Réf. : Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9460347)
Lecture: 3 min
N5448BYG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Julien Prigent
Le 25 Novembre 2020
► L'article L. 145-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L5032I3R), modifié par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (N° Lexbase : L4967I3D), dite loi « Pinel », en ce qu'elle a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 N° Lexbase : L5765AID à L. 145-41 (N° Lexbase : L1063KZE) du Code de commerce, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription.
Faits et procédure. En l’espèce, des locaux commerciaux avaient été donnés à bail à compter du 1er avril 1998 pour une durée de neuf années. À la suite d’un congé, le bail avait été renouvelé à compter du 1er octobre 2007. Le 4 octobre 2013, le locataire avait cédé son fonds de commerce. Le 5 août 2014, le propriétaire avait délivré au nouveau locataire un commandement de payer des loyers et charges, puis l'avait assigné en référé en acquisition de la clause résolutoire. Un arrêt du 19 novembre 2015, qui avait déclaré acquise la clause résolutoire au 5 octobre 2014, avait été cassé (Cass. civ. 3, 27 avril 2017, n° 16-12.179, F-D N° Lexbase : A2848WB4).
Le 13 janvier 2016, le nouveau locataire a assigné à jour fixe le bailleur aux fins de voir déclarer réputée non écrite la clause de révision du loyer stipulée au bail, annuler le commandement de payer et, subsidiairement, se voir accorder des délais de paiement rétroactifs et la suspension des effets de la clause résolutoire. Le propriétaire a soulevé l'irrecevabilité des demandes et conclu au rejet de la demande de délais. Faisant grief aux juges du fond d’avoir, notamment, rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action du locataire en contestation des clauses du bail (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 19 décembre 2018, n° 17/07428 N° Lexbase : A1066YRW), le bailleur s’est pourvu en cassation.
Décision. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle souligne que la cour d’appel a relevé que la loi du 18 juin 2014, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du Code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du Code de commerce, leur caractère réputé non écrit. La Haute cour a estimé que la cour d’appel avait retenu, à bon droit, que ce texte est applicable aux baux en cours et que l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription. L'action tendant à voir réputer non écrite la clause du bail relative à la révision du loyer, formée le 13 janvier 2016, soit après l'entrée en vigueur de la loi précitée, était donc recevable (sur cet arrêt, lire également Suspension des effets de la clause résolutoire : des délais peuvent être rétroactivement accordés au locataire N° Lexbase : N5460BYU).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les délais encadrant les actions relatives au bail commercial, La prescription biennale de l'action en nullité fondée sur une disposition du statut, in Baux commerciaux, Lexbase (N° Lexbase : E5936AEL). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475448
Lecture: 22 min
N5383BYZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Cyrille Dounot, Professeur à l’Université Clermont Auvergne, CMH EA 4232-UCA
Le 26 Novembre 2020
Mots-clefs : liberté de culte • liberté fondamentale • référé-liberté • état d’urgence sanitaire • laïcité
Plusieurs juridictions administratives, saisies dans le cadre de la procédure du référé-liberté, ont rejeté les demandes visant à pratiquer la liberté fondamentale de culte malgré l’état d’urgence sanitaire, que ce soit au sein des édifices du culte ou sur la voie publique. Dans toutes les hypothèses, le juge ne considère pas qu’il y a urgence à permettre l’exercice de cette liberté, et rejette les requêtes.
Ironie de l’histoire, le jour même où le Premier ministre Jean Castex assurait que l’État « garantit la pratique [religieuse] pour ce qu’elle est : l’exercice d’une liberté fondamentale » (discours du 7 novembre 2020 [1]), le Conseil d’État déboutait conjointement vingt-et-une requêtes contestant l’interdiction du culte religieux dans le contexte sanitaire actuel. À quelques jours de distance, des tribunaux administratifs déboutaient des requérants qui contestaient l’interdiction faite par des préfets de tenir une manifestation sur la voie publique incluant un acte du culte. En conséquence, c’est la liberté de culte en tant que telle qui est empêchée en France, et semble rejoindre la cohorte des défunts traditionnellement honorés en ce mois de novembre. Ces affaires ont ceci de commun qu’elles mobilisent le juge de l’urgence et appellent quelques remarques sur le sort réservé à cette liberté fondamentale, tant devant la plus haute juridiction de l’ordre administratif (I) que devant le juge de droit commun (II).
I - La décision du Conseil d’État
Alors que le juge des référés du Conseil d’État avait accompagné le « déconfinement » sanitaire du printemps dernier d’une meilleure prise en compte des libertés fondamentales, notamment par diverses ordonnances du 18 mai 2020 protégeant tant la liberté de culte (CE, référé, 18 mai 2020, n° 440366 N° Lexbase : A73243LT et suivants) que le droit au respect de la vie privée, dans l’affaire des drones surveillant la ville de Paris (CE, référé, 18 mai 2020, n°s 440442, 440445 N° Lexbase : A64093LX), il semble retrouver, avec ce second confinement, sa posture régimiste du premier confinement. Il avait alors rejeté toutes les requêtes à lui présentées, estimant la condition d’urgence non remplie et les diverses mesures liberticides justifiées par la théorie des « circonstances exceptionnelles » et « l’intérêt public qui s’attache aux mesures de confinement » (CE, référé, 30 mars 2020, n° 439809 N° Lexbase : A88863KC, cons. n° 5) [2]. Dans l’ordonnance du 7 novembre 2020, la Haute juridiction répond conjointement à vingt-et-une requêtes déposées tant par des particuliers, des associations et des communautés religieuses que par six évêques suivis, c’est une première notable, par la Conférence des évêques de France. Toutes ces requêtes sont dirigées contre l’article 47 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (N° Lexbase : L5637LYG). Cet article pose à la fois une autorisation d’ouverture des édifices du culte (« établissements de culte, relevant de la catégorie V » des établissements recevant du public) et une interdiction de « tout rassemblement ou réunion en leur sein […] à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 30 personnes » (article 47, I). D’autres requêtes contestent également la légalité de l’article 4 dudit décret, en ce qu’il restreint la possibilité de sortir de son domicile pour se rendre dans les lieux de culte.
Dans cette affaire, le juge des référés refuse « de se prononcer sur la condition relative à l’urgence » (cons. n° 22), mais évalue tout de même le risque éventuel qu’existe « une atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale, au sens de l’art. L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT). Il détaille d’ailleurs avec soin les diverses sources formelles de la liberté fondamentale de culte (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, art. 9 N° Lexbase : L1373A9Q) ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 18 N° Lexbase : L6816BHW ; loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, art. 1er et 25 N° Lexbase : L0978HDL), pour conclure à bon droit que « la liberté du culte présente le caractère d’une liberté fondamentale » et qu’elle « ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix », puisqu’elle « comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve [de l’ordre public], à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte » (cons. n° 10). Cependant, au nom d’une conciliation « avec l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé », il valide l’article 47 interdisant les rassemblements dans les lieux de culte tout en apportant quelques précisions bienvenues. Cette position appelle plusieurs remarques, d’abord quant à la conciliation des droits fondamentaux, ensuite quant au fond.
D’abord, parce que la protection de la santé n’est qu’un objectif de valeur constitutionnelle (Cons. const. décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012 N° Lexbase : A5087ILY § 6), à savoir non pas une norme, mais une technique d’interprétation, en vue de rendre plus effectifs des droits et libertés constitutionnels. De la sorte, un tel objectif ne doit pas porter une atteinte excessive aux droits fondamentaux qu’il limite. Or ici, il ne s’agit pas d’une limitation de la liberté de culte, mais d’une interdiction pure et simple (sauf pour les funérailles).
Ensuite, le problème de l’interdiction des rassemblements ou réunions dans les édifices du culte renvoie à l’essence même du culte public, à savoir d’être une liturgie (λειτουργία, leitourgía), une chose du peuple. La liberté de culte comporte un aspect collectif inhérent et inamissible qui ne peut être remplacé par la prière individuelle. Ainsi, la liberté de culte est, au for externe, le complément de la liberté religieuse par laquelle l’individu, dans son for interne, adhère ou n’adhère pas à une confession.
Cette conception collective de la liberté de culte est tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La cour de Strasbourg condamne en effet les États entravant la liberté de religion par la fermeture des lieux de culte pour des raisons disproportionnées (CEDH, 24 mai 2016, Req. 36915/10 et 8606/13 N° Lexbase : A3358RQG), exposant que « si une communauté religieuse ne peut disposer d’un lieu pour y pratiquer son culte, ce droit se trouve vidé de toute substance » (§ 90). Aussi, il est étonnant que le juge, bien qu’il réfère à la Convention, ne tienne compte ni du texte, garantissant « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (art. 9, §1), sans pouvoir « faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » (art. 9, §2), ni de son interprétation par la Cour.
Certes, l’État peut déroger temporairement à cet article 9, en cas d’état d’urgence, mais seulement « dans la stricte mesure où la situation l’exige », et en respectant la procédure prévue par l’article 15 de ladite Convention : « Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application » (§ 3). Or, le Bureau des traités du Conseil de l’Europe, qui enregistre les Déclarations des États au titre de l’article 15 de la Convention, n’a, à ce jour, enregistré aucune demande émanant de la France (seules l’Albanie, l’Arménie, l’Estonie, la Géorgie, la Lettonie, la Macédoine du Nord, la Moldavie, la Roumanie, Saint-Marin et la Serbie ont informé le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de leur décision de recourir à cette faculté dans la crise du Covid-19).
Un autre problème tient à l’intrusion manifeste (et manifestement illégale) de l’État au cœur du culte. La laïcité de l’État « garantit le libre exercice des cultes », et ne permet aucune immixtion en leur sein (article 1er de la loi du 9 décembre 1905). Or, le décret du 29 octobre 2020, en décidant que les cérémonies funéraires seules pouvaient se tenir dans les édifices du culte, contrevient au principe de neutralité de l’État au regard de l’organisation interne des cultes. Pourquoi cette cérémonie et pas une autre ? Pourquoi la mort serait-elle redevable d’une exception, mais pas la naissance ou le mariage ? De quelle compétence l’État dispose-t-il pour décider de ce qui est le plus essentiel dans la vie d’un croyant ? L’exclusion d’une partie notable des rites sacramentels (baptême, mariage, communion, confirmation, ordination) pose véritablement question.
Cette discrimination a d’ailleurs immédiatement été corrigée, selon une interprétation favorable du Conseil d’État, estimant que « les cérémonies religieuses pour les mariages doivent être regardées, même si les dispositions gagneraient à être explicitées, comme n’étant pas interdites dans les lieux de culte, dans la limite de six personnes, ainsi que l’a expressément indiqué le Premier ministre lors de sa conférence de presse du 28 octobre 2020 » (cons. n° 14). Cette application de l’art. 3, III au mariage religieux contredit d’une part explicitement le texte qui ne prévoit comme unique exception que les funérailles, et d’autre part, revient à donner au discours du Premier ministre le statut de décision verbale à valeur réglementaire. Mais, forts de cette interprétation, une nouvelle question d’excès de pouvoir se pose : comment justifier qu’un mariage ne puisse réunir que six personnes quand un enterrement en comporte trente ? L’objectif de protection de la santé ne saurait être malléable à ce point, à moins que le virus ne préfère la couleur blanche à la couleur noire…
Enfin, comment croire que ces restrictions à une liberté fondamentale soient « motivées par des considérations exclusivement sanitaires » (cons. n° 21), quand restent ouverts les commerces de détail de produits à base de tabac (art. 37, I), alors que la France déplore chaque année 75 000 morts dus au tabagisme ? À l’inverse, aucun « foyer de contagion » n’a été dénombré dans les édifices du culte, privés de cérémonies malgré leur superficie souvent conséquente. Comment croire que ces restrictions « ne méconnaissent pas le principe de clarté et d’intelligibilité de la norme », quand le Conseil d’État lui-même est obligé par deux fois dans son ordonnance d’expliquer que « les dispositions [du décret] gagneraient à être explicitées » (cons. n° 14) et que le modèle-type de justificatif « gagnerait à être explicité » (cons. n° 16), et renvoie pour interprétation aux « déclarations faites lors de l’audience par l’administration » (cons. n° 16) ?
Ne soyons pas bougons, le Conseil d’État a apporté d’utiles précisions à l’exercice de la liberté de religion en ces temps troubles, en estimant que « les ministres du culte et toutes les personnes qui peuvent être regardées comme relevant de leur personnel » peuvent librement accéder au lieu de culte et procéder à des rites liturgiques, notamment en vue « d’en assurer la retransmission » (cons. n° 16). De même, le juge des référés interprète le décret comme offrant aux citoyens la faculté de « se rendre dans ces établissements à l’occasion de l’un quelconque de leurs déplacements autorisés hors de leur domicile […] pour y exercer, à titre individuel, le culte en évitant tout regroupement avec des personnes ne partageant pas leur domicile » (cons. n° 16). De même, il indique que « des instructions ont été données pour que les fidèles puissent se déplacer dans le lieu de culte le plus proche de leur domicile ou situé dans un périmètre raisonnable autour de celui-ci ». Enfin, il établit que « les ministres du culte peuvent continuer à recevoir individuellement les fidèles dans les établissements précités et à se rendre, au titre de leur activité professionnelle, au domicile de ceux-ci ou dans les établissements dont ils sont aumôniers » (cons. n° 16). Ces expédients n’offrent toutefois pas de réponse satisfaisante à l’aspect communautaire de la liberté de culte, poussant les fidèles à trouver d’autres solutions.
II - Les décisions des tribunaux administratifs
Puisque le Conseil d’État validait l’article 47 du décret du 29 octobre 2020, la seule possibilité d’exercer légalement et collectivement la liberté de culte était de transférer le culte de l’intérieur de l’édifice vers la voie publique. Cette faculté, s’autorise de l’artcle 3, I du décret disposant que « tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, qui n’est pas interdit par le présent décret, est organisé dans des conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er » (c’est-à-dire la distanciation physique d’au moins 1 mètre entre deux personnes et le port du masque dans les villes où il est prescrit), et de la loi de 1905 dont l’article 27 prévoit que « Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, sont réglées en conformité de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0892I78)», lequel renvoie aux pouvoirs de police municipale afin « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » [3].
Forts de cette base juridique, des catholiques d’une quarantaine de villes de France ont déclaré en préfecture soit des manifestations simples, soit des manifestations doublées de l’exercice d’un culte religieux, en l’occurrence la messe, ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au gouvernement, suscitant l’envoi d’instructions aux préfets puis une intervention publique du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur France Info le vendredi 13 novembre. Dès lors, les préfets ont rivalisé d’ingéniosité pour annihiler ce qu’il reste de la liberté de culte en temps d’état d’urgence sanitaire. Divers moyens ont été appliqués par les représentants de l’État, constitutifs d’autant de vexations, et redevables pour la plupart de recours pour excès de pouvoir :
- non-délivrance du récépissé de déclaration de manifestation (Bayonne, Fontainebleau ou Bourron-Marlotte) ou délivrance tardive de récépissés (Lyon et Nantes, délivrés le 13 novembre pour des déclarations faites le 10), en violation de l’obligation de l’article L. 211-2 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L9752LPU prévoyant que « L’autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé » [4].
- délivrance de récépissés restrictifs, pour les manifestations de Paris ou de Vichy. Dans le premier cas, la préfecture de Paris intime : « Pas de prières, pas de chants, pas de messes et pas de signes religieux apparents » (13 novembre) ; dans le second cas, la préfecture de Moulins, dispose que « ce rassemblement à caractère revendicatif ne saurait, en aucun cas, prendre forme d’un office, d’une cérémonie ou d’une prière sur la voie publique » (12 novembre), puis exige une confirmation « par écrit, que le rassemblement déclaré ne donnerait pas lieu à la célébration d’une messe ni à la récitation d’un chapelet » (13 novembre).
- délivrance de récépissés prohibitifs (et donc illégaux) tel celui de la préfecture de la Vienne, du 13 novembre, indiquant que « la nature de votre rassemblement [prière et récitation du chapelet devant la cathédrale de Poitiers] ne figurant pas dans les exceptions précitées [celles du décret du 29 octobre], il ne peut en aucun cas se dérouler sur l’espace public », ou celui de la Préfecture du Puy-de-Dôme du 18 novembre, disant que « les manifestations à caractère religieux sont interdites » et « que les participants à une cérémonie religieuse sur la voie publique, interdite dans le cadre des mesures sanitaires, sont passibles d'une contravention de 4e classe ».
- déplacement du lieu de la manifestation pour qu’elle ne se tienne pas devant une église ou une cathédrale (parvis ou place attenante), comme à Lyon, à Strasbourg ou à Nantes [5].
- rédaction de communiqués de presse manifestement illégaux, tels celui de Paris, du 14 novembre qui relate que « la préfecture de police avait explicitement indiqué à l’organisateur que son rassemblement ne pouvait pas donner lieu à des prières de rue », et considère qu’il s’agit d’un « événement cultuel interdit sur la voie publique ».
- pressions exercées sur le déclarant convoqué dans les bureaux de la Préfecture avant la manifestation et sommé de retirer tout aspect cultuel de sa manifestation (Lyon, Strasbourg), ou par le biais de convocation de police au lendemain de la manifestation déclarée (Bordeaux) [6].
Ces oppositions très vives à la liberté de culte sont aussi venues d’arrêtés préfectoraux interdisant lesdites manifestations, et présentant les justifications les plus étonnantes et les plus manifestement illégales. Pour le préfet de l’Isère, « la tenue de prières sur le parvis de la cathédrale de Grenoble est susceptible de donner lieu à des demandes analogues de la part d’autres cultes » (arrêté n° 2020 du 12 novembre 2020). Pour le préfet du Puy-de-Dôme, « tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs prévus au I [sic] du décret du 29 octobre 2020 » (arrêté n° 2020-2117 du 12 novembre 2020), voulant sans doute référer à l’article 4, I dudit décret, article lui-même incomplet car ne prévoyant pas l’exception des manifestations encadrées par l’article 3, II du même texte, ni les autres exceptions prévues par l’article 3, III [7]. Pour le préfet de Paris, c’est le constat que « plusieurs personnes à genoux priaient sur la voie publique et que d’autres entonnaient des chants religieux, transformant le [précédent] rassemblement en événement de type cultuel, malgré l’avertissement au déclarant […] d’éviter une telle issue à une manifestation de nature revendicative » et l’existence de « risques sérieux pour que la manifestation […] prenne, à l’instar de celle du 13 novembre, l’aspect d’un événement de type cultuel » (arrêté n° 2020-00980 du 14 novembre 2020).
C’est donc bien ce qui est reproché aux déclarants, que de vouloir maintenir la liberté de culte dans le seul espace encore accessible légalement (les édifices du culte et les propriétés privées ne pouvant recevoir de rassemblement cultuel). Une telle opposition ne s’explique pas par les textes législatifs ou règlementaires. D’une part, car les oppositions entre « manifestations revendicatives » et « manifestations cultuelles » assénées par les autorités publiques, en se fondant sur le discours du Premier ministre du 29 octobre 2020 sur l’application des mesures contre la covid-19 dans lequel ce dernier exposait que « tous les rassemblements sont interdits sur la voie publique à l’exception des manifestations revendicatives déclarées auprès de la préfecture », ne s’appuient sur aucune base légale. D’autre part, car les règles spécifiques en matière de laïcité, parfois invoquées, sont inopérantes, ne s’appliquant pas aux usagers de l’espace public (CE, référé, 26 août 2016, n° 402742 N° Lexbase : A6904RYD).
Plusieurs arrêtés préfectoraux ont été déférés au juge de l’urgence, afin de garantir l’effectivité de la liberté de manifester et de la liberté de culte. Dans un premier temps, les juges des référés montrent que c’est bien la liberté de culte qui est visée, en rejetant les demandes. Pour le juge de Bordeaux, la manifestation déclarée à Bergerac « n’a d’autre objet que l’organisation d’une messe en plein-air, et ainsi le seul exercice d’un culte, sans portée revendicative particulière, ce qui ne rentre manifestement pas dans le champ d’application du I de ce décret [du 29 octobre 2020], ni dans les exceptions à l’interdiction de rassemblement mentionnées au III, comme le préfet de Dordogne a pu le retenir à bon droit » [8]. Pour le juge de Nantes, « l’organisation d’une messe sur la voie publique afin de permettre un rassemblement collectif interdit par cet article 47 [du décret du 29 octobre 2020] à l’intérieur des lieux de culte ne peut être regardée comme une manifestation » [9].
Cette vision très restrictive d’une liberté de manifestation exclusive de tout acte cultuel (prière, messe, etc.) est tout à fait contraire tant à la lettre de la loi, qui ne prévoit qu’une déclaration quand la manifestation n’est pas habituelle (article 27 de la loi du 9 décembre 1905), qu’à son interprétation authentique. La circulaire du Premier ministre du 28 septembre 1987, relative à la motivation des actes administratifs, indique que « les interdictions de cérémonies, processions et autres manifestations extérieures du culte » doivent être spécialement motivées, en tant que « décisions restreignant l’exercice des libertés publiques » touchant ici à la liberté religieuse [10]. Cette vision est aussi contraire à une ancienne (et toujours actuelle) jurisprudence du Conseil d’État, qui, depuis l’arrêt « Abbé Olivier » (CE, 19 février 1909, n° 27355 N° Lexbase : A2814B8Q), Rec. p. 181), limite les interdictions de manifestation cultuelle « aux seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public ». Or, la manifestation d’un culte sur la voie publique n’est pas, de soi, constitutive d’un trouble à l’ordre public. Cette jurisprudence a été rappelée en 1933, 1947, 1950 ou 1954 pour des processions (CE, 25 janvier 1933, Abbé Coiffier, Rec. p. 100 ; CE, 2 juillet 1947, Sieur Guiller, Rec. p. 293 ; CE, 26 avril 1950, Abbé Dalqué, Rec. p. 234 ; CE, 3 décembre 1954, Sieur Rastoul, Rec. p. 636), en 1948 pour des messes publiques sur l’esplanade du Palais de Chaillot (CE, 5 mars 1948, Jeunesse indépendante chrétienne féminine [LXB=], Rec. p. 121), et encore en 1966 dans une affaire de procession « canalisée » c’est-à-dire déviée d’une artère principale (CE, 21 janvier 1966, n° 61692 N° Lexbase : A4166B8S, Rec. p. 45). Elle est également contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation qui estime que des personnes ayant « déployé une banderole, dit des prières et chanté des cantiques » dans la rue relèvent du régime du « rassemblement, effectué sur la voie publique pour exprimer collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune, [et] constitue une manifestation soumise à déclaration préalable auprès de l’autorité compétente » (Cass., crim., 15 juin 1999, n° 98-84.045 N° Lexbase : A7050CTB).
Ce n’est que dans un second temps (à l’occasion des nouvelles manifestations du dimanche 22 novembre, dans environ 70 villes françaises), que le juge administratif de l’urgence a rappelé la possibilité légale des manifestations cultuelles sur la voie publique. Ainsi, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a-t-il estimé qu’« il ne résulte pas des dispositions en vigueur, notamment du décret du 29 octobre 2020 susvisé, qu’une manifestation sur la voie publique puisse être interdite par principe, au seul motif qu’elle pourrait être regardée, par son but ou par sa forme, comme la manifestation extérieure d’un culte » (TA Clermont-Ferrand, 21 novembre 2020, n° 2002065 N° Lexbase : A267937D, cons. n° 12), formulation reprise peu après par le Tribunal administratif de Paris dans une affaire semblable (TA Paris, 21 novembre 2020, n° 2019541N° Lexbase : A268337I). Pour autant, dans l’affaire clermontoise, de nouveaux arrêtés préfectoraux sont venus interdire les manifestations cultuelles autorisées, mais au motif de la crise sanitaire. Attaqués en référé, ils ont été cette fois-ci validés par le Tribunal administratif (TA Clermont-Ferrand, 22 novembre 2020, n° 2002091) [11].
En définitive, dans ces affaires de liberté de culte, le juge administratif n’admet que l’urgence de l’état d’urgence sanitaire. Il rejette la plupart des recours formés soit contre le décret (les libraires étant les derniers à en faire les frais, bien qu’ils « contribuent à l’exercice effectif de la liberté d’expression ainsi que de la libre communication des idées » et « présentent un caractère essentiel », CE, référé, 13 novembre 2020, n°s 445883, 445886, 445899 N° Lexbase : A8139349), soit contre son application outrée. Espérons qu’au fond, et moins pris par l’urgence, le juge saura reconnaître que les libertés fondamentales ainsi bafouées méritaient une plus grande protection.
[1] Le même affirmait, le 31 octobre 2020, « l’entière détermination du Gouvernement et du président de la République pour permettre à tous à et chacun de pratiquer son culte en toute sécurité et en toute liberté ».
[2] J. Fialaire, Liberté de culte et urgence sanitaire : les leçons de la jurisprudence, JCP éd. A, 2020, 2155.
[3] Sur ces aspects, v. E. Tawil, Cultes et congrégations, Dalloz, 2019, n°34.06, p. 393. Sur le rôle du maire, v. Fr. Epinette, 1905-2005 : du bourdon au muezzin, le maire, acteur républicain du fait religieux, Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n° 4, 2005, pp. 71-78.
[4] Le juge de l’urgence n’a pas considéré qu’il y avait ici atteinte à la liberté de manifester, considérant que « par courrier du 13 novembre 2020, le préfet de la Loire-Atlantique a accusé réception de la déclaration de manifestation déposée par M. B. et lui a délivré le récépissé prévu », (TA Nantes, 13 novembre 2020, n° 2011398). Curieuse conception de l’immédiateté, que de considérer la condition remplie quand l’autorité devant immédiatement délivrer un récépissé attend d’être déféré en justice pour y satisfaire…
[5] Nantes. Bien que déçus, les fidèles se rassembleront dimanche place Graslin, Ouest-France.
[6] « La messe est essentielle » : des milliers de catholiques réunis devant les églises de France, RT France, 16 novembre 2020.
[7] D’ailleurs, le Conseil d’État, dans la décision commentée plus haut, considère qu’« il résulte, par ailleurs, des déclarations faites lors de l’audience par l’administration, que des instructions ont été données pour que les fidèles puissent se déplacer dans le lieu de culte le plus proche de leur domicile ou situé dans un périmètre raisonnable autour de celui-ci en cochant, en l’état du modèle-type de justificatif qui gagnerait à être explicité, la case ‘motif familial impérieux’ », renforçant sa décision n° 440263 du 20 octobre 2020 (N° Lexbase : A33383YB) relativisant la portée du « modèle d’attestation facultatif comportant l’ensemble des cas de sortie autorisée ».
[8] TA Bordeaux, 14 novembre 2020, n° 2005171, considérant n° 5..
[9] TA Nantes, 14 novembre 2020, n° 2011487, considérant n° 5.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475383
Réf. : Cass. civ. 1, 18 novembre 2020, n° 19-19.003, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8165348)
Lecture: 5 min
N5393BYE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie Le Guerroué
Le 25 Novembre 2020
► La transcription en marge de l’acte de mariage d’un époux étranger ayant souscrit une déclaration en vue d’acquérir la nationalité française en application de l’article 21-2 du Code civil, de la mention du jugement de divorce, ayant dissous son mariage avec son épouse française, n’est pas en soi, de nature à mettre le ministère public territorialement compétent en mesure de connaître la fraude ou le mensonge qui l’autorise à exercer, conformément à l’article 26-4 du même code, l’action en annulation de l’enregistrement de cette déclaration (Cass. civ. 1, 18 novembre 2020, n° 19-19.003, FS-P+B+I N° Lexbase : A8165348).
Faits et procédure. Le demandeur né en 1962 au Maroc, avait souscrit en 2002, une déclaration d’acquisition de nationalité en raison de son mariage, célébré avec une ressortissante française. Cette déclaration avait été enregistrée en 2003. Après son divorce, prononcé en 2004 et transcrit en marge des actes de l’état civil, le demandeur s’était remarié en 2004 avec sa précédente épouse marocaine dont il avait eu un enfant en décembre 2002. Le ministère de l’Intérieur avait informé le ministère de la Justice du refus d’enregistrement, le 17 mars 2010, de la déclaration souscrite par l’épouse marocaine en raison de la fraude commise par celui-ci. Le 10 décembre 2012, le ministère public a également engagé une action en annulation de l’enregistrement de la déclaration souscrite par l'intéressé. Devant la Cour, le demandeur fait grief à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, de déclarer l’action du ministère public recevable comme non prescrite et d’annuler, en conséquence, l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 12 avril 2002.
Cour d’appel. L’arrêt retient, en premier lieu, que, si la copie intégrale de l’acte de mariage du demandeur avec son épouse française comporte la mention marginale, apposée le 10 septembre 2004, du divorce prononcé le 4 décembre 2003, il ne résulte d’aucune de ses énonciations que l’intéressé ait acquis la nationalité française par son mariage. Il en déduit que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux n’aurait pu suspecter de fraude sans procéder à des investigations complémentaires fondées sur des critères discriminatoires tirés des patronymes ou des lieux de naissance respectifs des époux. Il ajoute que l’acte de naissance du demandeur n’est pas produit mais qu’en tout état de cause, celui-ci étant né au Maroc, cet acte n’a pu être dressé ou sa transcription faite dans le ressort de la même circonscription judiciaire. En second lieu, l’arrêt relève que si les services de l’état civil ont appelé l’attention du ministère public sur le mariage, c’est exclusivement en raison du séjour irrégulier de l’épouse marocaine sur le territoire français, lequel pouvait constituer un obstacle à cette célébration.
Réponse de la Cour. Aux termes de l’article 26-4 du Code civil (N° Lexbase : L1177HPB), l’enregistrement d’une déclaration de nationalité peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans de leur découverte. Le délai biennal d’exercice de l’action court à compter de la date à partir de laquelle le procureur de la République territorialement compétent a été mis en mesure de découvrir la fraude ou le mensonge. La transcription en marge de l’acte de mariage d’un époux étranger ayant souscrit une déclaration en vue d’acquérir la nationalité française en application de l’article 21-2 du Code civil (N° Lexbase : L5024IQ7), de la mention du jugement de divorce, ayant dissous son mariage avec son épouse française, n’est pas en soi, de nature à mettre le ministère public territorialement compétent en mesure de connaître la fraude ou le mensonge qui l’autorise à exercer, conformément à l’article 26-4 du même code, l’action en annulation de l’enregistrement de cette déclaration.
Dès lors, pour la Haute juridiction, ayant ainsi mis en évidence, d’une part, que le ministère public territorialement compétent ne pouvait supposer une fraude au seul vu de la transcription du jugement de divorce en marge de l’acte de mariage, d’autre part, que le signalement relatif au remariage n’était pas, par lui-même, constitutif d’un indice de fraude, la cour d’appel, qui a effectué la première recherche prétendument omise et n’avait pas à procéder à la seconde que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
Rejet. La Cour rejette, par conséquent, la décision précédemment rendue par la cour d’appel de Paris (V., préc., Cass. civ. 1, 28 mars 2012, trois arrêts n° 11-30.071 N° Lexbase : A7574IGM, n° 11-30.136 N° Lexbase : A0041IHY, n° 11-30.196 N° Lexbase : A7575IGN, FS-P+B+R+I et compa., Cass. civ. 1, 27 septembre 2017, n° 16-50.044, FS-P+B+I N° Lexbase : A5853WTX, V., aussi, N° Lexbase : N0490BXG).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475393
Réf. : Cass. civ. 1, 18 novembre 2020, n° 19-15.438, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8166349)
Lecture: 8 min
N5442BY9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 25 Novembre 2020
► Les dispositions de l’article 10, point 1a), du Règlement « Succession » (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 (N° Lexbase : L8525ITW) doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, la juridiction d’un État membre dans lequel la résidence habituelle du défunt n’était pas fixée mais qui constate que celui-ci avait la nationalité de cet État et y possédait des biens doit, d’office, relever sa compétence subsidiaire prévue par ce texte ? C’est sur cette question que la CJUE a été saisie à titre préjudiciel et sur laquelle elle sera prochainement amenée à se prononcer.
En l’espèce, un Français était décédé en France, laissant pour lui succéder son épouse, et ses trois enfants issus d’une première union. Les enfants avaient assigné l’épouse du défunt devant le président d’un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d’obtenir la désignation d’un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l’article 4 du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, en soutenant que la résidence habituelle du de cujus au jour de son décès était située en France.
Dispositions du Règlement conférant compétence subsidiaire. Selon l’article 10, point 1a), du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, auquel le Royaume-Uni n’est pas partie, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.
Obligation pour le juge de relever d’office sa compétence subsidiaire ? Cette disposition n’avait pas été invoquée par les consorts X devant la cour d’appel de Versailles, laquelle, après avoir estimé que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni, avait dit que, conformément à l’article 4 du Règlement, la juridiction française était incompétente pour statuer sur sa succession et désigner un mandataire successoral.
Ainsi que le relève la Cour de cassation, il s’agissait, donc, de déterminer si la cour d’appel, qui constatait que le de cujus était de nationalité française et possédait des biens en France, était tenue de relever d’office sa compétence subsidiaire énoncée à l’article 10 du Règlement.
Recherche des éléments de réponse par la Cour de cassation. Si l’article 15 du Règlement prévoit que la juridiction d’un État membre saisie d’une affaire de succession pour laquelle elle n’est pas compétente en vertu de ce règlement se déclare d’office incompétente, il ne précise pas s’il lui appartient de vérifier au préalable si les conditions de sa compétence non seulement principale (article 4) mais également subsidiaire (articles 10 et 11) ne sont pas remplies. Le règlement ne précise pas si la compétence subsidiaire présente un caractère facultatif.
- En faveur de l’obligation pour le juge de rechercher d’office sa compétence sur le fondement de l’article 10 lorsque le défunt n’avait pas sa résidence habituelle dans un État membre au moment de son décès, il convient de relever que le Règlement (UE) n° 650/2012 met en place un système global qui résout tous les conflits internationaux de juridictions résultant de litiges dont sont saisis les juges des États membres en matière successorale et se substitue donc à l’ensemble des solutions que ceux-ci appliquaient jusqu’alors. Il institue un système de résolutions des conflits de juridiction que les juges des États membres doivent appliquer d’office dès lors que le litige relève du domaine matériel couvert par le texte. Or, la compétence subsidiaire, prévue à l’article 10 du règlement a pour objet de fixer des critères de compétence applicables dans l’hypothèse où aucune juridiction d’un État membre ne serait compétente au regard de la règle principale énoncée à l’article 4. Il ne serait donc pas logique qu’après avoir relevé d’office la mise en oeuvre du règlement pour trancher un conflit de juridiction, les juges puissent écarter leur compétence au profit d’un État tiers, sur le fondement du seul l’article 4, sans avoir à vérifier au préalable leur compétence subsidiaire sur celui de l’article 10. Au contraire, il serait plus cohérent que les juridictions saisies soient tenues de vérifier tous les critères de compétence possibles, dès lors qu’aucun autre État membre n’est compétent, y compris d’office. Ainsi, il n’y aurait pas lieu de distinguer l’obligation faite aux juges de rechercher d’office s’ils sont compétents selon que cette compétence résulte de l’article 4 ou de l’article 10.
- Cependant, la règle de l’article 10, présentée par le règlement comme subsidiaire, a pour effet de déroger au principe d’unité des compétences judiciaire et législative qui innerve le Règlement dont le considérant 23 insiste sur la nécessité « d’assurer une bonne administration de la justice au sein de l’Union et de veiller à ce qu’un lien de rattachement réel existe entre la succession et l’État membre dans lequel la compétence est exercée » puisque lorsqu’une juridiction de l’État dans lequel le défunt n’avait pas sa compétence habituelle se reconnaît compétente sur le fondement de l’article 10, elle sera néanmoins conduite à appliquer la loi de l’État de résidence habituelle, sauf s’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un autre État (article 21 du Règlement) ou avait fait le choix exprès de la loi d’un autre État (article 22). Il paraît dès lors difficile d’admettre qu’une règle de compétence qualifiée comme subsidiaire, qui déroge aux principes généraux qui servent de fondement au Règlement, doit être obligatoirement relevée par les juges, même si les parties ne l’invoquent pas. Par ailleurs, si le Règlement prévoit expressément, à l’article 15, l’obligation pour le juge incompétent de relever d’office son incompétence, il ne prévoit aucune disposition équivalente en cas de compétence. Rien dans le Règlement ne permet de considérer que le juge d’un État membre, saisi sur le fondement de l’article 4, doit rechercher d’office si sa compétence est acquise en application d’une autre règle, notamment de l’article 10 qui ne prévoit qu’une compétence subsidiaire. Cette asymétrie s’explique par le fait que l’objectif de la règle de l’article 15 est de faciliter la reconnaissance et l’exécution des décisions prises par une juridiction qui s’est reconnue compétente et d’éviter qu’il ne puisse être objecté ensuite dans un autre État membre qu’elle n’était en réalité pas compétente. Enfin, les règles sur les successions relèvent, au sens du Règlement, des droits disponibles, puisque cet instrument autorise les parties à convenir de la compétence par une convention d’élection de for (article 5) et retient la possibilité pour une juridiction de se déclarer compétente sur le fondement de la seule comparution (article 9). Il serait dès lors illogique que le juge soit tenu de relever un critère subsidiaire de compétence que les parties n’ont pas envisagé de soulever.
Doute raisonnable/renvoi à la CJUE d’une question préjudicielle. C’est ainsi que la Cour de cassation estime qu’il existe un doute raisonnable sur la réponse qui peut être apportée à la question soulevée, qui est déterminante pour la solution du litige qu’elle doit trancher. Il s’ensuit qu’il convient d’en saisir la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (N° Lexbase : L2581IPB) et, jusqu’à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475442
Réf. : Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (N° Lexbase : L2117LHU)
Lecture: 25 min
N5221BYZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jérôme Simon, magistrat
Le 25 Novembre 2020
Mots-clés : Parquet européen • procureurs européens • Parquet national financier • juridictions interrégionales spécialisées • Office européen de lutte contre la fraude • entraide internationale • intérêts financiers de l'Union
L’Union européenne disposera officiellement à compter du 20 novembre 2020 d’un nouveau bras armé chargé de coordonner l’action judiciaire au sein de 22 des 27 États membres en matière de lutte contre les atteintes financières au budget de l’Union : le Parquet européen. Ce focus propose une présentation de ce nouvel organe judiciaire européen, plus particulièrement concernant le statut, les compétences et les prérogatives dont seront dotés, en France, les procureurs européens délégués qui seront chargés, depuis Paris, de conduire les enquêtes et de mettre en œuvre les poursuites.
Le 28 septembre dernier, s’est tenue à Luxembourg une audience qui a posé un jalon historique dans le processus de création de l’Europe judiciaire.
Emmenés par leur nouvelle cheffe, vingt-deux procureurs européens ont prêté serment devant la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) d’exercer leurs fonctions « en pleine indépendance, dans l’intérêt de l’Union dans son ensemble, et à ne solliciter ni accepter aucune instruction d’aucune personne ou entité extérieure au Parquet européen » [1]. La tenue de cette audience marque symboliquement l’aboutissement d’un long processus engagé en 2001 par la Commission européenne avec la publication de son livre vert sur « La protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen » [2].
Ce processus s’est poursuivi par l’adoption en 2009 du Traité de Lisbonne relatif au fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoyant en son article 86 la faculté pour tout ou partie des États membres d'instituer un Parquet européen (N° Lexbase : L2738IP4).
Il a finalement abouti, le 12 octobre 2017, à l’adoption d'un règlement instituant une coopération renforcée et créant le Parquet européen [3].
Lorsque ce nouvel organe judiciaire entrera officiellement en vigueur, le 20 novembre 2020, il réunira vingt-deux États membres sur les vingt-sept que compte l’Union. Mais si l’on excepte l’Irlande et le Danemark – qui bénéficient de régimes dérogatoires en matière de coopération policière et judiciaire – cette coopération renforcée inédite en matière judiciaire réunira en réalité vingt-deux États membres sur vingt-cinq. Seuls manqueront ainsi à l’appel la Pologne, la Hongrie et la Suède. Il peut toutefois être relevé que le Premier ministre suédois a publiquement indiqué l'an dernier qu'il envisageait que son pays rejoigne, à terme, le Parquet européen [4].
I. L'organisation du parquet européen
Sur le plan organique, le Parquet européen se répartira entre deux niveaux : un niveau centralisé et un niveau déconcentré.
Concernant le niveau centralisé, la cheffe du Parquet européen, son directeur administratif et les vingt-deux procureurs européens désignés par les États membres participants à la coopération renforcée seront installés à Luxembourg, véritable capitale judiciaire de l’Union européenne.
Le Parquet européen sera dirigé par Laura Kovesi, ancienne procureure en chef de la Direcția Națională Anticorupție, le parquet national anticorruption roumain. Cette dernière a été nommée par le Parlement européen et le Conseil pour un mandat non-renouvelable d'une durée de sept ans [5]. Elle dispose à ce titre de garanties statutaires de nature à la protéger de toute forme de pression extérieure puisqu'il est prévu qu'elle ne pourra être révoquée que sur décision de la CJUE à la suite d’une requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission.
Laura Kovesi sera épaulée par deux adjoints ainsi que par un collège composé des vingt-deux procureurs désignés par chacun des États membres participants (parmi lesquels seront choisis lesdits adjoints) [6]. La France sera représentée au sein de ce collège par Frédéric Baab, un magistrat judiciaire qui dispose d'une solide maîtrise des rouages de la coopération judiciaire européenne pour avoir notamment été magistrat de liaison en Allemagne, conseiller auprès de la Représentation permanente française auprès de l'Union européenne à Bruxelles, conseiller diplomatique au cabinet de Christiane Taubira et enfin membre national français d'Eurojust à La-Haye.
Ce collège sera chargé du suivi général des activités du Parquet européen et de la définition de sa politique pénale mais n'aura pas de marges de manœuvres concernant la prise de décision dans des dossiers spécifiques. Cette compétence opérationnelle relèvera des chambres permanentes. Ces dernières seront composées de trois procureurs européens qui superviseront le déroulement des enquêtes et qui décideront des suites à leur donner, qu'il s'agisse d'un classement sans suite, d'une procédure de poursuite simplifiée (telle qu'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou une convention judiciaire d'intérêt public en France) ou d'un renvoi d'une affaire devant une juridiction nationale.
Au niveau déconcentré, le Parquet européen disposera du relai des procureurs européens délégués. Ceux-ci seront chargés, dans chaque État membre, du suivi opérationnel des enquêtes et de la mise en œuvre des poursuites à partir des orientations et des instructions qu'ils recevront des chambres permanentes. Le Règlement de 2017 prévoit qu'ils seront au minimum deux par État membre et qu'ils seront désignés par leurs États respectifs puis nommés par le collège du Parquet européen pour un mandat de cinq ans renouvelable. Le collège ne pourra refuser de nommer à ces postes les personnes désignées par les États que dans l'hypothèse où elles ne rempliraient pas les conditions requises par le règlement, à savoir être un membre actif du ministère public ou du corps judiciaire, offrir toutes les garanties d'indépendance et enfin disposer des qualifications requises et de l'expérience pratique pertinente.
Pour ce qui concerne la France, sur le plan matériel et humain, il est prévu que les procureurs européens délégués seront installés au sein du tribunal judiciaire de Paris où ils pourront se reposer sur le greffe, les assistants spécialisés et les fonctions support du Parquet national financier (PNF). Pour la réalisation de leurs enquêtes, ils pourront compter sur le savoir-faire de services spécialisés aux compétences déjà éprouvées dans le traitement de la grande délinquance économique et financière, notamment l'OCLCIFF [7], l'OCRGDF [8] ou encore le SEJF [9].
Sur le plan statutaire, les procureurs européens délégués français seront placés en position de détachement auprès du Parquet européen, comme le permet l'article 72 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature [10]. Cette mise en position de détachement sera prononcée par décret du président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Afin de permettre aux futurs procureurs européens délégués français d’exercer leurs missions, le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, actuellement en cours d'examen par le Parlement, prévoit de modifier le Code de procédure pénale, le Code de l’organisation judiciaire et le Code des douanes [11].
Ces modifications, déjà adoptées par le Sénat mais qui doivent encore être approuvées par l'Assemblée Nationale, ont pour objet premier de garantir la totale indépendance des procureurs européens délégués français qui ne pourront recevoir d’instruction que du Parquet européen.
Ils ne pourront donc pas recevoir d’instructions générales du ministre de la Justice ou d’instruction générales ou particulières du procureur général de Paris.
Ils continueront par ailleurs à bénéficier des garanties prévues par l'ordonnance de 1958 précitée, notamment la liberté de parole reconnue à l'audience aux magistrats du parquet.
II. Les prérogatives des procureurs européens délégués français
Les modifications envisagées dans le projet de loi procèdent par ailleurs aux adaptations procédurales nécessaires pour permettre aux futurs procureurs européens délégués français de conduire leurs investigations et d’exercer les poursuites devant les juridictions françaises.
Il serait trop long et fastidieux d'en dresser l'inventaire complet. Il peut toutefois être procédé ici à un résumé des principaux traits marquants de ce texte qui consacrent, selon les termes du Conseil d'État, l'avènement d'un « modèle inédit de ministère public » [12].
La première originalité résulte de ce que les procureurs européens délégués exerceront, outre les attributions classiquement dévolues à un procureur de la République, également celles d'un procureur général près la cour d'appel, y compris pour l'exercice des voies de recours (futur article 696-109 du Code de procédure pénale).
La seconde et principale originalité du dispositif réside dans le fait que ces mêmes procureurs européens délégués pourront recourir à des actes qui relèvent habituellement, en droit national, de la compétence des juges d'instruction.
Il est ainsi prévu qu'ils conduiront leurs investigations conformément aux dispositions applicables à l'enquête de flagrance, à l'enquête préliminaire et à celles du Code des douanes (futur article 696-113 du Code de procédure pénale) et qu'en tant que de besoin ils pourront, sous réserve de certains aménagements, conduire leurs investigations conformément aux dispositions applicables à l'instruction (futur article 696-114 du Code de procédure pénale).
Pour ce qui concerne plus particulièrement ce second cas de figure, il importe de souligner que les dispositions relatives au réquisitoire introductif et au réquisitoire supplétif, ainsi que les autres dispositions du Code de procédure pénal prévoyant que le ministère public adresse des réquisitions ou des avis au juge d'instruction, ne seront plus applicables. En effet, dans ce cadre, c'est la même personne qui assumera les attributions habituellement dévolues au ministère public et au juge d'instruction (futur article 696-116 du Code de procédure pénale).
Les procureurs européens délégués auront donc la faculté d'accomplir des actes et de prendre des décisions qui relèvent habituellement de la compétence du juge d'instruction. Ils se verront ainsi reconnaître la faculté de procéder à des mises en examen, à des interrogatoires et confrontations ou encore à l'audition de témoins, y compris sous le statut de témoin assisté (futur article 696-118 du Code de procédure pénale). Ils pourront également se prononcer sur la recevabilité des constitutions de partie civile, décider d'un transport, délivrer une commission rogatoire, demander des expertises et émettre certains mandats (mandat de recherche, de comparution ou d'amener). La décision de décerner un mandat d’arrêt relèvera quant à elle du juge des libertés et de la détention (JLD), à charge ensuite pour les procureurs européens délégués de les mettre à exécution sous la forme d’un mandat d’arrêt européen (futurs article 696-124 et 696-125 du Code de procédure pénale). De même, le placement en détention provisoire ou sous bracelet électronique restera de la compétence du JLD (futurs article 696-120 et 696-21 du Code de procédure pénale). En revanche, le placement sous contrôle judiciaire pourra être décidé directement par les procureurs européens délégués, le projet de loi prévoyant toutefois la possibilité pour l'intéressé de contester ensuite cette décision devant le JLD (futur article 696-119 du Code de procédure pénale).
Sauf cas de flagrance ou assentiment exprès de l'intéressé, les perquisitions, visites domiciliaires et saisies resteront conditionnées à l'octroi d'une autorisation du JLD (futur article 696-126 du Code de procédure pénale).
De même les écoutes téléphoniques, la géolocalisation, les enquêtes sous pseudonyme et le recours aux techniques spéciales d'enquête resteront décidées par le JLD, sauf dans les cas exceptionnels permettant déjà au procureur de la République d'y recourir en flagrance ou en préliminaire (futur article 696-127 du Code de procédure pénale).
Pour ce qui est des mesures conservatoires portant sur les biens des mis en cause, il est prévu que, sauf en matière de saisies bancaires, les saisies spéciales (saisies de patrimoine, saisies immobilières) devront également être ordonnées par le JLD (futur article 696-128 du Code de procédure pénale).
L'exercice par les procureurs européens délégués de l'ensemble de ces prérogatives sera toutefois contrebalancé par la nécessité, réaffirmée par l'article 41 du Règlement de 2017, de respecter les droits des parties tels que consacrés dans la Charte des droits fondamentaux, notamment le droit à un procès équitable et les droits de la défense, ainsi que tous les droits procéduraux que le droit interne applicable accorde aux parties à une procédure pénale.
La possibilité d'exercer les droits en question est effectivement reprise dans le projet de loi. Il en ressort que lorsque le procureur européen délégué conduira les investigations selon les dispositions applicables à l'instruction, les personnes mises en examen ou placées sous le statut de témoin assisté et les parties civiles exerceront l'intégralité des droits qui leur sont reconnus par le Code de procédure pénale au cours de l'instruction et pourront, à ce titre, notamment formuler une demande d'acte auprès du procureur européen délégué, présenter une requête en annulation ou former un recours devant la chambre de l'instruction (futurs article 696-129 à 696-131 du Code de procédure pénale).
Concernant le contrôle des actes de procédure réalisés par les procureurs européens délégués, l'article 42 du Règlement de 2017 indique qu'il appartiendra aux juridictions nationales d'en contrôler la régularité conformément aux règles processuelles applicables au niveau national, sous réserve des cas de compétence de la CJUE saisie à titre préjudiciel en application de l'article 267 du TFUE ou dans le cadre d'un recours en annulation en application du 4ème alinéa de l'article 263 du même traité.
Enfin, sur la question de la mise en œuvre de l'entraide internationale, les articles 31 et 32 du même règlement créent un cadre ad hoc de coopération entre procureurs européens délégués appartenant à des États membres distincts qui va au delà des instruments de reconnaissance mutuelle existant tels que la décision d'enquête européenne. La mise en œuvre de ce nouveau mécanisme de délégation vise à permettre au procureur européen délégué en charge d'une affaire d'accéder de manière plus rapide et simplifiée à des éléments de preuves disséminés sur le territoire d'un ou plusieurs autres États membres, en tant que de besoin après avoir sollicité une autorisation juridictionnelle soit dans l'État à l'origine de la demande soit dans l'État d'exécution.
III. Le champ de compétence du parquet européen
S'agissant du champ de compétence matériel du Parquet européen, il ressort de la lecture combinée des articles 4, 22, 25 et 27 du Règlement de 2017, que les procureurs européens délégués seront compétents pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union qui sont prévues par la « directive PIF » [13]. En pratique cela correspondra à des affaires d'escroquerie, de corruption, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance, de blanchiment et enfin à certains délits douaniers [14].
Mais toutes ces affaires n'auront pas vocation à être traitées par les procureurs européens délégués. Tout d'abord, parce qu’ils exerceront en la matière une compétence concurrente et non exclusive. Ensuite car il est prévu qu'ils ne se saisiront en principe que des faits de fraude portant sur des montants financiers d'une certaine ampleur.
S'agissant tout d'abord des fraudes ne portant pas sur la ressource TVA, il y aura lieu d'opérer une distinction selon que les faits en cause portent atteinte aux intérêts financiers de l'Union pour un montant supérieur ou inférieur aux seuils de 10 000 euros et 100 000 euros. Ainsi lorsque ce type de faits portera sur un préjudice supérieur à 100 000 euros, le Parquet européen disposera d'une compétence de principe pour en connaître. Lorsque de tels faits porteront sur un préjudice inférieur à 100 000 euros et supérieur à 10 000 euros, le Parquet européen pourra décider de s'en saisir eu égard au degré de gravité de l'infraction ou à la complexité de la procédure, ce en tenant compte en particulier de la nature de l'infraction, de l'urgence de la situation et de l'engagement des autorités nationales compétentes de prendre toutes les mesures nécessaires pour réparer intégralement le préjudice causé aux intérêts financiers de l'Union. Enfin, lorsque ce type de faits portera sur un préjudice inférieur à 10 000 euros, la compétence du Parquet européen ne pourra s'exercer que par exception, lorsque l'infraction en cause aura des répercussions à l'échelle de l'Union européenne ou en cas de mise en cause d'un fonctionnaire ou d'un agent ou d'un membre des institutions de l'Union.
S'agissant des escroqueries à la TVA, le Parquet européen ne pourra exercer sa compétence que lorsque deux conditions cumulatives seront réunies. En premier lieu, il conviendra de s'assurer que le préjudice total est d'au moins 10 millions d'euros [15]. En second lieu, les actes incriminés devront être en lien avec le territoire d'au moins deux États membres.
Enfin, seront également susceptibles de relever de la compétence du Parquet européen les infractions relevant de la participation à une organisation criminelle visant à commettre de telles infractions ainsi que pour toute autre infraction pénale connexe.
Il convient de noter que l'article 22 du Règlement de 2017 prend le soin de souligner expressément que les infractions pénales portant sur les impôts nationaux directs sont expressément exclues du champ de compétence du Parquet européen.
À terme, il n'est toutefois pas exclu que le Parquet européen puisse voir son champ de compétence étendu, le dernier alinéa de l'article 86 du TFUE prévoyant en effet la possibilité pour le Conseil ultérieurement d’« adopter une décision […] afin d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière ».
S'agissant du champ de compétence temporel du Parquet européen, il est prévu que les procureurs européens délégués seront compétents pour exercer leur compétence sur les faits commis à partir du 20 novembre 2017 (futur article 696-108 du Code de procédure pénale).
IV. L'articulation de l'action du parquet européen avec les juridictions nationales ainsi qu'avec les autres organes européens de lutte contre la fraude
Ainsi créé, le nouveau Parquet européen disposera d'un champ de compétence qui recoupera pour partie des investigations jusqu'alors exercées par les autorités judiciaires nationales françaises, qu'il s'agisse du PNF (compétent pour les faits d'escroquerie à la TVA, les atteintes à la probité de grande complexité et leur blanchiment ainsi que pour les faits de corruption internationale quel que soit le degré de complexité), des JIRS [16] (compétentes pour les affaires d'atteinte à la probité, les escroqueries, les abus de confiance, les délits douaniers et le blanchiment lorsque ces infractions présentent le caractère d'une grande complexité) et enfin des juridictions de droit commun (compétentes pour toutes les affaires d'atteintes à la probité, d'escroquerie, d'abus de confiance, de blanchiment et les délits douaniers ne présentant pas de complexité particulière).
Mais loin d'agir en concurrents, le Parquet européen et les autorités judiciaires nationales françaises devront apprendre à agir de concert et en complémentarité.
À cette fin, l'article 5 du Règlement de 2017 fait peser sur les autorités nationales une obligation générale d'assistance au profit du Parquet européen dans l'exercice de ses prérogatives. Son article 24 prévoit quant à lui que les autorités nationales seront tenues d'informer le Parquet européen de tout comportement délictueux à l'égard duquel celui-ci pourrait exercer sa compétence, y compris lorsqu'une enquête aura déjà été ouverte au niveau national afin de lui permettre d'exercer si besoin son droit d'évocation. Pour l'application de ces dispositions en droit français, le futur article 696-111 du Code de procédure pénale précise que les signalements au Parquet européen seront effectués par le procureur de la République compétent qui sera lui-même informé selon les modalités classiques prévues par le Code de procédure pénale (obligation pour les OPJ de l'informer des infractions dont ils ont connaissance au titre de l'article 19 du Code de procédure pénale, signalement par les fonctionnaires ou officier public au titre de l'article 40 du même code, information par le juge d'instruction des faits portés à sa connaissance en application de l'article 80 du même code). Il est intéressant de noter ici que cette obligation d'information des autorités judiciaires nationales au profit du Parquet européen perdurera dans le temps. L'article 27 dudit règlement précise en effet que, même lorsque ce dernier aura informé les autorités nationales de sa décision de ne pas exercer sa compétence, celles-ci devront néanmoins de nouveau l'informer en cas de découverte d'un élément nouveau susceptible de l'amener à revoir sa décision.
Afin de permettre au Parquet européen de se saisir des affaires qui lui seront signalées, le projet de loi prévoit que si un procureur européen délégué décide d'exercer sa compétence sur une infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le procureur de la République ou le juge d'instruction saisi d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire portant sur cette infraction devra alors se dessaisir à son profit (futur article 696-112 du Code de procédure pénale). En cas de difficultés, une procédure de résolution des cas de conflits de compétence positifs a été prévue par le législateur (futurs article 696-135 et 696-136 du Code de procédure pénale).
Concernant le cadre juridique applicable à l'issue d'un dessaisissement, logiquement, le futur article 696-115 du Code de procédure pénale précise que lorsque le procureur de la République se dessaisira au profit du Parquet européen, les investigations se poursuivront alors soit dans le cadre défini par le futur article 696-113 (c'est à dire selon les règles applicables pour les enquêtes de flagrance, préliminaire ou douanière) soit par le futur article 696-114 du Code de procédure pénale (c'est à dire selon les règles applicables pour l'information judiciaire). En revanche, quand le juge d'instruction sera amené à se dessaisir au profit d'un procureur européen délégué, les investigations devront alors nécessairement se poursuivre dans le cadre défini par le futur article 696-114 du Code de procédure pénale (c'est à dire selon les règles applicables pour l'information judiciaire).
Mais l'obligation d'information ne saurait être à sens unique. C'est ainsi que, réciproquement, pèsera sur le Parquet européen l'obligation, déclinée aux articles 24 et 26 du Règlement de 2017, d'informer les autorités judiciaires nationales de toute décision d'ouvrir ou de ne pas ouvrir une enquête dans une affaire susceptible de relever de sa compétence. L'article 39 du règlement dispose par ailleurs que lorsqu'une affaire sera classée sans suite, il appartiendra au Parquet européen de le notifier officiellement aux autorités nationales.
Enfin cette coopération et ces échanges mutuels d'information s'étendront également aux relations que devra entretenir le Parquet européen avec les autres organismes européens chargés de lutter contre la fraude aux intérêts financiers de l'Union que sont Eurojust, Europol et l'OLAF [17], respectivement pour favoriser une bonne coordination des enquêtes avec les États membres ne prenant pas part à la mise en œuvre du Parquet européen, pour signaler et analyser toute information pertinente au sujet d'infraction relevant de la compétence du Parquet européen et enfin pour permettre une coordination efficace et complémentaire entre enquête judiciaire et enquête administrative, tout particulièrement lorsque les faits en cause impliqueront du personnel de l'Union.
V. L'impact attendu de l'action du Parquet européen sur la lutte contre la délinquance en matière de fraude aux intérêts de l'Union commise sur le territoire français
Il ressort de l'analyse d'impact réalisée en 2013 à l'appui du dépôt de la proposition de règlement instituant le Parquet européen que le montant des fraudes affectant le budget de l'Union chaque année pourrait porter sur plusieurs millions d'euros. Compte tenu du caractère occulte de ce type de fraudes, il est toutefois délicat de disposer d'une évaluation fine à ce sujet, les estimations des pertes dues à ce type d'agissements se situant dans une fourchette allant de 1 à 20 % du budget global de l'Union au cours des dernières décennies [18]. Si aucune donnée chiffrée consolidée n'est disponible concernant l'ampleur du phénomène en France, il peut toutefois être noté que l'assiette financière sur laquelle de tels faits sont susceptibles d'être commis est particulièrement importante. La France est, avec 13,5 milliards d'euros de dépenses européennes reçus en 2017, le premier bénéficiaire des fonds européens, ceux-ci étant fléchés pour les deux tiers (9,2 milliards d'euros) vers la politique agricole commune [19].
En pratique, selon les données recueillies dans le cadre de l'étude d’impact réalisée par le Gouvernement à l'occasion du dépôt du projet de loi relatif au Parquet européen, le nombre de procédures concernées au niveau français peut être évalué à une centaine par an. Sur la période 2017/2018, la Chancellerie a ainsi recensé une quarantaine de procédures de ce type essentiellement suivies par le PNF et les JIRS de Marseille, Lyon, Nancy et Rennes, qui concernent pour une grosse moitié des faits d'escroquerie à la TVA (carrousels) dont le préjudice est supérieur à 10 millions d’euros et pour une petite moitié des suspicions de corruption, d'emplois fictifs ou de fraude aux subventions européennes. Par ailleurs, en 2018, une soixantaine de procédures administratives douanières ont été diligentées pour des délits douaniers relevant de la « Directive PIF » portant sur des montants supérieurs à 10 000 euros, en tant que tels susceptibles de relever dans l'avenir de la compétence du Parquet européen [20].
Comme le disait Robert SCHUMAN, « l'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait » [21].
Indubitablement, la création du Parquet européen fait partie de ces réalisations concrètes.
La nomination et l'entrée en fonction dans les mois qui viennent des procureurs européens délégués français permettra à cet égard de décliner sur le plan opérationnel une ambition commune au service d'une vision engagée et volontaire de la construction de l'Europe judiciaire.
Il faut espérer que, grâce à son action déterminée, le Parquet européen jouera bientôt un rôle central dans la lutte contre la délinquance économique et financière dans notre pays et en Europe, jusqu'à en devenir, pourquoi pas, un symbole du renouveau du projet européen.
Suggestions de la rédaction : [Actes de colloques] Les mutations du parquet (colloque du 4 octobre 2019 à Clermont) : Mutations du ministère public sous l’influence du parquet européen - Faisons un rêve…, O. Cahn, Lexbase Pénal, décembre 2019 (N° Lexbase : N1487BYQ) Projet de loi relatif au Parquet européen : décryptage et analyse, A. Botton, Lexbase Pénal, mars 2020 (N° Lexbase : N2610BYC) La protection extensible des intérêts financiers de l’Union européenne par le parquet européen, H. Christodoulou, Lexbase Pénal, mai 2020 (N° Lexbase : N2821BY7). |
[1] CJUE, Installation du Parquet européen, communiqué de presse n° 118/20, 28 septembre 2020 [en ligne].
[2] Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un procureur européen (COM [2001] 715 final/n° E 1912) [en ligne].
[3] Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (N° Lexbase : L2117LHU).
[4] Stefan Löfven, premier ministre de la Suède : « My government will propose to the Swedish Parliament that Sweden will join the European Public Prosecutor's Office to contribute in the fight against corruption and the embezzlement of EU funds », discours sur le futur de l’Europe prononcé à Bruxelles le 3 avril 2019.
[5] Décision (UE) 2019/1798 du Parlement européen et du Conseil, du 14 octobre 2019, portant nomination du chef du Parquet européen [en ligne].
[6] Frédéric Baab (France), Cătălin-Laurențiu Borcoman (Roumanie), Jaka Brezigar (Slovénie), Danilo Ceccarelli (Italie), Gatis Doniks (Létonie), Yvonne Farrugia (Malte), Teodora Georgieva (Bulgarie), Daniëlle Goudriaan (Pays-Bas), José Eduardo Guerra (Portugal), Petr Klement (République Tchèque), Tomas Krušna (Lituanie), Tamara Laptoš (Croatie), Katerina Loizou (Chypre), Ingrid Maschl-Clausen (Autriche), Juraj Novocký (Slovaquie), Andrés Ritter (Allemagne), Maria Concepción Sabadell Carnicero (Espagne), Gabriel Seixas (Luxembourg), Kristel Siitam-Nyiri (Estonie), Harri Tiesmaa (Finlande), Yves Van Den Berge (Belgique) & Dimitrios Zimianitis (Grèce).
[7] Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales.
[8] Office central pour la répression de la grande délinquance financière.
[9] Service d'enquête judiciaire des finances.
[10] Ordonnance n° 58-1270, du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature (N° Lexbase : L5336AGQ).
[11] Projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée adopté par le Sénat le 3 mars 2020 après engagement de la procédure accélérée et déposé à l'Assemblée Nationale le 4 mars 2020 [dossier législatif].
[12] Conseil d'Etat, Assemblée Générale, Avis sur un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, séance du 23 janvier 2020 [en ligne].
[13]Directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal (N° Lexbase : L3366LGR).
[14] Infractions douanières prévues aux articles 411 (N° Lexbase : L8531LHG), 412 (N° Lexbase : L4125LSL), 413 bis (N° Lexbase : L6023LMZ), 414 (N° Lexbase : L3192LC9), 415 (N° Lexbase : L4128LSP), 416 bis (N° Lexbase : L6524I3Z), 417 (N° Lexbase : L5831ISR), 423 (N° Lexbase : L1029ANG), 424 (N° Lexbase : L3196LCD), 425 (N° Lexbase : L1031ANI) et 426 (N° Lexbase : L4126LSM) du Code des douanes.
[15] Etant précisé que par « montant total du préjudice », on entend le préjudice estimé qui résulte de l'ensemble du système de fraude, tant pour les intérêts financiers des États membres concernés que pour l'Union, à l'exclusion des intérêts et des sanctions.
[16] Juridictions interrégionales spécialisées.
[17] Office européen de lutte contre la fraude.
[18] Parlement européen, Unité évaluation ex-ante de l'impact, Analyse d'impact (SWD (2013) 275 final, SWD (2013)274 final (résumé)) concernant une proposition de la Commission de règlement du Conseil portant création du Parquet européen (COM(2013)534 final), décembre 2013 [en ligne].
[19] P. Joly, Fraude aux fonds européens : l'Union européenne protège-t-elle efficacement ses intérêts financiers ? , Rapport d'information n° 674 (2018-2019), fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 juillet 2019.
[20] A noter toutefois que ladite étude d'impact prend le soin de souligner que la quasi-totalité les procédures administratives douanières en question ont été réglées par la voie transactionnelle douanière. Elle souligne par ailleurs que l'intentionnalité n'étant pas un élément constitutif de l'infraction douanière, il est difficile en l'état des qualifications prévues au Code des douanes de distinguer la part des procédures pouvant finalement entrer dans le champ de compétence du Parquet européen.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475221
Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 16 novembre 2020, n° 431159 (N° Lexbase : A676334A) et n° 437600 (N° Lexbase : A676634D), publiés au recueil Lebon
Lecture: 4 min
N5412BY4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Laïla Bedja
Le 25 Novembre 2020
► Eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés par les dispositions précitées à l'AFSSAPS, agissant au nom de l'État, en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l'État peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain ;
Il résulte des dispositions des Directives du 14 juin 1993 (Directive n° 93/42/CEE N° Lexbase : L7744AUD) et du 3 février 2003 (Directive n° 2003/12/CE N° Lexbase : L3511A9W), et de leur transpositions à l’article L. 5212-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1689ITQ), applicables aux prothèses en litige à compter du 14 juin 1998, que l'évaluation de la conformité d'un dispositif médical avec les exigences essentielles concernant la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des tiers, déterminées par la Directive du 14 juin 1993, relève, s'agissant de dispositifs tels que les implants mammaires, de la compétence de l'organisme désigné à cet effet par l'autorité compétente d'un État membre de l'Union européenne et choisi par le fabricant du dispositif ;
En revanche, il appartient aux autorités compétentes de chaque État membre, d'une part, de mettre en œuvre un dispositif de matériovigilance permettant de recenser et d'évaluer, de façon centralisée, les dysfonctionnements et altérations des caractéristiques ou des performances d'un dispositif susceptibles d'entraîner la mort ou une dégradation grave de l'état de santé d'un patient ou d'un utilisateur et les rappels de dispositifs par un fabricant pour ces raisons et, d'autre part, de prendre, au vu des informations ainsi recueillies ou dont elles auraient connaissance par d'autres moyens, toute mesure provisoire nécessaire à la protection de la santé ou de la sécurité des patients ou d'autres personnes.
Les faits et procédure. Les deux affaires concernent deux patientes qui se font fait implanter des implants fabriqués par la société PIP. À la suite d’une inspection dans les locaux de la société révélant l’utilisation d’un gel de silicone différent de celui indiqué dans le dossier de conception, l’AFSSAPS a décidé le 29 mars 2010, de suspendre la mise sur le marché, la distribution, l'exportation et l'utilisation de ces implants.
Conformément aux préconisations de l’agence, les patientes ont subi une explantation de ses prothèses à titre préventif.
Par un jugement du tribunal correctionnel, confirmé par la cour d’appel, elles ont été dédommagées de leur préjudice moral et d’anxiété par la société. Elles ont ensuite les tribunaux administratifs de Marseille et de Besançon. Le premier a rejeté la requête ; le second a accédé à la demandé. Des pourvois de la patiente et du ministre des Solidarités et de la Santé ont alors été formés.
Le Conseil d’État. Énonçant la solution précitée et identique aux deux affaires, la Haute juridiction annule le jugement du TA de Besançon et confirme celui du TA de Marseille. Sur le premier, en jugeant que le délai séparant le moment où l'agence avait eu connaissance d'une forte augmentation du nombre de signalements de matériovigilance concernant les implants fabriqués par la société PIP, soit en octobre et novembre 2019, et celui où elle avait sollicité de la société les éléments nécessaires pour procéder à une évaluation, soit le 18 décembre 2019, manifestait un manque de diligence de l'AFSSAPS dans l'exercice de son pouvoir de police sanitaire, constitutif d'une carence fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat, les premiers juges ont inexactement qualifié les faits de l'espèce, tels qu'ils les ont souverainement appréciés.
Si les affaires concernent deux jugements des tribunaux administratifs de Marseille et de Besançon, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 29 janvier 2019, n° 1800068 N° Lexbase : A5141YUX) avait le premier reconnu la faute de l’AFSSAPS en s’abstenant d’agir entre avril 2009 et le 18 décembre de la même année et engageant dès lors la responsabilité de l’État en matière de police sanitaire.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475412
Réf. : Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-21.469, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9462349)
Lecture: 2 min
N5445BYC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 30 Novembre 2020
► L’affichage en mairie a pour effet de faire courir le délai de recours contentieux contre la décision de préemption ; l’omission de cette seule formalité est sans incidence sur la validité de la décision elle-même.
En l’espèce, par acte du 17 avril 2015, les propriétaires de trois parcelles de terre avaient promis de les vendre à différents acquéreurs, en se réservant un usage de trois ans. Par lettre du 24 août 2015, la SAFER, informée par le notaire instrumentaire de cette intention d’aliéner, avait exercé son droit de préemption en proposant une réduction du prix. Par acte du 10 décembre 2015, les acquéreurs, ainsi que les vendeurs, avaient assigné la SAFER en annulation de la préemption et en indemnisation.
Annulation de la procédure de préemption. Ils avaient obtenu gain de cause devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, pour déclarer nulle la procédure de préemption, avait retenu que, si la préemption avait été effectivement notifiée tant aux acquéreurs qu’aux vendeurs, la SAFER n’avait pas envoyé d’analyse de sa décision au maire de la commune intéressée et que, disposant d’un droit exorbitant par rapport au droit de propriété, elle n’avait pas accompli la totalité de ses obligations de publication, une telle irrégularité devant être sanctionnée par la nullité de la procédure.
Cassation. Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui rappelle que, selon l’article L. 143-3 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L3373AEN), la SAFER doit, à peine de nullité, justifier sa décision de préemption et la porter à la connaissance des intéressés ; et selon l’article R. 143-6 du même code (N° Lexbase : L4772LAY), la décision de préemption motivée est notifiée au notaire et à l’acquéreur évincé, et une analyse de cette décision est adressée au maire de la commune intéressée en vue de son affichage en mairie pendant quinze jours.
Elle en déduit la solution précitée. Il faut alors comprendre que l’omission de la formalité de l’affichage en mairie, implique simplement que le délai de recours contentieux ne commence pas à courir.
Pour aller plus loin : cf. ETUDE : Le droit de préemption de la SAFER, in Droit rural (dir. Ch. Lebel), Lexbase, et plus spécifiquement, Délai d'action en contestation des décisions de préemption de la SAFER (N° Lexbase : E8874E9K) et Affichage en mairie (N° Lexbase : E8831E9X). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475445
Réf. : CAA de Versailles, 10 novembre 2020, n° 19VE02497 (N° Lexbase : A812834S)
Lecture: 3 min
N5396BYI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie-Claire Sgarra
Le 25 Novembre 2020
► Les plus-values de cession d’immeubles qui ne s’inscrivent pas dans le modèle économique de l’entreprise sont exclues du chiffre d’affaires.
Les faits. Une société dont le siège est situé en Allemagne, a pour activité en France l'administration et la gestion d'immeubles, pour le compte de fonds d'investissements. Saisi par la société, le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 2 juin 2015, prononcé la décharge de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés qu'elle a spontanément acquittée, sur le fondement de l'article 235 ter ZAA du Code général des impôts (N° Lexbase : L9725I3L) au titre de l'exercice clos en 2012 et rejeté sa demande de décharge présentée au titre de l'année 2011.
La cour administrative d'appel de Versailles a confirmé cette solution (CAA Versailles, 1er juin 2017, n° 15VE02458 N° Lexbase : A2899WGH). Le Conseil d'État a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d’appel de Versailles (CE 9° et 10° ch.-r., 10 juillet 2019, n° 412968, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6821ZIH).
Le Conseil d’État avait confirmé sa jurisprudence précédente (CE 8° et 3° ssr., 9 décembre 2016, n° 396160, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4020SPL) en rappelant qu’il convient de prendre en compte non seulement le chiffre d’affaires réalisé en France, mais également le chiffre d’affaires réalisé hors de France. Puis, le Conseil d’État avait jugé que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si les cessions d’immeubles en cause s’inscrivaient dans le modèle économique de l’entreprise.
Lire en ce sens : F. Chidaine, Chiffre d’affaires au sens de l’article 235 ter ZAA du Code général des impôts, Lexbase Fiscal, juillet 2019, n° 792 (N° Lexbase : N0045BYC). |
Principe. Aux termes de l’article 235 ter ZAA du Code général des impôts, les redevables de l’impôt sur les sociétés qui réalisent plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à 10,7 % de l’IS calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés à l’article 219 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6218LUT). Cette contribution exceptionnelle s’applique au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2011 et jusqu’au 30 décembre 2016.
Solution. « […] nonobstant le caractère récurrent des cessions en cause ainsi que leur importance et leur nombre, la réalisation de ces plus-values suite à la cession d'immeubles ne fait pas partie du modèle économique de la société requérante, et ne peut, dès lors, être regardée comme entrant dans l'activité normale et courante de la société. Par suite, ces plus-values revêtent le caractère de produits exceptionnels […] ».
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475396
Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 14 octobre 2020, n° 421524, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A65823X3)
Lecture: 13 min
N5404BYS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Clémence Piroth et Guillaume Massé, Avocats à la Cour, D’Alverny Avocats
Le 10 Décembre 2020
L’arrêt du Conseil d’État du 14 octobre 2020 juge non applicable l’imposition de la quote-part de frais et charges (égale à 12 % de la plus-value) aux sociétés étrangères qui réalisent une plus-value sur la cession de titres de participation détenus dans une société française.
Les gains de cession de titres de participation réalisés par des sociétés de capitaux françaises sont, de facto, soumis à une imposition très réduite au taux de 3,36 % correspondant à une réintégration d'une QPFC de 12 % dans un résultat imposé à 28 %.
Au regard de la loi, la situation des sociétés non-résidentes est différente. En effet – sous réserve que la convention fiscale applicable confère le droit d’imposer au pays de la société cédée (situation fréquente pour les participations substantielles dans les conventions récentes conclues par la France) – elles sont soumises, sur leurs gains de source française à un prélèvement spécial liquidé au taux de « droit commun » de l'IS de 28 %. Dans ce contexte, les sociétés UE non-résidentes se trouvaient surtaxées en violation du droit de l'UE, même si la doctrine administrative a prévu une "élimination" de la différence de traitement résultant de la loi.
Dans une décision du 14 octobre 2020, le Conseil d’Étal invalide l'imposition partielle maintenue, à la charge des sociétés européennes non-résidentes, sur cette base exclusivement doctrinale. Celles-ci ne supportent donc actuellement aucune imposition à raison de leurs plus-values sur titres de participation de source française.
I. Faits et procédure
La société AVM International Holding, qui a son siège social en Italie, a cédé le 16 novembre 2011, des actions de la société française AR Technology et a acquitté, sur la plus-value réalisée, le prélèvement libératoire de 19 % (en vigueur à cette époque), prévu par l’article 244 bis B du Code général des impôts (N° Lexbase : L6256LUA), à hauteur de 505 716 euros.
Par une réclamation du 15 janvier 2013 restée vaine, la société a demandé le remboursement du surplus, soit la somme de 88 633 euros, en raison de son caractère discriminatoire et contraire au principe de la liberté d'établissement garanti par le droit de l'Union européenne, en soutenant notamment (i) son caractère discriminatoire et (ii) le fait qu’il est contraire au principe de liberté d’établissement de l’UE.
Le 16 juin 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise [1] faisait droit à sa demande.
Toutefois, par son arrêt du 5 avril 2018 [2], la cour administrative d'appel de Versailles annulait le jugement, et remettait à sa charge la somme litigieuse
AVM se pourvoyait en cassation contre cet arrêt.
II. Rappel du droit
L’article 244 bis A du CGI (N° Lexbase : L6254LU8) met à la charge des sociétés résidentes étrangères un prélèvement libératoire sur la plus-value qu’elles réalisent.
En effet, selon l’article 244 bis B du CGI, les plus-values de cession de participations substantielles dans une société française réalisées par les non-résidents sont imposables en France, lorsque le cédant a détenu, à un moment quelconque au cours des 5 années précédant la cession, plus de 25 % du capital. Ce prélèvement est égal soit à l’impôt sur les sociétés au taux de 28 % lorsque le cédant est une personne morale non transparente, soit à l’impôt sur le revenu au taux de 12,8 % lorsque le cédant est une personne physique ou une société de personnes fiscalement translucide.
Toutefois, une tolérance résultant d’un BOI de 2008 [3] permet à une société étrangère, comme une société française, d’être imposée sur un montant égal seulement à la quote-part de frais et charges, réduisant ainsi le prélèvement du 244 bis à la QPFC, sous réserve que la société étrangère remplisse les conditions du Bofip précité.
Cette doctrine administrative prévoit une réduction de cette imposition pour les sociétés établies dans l’UE. Ainsi, lorsque la société démontre (i) avoir acquitté l’imposition prévue (prélèvement libératoire) à l’article 244 bis B CGI, (ii) qu’elle est soumise à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés français, (iii) qu’elle détient les titres de manière directe et continue depuis au moins 2 ans, elle est en droit de demander une restitution (par voie contentieuse) de l’imposition qui excède l’impôt sur les sociétés dont elle aurait été redevable si elle avait été résidente de France (BOI-IS-RICI-30-20 n° 125 à 129 N° Lexbase : X5388AL7). La restitution est égale à la différence entre le montant de l'imposition prévue à l'article 244 bis B du CGI et cet impôt théorique, soit à 12 % de 28 % (ce qui revient à appliquer la quote-part de frais et charges de 12 % applicables aux sociétés françaises).
Cette doctrine fiscale traduit l’opinion implicite du MINEFI quant au caractère incompatible du prélèvement de l’article 244 bis B au regard des libertés de circulation et d’établissement, en permettant l’application aux sociétés étrangères du régime dit « long terme » applicable aux plus-values sur cession de titres de participation [4] détenus depuis plus de deux ans, codifié à l’article 219 du CGI (N° Lexbase : L6218LUT).
L’article 219 I, a, quinquies du CGI prévoit que les plus-values à long terme réalisées sur la cession de titres de participations sont imposées au taux de 0 % (donc exonérées) sous réserve de la réintégration d’une quote-part de frais et charges de 12 % [5], laquelle correspond à un mode forfaitaire de neutralisation des charges liées aux titres dont la plus-value est exonérée. Cette quote-part est réputée correspondre aux frais d’acquisition, de gestion et de cession des titres dont la cession est exonérée, ce qui suppose que parallèlement ces charges engagées pour l’acquisition d’un revenu exonéré, ne soient pas déduites du résultat fiscal.
Les gains de cession de titres de participation réalisés par des sociétés de capitaux françaises sont de facto soumis à une imposition très réduite de 3,36 %, correspondant à une réintégration d'une QPFC de 12 % dans un résultat imposé à l’impôt sur les sociétés au taux de 18 %.
III. Contenu de l’arrêt du 14 octobre 2020
Le Conseil d’État juge d’abord que les dispositions de l’article 244 bis B du CGI méconnaissent les principes de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux (TFUE, arts. 49 N° Lexbase : L2697IPL et 65 N° Lexbase : L2715IPA) car elles instituent une imposition supérieure pour les personnes morales ayant leur siège hors de France par rapport aux sociétés françaises.
Il juge ensuite que la doctrine administrative précitée (BOI 4-B-1-08 n° 36 du 04 avril 2008) fondée sur les dispositions législatives de l’article 244 bis B CGI – et qui prévoit que les sociétés situées hors de France peuvent obtenir la restitution partielle de l’imposition mise à leur charge à hauteur de la part du prélèvement qui excède l’impôt sur les sociétés dont elles auraient été redevables si elles avaient été résidentes de France – est elle-même inapplicable.
Dans son considérant de principe [6], le juge de cassation commence par rappeler les doubles prérogatives du pouvoir réglementaire.
Le pouvoir réglementaire dispose du pouvoir, sous le contrôle du juge, d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, pour donner à la loi – dans tous les cas où la loi se trouve dans le champ d'application d'une règle du droit de l'Union européenne – une interprétation qui, dans la mesure où le texte de la loi le permet, soit conforme au droit communautaire. En outre, dans l'hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles du droit de l'UE, il appartient aux ministres (pouvoir réglementaire également) de donner instruction à leurs services de ne pas faire application d’une loi contraire au droit communautaire.
En revanche, le Conseil d’État pose des limites aux prérogatives du pouvoir réglementaire, en estimant qu’une telle incompatibilité (entre loi et droit communautaire) n’est pas un fondement juridique habilitant le pouvoir réglementaire à édicter des dispositions de caractère réglementaire qui se substitueraient à ces dispositions législatives.
En conséquence, la Cour, en déduisant de l'incompatibilité des dispositions de l'article 244 bis B du CGI avec le droit de l'UE que l'imposition mise à la charge de la société AVM sur le fondement de l’article 244 bis B pouvait être limitée à la seule fraction des impositions permettant d'assurer la neutralité de l'imposition au regard des libertés garanties par le TFUE [7] – alors que (i) cette incompatibilité ne peut donner lieu qu'à la décharge de l'imposition incompatible avec le droit communautaire, et (ii) en estimant, au surplus, qu'en procédant ainsi l'administration fiscale avait fondé l'imposition maintenue sur des dispositions législatives interprétées au regard des exigences du droit de l’Union Européenne, alors même que l'administration entendait faire application d'une instruction fiscale insusceptible de fonder une imposition – a commis une erreur de droit.
En conséquence, le Conseil d’État juge que l’imposition partielle, maintenue à la charge de sociétés situées hors de France mais résidentes de l’Union Européenne, n’ont à supporter aucune imposition au titre de la plus-value réalisée sur la cession de titres de participation de source française.
En conclusion, la quote-part de frais et charges de 12 % (maintenue par la doctrine administrative) ne peut être appliquée sur les plus-values de cession de titres de participation français détenus par un actionnaire étranger.
IV. Conséquences et portée de l’arrêt
Le Conseil d’État déclare inapplicable la doctrine administrative de 2008 précitée et rappelle que, si l’administration peut réaliser des interprétations pour rendre des lois compatibles avec une norme supérieure, elle ne saurait pas pour autant édicter des règles d’imposition, dont la compétence relève exclusivement du Législateur. Or, en l’espèce, l’administration fiscale ne s’est pas bornée à interpréter un texte de loi, mais elle a édicté une nouvelle règle imposition.
Comme l’aurait souligné le rapporteur public Laurent Domingo dans ses conclusions « à défaut de pouvoir interpréter, il faut écarter ».
La décision du Conseil d’État du 14 octobre 2020 semble pouvoir être étendue aux sociétés étrangères (résidentes hors de l’Union Européenne).
En effet, la cour administrative d’appel de Versailles, dans un arrêt du 20 octobre 2020, « Runa Capital Fund I LP » [8], a annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil, qui avait conclu à l’application du prélèvement de 45 % sur la plus-value réalisée par une société située aux Iles Caïmans, sur le fondement de la clause de gel prévue par l’article 64 TFUE (N° Lexbase : L2714IP9) [9]. La cour juge que ladite clause ne pouvait pas s’appliquer dès lors que le dispositif était contraire à la restriction à la liberté de circulation des capitaux (existant depuis le 31 décembre 1993).
En conséquence, les sociétés étrangères dans une situation identique devraient pouvoir déposer une réclamation contentieuse pour les exercices encore non prescrits au titre desquels elles ont subi l’imposition de la quote-part de frais et charges (égale à 12 % de leur plus-value), à l’occasion de cessions réalisées depuis le 1er janvier 2018. En effet, l’article R*196-1 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L4380IXI) précise que les décisions juridictionnelles révélant la contrariété d’un texte de loi à une supérieure ne sont plus un évènement susceptible de rouvrir un délai de réclamation contentieuse.
D’autre part, cette situation semble entraîner mécaniquement une discrimination à rebours à l’égard des sociétés françaises, dans la mesure où les sociétés françaises recevraient un traitement fiscal défavorable par rapport aux sociétés étrangères, et devraient obligatoirement réintégrer dans leur base d’imposition la quote-part de frais et charges de 12 %.
Cette situation de discrimination à rebours n’est pas nouvelle et se caractérise par une différence de traitement (discrimination) pénalisant un contribuable français vis-à-vis d’un contribuable européen ou étranger.
Dans ce sens, on peut citer à titre d’exemple la jurisprudence Denkavit [10] de 2007, où le rapporteur public indiquait que cette décision avait « pour effet paradoxal de créer une petite discrimination à rebours, au détriment cette fois des sociétés mères françaises », s’agissant de l’application d’une retenue à la source de 5 % sur des dividendes perçus par une société mère néerlandaise de sa filiale française.
En effet, il est rappelé que des discriminations à rebours peuvent naître notamment dans les cas où une loi française est incompatible avec le droit européen, le juge national devant ainsi écarter la loi nationale au profit de la norme supérieure, ce qui ne signifie pas pour autant que la loi nationale incompatible disparait de l’ordre juridique. En conséquence, tant que la loi nationale n’a pas été réformée, elle demeure telle que votée.
Il est toutefois possible de s’interroger sur les chances de succès, à ce jour, des contribuables nationaux devant le Conseil constitutionnel et l’on peut penser que « la probabilité est désormais réduite que le juge constitutionnel sanctionne des discriminations à rebours » [11], au vu des jurisprudences récentes rendues en la matière [12] et postérieures à la jurisprudence (favorable) « Métro Holding » [13]. En effet, par rapport à la jurisprudence « Métro Holding » où le juge avait retenu une interprétation étroite de l’objet de la loi, ces jurisprudences récentes retiennent une conception plus large de l’objet de la loi, de sorte que la discrimination causée n’est pas en contradiction avec l’objet largement entendu de la loi.
Pour conclure, cet arrêt du 14 octobre 2020, comme d’autres avant, devrait amener les contribuables à critiquer plus systématiquement les commentaires administratifs (Bofip) lorsque ceux-ci rajoutent à la loi.
[1] TA Cergy Pontoise, 16 juin 2016, n° 1309447 (N° Lexbase : A6389XL9).
[2] CAA Versailles, 5 avril 2018, n° 16VE02835 (N° Lexbase : A3463XLT).
[3] BOI 4 B-1-08 du 4 avril 2008.
[4] Les titres de participation sont des titres dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. Les titres détenus par la société doivent donc représenter une fraction d’au moins 5 % du capital d’une société et être détenus depuis au moins 2 ans.
[5] Initialement à compter du 1er janvier 2007, le montant net des plus-values de cessions des titres de participation était soumis à une quote-part de frais et charges au taux de 5 %, puis au taux de 10 % à compter du 1er janvier 2011 et enfin au taux de 12 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012.
[6] § 4 de l’arrêt.
[7] Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
[8] CAA Versailles, 20 octobre 2020, n° 18VE03012 (N° Lexbase : A58533YG).
[9] La « clause de gel » de l'article 64 du TFUE autorise en effet les États membres à maintenir une restriction à la liberté de circulation des capitaux lorsque (i) la restriction existait au 31 décembre 1993 et (ii) concerne des investissements directs, y compris les investissements immobiliers.
[10] CE 9° et 10° ssr. 6 avril 2007, n° 235069, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4486DEU).
[11] G. Blanluet, Discriminations à rebours – Discriminations à rebours : pour elles sonne le glas ?, Droit fiscal n° 28, 9 juillet 2020, n° 302.
[12] Cons. const., décision n° 2019-832/833 QPC, du 3 avril 2020 (N° Lexbase : A56883KU) ; Cons. const., décision n° 2016-615 QPC, du 9 mars 2017 (N° Lexbase : A6456TUN) ; Cons. const., décision n° 2019-813 QPC, du 15 novembre 2019 (N° Lexbase : A2402ZYM).
[13] Cons. const., décision n° 2015-520 QPC, du 3 février 2016 (N° Lexbase : A4423PA3).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475404
Réf. : Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n° 19-13.642, F-P+B+I (N° Lexbase : A944934Q)
Lecture: 4 min
N5406BYU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 25 Novembre 2020
► La Haute juridiction vient de se prononcer sur la recevabilité de deux déclarations d’appel formées par une même partie, le même jour, chacune d’elle critiquant des chefs distincts de la décision ; l’article 901 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9351LTI) énonce que la déclaration d’appel est un acte qui doit contenir à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf dans le cas où l’appel tend à l’annulation de la décision, ou dans le cas où l’objet du litige est indivisible ; la régularisation d’une déclaration d’appel, nulle, erronée ou incomplète est possible, par une nouvelle déclaration d’appel diligentée durant le délai pour conclure ; en conséquence, cette nouvelle déclaration d’appel peut étendre la critique du jugement à des chefs non critiqués dans la première, sans qu’un acquiescement aux chefs du jugement non critiqués dans la première déclaration d’appel ne puisse être déduit de cette omission ; la cour d’appel reste donc saisie de la critique des chefs du jugement mentionnés dans la première déclaration d’appel auxquels sont ajoutés ceux de la seconde.
Faits et procédure. Dans le cadre d’un litige portant sur le licenciement d’une salariée et dont l’employeur, du fait de son décès était représenté par un mandataire, une formation des référés d’un conseil de prud’hommes a rendu une ordonnance le condamnant à remettre sous astreinte les documents sociaux à la salariée. Cette dernière a saisi la formation des référés en liquidation de l’astreinte. En parallèle, le mandataire a également saisi ladite formation afin de voir ordonner le rapport de l’ordonnance. Le juge des référés a rendu une ordonnance, prononçant la jonction des deux procédures et rejetant la demande de liquidation de l’astreinte. La salariée a interjeté appel de cette décision, par deux déclarations d’appel datées du même jour, visant chacune une partie des chefs du dispositif de l’ordonnance. Deux arrêts ont été rendus par la cour d’appel, et l’intimé a formé deux pourvois à leur encontre.
Seul, un des deux arrêts fait l’objet du présent pourvoi.
Le pourvoi. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt rendu le 14 janvier 2019, par la cour d'appel de Pau, d’avoir violé les articles 367 (N° Lexbase : L2213H4Q) et 901 du Code de procédure civile, en infirmant l’ordonnance prononcée le 14 août 2018 par la juridiction de première instance et dire qu’il n’y avait lieu de rapporter l’ordonnance prononcée le 7 mars 2018 par la formation des référés du conseil de prud’hommes de Bayonne, déclarant qu’elle était pleinement exécutoire.
Dans un premier temps, l’intéressé énonce qu’une même décision ne peut faire l’objet d’un appel unique de la part d’une même partie, et le fait que la décision soit rendue à l’issue de la jonction de deux instances n’a pas d’importance. En l’espèce, les juges d’appel ont jugé le contraire, relevant que la jonction avait conservé l’autonomie des deux procédures jointes, concernant l’exercice des voies de recours. En conséquence, la cour d’appel a retenu la recevabilité du second appel, au même titre que le premier.
Dans un second temps, l’intéressé énonce que la déclaration d’appel doit énoncer les chefs du jugement expressément critiqués, dont l’appel se limite, sauf dans le cas d’une indivisibilité de l’objet du litige. Le demandeur indique que la déclaration d’appel vaut acquiescement aux chefs du jugement non visés dans la déclaration. En l’espèce, la cour d’appel a retenu qu’il ne pouvait être déduit que la première déclaration d’appel, qui se limitait à la liquidation de l’astreinte, valait un quelconque acquiescement au dispositif de l’ordonnance attaquée, accueillant ainsi le second appel formé par l’appelante.
Dans un troisième temps, l’intéressé énonce que la rectification d’une déclaration d’appel est possible dans le délai d’appel, néanmoins, la déclaration d’appel rectificative se substitue nécessairement à la première. En conséquence, la cour d’appel saisie ne peut statuer que sur les chefs critiqués indiqués dans la déclaration rectificative. En l’espèce, la cour d’appel a statué sur les demandes formées par l’appelante dans ses deux déclarations.
Réponse de la Cour. Après avoir énoncé les solutions précitées, la Cour suprême, relève que la cour d’appel avait été valablement saisie, et que la seconde déclaration d’appel s’incorpore à la première. Les Hauts magistrats, énoncent que la cour d’appel a légalement justifié sa décision.
Solution. Le pourvoi est rejeté par la Cour suprême.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475406
Réf. : Ordonnance n° 2020-1400, du 18 novembre 2020, portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés (N° Lexbase : L7048LYP) et décret n° 2020-1405, du 18 novembre 2020, portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale (N° Lexbase : L6932LYE)
Lecture: 30 min
N5454BYN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Rudy Laher et Charles Simon, Professeur à l’Université de Limoges et Avocat au barreau de Paris
Le 01 Décembre 2020
Mots-clés : procédure civile • covid-19 • période dérogatoire • juge unique • renvoi d’audience • audiences à distance • procédures sans audience • échanges • contradictoire • décision
Et encore un texte de procédure civile ! Entre la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (N° Lexbase : L6740LPC), ses décrets d’applications et les différentes ordonnances adoptées dans le cadre de la première vague de l’épidémie, les praticiens ont de quoi éprouver une certaine fatigue. En plus des difficultés pratiques de trésorerie ou de gestion de personnel, ils ont dû s’adapter à un déluge de nouvelles règles procédurales dont la qualité de rédaction laisse parfois dubitatif. L’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés (N° Lexbase : L7048LYP) et le décret n° 2020-1405 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale (N° Lexbase : L6932LYE) s’ajoutent à cette triste pile. Heureusement, dépourvus de toute grande innovation, ces textes seront, sans doute, plus faciles à assimiler que les précédents grâce à la subtile technique normative… du copier-coller.
À dire vrai, le second confinement décidé par le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 (N° Lexbase : L5637LYG) et en vigueur depuis le 30 octobre 2020 est beaucoup moins strict que le précédent. Le garde des Sceaux ayant affirmé que les Français « ne peuvent se passer du service public de la justice » [1], il n’était pas question de fermer les tribunaux. Par rapport au premier confinement, il est d’ailleurs notable que l’activité juridictionnelle ne s’est pas limitée – cette fois-ci – aux contentieux dits « essentiels » dont la majeure partie des litiges civils ne faisaient pas partie [2]. Ledit décret autorise donc les déplacements des justiciables pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative ou pour se rendre dans un service public ou chez un professionnel du droit, pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance. Il permet aussi aux salles d’audience de recevoir du public.
Après avoir présenté les textes prévoyant ces règles dérogatoires (I), il faut identifier leur période d’application (II) et les différents aménagements consacrés, qu’ils concernent le fonctionnement des juridictions (III), les échanges (IV) ou l’audience (V).
I. Des règles… pas si nouvelles !
Les aménagements juridiques proposés ou imposés pour ce second confinement en matière de justice civile découlent de trois textes : la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (N° Lexbase : L6696LYN) (1), d’une part ; l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés et le décret n° 2020-1405 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale (2), d’autre part.
1) Le texte fondateur : la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020
Le texte habilitant le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance pour aménager le fonctionnement de la justice civile n’est pas évident à première vue.
Il s’agit de l’article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 qui habilite le Gouvernement à prendre jusqu’au 16 février 2021, « toute mesure relevant du domaine de la loi en vue de prolonger ou de rétablir l’application des dispositions prises, le cas échéant modifiées, par voie d’ordonnance et à procéder aux modifications nécessaires à leur prolongation, à leur rétablissement ou à leur adaptation à l’état de la situation sanitaire ».
Cet article 10 renvoie notamment au I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT) afin de déterminer les matières dans lesquelles le Gouvernement peut intervenir. Certains alinéas de ce I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 sont exclus. Le c du 2° n’en fait pas partie, ce dont on conclut, à l’issue de cette gymnastique intellectuelle, que le gouvernement est habilité à prendre les mesures « adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ».
Sur cette base, le Gouvernement a adopté trois ordonnances et trois décrets pour adapter les procédures et le fonctionnement des juridictions administratives, des juridictions judiciaires statuant en matière pénale et des juridictions judiciaires statuant en matière non pénale. L’expression de matière « non pénale » est peu courante dans les textes français où l’on a plutôt coutume de parler de matière « civile », lato sensu. Cette expression avait déjà été employée dans les textes adoptés au premier semestre 2020, et notamment par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété (N° Lexbase : L5722LWT). On peut donc, sans trop de risques, se fier à la circulaire d’application de l’époque [3] selon laquelle le régime dérogatoire s’applique en matière civile, commerciale, sociale, fiscale, mais aussi en matière disciplinaire.
2) L’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1405 du 18 novembre 2020
Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, le Professeur Vergès avait souligné, dans ces colonnes, que le recours à une ordonnance constituait une « voie atypique » en procédure civile [4]. Certes, quelques dispositions du texte pouvaient se rapporter à des questions de compétence juridictionnelle qui relève du domaine de la loi mais, pour l’essentiel, les mesures adoptées étaient de pure procédure civile et donc relevait, en principe du domaine réglementaire. Comme le soulignait cet auteur, « Il aurait donc été plus judicieux d’avoir recours au règlement pour établir ce régime dérogatoire. Une fois ratifiée, l’ordonnance aura une valeur législative et, par conséquent, elle sera théoriquement inapte à modifier le Code de procédure civile » [5]. Malheureusement, il n’a été entendu qu’à moitié et les nouvelles dispositions relatives à la procédure civile ont été réparties entre une ordonnance et un décret sans toujours beaucoup de cohérence, certaines dispositions semblant même faire doublon : l’article 4 de l’ordonnance autorise le président de la juridiction à imposer le juge unique en première instance et en appel ; l’article 3 du décret autorise de façon similaire le juge de la mise en état ou le juge rapporteur à imposer le juge unique en procédure écrite ordinaire devant le tribunal d’instance, en procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel. L’article 3 du décret autorise également le président du tribunal de commerce à faire de même alors qu’il tient déjà ce pouvoir de l’article 4 de l’ordonnance. Outre une logique que l’on peine à trouver, la lecture n’en est donc pas facilitée !
Sur le fond, il ne faut pas non plus appliquer de distinction trop nette entre l’ordonnance n° 2020-1400 et le décret n° 2020-1405 car ils ne font, pour l’essentiel, que reprendre la plupart des dispositions de l’ordonnance n° 2020-304 [6] prise à l’occasion du premier confinement, sans véritablement innover sauf dans de rares hypothèses.
Les praticiens devront également être vigilants sur ce que les nouveaux textes ne reprennent pas. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, toutes les dérogations mises en place lors du premier confinement ne sont pas permises aujourd’hui. On relèvera ainsi que la mesure très controversée de « filtrage » des référés ne figure pas dans les nouveaux textes. La critique des auteurs qui soulevaient un risque d’atteinte au principe du contradictoire et à la règle du double degré de juridiction a sans doute été entendue [7]. Les décisions ne pourront pas, non plus, être portées à la connaissance des parties ou des personnes intéressées « par tout moyen » comme le prévoyait l’article 10 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020. Enfin, et surtout, aucun moratoire sur les délais n’a été envisagé. On ne retrouve donc nulle trace des règles de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5730LW7) dans les nouveaux textes. Cette absence de régime dérogatoire pour les délais de procédure s’explique par le fait que le deuxième confinement est plus léger et que les juridictions continuent à traiter tous les contentieux.
II. La période d’application
Les différents aménagements envisagés par l’ordonnance n° 2020-1400 et le décret n° 2020-1405 ont une vocation temporaire.
La date de départ découle de la formulation des articles premier des deux textes. Il y est indiqué que les dérogations « s’appliquent aux instances en cours le lendemain du jour de la publication de la présente ordonnance ». Il faut donc en déduire que leur période d’application commence le 20 novembre 2020 (lendemain de leur publication au Journal officiel du 19 novembre 2020). Par rapport au premier confinement, il est intéressant de remarquer que la période d’application à une date de départ qui peut sembler bien tardive : elle commence trois semaines après le début du deuxième confinement là où la « période juridiquement protégée » de l’ordonnance n° 2020-304 commençait cinq jours avant le début du premier confinement.
Cela s’explique sans doute par le fait qu’il ne s’agit pas de protéger les droits des parties qui auraient été empêchées d’agir par la situation sanitaire mais d’aménager le fonctionnement des juridictions et le cours des instances pendantes devant elles, ce qui n’est possible que pour le futur. À l’inverse, dans un autre domaine, l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 crée une protection de certains locataires commerciaux à compter du 17 octobre 2020, soit rétroactivement. Nous sommes donc bien face à des facilités que l’administration s’accorde à elle-même pour le futur, sans pouvoir les faire rétroagir.
La date de fin découle également des mêmes textes. Il y est indiqué que « les dispositions du présent titre sont applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 susvisé, et prorogé dans les conditions prévues par l’article L. 3131-13 du code de la santé publique ». Pour l’heure, la cessation de l’état d’urgence sanitaire a été fixée au 16 février 2021. Sauf prolongation ou fin anticipée de l’état d’urgence sanitaire, ces textes s’appliqueront donc jusqu’au mardi 16 mars 2021 inclus.
Il pourrait éventuellement y avoir un débat ici pour fixer la date de fin au lundi 15 mars 2021 inclus en application de la jurisprudence de la Cour de cassation qui exclut les règles de computation des délais issues du Code de procédure civile, en particulier la computation de quantième à quantième des délais exprimés en mois, pour tout ce qui n’est pas acte de procédure (Cass. civ. 1, 12 décembre 2018, n°17-25.697,FS-P+B+I N° Lexbase : A1401YQX). On renverra sur ce point à l’analyse du professeur Dupichot qui avait soulevé la question lors du premier confinement et amené le Gouvernement à revoir la date de fin du premier état d’urgence sanitaire [8].
III. L’aménagement du fonctionnement des juridictions
Comme lors du premier confinement, les aménagements du fonctionnement des juridictions concernent la compétence territoriale (1) et la formation de jugement (2).
1) La compétence territoriale
L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1400 reprend le mécanisme mis en place par l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-304 afin de « de pallier l’incapacité d’une juridiction de premier degré de fonctionner en cas d’empêchement de magistrats et fonctionnaires malades ou confinés, en transférant tout ou partie de son activité vers un autre tribunal de même nature » [9]. Il autorise les juridictions à procéder à un transfert de compétence territoriale sous certaines conditions :
Si les conditions sont remplies, le transfert peut alors être décidé par le premier président de la cour d’appel qui délivre une ordonnance, après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées. L’ordonnance détermine les activités faisant l’objet du transfert de compétences [10] et la date à laquelle ce transfert intervient.
La juridiction désignée devient compétente pour les affaires en cours à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance de désignation. Le transfert de compétence est toutefois nécessairement limité dans le temps et l’ordonnance doit en préciser la durée. Celle-ci est, en principe, fixée librement par l’ordonnance du premier président mais le transfert ne pourra jamais perdurer au-delà d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire (donc, sauf changement, au-delà du 16 mars 2021).
L’ordonnance doit obligatoirement faire l’objet d’une publication dans deux journaux diffusés dans le ressort de la cour d’appel et, sur décision du premier président, de toute autre mesure de publicité dans tout lieu jugé utile (ce qui inclut les sites internet). À la suite des critiques adressées par nombre de praticiens, l’ordonnance n° 2020-1400 apporte une innovation par rapport à l’ordonnance n° 2020-304 en imposant que l’ordonnance présidentielle soit également adressée aux bâtonniers des ordres des avocats des ressorts concernés et au Conseil national des barreaux pour diffusion.
Ce régime dérogatoire ne devrait normalement pas s’opposer au recours aux dispositions du Code de l’organisation judiciaire permettant au premier président de la cour d’appel de déléguer des magistrats, en particulier de la cour d’appel, pour assurer le fonctionnement des juridictions du premier degré « en cas de vacance d’emploi ou d’empêchement d’un ou plusieurs magistrats ou lorsque le renforcement temporaire et immédiat des juridictions du premier degré apparaît indispensable pour assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable » [11]. Au cours du premier confinement, la mise en œuvre effective de cette possibilité a été tout à fait exceptionnelle et nul doute qu’elle continuera de l’être.
2) La formation de jugement
L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-1400 reprend à l’identique une partie des dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-304. Il prévoit des règles d’aménagement de la formation de jugement pour les affaires dans lesquelles l’audience de plaidoirie, ou la mise en délibéré de l’affaire dans le cadre de la procédure sans audience, a lieu entre le 20 novembre 2020 et, sauf changement, le 16 mars 2021. On notera une incongruité dans la formulation : il ne peut pas y avoir de mise en délibéré dans le cadre de la procédure sans audience puisque l’article 447 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6551H7R) indique qu’« il appartient aux juges devant lesquels l’affaire a été débattue d’en délibérer ». Or, il n’y a précisément aucun débat devant le juge dans le cadre d’une procédure sans audience dès lors que les débats impliquent nécessairement la tenue d’une audience [12]. Il aurait donc mieux valu parler de la date de fin de l’instruction de l’instance dans le cadre de la procédure sans audience.
Quoi qu’il en soit, jusqu’au 16 mars 2021, la juridiction peut, sur décision de son président, statuer à juge unique « dans toutes les affaires qui lui sont soumises ». Cette possibilité est ouverte aussi bien en première instance qu’en appel. Une seule règle à respecter : le juge unique désigné doit être un magistrat du siège qui n’est ni magistrat honoraire ni magistrat à titre temporaire. Le droit commun prévoyait déjà quelques possibilités de statuer à juge unique mais elles étaient bien plus limitées [13].
En raison de sa composition particulière, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-1400 consacre un régime spécifique pour le conseil de prud’hommes qui, paritaire par définition, ne saurait statuer à juge unique. Cette juridiction est autorisée à statuer en formation restreinte comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié. En revanche, la règle d’aménagement ne permet pas d’écarter la saisine préalable obligatoire du bureau de conciliation et d’orientation. En cas de partage des voix, l’affaire est renvoyée devant un juge unique du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes. Ce juge ne peut statuer qu’après avoir recueilli par tout moyen l’avis des conseillers présents lors de l’audience de renvoi en départage. Si ledit juge n’a pas tenu l’audience de départage avant le 16 mars 2021, l’affaire est renvoyée devant la formation restreinte présidée par ce juge.
IV. L’aménagement des échanges
L’aménagement des échanges concerne naturellement les échanges entre les parties (1) mais également ceux avec le greffe (2).
1) Les échanges entre les parties
L’article 4 du décret n° 2020-1405 reprend la formule de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-304 et énonce que « les parties peuvent échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen dès lors que le juge peut s’assurer du respect du contradictoire ». Jusqu’au 16 mars 2021, les parties ou leurs avocats peuvent donc esquiver le formalisme des « actes du palais » [14] et échanger les écritures et les pièces par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, lettre simple, ou courriel. Le bordereau de pièces n’est plus formellement exigé mais le juge doit pouvoir s’assurer du respect du contradictoire grâce à une trace écrite permettant de prouver la transmission. La lettre simple n’est donc pas à conseiller. En toute logique, les avocats peuvent aussi continuer d’utiliser le réseau privé virtuel des avocats (RPVA). Une circulaire du 26 mars 2020, dont le principe devrait continuer à s’appliquer, rappelait même qu’elle continuait de s’imposer pour la transmission des actes de procédure au tribunal judiciaire en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe et à la cour d’appel.
L’article 6 du décret n° 2020-1405 prévoit des règles dérogatoires aux articles 1222 (N° Lexbase : L3111LW7) à 1223-1 (N° Lexbase : L8978K3W) du Code de procédure civile relatifs à la protection juridique des majeurs. Il indique que jusqu’au 16 mars 2021, « le dossier d’un majeur protégé peut être communiqué par tous moyens aux mandataires judiciaires à la protection juridique des majeurs ». Cette règle ne s’applique cependant pas à la consultation du certificat médical qui continue d’obéir aux dispositions du Code de procédure civile.
2) La communication avec le greffe (SAUJ)
L’article 5 du décret n° 2020-1405 reprend la formule de l’article 11-4 de l’ordonnance n° 2020-304 qui prévoyait un renforcement inédit de la communication par voie électronique au premier semestre 2020. Certes, depuis le 30 octobre 2020, les services d’accueil uniques des justiciables restent ouverts. Pour éviter l’engorgement, le greffe « peuvent assurer la réception par voie électronique et la transmission par voie électronique » de tous les actes en matière civile, lorsque la représentation n’est pas obligatoire, et de certains actes en matière prud’homale [15]. Lorsqu’il a été reçu par voie électronique, le document original établi sur support papier doit cependant être produit par son auteur avant qu’il ne soit statué sur sa demande.
Le risque ici est que, à force d’alléger les obligations formelles à la charge de l’administration, le Gouvernement met en péril la sécurité juridique : en effet, si la transmission de certains actes par le greffe déclenche des obligations ou fait courir des délais à l’encontre des justiciables, comment s’assurer non seulement de la réception effective de ces actes mais aussi de la date de celle-ci ? Le système mis en place pèche sur ces deux points. Une vigilance redoublée est donc de rigueur si des actes sont attendus du greffe et qu’ils ont des implications en termes de droits et obligations des parties.
V. L’aménagement de l’audience
Lieu de présence et d’échanges, l’audience est par définition un lieu de circulation potentielle du virus. Voilà pourquoi cette acmé procédurale fait l’objet de nombreuses potentialités d’aménagement. Ainsi, l’audience peut se faire à juge unique (1), sur renvoi facilité (2), avec une publicité réduite (3), de façon dématérialisée (4) quand elle n’est pas purement et simplement supprimée (5).
1) Audience à juge unique
L’article de 3 du décret n° 2020-1405 reprend les dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-304 qui ne concernait pas l’adaptation de la formation de jugement ; uniquement celle de l’audience. Dans le cadre d’une procédure écrite ordinaire, cet article permet ainsi au juge de la mise en état ou au magistrat chargé du rapport de tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. Il est tenu d’en informer les parties par tout moyen mais n’a pas à recueillir leur consentement [16]. La technique de l’information « par tout moyen » doit à nouveau être dénoncée tant, en allégeant la forme au bénéfice de l’administration, elle viole le droit des justiciables en ne garantissant pas suffisamment leur information effective.
Le juge unique doit également rendre compte au tribunal dans son délibéré. C’est donc bien un collège de juges et non une juge unique qui aura, en définitive, à statuer sur l’affaire. Dans la même logique, le président du tribunal de commerce peut, dans toutes les affaires, décider que l’audience sera tenue par l’un des membres de la formation de jugement. Comme pour le tribunal judiciaire, le juge audiencier doit rendre compte au tribunal dans son délibéré.
2) Renvoi d’audience
Pour faciliter la gestion des audiences, l’article 2 du décret n° 2020-1405 reprend à l’identique l’article 4 l’ordonnance n° 2020-304. Ce texte autorise le greffe à aviser les parties du renvoi de l’affaire ou de l’audition par tout moyen, notamment électronique, dès lors que les parties sont assistées ou représentées par un avocat ou qu’elles ont consenti à la réception des actes sur le « Portail du justiciable » du Ministère de la Justice [17]. Dans les autres cas, il avise les parties par tout moyen, telle une lettre simple. Nous ne reviendrons pas sur notre critique à ce sujet.
Si, dans ces autres cas, le défendeur ne comparaît pas à l’audience à laquelle l’affaire est renvoyée et n’a pas été cité à personne (ce qui sera en pratique toujours le cas avec une lettre simple adressée par le greffe puisqu’il sera impossible de prouver sa réception), la décision est rendue par défaut.
Cette dernière règle crée un double risque pour la partie présente à l’audience. Tout d’abord, cela étend les cas de jugements susceptibles d’opposition (CPC, art. 571 N° Lexbase : L6724H78) puisqu’il importe peu que la décision soit ou non susceptible d’appel comme dans un « véritable » jugement par défaut [18]. Ensuite, cela aggrave les obligations postérieures à l’audience à la charge de la partie présente puisque les jugements par défaut non notifiés dans les six mois de leur date sont non avenus (CPC, art. 478 N° Lexbase : L6592H7B).
Une attention toute particulière doit donc être portée aux renvois par le greffe qui peuvent se transformer en nid à contentieux en cas de défaut de présence à l’audience d’une des parties. La partie qui entend être présente à l’audience a tout intérêt à doubler l’avis du greffe par sa signification par huissier.
3) Publicité de l’audience
Comme l’article 6-1 de l’ordonnance n° 2020-304 en son temps, l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-1400 autorise le juge ou le président de la formation à déroger partiellement ou totalement au principe de publicité des audiences. Avant l’ouverture de l’audience, ces derniers peuvent ainsi décider que « les débats se dérouleront en publicité restreinte ou, en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, en chambre du conseil ». Le juge peut donc librement fixer un nombre maximum de personnes pouvant assister à l’audience ou, si les conditions l’exigent, ordonner un « huis clos sanitaire ». Selon un souhait formulé par le gouvernement, des journalistes peuvent assister à l’audience dans les conditions déterminées par le juge ou le président de la formation de jugement et « y compris lorsqu’elle se tient en chambre du conseil en application des dispositions du présent article ». Cette formulation exclut donc les cas où l’audience se tient en chambre du conseil conformément aux dispositions textuelles pérennes du Code de procédure civile [19].
Lors du premier confinement, le Professeur Vergès avait souligné que ces différentes mesures « semblent quelque peu surabondantes au regard des restrictions de circulation liées au confinement des Français. Aucune formule de l’autorisation de déplacement dérogatoire ne permet d’assister à une audience pour une raison autre que professionnelle. On imagine donc aisément que, hormis quelques journalistes, le public n’afflue pas dans les salles d’audience des juridictions civiles » [20]. Rien n’est moins sûr avec le deuxième confinement, surtout que les audiences « ordinaires » sont maintenues. Les audiences de référés sont en particulier traditionnellement bondées et un des auteurs de ces lignes a ainsi vu des juges des référés parisiens demander aux avocats et aux parties présents d’attendre leur tour à l’extérieur de la salle, ce bien avant la parution d’un quelconque texte spécial. Les juges exerçaient alors leur pouvoir général de police des audiences prévu par les textes du Code de procédure civile (CPC, art. 438 N° Lexbase : L1126INZ).
Même si la règle ne concerne pas, à proprement parler, la publicité de l’audience, il faut aussi ici souligner que le même article 3 de l’ordonnance n° 2020-1400 charge également, et de façon générale, tous les chefs de juridiction de définir « les conditions d’accès à la juridiction, aux salles d’audience et aux services qui accueillent du public permettant d’assurer le respect des règles sanitaires en vigueur ». Ces conditions doivent être portées à la connaissance du public, notamment par voie d’affichage.
4) Dématérialisation de l’audience
L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-1400 reconduit l’aménagement prévu par l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-304 autorisant le juge ou le président de la formation de jugement à déroger totalement au « principe » de présence. Ces derniers peuvent ainsi décider que « l’audience ou l’audition se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s’assurer de l’identité des personnes y participant et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats ».
Si le juge, les parties, ou les avocats sont confrontés à une impossibilité technique ou matérielle [21], le juge peut « décider d’entendre les parties et leurs avocats, ou la personne à auditionner, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges ».
Si tout le monde comprend l’intention du Gouvernement, l’exécution nous paraît gravement déficiente. En effet, elle semble ignorer les définitions légales de la « télécommunication audiovisuelle » et de la « communication électronique ». Aux termes de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la communication (N° Lexbase : L8240AGB et non la télécommunication) audiovisuelle est toute communication au public de services de radio ou de télévision. Étant donné que la captation des audiences et leur diffusion publique est un sujet toujours hautement débattu [22], on imagine mal que le Gouvernement ait voulu profiter du deuxième confinement pour permettre, de façon générale, leur diffusion à la radio et à la télévision. En réalité, il s’agit dans tous les cas d’employer de communications électroniques définies comme « les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons, par voie électromagnétique ». De ce point de vue, le recours à la visioconférence était déjà connu mais il était, il faut bien le dire, relativement exceptionnel. Les textes temporaires pris au bénéfice du deuxième confinement tendent donc à le généraliser.
En pratique, on peut citer l’exemple du tribunal de commerce de Paris qui, dès le premier déconfinement, a organisé des audiences de procédure au moyen du système de visioconférence Tixeo, certifié et qualifié par l’ANSSI, l’agence étatique responsable de la sécurité informatique de la France. La vérification de l’identité des parties était assurée par la présentation à l’écran de la carte d’identité civile ou professionnelle des personnes présentes.
Quoi qu’il en soit, la décision de recourir à un moyen de communication à distance est insusceptible de recours.
Quel que soit le moyen de communication employé, « les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentent en vertu d’une habilitation légale ou d’un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l’audience ou à l’audition » auront vocation à se trouver en des lieux distincts. Le juge qui organise et conduit la procédure doit donc contrôler le bon déroulement des échanges entre les parties et veiller au respect des droits de la défense ainsi qu’au caractère contradictoire des débats. Le greffe dressera un procès-verbal des opérations effectuées. Dans la mesure où la situation peut parfois conduire à séparer les membres de la formation de jugement, les moyens de communication utilisés devront, naturellement, garantir le secret du délibéré.
5) Suppression de l’audience
L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 autorise le juge ou le président de la formation de jugement à purement et simplement supprimer la phase d’audience lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat. Ce mécanisme déjà prévu par l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 avait été vertement critiqué pour, notamment, les risques qu’il fait peser sur le principe de la contradiction. Certes, la possibilité d’une procédure sans audience, quoique relativement récente, est prévue par le Code de procédure civile [23] mais celle-ci suppose nécessairement l’accord préalable des parties en présence. Or, tel n’est pas le cas ici puisque la décision de supprimer l’audience découle de la seule autorité du juge.
Le juge peut ainsi, jusqu’au 16 mars 2021, décider à tout moment de la procédure de la suppression de l’audience sous réserve que les parties en soient informées par tout moyen. La constitutionnalité du mécanisme a récemment été confirmée pour son quasi-équivalent dans l’ordonnance n° 2020-304 [24]. C’est qu’à l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge devait statuer dans un délai déterminé, les parties disposaient d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience. L’ordonnance n° 2020-1400 étend la possibilité d’opposition sous quinzaine dans tous les cas mais, en cas d'urgence, le juge ou le président de la formation de jugement peut réduire ce délai. S’il y a opposition, le juge peut renvoyer l’affaire à une date d’audience postérieure mais il peut aussi choisir de maintenir l’audience selon une autre forme que celle prévue initialement. Dans le cas contraire, la procédure est exclusivement écrite et la communication entre les parties – qui seule assurera la contradiction – sera faite par notification entre les avocats qui doivent en justifier dans les délais impartis par le juge.
Il convient cependant là encore de souligner le caractère cavalier du texte : quinze jours pour s’opposer à la suppression de l’audience à compter de quand ? L’envoi de l’information aux parties ? Sa réception par elles ? Et, dans ce dernier cas, comment la prouver ? Au vu de l’atteinte au respect du contradictoire, un encadrement plus rigoureux aurait été de mise.
Relevons que le même article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 prévoit des règles particulières en matière de soins psychiatriques sans consentement. Dans cette hypothèse, la personne hospitalisée peut « à tout moment demander à être entendue par le juge des libertés et de la détention ». Cette audition peut être réalisée par tout moyen – visioconférence, téléphone, etc. – permettant de s’assurer de son identité et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.
[1] É. Dupont-Moretti, « Message du garde des Sceaux aux agents du ministère de la Justice », [en ligne].
[2] V. Circ., 14 mars 2020, relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie covid-19 (N° Lexbase : L5100LWS).
[3] Circ. DSJ/DACS, n° 02/20 du 26 mars 2020, de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété (N° Lexbase : L6210LWW).
[4] E. Vergès, La justice civile à l’heure du confinement : une procédure dérogatoire du 21ème siècle, Lexbase, Droit privé, 2020, n° 820 (N° Lexbase : N2899BYZ).
[5] Ibid..
[6] Dans leur dernière rédaction issue de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 (N° Lexbase : L1697LX7).
[7] V. par ex. : P. Giraud, Restez confinés, les délais sont prorogés, Gaz. Pal. 7 avril 2020, p. 15 et s.
[8] Ph. Dupichot, « Covid-19 | Date de fin de l’état d’urgence sanitaire : à la recherche du dies ad quem », 7 avril 2020, [en ligne].
[9] Rapp.ort au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés [en ligne].
[10] Ce qui peut concerner tout ou partie de l’activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée
[11] COJ, art. L. 121-4 (N° Lexbase : L2814IBT).
[12] CPC, art. 432 (N° Lexbase : L1132INA)
[13] V. par ex. : COJ, art. L. 212-1 (N° Lexbase : L2839IBR) et s. pour le tribunal judiciaire.
[14] CPC, art. 671 (N° Lexbase : L6854H7Y) et s..
[15] Requêtes ; demandes de délivrance de copie certifiée conforme, d’un extrait et d’une copie certifiée conforme revêtue de la formule exécutoire ; demandes d’aide juridictionnelle.
[16] Des possibilités d’« audience à juge unique » étaient déjà prévues avant la crise de la covide-19 mais elles supposaient nécessairement l’accord des parties ou de leurs avocats. V. CPC, art. 805 (N° Lexbase : L9261LT8), pour le tribunal judiciaire ; CPC, art. 871 (N° Lexbase : L7745IUE), pour le tribunal de commerce.
[17] CPC, art. 748-8 (N° Lexbase : L1185LQX).
[18] C. Bléry, Épidémie de Covid-19 : mesures de procédure civile, D. 780.
[19] V. par ex. : CPC, art. 1074 (N° Lexbase : L0825IGN)
[20] E. Vergès, op. cit..
[21] Parce que tous les tribunaux ne sont pas équipés d’un tel dispositif, par exemple.
[22] V. par ex. : J.-P. Jean, La retransmission en direct des procès , Cah. just. 2019, 99.
[23] CPC, art. 752 (N° Lexbase : L9296LTH) , art. 757 (N° Lexbase : L9300LTM) et art. 828 (N° Lexbase : L9131LTD).
[24] C. Constit., 19 novembre 2020, n° 2020-866 QPC (N° Lexbase : A944634M).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475454
Réf. : Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-18.845, FS-P+B+I (N° Lexbase : A945734Z)
Lecture: 2 min
N5440BY7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 25 Novembre 2020
► Ayant retenu que la tradition orale avait pu conduire les parties à l’échange contesté à ne pas conserver l’acte sous signature privée original et que la transcription hypothécaire de celui-ci, qui avait été conservée dans des conditions adéquates, en reproduisait littéralement la traduction, effectuée par un interprète assermenté, la cour d’appel a pu en déduire que cette transcription du titre original en constituait une copie, dont elle a souverainement apprécié le caractère fidèle et durable, au sens de l’article 1348, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française.
En l’espèce, les requérants avaient formé tierce opposition à un jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 12 avril 2006, ayant déclaré le défendeur propriétaire de la terre Temaino à Vairao. Les requérants contestaient la transcription, le 27 juillet 1927, sur le registre de la conservation des hypothèques de Papeete, d’un échange transactionnel dont le défendeur s’était prévalu et qui avait été conclu entre leurs ascendants respectifs par acte sous seing privé du 30 juin 1927.
Pour rappel, il résulte, de l’article 1348, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L1458ABM), que les règles prévues par les articles 1341 et suivants du Code civil « reçoivent aussi exception lorsqu'une partie ou le dépositaire n'a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support ».
Les requérants soutenaient, notamment, qu'une copie ne peut suppléer l'absence de l'original que si elle en est la reproduction fidèle et durable, ce qui n’était, selon eux, pas le cas ; en effet, en se fondant sur la seule transcription hypothécaire de l'acte sous seing privé du 30 juin 1927, sans caractériser en quoi cette transcription dont elle avait constaté qu'elle était celle de la traduction de l'acte original, au surplus non écrite ni signée par les parties à ce prétendu acte original, en serait la reproduction fidèle et durable, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1348 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française.
L’argument est écarté par la Haute juridiction qui énonce, au contraire, la solution précitée.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475440
Réf. : Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A31903YS)
Lecture: 58 min
N5397BYK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Mathilde Hoyer - Eugénie Petitprez - Rodolphe Bigot
Le 26 Novembre 2020
Mots clés : responsabilité du fait des produits défectueux • herbicide • intoxication • agriculteur • Lasso • Monsanto •
La première chambre civile de la Cour de cassation approuve la cour d’appel de renvoi d’avoir condamné, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, la société Monsanto à indemniser un agriculteur ayant inhalé des vapeurs d’herbicide ; ce faisant, la Haute juridiction confirme la solution retenue par les juges du fond d’avoir caractérisé les conditions d’application de ce régime spécial, notamment la défectuosité de l’herbicide, et d’avoir refusé de consacrer un moyen d’exonération.
La première chambre civile de la Cour de cassation vient de mettre un terme, par un long arrêt en date 21 octobre 2020, à l’interminable et triste affaire dite de la « saga du Lasso », du nom de l’herbicide commercialisé par la fameuse société Monsanto, inventeur du Roundup, au cœur de nombreuses polémiques. Entre-temps, Bayer a racheté Monsanto, pour la modique somme de 63 milliards de dollars et s’apprête à verser 10 milliards de dollars pour faire cesser les poursuites sans reconnaître aucune faute cependant [1]. Comparaison n’est pas raison, mais aux États-Unis, le groupe allemand Bayer-Monsanto a été condamné, pour une seule affaire, le 13 mai 2019, à verser plus de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) de dommages et intérêts à un couple affirmant que l’herbicide est à l’origine de leur cancer [2] !
Cet autre produit du groupe est au cœur des préoccupations environnementales en France également. Ce n’est que dernièrement que le tribunal administratif de Lyon a interdit, par un jugement du 15 janvier 2019, la commercialisation de ce désherbant [3]. C’est d’ailleurs « au nom du principe de précaution que le tribunal administratif de Lyon a annulé l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, un produit désherbant contenant du glyphosate et commercialisé par le groupe agrochimique Monsanto. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) avait autorisé cette commercialisation en mars 2017 » [4]. Le tribunal a été saisi dans ce cas par le comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) ayant fait valoir que le glyphosate était probablement cancérogène pour les hommes. C’est ce qu’a aussi jugé le tribunal : « ce produit doit être considéré comme une substance dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé eu égard aux données animales ». En effet, le Roundup Pro 360 « est probablement cancérogène pour l’homme eu égard notamment au résultat des expériences animales » [5].
En France, si la présente décision de la Haute Cour est une avancée indéniable en matière environnementale et sanitaire, un grand pas en avant donc, de son côté le Parlement a – en même temps – reculé, en faisant deux pas en arrière [6]. Espérons que cela soit, à l’avenir, pour mieux sauter en direction de la préservation des espèces et de l’environnement ! Mais l’on peut en douter fortement. En effet, le Parlement a autorisé, à nouveau, le 4 novembre 2020, le retour temporaire des néonicotinoïdes, insecticides nocifs pour les abeilles – notamment –, pour soi-disant « sauver » la filière betterave, qui évoque pour l’année 2020 à raison des pucerons des pertes de rendement estimées « entre 13 et 20 % ». Le projet de loi [7] a ainsi permis, à titre dérogatoire, que les producteurs de betteraves à sucre utilisent jusqu’en 2023 des semences traitées avec des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, interdits depuis 2018. D’aucuns ont pourtant défendu que « même dans une situation d’urgence, des alternatives étaient possibles »[8]. Mais une culture ultralibérale du haut rendement, fortement encouragée par les énormes commerçants de produits agrochimiques, domine le monde agricole depuis plusieurs décennies, au détriment de la santé des consommateurs et de l’équilibre des écosystèmes, au point qu’au Palais Bourbon, Madame Mathilde Panot ait promis un « signalement » devant la Cour de justice de la République pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » [9].
S’agissant de l’autre produit nocif qui fait toujours l’actualité regrettablement, l’importance de l’arrêt au regard des règles de la responsabilité du fait des produits défectueux a amené la Haute Cour à faire un communiqué de presse sous la décision fraîchement rendue, accessible sur son site. Elle y a rappelé brièvement les faits de l’affaire : « le 27 avril 2004, lors de l’ouverture d’une cuve de traitement d’un pulvérisateur, un agriculteur a accidentellement inhalé les vapeurs d’un herbicide commercialisé par la société Monsanto agriculture France, jusqu’à son retrait du marché en 2007 ». Soit, déjà, seize ans de contentieux à subir pour la victime, en sus de ses divers préjudices…
Pour obtenir la réparation de son préjudice corporel par suite de son exposition à l’herbicide qu’il avait acquis auprès d’une coopérative agricole, commercialisé sous le nom de « Lasso » par la société Monsanto agriculture France, l’agriculteur victime a ainsi mis en cause son producteur notamment.
En 2012, à l’issue de la décision de première instance, l’agriculteur a obtenu la reconnaissance de la responsabilité de Monsanto dans son intoxication, sous l’angle du droit commun de la responsabilité qui démontrait ainsi son efficacité quant à la juste protection des victimes au regard d’éventuels régimes spéciaux [10]. Par suite d’un appel interjeté par Monsanto, cette dernière a à nouveau été condamnée au fond par un arrêt du 10 septembre 2015. Puis, par un arrêt du 7 juillet 2017, rendu en Chambre mixte, la Cour de cassation a réformé cette décision [11], estimant que l’action aurait dû être examinée, non pas sur la base du défaut d’information, mais sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. L’affaire a alors été renvoyée devant la cour d’appel de Lyon, composée autrement.
Se conformant à cette exigence d’examen d’office du régime spécial d’ordre public, la cour d’appel de Lyon, par un arrêt en date du 11 avril 2019, rendu ainsi sur renvoi après cassation par une décision de Chambre mixte [12], a déclaré la société Monsanto responsable du dommage subi par l’agriculteur sur le fondement des articles 1245 (N° Lexbase : L0945KZZ) et suivants du Code civil [13]. Le producteur a, à nouveau, formé un pourvoi en cassation.
Dans son communiqué du 21 octobre 2020, du même jour que la décision, la Cour de cassation a admis la motivation de la cour d’appel sur sept points majeurs auxquels Monsanto n’a su résister.
Premièrement, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est applicable, en raison de la date de mise en circulation du produit, considérée comme postérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX). Deuxièmement, la société Monsanto peut être assimilée au producteur dès lors qu’elle se présentait comme tel sur l’étiquette du produit. Troisièmement, le dommage survenu est imputable au produit, des indices graves, précis et concordants permettant d’établir un lien entre l’inhalation de celui-ci et ce dommage. Quatrièmement, le produit, ne présentant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, en raison d’un étiquetage ne respectant pas la réglementation applicable et d’une absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs, est défectueux. Cinquièmement, un lien causal entre le défaut et le dommage est établi. Sixièmement, la société n’est pas fondée à invoquer une exonération de responsabilité pour risques de développement. Septièmement, enfin, la faute de la victime, alléguée par la société Monsanto, est sans lien de causalité avec le dommage.
Il convient à présent, pour l’explication, de revenir sur chacun des arguments soulevés par Monsanto-Bayer donnant ainsi l’impression d’avoir tout tenté et résisté judiciairement coûte que coûte, les enjeux économiques justifiant les moyens. Pour l’un des aspects positifs d’un tel procès, la décision – osons-nous dire à rallonge – offre l’opportunité d’un rappel transversal des grandes règles de la responsabilité du fait des produits défectueux.
I. L’applicabilité du régime de la responsabilité des produits défectueux
La mise en circulation du produit conditionne la responsabilité du producteur puisque ce dernier peut s’exonérer en rapportant la preuve qu’il n’y avait pas procédé [14]. En outre, la date de mise en circulation est d’autant plus essentielle que c’est à cette époque qu’est apprécié le défaut de sécurité ainsi que l’état des connaissances scientifiques et techniques afin d’établir si le producteur peut invoquer le risque de développement. Elle fixe, également, le point de départ du délai butoir de dix ans à l’issue duquel la responsabilité du producteur est éteinte. De plus, la loi du 19 mai 1998 ne s’appliquant qu’aux produits mis en circulation après son entrée en vigueur [15], cette date détermine le champ d’application du régime de la responsabilité des produits défectueux. Information essentielle, « clé de voûte » [16] de ce régime spécial, la date de mise en circulation doit alors être établie avec précision.
Aux termes de l’article 1245-4, alinéa premier, du Code civil (N° Lexbase : L0624KZ7), « un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement ». Le principe étant celui de l’unicité de la mise en circulation, l’article 1245-4, alinéa second, dispose qu’« un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation ». Pourtant, la définition de la mise en circulation retenue par la Cour de justice des Communautés européennes, qui précise qu’« un produit doit être considéré comme ayant été mis en circulation (…) lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en œuvre par le producteur et qu’il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l’état offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé » [17], invite la jurisprudence à retenir qu’en raison de produits fabriqués en série, la date de mise en circulation doit être fixée au jour de la commercialisation de chacun des lots et non au jour de la commercialisation du premier exemplaire du produit [18].
Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation réaffirme cette solution et considère que la commercialisation du lot étant postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, ses dispositions sont applicables au litige en cause. La date de mise en circulation retenue n’est pas celle de la commercialisation du prototype du produit Lasso, mais celle de la commercialisation du lot dans lequel se trouvait le produit litigieux. Cette interprétation a largement été applaudie par la doctrine à l’occasion d’autres décisions [19] en ce qu’elle est conforme à l’esprit et à la lettre du texte qui vise « le produit même qui a causé de dommage » [20] – « le spécimen qui s’est trouvé impliqué dans la réalisation du préjudice » [21]. Néanmoins, ne peut-elle pas être discutée au regard de l’espèce en cause ?
La défectuosité constatée, nous le verrons, tient à un défaut extrinsèque au produit, un défaut d’information sur l’étiquetage, et non à un défaut intrinsèque, résultant de la fabrication ou la conception qui aurait pu être propre à l’exemplaire ayant causé le dommage [22]. Dès lors, l’ensemble de la série est affecté du même vice. Plus encore, il est probable que l’intégralité des produits « Lasso » soit tout aussi défectueuse, du moins ceux commercialisés en France. Ce n’est pas tant cet exemplaire du produit qui se révèle défectueux, mais la totalité des produits « Lasso » commercialisés sous le même étiquetage. Au regard de ces considérations, la Cour de cassation aurait parfaitement pu fixer la date de la mise en circulation au jour de la première commercialisation dudit produit sous ce même conditionnement. Pourtant, la réponse de la Haute juridiction mérite d’être approuvée. Comme nous l’avons précédemment constaté, c’est au jour de la mise en circulation que le risque de développement doit être apprécié. Or, il apparaîtrait inique de ne pas tenir compte de la possible avancée scientifique entre la date de commercialisation du prototype et celle de la commercialisation du spécimen en cause : le producteur serait exonéré quoique l’état des connaissances scientifiques et techniques lui aurait permis de déceler l’existence du défaut. Dès lors, interprété strictement, l’article 1245-4 du Code civil (N° Lexbase : L0624KZ7) serait susceptible d’entrer en contradiction avec la ratio legis des différentes dispositions dont la date de mise en circulation conditionne l’application.
Par conséquent, la Cour de cassation approuve, à juste titre, la cour d’appel d’avoir fixé la date de mise en circulation au mois de juillet 2002, époque à laquelle Monsanto a livré le produit au distributeur et relève que la demanderesse « n’apporte aucun élément de preuve relatif à un stockage du produit de longue durée en son sein » [23]. L’on comprend qu’a contrario, si Monsanto avait longtemps stocké le produit, la date de mise en circulation aurait pu être reportée à une époque antérieure. La Cour de cassation apporte sans doute ici une réponse plus précise au premier moyen du pourvoi qui ne reprochait pas tant à la cour d’appel de Lyon d’avoir statué conformément aux solutions jurisprudentielles antérieures relatives aux produits fabriqués en série, mais lui faisait grief d’avoir considéré que la date de mise en circulation était celle où le distributeur, c’est-à-dire la société demanderesse, non impliquée dans le processus de commercialisation, l’avait commercialisé à son tour. La société estimait, également, qu’elle ne pouvait être assimilée au producteur sans qu’il soit démontré qu’elle entretenait avec le véritable producteur des liens étroits justifiant une telle analogie. L’argumentaire reposait finalement davantage sur la qualité de producteur assimilé que sur la date de mise en circulation stricto sensu.
Ces deux questions sont évidemment inextricablement liées puisqu’à considérer Monsanto agriculture France comme un simple distributeur, la date de mise en circulation du « Lasso » serait nécessairement reportée à une époque antérieure à sa commercialisation par ladite société. La Cour de cassation précise, néanmoins, que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait stocké le produit pendant une longue durée : quand bien même la société Monsanto agriculture France n’aurait pas fabriqué le produit litigieux, la société ne démontre pas qu’il aurait été confectionné bien des années auparavant, à une époque antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998. En d’autres termes, rien n’indique que ce lot ait été mis sur marché avant 2002, soit avant d’être livré à la coopérative.
La Cour de cassation répond simplement de façon méthodique et didactique à l’argumentaire des parties : la question étant celle de l’application de la loi dans le temps, il convenait de déterminer si la date de mise en circulation du produit était effectivement postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 avant de s’interroger sur le point de savoir quel était effectivement le producteur ou qui pouvait lui être assimilé. Puisque, s’agissant d’un produit fabriqué en série, il n’était pas nécessaire de rechercher la date de mise en circulation du prototype, mais celle de l’exemplaire ayant causé le préjudice et qu’il n’est pas démontré que la société demanderesse a stocké pendant plusieurs années ce lot, la cour d’appel a pu en déduire que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux était applicable à l’espèce.
La Cour de cassation évacue finalement l’argumentaire de la demanderesse tant il n’est pas nécessaire, pour déterminer si la loi est ou non applicable, de rechercher la qualité de producteur, mais uniquement d’établir si la mise en circulation du produit avait eu lieu antérieurement ou postérieurement à l’entrée en vigueur de ladite loi. Cela revenait à constater, dans l’absolu, la mise en circulation dommageable, sans l’imputer, à ce stade, à la demanderesse. Ce n’est qu’à l’occasion du second moyen que la Cour de cassation confirmera l’assimilation de Monsanto au producteur.
II. Monsanto ou la qualité de producteur tel que présenté sur l’étiquette du produit
À raison du premier moyen, la Haute juridiction avait renoncé à se placer sur le terrain de la question de la qualité de producteur pour s’en tenir à celle de l’application de la loi dans le temps au regard de la date de mise en circulation. Elle n’a donc pas, à cette occasion, répondu à la seconde branche du premier moyen où la société demanderesse tentait de faire valoir qu’elle ne pouvait être assimilée au producteur qu’à condition que soit démontré qu’elle entretenait, avec le véritable producteur, des liens suffisamment étroits. Reste que les efforts de Monsanto, à l’occasion de cette branche, étaient vains.
D’une part, pour déterminer l’application de la loi dans le temps, la Cour de cassation renonce à rechercher qui était le producteur tant la date de mise en circulation apparaît suffisante [24]. Le premier moyen n’était donc pas l’occasion, pour la société, de démontrer qu’elle ne devait pas être assimilée au producteur.
D’autre part, il est inutile de vérifier si les processus de fabrication et de distribution étaient étroitement imbriqués puisque cette assimilation du distributeur au producteur, dégagée par la CJUE [25], n’a pas à être recherchée dès lors que Monsanto peut être entendu comme tel au regard de l’article 1245-2, alinéa second, du Code civil (N° Lexbase : L0622KZ3). Aux termes de cette disposition, la personne responsable peut être le producteur ou toute personne susceptible de lui être assimilée. Tel est le cas de celui « qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif »[26]. Or, pour la cour d’appel, la société demanderesse est assimilable au producteur dès lors qu’est apposée sur le produit conditionné la mention « herbicide Monsanto » suivie de « siège social Monsanto agriculture France SAS », accompagnée de l’adresse de la société à Lyon ainsi que le numéro d’immatriculation de la société au RCS. Répondant aux conditions de l’assimilation légale, Monsanto ne pouvait exiger que soient recherchés les liens qui l’unissent au véritable producteur du « Lasso ».
Reste que la demanderesse réfute également, à l’occasion du second moyen, pouvoir être assimilée au producteur au regard de l’article 1245-2, alinéa second, du Code civil. Premièrement, selon Monsanto, ce faisceau d’indices est insuffisant en vue de démontrer qu’il se présentait ainsi, lui‑même, comme producteur dudit produit. Deuxièmement, la seule apposition de son nom sur l’emballage ne suffit pas à l’assimiler au producteur : encore faut-il que cette mention soit de nature à faire naître dans l’esprit du public, la croyance qu’il est le véritable producteur. Tel ne saurait être le cas, d’après la demanderesse, dès lors qu’il est précisé, sur l’étiquetage, que le produit est fabriqué à l’étranger et qu’y figure le nom du véritable producteur. Le public ne pouvait pas légitimement croire que Monsanto agriculture France était le véritable producteur. La Cour de cassation balaye l’argumentaire de la demanderesse. Au titre d’un contrôle léger de motivation, la Haute juridiction approuve la cour d’appel qui a considéré que, quoique le produit ait été fabriqué en Belgique et que deux autres sociétés apparaissent sur l’étiquette, il n’en reste pas moins qu’il est fait mention, sur l’étiquette, de la société Monsanto agriculture France. Ces présomptions apparaissent suffisantes. En effet, en admettant le principe même de l’« assimilation » au producteur, le législateur reconnaît qu’il n’est pas question de rechercher le « véritable » producteur, mais de considérer comme tel celui qui a apposé son nom sur l’étiquette. Chaque société dont le nom apparaît sur le conditionnement peut être assimilée au producteur.
Quant à la désignation du producteur assimilé, la Cour retient un critère objectif – il faut rechercher qui se présente comme le producteur –, et non subjectif – il est indifférent que le public ait pu le considérer comme tel. Cette approche nous semble devoir être approuvée. Ce régime de responsabilité vise « le producteur » [27]. L’utilisation de ce pronom personnel associé au terme générique de « producteur » est nécessaire tant le processus de production met en scène une multitude d’acteurs aux fonctions diverses : fabricant, distributeur, importateur, producteur de matière première ou encore producteur d’une partie de la composante. Par conséquent, lorsque le législateur précise que doit être assimilé au producteur celui qui a apposé sur le produit, son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif, il a pour objectif d’éviter de faire peser sur la victime les difficultés que peut susciter la recherche des véritables intervenants dans le processus de production. À cet égard, il est exclu de rechercher quelle aurait pu être la croyance légitime de cette dernière quant à l’identité du producteur puisque, par définition, les intervenants peuvent être multiples et hétérogènes. Le public peut ne pas être en mesure de se forger une quelconque conviction sur l’identité du producteur ou, s’il y parvient, sa croyance peut parfaitement être erronée. En admettant le contraire, la victime aurait probablement le plus grand mal à identifier le véritable producteur. Par conséquent, il nous semble justifié de considérer que Monsanto agriculture France peut être assimilé au producteur compte tenu des mentions sur l’étiquetage. Par conséquent, le dommage pourrait être reproché à la demanderesse, à condition, entre autres, qu’il ait été causé par l’herbicide.
III. La survenance d’un dommage causé par l’herbicide
La preuve du lien causal entre le produit et le dommage doit être rapportée par la victime, ce que ne manque pas de rappeler la Cour de cassation lorsqu’elle cite, aux prémices de son attendu, l’article 1245-8 du Code civil (N° Lexbase : L0628KZB) [28]. Avant de démontrer l’existence de la défectuosité du produit et du lien causal entre ce défaut et le dommage, la victime doit prouver que ledit produit a bien participé à la réalisation de son dommage [29]. Cette preuve peut se révéler diabolique lorsque le dommage consiste à développer une pathologie : l’éventuelle incertitude scientifique quant aux effets du produit rend, le plus souvent, impossible la démonstration de ce lien causal par la victime [30]. Afin de venir à bout de cette difficulté, et après de nombreuses hésitations [31], la jurisprudence semble dissocier la causalité scientifique de la causalité juridique et admet le recours à la preuve indiciaire [32]. Ainsi, même en présence d’un doute scientifique, la preuve de l’aptitude du produit à causer telle ou telle pathologie – tel ou tel dommage – peut être administrée par des présomptions du fait de l’homme.
Généralement, ces indices sont tirés de l’état de santé antérieur de la victime [33], de l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés ayant subi le même dommage à la suite de l’administration du produit [34] ou encore de la proximité temporelle entre le dommage et l’administration du produit [35]. À l’occasion d’une décision rendue le 9 juillet 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation a pris soin de relever l’ensemble de ces indices ayant permis aux juges du fond de déduire la participation du produit dans la réalisation du dommage [36]. L’on aurait pu s’attendre à ce que la Haute juridiction, dans la décision commentée, opère un contrôle lourd de motivation et exige des juges du fond qu’ils procèdent à de telles recherches et justifient leur décision en y faisant référence [37], comme l’y invitait la première branche du troisième moyen du pourvoi. En l’espèce, la Cour de cassation se refuse pourtant à toute injonction en la matière.
Au regard des règles probatoires, cette décision ne surprend pas. L’article 1382 du Code civil prévoit que le juge ne devrait admettre que les présomptions « graves, précises et concordantes ». Or, bien moins qu’une injonction, ces précisions ne constituent qu’un « conseil supplémentaire de sagesse et de mesure » [38] à l’intention du magistrat ; elles ne mettent, à sa charge, aucune obligation concrète [39]. En outre, en la matière, si l’on pouvait s’alarmer quant au risque de dissocier causalité juridique et scientifique dès lors que l’aptitude du produit à causer le type de dommage dont se plaint la victime peut être démontrée par de simples indices – quels qu’ils soient –, la difficulté ne se posait pas en ces termes dans la décision commentée. En l’espèce, la dangerosité abstraite du produit n’est pas discutée. L’argument du pourvoi tenant à faire valoir que les juges du fond n’auraient pas soulevé des indices qui, d’ordinaire, se révèlent déterminants en vue de démontrer, in concreto, l’aptitude du produit à causer les diverses pathologies contractées par la victime était voué à être rejeté. Puisque la causalité scientifique permet d’admettre que le « Lasso » est intrinsèquement dangereux, l’imputabilité concrète n’avait pas à être établie. Quant à l’imputabilité abstraite, elle n’était pas contestée : l’aptitude, in abstracto, du produit à causer le dommage n’avait pas à être démontrée. Les juges du fond pouvaient le tenir pour établi [40]. Ici, Monsanto tente finalement de faire jouer à son profit le faisceau d’indices qui, classiquement, est censé bénéficier à la victime. Lorsque l’aptitude scientifique du produit à causer ce dommage est acquise, la condition d’imputabilité est caractérisée. Au contraire, lorsque l’aptitude scientifique n’est pas acquise, la victime peut rapporter des présomptions en vue de rendre vraisemblable l’imputabilité. Quand il existe une incertitude, le système présomptif apparaît comme une faveur accordée à la victime, qui conserve une petite chance procédurale de s’en sortir. Or, il semble que Monsanto inverse le système de valeurs mis en place par le législateur. La demanderesse considère que le faisceau d’indices dégagé par la jurisprudence doit nécessairement être recherché : l’imputabilité abstraite, soit l’aptitude scientifique non contestée, serait insuffisante. Il conviendrait de rechercher, dans chaque situation, l’imputabilité concrète. À suivre ce raisonnement, la faveur accordée à la victime – la possibilité de prouver l’imputabilité par présomptions – se retournerait contre elle : elle ne pourrait plus se satisfaire du consensus scientifique à l’égard d’un produit, mais devrait démontrer in concreto que ce produit est bien la cause du dommage. À cet égard, il est heureux que la Cour de cassation, tout comme la cour d’appel, ne suive pas la demanderesse dans le détail de son argumentation. Monsanto n’aurait pas dû discuter l’imputabilité concrète, mais l’imputabilité abstraite. Cette dernière n’est donc pas contestée : le juge pouvait le tenir pour établi.
Il s’ensuit que la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, pouvait se contenter de rechercher directement la preuve que le produit a effectivement provoqué le dommage : il faut que la victime démontre qu’elle a été exposée au produit à « un moment où celui-ci était susceptible de provoquer la maladie qu’il lui impute » [41]. Pour ce faire, la cour d’appel de Lyon retient qu’il résulte de trois attestations qu’un témoin avait été informé que la victime avait respiré le désherbant et que son épouse l’avait conduit à l’hôpital en demandant audit tiers d’y apporter l’étiquette du « Lasso », que ce dernier a pu constater que la victime titubait et qu’un médecin du travail avait bien été contacté par le service des urgences le même jour pour une demande de renseignement sur la toxicité dudit produit. Les juges du fond relèvent également qu’il ressort « du compte rendu de consultation que [la victime] a été hospitalisé pour avoir inhalé des produits toxiques, en l’occurrence un produit chloré associé à des solvants » et ajoutent que les experts désignés par le tribunal avaient constaté que « l’inhalation litigieuse a entraîné (…) tous signes cliniques révélateurs d’une atteinte neuronale et du tractus respiratoire au moment de l’intoxication du 27 avril 2004, ainsi qu’un stress post-traumatique ». Ce produit, susceptible de provoquer le dommage tel qu’il est survenu, avait bien été inhalé par la victime peu de temps avant l’apparition des symptômes et, par conséquent, était vraisemblablement la cause du dommage. La Cour de cassation opère alors un contrôle léger de motivation : elle reprend l’ensemble de ces présomptions et en conclut que la Cour d’appel de Lyon a pu effectivement déduire des indices rapportés, l’existence d’un lien causal entre l’exposition au produit et le dommage.
Dès lors, la seconde branche de ce même moyen n’avait guère plus de chance de prospérer. À cette occasion, Monsanto reproche à la cour d’appel d’avoir multiplié le recours aux preuves indirectes. La demanderesse estime qu’« une présomption ne peut (…) reposer sur un fait lui‑même inconnu dont la réalité n’a judiciairement été établie qu’au moyen d’un faisceau d’indices et d’attestations ». En d’autres termes, elle réprouve le raisonnement des juges du fond qui se sont fondés sur un fait inconnu – l’inhalation –, qui ne peut lui-même être démontré que par présomptions, pour en induire un autre fait inconnu – la causalité. Selon Monsanto, la présomption ne saurait être grave, précise et concordante dès lors qu’elle suppose le recours à plusieurs preuves indirectes.
Pourtant, d’une part, dès lors que l’aptitude du produit n’est pas contestée, seule la démonstration que le produit a effectivement provoqué le dommage est requise : étant établi, par présomptions, que le produit a effectivement été inhalé par la victime peu avant l’apparition des symptômes, les juges pouvaient parfaitement en déduire que le « Lasso » avait participé à la réalisation du dommage.
D’autre part, la multiplication des déplacements de l’objet de la preuve – l’imbrication des preuves indirectes – n’est pas exclue. Une fois le fait prouvé par présomptions, il est considéré comme établi. Il peut parfaitement être un indice, duquel peut être déduit un autre fait. Reste que le recours aux preuves indirectes n’est pas sans danger. Le déplacement de l’objet de la preuve peut rendre douteuse la réalité du fait établi et, « plus le détour s’allonge, plus le risque d’incertitude grandit » [42].
Néanmoins, à défaut de pouvoir établir chaque fait avec certitude, les juges sont parfois contraints de se satisfaire de vraisemblances, de fortes probabilités – ce qui était bien le cas, selon la Cour de cassation, lorsque la cour d’appel a admis l’existence du lien causal entre le produit et le dommage à la lumière d’un faisceau d’indices [43]. Le produit, mis en circulation par la demanderesse, a effectivement joué un rôle dans la réalisation du dommage. Encore faut-il s’assurer, pour l’application de ce régime de responsabilité, que ledit produit était effectivement défectueux.
IV. La défectuosité du produit
Avant de retenir que le produit était défectueux, dans son arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de cassation a rappelé les dispositions de l’article 1386-4, devenu 1245-3 du Code civil (N° Lexbase : L0623KZ4), transposant l’article 6 de la Directive précitée. À ce titre, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation [44].
On retrouve ainsi la définition que la Directive, la loi no 83-660 du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs [45] et la Cour de cassation elle-même [46] avaient retenue. C’est donc, au sens de la loi, une notion spécifique à laquelle répond le « produit défectueux ». Il est susceptible d’affecter aussi bien des choses que des personnes. La défectuosité du produit n’est pas appréciée selon l’attente subjective de l’acquéreur. Elle fait l’objet, compte tenu de la lettre de la loi et précisément de l’emploi du pronom indéfini « on », d’une appréciation in abstracto.
Dans l’affaire sous commentaire, la Haute juridiction ne manque pas de souligner les autres dispositions relevées par la cour d’appel. D’une part, l’article 7 de la loi du 2 novembre 1943, modifiée par la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 (N° Lexbase : L1178AR3), impose que l’étiquette des produits visés mentionne les précautions à prendre par les utilisateurs. D’autre part, l’article 34 de l’arrêté du 6 septembre 1994, portant application du décret n° 94-359 du 5 mai 1994, dispose que tout emballage doit porter l’indication de la nature des risques particuliers et des protections à prendre pour l’homme, les animaux ou l’environnement sous forme de phrases types choisies de manière appropriée [47]. Ensuite, la fiche toxicologique établie par l’INRS en 1997 mentionne des recommandations relatives à la manipulation du chlorobenzène en préconisant notamment d’éviter l’inhalation de vapeurs, de prévoir des appareils de protection respiratoire pour certains travaux, et de ne jamais procéder à des travaux sur ou dans des cuves ou réservoirs ayant contenu du chlorobenzène sans prendre les précautions d’usage. Il retient, enfin, que l’étiquetage du produit ne répond pas à la réglementation dans la mesure où les risques liés à l’inhalation du chlorobenzène, présent en quantité importante dans le Lasso, ne sont pas signalés, pas davantage que la préconisation d’appareils de protection respiratoire pour le nettoyage des cuves [48].
La première chambre civile de la Cour de cassation retient ainsi que le moyen n’était pas fondé, la cour d’appel ayant pu déduire qu’« en raison d’un étiquetage ne respectant pas la réglementation applicable et d’une absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs, le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et était dès lors défectueux » [49]. En d’autres termes, le produit est défectueux puisque l’étiquetage ne précise pas les risques liés à l’une des substances présentes en quantité importante dans le produit et ne contient aucune préconisation quant aux matériels de protection à utiliser.
Rappelons qu’en présence de ce régime de responsabilité sans faute, dite objective, le producteur n’a pas à prouver l’absence de défaut du produit. Il revient en réalité à la victime d’établir, selon l’article 1245-8 du Code civil (N° Lexbase : L0628KZB), la défectuosité du produit. La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises que l’implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut [50]. En cela, on ne peut comparer la responsabilité du fait des produits au modèle préexistant de la responsabilité du fait des choses. Par conséquent, il s’agit d’une responsabilité du fait des produits défectueux – soulignons – seulement.
Tout produit, bien que ne se rapprochant pas systématiquement de la perfection, ne présente pas nécessairement, pour autant, un défaut. Ne sera donc engagée la responsabilité du producteur que si le défaut de son produit est prouvé. À l’instar de la définition qui était utilisée par la jurisprudence pour définir le contenu de l’obligation de sécurité du vendeur en droit commun, l’article 1245-3 du Code civil retient qu’« un produit est défectueux […] lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit […] » [51].
Il n’est donc ni étonnant ni nouveau que la jurisprudence tienne compte de la présentation du produit comme source du défaut, qui sera parfois qualifié de défaut extrinsèque par la doctrine, par opposition au défaut intrinsèque résultant de la conception ou de la fabrication du produit [52]. On l’a vu, dernièrement, à propos de la présentation manquante, dans la notice du médicament nommé Dépakine, du risque tératogène d’une particulière gravité[53] et, auparavant, d’une plaquette d’information – d’un médicament destiné à effacer les rides – communiquée préalablement à une patiente ne mentionnant pas les effets indésirables [54] ou encore de l’absence de mention sur la notice des effets secondaires connus du vaccin [55]. On l’a aussi relevé au sujet d’autres produits, comme une bouteille de gaz [56] ou un béton [57], dont les conditions générales de vente étaient insuffisantes quant à l’information sur les risques. Naturellement, les effets nocifs constatés d’un médicament, par exemple une pilule contraceptive, peuvent être seuls de nature à caractériser un défaut du produit au sens de l’article 1245-3 du Code civil. Dans ce cas, la défectuosité du produit persiste malgré les précisions apportées par le producteur, à travers la notice, sur ses potentiels risques. Elle résulte de la mise en balance des effets nocifs constatés et des bénéfices attendus [58]. À l’inverse, n’est pas automatiquement défectueux le produit entaché, par nature, de dangerosité [59]. Mais en présence d’un produit appartenant à un groupe de produits présentant un risque anormalement élevé de causer un dommage aux personnes, sans pour autant qu’un défaut ait été constaté pour le produit concerné lui-même, la Cour de justice de l’Union européenne a admis qu’il soit considéré comme défectueux au sens de la directive de 1985, compte tenu du défaut potentiel de la série à laquelle il appartient [60]. Seuls les dispositifs médicaux implantés dans le corps du patient, ici des stimulateurs cardiaques, seraient envisagés par cette solution permettant d’alléger la charge probatoire de la victime n’ayant à rapporter qu’un défaut affectant des éléments du lot où, en définitive, le juge se satisfait du risque ou soupçon suffisamment avéré de défaut.
L’affaire Monsanto n’était donc pas concernée par cette dernière jurisprudence. Le demandeur devait rechercher le défaut du produit, ne pouvant se contenter de sa dangerosité. Certes, en l’espèce, le produit litigieux est dangereux par nature. Il s’agit davantage de démontrer la dangerosité « anormale » du produit. Celle-ci peut parfaitement résulter d’un défaut d’information sur les risques liés à l’utilisation du produit. Par conséquent, le défaut d’information est assimilé au défaut du produit. Tel que le prévoit la loi en visant « la présentation du produit », le défaut de sécurité est caractérisé par l’insuffisance d’information et de mise en garde contre les dangers éventuels du produit. On ne recherche pas le défaut intrinsèque du produit, mais le défaut de renseignement donné qui peut conduire au même résultat. En l’espèce, l’absence d’information spécifique sur le danger susceptible d’être encouru en cas de travaux sur ou dans les cuves et réservoirs imprègne le produit concerné d’un caractère défectueux en ce qu’il ne présente plus la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.
V. Un lien causal établi entre le défaut et le dommage
Cinquième élément important de ce procès très médiatique, un lien causal entre le défaut et le dommage est établi, selon la Cour de cassation. Il mériterait d’être mieux distingué de la preuve du lien causal entre le produit et le dommage qui devait être préalablement rapportée par la victime [61]. La doctrine a mis en lumière que déterminer les caractéristiques du lien de causalité en matière de responsabilité du fait des produits défectueux dépend « de la définition donnée à la notion de défaut. Simple à première vue, la démarche se révèle être une impasse : dès lors qu’est défectueux un produit “ne présentant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre”, force est d’admettre que l’identification du défaut dépend de la causalité elle-même. Non seulement l’analyse de la causalité est logiquement antérieure à celle du défaut mais elle paraît constituer un élément de qualification de ce dernier : le produit dépourvu de sécurité, c’est celui qui provoque un dommage (corporel) auquel on ne pouvait légitimement s’attendre. Deux éléments apparaissent dès lors : d’une part, le produit défectueux a causé le dommage ; d’autre part, on ne pouvait s’attendre à ce qu’il cause ce dommage » [62].
Ne pouvant s’arrêter sur ce paradoxe, au risque d’un déni de justice, les magistrats du quai de l’horloge ont tout d’abord rappelé le principe selon lequel, aux termes de l’article 1386-9, devenu 1245-8 du Code civil, transposant l’article 4 de la Directive précitée, le demandeur doit prouver le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage. Ils ont ensuite réitéré que cette preuve peut être apportée par tout moyen et notamment par des présomptions [63] ou indices graves, précis et concordants [64], en apportant enfin un tempérament : le lien causal ne peut cependant être déduit de la seule implication du produit dans la réalisation du dommage [65].
Pour rappel, la preuve du lien de causalité, qui pèse sur la victime, est difficile voire impossible à rapporter lorsque les connaissances scientifiques paraissent insuffisantes pour le caractériser de manière certaine. Faut-il, par conséquent, que le doute profite systématiquement au fabricant du produit [66] ? Face à cette difficulté, le juge peut s’adapter. Il a souvent recours, mais regrettablement pas toujours [67], aux présomptions de fait, en particulier dans les contentieux initiés à raison de médicaments ou des vaccins[68], en exigeant toutefois qu’elles soient graves, précises et concordantes, ce que semble réitérer, de façade du moins, la première chambre civile dans l’arrêt du 21 octobre 2020. En 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a admis que le recours à des présomptions puisse être compatible avec les principes issus de la Directive. Ne sont cependant autorisées que des présomptions de fait, demeurant interdite une présomption de droit qui empêcherait la preuve contraire dès lors que les éléments factuels requis sont établis [69]. Dès lors, l’influence causale d’un vaccin dans le développement d’une maladie peut être présumée en l’absence de certitude scientifique. Toutefois, la Cour de Luxembourg a jugé contraire à la Directive le recours à une liste d’indices factuels dont la conjonction établirait nécessairement le défaut du produit. La distinction entre causalité scientifique et causalité juridique, souhaitée par de nombreux auteurs [70], était ainsi avalisée au sein de l’Union européenne. Cette solution a été mise en œuvre en droit interne dès le 18 octobre 2017 [71]. Dans l’affaire commentée, sans doute la Haute Cour aurait-elle pu admettre, pour faciliter la tâche de la victime, qu’une fois l’implication du produit dans le dommage et sa défectuosité prouvées, le rôle causal du défaut pouvait être présumé [72], a fortiori alors que par le passé ce rôle créateur et protecteur de la jurisprudence se manifestait plus encore dans le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux [73].
Dans ce domaine mystérieux de la causalité, empreint tantôt d’émotions [74], tantôt de considérations d’opportunités [75], le juge sait, régulièrement, être pragmatique [76] ou revenir à un certain « bon sens » [77] en se contentant d’une vraisemblance de causalité [78]. Néanmoins, marquée, du moins en France, d’une certaine défiance à l’encontre de la causalité scientifique [79], « la causalité exigée en matière de responsabilité civile n’est pas une causalité matérielle quelconque mais une causalité juridique » [80] comprise comme un rôle spécifique dans le déclenchement du dommage [81]. À ce titre, la Cour de cassation « se doit de contrôler la cohérence de la motivation qu’elle apprécie, mais aussi le bien-fondé du raisonnement conduisant à l’affirmation ou à la négation du rapport causal. On peut dire que le contrôle exercé en la matière est un contrôle étendu » [82]. Dans les hypothèses où le demandeur supporte le risque de preuve, les « véritables » présomptions – celles de fait et non de droit – ont un rôle plus rationnel à jouer [83]. Dans un environnement scientifique parfois incertain – la crise sanitaire en ayant fait une énième démonstration – une inégalité patente des armes – telle qu’une victime isolée, affaiblie, jetée dans le « ring du procès » face à une multinationale par exemple – peut conduire, en particulier avec les produits chimiques utilisés en médecine ou en agriculture, à une forme d’« intégrisme causal » [84] poussant la Cour de cassation à admettre une causalité « suffisante », plutôt que directe et certaine, cette dernière étant associée à un leurre [85]. Mis à part le traitement juridique particulier, suspect, que la Cour de cassation réserve à une partie du contentieux relatif au vaccin contre l’hépatite B en se refusant « à déduire, le cas échéant, le lien de causalité d’éléments propres à chaque espèce et tirés notamment d’indices tels que la proximité temporelle entre vaccination et apparition des premiers symptômes, ou absence d’autres causes probables tirées de la situation personnelle du patient » [86], il s’agit, plus largement, d’une politique jurisprudentielle qui cherche à protéger les justiciables essayant de faire valoir leurs demandes indemnitaires [87].
À ce titre, la cour d’appel avait admis le rôle causal du défaut du produit, lui-même assis sur les informations manquantes, dans la réalisation du dommage. Au soutien de son pourvoi, la demanderesse a soutenu que la cour d’appel aurait simplement constaté l’implication du produit dans le dommage et n’aurait pas établi le lien causal entre la défectuosité du produit et le dommage. Selon elle, la victime ne portait aucune protection alors que l’étiquetage préconisait le port d’un appareil de protection du visage et des yeux. À ce titre, pour la société Monsanto, il ne pouvait être établi aucun lien causal entre la défectuosité du produit liée au manque d’informations et le dommage puisque la victime n’avait même pas pris soin de respecter les quelques recommandations élémentaires qui figuraient bien sur le produit. Elle en concluait qu’en l’état, rien ne saurait établir que l’agriculteur aurait suivi les recommandations préconisant le port d’un appareil respiratoire si celles-ci avaient été apposées sur l’étiquette. En définitive, selon le producteur, le lien causal étant incertain [88], seule aurait pu être réparée la perte de chance d’éviter le dommage.
La première chambre civile de la Cour de cassation a néanmoins considéré que la cour d’appel n’avait pas dénaturé le rapport d’expertise et ne s’était pas seulement fondée sur l’implication du produit dans la survenue des troubles ressentis par l’agriculteur pour déduire l’existence d’un lien causal entre le défaut et le dommage subi par celui-ci [89]. À ce titre, selon la Haute Cour, les juges du fond ont préalablement retenu, d’une part, que les troubles présentés par la victime et constatés par le certificat médical initial et le stress post-traumatique ressenti sur le long terme étaient imputables à l’inhalation du Lasso, d’autre part, que ce produit était défectueux en en motivant au préalable les raisons. Puis les juges du fond ont relevé que cette inhalation est survenue accidentellement, lorsque, à l’issue d’une campagne d’épandage, l’intéressé a nettoyé la cuve de traitement, que la notice d’information du produit ne faisait apparaître ni la nécessité d’éviter l’inhalation de vapeurs et de réaliser en appareil clos toute opération industrielle ni celle de porter, dans ce cas, un appareil de protection respiratoire et de ne jamais procéder à des travaux sur ou dans des cuves et réservoirs contenant ou ayant contenu du chlorobenzène sans prendre les précautions d’usage, cette préconisation renvoyant à la recommandation de la fiche toxicologique relative au chlorobenzène [90]. Enfin, puisqu’il n’avait pas été soutenu en cause d’appel, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le moyen nouveau soutenant que seule une perte de chance pourrait être retenue [91]. Il paraît étonnant que ce dernier moyen n’ait pas été soulevé en amont, ne serait-ce à titre très subsidiaire, car il paraît être le seul qui aurait peut-être pu avoir quelques chances de prospérer.
Enfin, dans son cinquième moyen divisé en trois branches, Monsanto invoque deux causes d’exonération : le risque de développement, spécifique à la responsabilité du fait des produits défectueux, et une cause d’exonération de droit commun, la faute de la victime. Après avoir tenté de démontrer que les conditions de sa responsabilité n’étaient pas réunies, la demanderesse essaye ainsi, au prix de deux ultimes arguments, d’en être libérée.
VI. L’exonération pour risque de développement
En vertu de l’article 1386-11, devenu l’article 1245-10 du Code civil (N° Lexbase : L0630KZD), la responsabilité du producteur est écartée lorsque « l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ». C’est ce que l’on nomme l’exonération pour risque de développement [92]. La cour d’appel de Lyon avait rejeté cette cause d’exonération, au motif que les réglementations en vigueur s’agissant des produits phytopharmaceutiques, ainsi que la fiche toxicologique du produit établissent qu’au moment de la mise en circulation du produit, soit en juillet 2002, Monsanto avait toute latitude pour avoir connaissance du défaut du produit.
Ce raisonnement est contesté par la société Monsanto, à deux égards. D’abord, la société reproche à la cour d’appel d’avoir privé sa décision de base légale. Les éléments sur lesquels se sont fondés les juges du fond pour évaluer l’état des connaissances scientifiques et techniques seraient insuffisants. Dans la mesure où ni les réglementations mentionnées ni la fiche toxicologique ne faisaient mention des informations qui seraient omises sur l’emballage, la cour d’appel ne pouvait apprécier l’état des connaissances au regard de ces éléments. Ensuite, Monsanto reproche aux juges du fond de s’être placés en juillet 2002 afin d’apprécier l’état des connaissances scientifiques et techniques. En effet, selon la société, cet état doit s’apprécier au moment de la mise en circulation du produit. Or, la date de mise en circulation du produit ne serait pas juillet 2002, car cette date correspond à celle où le produit a été livré par un distributeur qui n’en était pas le producteur et non à celle où le producteur s’en est volontairement dessaisi.
Ces arguments ne convainquent pas la Haute juridiction, qui rejette l’argumentaire de Monsanto. Elle rappelle que, conformément à ce que décide la Cour de justice de l’Union européenne, l’état des connaissances scientifiques et techniques doit être apprécié objectivement, c’est-à-dire, plus précisément, selon le niveau le plus élevé des connaissances, indépendamment du secteur concerné [93].
Ainsi, en se fondant sur les réglementations en vigueur en matière de produits phytopharmaceutiques ainsi que sur la fiche toxicologique du produit, la cour d’appel s’est fondée sur des éléments objectifs, lui ayant permis de déduire à bon droit que Monsanto ne pouvait bénéficier de la faculté d’exonération pour risque de développement. De plus, selon la Cour de cassation, ces connaissances étaient accessibles au moment où le produit a été mis en circulation. La Haute juridiction relève que les juges du fond n’avaient pas à procéder à un nouvel examen de la date de mise en circulation du produit. Il ne faut en effet pas rechercher la date de mise en circulation réelle du produit, mais bien la date de mise en circulation telle que requise pour engager la responsabilité de celui qui serait assimilé au producteur. Autrement, la solution serait contre-productive : on protège d’abord la victime en lui permettant d’agir contre celui qui peut être assimilé au producteur, mais ensuite on permettrait à ce dernier de s’exonérer en démontrant qu’à la date de mise en circulation réelle, il ne pouvait avoir connaissance du défaut du produit. La date à prendre en compte est donc la date de mise en circulation retenue. Or, cette date a été fixée en juillet 2002 et la Cour de cassation a déjà approuvé la solution de la cour d’appel sur ce point [94]. L’argument est donc balayé.
La Cour de cassation rappelle ici une solution constante s’agissant de l’exonération du producteur pour risque de développement. De l’avis des auteurs et selon les indications jurisprudentielles, le risque de développement doit s’apprécier objectivement : il doit s’agir des connaissances scientifiques et techniques les plus avancées et non pas seulement de l’état des connaissances dans le seul secteur industriel concerné [95].
L’appréciation du risque de développement exonératoire obéit ainsi à une conception stricte : si seul l’état des connaissances dans le secteur concerné était pris en compte, cette cause d’exonération pourrait être invoquée avec trop de facilité, et ce d’autant plus si le domaine concerné est restreint [96]. C’est ainsi que cette cause d’exonération a été écartée dans une autre affaire médiatisée, celle du Médiator. Le laboratoire reprochait à la cour d’appel de s’être fondée sur la parenté du Médiator avec d’autres médicaments jugés dangereux. Pour le laboratoire, les juges ne pouvaient exclure l’exonération pour risque de développement au regard de connaissances techniques et scientifiques qui concernaient d’autres médicaments, et donc un autre secteur. La Cour de cassation a pourtant rejeté les arguments du laboratoire, confirmant ainsi l’appréciation stricte du risque de développement exonératoire [97].
Les connaissances techniques et scientifiques sont ainsi entendues objectivement et le risque de développement s’apprécie strictement, en ce que cet état des connaissances ne saurait se limiter au secteur concerné. Cette appréciation stricte peut s’expliquer par les réticences qui se sont fait entendre quant à la transposition en droit français du risque de développement comme cause d’exonération. Lors de la discussion au Parlement de la loi du 19 mai 1998, certains faisaient valoir que le risque de développement était difficilement assurable et que refuser cette cause d’exonération aux producteurs français les désavantagerait par rapport aux concurrents européens. D’autres considéraient que cette faculté d’exonération constituait un recul du droit des victimes [98]. En admettant cette cause d’exonération tout en ayant une appréciation stricte du risque de développement, l’on fait ainsi œuvre de compromis.
Ce rappel d’une solution constante par la Cour de cassation est à mettre en perspective avec le projet de réforme de la responsabilité civile, qui propose des modifications en matière de produits défectueux. De lege lata, l’exonération pour risque de développement est exclue si le dommage a été causé par un élément du corps humain, ou par un produit issu de celui-ci [99]. Cette exclusion s’explique par le contexte particulier dans lequel la législation sur les produits défectueux a vu le jour en France : marquée par l’affaire du sang contaminé, l’opinion publique n’aurait pas accepté que les fournisseurs puissent s’exonérer en invoquant le caractère indécelable de la vicissitude du sang [100]. De lege ferenda, le projet de réforme de 2017, dans son article 1298-1, propose d’aller plus loin : cette cause d’exonération serait également exclue concernant les produits de santé. La proposition de loi sénatoriale du 29 juillet 2020 ne reprend toutefois pas cette proposition [101]. Celle-ci s’étant heurtée à une résistance des laboratoires pharmaceutiques, elle constitue un sujet dit « bloquant », pour l’heure écarté [102]. Ce qu’il adviendra de la responsabilité du fait des produits défectueux avec le projet de réforme de la responsabilité est donc, pour l’heure, incertain. En rappelant une solution constante en matière d’exonération pour risque de développement, la Cour de cassation adopte ici une position de statu quo.
VII. La faute de la victime
Outre le risque de développement, Monsanto tente d’invoquer une cause d’exonération de droit commun, à savoir la faute de la victime, que le producteur peut soulever afin de voir sa responsabilité réduite ou supprimée conformément à l’article 1386-13, devenu 1245-12 du Code civil. En tant que cause d’exonération de droit commun, elle a été invoquée par Monsanto tout au long de la procédure, y compris lorsque sa responsabilité était recherchée sur le fondement de la responsabilité du fait personnel [103]. La cour d’appel de renvoi a écarté cet argument au motif que la cause exclusive du dommage subi par ce dernier résidait dans le manque d’information sur le produit et ses effets nocifs, un exploitant agricole n’étant pas, par nature, un chimiste. Monsanto conteste ce raisonnement. En effet, la cour d’appel a relevé que s’il est vrai que n’importe quel utilisateur normalement vigilant sait qu’il n’est pas raisonnable d’inhaler un désherbant, il peut penser que le port d’un appareil de protection des yeux et du visage est suffisant alors que ce n’est pas le cas. Or, l’agriculteur ne portait aucune protection du visage lorsqu’il a inhalé le produit. Par conséquent, Monsanto affirme que l’agriculteur a bel et bien commis une faute à l’origine de son propre dommage. Encore une fois, la Haute juridiction ne suit pas l’argumentation. Elle considère que la cour d’appel a pu déduire que la faute alléguée par la société était sans lien de causalité avec le dommage car, même si l’agriculteur avait porté une protection, celle-ci aurait de toute façon été inefficace à le protéger, en l’absence de protection respiratoire. La protection recommandée par Monsanto était désuète en effet. Ainsi, pour la Cour de cassation, la faute de la victime n’est pas de nature à exonérer Monsanto.
La Haute Cour approuve, ainsi, la solution des juges du fond et rejette le cinquième moyen pris en sa troisième branche. Pour comprendre cette approbation, il faut préciser brièvement ce qu’est le lien de causalité : il est l’élément qui relie un fait (fautif ou non) au dommage. Techniquement, le comportement de la victime est donc toujours l’une des causes du dommage. Elle participe nécessairement à la réalisation de son propre dommage, puisque c’est parce qu’elle est présente à un moment donné dans un endroit donné qu’un dommage survient. Ainsi, de fait, l’agriculteur, en utilisant un désherbant et en l’inhalant, participe à son propre dommage, que son comportement soit fautif ou non. Toutefois, pour exonérer le défendeur de sa responsabilité, l’on exige la démonstration d’une faute de la victime car, autrement, son indemnité serait systématiquement réduite. Mais cette exigence relève davantage d’un ajustement, ultérieur à la caractérisation de la causalité, destiné à protéger la victime au stade de l’imputabilité : il ne faut lui « reprocher » son propre fait que si ce dernier est fautif. Cela permet de préserver son droit à indemnisation.
Dès lors, en l’espèce, l’on comprend que la question de la caractérisation de la faute ne soit pas centrale. En effet, la Cour de cassation décide que la cour d’appel a pu déduire que la faute de l’agriculteur, alléguée par Monsanto, était sans lien de causalité avec le dommage. La Haute juridiction se prononce ainsi sur le rejet du lien de causalité, mais elle n’apporte pas de précisions sur la caractérisation de la faute, renvoyant à la faute simplement « alléguée » par Monsanto et opérant un contrôle de motivation léger. Finalement, l’on ne sait pas avec certitude si l’agriculteur a adopté un comportement fautif ou non ; en revanche, l’on sait que le lien de causalité n’est pas caractérisé. La décision se comprend puisqu’à ce stade, la Haute juridiction ayant exclu l’existence d’un lien causal, il n’y a pas lieu de procéder à l’imputabilité et donc de rechercher la faute de la victime. La Cour de cassation peut se détacher de la qualification de la faute, dès lors qu’elle a déjà confirmé l’absence de causalité. D’aucuns pourraient considérer qu’il n’y a pas nécessairement un grief technique à l’égard de la Cour de cassation sur ce point.
Néanmoins, la décision est-elle à l’abri de toute critique ? S’il n’est pas nécessaire de rechercher la faute de la victime lorsque le lien de causalité est exclu, encore faut-il s’assurer que le fait de la victime ne soit pas en lien avec le dommage. Or, ici, le fait d’exclure tout lien de causalité entre le dommage subi et le comportement de l’agriculteur ne va pas nécessairement de soi. En l’espèce, l’inhalation du produit par la victime lors de son utilisation constitue bien un fait à l’origine du dommage. De fait, il existe bien un lien entre le fait de la victime et le dommage qu’elle subit. Si l’agriculteur n’avait pas utilisé et inhalé le « Lasso », il n’aurait pas déclaré de pathologies. L’absence de lien causal n’est pas si certaine – du moins si l’on retient cette acception de la causalité.
À cet égard, la solution de la Cour de cassation peut être discutée. À considérer que le lien causal peut être établi, la question de l’imputabilité pouvait se poser : la nécessité de caractériser la faute de la victime resurgit. L’étape de l’imputabilité est incontournable, une fois le lien entre le fait de la victime et le dommage caractérisé ; elle est d’autant plus cruciale que la faute de la victime n’était pas totalement exclue en l’espèce. Sans être chimiste, l’on pourrait considérer qu’il n’est pas normalement raisonnable d’utiliser un désherbant chimique sans porter aucun équipement de protection. Les juges du fond relèvent que « tout utilisateur normalement vigilant sait qu’il est déraisonnable d’inhaler un désherbant tel que le Lasso » [104]. Entendue selon une appréciation objective [105], la faute de la victime peut se discuter. L’agriculteur a-t-il adopté le comportement d’une personne raisonnable en utilisant du « Lasso » sans aucune protection ? Il n’était donc pas si évident que Monsanto ne puisse pas s’exonérer en invoquant une faute de la victime. Si l’on veut bien admettre que le lien de causalité est le rapport entre le fait – et non la faute – de la victime et le dommage, il devait ici être établi. Le cas échéant, l’étape de l’imputabilité ne pouvait être ignorée : la faute de la victime aurait dû être appréciée.
Avec cette solution, nul doute que la Cour de cassation était attendue au tournant, en raison de l’importante médiatisation à laquelle cette affaire a donné lieu. En rappelant chaque point de la responsabilité du fait des produits défectueux et en excluant toute possibilité pour Monsanto de s’exonérer, la Haute juridiction ne chercherait-elle pas à faire passer un message aux entreprises qui mettent sur le marché certains produits chimiques ? Si ces produits causent des dommages, leur responsabilité peut être engagée et il ne sera pas si aisé de s’en libérer. Finalement, c’est bien David qui l’emporte contre Goliath. Au-delà du symbole, est-ce une victoire suffisante pour éviter, d’aventures, de telles pratiques commerciales ? Alors que la réforme de la responsabilité civile est en cours devant le Parlement, d’aucuns pourraient espérer qu’y soit intégrée – plutôt que retirée, manu militari, du débat parlementaire [106] – une forme de faute lucrative ou d’amende civile transcendant tous les régimes de responsabilité qui permette d’assigner clairement à la responsabilité civile un double rôle : indemnitaire, dans la continuité, mais aussi susceptible de répondre efficacement aux géants financiers seuls soucieux des intérêts à court terme de leurs actionnaires, en d’autres termes monétairement punitif, là où la restriction des qualifications pénales ne permet pas suffisamment à la responsabilité pénale d’assumer ce rôle. Car cumulés, tous les péchés ne sauraient être pardonnés !
[1] C. Boutelet, Pourquoi Bayer rachète Monsanto, Le Monde.fr, 15 septembre 2016 : « Le futur numéro un mondial des semences et pesticides entend contrôler toute la chaîne agricole ». – Adde C. Boutelet, Bayer : le rachat de Monsanto vire au cauchemar, Le Monde.fr, 29 mars 2019. - C. Boutelet, Roundup : Bayer va verser 10 milliards de dollars pour faire cesser les poursuites mais ne reconnaît aucune faute, Le Monde.fr, 25 juin 2020 : « Bayer a annoncé, mercredi 24 juin au soir, une avancée majeure dans ses déboires judiciaires aux États-Unis. Le groupe agrochimique et pharmaceutique allemand, qui a racheté l’américain Monsanto en 2018, a négocié un accord monumental avec les milliers de plaignants avec qui il était en procès dans l’affaire du glyphosate, un herbicide commercialisé par Monsanto sous le nom de Roundup. Cet accord “mettra un terme à environ 75 % des litiges” impliquant ce produit, “qui concernent environ 125 000 plaintes au total”, a déclaré Bayer dans un communiqué. Bayer s’est engagé à verser entre 10,1 milliards et 10,9 milliards de dollars (entre 9 milliards et 9,7 milliards d’euros) en échange de l’abandon des poursuites, et les éventuels litiges à venir sont désormais encadrés. Bayer a également soldé les poursuites sur deux autres dossiers attachés à Monsanto : le pesticide Dicamba et la pollution au polychlorobiphényle (PCB) dans l’eau. Pour le groupe allemand, cet accord représente la fin d’un feuilleton judiciaire qui a gravement terni sa crédibilité et son image depuis deux ans. L’accord annoncé mercredi prévoit une solution pour environ 75 % des plaintes liées au Roundup. Bayer a précisé que les 25 % restants seraient réglés dans les mois prochains. Une somme de 8,8 milliards à 9,6 milliards de dollars doit être distribuée aux plaignants contre l’abandon des poursuites en cours ; 1,25 milliard de dollars est réservé pour les plaignants à venir ».
[2] Roundup : Bayer condamné à payer 2 milliards de dollars à un couple américain, Le Monde avec AFP et Reuters, 13 mai 2019 : « c’est le troisième jugement d’affilée que perd Bayer aux États-Unis dans le dossier de l’herbicide controversé, qui doit faire face à plus de 13 400 actions en justice outre-Atlantique. En août 2018, c’était un tribunal de l’État de Californie qui avait condamné la firme agrochimique à verser 289 millions de dollars (253 millions d’euros) à Dewayne Johnson, un jardinier également atteint d’un LNH ».
[3] J.-M. Pastor, Glyphosate vs principe de précaution, sous TA Lyon, 15 janvier 2019, n° 1704067, Dalloz Actualité, 18 janvier 2019 : « Dès lors, malgré les précautions d’emploi fixées par la décision attaquée (qui préconise un délai minimal de 7 à 21 jours entre le traitement des cultures et la récolte et une distance de sécurité de cinq mètres pour les zones aquatiques adjacentes non traitées), “l’utilisation du Roundup Pro 360, autorisée par la décision attaquée, porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé”. Par conséquent, l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement en autorisant le Roundup Pro 360 malgré l’existence de ce risque. La décision du 6 mars 2017 autorisant la mise sur le marché de ce produit est donc annulée ».
[4] J.-M. Pastor, op. cit., Dalloz Actualité, 18 janvier 2019.
[5] J.-M. Pastor, op. cit., Dalloz Actualité, 18 janvier 2019.
[6] M.-C. de Montecler, Le retour des néonicotinoïdes est acté par le Parlement, Dalloz Actualité, 6 novembre 2020.
[7] Projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières [en ligne].
[8] Néonicotinoïdes : le Parlement autorise leur réintroduction pour sauver la filière betterave, Le Figaro avec AFP, le 4 novembre 2020.
[9] Ibid..
[10] Tribunal de Grande Instance Lyon, 13 février 2012, n° 07/07363, M. F. c/ Sté Monsanto agriculture France SAS ; cf. C. Quézel-Ambrunaz, Monsanto pris au “Lasso” du droit commun de la responsabilité civile, Gaz. Pal., 3 mai 2012, p. 5 : « La solution du tribunal mérite sans doute d’être approuvée, à tout le moins sur le principe de la responsabilité. Elle démontre de manière éclatante que la multiplication des régimes spéciaux n’est absolument pas nécessaire à la juste protection des victimes. À l’heure où, à l’échelle nationale comme européenne, il est question de réformer, d’harmoniser ou de recodifier le droit de la responsabilité civile, cela doit rester à l’esprit ».
[11] Cass. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651 (N° Lexbase : A8305WL8), Dalloz Actualité, 17 juillet 2017, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2017. 1800, communiqué C. cass., note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel‑Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P. Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau.
[12] Cass. mixte, 7 juillet 2017, préc. ; D. Bakouche, L’obligation pour le juge d’examiner d’office l’applicabilité au litige de la responsabilité du fait des produits défectueux, Lexbase, Droit privé, n° 710, septembre 2017 (N° Lexbase : N9912BWZ).
[13] CA Lyon, 11 avril 2019, n° 17/06027 (N° Lexbase : A2818Y9A) ; J.-M. Denieul, « Monsanto s’est pris les pieds dans le Lasso » : condamnation sur le fondement du régime spécial d’indemnisation des victimes de produits défectueux, Lexbase, Droit privé, n° 784, mai 2019 (N° Lexbase : N9057BXQ). – T. Coustet, Monsanto jugé responsable de l’intoxication d’un agriculteur, Dalloz Actualité, 3 mai 2019.
[14] C. civ., art. 1245-10, 1° (N° Lexbase : L0630KZD).
[15] Loi n° 98-389 du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, art. 21 (N° Lexbase : L2448AXX).
[16] O. Sabard, La mise en circulation et ses effets, Resp. civ. et assur., n° 1, janvier 2016, dossier 9.
[17] CJCE, 9 février 2006, aff. C-127/04 (N° Lexbase : A7245DMB).
[18] Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3786WSZ).
[19] Voir, par exemple, L. Neyret, La défectuosité : nouvel enjeu du contentieux du vaccin contre l’hépatite B, D., 2006, p. 1273 ; O. Sabard, op. cit. ; G. Viney, La responsabilité du producteur du Mediator, D., 2017, p. 2284 ; C. Corgas‑Bernard, L’affaire du Mediator devant la Cour de cassation, acte II, Lamy Droit civil, n° 153, 1er novembre 2017 ; J.‑S. Borghetti, La Cour de cassation rejette l’exonération pour risque de développement dans un litige relatif au Mediator, JCP G, n° 46, 13 novembre 2017, 1186.
[20] C. civ., art. 1245-15 (N° Lexbase : L0635KZK) ; Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, art. 10.
[21] G. Viney, La responsabilité du producteur du Mediator, note sous Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, D., 2017, p. 2284.
[22] Cf. infra, IV.
[23] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 7.
[24] Cf. supra, I.
[25] CJUE, Grande chambre, 2 décembre 2009, aff. C 358/08, SA Aventis Pasteur c/ OB, (N° Lexbase : A2771EPC), D., 2010, p. 624, note J.‑S. Borghetti ; JCP G., 2010, n° 456, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RTD civ., 2010, p. 340, obs. P. Jourdain.
[26] C. civ., art. 1245-5 al. 2nd, 1° (N° Lexbase : L0625KZ8).
[27] Voir, par exemple, C. civ., art. 1245 (N° Lexbase : L0945KZZ) ; C. civ., art. 1245-4 (N° Lexbase : L0624KZ7) ; C. civ., art. 1245-5 ; C. civ., art. 1245‑6 (N° Lexbase : L0626KZ9).
[28] La Cour de cassation indique « que le demandeur doit préalablement établir que le dommage est imputable au produit ». Pour une distinction entre les termes causalité, imputation et imputabilité, voir J. Fischer, Causalité, imputation, imputabilité : les liens de la responsabilité civile, in Mélanges offerts à Ph. le Tourneau (dir.), Dalloz, 2008, p. 283 et s.
[29] Voir F. G’sell-Macrez, Recherches sur la notion de causalité, thèse Paris I, 2005, n° 374 : « Il faut donc identifier le fait du produit de manière à ce que l’on puisse dire que le fait, pour ce produit, de présenter une telle caractéristique, a provoqué le dommage. (…) Il convient ici d’isoler une caractéristique permanente, inhérente au produit : composition, principe actif, mode de fonctionnement, etc. » (souligné par l’auteur).
[30] Sur la nécessité de contrôler cette condition, voir J.‑S. Borghetti, L’implication du produit dans la réalisation du dommage, condition méconnue de la responsabilité du fait des produits, RDC, 1er mars 2010, no 2, p. 619. – Contra, voir Ph. Brun, La responsabilité civile extracontractuelle, 5e éd., 2018, n° 251 : « Cette exigence parfois nommée “imputabilité du dommage à l’administration du produit”, ou “participation du produit à la survenance du dommage”, curieux démembrement de la causalité, a tout d’un avatar d’une causalité scientifique triomphante, prévalence d’autant plus suspecte que la jurisprudence judiciaire n’en est nullement coutumière ».
[31] Voir les positions divergentes des juges du fond concernant l’établissement du lien causal entre le vaccin contre l’hépatite B et les symptômes de la sclérose en plaques : CA Versailles, 2 mai 2001, n° 98/06839 (N° Lexbase : A3586ATY), RTD civ., obs. P. Jourdain ; TGI Lyon, 28 avril 2003, n° 99/07916, n° 99/09696, n° 02/00030 ; JCP G, 2003, II, 10166, note P. Mistretta. Quant à la Cour de cassation, elle a considéré que les juges du fond auraient dû rechercher la causalité scientifique pour établir le lien causal entre le produit et le dommage (Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, no 01‑13.063 (N° Lexbase : A5811C94) et Cass. civ., 1, 24 janvier 2006, no 03-19.534, FS-P+B N° Lexbase : A6043DMR).
[32] Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-20.317, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7001D8S) et n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X) ; Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) ; Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, n° 15-20.791, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0214WWT). Plus généralement, sur cette évolution, voir J. Revel, « Produits défectueux », fasc. 20, art. 1386-1 à 1386-18, J.‑Cl. Civ. Code, 27 mai 2019, n° 17 et G. Viney, La responsabilité des fabricants de médicaments et de vaccins : les affres de la preuve, D., 2010, p. 391.
[33] Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) ; CA Versailles, 30 avril 2004, D., 2004, jur. 2071, note A. Gossement.
[34] CA Versailles, 2 mai 2001, D., 2001, p. 1592 ; RTD civ., 2001, p. 891, obs. P. Jourdain.
[35] CE, 24 juin 2009, RD sanit. soc., 2009, p. 962, obs. D. Cristol ; CA Versailles, 2 mai 2001, op. cit., loc. cit.
[36] Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) : « Qu’ayant (…) relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaques avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit ; que ni Mme X... ni aucun membre de sa famille n’avaient souffert d’antécédents neurologiques, et que dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l’évidence selon le médecin traitant de Mme X..., la cour d’appel, qui a souverainement estimé que ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X..., et le préjudice subi par elle ».
[37] En ce sens, voir J. Revel, « Produits défectueux », op. cit., loc. cit.
[38] J. Normand, Le juge et le litige, Th. Lille, Bibliothèque de droit privé, Tome 65, L.G.D.J., 1965, p. 371.
[39] Par exemple, la Cour de cassation retient que le juge n’est pas tenu de respecter le critère objectif de pluralité des indices contrairement à ce que semble imposer le texte. Voir, par exemple, Cass. civ. 3, 28 novembre 1972, n° 71‑12.044 (N° Lexbase : A3767CKQ), p. 469.
[40] En ce sens, voir notamment T. Le Bars, La théorie du fait constant, JCP G., 1999, I, 178, p. 1969, spéc. p. 1971. – Adde : J. Normand, Le juge peut-il tenir pour non établi un fait allégué et non contesté ?, RTD civ, 1992, p. 447, spéc. p. 449 ; A. Bergeaud, Le droit à la preuve, Th. Bordeaux, Bibliothèque de droit privé, Tome 525, LGDJ, 2010, pp. 306 et 307. – Voir également Cass. civ. 2, 10 mai 1991, n° 89‑10.460 (N° Lexbase : A4281AHZ).
[41] G. Viney, La responsabilité des fabricants de médicaments et de vaccins : les affres de la preuve, D., 2010, p. 391.
[42] J.-L. Mouralis, Preuve : modes de preuve, Rép. Droit civil, Dalloz, janv. 2011, n° 615 (ancienne version).
[43] À propos des garanties encadrant le plerumque fit, voir F. Viney, La personne raisonnable, Contribution à l’étude de la distinction des standards normatifs et descriptifs, th. Paris I, dir. G. Loiseau, 2013, pp. 156 et s.
[44] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 23.
[45] C. consom., art. L. 421-3 (N° Lexbase : L1081K78).
[46] Par application anticipée du texte : Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-20.421 (N° Lexbase : A2844ACC).
[47] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 24.
[48] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 24.
[49] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 25.
[50] Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-17.469, FS-P+B (N° Lexbase : A5679XUU) ; Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-20.903, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3723KEM) ; Cass. civ. 1, 22 octobre 2009, n° 08-15.171, F-D (N° Lexbase : A2640EMQ).
[51] Le projet de réforme de la responsabilité de 2017 reprenait, à l’article 1292, cette même définition.
[52] Ph. le Tourneau, Responsabilité des vendeurs et fabricants, 4ème éd., 2012/2013, Dalloz référence. – Ph. Brun, Le défaut du produit, RCA, 2016, dossier n° 10. – J.-S. Borghetti, note sous Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, no 11-17.738, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6301ITK) D., 2012, p. 2853.
[53] Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-16.537, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3461Z4X), Dalloz Actualité, 17 décembre 2019, obs. S. Hortala.
[54] Cass. civ. 1, 22 novembre 2007, n° 06-14.174, F-P+B (N° Lexbase : A7100DZY) ; D. 2008. Pan. 2894, obs. Ph. Brun et P. Jourdain ; RCA 2008, Comm. no 30, obs. C. Radé ; CCC 2008, Comm. no 64, obs. L. Leveneur ; RDC 2008. 306, obs. J.-S. Borghetti ; JCP G, 2008. I. 125, obs. Ph. Stoffel-Munck. – Dans le même sens, Cass. civ. 1, 25 juin 2009, no 08‑12.632, FS-D (N° Lexbase : A4171EIC), RDC, 2010. 621, note J.-S. Borghetti : « Qu’en se déterminant ainsi, quand le produit, eu égard à la gravité des effets nocifs constatés dont ni la notice d’information remise au praticien ni la brochure publicitaire destinée à la patiente ne faisaient état, n’offrait pas, dans ces circonstances, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, alors même qu’il avait fait l’objet d’un certificat de libre vente, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
[55] Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID), D. 2010. Pan. 49, obs. Ph. Brun ; JCP 2009. 308, note P. Sargos ; RTD civ. 2009. 723 et 735, obs. P. Jourdain ; RCA 2009. Étude 13, note C. Radé ; RDC 2010. 79, note J.‑S. Borghetti.
[56] Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 13-19.781 (N° Lexbase : A2454NBI).
[57] Cass. civ. 1, 7 novembre 2006, n° 05-11.604, F-P+B (N° Lexbase : A2977DS3).
[58] Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-21.271, FS-P+B (N° Lexbase : A1962X88), Dalloz actualité, 26 septembre 2018, obs. A. Hacene.
[59] Cass. civ. 1, 5 avril 2005, n° 02-11.947 (N° Lexbase : A7474DHB), n° 02-12.065 (N° Lexbase : A7474DHB), D. 2006. Pan. 1929, obs. Ph. Brun et P. Jourdain ; JCP 2005. I. 149, nos 7 s., obs. G. Viney ; RCA 2005, comm. n° 189, obs. C. Radé : « Attendu qu’en statuant ainsi sans rechercher si, au regard des circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage que le public pouvait raisonnablement en attendre, du moment de sa mise en circulation et de la gravité des effets nocifs constatés, le produit était défectueux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ». – Comp. CA Paris, 23 septembre 2004, n° 02/16713, D. 2005. 1012, note Gorny ; Cass. civ. 1, 8 novembre 2007, no 06‑15.873, FS-P+B (N° Lexbase : A4175DZN), D. 2008. Pan. 2896, obs. Ph. Brun.
[60] CJUE, 5 mars 2015, aff. C-503/13 (N° Lexbase : A6837NC9), D. 2015. 2283, obs. M. Bacache ; D. 2015. 1247, note J.‑S. Borghetti ; RTD civ. 2015. 406, obs. P. Jourdain ; RDC 2015. 466, note G. Viney. – Comp. J. Traullé, Les dommages réparables, RCA 2016, dossier no 4.
[61] Cf. supra, III.
[62] F. G'sell-Macrez, Recherches sur la notion de causalité, thèse Paris I, 2005, n° 373.
[63] Sur la notion, cf. ex. multis : Ph. Malaurie, P. Morvan, Introduction au droit, LGDJ, Lextenso éd., 8ème éd., 2020, nos 161 et s..
[64] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 29.
[65] Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-17.469, FS-P+B (N° Lexbase : A5679XUU), Dalloz Actualité, 27 juillet 2018, obs. A. Hacene ; Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12- 20.903,FS-P+B+I (N° Lexbase : A3723KEM).
[66] P. Ancel, Droit des obligations, Dalloz, coll. « Séquences », 2e éd., 2020, p. 440.
[67] Par exemple : si la victime n’arrive pas à démontrer que la maladie et les dommages qui en découlent trouvent leur cause dans l’administration du vaccin, le lien de causalité fait défaut et, ainsi, la responsabilité pour faute du praticien ne peut être enclenchée : Cass. civ. 1, 14 novembre 2018, n° 17-27.980, FS-P+B (N° Lexbase : A7905YLD), Dalloz Actualité, 11 décembre 2018, obs. A. Hacene et M. Kebir.
[68] Cass. civ. 1, 22 mai 2008, deux arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S) et n° 06-10.967 (N° Lexbase : A7005D8X).
[69] CJUE 21 juin 2017, aff. C-621/15, Sanofi Pasteur c. CPAM Hauts-de-Seine (N° Lexbase : A1281WKN) ; D. 2017. 1807, note J.-S. Borghetti ; JCP G 2017, n° 908, obs. G. Viney ; RCA 2017. Focus 19, obs. L. Bloch. – Ph. Brun et C. Quézel-Ambrunaz, Preuve de la causalité et incertitude scientifique : la contribution substantielle de la CJUE, RLDC, 2017/151, n° 6339, p. 21 et s..
[70] Cf. notamment F. Leduc, Le lien de causalité, RCA, 2016, dossier n° 11. – F. Rome, Pitié pour les victimes !, D., 2010. Édito 2825. – Ph. Brun, Raffinements ou faux-fuyants ? Pour sortir de l’ambiguïté dans le contentieux du vaccin contre le virus de l’hépatite B, D., 2011. Doctr. 316. – Comp. C. Radé, Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique, D., 2012. Doctr. 112.
[71] Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, deux arrêts, n° 14-18.118 (N° Lexbase : A0213WWS) et n° 15-20.791, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0214WWT).
[72] En ce sens, P. Jourdain, Responsabilité des fabricants de vaccin contre l’hépatite B : y aurait-il du nouveau ?, note sous Cass. civ. 1, 29 mai 2013, no 12-20.903, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3723KEM), RTD civ., 2013, p. 625.
[73] C. Quézel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, préface Ph. Brun, th. Dalloz, 2010, n° 289 : citant Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 03-20.178, FS-P+B (N° Lexbase : A6044DMS), JCP G 2006, II, 10082, note L. Grynbaum.
[74] P. Eismein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964. chron. 205.
[75] Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 246.
[76] B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Obligations, t.1, Responsabilité délictuelle, Litec, 5e éd., 1996, n° 1077.
[77] R. Demogue, Traité des obligations en général, t. VI, Librairie Arthur Rousseau Rousseau et Cie, 1931, n° 271.
[78] J. Fischer, Causalité, imputation, imputabilité : les liens de la responsabilité civile, in Mélanges offerts à Ph. le Tourneau (dir.), Dalloz, 2008, p. 283 et s..
[79] C. Radé, Causalité juridique et causalité scientifique, D. 2012. 112.
[80] Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 248.
[81] P. Ancel, Droit des obligations, Dalloz, coll. « Séquences », 2e éd., 2020, p. 423.
[82] Ph. Brun, op. cit, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 248, in fine.
[83] Ph. Brun, Les présomptions dans le droit de la responsabilité civile, dir. N. Dejean de La Bâtie, th. Université de Grenoble, 1993.
[84] M. Girard, L’intégrisme causal, avatar de l’inégalité des armes ?, D. 2005. 2620.
[85] P. Sargos, La certitude du lien de causalité en matière de responsabilité est-elle un leurre dans le contexte d’incertitude de la médecine ? La causalité en matière de responsabilité ou le “droit Schtroumpf”, D. 2008. 1935.
[86] Ph. Brun, op. cit, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 251.
[87] Ph. Pierre, Les présomptions relatives à la causalité, in Les distorsions du lien de causalité en droit de la responsabilité, Actes du colloque de l’Université de Rennes, 15 et 16 décembre 2006, RLDC, juill.-août 2007, suppl. n° 40, p. 39 et s..
[88] La société Monsanto fondait son argumentation sur un rapport d’expertise mettant en exergue que le lien causal entre l’intoxication et les troubles ultérieurs n’était qu’incertain.
[89] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 31.
[90] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 30.
[91] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 32.
[92] En ce sens, voir C. Caillé, Responsabilité du fait des produits défectueux, Rép. Droit civil, Dalloz, juin 2018, n° 79.
[93] CJCE, 29 mai 1997, aff. C-300/95 (N° Lexbase : A2009AIA), D., 1998, p. 488, note A. Penneau ; JCP G 1997, I, 4070, n° 31, obs. G. Viney.
[94] Cf. supra, I.
[95] En ce sens, J. Ghestin, Le nouveau titre IV bis du livre III du code civil “ De la responsabilité du fait des produits défectueux ”. L’application en France de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux après l’adoption de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, JCP G, 1998, I, 148.
[96] En ce sens, C. Caillé, op.cit., n° 82.
[97] Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3786WSZ), D., 2017, 2284, note G. Viney ; JCP G, 2017, 1186, note J.-S. Borghetti.
[98] Sur ces réticences, voir J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des produits, Étude de droit comparé, LGDJ, 2004, p. 520.
[99] C. civ., art. 1245-11 (N° Lexbase : L0631KZE).
[100] Sur cet aspect, voir J-S. Borghetti, op.cit., loc.cit. Il fallait en effet préserver la solution récente de la Cour de cassation, qui avait considéré que le caractère indécelable du caractère vicié du sang était sans incidence sur la responsabilité du fournisseur, Cass. civ. 1, 12 avril 1995, n° 92-20.747 (N° Lexbase : A4877ACM), JCP G, 1995, II, 22467, note P. Jourdain.
[101] Proposition de loi du 29 juillet 2020, n° 678, Sénat, présentée par MM. Ph. Bas, J. Bigot et A. Reichardt, Sénateurs [en ligne].
[102] Voir nos réflexions sur ce point, E. Petitprez et R. Bigot, Du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 à la proposition de loi du 29 juillet 2020 – Tableau comparatif, Lexbase Droit privé, no 840, octobre 2020 (N° Lexbase : N4873BY7).
[103] C. Quézel-Ambrunaz, Monsanto pris au “Lasso” du droit commun de la responsabilité civile, Gaz. Pal., n° 124, p. 5, sur le jugement du TGI de Lyon du 13 février 2012 ; H. Seillan, Affaire Monsanto : obligation d’information du fabricant de produits chimiques, D., 2015, p. 2247, sur l’arrêt de la CA de Lyon du 10 septembre 2015.
[104] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 39.
[105] La faute de la victime est en effet appréciée de la même manière que la faute du défendeur. En ce sens, dans les arrêts d’Assemblée plénière du 9 mai 1984 qui ont consacré une appréciation objective de la faute civile en abandonnant l’exigence de discernement, il était question d’une faute de la victime, en l’occurrence un mineur. Il a été admis que les juges du fond n’étaient pas tenus de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de ses actes pour diminuer son droit à réparation car il avait commis une faute ayant conduit à la réalisation de son propre dommage, Ass. Plén., 9 mai 1984, deux arrêts, n° 80-90.439 (N° Lexbase : A7962AA7), et n° 80-93.031 (N° Lexbase : A7961AA4), JCP G, 1984, II 20256, note P. Jourdain ; D. 1984, p. 525, note F. Chabas.
[106] E. Petitprez et R. Bigot, Du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 à la proposition de loi du 29 juillet 2020 – Tableau comparatif, Lexbase, Droit privé, n° 840, octobre 2020 (N° Lexbase : N4873BY7).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475397