Réf. : Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles (N° Lexbase : Z4821198)
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par Géraldine Maugain, Maître de conférences de droit privé - Université de Bourgogne et de Franche-Comté, Membre du CREDESPO
Le 08 Janvier 2021
Mots-clefs : Texte • avocat • aide juridictionnelle • AJ • réforme
Depuis longtemps, le système de l’aide juridique est en crise [1]. Les problématiques sont multiples. Le nombre de bénéficiaires de l’aide juridictionnelle est en forte hausse et se traduit par un engorgement des bureaux d’aide juridictionnelle et un allongement des délais de traitement des dossiers. Pourtant, les plafonds des revenus fixés pour l’attribution d’une aide financière sont bas, excluant ainsi les classes moyennes. Quant à la rétribution des avocats, elle est trop modeste et explique que beaucoup s’en détournent. Enfin, le budget alloué par l’Etat à ce poste est insuffisant pour faire face à ces difficultés. Le 23 juillet 2019, les députés Gosselin et Moutchou ont déposé à l’Assemblée nationale, un rapport d’information sur l’aide juridictionnelle, établissant 35 propositions. Leur objectif est triple : faciliter l’accès à l’aide juridictionnelle, revaloriser celle-ci pour les justiciables et les auxiliaires de justice et garantir son financement. Ces deux derniers aspects ont d’ailleurs été repris par le rapport de la Mission relative à l’avenir de la profession d’avocat - présidée par Dominique Perben - remis en juillet 2020 au ministre de la Justice, mais pas par la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 (N° Lexbase : Z839238Z). Son article 243 qui apporte quelques modifications à la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique (N° Lexbase : O0664B7Q), s’attache essentiellement à l’accès à l’aide juridictionnelle, à son encadrement, car à défaut de pouvoir allouer plus, il faut gérer mieux. Le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 (N° Lexbase : Z4821198) portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles n’est guère plus satisfaisant. Cet impressionnant texte de 191 articles complétés d’annexes, qui abroge et remplace l’historique décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE) à compter du 1er janvier 2021, procède en grande partie, à un réagencement global des dispositions réglementaires concernant l’aide juridictionnelle et l’aide à l’intervention de l’avocat, pour l’essentiel à droit constant. Le but est de rationaliser, simplifier et clarifier lesdites dispositions, tant pour les professionnels du droit que pour les justiciables. En outre, le décret du 28 décembre 2020 réunit en son sein les dispositions applicables dans les départements d’outre-mer, à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi qu’en Polynésie française, qui jusqu’à présent se trouvaient dans un texte spécifique. Quelques changements doivent toutefois être soulignés.
La dématérialisation de la demande d’aide et de son traitement.
Le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 poursuit le vaste chantier de dématérialisation de l’aide juridictionnelle lancé par le ministère de la Justice, afin d’améliorer la qualité de ce service. Cela concerne la demande d’aide mais aussi son traitement, sa mise en œuvre et son suivi. Ainsi, l’article 38 du décret précise que la demande d’aide juridictionnelle pourra se faire au moyen d'une application informatique dédiée, accessible via le dispositif numérique d’authentification « FranceConnect ». Dans ce cas, la demande d'aide sera transmise automatiquement au bureau établi auprès de la juridiction dans le ressort de laquelle est fixé le domicile du demandeur. L’article 49, quant à lui, indique les implications de l’utilisation de l’application informatique sur l’instruction de la demande (accusé d’enregistrement électronique, communication…). Et selon l’article 56 in fine, la décision pourra, naturellement, être communiquée par ladite application informatique. Reste à attendre le déploiement de cette dernière, appelée Système d’information de l’aide juridique (SIAJ), au sein des bureaux d’aide juridictionnelle. Une première version expérimentale du SIAJ doit être déployée au cours du 1er semestre 2021 au sein de quelques juridictions, afin de confronter l’outil au fonctionnement quotidien d’un bureau d’aide juridictionnelle. Le déploiement progressif de l’outil, au sein des juridictions judiciaires et des juridictions administratives, sera ensuite envisagé au cours du second semestre 2021, pour tenir compte du retour d’expérience des juridictions tests et d’intégrer des fonctionnalités complémentaires. En attendant, le demandeur doit continuer à recourir à un formulaire homologué CERFA, dont le contenu est fixé par arrêté du garde des Sceaux.
L’éligibilité basée sur le revenu fiscal de référence
Dans leur rapport déposé le 23 juillet 2019 à l’Assemblée nationale, les députés Gosselin et Moutchou avaient souligné l’importance de clarifier les conditions de ressources, tout d’abord, en raison des difficultés quant à la prise en compte du patrimoine mobilier et immobilier du demandeur. En l’absence de méthodologie pour apprécier ledit patrimoine, les pratiques des bureaux d’aide juridictionnelle variaient, générant des inégalités de traitement entre les justiciables. « Par exemple, s’agissant de l’épargne, en l’absence de définition d’un seuil à partir duquel l’aide juridictionnelle serait refusée, certains BAJ [retenaient] un seuil de 5 000 euros alors que d’autres le [fixaient] à 15 000 euros, comme l’ont souligné les syndicats de greffiers ». En outre, certains BAJ se contentaient de déclaration, sans exiger de pièces justificatives. Enfin, il ressortait également de l’appréciation des ressources par les BAJ une grande hétérogénéité s’agissant des éléments extérieurs du train de vie. C’est pourquoi le rapport Gosselin et Moutchou suggérait de « retenir comme critère d’appréciation des ressources du demandeur d’aide juridictionnelle le revenu fiscal de référence » (Proposition n° 12). La loi du 28 décembre 2019 a repris cette proposition et l’a inscrite à l’article 4 de la loi du 10 juillet 1991. Le décret du 28 décembre 2020 développe ce principe, ses aménagements et ses exceptions.
Le principe est que le caractère insuffisant des ressources des personnes physiques est désormais apprécié en tenant compte du revenu fiscal de référence (RFR), du patrimoine et de l’épargne du demandeur et de la composition du foyer fiscal.
Ainsi, pour bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, « le demandeur doit justifier, par la production de son avis d'imposition le plus récent, que son revenu fiscal de référence […] est inférieur à 11 262 euros » (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 3 al. 1). Il n’est pas alors difficile de voir que ce chiffre annuel équivaut à un chiffre mensuel (938,5 euros/mois) en apparence inférieur au seuil d’éligibilité applicable en 2020 (1043 euros/mois selon la circulaire du 16 janvier 2020). En réalité, lorsque l’on sait que pour calculer le RFR, les services fiscaux prennent en compte les revenus de l’année (salaire, pensions de retraite, revenus fonciers, pensions diverses…) et leur appliquent au minimum un abattement de 10 %, voire en retirent certaines charges (pensions alimentaires, épargne retraite), on réalise que le plafond fixé par le décret, équivaut au minimum au plafond de 2020. On peut alors regretter qu’il n’ait pas été relevé au niveau du SMIC comme le demandaient les rapporteurs Gosselin et Moutchou. Cela aurait permis d’améliorer l’accès au juge des personnes aux revenus incontestablement modestes. Il faut également constater que l’attribution d’une aide juridictionnelle partielle est toujours prévue alors que son efficacité est remise en cause, en raison de la possibilité pour les avocats ou les officiers publics ou ministériels de demander un complément d’honoraires ou d’émolument. Pour cela, le demandeur doit justifier que son RFR est inférieur à 16 890 euros, soit 1407,50 euros/mois (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 3 al. 2). La part contributive de l'Etat versée à l'avocat ou à l'officier public ou ministériel qui prête son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle reste semblable à celle en vigueur en 2020. Elle est de 55 % si le revenu fiscal de référence est compris entre 11 263 euros et 13 312 euros et de 25 % pour un revenu fiscal de référence compris entre 13 313 euros et 16 890 euros (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 101).
Si en raison d’une évolution financière du foyer, il n’est plus pertinent de se référer au RFR au moment de la demande de l’aide, le décret prévoit que « le montant pris en compte pour apprécier le droit à l'aide juridictionnelle ou à l'aide à l'intervention de l'avocat correspond au double du montant des revenus imposables perçus par le foyer fiscal au cours des six derniers mois après abattement de 10 % » (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 4). Il en est de même à défaut de revenu fiscal de référence (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 8).
Mais la grande nouveauté, en ce qui concerne les conditions d’éligibilité, tient au fait que l’article 5 du décret du 28 décembre 2020 fixe la valeur du patrimoine mobilier ou financier ou du patrimoine immobilier du demandeur, au-delà de laquelle il ne peut prétendre à une aide. A partir du 1er janvier 2021, si le montant de son patrimoine mobilier ou financier - c’est-à-dire son épargne pour l’essentiel - dépasse le plafond annuel d’éligibilité à l’aide juridictionnelle totale (soit 11 262 euros), l’aide juridictionnelle ne peut pas lui être accordée. Il en est de même, si le montant du patrimoine immobilier du demandeur est supérieur à deux fois le plafond d’admission à l’aide juridictionnelle partielle et à l’aide à l’intervention de l’avocat (soit 33 780 euros). La résidence principale ainsi que les locaux professionnels ne sont toutefois pas pris en compte pour examiner l’éligibilité à l’aide juridictionnelle. Le dernier alinéa de l’article 4 de la loi du 10 juillet 1991 précise en effet que « les biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour les intéressés ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant des ressources auquel s'appliquent les plafonds d'éligibilité ».
Bien entendu, tous ces plafonds de ressources (déterminées à partir du RFR ou non) et de patrimoine peuvent être majorés lorsque le foyer fiscal est composé de plusieurs personnes, d'une somme équivalente à 0,18 fois 11 262 euros pour chacune des deux premières personnes supplémentaires et d'une somme équivalente à 0,1137 fois ce même montant pour chaque personne au-delà (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 6).
Le principe est aménagé lorsque le recours au revenu fiscal de référence perd sa pertinence en raison de la particularité des parties au litige. C’est le cas lorsque la procédure oppose des personnes rattachées à un même foyer fiscal ou lorsqu’il existe entre elles, eu égard à l’objet du litige, une divergence d'intérêt. C’est également le cas lorsque la procédure concerne une personne majeure ou mineure rattachée au foyer fiscal de ses parents ou de ses représentants légaux, qui manifestent un défaut d'intérêt à son égard (L. n° 91-467 du 10 juill. 91, art. 5). L'appréciation des ressources est alors individualisée. Le montant pris en compte pour apprécier l’éligibilité à l’aide juridictionnelle est alors le double du montant des revenus imposables perçus par le seul demandeur au cours des six derniers mois après abattement de 10 % et les éventuels revenus d'un bien possédé en commun sont pris en compte au prorata de la part de propriété du demandeur (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 7).
L’instruction des demandes
Deux précisions doivent être apportée concernant l’instruction des demandes. La première concerne l’application dans le temps du décret et la seconde, le délai de transmission des pièces manquantes.
Le décret du 28 décembre 2020, entrant en vigueur le 1er janvier 2021, ouvre une période au cours de laquelle deux modalités d’instruction des demandes vont coexister. Pour les demandes émises antérieurement et non traitées au 1er janvier 2021, il faut appliquer les modalités d’instruction en vigueur avant le 31 décembre 2020. Si en revanche la demande a été émise postérieurement à l’entrée en vigueur du décret, elle sera examinée selon les nouvelles modalités d’instruction avec notamment la prise en compte du RFR. Lorsque la demande a été déposée au bureau d’aide juridictionnelle ou au service d’accueil unique du justiciable, c’est la date de réception par le service qui importe. Si en revanche, la demande a été envoyée par voie postale, c’est la date d’expédition de la lettre qui importe. Enfin, en cas de commission d’office de l’avocat, c’est la date de son intervention qui détermine le droit applicable.
Cette application dissociée dans le temps devrait également concerner les règles relatives au délai de transmission des pièces manquantes. Selon l’article 42 du décret de 1991, c’était au bureau de l’aide juridictionnelle de fixer ce délai, sans pouvoir excéder deux mois à compter de la réception de la demande de transmission. Il en résultait une grande hétérogénéité. L’article 46 du décret du 28 décembre 2020 impose le délai dans lequel le demandeur doit répondre à l’injonction du bureau de communiquer les pièces listées dans les formulaires CERFA. Le demandeur a un mois à compter de la réception de la demande de pièces complémentaires, sans quoi le président ou le vice-président du BAJ doit constater la caducité de la demande dans une décision qui n’est pas susceptible de recours.
La nouvelle admission de plein droit… à titre provisoire
Le décret du 28 décembre 2020 précise également l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 qui, modifié par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences volontaires (N° Lexbase : L7970LXH), prévoit que « L'aide juridictionnelle est attribuée de plein droit à titre provisoire dans le cadre des procédures présentant un caractère d'urgence ». L’article 61 du décret énonce que l'admission provisoire « est accordée de plein droit au demandeur et au défendeur lorsque la procédure concerne la délivrance d'une ordonnance de protection ». L'aide juridictionnelle provisoire devenant définitive si le contrôle des ressources du demandeur, réalisé a posteriori par le bureau d'aide juridictionnelle, établit l'insuffisance des ressources (L. n° 91-647 du 10 juill. 1991, art. 20 al. 4), on est loin de la proposition du rapport Gosselin et Moutchou qui préconisait d’accorder l’aide juridictionnelle, de droit, sans condition de ressources, aux victimes de violences conjugales et ce dès le dépôt de plainte.
Les précisions quant au retrait
Le décret du 28 décembre 2020 revient sur les conditions et les effets du retrait de l’aide juridictionnelle. Au titre des premières, il ajoute que le retrait ne peut être décidé qu’« après avis d’un avocat membre du bureau d’aide juridictionnelle » (D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, art. 65). En outre, là où le décret de 1991 prévoyait seulement que le bénéficiaire devait être entendu ou appelé à s’expliquer, l’article 66 du décret du 28 décembre 2020 précise désormais ses droits et ses devoirs. « Avant de prononcer le retrait de l'aide, le bureau d'aide juridictionnelle en informe le bénéficiaire et l'avocat, et leur indique les motifs de ce retrait, par tout moyen donnant date certaine à la réception. / Le bénéficiaire dispose d'un délai d'un mois pour faire valoir ses observations écrites… ». En revanche, la communication de la demande de retrait reposant sur des déclarations ou la production de pièces inexactes au ministère public n’est plus une condition préalable à l’examen de la demande. Selon l’article 67 du décret du 28 décembre 2020, dans cette hypothèse, c’est désormais sa décision que le bureau d’aide juridictionnelle communique au ministère public.
La rétribution des avocats plus cohérente
Reste le problème de la rétribution des avocats. Actuellement, la rétribution forfaitaire des avocats au titre de l'aide juridictionnelle est si faible que les grands cabinets s’en détournent, l’aide juridictionnelle représentant pour eux un coût, et que les avocats entrant dans la profession parviennent difficilement grâce à elle, à un équilibre économique. C’est pourquoi le rapport Perben a recommandé de revaloriser l'unité de valeur afin de passer de 32 à 40 euros mais également revaloriser certains contentieux. Pour ce dernier point, le rapport fait référence au rapport du Conseil national de l’aide juridique (CNAJ), publié en juin 2019 et qui constate que « la différence de rétribution entre l’avocat des personnes mises en cause et celui des victimes apparaît aujourd’hui peu justifiable, en particulier devant la cour d’assises pour la phase de jugement, compte tenu de l’évolution progressive de la législation et de l’importance prise par la victime dans le procès pénal ». Le décret du 28 décembre 2020 entérine à peine cette recommandation. L’assistance d’une partie civile pour une instruction criminelle passe de 18 à 20 UV contre 50 UV pour l’assistance du mis en examen. L’assistance d’une partie civile devant la cour d’assises passe de 35 à 38 UV contre 50 UV pour l’assistance de l’accusé. En revanche, le décret du 28 décembre 2020 corrige, comme l’avait suggéré le rapport du CNAJ, l’absence de majoration devant le tribunal correctionnel pour l’avocat de la partie civile, à la différence de ce qui existe pour l’avocat du prévenu. Cette majoration est aujourd’hui de 3 UV par demi-journée d’audience supplémentaire. Mais ce qui est particulièrement remarquable, c’est la nette revalorisation de la rétribution des mesures de médiation ordonnées par le juge qui passe de 4 à 12 UV. Cela est parfaitement cohérent avec les actuelles préoccupations du législateur qui cherche par tout moyen à développer la culture du règlement alternatif des différends (voir notamment L. n° 2019-222 du 23 mars 2019).
Quant à la revalorisation de l’unité de valeur, la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finance pour 2021 la fait seulement passer de 32 à 34 euros. Pas sûr que cela amortisse l’inflation, l’évolution du contentieux et des frais de fonctionnement des cabinets. Pour cela, le rapport Gosselin et Moutchou avait proposé de garantir une revalorisation régulière et préconisait d’organiser un débat au Parlement lors de chaque législature sur l’évolution de l’aide juridictionnelle compte tenu de l’enjeu majeur que cette aide représente pour garantir l’accès à la justice. Il faudra encore attendre.
[1] M.-C. Wienhofer, Aide juridictionnelle : avis de tempête, Gaz. Pal. 6-8 nov. 2005, p. 2.
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Réf. : Décret n° 2020-1766 du 30 décembre 2020, relatif aux bénéficiaires des dispositions de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et portant sur les loyers et charges locatives (N° Lexbase : Z43334S4)
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par Vincent Téchené
Le 07 Janvier 2021
► Un décret, publié au Journal officiel du 30 décembre 2020, définit des critères d'éligibilité aux mesures relatives aux loyers prévues à l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (N° Lexbase : L6696LYN).
Pour rappel ce texte a mis en place des mesure relatives aux loyers et charges dus par les locataires dont l’activité a été affectée par une mesure de police administrative portant sur l’ouverture de leur commerce au public en raison de l'épidémie de covid-19 (cf. J. Prigent, Lexbase Affaires, novembre 2020, n° 655 N° Lexbase : N5296BYS) : (i) interdiction de toute action, sanction ou voie d’exécution forcée pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives, (ii) interdiction de la mise en œuvre des sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives et des mesures conservatoires et (iii) suspension des procédures d'exécution engagées par le bailleur.
Peuvent bénéficier des mesures prévues, les locataires remplissant des conditions d’effectifs, de chiffre d’affaires et de perte de chiffre d’affaires, exploitant un commerce affecté par une mesure de police administrative réglementant l’ouverture au public.
Le décret précise les conditions d’effectifs, de chiffre d’affaire et de de perte de chiffre d’affaires.
Les critères d'éligibilité sont les suivants :
Par ailleurs, le critère de perte de chiffre d'affaires correspond à une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er novembre 2020 et le 30 novembre 2020, laquelle est définie comme la différence entre, d'une part, le chiffre d'affaires au cours du mois de novembre 2020 et, d'autre part :
- le chiffre d'affaires durant la même période de l'année précédente ;
- ou, si l'entreprise le souhaite, le chiffre d'affaires mensuel moyen de l'année 2019 ;
- ou, pour les entreprises créées entre le 1er juin 2019 et le 31 janvier 2020, le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 ;
- ou, pour les entreprises créées entre le 1er février 2020 et le 29 février 2020, le chiffre d'affaires réalisé en février 2020 et ramené sur un mois ;
- ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2020, le chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé entre le 1er juillet 2020, ou à défaut la date de création de l'entreprise, et le 30 septembre 2020.
En outre, pour les entreprises ayant fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public, le chiffre d'affaires du mois de novembre 2020 n'intègre pas le chiffre d'affaires réalisé sur les activités de vente à distance avec retrait en magasin ou livraison.
Lorsque le locataire est une association, cette dernière doit, pour bénéficier des mesures, avoir au moins un salarié.
Les locataires doivent alors produire une déclaration sur l'honneur qu’ils remplissent les conditions d’éligibilité. Cette déclaration est accompagnée de tout document comptable, fiscal ou social permettant de le justifier. La perte de chiffre d'affaires est établie sur la base d'une estimation.
Les entreprises de moins de 50 salariés bénéficiaires du fonds de solidarité peuvent justifier de leur situation en présentant l'accusé-réception du dépôt de leur demande d'éligibilité au fonds au titre du mois de novembre 2020, accompagné de tout document comptable ou fiscal permettant de justifier qu'elles ne dépassent pas le niveau de chiffre d'affaires exigé.
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Réf. : Cass. civ. 3, 17 décembre 2020, n° 18-24.823, FP-P+B+I (N° Lexbase : A06744A9)
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac
Le 06 Janvier 2021
► Les violences commises par le fils de la preneuse à l'encontre des employés du bailleur et réitérées après une première condamnation pénale constituent des manquements à l'obligation d'usage paisible des lieux incombant au preneur et aux personnes vivant sous son toit ; le lieu de commission des violences importe peu dès lors que les victimes sont des agents du bailleur ; la gravité des troubles ainsi constatés justifie la résiliation du bail.
Faits et procédure. En 2011, un enfant mineur, vivant au domicile de sa mère, a exercé des violences à l'égard des agents du bailleur. À la suite de ces faits ayant donné lieu à une condamnation pénale, la mère et son fils ont été relogés dans un appartement situé dans une autre commune. En 2014, l’enfant, devenu majeur, a commis de nouvelles violences pénalement sanctionnées à l'encontre des employés du bailleur.
L’organisme de logement social, le bailleur, a assigné la mère, la preneuse, en résiliation du bail pour manquement à l'usage paisible des lieux.
La cour d’appel accueille la demande du bailleur (CA Lyon, 30 janvier 2018, n° 16/02135 N° Lexbase : A0068XCI).
La preneuse se pourvoit en cassation en se fondant sur le fait que les actes de violence ont été perpétrés par son fils en dehors des lieux donnés à bail ou de leurs accessoires.
L’obligation d'usage paisible des locaux loués par le preneur. Pour rappel, le locataire est obligé d'user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location (loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 7 N° Lexbase : Z34730RM).
Condition nécessaire à la résiliation d'un bail d'habitation pour manquement à l'obligation d'usage paisible des lieux loués. La résiliation d'un bail d'habitation pour manquement à l'obligation d'usage paisible des lieux loués ne peut être prononcée que si est établie l'existence d'un lien entre les troubles constatés et un manquement à l'obligation pour le preneur d'user paisiblement de la chose louée et de ses accessoires (Cass. civ. 3, 14 octobre 2009, n° 08-16.955, FS-P+B N° Lexbase : A0871EM9 ; Cass. civ. 3, 14 octobre 2009, n° 08-12.744, FS-P+B N° Lexbase : A0832EMR).
Violences constitutives de manquements à l’obligation d’usage paisible des lieux incombant au preneur. La troisième chambre civile de la Cour de cassation estime que la cour d'appel a retenu à bon droit que les violences commises par le fils de la preneuse à l'encontre des employés du bailleur et réitérées après une première condamnation pénale constituaient des manquements à l'obligation d'usage paisible des lieux incombant au preneur et aux personnes vivant sous son toit et que le lieu de commission des violences importait peu dès lors que les victimes étaient des agents du bailleur.
Résiliation du bail justifié par la gravité des troubles. Elle en a souverainement déduit que la gravité des troubles ainsi constatés justifiait la résiliation du bail.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette donc le pourvoi.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L'extinction du contrat de bail, Les causes de la résiliation du bail, in Contrats Spéciaux, (G. Piette), Lexbase (N° Lexbase : E2780EYM). |
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Réf. : Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-21.060, FS-P+B+I (N° Lexbase : A551737H)
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par Vincent Mazeaud, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Le 06 Janvier 2021
Mots-clés : contrat • force majeure • inexécution • impossibilité d’exécuter • responsabilité • faute • résolution • réduction du prix • imprévision • révision
La force majeure ne peut être reconnue lorsque le créancier s’est trouvé dans l’impossibilité de profiter de la prestation convenue.
1.- Vedette de l’année 2020 sur la scène contractuelle, la force majeure a été sollicitée de toute part en raison de la crise sanitaire : bailleurs, locataires, prestataires de services et bien d’autres contractants encore ont, c’est selon, tenté de se prévaloir de la force majeure ou, à l’inverse, de la repousser [1]. La crise perdure et, dans son sillon, va susciter une pluie de litiges qui contribuera peut-être à façonner la force majeure de demain [2]. Pour l’heure, l’on aimerait ici envisager l’important arrêt par lequel la Cour de cassation a jugé que le débiteur, placé dans l’impossibilité de recueillir le bénéfice de la prestation, ne pouvait se prévaloir de la force majeure pour obtenir l’anéantissement du contrat. C’est l’hypothèse de « la force majeure invoquée par le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit » [3], pour reprendre l’intitulé d’une chronique remarquée rédigée par le professeur Cyril Grimaldi. Voilà qui donne à réfléchir, tant sur la nature que sur la technique de la force majeure et, surtout, sur ses fonctions. L’arrêt mérite également d’être remarqué puisque, pour la première fois, la Cour de cassation s’est prononcée sur la force majeure telle qu’elle est envisagée par les textes issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et, partant, sur l’article 1218 du Code civil (N° Lexbase : L0930KZH).
L’exposé des faits débute par l’évocation de vacances brusquement interrompues par des problèmes de santé. Un couple avait ainsi conclu un contrat d’hébergement auprès de la Chaîne thermale du soleil pour un séjour de trois semaines, entre le 30 septembre 2017 et le 22 octobre 2017. L’intégralité du prix du séjour, fixé à 926,60 euros, avait été réglé le 30 septembre. Hélas, le 4 octobre 2017, l’un des vacanciers fut hospitalisé en urgence et dut cesser la cure thermale tandis que, le 8 octobre, son épouse quitta le lieu d’hébergement, son époux devant être transféré dans un hôpital éloigné du lieu du séjour. Les vacances prévues pour trois semaines furent finalement de courte durée. Souhaitant obtenir le remboursement d’une partie du prix versé, ils assignèrent en justice la société avec laquelle ils avaient contracté en invoquant l’existence d’un cas de force majeure justifiant, selon eux, la résolution du contrat ainsi qu’une indemnisation.
L’enjeu du litige étant modeste, un jugement trancha en premier et dernier ressort le litige au profit des époux, estimant que les raisons de santé ayant commandé l’arrêt du séjour étaient constitutives d’un cas de force majeure justifiant le prononcé de la résolution du contrat conclu peu important, au demeurant, qu’elle n’ait frappé que l’un des vacanciers. Ils purent ainsi récupérer la somme de 522,24 euros. Ce petit litige a cependant donné prise à un arrêt de principe.
La société forma alors un pourvoi en cassation soutenant, notamment, qu’un contractant ne peut solliciter la force majeure qu’à la condition qu’elle l’empêche d’exécuter l’obligation dont il est débiteur ce qui, au cas d’espèce, n’était pas du tout le cas. En somme, le créancier empêché de recevoir ce qui lui est dû peut-il se prévaloir de la force majeure ?
2.- La question, à laquelle certains avaient répondu positivement, a trouvé devant la Cour de cassation une réponse négative. Au visa du premier alinéa de l’article 1218 du Code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que « le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure » (n° 8). La force majeure libère le débiteur placé dans l’impossibilité d’exécuter ce qu’il doit, mais non pas le créancier dans l’impossibilité de recevoir ce qui lui est dû. Cette asymétrie est intrigante au plan de l’équité mais se comprend au regard de la technique de la force majeure. Il faut cependant se demander, au-delà de la force majeure, si d’autres fondements pourraient permettre au créancier d’obtenir le remboursement que la force majeure ne lui confère pas. L’impossibilité dans laquelle se trouve le créancier de recevoir le bénéfice de la prestation doit ainsi être envisagée au regard de la force majeure (I) et au-delà de la force majeure (II).
I. L’impossibilité pour le créancier de recevoir la prestation n’est pas constitutive d’un cas de force majeure
3.- La Cour de cassation refuse d’étendre la force majeure à l’impossibilité subie par le créancier d’exercer son droit, ce qui paraît justifié, tant au regard des conditions (A) que des fonctions de la force majeure (B).
A. La définition de la force majeure
4.- Au regard de la définition nouvelle de la force majeure, la solution prônée par la Cour de cassation paraît bienvenue. De manière remarquable, ce sont en effet les dispositions issues de la réforme du droit des contrats qui étaient ici applicables et, en particulier, l’article 1218 du Code civil dont la Cour de cassation livre donc à notre connaissance une première interprétation. Or, ce texte dispose désormais, depuis la réforme intervenue par l’effet de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». Si les commentateurs de cette disposition n’en font pas mention [4], il ressort néanmoins nettement qu’elle concerne exclusivement l’hypothèse dans laquelle le débiteur est empêché d’exécuter son obligation par un événement qui, précisément, échappe à son contrôle.
Au demeurant, la contemplation des textes antérieurs à la réforme n’aboutissait pas à une solution différente. Aussi, l’article 1147 du Code civil précisait que « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ». Il s’évince de ces dispositions que la force majeure intervient pour libérer le débiteur d’une obligation qu’il est dans l’impossibilité d’exécuter, et non pas lorsque, différemment, le créancier se plaint de ne pouvoir exercer son droit en raison d’un obstacle qui l’en empêche [5].
Ainsi présentée, la solution retenue par la Cour de cassation se déduit de la simple technique de la force majeure telle qu’elle est exprimée au sein du Code civil.
5.- Elle ne paraissait toutefois pas évidente au regard de la jurisprudence antérieure qui, dans certaines décisions, semblait avoir implicitement admis le jeu de la force majeure pareil cas [6].
En ce sens, il est vrai que la situation du créancier confronté à un événement rendant impossible l’exercice de son droit était souvent abordée sur le terrain de la force majeure, sans que soit évoquée la restriction aujourd’hui formulée par la Cour de cassation. Elle paraissait donc admise, au moins implicitement. À titre d’illustration, s’interrogeant sur la définition de l’impossibilité engendrée par l’événement constitutif de force majeure, l’on a fait valoir que « des locataires se sont prévalus de l’obligation où les avait mis la guerre de quitter la ville de leur résidence pour refuser de payer leur loyer. Ils n’ont été libérés qu’à la condition de justifier de la nécessité absolue de leur départ » [7]. Si l’accent est mis sur le caractère absolu de l’impossibilité, l’on aura remarqué qu’elle elle frappe pourtant, non pas le bailleur en tant qu’il est débiteur d’une obligation de mise à disposition de la chose louée, mais bien le locataire placé dans l’impossibilité d’exercer son droit en raison des dangers suscités par la guerre (bombardements, combats…). De même, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir retenu que la guerre du Golfe ne présentait pas les caractères de la force majeure pour la société Castorama qui avait eu recours à un prestataire afin d’organiser un voyage pour ses salariés au Maroc, ce pays n’étant pas un lieu « à haut risque d’attentats » [8]. La société Castorama a ainsi été condamnée à régler le prix des prestations convenues à la société organisatrice du voyage, les caractères de la force majeure n’étant pas réunis. Ici encore, le créancier de la prestation – la société Castorama – se prévalait donc de l’impossibilité de pouvoir exercer son droit. En répondant sur le terrain des caractères de la force majeure, la Cour de cassation semblait implicitement admettre qu’elle apparaissait comme un fondement pertinent pour le créancier empêché. Ces exemples pourraient être multipliés [9]. Surtout, la Cour de cassation a admis le jeu de la force majeure dans l’hypothèse où, après avoir souscrit un contrat de formation à temps plein aux fins de préparer un CAP de coiffure, l’étudiante avait été contrainte de mettre un terme à sa formation pour des raisons de santé et avait cessé le règlement des frais de scolarité. La Cour de cassation a alors estimé que « la cour d'appel a(vait) justement considéré que cette maladie, irrésistible, constituait un événement de force majeure, bien que n'étant pas extérieure à celle-ci » [10]. L’intérêt de la solution semblait davantage porter sur le point de savoir si la maladie pouvait être constitutive d’un cas de force majeure, ce qui a pu être débattu, mais la solution n’en demeurait pas moins intéressante pour la question qui nous occupe. Comme on l’a souligné, il s’agissait bien d’une hypothèse dans laquelle la force majeure était invoquée parce que le créancier de la prestation – l’élève en formation – n’était plus en capacité de bénéficier de la prestation stipulée à son profit [11]. Implicitement, là encore, le jeu de la force majeure semblait donc avoir été admis.
La solution ici commentée vient ainsi dissiper les incertitudes qui pouvaient surgir à la lecture des arrêts rendus par la Cour de cassation en la matière. Cette solution permet en outre de faire le point sur les fonctions de la force majeure.
B. La fonction de la force majeure
6.- La force majeure est, depuis longtemps, conçue comme un instrument au service du débiteur placé dans l’impossibilité d’exécuter sa prestation. La doctrine classique souligne ainsi qu’elle intervient lorsque le « débiteur ne peut exécuter son obligation en raison d’un cas fortuit », de sorte que « le problème de la force majeure est (…) de préciser dans quels cas l’acte dommageable du défendeur a été accompli en dehors de ce dernier, dans quel cas on peut dire que son propre fait lui est étranger, tenu qu’il a été d’agir comme il l’a fait par un événement dont personne ne peut répondre » [12]. La force majeure libère le débiteur de l’obligation inexécutée. Est-ce là sa fonction exclusive et, de manière symétrique, confère-t-elle aussi une excuse au créancier empêché de recueillir sa créance ? Telle était la discussion de philosophie contractuelle sous-jacente. À suivre le raisonnement déployé par la Cour de cassation, la réponse est nette : la force majeure est, de manière exclusive, un remède à l’inexécution fortuite de l’obligation. Comment expliquer qu’elle soit à ce point concentrée sur l’aptitude du débiteur à exécuter ce qu’il doit et si indifférente à la capacité du créancier à recueillir ce qui lui est dû ?
7.- Passons rapidement sur le fait que la question a été peu abordée par le passé et que c’est à la faveur d’une étude récente – déjà maintes fois citée – que la difficulté a été clairement exposée. Surtout, la réflexion sur la force majeure a été longtemps accaparée, outre l’identification de ses caractères, par les rapports qu’elle entretenait avec la faute contractuelle : la force majeure tient lieu d’excuse au débiteur qui, ce faisant, établit que l’inexécution du contrat n’est pas fautive. Cette circonstance explique l’incongruité d’évoquer la force majeure au profit du créancier empêché de profiter de sa prestation : le créancier n’est, par définition, pas « tenu » de réclamer l’exécution du contrat, il n’a pas l’obligation contractuelle de réclamer son dû et, tout au plus, peut-on déceler à sa charge une obligation de collaborer avec le débiteur afin de permettre à ce dernier de mener à bien sa mission. Le créancier dispose, comme tout titulaire d’un droit, de la faculté de l’exercer ou non. La force majeure ne lui est donc d’aucun secours.
La deuxième explication, qui relève plutôt du constat, consiste en ceci que la force majeure ne vise pas, au plan général, l’impossibilité d’exécuter le contrat mais, plus précisément, l’impossibilité d’exécuter une obligation. La force majeure est donc pensée, comme de nombreux autres mécanismes, à l’échelle de l’obligation et non du contrat [13]. Cette différence n’est pas sans conséquence. Aussi, dans l’hypothèse où un vacancier a loué pour un court séjour un appartement en bord de mer et ne peut se rendre sur place par l’effet d’un événement de force majeure, l’on pourrait sans doute avancer que l’exécution du contrat de location telle qu’elle était convenue est impossible – faute pour le créancier de pouvoir en recueillir le bénéfice –, mais il n’en demeure pas moins que l’exécution des obligations stipulées est, pour sa part, tout à fait possible : le prix du séjour peut être réglé – il s’agit, au demeurant, d’une obligation de somme d’argent –, de même que la mise à disposition par le bailleur du bien loué. L’opération convenue ne peut pas se réaliser par le fait – même non fautif – du créancier. La force majeure n’est pas conçue pour le créancier qui ne peut réclamer son dû, car elle concerne uniquement l’inexécution des obligations et non pas du contrat. Ce risque pèse sur le créancier.
La troisième explication conduit à rappeler que le jeu de la force majeure est écarté lorsque le contractant qui s’en prévaut est débiteur d’une obligation de somme d’argent, ce qui est bien le cas en l’espèce. La Cour de cassation a ainsi pu affirmer, en 2014, que le débiteur d’une obligation de somme d’argent ne pouvait se prévaloir de la force majeure [14], solution au demeurant qui paraît avoir été infléchie récemment. Or, telle est bien en définitive la situation qui nous occupe : le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit demande bien à être libéré de l’obligation qu’il a souscrite de régler le prix de la prestation. En l’espèce, les vacanciers se prévalaient ainsi de la maladie pour être déchargés de leur obligation de régler leur séjour. Par où l’on retrouve la situation du débiteur d’une obligation de somme d’argent qui demande à être libéré de son obligation et auquel on pourrait répondre, au fond, que le recours à la force majeure lui est interdit.
Enfin, la dernière explication repose sur la spécificité de l’impossibilité pour le créancier de « profiter de la prestation ». En vérité, cette impossibilité ne se présente pas de manière aussi abrupte que lorsqu’elle frappe l’inexécution, car il existe de multiples manières de jouir de sa créance. En quoi consiste d’ailleurs une telle impossibilité ? Elle est déjà exclue en présence d’une obligation de somme d’argent et ne se comprend qu’au sujet des obligations en nature. Au-delà du fait que le créancier peut décider d’y renoncer, il peut tout à fait céder sa créance ou en faire profiter un tiers, si du moins une telle prérogative ne lui est pas interdite. Cette piste peut d’ailleurs expliquer, ici, que l’impossibilité d’exercer sa créance ne se conçoit vraiment que lorsque le bénéfice qui est issu de la prestation est purement personnel et s’avère incessible. Il reste à constater que ce n’est pas sur ce terrain que se situe la Cour de cassation, qui paraît s’en tenir à l’application pure et simple de l’article 1218 du Code civil.
À bien y regarder, les raisons qui ont conduit la première chambre civile à écarter le jeu de la force majeure sont donc nombreuses. Une telle conception pourra sembler excessivement restrictive et, pour certains, injuste, au point de soutenir qu’elle blesse l’« équité ». Faut-il pour autant en faire le reproche à la Cour de cassation ?
8.- Il a été vigoureusement soutenu qu’il « paraît contraire à l’équité que le créancier ne pouvant exercer son droit (par l’effet d’un événement de force majeure) doive néanmoins, par principe, s'acquitter de son obligation » [15]. L’argument n’a cependant pas convaincu. S’il en va ainsi ce n’est pas tant parce que « l’équité n’est pas une source du droit » [16], mais surtout, en vérité, parce que si l’on comprend fort bien l’appel à l’équité pour corriger des textes vieillis et devenus inadaptés – ce qui était le cas du droit français des contrats antérieur à la réforme –, elle doit jouer un rôle réduit en présence de dispositions récentes dont la signification est claire. Tel semble bien être le cas de l’article 1218 du Code civil dans sa version issue de la réforme du droit des contrats, qui ne contient aucun élément en faveur d’une extension du jeu de la force majeure lorsque l’événement considéré rend impossible l’exercice, par le créancier, de son droit. Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’une interprétation étriquée ou restrictive du texte : le texte est, sur ce point, clair et n’appelle pas d’effort d’interprétation. Il suffisait ici de l’appliquer. Sans méconnaître la part considérable du juge dans l’élaboration du droit des contrats, la réécriture jurisprudentielle des textes issus de la réforme du droit des obligations, quatre ans après son entrée en vigueur, doit demeurer un procédé exceptionnel qui ne peut être justifié qu’en présence d’une impérieuse nécessité. Sous cet aspect, il n’est pas certain que les conséquences de la crise sanitaire militent davantage en faveur de cette extension de la force majeure, a fortiori parce que, comme on a pu le constater, de nombreuses règles spéciales (lois ou règlements) n’ont pas manqué d’être adoptées par l’État français pour remédier aux difficultés les plus criantes en la matière.
La solution retenue par la Cour de cassation apparaît ainsi prudente et mérite l’approbation : la force majeure est un instrument de libération du débiteur, non pas du créancier empêché. Cette étape étant franchie, il faut désormais envisager si la demande du créancier ne pourrait pas prospérer sur un autre fondement. Existe-t-il d’autres remèdes pour le créancier privé de sa prestation ?
II. L’impossibilité pour le créancier de recevoir la prestation peut-elle trouver un remède en dehors de la force majeure ?
9.- Quittant le terrain de la force majeure, il faut désormais porter ailleurs la réflexion : celui des remèdes légaux qui intéressent les sanctions du contrat (A) puis, plus brièvement, celui des clauses contractuelles (B).
A. Les remèdes légaux
10.- Envisageant les remèdes légaux, il faut rappeler une évidence : les sanctions de l’inexécution du contrat sont envisagées sous l’angle de l’inexécution de la dette, non de l’impossibilité qui pourrait frapper le créancier d’exiger sa créance. Il s’agit donc de déterminer ce que peut faire le créancier lorsque son débiteur ne s’exécute pas. C’est à cette situation concrète que les sanctions de l’inexécution du contrat ont vocation à fournir une réponse. La résolution, la responsabilité, l’exception d’inexécution, la réduction du prix, n’ont donc pas vocation à jouer au profit du créancier dans l’impossibilité de recevoir le bénéfice de sa prestation, pas davantage que la révision pour imprévision [17]. Trois techniques peuvent toutefois, ne serait-ce qu’à la marge, venir renforcer la situation du créancier considéré, dont certaines supposent néanmoins, il est vrai, un soupçon d’imagination.
11.- Pour débuter ce tour d’horizon, commençons par revenir à la force majeure. En effet, lorsque l’événement considéré interdit au créancier de pouvoir recueillir sa prestation mais interdit aussi, dans le même temps, au débiteur de s’exécuter, la force majeure pourra naturellement être invoquée par chacune des parties. Le créancier est donc autorisé à invoquer la force majeure, mais uniquement parce que l’impossibilité interdit également à son partenaire d’exécuter sa part du contrat [18].
La seconde technique est plus subtile, notamment parce qu’elle s’appuie sur un fondement dont on a souligné qu’il restait « à bâtir » [19] : la caducité du contrat. Le créancier empêché peut-il donc invoquer la caducité du contrat ? Avant la réforme, on se souvient que la Cour de cassation avait fait une application remarquée de la caducité, en dehors des ensembles contractuels, pour les contrats à exécution successive [20]. Aujourd’hui, il faut désormais solliciter l’article 1186 du Code civil (N° Lexbase : L0892KZ3) qui dispose qu’ « un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît ». Envisageant le contenu de ces « éléments essentiels », l’on a pu souligner qu’il semblerait logique, s’inspirant de la jurisprudence antérieure, de « réserver la caducité aux hypothèses de disparition d’un élément du contenu contractuel » [21]. Comment situer ici l’aptitude du créancier à percevoir sa prestation ? L’on pourrait certes souligner que, faute de pouvoir bénéficier de la prestation convenue, le contrat est privé d’intérêt pour le créancier. La notion d’intérêt est cependant fuyante. Plus précisément, il pourrait être avancé que l’événement qui interdit au créancier de profiter de la prestation conduit, ni plus ni moins, à faire disparaître toute contrepartie à son engagement. L’opération devient inutile et sans intérêt pour celui qui ne peut en profiter et doit néanmoins payer le coût d’une prestation qu’il ne peut recevoir. En effet, à suivre le raisonnement de la Cour de cassation, le créancier est tenu d’exécuter sa part du contrat tout en étant dans l’impossibilité d’en percevoir le bénéfice. La contrepartie convenue disparaît ou bien encore, pour emprunter le langage du Code civil, n’en devient-elle pas « illusoire » au sens de l’article 1169 du Code civil ? S’il devait en aller ainsi, la caducité pourrait fournir ici une porte de sortie au créancier frustré de n’avoir pu prétendre au bénéfice du contrat. Une dernière objection peut cependant encore venir à l’esprit : ce n’est pas parce que le créancier ne peut pas, concrètement, venir quérir sa prestation que cette prestation est illusoire. Encore une fois, le bien ou le service promis par le débiteur peut tout à fait être fourni et peut même avoir été fourni : celui qui a réservé une chambre d’hôtel ou louer une voiture s’est simplement vu conférer une exclusivité pour jouir de ce bien ou du service proposé, exclusivité qui peut être maintenue quelle que soit l’attitude du débiteur. L’impossibilité, pour le créancier, d’exercer concrètement son droit ne signifie donc pas qu’aucun avantage ne lui a été fourni, sauf à ce que le débiteur ait conféré à un autre la prestation convenue, en violation du contrat.
12.- D’autres voies pourraient encore être explorées, qui présentent une issue également incertaine. Comment ne pas penser au devoir de renégocier le contrat, naguère invoqué pour pallier l’absence de révision pour imprévision en droit français et dont on peut sans difficulté admettre, au vu de sa malléabilité, qu’il pourrait désormais venir au service du créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit. Il s’agirait donc ici de retenir que, lorsqu’un événement de force majeure empêche le créancier de recevoir sa prestation, la bonne foi imposerait au débiteur de renégocier le contrat pour permettre au créancier d’en bénéficier [22]. Cette hypothèse est concevable, sauf à préciser que ce devoir de renégocier ne permettrait pas au juge de réviser le contrat et, au surplus, que c’est uniquement en cas de manquement à ce devoir de renégocier qu’une sanction pourrait être envisagée (résolution, responsabilité contractuelle…). La faute consisterait donc dans le refus de renégocier le contrat. Il n’y a pas grand-chose à attendre du devoir de renégocier.
13.- À sonder ainsi les possibilités offertes par le droit des contrats, quittant la bonne foi pour l’équité, il faut encore évoquer l’article 1194 du Code civil (N° Lexbase : L0910KZQ) qui, reprenant l’ancien article 1135 du Code civil, dispose encore que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ». Fondement de ce que certains désignent comme étant des obligations « complétives » [23] (sécurité, information…), il faudrait alors admettre que l’équité justifie d’introduire, dans tout contrat, non pas une obligation nouvelle mais une cause d’extinction supplémentaire : l’impossibilité pour le créancier d’exercer son droit, assimilé à un terme extinctif « complétif ». Cette caducité qui ne dit pas son nom supposerait toutefois, à nouveau, que soit établie la nécessité de fournir au créancier un tel avantage, ce qui est toujours affaire de politique.
En définitive, le contrat demeure encore le meilleur espace pour assurer la prise en charge de la force majeure subie par le créancier.
B. Les remèdes contractuels
14.- Au-delà, il faut alors s’en remettre à la vigilance des parties pour organiser une parade à la solution jurisprudentielle, qui est assurément supplétive de volonté, tout comme le sont d’ailleurs en général les règles relatives à la force majeure [24]. Cela suppose, évidemment, d’une part, que la difficulté ait été identifiée et, d’autre part, que les parties aient souhaité corriger la solution.
Lorsqu’il en ira ainsi, il suffira alors aux parties d’organiser conventionnellement l’influence de l’événement considéré. Dans cette perspective, deux éléments appellent l’attention des rédacteurs d’acte. D’une part, les parties peuvent avoir intérêt à préciser l’événement qui justifiera le déclenchement du remède offert au créancier, soit en reprenant une définition générale inspirée de la force majeure, soit en l’associant ou en lui substituant une liste d’événements concrets justifiant le déclenchement du remède considéré. Cet événement pourrait, au demeurant, être défini de manière plus restrictive lorsqu’il est envisagé pour le créancier que lorsqu’il est envisagé pour le débiteur. D’autre part, il faudra encore préciser les conséquences de la survenance de l’événement envisagé sur le contrat. L’événement de force majeure qui placerait le créancier dans l’impossibilité de recevoir sa prestation pourra ainsi, selon la formule choisie par les parties, provoquer la caducité du contrat ou, à tout le moins, permettre une diminution du prix de la prestation ou bien encore de reporter dans le temps l’exécution du contrat. Une autre combinaison est, au demeurant, encore possible : l’événement considéré déclenchera un devoir de renégocier et, en cas d’échec, pourra donner prise à la caducité du contrat.
Par où l’on retrouve les discussions qui entourent encore aujourd’hui l’organisation conventionnelle de l’imprévision en matière contractuelle, et qui trouvent ici un écho naturel. Il s’agit, là encore, de gérer un risque contractuel dont la particularité est cependant manifeste : il tient au fait qu’il concerne avant tout le créancier.
[1] V. notamment : J. Heinich, L'incidence de l'épidémie de coronavirus sur les contrats d'affaires : de la force majeure à l'imprévision, D. 2020, p. 611.
[2] V. notamment : C. Grimaldi, Quelle jurisprudence demain pour l’épidémie de Covid-19 en droit des contrats ?, D. 2020, p. 827.
[3] C. Grimaldi, La force majeure invoquée par le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit, D. 2009, p. 1298.
[4] La question ne semble pas explicitement envisagée chez : O. Deshayes, T. Génicon, Y.-M. Laithier, sous. C. civ., art. 1218, p. 537-540 ; G. Chantepie, M. Latina, Le nouveau droit des obligations, Dalloz, 2ème éd., 2018, n° 617 s.
[5] O. Deshayes, v° Théorie des risques, Rép. civ., Dalloz, 2017, n° 33 : « Logiquement, la théorie des risques devrait également être sans application lorsque l'événement de force majeure, sans rendre impossible l'exécution de la convention par le débiteur, prive le créancier de la possibilité d'en tirer profit ».
[6] F. Gréau, v° Force majeure, Les effets de la force majeure, Rép. civ., Dalloz, 2017, n° 96 (l’auteur exprimait, en outre, une opinion favorable à sa consécration explicite).
[7] H., L., J, Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, t. 2, 6ème éd. refondue, 1970, n° 1578.
[8] Cass. civ. 1, 8 décembre 1998, n° 96-17.811, publié (N° Lexbase : A7005CGK).
[9] V. encore Cass. civ. 1, 2 octobre 2001, no 99-19.816 (N° Lexbase : A1563AWS), CCC 2002, no 24, note L. Leveneur.
[10] Cass. civ. 1, 10 février 1998, n° 96-13-316 (N° Lexbase : A2237ACT).
[11] Cass. civ. 1, 10 février 1998, n° 96-13-316, préc..
[12] H., L., J, Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, t. 2, 6ème éd. refondue, 1970, n° 1541.
[13] Sur cette démonstration, présentée comme une lacune, cf. : P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 771 s..
[14] Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306, F-P+B (N° Lexbase : A8468MWK), JCP éd. G. 2014, 1117, note V. Mazeaud ; D. 2014, p. 1217, note J. François ; RDC 2015, p. 21, obs. Y.-M. Laithier.
[15] C. Grimadi, art. préc., n° 7.
[16] N. Molfessis, L’équité n’est pas une source du droit, RTD civ. 1998, p. 221 : « en rappelant que l'équité n'est pas une source du droit, on croirait alors volontiers que la Cour de cassation entende se disculper d'en avoir fait un de ses plus beaux instruments, pour rappeler à l'ordre ceux qui en abuseraient sans son accord. On verrait aussi, dissimulée derrière une formule qui fait consensus, cette autre vérité : c'est pour mieux transformer l'équité en règle de droit que la jurisprudence se doit, dans un système légaliste, de lui dénier le statut de source ».
[17] S’agissant de la révision pour imprévision, il en va ainsi parce que l’impossibilité de pouvoir « profiter » de la prestation ne rend pas « l’exécution du contrat excessivement onéreuse » puisque, envisagée pour le créancier, le prix ne varie pas, pas davantage que pour le débiteur.
[18] V. notamment : M. Mekki, note préc.
[19] O. Deshayes, T. Génicon, Y.-M. Laithier, op. cit., p. 394 (ss. Art. 1186 CC).
[20] Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.646 (N° Lexbase : A0620EBL), RDC 2009, p. 50, obs. D. Mazeaud.
[21] G. Chantepie, M. Latina, op. cit., n° 493.
[22] Rappr. M. Mekki, obs. préc..
[23] Ph. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, préf. F. Chabas, Dalloz, 2005.
[24] Par ex., au sujet de l’article 1218 du Code du civil : A.-S. Choné-Grimaldi, comm. ss. C. civ., art. 1218, in T. Douville (dir.), La réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, Gualino, 2ème éd., 2018, p. 218-219 ; C. Grimaldi, Leçons pratiques de droit des contrats, LGDJ, Lextenso, 2019, n° 442, p. 316-317.
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Réf. : Décret n° 2020-1770 du 30 décembre 2020, relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (N° Lexbase : L6156LZZ)
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N5871BY4
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par Vincent Téchené
Le 06 Janvier 2021
► Un décret, publié au Journal officiel du 31 décembre 2020, modifie une nouvelle fois le fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l'épidémie de covid-19 en vue, d’une part, d’assurer une meilleure couverture des commerces de stations de montagne et de leurs environs et, d’autre part, de procéder à de nouveaux ajustements techniques.
Commerces de station de skis et de leurs environs. Le décret fait donc évoluer le fonds de solidarité pour mieux couvrir les commerces de stations de montagne et leurs environs, du fait du maintien de la fermeture des remontées mécaniques en décembre, comme suit.
Ajustements techniques. Le décret procède ensuite à des ajustements techniques.
Il introduit une dérogation à l'article 1er du décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 (N° Lexbase : L1102HIN) pris pour l'application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques (N° Lexbase : L0420AIE). Dans le cadre du fonds de solidarité, l'obligation de conclure une convention ne s'applique qu'aux subventions ayant un montant supérieur à 200 000 euros par versement. L'objectif est, ici, d'éviter que tout versement au titre du fonds dépassant 23 000 euros ne doive s'accompagner d'une convention entre l'État et le bénéficiaire, ce qui pourrait être source de complexité dans un contexte de crise nécessitant des versements rapides.
Le décret publie également la liste complète des annexes 1 et 2 notamment pour en faciliter la lecture et procède à l'ajout de quelques nouvelles catégories. Le décret procède par ailleurs à des modifications techniques aux articles 3-10, 3-11, 3-12, 3-14 et 3-15 s'agissant des entreprises dont l'activité principale en termes de chiffre d'affaires doit être attestée par un expert-comptable, tiers de confiance.
Il reporte enfin au 28 février 2021, s'agissant des artistes auteurs et des associés de groupements agricoles d'exploitation en commun, la date limite de dépôt d'une demande d'aide pour septembre, octobre et novembre 2020. En effet, à cause d'un problème informatique, les formulaires de dépôt de demandes pour ces deux catégories n'ont pu être mis en ligne dans les délais initialement prévus.
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newsid:475871
Réf. : Décret n° 2020-1653 du 23 décembre 2020, modifiant le dispositif d'aides ad hoc au soutien de la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise de la covid-19 (N° Lexbase : L2361LZH)
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N5901BY9
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par Vincent Téchené
Le 07 Janvier 2021
► Un décret, publié au Journal officiel du 24 décembre 2020, modifie le champ d’application du dispositif d'aides ad hoc à la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise sanitaire de la covid-19.
Le décret n° 2020-712 du 12 juin 2020, relatif à la création d'un dispositif d'aides ad hoc au soutien de la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise de covid-19 (N° Lexbase : L3790LXN), a mis en place un dispositif d'avances remboursables et de prêts à taux bonifiés mis en place au bénéfice des petites et moyennes entreprises ainsi que des entreprises de taille intermédiaire fragilisées par la crise, et n'ayant pas trouvé de solutions de financement suffisantes auprès de leur partenaire bancaire ou de financeurs privés. La société anonyme Bpifrance Financement SA est chargée de la gestion opérationnelle de ces aides (v. V. Téchené, Création d'un dispositif de soutien à la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise sanitaire de covid-19, Lexbase Affaires, juin 2020, n° 639 N° Lexbase : N3712BY7).
Le décret du 23 décembre 2020 en modifie les conditions d’applications.
En premier lieu ce dispositif d’aides qui devait prendre fin le 31 décembre 2020 est prolongé jusqu’au 30 juin 2021.
En deuxième lieu, alors que l’aide inférieure ou égale à 800 000 euros ne pouvait prendre la forme que d'une avance remboursable, elle peut désormais également prendre la forme d'un prêt à taux bonifié. Comme auparavant, l'aide dont le montant est supérieur à 800 000 euros prend obligatoirement la forme d'un prêt à taux bonifié. Également, lorsque l’aide inférieure à 800 000 euros est une avance remboursable, la limite de la durée d'amortissement de dix ans et celle du différé d'amortissement en capital de trois ans ne sont pas modifiées. S’agissant du prêt bonifié, qu’il soit d’un montant inférieur ou supérieur à 800 000 euros, le texte reprend les limites précédemment prévues pour les seuls prêts supérieurs à 800 000 euros : la durée d'amortissement est limitée à six ans, comprenant un différé d'amortissement en capital d’un an.
Enfin, en troisième lieu, le décret instaure une exception au calcul du plafond de l’aide (masse salariale estimée sur les deux premières années d'activité ou 25 % du CAHT 2019 constaté ou, le cas échéant, du dernier exercice clos disponible). Ainsi, il est prévu que pour les entreprises qui exercent leur activité principale dans un secteur mentionné à l'annexe 1 et à l'annexe 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité (N° Lexbase : L6019LWT), et qui ont subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % sur l'année 2020, il peut être dérogé de façon exceptionnelle au calcul du plafond, dans la limite de 800 000 euros. Le service instructeur prend en compte la prévision de trésorerie pour accorder cette dérogation.
La perte de chiffre d'affaires est alors définie comme la différence entre, d'une part, le chiffre d'affaires moyen au cours de l'année 2020 et, d'autre part :
- le chiffre d'affaires moyen de l'année précédente ; ou
- si ce critère est plus favorable à l'entreprise, le chiffre d'affaires annuel moyen des années 2019, 2018 et 2017.
L'entreprise doit présenter un document établi par un expert-comptable, tiers de confiance, attestant que l'entreprise remplit ce critère.
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Réf. : TJ Paris, Pôle social, 15 décembre 2020, n° 18/04058 (N° Lexbase : A69574AW).
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N5962BYH
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par Asima Khan
Le 06 Janvier 2021
► Faute d’applicabilité de la loi sur l’action de groupe, le syndicat CGT est débouté de l’ensemble de ses demandes en injonctions sous astreintes de cessations de manquements, en réparation des préjudices allégués de discriminations et en exécution de mesures de publicité à l’encontre de la société SAFRAN ; en vertu du principe fondamental de non-rétroactivité de la loi, ne peuvent être invoqués que les faits ou manquements générateurs survenus postérieurement à la date du 20 novembre 2016.
Faits. A la suite de plusieurs procédures individuelles prud’homales engagées par les salariés de la société SAFRAN, victimes de discrimination syndicale, le syndicat CGT a assigné la société dans le but, d’une part, d’obliger la direction de SAFRAN à mettre en place des mesures permettant de mettre définitivement fin à cette situation de discrimination syndicale alléguée vis-à-vis des élus et mandatés CGT, et, d’autre part, d’obtenir des réparations pour tous les salariés titulaires d’un mandat CGT et qui auraient fait à ce titre l’objet de discriminations.
La solution. Le tribunal judiciaire a débouté le syndicat de ses demandes au motif que, d’une part, les faits et manquements invoqués par ce dernier étaient postérieurs à la date du 20 novembre 2016 d’application de la loi du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle (N° Lexbase : L1605LB3) et que, d’autre part, la seule période de 16 mois pouvant être examinée était trop brève sur le plan méthodologique et probatoire pour permettre l’objectivation d’une tendance révélatrice de discrimination collective.
La CGT a décidé de faire appel de cette décision.
Pour en savoir plus. Ecouter Interview : Alexis Bugada, Professeur de droit privé et Clara Gandin, avocate, à propos de l'action de groupe en matière de discrimination, Lexradio, 5 janvier 2020. V. également v. ETUDE : L'action de groupe en matière de discrimination, Le principe de non-discrimination, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E9650E9B). |
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newsid:475962
Réf. : Décret n° 2020-1641, du 22 décembre 2020, reportant la date d'entrée en vigueur de l'assignation à date dans les procédures autres que celles de divorce et de séparation de corps judiciaires (N° Lexbase : L2175LZL) ; arrêté du 22 décembre 2020, modifiant l'arrêté du 9 mars 2020 relatif aux modalités de communication de la date de première audience devant le tribunal judiciaire (N° Lexbase : L2251LZE)
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N5846BY8
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 06 Janvier 2021
► Le décret n° 2020-1641 du 22 décembre 2020, publié au Journal officiel du 23 décembre 2020, reporte la date d’entrée en vigueur de l’assignation à date au 1er juillet 2021, dans les procédures autres que celles de divorce et de séparation de corps judiciaires ; sa publication est concomitante à celle d’un arrêté du 22 décembre 2020, venant modifier l’arrêté du 9 mars 2020 relatif aux modalités de communication de la date de première audience devant le tribunal judiciaire (
Ces publications étaient attendues par les praticiens depuis la communication par la Chancellerie du report de l’assignation à date.
Le décret reporte au 1er juillet 2021 l'entrée en vigueur de l'extension de l'assignation à date prévue par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile (N° Lexbase : L8421LT3).
Cette dernière avait été déjà reportée du 1er septembre 2019 au 1er janvier 2021 par le décret n° 2020-950 du 30 juillet 2020 relatif aux conditions de l'élection des bâtonniers du conseil de l'ordre des avocats et au report de la réforme de la saisie conservatoire des comptes bancaires, de l'extension de l'assignation à date et de la réforme de la procédure applicable aux divorces contentieux (N° Lexbase : L8133LXI).
L’extension concerne l’assignation à date d’une part devant le tribunal judiciaire dans les procédures qui étaient soumises à la procédure écrite ordinaire au 31 décembre 2019, celles prévues aux articles R. 202-1 (N° Lexbase : L4358LTL) et suivants du Livre des procédures fiscales et par le Livre VI du Code de commerce, et d'autre part celle devant le tribunal paritaire des baux ruraux.
Il convient toutefois de noter que le décret exclut du champ d’application du report les procédures de divorce contentieux et de séparation de corps, pour qui l’assignation à date reste maintenue au 1er janvier 2021.
Enfin, l’indication selon laquelle la date de l’audience sera communiquée par tout moyen dans les procédures de divorce judiciaire est supprimée.
L’entrée en vigueur de ce décret est fixée au 24 décembre 2020.
En parallèle a été publié l’arrêté du 22 décembre 2020, modifiant l'arrêté du 9 mars 2020 relatif aux modalités de communication de la date de première audience devant le tribunal judiciaire (N° Lexbase : L2251LZE). Le formulaire qui doit être utilisé pour toute demande de date de première audience relative à la procédure de divorce et séparation de corps, lorsque la transmission de cette date n’aura pas été possible par l’envoi de messages transmis au moyen du système de communication électronique se trouve en annexe de l’arrêté.
Pour aller plus loin : Lexbase organise le 14 janvier 2021 de 18h00 à 20h00, un webinaire portant sur la réforme de la procédure civile en première instance, avec les regards croisés de Frédéric Kieffer et Charles Simon, avocats et Sylvian Dorol, huissier de justice, qui permettront de restituer la chaîne de la procédure, de l’assignation à l’exécution. Pensez à vous inscrire [en ligne]. |
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newsid:475846
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N5945BYT
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par Samya Felhine, Avocat - Directeur, Vaughan Avocats
Le 06 Janvier 2021
Depuis le 1er Janvier 2021, la période transitoire prévoyant le maintien des règles applicables au sein de l’Union européenne dans les relations entre un Etat membre et le Royaume-Uni cessent de s’appliquer.
Aussi, le Royaume-Uni est-il devenu définitivement un pays tiers à l’Union européenne (UE) depuis cette date, après plus de 47 ans de vie commune.
Il n’en demeure pas moins que le Royaume-Uni et l’UE ont d’abord souhaité garantir des droits acquis aux salariés, pour les périodes antérieures au 1er janvier 2021 (accord de retrait du 24 janvier 2020) puis se sont finalement, à la veille de Noël, le 24 décembre dernier, accordé sur un nouvel accord de commerce et de coopération, prévoyant, notamment, certaines règles empruntées à la règlementation européenne en matière de Sécurité sociale.
La sortie de l’UE du Royaume-Uni impacte principalement la protection sociale des salariés ainsi que les règles d’immigration (visa, autorisation de travail). La sortie de l’UE du Royaume-Uni nécessite également quelques adaptations des clauses contractuelles dans le contrat de travail. Enfin, la fiscalité personnelle des salariés est faiblement impactée.
1 - Quel impact sur la couverture sociale des salariés mobiles ?
A titre liminaire, rappelons que le principe, en matière de Sécurité sociale, est qu’un salarié cotise dans le pays où il exerce physiquement son activité (principe de territorialité). Les règlements européens [1] prévoient des règles permettant de déroger à ce principe dans certaines situations de mobilité transfrontalière, simplifiant ainsi les démarches pour l’employeur ainsi que la couverture du salarié.
La règlementation au sein de l’Union européenne prévoit notamment les règles suivantes :
La sortie de l’UE signifie que le Royaume-Uni ne se voit plus appliquer les règles de Sécurité sociale applicables entre les Etats membres de l’Union européenne, régies par les règlements européens.
Aussi, pour toute nouvelle mobilité à compter du 1er janvier 2021, ces règles ne sont plus applicables.
Cependant, en application de l’accord de commerce et de coopération du 24 décembre 2020, signé entre l’UE et le Royaume-Uni et qui est d’application provisoire, certaines règles « d’inspiration européenne » s’appliquent depuis le 1er janvier 2021.
Il convient ainsi de distinguer les mobilités de salariés déjà en cours au 31 décembre 2020 et les mobilités nouvelles à compter du 1er janvier 2021.
a - Mobilités transnationales déjà en cours au 31 décembre 2020
L’accord de retrait du 24 janvier 2020, signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, apporte des garanties pour toute mobilité démarrée avant le 31 décembre 2020 et en cours à cette date :
L’article 30 de l’accord de retrait prévoit que les citoyens de l’UE ou du Royaume-Uni qui travaillent au Royaume-Uni ou dans un Etat membre au 31 décembre 2020 et qui sont soumis à la législation d’un seul Etat membre sont couverts par les règles de coordination européenne de Sécurité sociale « aussi longtemps qu’elles continuent à se trouver sans interruption dans l’une des situations [prévues par l’accord] et qui concerne à la fois un Etat membre et le Royaume-Uni ».
Sont ainsi visés les salariés « détachés » au sens de la Sécurité sociale, les salariés « expatriés » ou « localisés » ainsi que les salariés transfrontaliers.
Cotisations sociales
Les certificats A1 délivrés par les CPAM (ou le Cleiss) en cas de détachement ou de pluriactivité, qui avaient été obtenus avant le 31 décembre 2020, demeurent valables après le 31 décembre 2020, pour toute situation inchangée. Ceux-ci permettent, pour rappel, de n’être soumis qu’à la législation d’un seul Etat en cas de mobilité transfrontalière.
Exemple 1 : salarié français au Royaume-Uni
Exemple 2 : salarié britannique en France
Prestations sociales
Si la situation du salarié est inchangée par rapport à 2020, alors les règles de coordination de Sécurité sociale prévues par les Règlements (CE) n° 883/2004 et n° 987/2009 continuent de s’appliquer dans les mêmes conditions qu’avant le 31 décembre 2020, tant que la situation reste inchangée par rapport à la situation avant le 31 décembre.
Si la situation du salarié change par rapport à 2020, alors il n’y a plus de coordination des prestations. Cela signifie que le salarié acquerra des droits uniquement dans le pays où il cotise.
b - Mobilités transnationales à compter du 1er janvier 2021
A l’approche de la fin d’année, nous avions présumé, en l’absence de visibilité de tout accord, qu’en cas de nouvelle mobilité intervenant à compter du 1er janvier 2021, le principe de territorialité (imposant qu’un salarié est soumis à la législation de l’Etat où il exerce son activité) s’appliquerait, ce qui signifie que les travailleurs ont l’obligation de cotiser dans le pays de mission, sans possible exception.
Le Royaume-Uni et l’UE ont, cependant, signé, le 24 décembre 2020, un accord in extremis, de commerce et de coopération [2]. Ce texte n’a pas encore été ratifié par le Parlement européen mais, devant l’urgence et le chaos occasionné par la sortie de la période de transition au 1er janvier 2021, l’UE et le Royaume-Uni se sont accordés pour permettre une application provisoire du texte (dès le 1er janvier 2021) dans l’attente de la ratification par les 27.
La ratification devrait intervenir au plus tard le 28 février 2021 mais ce délai pourrait être prolongé.
En matière de Sécurité sociale, l'accord vise à garantir un certain nombre de droits aux citoyens de l'Union et aux ressortissants britanniques. Cela concerne les citoyens de l'Union qui travailleront, voyageront ou s'installeront au Royaume-Uni et les ressortissants britanniques qui travailleront, voyageront ou s'installeront dans l'Union après le 1er janvier 2021.
L’accord, qui reprend le principe de territorialité, prévoit également qu’un salarié pourra être détaché pour une durée de 24 mois (donc exonéré de cotisations dans le pays où il exerce son activité).
L’accord reprend ainsi, le principe d’unicité de législation applicable qui prévaut au sein de l’UE.
L’accord reprend prévoit également la coordination des principales prestations de Sécurité sociale (sauf des allocations familiales et soins programmés de longue durée).
Il conviendra d’être attentif à la ratification des Etats européens afin de confirmer que ces règles resteront applicables après le 28 février 2021.
Si la France ne ratifie pas cet accord (ce qui est très peu probable), toute nouvelle mobilité à compter du 1er janvier 2021 serait soumise au principe de territorialité, c’est-à-dire de cotiser dans chaque pays où le salarié travaille.
2 - Quel impact sur les contrats de travail des salariés en mobilité ?
Tout d’abord, il faut rappeler que l’employeur est tenu à un devoir d’information vis-à-vis de ses salariés. Or, ce devoir d’information inclue la protection sociale applicable au dit salarié.
Aussi, s’agissant des nouveaux contrats de travail conclus à partir du 1er janvier 2021, il est important de réfléchir en amont à la clause de protection sociale. Les références contractuelles à « l’Union européenne » ou « l’Europe » doivent être adaptées. Il convient de sécuriser les contrats en faisant désormais référence au « Royaume-Unis » et non plus à un Etat membre de l’Union européenne ou de l’Europe.
Cela vaut également pour les clauses relatives au lieu d’exécution du contrat, aux clauses de non-concurrence, etc.
3 - Quel impact sur les règles d’immigration ?
Quel impact pour les salariés britanniques en France ?
S’agissant des salariés britanniques présents en France avant le 31 décembre 2020, tous les ressortissants britanniques devront détenir un titre de séjour au 1er octobre 2021.
De la même façon, les salariés britanniques seront autorisés à travailler en France du 1er janvier au 1er octobre 2021.
Dès le 1er octobre 2021, ils devront obtenir un titre de séjour « accord de retrait », valide 5 ans selon les cas.
D’un point de vue employeur, celui-ci devra vérifier que les salariés soient munis d’un titre de séjour les autorisant à travailler en France.
S’agissant des salariés britanniques arrivant en France après le 1er janvier 2021, ils devront obtenir une autorisation de travail comme tout ressortissant d’un Etat tiers à l’Union européenne. Ils devront éventuellement obtenir un titre de séjour selon leur statut.
Quel impact pour les salariés français au Royaume-Uni ?
S’agissant des salariés français présents au Royaume-Uni avant le 31 décembre 2020, le droit au séjour et le droit au travail restent acquis.
Cependant, de façon pratique, il convient de demander, avant le 30 juin 2020 :
S’agissant des salariés français arrivant au Royaume-Uni après le 1er janvier 2021, ils devront obtenir une autorisation de travail (« Skilled workers route »).
4 - Quel impact sur la fiscalité des salariés ?
Les règles fiscales demeurent inchangées. En effet, le lieu d’imposition ou les règles relatives à la résidence fiscale demeurent inchangées dans la mesure où le traité fiscal bilatéral conclu entre la France et le Royaume-Uni reste en vigueur.
En revanche, il faut relever une incidence du Brexit sur la détermination des salaires imposables puisque les cotisations sociales britanniques ne seront pas déductibles du salaire imposable en France tant qu’aucun accord ne sera signé entre la France et le Royaume-Uni en matière de Sécurité sociale.
Le Brexit a également quelques incidences sur certains dispositifs fiscaux.
L’article 81 A du CGI (N° Lexbase : L2447HNX) qui permet d’exonérer, sous certaines conditions, les primes d’expatriation liées notamment à la prospection commerciale et aux chantiers de construction, ne sera plus applicable aux salariés d’employeurs britanniques.
S’agissant de la fiscalité patrimoniale, des changements plus lourds sont à prévoir, notamment en matière de PEA, de prélèvements sociaux sur les revenus fonciers et sur les plus-values immobilières françaises (taux de 17,2 % au lieu de 7,5 %), de dons réalisés au profit d’organismes britanniques, de souscription au capital de PME britanniques (qui n’ouvrent plus droit à réduction d’impôt).
[1] Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 (N° Lexbase : L4570DLT) ; Règlements (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 (N° Lexbase : L7666HT4) et n° 987/2009 du 16 septembre 2009 (N° Lexbase : L8946IE3).
[2] Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande-bretagne et d’Irlande du nord, d’autre part, 24 décembre 2020 [en ligne].
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newsid:475945
Réf. : Cass. civ. 3, 26 novembre 2020, n° 19-17.824, FS-P+B+I (N° Lexbase : A654537K)
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N5947BYW
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par Rodolphe Bigot, Maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles Le Mans Université - UFR Droit et Amandine Cayol, Maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles, Université de Caen - UFR Droit, Codirectrice du Master Assurances et personnes
Le 06 Janvier 2021
Mots-clés : garantie décennale • fusion-acquisition • transmission universelle du patrimoine • dette de responsabilité • assurance de responsabilité • contrat d'assurance • stipulation contraire
En premier lieu, le volume d’air à chauffer étant trop important par rapport à la capacité de la pompe à chaleur et le système de chauffage installé étant incompatible avec les radiateurs équipant l’immeuble, les désordres atteignant la pompe à chaleur rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination au sens de l’article 1792 du Code civil et relèvent de la garantie décennale.
En second lieu, selon l’article L. 236-3 du Code de commerce, en cas de fusion entre deux sociétés par absorption de l’une par l’autre, la dette de responsabilité de la société absorbée est transmise de plein droit à la société absorbante. Toutefois, l’assurance de responsabilité de la société absorbante, souscrite avant la fusion, n’a pas vocation à garantir le paiement d’une telle dette, dès lors que le contrat d’assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l’exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l’assurée.
Le procédé du démarchage est fréquent dans le domaine des installations d’énergie dite verte, sur lesquelles de nombreuses sociétés « surfent » au gré des vagues de subventions environnementales, ce qui est parfois source de dérives pour les consommateurs [1]. En l’espèce, un couple, propriétaire d’une maison d’habitation sur l’île de Beauté, a fait l’objet d’un démarchage commercial donnant lieu à la conclusion d’un contrat hors établissement [2] – à distinguer du contrat conclu à distance [3] – relatif à la fourniture et à l’installation d’une pompe à chaleur et d’un ballon thermodynamique par une société (la société absorbée ci-après). Cette entreprise locale a, par la suite, été absorbée par une société d’envergure nationale (la société absorbante ci-après). Ces techniques de démarchage étant assises sur la rapidité de la négociation – propre à éviter toute réflexion – pour parvenir au consentement, elles sont généralement accompagnées de la délégation d’une société de financement afin de pouvoir proposer des crédits affectés à l’opération. Les époux ont ainsi également souscrit en l’espèce un emprunt affecté auprès d’une société de crédit, pour financer l’installation des équipements de chauffage.
Différentes pannes sont survenues après la réception des travaux. L’installation s’est en outre avérée insuffisante pour chauffer leur habitation, contrairement à ce que leur avait promis la société absorbée. Leurs réclamations demeurant infructueuses, les propriétaires ont dès lors assigné cette dernière, le liquidateur de la société absorbante, son assureur et la société de financement en indemnisation de leurs préjudices ou en remboursement du prix payé et du coût du financement.
La cour d’appel ayant fait droit à leurs demandes et condamné l’assureur de la société absorbante à les indemniser, ledit assureur a formé un pourvoi en cassation, en soulevant deux questions de droit. La première consistait à savoir si le désordre affectant la pompe à chaleur relevait de la garantie décennale de l’installateur. La seconde était de déterminer les limites de la garantie souscrite par la société absorbante.
Par un arrêt en date du 26 novembre 2020, la troisième chambre civile a considéré que les désordres litigieux relevaient bien de la garantie décennale (I), mais a précisé que la dette de responsabilité de la société absorbée n’était pas couverte par l’assurance de responsabilité de la société absorbante souscrite avant la fusion (II).
I. Des désordres relevant de la garantie décennale
En appliquant la garantie décennale à une pompe à chaleur, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence étendant cette garantie aux quasi-ouvrages (A) dès lors que l’élément d’équipement défectueux est de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble (B).
A. L’application de la garantie décennale à une pompe à chaleur
Plusieurs conditions sont requises pour la mise en œuvre de la responsabilité décennale [4] : la réception de travaux constitutifs d’un ouvrage, l’apparition d’un désordre matériel affectant l’ouvrage après réception, la caractérisation d’un désordre de gravité décennale, le fait que celui-ci se rattache à l’ouvrage édifié, et l’imputabilité de ce désordre à un constructeur [5].
En l’absence de définition légale, la notion d’ouvrage immobilier a dû être précisée par la jurisprudence, laquelle « en a retenu une conception très extensive, conduisant à admettre que pouvaient constituer des ouvrages immobiliers : non seulement des bâtiments à l’intérieur desquels un individu peut développer une activité, mais encore toutes sortes de constructions immobilières ; non seulement des travaux conduisant à la construction d’un bâtiment neuf, mais encore des travaux réalisés sur des immeubles existants » [6]. Bien qu’elle soit particulièrement large, une telle définition de l’ouvrage immobilier ne peut pas correspondre à l’installation d’un simple élément d’équipement, tel une pompe à chaleur dans l’arrêt commenté.
Bien que l’article 1792-2 du Code civil (N° Lexbase : L6349G9Z) étende le champ d’application de la garantie décennale à des dommages affectant des éléments d’équipement, encore faut-il, d’une part, que ces derniers fassent « indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert » et, d’autre part, que leur solidité soit atteinte. Une définition légale du critère dit d’indissociabilité est donnée par l’alinéa 2 de l’article 1792-2, à savoir qu’« un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages mentionnés à l’alinéa précédent lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage » [7]. Répond par exemple à cette qualification le carrelage dont la fissuration est, aux dires de l’expert, évolutive au point de présenter des risques de ruptures à terme [8]. « Nul besoin alors de démontrer que la défaillance de l’élément d’équipement est de nature à entraîner une impropriété à la destination de l’ouvrage. Ce serait mélanger les conditions de l’article 1792 avec celles de l’article 1792-2 » [9]. Ce dernier ne peut, cependant, servir de fondement à une action en garantie décennale concernant une pompe à chaleur, s’agissant sans conteste d’un élément dissociable du bâtiment.
L’invocation de la garantie décennale par les clients n’est, toutefois, pas surprenante en l’espèce au regard de l’évolution jurisprudentielle récente, laquelle a étendu son champ d’application à ce que l’on a pu appeler les « quasi-ouvrages » [10]. La Cour de cassation affirme en effet, depuis 2017 [11], que les désordres affectant les éléments d’équipement, même dissociables, relèvent de la responsabilité décennale, lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. Peu importe, dès lors, que la pose d’une pompe à chaleur ne nécessite pas de modifications des locaux existants, ni la réalisation de travaux de reprise de gros-œuvre ou de la structure du bâtiment, ni même la réalisation d’éléments immobiliers nouveaux faisant appel à des techniques de construction et que la création d’un socle en béton de dimension réduite à l’extérieur et les menus percements du mur pignon de l’habitation en vue de raccorder la pompe aux ballons et au réseau électrique ne soient pas d’une ampleur suffisante pour qualifier l’installation d’ouvrage de construction et n’aient pas eu davantage pour effet d’incorporer au gros-œuvre la pompe qui restait démontable sans destruction ni adjonction de matières [12].
Lorsqu’un élément d’équipement dissociable cause des désordres, trois actions sont désormais ouvertes au maître de l’ouvrage : la mise en jeu de la garantie de bon fonctionnement (C. civ., art. 1792-3 N° Lexbase : L6350G93), de la responsabilité civile de droit commun (en prouvant la faute du constructeur) ou de la garantie décennale s’il peut rapporter la preuve que l’ouvrage, dans son ensemble, est impropre à sa destination. Tel était tout l’enjeu de l’arrêt en l’espèce.
B. La performance insuffisante d’un élément d’équipement dissociable de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble
Le législateur a eu « la juste ambition de circonscrire – en théorie – l’application de la responsabilité décennale des constructeurs aux dommages les plus graves, les autres relevant, si les conditions sont remplies, de la garantie de bon fonctionnement, de la garantie de parfait achèvement ou du droit commun de la responsabilité. Le législateur a, plus précisément, distingué selon que l’élément d’équipement entraîne un dommage de gravité décennale à l’ouvrage ou non » [13]. À suivre la jurisprudence, peu importe que l’élément d’équipement soit dissociable ou ne le soit pas dans l’hypothèse où cet élément affecte l’ouvrage lui-même d’un dommage de gravité décennale. L’article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) peut alors servir de fondement à l’engagement de la responsabilité décennale. Néanmoins, il ne suffit pas que l’élément d’équipement soit rendu impropre à sa destination. Encore faut-il que l’ouvrage, dans sa totalité, soit affecté de ce vice.
Tel était bien le cas en l’espèce. Dans son pourvoi en cassation, l’assureur soutenait que « la performance insuffisante d’un élément d’équipement dissociable n’est pas de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble ». En retenant, « que le nouveau système de chauffage installé par la société [absorbée] était inadapté au volume d’air à chauffer, que l’installateur aurait dû conseiller à ses clients de prévoir un chauffage d’appoint, et que le mode de chauffage existant ne nécessitait pas l’installation d’une pompe à chaleur dont le coût en électricité était plus important », la cour d’appel aurait donc violé l’article 1792 du Code civil.
Rejetant ce premier moyen du pourvoi, la Cour de cassation affirme, au contraire, qu’en relevant, que les propriétaires victimes « s’étaient plaints de plusieurs pannes de la pompe à chaleur survenues durant les mois de février et mars 2012 et retenu que le volume d’air à chauffer était trop important par rapport à la capacité de la pompe à chaleur, que le système de chauffage était incompatible avec les radiateurs équipant l’immeuble et qu’il était inévitable que la pompe à chaleur connût des problèmes durant les périodes de grand froid, la cour d’appel en a souverainement déduit que les désordres atteignant celle-ci rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination et relevaient de la garantie décennale » [14]. L’assureur décennal du maître d’œuvre aurait donc en principe dû être tenu à la garantie. Toutefois, la situation était en l’espèce plus complexe, la société maître d’œuvre ayant été absorbée par une autre société. L’arrêt commenté révèle ainsi les limites de la garantie souscrite par une société absorbante dans le domaine de la construction.
II. Les limites de la garantie souscrite par la société absorbante
Si le principe est, en cas de fusion de sociétés, la transmission de plein droit des dettes de responsabilité de la société absorbée à la société absorbante (A), le contrat d’assurance souscrit par cette dernière ne couvre pas nécessairement la responsabilité des filiales (B).
A. Une transmission de plein droit des dettes de responsabilité de la société absorbée à la société absorbante
Aux termes de l’article L. 236-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6351AI3), « il y a fusion lorsqu’une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une société existante ou à une nouvelle société qu’elles constituent. La fusion se caractérise ainsi par la dissolution de la société absorbée et la transmission du patrimoine à la société absorbante » [15]. La fusion emporte la transmission universelle du patrimoine d’une société à une autre, à l’instar de plusieurs opérations sociétaires telles que l’acquisition par une personne morale de la totalité du capital d’une société, l’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions et, de manière plus générale, la scission. Le principe a été expressément affirmé par la Directive européenne sur les fusions de sociétés anonymes [16], sous réserve de quelques exceptions expresses [17]. Il est repris en droit interne.
Comme le rappelle en l’espèce la Cour de cassation, l’article L. 236-3 du Code de commerce énonce ainsi que la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de la réalisation définitive de l’opération. Dès lors, la dette de responsabilité de la société absorbée est transmise de plein droit à la société absorbante. Une société absorbante est ainsi tenue, non seulement aux obligations contractuelles, mais aussi aux engagements délictuels de la société dissoute [18].
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’une dette n’ayant pas été mentionnée dans les documents relatifs à l’opération sociétale doit tout de même être supportée par les sociétés issues de cette opération [19]. La Cour de justice de l’Union européenne a même déjà admis qu’une société absorbante soit condamnée pour des faits commis par la société dissoute, au titre d’un transfert de la responsabilité contraventionnelle de la société absorbée [20]. Opérant un important revirement de jurisprudence [21] et alignant sa position sur celle de la CJUE, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment retenu qu’« en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société […], la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération » [22]. Il convient de souligner que la Cour de cassation prend le soin de préciser que « cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne peut s’appliquer aux fusions antérieures à la présente décision sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme » [23]. Elle ne s’appliquera, en conséquence, qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020.
La doctrine enseigne toutefois qu’« il faut réserver le cas des contrats conclus intuitu personae » [24]. Une telle analyse semble confortée par un arrêt rendu le 8 novembre 2017 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, lequel laissait entendre que les contrats conclus intuitu personae peuvent seuls échapper à la transmission universelle du patrimoine [25]. Mise à part une décision du 7 juin 2006 retenant une formule plus explicite [26], aucun principe général selon lequel les contrats intuitu personae deviennent caducs en cas de transmission universelle du patrimoine d’une société à une autre société n’a cependant été clairement posé par la jurisprudence. Sans aucune référence expresse à la qualification de contrat conclu intuitu personae, l’idée semble néanmoins irriguer la jurisprudence, par exemple concernant un contrat conclu entre un syndic et un syndicat de copropriétaires [27] ou encore un cautionnement (l’absorption du créancier mettant un terme à l’obligation de couverture de la caution) [28]. Comme cela a pu être souligné, « l’énonciation d’un principe ferme, valant quelle que soit l’opération sociétaire en cause, aurait le mérite de la clarté » [29].
Alors que certains caractères varient d’un contrat d’assurance à l’autre, l’intuitu personae est a priori un caractère constant [30]. Le contrat d’assurance souscrit par la société absorbée ne ferait donc en principe pas l’objet d’une transmission lors de la fusion. La Cour de cassation déroge au principe de transmission universelle du patrimoine « que si le contrat a été conclu en considération de la personne de la société dont le patrimoine est transmis. La règle se comprend aisément. S’il est admis qu’une société puisse transmettre les éléments composant son patrimoine sous une forme simplifiée, cette situation ne doit pas porter préjudice aux tiers. Tel pourrait être le cas lorsque la personne de la société transmise était déterminante pour son cocontractant. Ce dernier ne peut alors se voir imposer un cocontractant nouveau » [31].
B. Une dette de responsabilité de la société absorbée non couverte par l’assurance décennale de la société absorbante
Dans son pourvoi, l’assureur a soulevé un second moyen, selon lequel « si la fusion-absorption transmet à la société absorbante l’actif et le passif de la société absorbée, elle ne saurait étendre le bénéfice de l’assurance de responsabilité souscrite par la société absorbante aux faits commis par la société absorbée avant la fusion et modifier ainsi le risque garanti ». Par ailleurs, le contrat comprenait en l’espèce une clause prévoyant expressément que son objet était de garantir la société absorbante « en dehors de toutes autres sociétés filiales ou concessionnaires, quel que soit le statut juridique ». La cour d’appel aurait donc violé les articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), devenu l’article 1103 (N° Lexbase : L0822KZH), du Code civil et L. 236-1 (N° Lexbase : L6351AI3) et L. 236-3 (N° Lexbase : L2401LRD) du Code de commerce [32] en considérant que les désordres, survenus en février et mars 2012, à une période normalement couverte par le contrat d’assurance, devaient être garantis du fait de l’absorption de la société absorbée par la société absorbante [33]. Suivant sur ce point l’argumentation du pourvoi, la troisième chambre civile, dans la décision rendue le 26 novembre 2020, a censuré sur ce point les juges du fond, au visa de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et de l’article L. 236-3 du Code de commerce.
La Cour de cassation, rappelle en effet que le contrat est la loi des parties (C. civ., ancien art. 1134). Elle affirme dès lors que « l’assurance de responsabilité de la société absorbante, souscrite avant la fusion, n’a pas vocation à garantir le paiement d’une telle dette, dès lors que le contrat d’assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l’exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l’assurée, de la garantie accordée par l’assureur en fonction de son appréciation du risque » [34]. La cour d’appel a donc violé les textes visés en retenant que l’assureur décennal de la société absorbante se substituera à la société absorbée pour le paiement des sommes dues aux maîtres de l’ouvrage.
Comme cela a été souligné, « le contrat d’assurance étant un contrat intuitu personae et l’assureur ayant accordé sa garantie en fonction de son appréciation du risque (risque en l’espèce modifiée par la fusion-absorption), la décision de la Cour de cassation d’exclure de la garantie donnée par l’assureur à la société absorbante, la dette de responsabilité de la société absorbée, est cohérente » [35]. La solution posée par la Cour de cassation – qui emploie la formule « sauf stipulation contraire » – laisse toutefois une porte ouverte aux parties, lesquelles demeurent libres d’aménager les effets du contrat d’assurance.
[1] Cf. par ex. J.-D. Pellier, Retour sur le domaine du démarchage, Dalloz Actualité, 22 décembre 2020 (sous Cass. civ. 1, 9 décembre 2020, n° 19-18.391, F-P N° Lexbase : A593439N) : « L’application des anciens articles L. 121-21 à L. 121-33 du Code de la consommation, relatifs au démarchage, suppose que le devis ait été accepté au domicile des consommateurs en présence du professionnel. […] Il est donc préférable, pour bénéficier des faveurs du Code de la consommation, de s’engager quand le professionnel est à domicile ! ».
[2] Contrat conclu en un lieu inhabituel en la présence du professionnel : N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, Les Contrats de consommation. Règles communes, in J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil, 2ème éd., LGDJ, 2018, n° 541.
[3] J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2ème éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 129 et 130 ; D. Bazin-Beust, Droit de la consommation, Gualino, Lextenso, 4ème éd., 2020, p. 120.
[4] C. civ., art. 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ).
[5] C. Charbonneau, L’assurance construction, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1ère éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 417.
[6] C. Charbonneau, loc. cit. in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, op. cit., p. 397.
[7] C. civ., art. 1792-2 (N° Lexbase : L6349G9Z).
[8] CA Paris, 16 mars 2001, RDI, 2001, p. 253.
[9] J. Mel, La performance insuffisante d’un élément d’équipement dissociable peut engager la responsabilité décennale du constructeur s’il rend l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, Lexbase édition Privée, décembre 2020, n° 846 (N° Lexbase : N5587BYL).
[10] RDI, 2017, p. 409, obs. C. Charbonneau sur Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-19.640, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6831WHH).
[11] Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-19.640, préc., concernant une pompe à chaleur – Cass. civ. 3, 14 septembre 2017, 16-17.323, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6554WR8) concernant un insert – Cass. civ. 3, 26 octobre 2017, n° 16-18.120, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8797WWQ) concernant une cheminée à foyer.
[12] En ce sens, Cass. civ. 3, 25 janvier 2018, n° 16-10.050, F-D (N° Lexbase : A8526XBE).
[13] J. Mel, loc. cit., Lexbase éd. Privée, décembre 2020.
[14] Cass. civ. 3, 26 novembre 2020, n° 19-17.824, point 6.
[15] D. Legeais, Droit commercial et des affaires, Sirey, 26ème éd., 2020, n° 424.
[16] Directive n° 2017/1132 du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés, art. 105 § 1 (N° Lexbase : L0643LGW) ; JCP E, 2017, act. 522 ; JCP E, 2017, act. 580.
[17] Directive n° 2017/1132 du 14 juin 2017, préc., art. 105 § 3.
[18] Cf. Étude : Les opérations de fusion de sociétés, La transmission du passif social dans les opérations de fusion, in Droit des sociétés, Lexbase (N° Lexbase : E2401GA8).
[19] Cass. com., 7 décembre 1966 (N° Lexbase : A9782AYX).
[20] CJUE,, 5 mars 2015, aff. C-343/13 (N° Lexbase : A6841NCD), Dr. sociétés, 2015, comm. 89, note M. Roussille ; JCP E ,2015, 1234, note F. Barrière ; Dr. pén., 2015, comm. 74, note G. Notté ; Europe, 2015, comm. 187, obs. S. Cazet ; Bull. Joly Sociétés, 2015, p. 200, note A. Couret et p. 393, note H. Le Nabasque ; Rev. sociétés, 2015, p. 677, note B. Lecourt ; RTD civ., 2015, p. 388, note H. Barbier.
[21] Voir, antérieurement, Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742, publié (N° Lexbase : A3295AUL) – Cass. crim., 14 octobre 2003, n° 02-86.376, FS-P+F (N° Lexbase : A9467C9I) – Comp. Cass. crim., 25 octobre 2016, n° 16-80.366, FS-P+B (N° Lexbase : A3252SCG).
[22] Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FP-P+B+I (N° Lexbase : A551437D).
[23] Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FP-P+B+I, préc., point 38.
[24] D. Legeais, op. cit., n° 425.
[25] Cass. com., 8 novembre 2017, n° 16-17.296, F-D (N° Lexbase : A8419WYH), JCP E, 2018, 1045, obs. C. Coupet.
[26] « La dissolution d'une société dont les parts sont réunies en une seule main entraîne la transmission universelle du patrimoine à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation ; sauf accord du cocontractant, un contrat conclu en considération de la personne d'une telle société prend fin au plus tard par l'effet de la dissolution de celle-ci » : Cass. com., 7 juin 2006, n° 05-11.384, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8608DPI), D., 2006, p. 1685, note A. Lienhard ; JCP E, 2006, n° 36, p. 1493, note H. Hovasse ; LPA, 7 septembre 2006, p. 12, note Morelli ; Dr. sociétés, 2006, comm. 126, note J. Monnet ; Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 1491, note M.-L. Coquelet ; Banque et droit, 2006, p. 60, obs. I. Riassetto.
[27] Cass. civ. 3, 10 novembre 1998, n° 97-12.369, publié (N° Lexbase : A6406AGD) – Cass. com., 30 mai 2000, n° 97-18.457, publié (N° Lexbase : A5254AWI), JCP E, 1997, I, 710, note A. Viandier et J.-J. Caussain.
[28] Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-17.779, FS-P+B (N° Lexbase : A8415MWL), RD bancaire et fin., 2014, comm. 195, note A. Cerles ; Dr. sociétés, 2014, comm. 189, note D. Gallois-Cochet ; RTD civ., 2014, p. 892, note H. Barbier ; RTD com., 2014, p. 841, note D. Legeais ; D., 2015, p. 2145, note D. R. Martin ; Rev. sociétés, 2015, p. 231, note D. Teffo.
[29] C. Coupet, Transmission universelle du patrimoine et sort des contrats conclus intuitu personae, JCP E, 2018, p. 1045.
[30] J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 3, Le contrat d’assurance, LGDJ, Lextenso éd., 2ème éd., 2014, n° 129.
[31] C. Coupet, loc. cit., JCP E, 2018.
[32] Cass. civ. 3, 26 novembre 2020, n° 19-17.824, point 8.
[33] Cass. civ. 3, 26 novembre 2020, n° 19-17.824, point 12.
[34] Cass. civ. 3, 26 novembre 2020, n° 19-17.824, point 11.
[35] V. Leguay, Conséquences de l’absorption d’une société sur sa garantie décennale, Éditions législatives, 11 décembre 2020.
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Réf. : Loi n° 2020-1674, du 24 décembre 2020, de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (N° Lexbase : L2694LZS)
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par Yann Le Foll
Le 06 Janvier 2021
► La loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020, de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur, a été publiée au Journal officiel du 26 décembre 2020, après validation par les Sages (Cons. const., décision n° 2020-810 DC du 21 décembre 2020 N° Lexbase : A71724AU ; lire N° Lexbase : N5838BYU).
Elle a pour objectif, selon le Gouvernement, de permettre un réinvestissement massif dans la recherche publique afin d'atteindre l'objectif d'un effort national de recherche égal à 3 % du PIB.
Elle entend tout d’abord renforcer l'attractivité des métiers scientifiques (titre I). Ainsi, afin de répondre à un besoin spécifique lié à sa stratégie scientifique ou à son attractivité internationale, dans des domaines de recherche pour lesquels il justifie de cette nécessité, un établissement public de recherche ou d'enseignement supérieur pourra être autorisé, par arrêté du ministre chargé de la Recherche, à recruter en qualité d'agent contractuel de droit public des personnes titulaires d'un doctorat.
Le recrutement est réalisé, après appel public à candidatures, à l'issue d'une sélection par une commission constituée de personnes de rang égal à celui de l'emploi à pourvoir et composée, pour moitié au moins, d'enseignants-chercheurs et de personnels assimilés ou de chercheurs extérieurs à l'établissement dans lequel le recrutement est ouvert, dont au moins une personne de nationalité étrangère exerçant ses activités professionnelles à l'étranger. Cette commission ne peut comprendre plus de 60 % de membres du même sexe.
La loi du 24 décembre 2020 entend également consolider les dispositifs d'évaluation, d'organisation et de financement de la recherche (titre II). Dorénavant, les organismes publics de recherche et les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel feront l'objet de procédures d'évaluation périodique, qui portent sur l'ensemble des objectifs et des missions mentionnés respectivement à l'article L. 112-1 du Code de la recherche (N° Lexbase : L4717IXY) et à l'article L. 123-3 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L4707IXM).
Par ses rapports d'évaluation, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur émettra, à l'attention des acteurs publics, de leurs partenaires et des publics intéressés, des appréciations motivées sur la qualité des résultats obtenus par les établissements et les structures évalués. Ces appréciations préciseront leurs points forts et faibles, et s'accompagneront de recommandations. Les rapports d'évaluation fourniront notamment des avis destinés à aider les établissements contribuant au service public de l'enseignement supérieur et au service public de la recherche pour l'élaboration et la mise en œuvre de leur politique d'établissement et pour l'allocation des moyens à leurs composantes internes.
La loi veut aussi faciliter la diffusion de la recherche dans l'économie et la société (titre III). Toute personne qui participe directement au service public de la recherche sera tenue d'établir une déclaration d'intérêts préalablement à l'exercice d'une mission d'expertise auprès des pouvoirs publics et du Parlement. Elle mentionnera les liens d'intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée, qu'elle a, ou qu'elle a eus pendant les cinq années précédant cette mission, avec des personnes morales de droit privé dont les activités, les techniques et les produits entrent dans le champ de l'expertise pour laquelle elle est sollicitée.
La loi prévoit aussi la possibilité de mettre à disposition à temps complet ou incomplet des enseignants-chercheurs auprès de tout employeur de droit privé ou public exerçant une ou plusieurs des missions définies à l'article L. 123-3 du Code de l'éducation. Ces mises à disposition donnent lieu à un remboursement, dont les modalités sont fixées par une convention conclue entre l'établissement d'origine et l'employeur d'accueil. Afin de favoriser l'accueil de ces enseignants-chercheurs, les EPIC, les collectivités territoriales, les entreprises, les associations ou les fondations reconnues d'utilité publique pourront verser un complément de rémunération, qui est soumis aux mêmes charges sociales que les rémunérations versées à leurs salariés.
La loi de programmation de la recherche a enfin pour objectif de simplifier le fonctionnement du service public de l'enseignement supérieur et de la recherche (titre IV).
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Réf. : Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-10.801, FS-P+B+I (N° Lexbase : A582139H)
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 06 Janvier 2021
► La Cour de cassation, par deux arrêts rendus le 10 décembre 2020 (Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-10.801, FS-P+B+I N° Lexbase : A582139H ; Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 18-17.937, FS-P+B+I N° Lexbase : A586039W), a rappelé les dispositions de l’article L. 211-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2207ITW) pour valider une saisie-attribution qui suppose l’exercice d’une contrainte sur un tiers saisi, énonçant qu’il résulte de la règle de territorialité des procédures d’exécution découlant du principe de l’indépendance et de la souverainetés des États, qu’elle ne peut produire effet que si le tiers saisi est établi en France ; selon la Haute juridiction, « est établi en France le tiers saisi, personne morale, qui soit y a son siège social, soit y dispose d’une entité ayant le pouvoir de s’acquitter du paiement d’une créance du débiteur saisi à son encontre ».
Faits et procédure. Dans cette affaire, une saisie-attribution à l’encontre de l’État du Panama et de l’Autorité du canal de Panama (l’ACP) a été pratiquée sur le fondement d’une sentence arbitrale, entre les mains d’une succursale parisienne d’une banque ayant son siège social à Londres. Dans un premier temps, la banque a indiqué qu’elle ne détenait aucun compte ouvert au nom du débiteur, puis que sa succursale new-yorkaise détenait des fonds pour le compte de l’ACP. Les débiteurs ont saisi le juge de l’exécution d’une contestation, et un arrêt est venu confirmer le jugement ordonnant la mainlevée de la saisie et rejetant une demande de dommages et intérêts.
Le pourvoi. Le demandeur fait grief à l’arrêt (CA Paris, 24 mai 2018, n° 17/08685 N° Lexbase : A1603XP3) d’avoir ordonné la mainlevée de la saisie.
Dans un premier moyen, l’intéressé énonce la violation des articles L. 211-1 (N° Lexbase : L5837IRM) et L. 211-2 (N° Lexbase : L5838IRN) du Code des procédures civiles d’exécution et les principes qui gouvernent le droit international privé.
En l’espèce, les juges d’appel, après avoir constaté que la créance découlait de l’ouverture de comptes bancaires par l’ACP dans la succursale new-yorkaise d’une banque dont le siège social est situé à Londres, ont ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée en France auprès d’une succursale dans laquelle aucun compte n’était ouvert au nom du débiteur saisi.
Réponse de la Cour. Énonçant la solution précitée, la Cour suprême relève que la cour d’appel a fait une exacte application des principes précités.
Dans un second moyen, l’intéressé énonce la violation des articles R. 211-1 (N° Lexbase : L2207ITW) du Code des procédures civiles d’exécution et 114 (N° Lexbase : L1395H4G), 690 (N° Lexbase : L6891H7D) et 694 (N° Lexbase : L6897H7L) du Code de procédure civile
Réponse de la Cour. Les Hauts magistrats énoncent que le moyen ne peut être accueilli, car il est inopérant, du fait qu’il s’attaque à des motifs surabondants, relatifs aux modalités de signification de l’acte de saisie-attribution et que la mainlevée de la saisie a été ordonnée pour des motifs de fond découlant de l’impossibilité de pratiquer une mesure d’exécution dans un établissement bancaire en France ne détenant aucun compte ouvert au nom du débiteur.
Le pourvoi est rejeté par la Cour suprême.
Pour aller plus loin : cet arrêt fera prochainement l'objet d'un commentaire groupé avec l’arrêt rendu également le 10 décembre 2020 par le seconde chambre civile de la Cour de cassation, n° 18-17.937, FS-P+B+I ( |
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