME avait, par une exacte appréciation des éléments qui lui étaient soumis, relevé que l’appelante n’avait pas la capacité d’ester en justice, du fait qu’elle n’avait pas d’existence juridique, et que l’inexistence d’une personne morale qui agit en justice n’est pas une irrégularité susceptible d’être couverte.
Réponse de la Cour. Énonçant la solution précitée aux visas des articles 114 et 117 du Code de procédure civile, les Hauts magistrats censurent le raisonnement de la cour d’appel, en relevant qu’en statuant ainsi, les juges d’appel avaient violé les textes précités, car l’erreur portant sur la désignation de la société était une erreur de dénomination et qu’elle constituait un vice de forme.
Solution. La Cour suprême casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.
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Réf. : CA Colmar, 18 décembre 2020, n° 19/00548 (N° Lexbase : A06694BE)
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par Sylvian Dorol, Huissier de justice associé (Vénézia & Associés) - Intervenant à l’ENM, EFB, HEDAC et INCJ - Chargé d’enseignement (Paris X et XIII)
Le 10 Février 2021
Mots-clés : constat • force probante • procès-verbal • internet • huissier
En plus de la piste d’un arrêté ministériel officialisant le protocole des constats internet comme l’a suggéré récemment un jugement (Cf. sur ce point : S. Dorol, Contentieux des constats internet : same player, try again, Revue pratique du recouvrement, 2021, p.3), la dévaluation de la force probante du constat internet irrégulièrement dressé constitue un outil supplémentaire pour lutter contre les comportements dilatoires qui consistent à critiquer la manière dont la preuve a été rapportée, alors que le fait litigieux n’est pas contesté.
« Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » écrivait Alfred de Musset. Ce vers vient à l’esprit à la lecture du surprenant arrêt rendu par la cour d’appel de Colmar le 18 décembre 2020, qui vient trancher de manière innovante un débat autour de la sanction du constat internet imparfait [1].
Pour comprendre la portée de cet arrêt, il convient de rappeler que le contentieux du constat internet est, somme toute, assez simple. Il peut même se résumer en trois mots : « tout ou rien », comme nous l’exprimions en 2016 [2]. De deux choses l’une : soit le constat dressé par l’huissier de justice respecte le protocole technique prétorien [3] et est donc pris en considération par le juge, soit le procès-verbal ne souscrit pas à ces obligations et le tribunal l’écarte alors à la demande de la partie à qui était opposé le constat, sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un quelconque grief.
Cette alternative manichéenne entre ces deux seules sanctions n’est pas satisfaisante, car elle engendre un culte de la forme au mépris du fond, de telle sorte que c’est davantage la façon dont la preuve est rapportée qui fait l’objet de discussions plutôt que le fait numérique litigieux. Le débat judiciaire est donc parasité et ralenti par cela, alors même qu’aucune contestation ne porte sur l’existence du fait qu’a constaté l’huissier de justice. Pour ce motif, nous nous étions interrogés sur ce point de savoir si une troisième voie n’était pas envisageable afin de sanctionner un constat Internet établi en méconnaissance du protocole jurisprudentiel, et si le fait constaté n’était pas contesté. Cette réflexion avait alors abouti à la théorie de la dévaluation de la force probante du constat internet imparfait [4], que nous rappellerons ultérieurement.
Cinq années se sont écoulées avant qu’il soit possible de constater que cette théorie vient de trouver une première application. En effet, la cour d’appel de Colmar, le 18 décembre 2020 [5], a « sauvé » la force probante d’un constat internet dressé par un huissier de justice au mépris du protocole jurisprudentiel obligatoire. Les juges y ont retenu en l’espèce que « le constat d'huissier ne présente pas les garanties exigées aujourd'hui en matière de constatations sur internet, ce qui a pour conséquence d'amoindrir sa force probante ».
Au-delà de s’interroger sur les raisons qui ont poussé la juridiction à retenir le constat sur internet imparfaitement dressé, la question qui se pose réellement est de savoir quelle portée donner et souhaiter à cette décision atypique.
Afin de répondre à ces interrogations, la logique de la dévaluation de la force probante du constat internet imparfait doit être rappelée (I) avant qu’il soit possible de s’appesantir sur le sens à donner à l’arrêt commenté (II).
I. L’application de la dévaluation
La dévaluation de la force probante du constat internet imparfaitement dressé nécessite d’être rappelée dans sa logique juridique (A) avant d’étudier sa première mise en pratique (B).
A. Logique juridique
L’objectif premier de la théorie de la dévaluation de la force probante du constat internet est de diminuer, voire annihiler, le contentieux stérile autour de la forme du constat dressé par huissier de justice sur internet lorsque le fait litigieux n’est pas contesté.
Elle nécessite donc la réunion de trois conditions cumulatives pour recevoir application.
La première condition, dite matérielle, réside dans le fait que le procès-verbal dressé par l’huissier de justice sur Internet ne remplit pas tous les critères de validité posés par la jurisprudence [6].
La deuxième condition, dite réelle, consiste en ce que la partie à qui est opposé le procès-verbal de constat ne conteste pas l’existence du fait litigieux. Autrement formulé, il faut que la critique porte sur les conditions d’établissement de la preuve, et non sur le fait prouvé.
La troisième et dernière condition, dite juridictionnelle, est que l’acte irrégulier dans un contentieux autre que pénal.
Bien qu’elle puisse surprendre, la sanction de la dévaluation de la force probante d’un acte existe déjà en droit français. En effet, l’article 1370 du Code civil [7] (N° Lexbase : L1030KZ8) dispose que : « L'acte qui n'est pas authentique du fait de l'incompétence ou de l'incapacité de l'officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écrit sous signature privée, s'il a été signé des parties ». Cet article illustre que le législateur est soucieux de sauver certains actes et que la nullité – ou la mise à l’écart des débats – n’est pas l’unique sanction envisageable de l’acte irrégulièrement dressé par un officier public et ministériel.
Depuis la loi du 22 décembre 2010 [8], le constat d’huissier de justice a vu sa force probante renforcée en matière civile : il fait foi jusqu’à preuve contraire et non plus à titre de simples renseignements. Cette augmentation de la force probante crée un échelon envisageable pour le constat internet imparfaitement dressé par huissier de justice, en matière civile uniquement [9], entre l’absence totale de force probante et la présomption simple de vérité : la valeur de simple renseignement.
Puisque l’article 1370 du Code civil n’est pas applicable aux constats d’huissier de justice, notamment car ce ne sont pas (encore ? [10]) des actes authentiques, contrairement aux constats d’huissiers de justice belges [11], l’idée est de transposer son esprit en appliquant la dévaluation au constat internet irrégulièrement dressé par huissier de justice pour non-respect du protocole prétorien.
Le constat internet dressé par huissier de justice ferait donc foi jusqu’à preuve contraire, sauf s’il a été établi non conformément aux exigences jurisprudentielles, auquel cas il ne vaudrait qu’à titre de simple renseignement. Dans cette dernière hypothèse, il ne lierait donc pas le juge et le débat judiciaire se concentrerait davantage sur le fait que sur la preuve du fait.
B. Mise en pratique
Jusqu’à l’arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la cour d’appel de Colmar, la dévaluation de la force probante du constat internet dressé au mépris du protocole prétorien n’était qu’une proposition doctrinale. Pour comprendre comment cette proposition a pu recevoir application, il convient de rappeler les circonstances de l’espèce.
Dans un litige de concurrence déloyale et parasitisme, un huissier de justice a été mandaté en 2014 pour constater qu’une société se livrait à une concurrence déloyale. Cette concurrence déloyale se matérialisait par la publication sur internet d’une publicité apparaissant lors d'une recherche en ligne des termes correspondant au nom commercial de sa requérante. Même si le protocole des constats internet était fixé depuis plus de dix ans, l’officier public ministériel ne le respecta pas au cours de ses constatations, en ne vidant ni la mémoire cache, ni l’historique et les cookies de son ordinateur…
Produit lors de l’action en justice, le procès-verbal fut attaqué par la partie adverse. En effet, il est de jurisprudence constante que de telles carences suffisent à elles seules à écarter le constat des débats [12]. C’est ainsi que le juge de première instance a écarté des débats le constat dressé sur internet irrégulièrement dressé.
Pourtant, la juridiction d’appel, à rebours de toute la jurisprudence, retient que « la juridiction peut user de son pouvoir d'appréciation pour évaluer la force probante qui s'attache à cette pièce sans qu'il soit pour autant nécessaire de l'écarter des débats, aucun motif d'irrecevabilité n'étant invoqué”. En vertu de ce pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel estime qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats le constat critiqué, même s’il ne respecte pas le protocole prétorien. Elle précise en revanche que le constat d'huissier ne présente pas en l’espèce les garanties exigées aujourd'hui en matière de constatations sur internet, ce qui a pour conséquence d'amoindrir sa force probante, sans préciser quelle force elle lui attribue exactement. Elle ne réforme pas le jugement attaqué pour des motifs de fond.
Bien que timide et motivé seulement par le pouvoir souverain d’appréciation, l’arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la cour d’appel de Colmar admet qu’un constat dressé sur internet par un huissier de justice qui ne respecte pas le protocole prétorien n’a pas à être automatiquement écarté des débats à ce seul motif. Elle précise cependant que, si le fait numérique litigieux n’est pas contesté, il n’est pas possible qu’un tel procès-verbal de constat dégage sa pleine puissance probatoire, de sorte que sa force probante est nécessairement amoindrie. Mais l’amoindrissement de cette force probante ne signifie pas anéantissement, ce qui autorise les magistrats à le prendre en considération.
II. Les conséquences de la dévaluation
Comme il ressort des précédents développements, la cour d’appel de Colmar, en amoindrissant la force probante du procès-verbal de constat ne respectant pas le protocole prétorien, a pu cependant la préserver (A) et permettre ainsi la poursuite du débat judiciaire (B).
A. L’amélioration de la force probante
Dévaluation ne signifie pas dévalorisation. Bien au contraire. Tel est l’enseignement qu’il est possible de tirer de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Colmar commenté. L’application de la théorie de la dévaluation de la force probante du constat internet irrégulièrement dressé aboutit au fait que cet acte, pourtant irrégulier, a une force probante au moins équivalente au constat dressé par un tiers [13]. Cela est justifié par la qualité de l’auteur, l’huissier de justice, auxiliaire de justice et officier public et ministériel, qui fonde déjà la force probante « jusqu’à preuve contraire » de ses constats. Si les constats par lui régulièrement établis ont déjà une force probante supérieure aux constats établis par des tiers, alors il apparaît normal que sa qualité d’huissier de justice, qui le lave de tout soupçon de stratagème et de collusion avec le requérant, permet en cas de non-respect du protocole prétorien que son constat sur internet ait une valeur équivalente aux constatations d’un tiers sans autorité officielle.
Faut-il s’émouvoir du fait que le constat internet imparfaitement réalisé en l’espèce (absence de nettoyage des caches et historiques) n’ait pas été écarté des débats par la juridiction ? Une réponse négative s’impose, pour plusieurs motifs.
Le premier motif est que le protocole prétorien ne s’impose qu’aux seuls huissiers de justice. Ainsi, un constat réalisé par un agent du fisc n’encourt aucune sanction si le protocole n’est pas respecté[14]. Si un tel constat réalisé par le Fisc peut être produit en justice, pourquoi ne serait-ce pas le cas du constat internet irrégulièrement dressé par l’huissier de justice, qui sera alors réalisé selon la même méthode d’un constat du fisc ?
Le deuxième motif est que la dévaluation de la force probante du constat internet imparfait empêche une dévalorisation du constat d’huissier de justice et in fine, accroît son efficacité. Il s’agit là d’une vertu supplémentaire aux yeux du justiciable qui décide de recourir un huissier de justice pour constater un fait litigieux sur internet : quand bien même la forme est critiquable, la qualité d’officier public et ministériel et les obligations qui en découlent ne le sont pas. En effet, le protocole prétorien des constats Internet ne signifie pas que la parole de l’huissier de justice est remise en cause, mais qu’il ne suffit pas de constater ce qu’affiche le moniteur. La dévaluation de la force probante du constat internet imparfait consiste donc en quelque sorte à revenir sur cette parole de l’huissier de justice que personne ne remet en cause.
Le troisième et dernier motif qui justifie de saluer cet arrêt est que la solution retenue pour préserver la force probante du constat d’huissier irrégulièrement dressé a permis à la juridiction de traiter le fond du litige puisque le fait litigieux n’était pas nié.
Tout cela justifie que la formule d’Alfred de Musset introduise nos développements, et ce pour quoi il serait tentant de conclure à la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Colmar : « Qu’importe la manière, pourvu qu’on ait l’huissier ».
B. L’amélioration du débat judiciaire
La dévaluation de la force probante du constat sur internet irrégulièrement dressé est un vecteur d’amélioration du débat judiciaire, en permettant de s’affranchir des débats de forme pour s’appesantir sur le fond. Il est vrai qu’il serait tentant, pour écarter l’application de la dévaluation de la force probante du constat sur internet irrégulièrement dressé, de contester le fait constaté. Amputée d’une de ses conditions, la théorie de la dévaluation ne pourrait être appliquée. Pour autant, ce serait là une mauvaise idée. Pour quelles raisons ?
La première raison est que le constat dressé par l’huissier de justice tire sa force, certes de la loi, mais surtout du fait que cet officier public et ministériel ne constate que la réalité, sans conclusion de fait ou de droit. Or, comment prouver que la réalité est fausse ? C’est impossible, ce pourquoi le contentieux des constats d’huissier ne traite jamais de la réalité du fait constaté, mais toujours de la manière dont l’officier public et ministériel s’est comporté.
La seconde raison est que, si le fait irrégulièrement constaté est critiqué dans sa réalité, c’est que l’huissier de justice a établi un faux, et il appartient alors à celui qui le prétend de lancer la rarissime et périlleuse procédure en inscription de faux… Procédure qu’il ne lancera pas puisque, s’il est l’auteur du fait constaté (comme c’était le cas en espèce), il connaît plus que quiconque la réalité du fait dont l’huissier de justice a été le témoin officiel…
Au final, la dévaluation de la force probante du constat sur internet irrégulièrement dressé permet d’éviter les comportements dilatoires qui consistent à critiquer les préalables au constat tout en évitant soigneusement d’évoquer la réalité du fait constaté, et autorise donc une avancée vers la résolution du litige. L’arrêt commenté n’autorise cependant pas l’huissier de justice à faire fi du protocole prétorien pour dresser ses constats internet. Les prérequis des constats sur Internet sont maîtrisés par les huissiers de justice, et les juges « considèrent à raison que c’est faire preuve d’une légèreté coupable de les ignorer encore aujourd’hui » [15]. Ainsi, la dévaluation de la force probante du constat internet imparfait n’affranchit pas l’huissier de justice de ses responsabilités civiles et professionnelles, mais ne sert que les intérêts du justiciable et d’une bonne administration de la justice.
[1] L’expression « constat internet imparfait » est utilisée par l’auteur pour désigner le constat d’huissier de justice réalisé sur internet sans respect du protocole prétorien, pourtant systématiquement sanctionné par la jurisprudence. Pour voir reconnue la force probante de son constat sur Internet, l’huissier de justice doit : 1/décrire le matériel informatique et les logiciels utilisés ; 2/ vérifier l’heure et la date de son matériel ; 3/ effectuer ses constatations depuis un lieu neutre (en pratique, ce sera souvent son étude), en en précisant l’adresse ; 4/ mentionner son adresse IP et détailler sa connexion Internet ; 5/ mentionner l’absence de serveur de Proxy ; 6/ vider le cache, les cookies, l’historique et les fichiers temporaires de son ordinateur ; 7/ s’abstenir d’utiliser les liens profonds fournis par le requérant, ce qui est essentiel pour établir le caractère public et librement accessible de la page Web ; 8/ commencer ses constatations depuis une page vierge.
[2] S. Dorol; La dévaluation, nouvelle sanction du constat internet imparfait?, Procédures, 2016, ét.12, p.13, n°1.
[3] Le protocole technique prétorien est bien souvent confondu à tort avec la norme Afnor. Si le premier est sanctionné par une mise à l’écart systématique des débats, le second n’est en rien obligatoire rappellent sans cesse les juges- V. S. Dorol.
[4] S. Dorol; La dévaluation, nouvelle sanction du constat internet imparfait?, Procédures, 2016, ét.12, p.13.
[5] CA Colmar, 18 décembre 2020, n° 19/00548 (N° Lexbase : A06694BE).
[6] TGI Paris, 4 mars 2003, n° 00/16090 (N° Lexbase : A6909CK4); Propr. industr. 2004, comm. 66, note P. Kamina - TGI Meaux, 9 décembre 2004, n° 04/02703 (N° Lexbase : A2140DHQ)– TGI Nice, 7 février 2006, n° 05/05526 (N° Lexbase : A1432DND).
[7] Anciennement numéroté 1318 avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L4857KYK).
[8] Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU).
[9] En matière pénale, le constat d’huissier de justice ne vaut qu’à titre de simple renseignement – Pour un refus de l’application de la dévaluation de la force probante du constat d’huissier imparfaitement dressé sur internet : Cass. crim, 8 janvier 2019, n° 18-80.748 (N° Lexbase : A9844YSE).
[10] N. Fricero et M.-P. Mourre-Schreiber, Le constat : un acte pleinement authentique, Paris, Actes du colloque, 11 mars 2015, L’huissier de justice, acteur – clef d’une preuve sécurisée : Dr. et proc. 2015, p. 144.
[11] Code judiciaire belge, art. 519, § 1 : « Les huissiers de justice sont chargés de missions pour lesquelles ils sont seuls compétents et par rapport auxquelles ils sont tenus d’exercer leur ministère. Ces missions sont (…) d’effectuer, à la requête de magistrats et à la requête de particuliers des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les causes et les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter, ainsi que les constatations que nécessitent les missions légales qu’ils accomplissent. Ces constatations sont authentiques en ce qui concerne les faits et les données matérielles que l’huissier de justice peut constater par perceptions sensorielles ».
[12] TGI Paris, 4 mars 2003, n° 00/16090 (N° Lexbase : A6909CK4); Propr. industr. 2004, comm. 66, note P. Kamina - TGI Meaux, 9 décembre 2004, n° 04/02703 (N° Lexbase : A2140DHQ)– TGI Nice, 7 février 2006, n° 05/05526 (N° Lexbase : A1432DND).
[13] Les constatations ne sont pas une activité monopolistique des huissiers de justice, même si seuls leurs constat font foi jusqu’à preuve contraire.
[14] CA Paris, 23 novembre 2016, n° 15/23593, (N° Lexbase : A5981SID).
[15] CA Lyon, 13 novembre 2012, n 11/04367. (N° Lexbase : A7415IWK)– F. Herpe, À propos des constats d’huissiers sur Internet : Propr. industr. 2013, n° 1, p. 7.
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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, nfalaw – SCP d'Avocats, Avocats au Barreau de Paris
Le 10 Février 2021
Aux termes de plusieurs mois d'âpres négociations, Google et l’Alliance de la Presse d’Information Générale (APIG) ont annoncé, le 22 janvier 2021, la signature d’un accord ouvrant la voie à la rémunération de la presse hexagonale dont les contenus protégés sont repris par le moteur de recherche. D'une durée de trois ans, cet accord cadre fixe les principes selon lesquels Google négociera des accords individuels de licence avec les membres de l'APIG. Il signe surtout la prise en compte effective par Google d'un droit voisin très récemment consacré aux articles L. 218-1 (N° Lexbase : L4855LRA) et suivants du Code de la propriété intellectuelle, au profit des éditeurs et des agences de presse. L'occasion de revenir sur la genèse de cet accord et le ferme rappel à l'ordre adressé au moteur de recherche par l'Autorité de la concurrence [1], puis par la cour d'appel de Paris [2].
Acte I : la création d'un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse
Les agrégateurs d'informations et les services de veille médiatique ont, très vite, fait de la réutilisation de publications de presse en ligne une partie importante de leur modèle économique, aussi bien qu'une source de revenus [3]. Longtemps, les éditeurs et agences de presse ont rencontré les plus grandes difficultés pour se faire rémunérer, n'étant pas reconnus comme des titulaires de droits. Fort de ce constat, l'article 15 de la Directive (UE) n° 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (N° Lexbase : L3222LQE), leur a reconnu un droit voisin du droit d'auteur [4]. L'objectif était ainsi de mettre en place les conditions d’une négociation équilibrée avec les services en communication en ligne, afin de protéger leurs investissements tant humains, que financiers [5]. À l'instar du droit des producteurs de bases de données [6], la défense des intérêts patrimoniaux des agences et éditeurs de presse était au cœur de la réflexion du législateur européen.
La France n’a pas attendu le délai du 7 juin 2021 laissé aux États membres pour transposer la Directive. La loi du 24 juillet 2019 [7] a consacré en droit interne le droit voisin des éditeurs et agences de presse. L'article L. 218-2 du Code de la propriété intellectuelle leur confère ainsi le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs publications par les plateformes, agrégateurs et autres moteurs de recherche. Ce droit ne se limite pas aux seuls contenus textuels, dans leur intégralité ou par extraits, mais s’étend également à d’autres œuvres ou objets protégés (comme des photographies ou des vidéos). La durée de cette protection est de « deux ans à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de la première publication d'une publication de presse » [8].
Le législateur français a envisagé la négociation comme le moyen adéquat pour rendre possible une rémunération équilibrée des éditeurs et des agences au titre de leurs droits voisins. À cet effet, l'article L. 218-4 (N° Lexbase : L4858LRD) fait peser sur les services de communication au public en ligne une obligation de transparence.
Acte II : le passage en force de Google ou le refus unilatéral et systématique de toute négociation
Du fait de l'instauration de ce nouveau droit voisin, Google devenait redevable d'une rémunération équitable au profit des éditeurs et agences de presse dont il reprend et exploite les articles. Pourtant, telle n'a pas été l'option choisie par le moteur de recherche, qui a annoncé aux éditeurs et agences de presse qu’il ne reprendrait plus leurs contenus protégés, sauf à ce qu'ils lui en donnent l’autorisation à titre gratuit.
La part de Google sur le marché français des services de recherche généraliste s'établissait à plus de 93 % à la fin de l’année 2019 (contre environ 5 % pour le moteur de recherche Bing de son premier concurrent Microsoft) [9]. On évalue par ailleurs à 45,3 % du trafic total des membres de l’APIG la moyenne pondérée du volume de trafic redirigé par Google [10]. En l'absence d'alternative satisfaisante, le trafic généré par les contenus protégés affichés par le moteur de recherche est donc indispensable (car non remplaçable) et essentiel pour la viabilité économique des sites de ces éditeurs.
En pratique, la mise en œuvre de la menace d’une dégradation de l’affichage de leur contenu aurait exposé les éditeurs de presse à une baisse de classement dans l'algorithme de Google, à l'origine d'une perte significative de trafic et donc de revenus ; mécaniquement, l'audience perdue aurait d'ailleurs été redirigée vers les concurrents qui auraient, eux, accepté la « proposition » unilatérale du moteur de recherche. Selon des tests effectués par le Groupe Figaro, un lien référencé sans photo ni description sur Google verrait ses performances de clics dégradées d’environ 50 %, impactant d'autant le trafic redirigé vers le site [11].
Au regard de cette situation économique particulière, les éditeurs de presse étaient placés devant une alternative mortifère : soit prendre le risque de perdre du trafic et des revenus au profit de leurs concurrents ; soit les conserver en se conformant à la politique d’affichage de Google c'est-à-dire en renonçant par avance à l'application de leur droit voisin nouvellement reconnu. Dans leur très grande majorité (87 %), les éditeurs de presse ont consenti une licence gratuite sur leurs contenus protégés au moteur de recherche. Ils ont d'ailleurs été contraints d'accepter des conditions plus défavorables [12] à celles prévalant avant l'entrée de vigueur de la loi du 24 juillet 2019…
Une telle dégradation de leur situation économique et juridique pouvait apparaître paradoxale, alors que l'objectif premier de la Directive était précisément de leur donner les armes pour mieux se défendre.
Acte III : la mise au pas de Google par l'Autorité de la concurrence
Créée en 2018, l'APIG rassemble les trois syndicats professionnels de la Presse Quotidienne Nationale, Régionale et Départementale et le Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale et représente près de 300 titres de presse d’information politique et générale [13], qui emploient près de 10 000 journalistes. À l'issue d'un précédent conflit survenu en 2013, l'APIG et Google avaient eu l'occasion de finaliser un accord ayant abouti à la création d'un fonds, dit « fonds Google », doté de 60 millions d'euros sur 3 ans.
Un tel accord n'était pas à l'ordre du jour en l'espèce. Considérant que, par son refus unilatéral et systématique de toute négociation visant à définir les conditions d’affichage et de rémunération des contenus protégés, Google cherchait à neutraliser l'effet utile de la loi du 24 juillet 2019 qui entendait faire de la négociation un élément central des relations avec les éditeurs et agences de presse, l'APIG [14] a saisi l'Autorité de la concurrence en novembre 2019. Autrement dit, bien que respectant apparemment la lettre de la loi, Google en violerait l'esprit.
Le 9 avril 2020, l'Autorité de la concurrence a ordonné des mesures d’urgence à l'encontre de Google dans le cadre de la procédure des mesures conservatoires [15]. En effet, en l’état de l’instruction, l’Autorité a considéré que Google était susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste et que les pratiques dénoncées étaient susceptibles d’être qualifiées d’anticoncurrentielles.
L'Autorité a notamment retenu que Google pourrait avoir imposé aux éditeurs et agences de presse des conditions de transaction inéquitables au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L9606LQT) et 102 a) du TFUE (N° Lexbase : L2399IPK), en évitant toute forme de négociation et de rémunération pour la reprise et l’affichage des contenus protégés au titre des droits voisins. À ce stade de l'instruction, l'Autorité a ainsi considéré que l'application par Google d’un « prix nul » à l’ensemble des éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus protégés n’apparaissait pas comme constituant une mesure raisonnable, puisque Google retire un intérêt économique à la reprise de contenus protégés, alors que la loi sur les droits voisins vise à transférer une partie de ce gain aux éditeurs et agences de presse.
Par ailleurs, en traitant de façon identique les opérateurs, indépendamment d'un examen de leurs situations respectives, Google pourrait s'être rendue coupable de pratiques discriminatoires.
Enfin, les modalités de mise en œuvre de la loi sur les droits voisins par Google apparaissent susceptibles de contrevenir à l’esprit de la loi, sans justifications objectives (i) en utilisant la possibilité laissée aux éditeurs et agences de presse de consentir des licences gratuites pour imposer systématiquement un principe de non-rémunération pour l’affichage des contenus protégés sur ses services, sans aucune possibilité de négociation ; (ii) en refusant de communiquer les informations nécessaires à la détermination de la rémunération ; et (iii) en reprenant des titres d’articles dans leur intégralité en considérant qu’ils échappaient par principe à la loi sur les droits voisins.
En conséquence de cette atteinte grave et immédiate au secteur de la presse, une série de mesures a été imposée à Google, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond ; en premier lieu, de négocier de bonne foi [16] la rémunération due par Google en vertu du droit voisin codifié à l’article L. 218-4 du Code de la propriété intellectuelle ; à cet effet, de faire preuve de transparence en communiquant les informations requises par la loi ; pendant la période de négociation, afin d'éviter que ce déréférencement ne fasse pression sur les éditeurs de presse et de garantir une négociation équilibrée, de maintenir les modalités d’affichage mises en place depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-775 et de prendre les mesures nécessaires pour que ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google ne soit affecté [17].
Ces mesures conservatoires resteront en vigueur jusqu’à la publication par l’Autorité de la décision au fond. Pendant cette période et afin de s’assurer de l’effectivité de ces mesures conservatoires, Google doit adresser à l’Autorité des rapports réguliers sur les modalités de mise en œuvre de la décision.
L'Autorité de la concurrence a donc entendu lancer un signal fort à Google. Ce type de mesures conservatoires n'est en effet prononcé qu'à titre très exceptionnel [18]. Sa décision a été quasiment intégralement confirmée par la cour d'appel de Paris aux termes d'un arrêt du 8 octobre 2020 [19].
Reste désormais à attendre la décision qui sera rendue au fond par l'Autorité de la concurrence. Par le passé, Google a déjà été condamné à trois reprises pour abus de position dominante par la Commission européenne, respectivement à verser des amendes de 1,494 milliard d'euros (20 mars 2019, de 4,343 milliards d'euros (18 juillet 2018) et de 2,425 milliards d'euros (27 juin 2017). Le 19 décembre 2019 [20], l'Autorité de la concurrence avait pour sa part déjà infligé une amende de 150 millions d'euros à Google pour abus de position dominante et lui avait notamment enjoint de clarifier la rédaction des règles de fonctionnement de Google Ads.
Acte IV : Et maintenant…
L'accord-cadre conclu entre Google et l'APIG ouvre désormais la voie à une nouvelle phase de négociation d'accords individuels de licence directement avec les éditeurs de presse. Conformément aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle, la rémunération prévue dans ces accords individuels devra être basée sur des critères tels que la contribution à l'information politique et générale, le volume quotidien de publications ou encore l'audience internet mensuelle.
De façon très pragmatique, Google a par ailleurs profité de ces négociations pour développer un nouveau service « News Showcase ». L'interface propose une amorce de lecture d'un article et renvoie le lecteur vers la source éditoriale, gage d'un gain de fréquentation pour les producteurs de contenu. Cet outil permet par ailleurs aux éditeurs partenaires de disposer d’un espace de visibilité important où ils pourront choisir les textes et les images mais également ajouter des listes à puces ou des articles connexes.
Si la ministre de la Culture a salué l'accord du 22 janvier 2021 [21], elle rappelle que Google n'est pas la seule entreprise débitrice de ce droit voisin et que les autres plateformes concernées doivent à leur tour se mettre en conformité avec la loi française et européenne. Il appartient par ailleurs à Google de trouver un accord similaire avec l’AFP, alors que les discussions avec le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine ont jusqu’à présent tourné court.
Ainsi que le rappelle la ministre de la Culture, l'accord entre l'APIG et Google s'inscrit plus généralement dans un mouvement de rééquilibrage des relations entre les grandes plateformes numériques et leurs partenaires. Il marque une étape supplémentaire vers le Digital Services Act et le Digital Markets Act dont les projets de Règlements européens ont été publiés par la Commission européenne le 15 décembre dernier, en vue d'une adoption espérée pour les premiers mois de 2022...
[1] Aut. conc., décision n° 20-MC-01, 9 avril 2020 (N° Lexbase : X9925CIG), V. Téchené, Lexbase Affaires, avril 2020, n° 632 (N° Lexbase : N2986BYA).
[2] CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 8 octobre 2020, n° 20/08071 (N° Lexbase : A14633XH), V. Téchené, Lexbase Affaires, octobre 2020, n° 651 (N° Lexbase : N4937BYI)
[3] Leur modèle économique repose principalement sur l'interaction entre des services fournis aux utilisateurs, sans contrepartie financière mais qui leur permettent d'accéder à leurs données personnelles, et les services de publicité en ligne dont ils tirent la majeure partie de leurs revenus.
[4] « Les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse établis dans un État membre les droits prévus à l'article 2 et à l'article 3, paragraphe 2, de la Directive 2001/29/CE pour l'utilisation en ligne de leurs publications de presse par des fournisseurs de services de la société de l'information […] ».
[5] Cf. considérant 61 de la Directive n° 2019/790.
[6] C. prop. intell., art. L. 341-1 (N° Lexbase : L3493ADQ).
[7] Loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 (N° Lexbase : N0322BYL), entrée en vigueur le 24 octobre 2019.
[8] C. prop. intell., art. L. 211-4, V (N° Lexbase : L4854LR9).
[9] Chiffres de l'Autorité de la concurrence (cf. Aut. conc., décision n° 20-MC-01, préc., point 162) et de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 8 octobre 2020, n° 20/08071, préc.).
[10] Chiffres de l'Autorité de la concurrence (cf. Aut. conc., décision n° 20-MC-01, préc., point 225).
[11] Chiffres de l'Autorité de la concurrence (cf. Aut. conc., décision n° 20-MC-01, préc., point 123).
[12] Car offrant à Google la possibilité de reprendre davantage de contenus qu'auparavant.
[13] Dont Le Monde, Le Figaro, Libération, L'Humanité etc..
[14] Aux côtés de l'Agence France Presse et du Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine.
[15] C. com., art. L. 464-1 (N° Lexbase : L8200IBC).
[16] Ces négociations devront s’inscrire dans une période limitée à trois mois à compter de la demande de l’éditeur ou de l’agence de presse.
[17] Principe de neutralité.
[18] Déjà à l'encontre de Google (Aut. conc., décision n° 19-MC-01, 31 janvier 2019 N° Lexbase : X6682BL3) et, avant cela en 2016 (Aut. conc., décision 16-MC-01, 2 mai 2016 N° Lexbase : X7836APW).
[19] CA Paris, 8 octobre 2020, n° 20/08071, préc..
[20] Aut. conc., décision 19-D-26, 19 décembre 2019 (N° Lexbase : X0766CKL).
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Réf. : CA Paris, 6, 29 janvier 2021, n° 19/09480 (N° Lexbase : A08894EN) ; CA Paris, 6, 29 janvier 2021, n° 19/10162 (N° Lexbase : A04364EU)
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par Pierre Pradeau, Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d'avocats
Le 10 Février 2021
Mots-clés : contribution sociale de solidarité des sociétés • C3S • TVA • assiette • transferts de stocks intracommunautaires
Par deux arrêts en date du 29 janvier 2021, la cour d’appel de Paris a tiré les conséquences de la décision « Lubrizol » rendue par la CJUE en date du 14 juin 2018 [1] relative aux règles d’imposition à la C3S en jugeant que ne sont pas à prendre en compte dans l’assiette de cette Contribution les transferts de biens intra-communautaires.
Pour rappel, l’assiette de la C3S est assise sur le chiffre d’affaires global déclaré à l'administration fiscale, calculé hors taxe sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées [2].
En pratique, l’assiette de la C3S est constituée par le chiffre d’affaires entrant dans le champ d’application des taxes sur le chiffre d’affaires, c'est-à-dire l’addition des sommes imposables à la TVA, ou de celles qui, tout en étant dans son champ d’application, en sont exonérées :
Les transferts de biens intra-communautaires même s’ils sont assimilés à des livraisons intra-communautaires de biens pour les besoins de la TVA (CGI, art. 256 bis-II-2° N° Lexbase : L6261LUG), ne constituent pas en tant que tels du chiffre d’affaires.
C’est dans ce contexte que le contentieux s’est noué devant la Cour de cassation [3] et porté par voie de question préjudicielle devant la CJUE [4] qui a dit pour droit que :
« Les articles 28 (N° Lexbase : L2595IPS) et 30 TFUE (N° Lexbase : L2618IPN) doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre prévoyant que l’assiette de contributions perçues sur le chiffre d’affaires annuel des sociétés, pour autant que ce dernier atteint ou dépasse un certain montant, soit calculée en tenant compte de la valeur représentative des biens transférés par un assujetti ou pour son compte, pour les besoins de son entreprise, de cet État membre vers un autre État membre de l’Union européenne, cette valeur étant prise en compte dès ledit transfert, alors que, lorsque les mêmes biens sont transférés par l’assujetti ou pour son compte, pour les besoins de son entreprise, sur le territoire de l’État membre concerné, leur valeur n’est prise en compte dans ladite assiette que lors de leur vente ultérieure, à la condition :
Autrement dit, la prise en compte des transferts de biens intracommunautaire dans l’assiette de la C3S n’a pas pour effet de qualifier la contribution de taxe d’effet équivalent [5] si les trois conditions décrites ci-dessus sont cumulativement réunies.
Dans cette affaire, c’est l’absence de la deuxième condition posée par la CJUE qui a conduit la Cour d’appel de Paris à exclure les transferts de biens intracommunautaires de l’assiette de la C3S.
En l’espèce, afin de trancher le litige dont elle est saisie, la Cour d’appel de Paris décline sa décision en réponse aux arguments développés par l’URSSAF :
Il résulte en effet de la décision précitée de la CJUE, et comme les sociétés requérantes le soutenaient, que le terme régularisation doit s’entendre, notamment, comme le mécanisme permettant de soustraire à l’assiette de la C3S la valeur des biens qui n’ont pas fait l’objet d’une vente après leur transfert dans un autre État membre de l’Union Européenne ou la valeur de ceux qui y ont été transférés dans le seul but d’y faire l’objet d’un travail à façon, sans avoir à déposer une demande de remboursement.
Ainsi, la cour d’appel de Paris relève que la procédure de remboursement de la C3S prévue par l’article L. 243-6 du CSS (N° Lexbase : L1300I7B) n’équivaut pas à mécanisme de régularisation permettant une déduction complémentaire tel que le permettent les déclarations CA3 en ligne 3C et 7B, dans la mesure où les sommes régularisées au titre de ces lignes n’incluent pas celles relatives aux transferts intracommunautaires de biens.
En conséquence, elle en conclut que la prise en compte des transferts de biens dans l’assiette de la C3S n’est pas conforme au droit de l’Union Européenne.
Ces deux décisions permettront à l’ensemble des opérateurs redevables de la C3S de procéder à des retraitements de leurs déclarations passées et futures.
Il conviendra dans le cadre des réclamations contentieuses, d’avoir une analyse fine des flux des opérateurs afin de déterminer le montant de la Contribution acquitté à tort à réclamer aux services de recouvrement de la C3S.
Précisons qu’en pratique d’autres opérations doivent être exclues de la base d’imposition de la Contribution. L’assiette de la C3S devra dont désormais faire l’objet d’une analyse en dentelle.
Enfin, rappelons que conformément au Code de la sécurité sociale, ces réclamations peuvent être déposée dans les trois années qui suivent le paiement effectif de la taxe.
[1] CJUE, 14 juin 2018, aff. C-39/17, Lubrizol France SAS (N° Lexbase : A9143XQP).
[2] CSS, art. L. 137-32 (N° Lexbase : L8716LKZ) et art. L.137-33 (N° Lexbase : L8717LK3).
[3] Cass. civ 2, 19 janvier 2017, n° 15-26.723, FS-D (N° Lexbase : A7167S9C).
[4] CJUE, 14 juin 2018, aff. C-39/17 précité.
[5] Les articles 28 et 30 du traité de fonctionnement de l’Union Européenne prohibent l’instauration de taxes contraires au principe de libre circulation des marchandises, dès lors que la suppression des droits de douanes entre les États membres de l’UE est applicable depuis le 1er juillet 1968.
[6] Mécanisme pleinement applicable à la C3S et prévu à l’article L.243-6 du CSS.
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