Réf. : Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-16.300, FS-P+B (N° Lexbase : A88873YS)
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par Marie Le Guerroué
Le 10 Novembre 2020
► La prescription biennale n'est applicable à la demande d'un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique que si cette dernière a eu recours à ses services à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; si la qualité de trustee n'exclut pas nécessairement celle de consommateur, il incombe au juge du fond de déterminer à quelles fins le trustee a eu recours aux services de l'avocat (Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-16.300, FS-P+B N° Lexbase : A88873YS).
Faits et procédure. La veuve d’un sculpteur renommé avait été désignée, par testament, légataire universelle et exécutrice testamentaire, ainsi que « trustee » du trust créé par celui-ci afin de gérer ses œuvres. Elle avait donné mandat un avocat de défendre ses intérêts dans le règlement de la succession de son époux. L'avocat avait mis fin à sa mission le 30 août 2011. A la suite d'un différend sur les honoraires dus par la cliente, il avait saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris.
Moyen. L'avocat fait grief à l'ordonnance de déclarer prescrite son action en paiement d'honoraires diligentée à l'encontre de la cliente, alors que l'activité de trustee, qui repose sur la quête d'un profit économique tendant à faire fructifier le patrimoine du trust, qui est habituelle et destinée à satisfaire aux besoins d'autrui, s'apparente à une activité de mandataire chargé de la gestion de biens pour le compte de tiers incompatible avec la qualité de consommateur, qu'en retenant, pour faire application de la prescription biennale, que la cliente, qui affirme agir en qualité de trustee d'un trust qui n'a pas de personnalité juridique, est une consommatrice, sans tenir compte de la spécificité de la qualité de trustee, incompatible avec la qualité de consommateur, le premier président a violé l'article L. 218-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1585K7T).
Appel. Pour déclarer prescrite la demande de l'avocat, l'ordonnance se borne à retenir que, même si la cliente a fait partie d'un trust qui n'a pas de personnalité juridique et même si les interventions de l'avocat pouvaient avoir un caractère commercial, dans ses relations avec celui-ci, elle est un consommateur.
Réponse de la Cour. La Cour estime, au visa de l'article L. 218-2 du Code de la consommation, que la prescription biennale n'est applicable à la demande d'un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique que si cette dernière a eu recours à ses services à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Si la qualité de trustee n'exclut pas nécessairement celle de consommateur, il incombe au juge du fond de déterminer à quelles fins le trustee a eu recours aux services de l'avocat.
Cassation. Pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser à quelles fins la cliente avait eu recours aux services de l'avocat, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision. La Cour casse et annule, mais seulement en ce qu'elle déclare prescrite l'action en paiement d'honoraires, l'ordonnance rendue le 20 mars 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Versailles.
Pour aller plus loin : V. ETUDE : Les honoraires, émoluments, débours et modes de paiement des honoraires, La prescription en matière d'honoraires de l'avocat, in La profession d’avocat, Lexbase (N° Lexbase : E37873RP). |
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Réf. : Cass. civ. 1, 23 septembre 2020, n° 19-13.214, FS-P+B (N° Lexbase : A04713WD)
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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, Ancien Bâtonnier
Le 04 Novembre 2020
Mots-clefs : Jurisprudence • commentaire • avocats • responsabilité • honoraires
Cet arrêt peut paraître hermétique si l’on se borne à sa lecture et, grâce aux banques de données, on pourra se reporter utilement à l’arrêt de la cour d’appel de Besançon qui a été censuré [1].
Il est indispensable d’aborder les faits. Un justiciable avait sollicité un avocat pour engager une procédure devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale. L’avocat, chargé des intérêts du demandeur, avait passé une convention d’honoraires fort raisonnable dans les montants pratiqués. Il était prévu un honoraire forfaitaire de 1 000 euros HT pour la procédure d’instance, un honoraire forfaitaire d’un même montant pour une éventuelle procédure d’appel et un honoraire de résultat à hauteur de 5 % des sommes obtenues. Succombant en première instance, le client changeait d’avocat et réglait les honoraires conformément à la convention soit 1 196 euros TTC. Estimant que la convention était remise en cause, l’avocat dressait une facture de 6 157 euros en mai 2012. Sur demande de taxation le premier président de la cour d’appel ramenait la somme due à 5 319,81 euros. La Cour de cassation rejetait sans motivation un pourvoi. Le juge de l’exécution accordait un délai d’un an pour s’acquitter des honoraires et, sur appel, la décision était confirmée.
Ainsi, se trouvait définitivement confirmée une solution classique : l’étanchéité du contentieux des honoraires par rapport au contentieux de la responsabilité civile. Régulièrement la Cour de cassation rappelle le principe [2]. Les griefs relatifs à une responsabilité de l’avocat ne peuvent être appréciés dans le contentieux des honoraires, ce qui prohibe la possibilité de soulever l’exception d’inexécution. En effet, les actions en responsabilité doivent être appréciées selon les procédures de droit commun et la règle commence à prendre un tour d’ancienneté [3]. Elle est régulièrement rappelée devant les cours d’appel avec une belle unanimité [4]. Tout au plus voit-on un léger infléchissement qui ne fait pas encore l’unanimité devant les Bâtonniers ou les cours d’appel bien que la Cour de cassation soit formelle. La Haute juridiction donne désormais compétence au Bâtonnier pour se prononcer sur le caractère utile ou inutile des honoraires [5], ce qui revient, discrètement, à apprécier une part de la responsabilité civile de l’avocat dans le contentieux des honoraires.
Dans la première phase du contentieux, le demandeur avait échoué. Les solutions sont suffisamment constantes pour que, sans motivation, la Cour de cassation ait écarté son pourvoi [6]. Toutefois, ce rejet ne fermait pas définitivement les portes, car la question ne se trouvait définitivement réglée que sur la compétence. Restait la possibilité d’engager une action en responsabilité civile.
Le justiciable l’entendait bien ainsi et saisissait la juridiction de droit commun, le tribunal de grande instance, par une assignation du 14 octobre 2015, ce qui montre qu’il ne perdait pas de temps. Les demandes correspondaient au poste suivant :
- 4 123,81 euros, montant de la taxe ;
- 7 000,00 euros, au titre des conséquences procédurales et financières résultant de la taxe ;
- 3 000,00 euros, en réparation du préjudice moral ;
- 3 000,00 euros, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG).
Ces postes paraissent d’emblée surévalués et l’on reviendra sur l’appréciation possible de la demande au vu des critères habituellement retenus par la jurisprudence.
L’intérêt de l’arrêt est ailleurs. Il provient de l’appréciation d’une faute au visa de textes rarement soumis aux juges. Si l’article 1147 ancien du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) est classique quand il faut sanctionner l’inexécution ou la mauvaise exécution contractuelle, les deux autres textes méritent un commentaire. L’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) traite des honoraires de l’avocat et donne les critères d’appréciation : les usages, la situation de fortune du client, la difficulté de l’affaire, les frais exposés par l’avocat, sa notoriété et ses diligences. L’article 10 du décret du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA), intitulé « De la déontologie de l’avocat », impose des obligations sur les modalités de détermination des honoraires, à accomplir par l’avocat « dès sa saisine », mais les exigences requises proviennent d’un décret du 2 août 2017. Il ne peut s’appliquer à une convention de 2010 et à une rupture de 2012. Subsiste alors une disposition applicable dès 2005 : « Au cours de sa mission, l’avocat informe régulièrement son client de l’évolution de ses honoraires, frais, débours et émoluments ».
Il s’agit d’une obligation déontologique et la Cour de cassation ne se pose pas la question de savoir si un manquement déontologique peut constituer une faute engageant la responsabilité civile. Il est vrai que de nombreux exemples montrent que la solution ne pose pas de difficulté pour le juge civil [7].
L’enseignement de l’arrêt tient au contenu des conventions d’honoraires qui doivent comporter des précisions qui ne sont pas, doux euphémisme, systématiques. Après des hésitations, il a été jugé [8] que l’absence de convention, bien que celle-ci soit obligatoire, ne prohibe pas, pour l’avocat, le droit à rémunération. L’appréciation s’effectue alors sur les critères légaux qui ont été rappelés ci-dessus. En revanche l’avocat, sur le fondement de l’article 10 du décret du 12 juillet 2005, engagera ainsi, de façon incontestable, sa responsabilité civile si la convention ne règle pas les conséquences d’un dessaisissement avant le terme.
A ce niveau, celui de la Haute Juridiction, il semble que la décision se prononce sur une terra incognita, un domaine nouveau. De nombreuses décisions, en statuant sur la compétence, laissaient poindre la possibilité d’agir devant le juge de droit commun [9]. Toutefois, les écueils pour introduire de telles actions sont sérieux. Le demandeur devra, en premier lieu, trouver un avocat acceptant ce type de contentieux : les actions en responsabilité contre des confrères. On sait qu'au visa de l'article 47 du Code de procédure civile, la possibilité pour l’avocat de postuler devant la cour d’appel [10] a étendu le champ de l’incompétence, parfois qualifiée de privilège de juridiction. En second lieu, la recevabilité de l’action ne préjuge pas de son bien-fondé. Les trois principes cumulatifs de la responsabilité, la faute, le préjudice et le lien de causalité, subsistent. Ici le demandeur n’a surmonté que l’obstacle de la faute. Quand il demande le montant des honoraires taxés ne va-t-il pas se heurter à l’autorité de la chose jugée ? Pourra-t-il obtenir les frais et préjudice subis par des procédures où il a succombé jusque devant la Cour de cassation ? Si le préjudice moral est plus souvent indemnisé [11], obtiendra-t-il satisfaction si le juge ne reconnaît pas l’existence d’un préjudice matériel ? En troisième lieu l’engagement d’une action civile devant le tribunal judiciaire impose le financement de frais et honoraires qui seront nécessairement un frein au développement de telles actions. Il n’est pas inutile de préciser que le demandeur bénéficiait de l’aide juridictionnelle totale devant la cour d’appel de Besançon et de l’aide juridictionnelle partielle devant la Cour de cassation. Quand la cour de renvoi aura statué, huit décisions judiciaires auront été prononcées et une période d’une dizaine d’années se sera écoulée avant que le demandeur ne puisse espérer toucher le premier euro.
Il n’en reste pas moins que cet arrêt impose désormais des précautions aux avocats, tant est claire l’obligation soulignée par la Haute juridiction : « L’avocat informe son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant ». Cette obligation implique que l’avocat avertisse son client des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et l’inexécution de cette obligation l’expose à des dommages-intérêts
Si le contentieux de l’honoraire de résultat, en cas de dessaisissement, n’est pas rare [12], notamment devant la Cour de cassation, il faudra désormais que les avocats, au vu de cet arrêt formel, à paraître au Bulletin, passent au tamis leurs conventions d’honoraires et les complètent quand il est nécessaire. Enfin l’arrêt à intervenir devant la cour d’appel de Lyon montrera si la possibilité offerte désormais par la Cour de cassation présente, par le niveau des dommages-intérêts écartés ou obtenus, une opportunité consistante pour qui veut battre monnaie.
[1] CA Besançon, 14 février 2018, n° 17/00640 (N° Lexbase : A0001XER).
[2] Cass. civ. 3, 20 février 2007, n° 06-10.277, F-D (N° Lexbase : A3021DUG) ; Cass. civ. 2, 11 juin 2015, n° 13-27.987, F-D, (N° Lexbase : A8937NK9).
[3] Loi du 31 décembre 1971, art. 26.
[4] CA Rennes, 29 juin 2020, n° 20/01296 (N° Lexbase : A76363PI).
[5] Cass. civ. 2, 8 décembre 2016, n° 15-26.683, F-D (N° Lexbase : A3804SPL)
[6] Arrêt de rejet sans motivation du 10 septembre 2015.
[7] Y. Avril, La responsabilité des avocat, civile, disciplinaire, pénale, Dalloz, 2015, § 13.41 et § 13.42.
[8] Cass. civ. 2, 21 novembre 2019, n° 17-26.856, F-D (N° Lexbase : A4761Z3Q).
[9] Voir par ex., pour une décision récente, Cass. civ. 2, 24 mai 2017, n° 16-18.145, F-D (N° Lexbase : A0942WEM)
[10] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).
[11] Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-25.568, F-D (N° Lexbase : A05853MM).
[12] Voir par ex. Cass. civ. 2, 18 avril 2019, n° 18-16.410, F-D (N° Lexbase : A6041Y9M) ; Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-26.282, F-D (N° Lexbase : A92243DY).
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Réf. : Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.971, FS-P+B+I (N° Lexbase : A31913YT)
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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences - HDR, Université de Strasbourg
Le 04 Novembre 2020
Mots-clés : crédit à la consommation • bordereau de rétraction • preuve admissible • revirement de jurisprudence
Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation, la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
1. Le droit du crédit à la consommation est assez ancien. Il trouve ses origines dans la loi « Scrivener 1» du 10 janvier 1978 (loi n° 78-22 N° Lexbase : L1051IUH), et a connu une évolution notable à la suite de la transposition en droit interne de la Directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 (N° Lexbase : L8978H3W) par la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation (N° Lexbase : L6505IMU), c’est-à-dire la célèbre loi « Lagarde ». Pour autant, ce droit connait encore aujourd’hui des évolutions notables, comme en témoigne un arrêt de la première chambre civile du 21 octobre 2020.
2. Il convient de rappeler, à titre préalable, que le droit régissant le crédit à la consommation prévoit, au bénéfice de l’emprunteur, un droit de rétractation pendant un certain délai, ce qui déroge nettement aux règles du droit commun. Ainsi, selon l’article L. 312-19 du Code de la consommation (N° Lexbase : L9842LCI), « l’emprunteur peut se rétracter sans motifs dans un délai de quatorze jours calendaires révolus à compter du jour de l'acceptation de l'offre de contrat de crédit comprenant les informations prévues à l'article L. 312-28 (N° Lexbase : L9593LGE) ».
3. Afin de permettre l’exercice de ce droit de « repentir » par l’emprunteur, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit [1]. Ce bordereau est établi conformément au modèle type joint en annexe à l’article R. 312-9 du code (N° Lexbase : L1627K8R). On notera que le fait pour le prêteur de ne pas prévoir ce formulaire dans l’offre de contrat de crédit est puni d’une amende de 1 500 euros (7 500 euros pour les personnes morales) [2]. En outre, et surtout, si ce bordereau est manquant, c’est l’offre qui n’est pas conforme aux exigences légales. La déchéance du droit aux intérêts est donc logiquement aussi encourue [3].
4. Sans surprise, la question de la preuve liée à l’existence d’un tel bordereau de rétractation et à la conformité de son contenu à la législation a été amenée à se poser. Or, après une période d’incertitude [4], la Cour de cassation s’est montrée très favorable au prêteur en considérant que « la reconnaissance écrite, par l’emprunteur, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer la remise effective de celui-ci », mais aussi la conformité de ce dernier aux exigences légales et règlementaires [5]. Plusieurs juridictions du fond se sont prononcées de la même manière [6].
5. Cette solution revenait ainsi à poser une présomption de remise effective d’un bordereau conforme à la réglementation. Elle n’échappait pas, alors, à la critique [7]. D’abord, elle opérait une confusion malheureuse, puisque le raisonnement suivi revenait « à déduire d’un élément de fait – la remise du bordereau – un élément de droit – la régularité du bordereau – » [8]. Ensuite, cette solution paraissait aller à l’encontre de la jurisprudence traditionnellement voulant que c’est à celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information qu’il revient de prouver l’exécution de cette obligation [9].
6. L’état du droit, à l’égard de telles clauses, a cependant commencé à évoluer sous l’impulsion de la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de cassation.
7. En premier lieu, la CJUE a eu l’occasion de déclarer, par une décision remarquée en date du 18 décembre 2014 [10], que les dispositions de la Directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution des obligations de nature à̀ compromettre l’effectivité des droits reconnus par la Directive n° 2008/48. Plus précisément, pour la Cour de justice, une telle clause constitue simplement un « indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents » et le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu’il n’a pas été destinataire de cette fiche ou que celle-ci ne permettait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d'informations précontractuelles lui incombant.
8. En second lieu, la Cour de cassation est venue dire à son tour, par une décision du 5 juin 2019 [11], que la signature par l’emprunteur d’une clause type de reconnaissance de la remise de la fiche précontractuelle d’informations ne permet pas de faire la preuve que la fiche en question lui a été remise et donc de justifier du respect par le prêteur de son obligation d’information. Cette signature de la clause type ne constitue, dans tous les cas, qu’un « indice » qu’il incombe à ce prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents.
9. Cette évolution a logiquement eu des effets concernant le bordereau de rétractation [12]. Pour autant, cette jurisprudence ne faisait pas encore l’unanimité en la matière [13]. Quelques arrêts continuaient ainsi à estimer que la décision du 18 décembre 2014 de la CJUE n’était pas applicable au bordereau de rétractation, mais devait se limiter à la fiche précontractuelle d’informations [14]. Une nouvelle intervention de la Haute juridiction à l’égard précisément du formulaire de rétractation était donc souhaitée. La décision du 21 octobre 2020 répond à cette attente.
10. Les faits étaient très simples. Le 5 février 2013, la banque A. avait consenti à M. X. un crédit à la consommation. À la suite d’échéances demeurées impayées et du placement sous curatelle de l'emprunteur, la banque l’avait assigné ainsi que l’UDAF des Hautes-Pyrénées, prise en qualité de curateur, en paiement du solde du prêt. L’emprunteur, pour sa part, avait notamment demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts, en l’absence de remise du bordereau de rétractation prévu à l’ancien article L. 311-12 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8198IML).
11. La cour d’appel de Pau [15] avait cependant rejeté cette demande de déchéance et avait condamné M. X. au paiement d'une certaine somme à la banque. L’intéressé et l’UDAF avaient alors formé un pourvoi en cassation.
12. Or, la Haute juridiction casse la décision de la cour d’appel. Son arrêt se veut particulièrement précis.
13. D’abord, la Cour de cassation déclare qu’il résulte des articles L. 311-12 et L. 311-48 du Code de la consommation (N° Lexbase : L9552IMQ), dans leurs rédactions antérieures à celles issues de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (N° Lexbase : L0300K7A), que, pour permettre à l’emprunteur d’exercer son droit de rétractation, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit et que le prêteur qui accorde un crédit sans remettre à l’emprunteur un contrat comportant un tel formulaire est déchu du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
14. Ensuite, la Haute juridiction relève que ces dispositions sont issues de la transposition par la France de la Directive n° 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la Directive n° 87/102/CEE.
15. Il est alors rappelé que par son arrêt du 18 décembre 2014 [16], la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les dispositions de la Directive précitée devaient être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d'une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution des obligations en question de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la Directive n° 2008/48. Plusieurs autres principes dégagés par la CJUE dans cette même décision sont ici mentionnés par la Cour de cassation.
16. Cette dernière en conclut alors « qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation (1er Civ., 16 janvier 2013, pourvoi n° 12-14.122, Bull. 2013, I, n° 7), la signature par l'emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ».
17. Or, pour rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par l’emprunteur, l’arrêt de la cour d’appel de Pau avait énoncé que la reconnaissance écrite par celui-ci, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laissait présumer sa remise effective et que l’emprunteur n'apportait pas la preuve de l'absence de remise du bordereau de rétractation par le prêteur ou à défaut de son caractère irrégulier. Dès lors, en statuant de la sorte, les juges du fond avaient violé les textes précités.
18. Cette solution échappe à toute critique. Elle est, nous l’avons vu, en conformité avec la position de la CJUE, mais aussi la jurisprudence de la Cour de cassation intéressant les obligations précontractuelles. Une simple clause figurant dans une convention de crédit, stipulant que l’emprunteur reconnait que le prêteur a bien respecté les devoirs pesant sur lui, ne peut avoir qu’une portée limitée. Le professionnel de la banque devra, dans tous les cas, être en mesure de démontrer d’une façon positive qu’il a effectivement accompli les obligations attendues. À défaut, il risque de se voir infliger par le juge la déchéance du droit aux intérêts.
19. L’arrêt étudié témoigne, en outre, de l’importance de la jurisprudence de la CJUE en matière de protection des consommateurs. Sans cette dernière et sa décision remarquée du 18 décembre 2014, la Cour de cassation aurait-elle partagée la même solution très favorable aux clients de banque ? Nous en doutons.
[1] C. consom., art. L. 312-21 (N° Lexbase : L1341K7S).
[2] C. consom., art. R. 341-4 (N° Lexbase : L0701K9T).
[3] C. consom., art. L. 341-4 (N° Lexbase : L1602LRR).
[4] Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-30.828, F-D (N° Lexbase : A9699HXI), Contrats, conc. consom., 2011, comm. 268, obs. G. Raymond ; Gaz. Pal., 2011, p. 3365, note G. Poissonnier ; Gaz. Pal., 2011, p. 3550, obs. S. Piédelièvre ; RD banc. fin., 2011, comm. 194, obs. N. Mathey..
[5] Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.122, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4083I3M), JCP G, 2013, n° 5, 106, note J. Lasserre Capdeville ; LPA, 4 novembre 2013, n° 219-220, p. 10, obs. N. Éréséo ; D., 2013, AJ p. 236, obs. V. Avena-Robardet ; D., 2013, p. 1329, note G. Poissonnier ; RTD com., 2013, p. 832, obs. D. Legeais ; LEDB, mars 2013, p. 1, obs. R. Routier. V. déjà, Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-17.595, F-P+B+I (N° Lexbase : A7511IQA), LPA, 5 novembre 2012, n° 221, p. 7, obs. J. Lasserre Capdeville ; D., 2012, AJ p. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; D., 2012, p. 2567, note G. Poissonnier.
[6] V. par ex., CA Bordeaux, 13 mars 2014, n° 13/00322 (N° Lexbase : A6931MGS) – CA Lyon, 10 avril 2014, n° 13/01521 (N° Lexbase : A0063MKK), LPA, 1er août 2014, n° 153, p. 8, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Grenoble, 13 janvier 2015, n° 12/04304 (N° Lexbase : A2361M9C), LPA, 1er juin 2015, n° 108, p. 9, obs. J. Lasserre Capdeville.
[7] V. notamment, N. Éréséo, LPA, 4 novembre 2013, n° 219-220, p. 11, n° 8 et s..
[8] G. Poissonnier, D., 2013, p. 1329.
[9] Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923, publié (N° Lexbase : A0574ACA), Bull. civ. 1997, I, n° 356 ; RTD civ., 1999, p. 83, obs. J. Mestre.
[10] CJUE, 18 décembre 2014, aff. C-449/13 (N° Lexbase : A7873M7Q),LPA, 2015, n° 108, p. 9, obs. N. Éréséo ; D., 2015, p. 715, note G. Poissonnier ; D., 2015, Pan. p. 594, obs. H. Aubry ; RTD com., 2015, p. 138, obs. D. Legeais ; Contrats, conc. consom., 2015, comm. 75, obs. G. Raymond ; Banque et droit, mai-juin 2015, p. 30, obs. Th. Bonneau.
[11] Cass. civ. 1, 5 juin 2019, n° 17-27.066, FS-P+B (N° Lexbase : A9189ZDP), D., 2019, AJ p. 1746, note G. Poissonnier ; Contrats, conc. consom., 2019, comm. 149, obs. C. Berheim-Desvaux ; RD banc. fin., 2019, comm. 118, obs. N. Mathey ; LPA, 29 juin 2020, n° 129, p. 7, obs. J. Lasserre Capdeville.
[12] V. par ex., CA Riom, 25 novembre 2015, n° 14/01230 (N° Lexbase : A7528NX4), LPA, 9 janvier 2017, n° 6, p. 11, obs. N. Éréséo ; LEDB février 2016, p. 7, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Amiens, 13 septembre 2018, n° 16/04376 (N° Lexbase : A8110X47) – CA Saint-Denis de la Réunion, 1er mars 2019, n° 17/00559 (N° Lexbase : A9428Y4X).
[13] CA Grenoble, 26 juin 2018, n° 16/03873 (N° Lexbase : A2403XUK). Concernant une mention dactylographiée, CA Colmar, 25 mars 2019, n° 17/05155 (N° Lexbase : A0607Y7M).
[14] CA Douai, 20 juin 2019, n° 17/00450 (N° Lexbase : A0186ZGY).
[15] CA Pau, 29 novembre 2018, n° 17/00023 (N° Lexbase : A6601YNS).
[16] V. supra, n° 7.
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newsid:475113
Réf. : CE Contentieux, 28 octobre 2020, n° 428048, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A49183Z8)
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N5094BYC
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par Marie-Claire Sgarra
Le 04 Novembre 2020
► Le Conseil d’État a, dans un arrêt d’Assemblée du 28 octobre, jugé que l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L6958LLB), qui protège le contribuable des changements dans l’interprétation des textes fiscaux par l’administration, ne s’applique pas dans le cas d’un montage artificiel constitutif d’un abus de droit.
Les faits visaient à obtenir l’application d’une instruction prévoyant la faculté de détenir jusqu’à 1 % d’une société cessionnaire au moment de la cession et au cours des années suivantes tout en bénéficiant d’un abattement de 100 % pour durée de détention.
Le Conseil d’État réitère ainsi sa jurisprudence antérieure concernant ce mécanisme : l’administration fiscale ne peut pas augmenter l’impôt d’un contribuable en soutenant que l’interprétation de la loi sur laquelle ce contribuable s’est appuyé, contenue dans la doctrine administrative, dépasserait la portée qu’elle entendait donner à celle-ci (CE, Avis Assemblée, 8 avril 1998, n° 192539, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7848ASH). L’abus de droit ne peut être invoqué par l’administration fiscale pour faire échec à la garantie de l’article L. 80 A du LPF.
Notons que la cour administrative de Paris avait adopté une position contraire dans un arrêt du 20 décembre 2018 (CAA Paris, 20 décembre 2018, n° 17PA00747 N° Lexbase : A4146YSD), en jugeant que l’administration était en droit de reprocher au contribuable d’avoir commis un abus de droit en appliquant littéralement les dispositions de la doctrine administrative.
Le Conseil d’État juge également que l’article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L9266LNI) permet à l’administration fiscale de ne pas tenir compte, pour l’établissement des impôts, des actes constitutifs d’un abus de droit, et notamment, des actes qui caractérisent une fraude à la loi. Parmi ceux-ci, les montages artificiels – notion qui trouve sa source dans le droit de l’Union européenne – sont dénués de toute substance et élaborés sans autre finalité que d’échapper à l’impôt.
À lire. V. Truyens, Consécration jurisprudentielle de l’« abus » de doctrine administrative, Lexbase Fiscal, février 2019, n° 772 (N° Lexbase : N7646BXH). |
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newsid:475094
Réf. : Décret n° 2020-1314, du 30 octobre 2020, relatif aux modalités d'utilisation des crédits inscrits pour les prêts participatifs du fonds de développement économique et social (N° Lexbase : L5745LYG)
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N5116BY7
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par Vincent Téchené
Le 04 Novembre 2020
► Dans le contexte de la crise sanitaire de la covid-19 et de ses répercussions sur l'activité économique, un décret, publié au Journal officiel du 31 octobre 2020, vient préciser l'utilisation des crédits inscrits pour les prêts participatifs du fonds de développement économique et social, en direction de très petites et petites entreprises n'ayant pas trouvé de solutions de financement auprès de leur partenaire bancaire ou de financeurs privés.
Le décret est pris en application de l'article 39 de la loi n° 2020-935, du 30 juillet 2020, de finances rectificative pour 2020 (N° Lexbase : L7971LXI).
Sont éligibles les entreprises, associations ou fondations ayant une activité économique, inscrites au répertoire national des entreprises et de leurs établissements, qui répondent aux critères suivants :
- elles ne doivent pas avoir obtenu un prêt garanti par l'État à hauteur d'un montant suffisant pour financer leur exploitation ;
- elles doivent justifier de perspectives réelles de redressement de l'exploitation ;
- elles ne doivent pas faire l'objet d'une procédure collective ;
- elles doivent être à jour de leurs obligations fiscales et sociales, ou s'il y a lieu, avoir obtenu un plan d'apurement du passif fiscal et social constitué.
Les SCI sont expressément exclues du dispositif.
En revanche, il est précisé que les entreprises redevenues in bonis par l'arrêté d'un plan de sauvegarde ou de redressement sont éligibles au dispositif.
Pour formuler sa demande, l'entreprise saisit le comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises, qui l'oriente vers le service dédié aux demandes d'octrois de prêts, géré par la société Bpifrance Financement.
Le prêt est un prêt participatif au sens des articles L. 313-13 (N° Lexbase : L2504IXZ) et suivants du Code monétaire et financier.
D'une durée de 7 ans, il admet un différé de paiement du capital de 12 mois à partir du décaissement.
Le montant du prêt participatif est limité à :
- 20 000 euros pour les entreprises actives dans le secteur de l'agriculture, employant de 0 à 49 salariés ;
- 30 000 euros pour les entreprises actives dans le secteur de la pêche et de l'aquaculture, employant de 0 à 49 salariés ;
- 100 000 euros pour les entreprises employant de 0 à 49 salariés et n'étant pas actives dans les secteurs de l'agriculture, la pêche et l'aquaculture.
Il est précisé que les crédits sont décaissés à un taux fixe qui est au moins égal à 350 points de base.
Le financement couvre des besoins en investissements et des besoins en fonds de roulement.
Les décisions de versement de fonds sont prises par arrêté du ministre chargé de l'Économie, après avis du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises.
Les sommes prêtées sont mises à la disposition des bénéficiaires soit directement par la direction générale du Trésor, soit par l'entremise des établissements spécialisés.
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Réf. : Min. Travail, protocole, 29 octobre 2020
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N5101BYL
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par Charlotte Moronval
Le 04 Novembre 2020
► A la suite de l’instauration du nouveau confinement, le ministère du Travail a publié, le jeudi 29 octobre 2020, une nouvelle version du protocole sanitaire en entreprise : présentation des principales nouveautés.
Télétravail à 100% pour les postes qui le permettent. Le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer leurs tâches à distance. Dans les autres cas, l'organisation du travail doit permettre de réduire les déplacements domicile-travail et d’aménager le temps de présence en entreprise pour l'exécution des tâches qui ne peuvent être réalisées en télétravail, pour réduire les interactions sociales.
Lissage des horaires de départ et d’arrivée. Pour les activités qui ne peuvent être réalisées en télétravail, l’employeur doit organiser un lissage des horaires de départ et d’arrivée des salariés afin de limiter l’affluence aux heures de pointe.
Téléchargement de l’application « TousAntiCovid ». L’employeur doit informer les salariés de l’existence de l’application « TousAntiCovid » et de l’intérêt de son activation pendant les horaires de travail pour faciliter le suivi des cas contacts.
Tests en entreprise. L’employeur peut, dans le respect des conditions réglementaires, proposer aux salariés volontaires des actions de dépistage (par le biais des tests rapides et non des tests sérologiques).
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newsid:475101
Réf. : Décret n° 2020-1328, du 2 novembre 2020, relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (N° Lexbase : L5893LYW)
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N5120BYB
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par Vincent Téchené
Le 04 Novembre 2020
► Un décret, publié au Journal officiel du 3 novembre 2020, modifie le décret n° 2020-371, du 30 mars 2020, relatif au fonds de solidarité (N° Lexbase : L6019LWT) et le décret n° 2020-1049, du 14 août 2020, adaptant pour les discothèques certaines dispositions du décret du 30 mars 2020 (N° Lexbase : L9819LXX).
Prolongation. En premier lieu, le volet 1 du fonds est prolongé jusqu'au 30 novembre 2020.
Assouplissement des conditions d’éligibilité. Les conditions d'éligibilité à cette aide sont assouplies. Le fonds est désormais ouvert aux entreprises de moins de 50 salariés, sans condition de chiffre d'affaires, ni de bénéfice. Les entreprises ayant débuté leur activité avant le 31 août 2020 sont désormais éligibles. Les entreprises contrôlées par une holding sont éligibles à condition que l'effectif cumulé de la ou des filiales et de la holding soit inférieur à 50 salariés. La liste des secteurs 1 et 1 bis est complétée.
Montant de l’aide. Les entreprises fermées administrativement en septembre et octobre pourront bénéficier d'une aide égale à la perte du chiffre d'affaires jusqu'à 10 000 euros sur un mois pendant la durée de fermeture.
Pour octobre, dans les zones de couvre-feu, les entreprises des secteurs S1 et S1 bis (annexes 1 et 2 du décret) ayant perdu plus de 50 % de leur chiffre d'affaires pourront recevoir une aide compensant leur perte de chiffre d'affaires jusqu'à 10 000 euros. Les entreprises hors secteurs S1 et S1 bis ayant perdu plus de 50 % de leur chiffre d'affaires auront droit à une aide couvrant leur perte de chiffre d'affaires dans la limite de 1 500 euros.
En dehors des zones de couvre-feu, les entreprises des secteurs S1 et S1 bis ayant perdu entre 50 et 70 % de leur chiffre d'affaires bénéficieront d'une aide égale à leur perte de chiffre d'affaires jusqu'à 1 500 euros. Les entreprises des secteurs S1 et S1 bis ayant perdu plus de 70 % de chiffre d'affaires bénéficieront d'une aide égale à leur perte de chiffre d'affaires jusqu'à 10 000 euros, dans la limite de 60 % du chiffre d'affaires mensuel.
Pour novembre, les entreprises fermées administrativement ainsi que les entreprises des secteurs 1 bénéficieront d'une aide égale à la perte de chiffre d'affaires dans la limite de 10 000 euros. Les entreprises appartenant aux secteurs 1 bis percevront une aide égale à 80 % de la perte de chiffre d'affaires dans la limite de 10 000 euros. Lorsque la perte de chiffre d'affaires est supérieure à 1 500 euros, le montant minimal de la subvention est de 1 500 euros. Lorsque la perte de chiffre d'affaires est inférieure ou égale à 1 500 euros, la subvention est égale à 100 % de la perte de chiffre d'affaires. Les autres entreprises bénéficieront d'une aide égale à la perte de chiffre d'affaires dans la limite de 1 500 euros.
Cas des discothèques. En outre, concernant la situation particulière des discothèques, le texte prolonge le volet 1 jusqu'à fin novembre et augmente l'indemnité pour les collectivités de Guyane et de Mayotte. Enfin, le décret leur ouvre la possibilité de déposer la demande d'aide au titre du volet 2 jusqu'au 30 novembre 2020 (au lieu du 15 octobre).
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Réf. : Cass. civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-21.978, F-P+B+I (N° Lexbase : A88773YG)
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N5155BYL
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 04 Novembre 2020
► L’appel est formé par une déclaration unilatérale remise au greffe d’une cour d’appel et dans le cas où la déclaration d’appel est adressée par la voie électronique, la remise de cette déclaration d’appel est attestée par un avis électronique de réception adressé par le destinataire.
Faits et procédure. Une société a interjeté appel d’un jugement rendu par un tribunal de commerce. Le conseiller de la mise en état a prononcé par ordonnance la caducité de la déclaration d’appel ; l’appelant a déféré à la cour cette décision.
Le pourvoi. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt rendu le 18 juin 2019, par la cour d’appel de Nîmes, d’avoir violé les articles 901 (N° Lexbase : L9351LTI) et 902 (N° Lexbase : L7237LER) du Code de procédure civile, en confirmant l’ordonnance d’incident rendue par le conseiller de la mise en état, ayant déclaré caduque sa déclaration d’appel.
Dans un premier temps, l’intéressée énonce que la déclaration d’appel est un acte unilatéral remis au greffe, comportant les mentions prévues par les articles 901 et 58 (N° Lexbase : L9290LTA) du Code de procédure civile. En l’espèce, le conseiller de la mise en état avait retenu pour prononcer la caducité de la déclaration d’appel au visa de l’article 902 du même code, que la déclaration d’appel qui était annexée aux actes de signification ne constituait pas la déclaration d’appel devant être signifiée aux intimées n’ayant pas constitué avocat.
Dans un second temps, l’intéressée indique que « seule l’absence de signification de la déclaration d’appel est sanctionnée par la caducité » et que la signification d’une déclaration d’appel irrégulière, dont la nullité n’a pas été prononcée est valable lorsqu’elle a été diligentée dans le délai requis par la loi. Dans cette affaire, la cour a par motifs adoptés, indiqué qu’il ressortait de la comparaison entre le document annexé aux actes de signification et le récapitulatif de la déclaration d’appel, que le premier ne confirmait pas la réception par le greffe de la déclaration et qu’il ne mentionnait pas la cour d’appel devant laquelle elle avait été adressée, ni le numéro de la déclaration d’appel, ni la chambre devant laquelle l’affaire avait été attribuée, ni son numéro RG. Par ailleurs, la demanderesse énonce que la cour avait relevé l’existence d’une signification aux intimées d’une déclaration d’appel, du fait qu’elle avait par motifs propres, indiqué que les significations effectuées étaient celles de l’avis émis par le greffe d’avoir à signifier, accompagné des données saisies qui lui avait été adressées portant sur la déclaration d’appel.
Réponse de la Cour. Après avoir rappelé la solution précitée, aux visas des articles 900, 901 et 748-3 (N° Lexbase : L1183LQU) du Code de procédure civile, les Hauts magistrats balayent les arguments de la demanderesse énonçant que l’article 10 de l’arrêté du 30 mars 2011 (N° Lexbase : L9025IPX) relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel, prévoit que « le message de données relatif à la déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message, qui tient lieu de déclaration d’appel, de même que son édition par l’auxiliaire de justice tient lieu d’exemplaire de cette déclaration lorsqu’elle doit être produite sous un format papier ».
En conséquence, les Hauts magistrats énoncent que la cour d’appel avait à bon droit déduit l’absence de signification de la déclaration d’appel et constaté la caducité de celle-ci, du fait que le document annexé aux actes de significations aux intimés ne consistait pas en un récapitulatif de la déclaration d’appel, mais en un document qui ne confirmait pas la réception par le greffe de l’acte d’appel.
Solution de la Cour. Énonçant la solution précitée, la Cour suprême rejette le pourvoi.
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Réf. : CA Paris, 22 septembre 2020, n° 19/10492 (N° Lexbase : A60213UK)
Lecture: 22 min
N5135BYT
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par Sylvian Dorol - Huissier de justice associé (Vénézia & Associés) - Intervenant à l’ENM - EFB - HEDAC et INCJ - Chargé d’enseignement (Paris X et XIII) et Xavier Louise-Alexandrine - Huissier de justice associé (Calippe & Associés)
Le 04 Novembre 2020
Mots clés : preuve constat • huissier • smartphone • applications
Le contentieux lié aux applications mobiles n’est qu’à ses balbutiements, mais touche déjà de nombreuses thématiques juridiques : droit de la concurrence, parasitisme, contrefaçon... et preuve. Sur ce dernier thème, il faut retenir un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 22 septembre 2020. Il éclaire les conditions d’établissement et de recevabilité des constats d’huissier établis sur applications mobiles. La question est fondamentale tant la preuve est le socle des droits à défendre.
Si certains [1] rappent que la justice a deux vitesses alors que leur Lamborghini en a six, il n’est rien de moins sûr qu’aucune des deux ne peut rattraper le temps perdu... Et alors même que le grand public amateur de smartphones va bientôt s’initier à la 5G, le justiciable souffre des affres du temps judiciaire puisque, pour la première fois à la connaissance des auteurs, il a été rendu le 29 septembre 2020 un arrêt relatif au constat d’huissier de justice portant sur une application smartphone. Plus que d’être précurseur, cette décision de la cour d’appel de Paris [2] apparaît comme un jalon de la matière comme les développements qui suivent le démontreront. Mais il apparaît vain de tenter de se convaincre de l’exceptionnelle portée de cette décision si les faits de l’espèce sont ignorés.
Les faits sont assez inhabituels, cela n’étonnant guère puisque la décision est la première de la matière. Une association expose qu'elle développe depuis 2010 une base de données recensant et localisant les défibrillateurs cardiaques accessibles au public et une application « Ab Ac » sur téléphone mobile permettant de géolocaliser les défibrillateurs enregistrés dans cette base. En 2018, apparaît une application concurrente permettant elle aussi de géolocaliser des défibrillateurs. Prétendant que, début septembre 2018, l'application « Sauv-Life », qui géolocalisait une dizaine de milliers de défibrillateurs en France, avait quintuplé ce nombre et que plusieurs de ces nouveaux défibrillateurs ne pouvaient être connus que par extraction de leur propre base de données, la première association a fait établir, le 11 octobre 2018, un procès-verbal de constat d'huissier sur les applications « Sauv-Life » et « Ab Ac ». Ce procès-verbal sert par la suite à motiver une requête en vue d’un constat sur ordonnance sur requête du 17 octobre 2018. Le contentieux se poursuit, au cours duquel le procès-verbal du constat du 11 octobre 2018 essuie de nombreuses critiques.
En effet, il est soutenu que le procès-verbal de constat dressé le 11 octobre 2018 encourt la nullité dès lors que l'huissier instrumentaire n'a pas conservé un rôle passif mais a procédé au téléchargement des applications en créant au préalable un compte privé sur la plateforme de téléchargement « Apple Store » et en utilisant des codes d'accès à l'application « Sauv-Life » sans avoir demandé l'autorisation préalable de l'association Sauv Life, et que l'huissier instrumentaire a bénéficié de l'assistance du requérant, lequel n'est pas un tiers indépendant, qui lui a communiqué des codes de connexion personnalisés.
Au-delà de s’interroger sur la validité du procès-verbal de constat dressé par l’officier public et ministériel, la question qui se posait réellement était de déterminer si le téléchargement d’une application et le lancement de celle-ci au moyen des identifiants du requérant constituait une constatation au sens de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 (N° Lexbase : L8061AIE) relative au statut des huissiers. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt motivé avec finesse (trois paragraphes sur cette question) et visant expressément l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, ne sanctionne pas le procès-verbal dressé par l’huissier de justice, bien au contraire.
Même si la solution retenue par la cour d’appel de Paris peut apparaître discutable selon une certaine logique juridique théorique (I), elle doit cependant être salué tant ses implications pratiques actuelles et futures sont certaines (II).
I. Applications mobiles et huissier : aspects théoriques
Constater peut paraître simple. Après tout, ce n’est que transcrire une réalité. Mais si cela était si simple, pourquoi existerait-il des professionnels de la matière, les huissiers de justice, dont les constatations sont appréciées tant des magistrats que des justiciables, et dont le législateur leur accorde une unique valeur ? Et pourquoi les constats dressés par ces officiers publics et ministériels seraient-il au cœur de certains débats judiciaires ?
En effet, derrière une apparente simplicité, le fait de constater s’apparente à un exercice d’équilibriste pour l’huissier de justice, notamment en matière d’application mobile puisqu’aucune décision n’existait en la matière avant l’arrêt commenté. Pour s’en convaincre, il convient de rappeler les fondamentaux des constatations (A). avant d’exposer les différentes interrogations qui peuvent se poser en matière de constat sur application mobile (B).
A. Les fondamentaux des constatations
Etonnamment, ni le procès-verbal de constat, ni les constatations ne sont définis par le législateur, ce qui oblige à se tourner vers la doctrine éclairée par la jurisprudence (1) pour comprendre ce que c’est et appréhender la nécessaire neutralité de l’huissier (2).
1) Définitions
L’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, en son article 1er, prévoit que les huissiers de justice peuvent « effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ».
« constater » c’est : « remarquer objectivement quelque chose, l'enregistrer comme vrai, réel, observer ». Constater c’est également « consigner quelque chose dans un écrit officiel, le certifier par un acte authentique ». Les constatations se trouveront alors consignées dans un procès-verbal qui permet d’établir la réalité d’un fait juridique.
La notion de « constatations purement matérielles » a d’abord été définie par le professeur Perrot. Bien que l’expression ne soit pas d’une « clarté aveuglante » [3], elle « s’entend de tout ce qui peut être perçu directement par les sens » [4] : vue, ouïe, goût, odorat, toucher. Néanmoins cette définition n’est pas pleinement satisfaisante car, comme l’indique Thierry Guinot, « la notion de matérialité des constatations présente des difficultés croissantes avec l’évolution de notre société. En effet, il est courant aujourd’hui qu’une réalité non matérielle détermine des droits (…) » [5]. Pour cet auteur, la matérialité des constatations doit s’entendre de l’objet du constat, et non uniquement de la perception de celui-ci par le constatant.
Les définitions doctrinales ne suffisent pas à cerner la notion de « constatation purement matérielle ». À la lecture de la jurisprudence, il apparaît que cette notion doit en outre s’entendre comme exclusive de toute opération intellectuelle, c’est-à-dire de volonté juridique, transformant le tiers neutre et impartial qu’est l’huissier de justice en acteur juridique. C’est pourquoi il n’est pas possible à l’huissier de justice d’acheter un produit pour en constater la vente [6] : en admettant le contraire, il quitterait son habit de tiers neutre et impartial pour revêtir le costume de cocontractant. De façon plus générale, l’opération intellectuelle proscrite en matière de constatations désigne le fait, pour l’huissier de justice, d’avoir recours à un stratagème juridique ou factuel [7] en vue d’influencer le comportement de la partie adverse et favoriser l’obtention d’une preuve au bénéfice de son mandant.
Ainsi, comme il a été proposé [8], est une constatation purement matérielle toute situation personnellement constatée par l’huissier de justice au moyen de ses sens, et qu’il n’a pas provoquée par une opération intellectuelle de nature à troubler sa qualité de tiers neutre, indépendant et impartial [9].
2) Appréciation du comportement de l’huissier
La notion de constatation définie, il reste à exposer de quelle manière est perçue cette notion dans les prétoires en matière de « cyberconstats », c’est-à-dire de constats ayant pour objet des éléments numériques. Dans cet environnement, comment l’huissier de justice peut-il rester neutre ? La question s’est régulièrement posée.
La cour d’appel de Paris a justement jugé que le fait de « cliquer » sur des mentions du site internet [10] ne dénature pas le constat de l’huissier : s’il est actif physiquement, il ne provoque pas la preuve par une opération intellectuelle. De même, il peut réaliser des captures écran des pages constatées sans risquer de voir son procès-verbal écarté des débats précisent les juges marseillais [11].
Par contre, il n’est pas permis pour un huissier de justice d’aspirer un site Internet au motif que « ces investigations outrepassent le simple constat, qui permet à l’huissier instrumentaire de procéder à des captures de pages d’écran, et s’analysent en une saisie contrefaçon descriptive » [12].
Une question n’avait cependant pas encore été posée au juge judiciaire : l'huissier de justice conserve un rôle passif en téléchargeant une application ? Allant plus loin, est-il interdit d’utiliser les codes d'accès fourni par le requérant pour accéder à une application ? Si le juge ne s’était pas encore prononcé, la doctrine estimait que « rien ne semble s’opposer à ce que l’huissier de justice puisse constater la diffusion du contenu, puis la télécharge en ligne à condition de s’assurer de la conformité entre les fichiers constatés et ceux téléchargés ».
Les fondamentaux de la matière rappelés, il convient d’exposer plus en détail les interrogations tranchées par l’arrêt de la cour d’appel de Paris commenté.
B. Des constatations sources d’interrogation
Une question principale se pose en matière de téléchargement d’applications smartphone par l’huissier de justice au cours d’un constat : demeure-t-il passif en procédant de la sorte (2). ? Mais, avant tout, est-il possible de considérer que le téléchargement d’application est un constat d’achat, ce qui emporte des conséquences non négligeables pour l’huissier de justice (1). ?
1) Téléchargement et constat d’achat
Pour Vincent Vigneau [13], « le constat d’achat consiste à faire constater par un huissier de justice la vente d’un produit ou l’engagement d’une prestation de service », précisant « on devrait d’ailleurs plutôt parler de “constat de vente” que de constat d’achat ». Pour plusieurs raisons [14], les huissiers de justice n’achètent pas les produits litigieux eux-mêmes, mais ont recours à un tiers pour ce faire. Depuis un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 20 mars 2014 [15], le recours à un tiers acheteur est rendu obligatoire pour l’établissement d’un constat d’achat sur Internet.
Afin de comprendre pourquoi la question se pose de savoir si le fait, pour un huissier de justice, de télécharger une application mobile est un constat d’achat, il convient de rappeler que l'App Store est une plateforme d’achat crée et distribué par Apple sur les appareils mobiles fonctionnant sous iOS. Des fonctionnalités similaires existent sous Android.
Plusieurs types d’applications existent : « Apps gratuites (Doctolib, Wikipédia, etc), Apps gratuites avec publicité (Pinterest, Twitter, etc), Apps gratuites avec biens et services physiques (Airbnb), Apps gratuites avec achats intégrés (Candy Crush Saga, etc), Apps payantes, Apps gratuites avec abonnement (LinkedIn), Apps de lecture de contenu (Netflix, Spotify), Apps multi-plateformes (Dropbox, Fortnite, Microsoft Word) » [16]. En toute hypothèse, le téléchargement d’une application nécessite au préalable la création d’un compte auquel est très souvent associé une carte bancaire.
A la lecture de ce qui précède, il est légitime de s’interroger ainsi : existe-t-il une différence entre télécharger et acheter une application ? A la réflexion, la différence entre acheter et télécharger est que dans le premier cas il faut nécessairement un paiement pour acquérir un bien, alors que dans le second, cela peut se faire gratuitement.
En l’espèce, l’application litigieuse est gratuite, sans publicité et achats intégrés. Dès lors, la question du constat d’achat n’a pas fait irruption dans le débat judiciaire et c’est ce qui a certainement motivé l’huissier de justice instrumentaire à utiliser ses propres identifiants pour télécharger l’application.
Il demeure cependant une autre question : l’huissier de justice conserve-t-il un comportement passif en téléchargeant une application gratuite ?
2) Télécharger et comportement de l’huissier
Il ressort de la décision commentée, comme nous allons l’exposer plus en détail ultérieurement, que le fait pour l’huissier de justice de télécharger une application gratuite s’assimile à un simple clic : il ne fait qu’accéder à quelque chose d’accessible à tout le monde sans restriction. De la même manière qu’il peut cliquer sans perdre sa qualité de tiers neutre [17], il peut donc télécharger une application mobile en toute sérénité.
Dépassant ce point, se pose ici la question du « lieu » des constatations : une application gratuite est un « lieu public virtuel » [18] , comme un site internet lambda ? Apparemment non, puisqu’en l’espèce, l’application mobile gratuite nécessitait un profil utilisateur pour être utilisée. La solution n’aurait peut-être pas été la même si aucun compte utilisateur n’était exigé au lancement de l’application (comme une simple application métro).
A la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, l’huissier de justice peut donc télécharger une application avec ses identifiants, mais doit s’abstenir d’utiliser l’application avec ses codes… Nous l’écrivions au début de ces développements : « le fait de constater est fréquemment un exercice d’équilibriste pour l’huissier de justice »…
Les questionnements théoriques étant explorés, le temps est venu d’étudier les aspects pratiques du constat d’huissier sur applications mobiles.
II. Applications mobiles et huissier : aspects pratiques
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 22 septembre 2020 contribue à mettre un frein aux débats théoriques qui animaient la matière (A). Le contentieux en ce domaine s’annonçant pléthorique à l’avenir tant les applications smartphone font partie de notre quotidien, il convient également de s’appesantir sur les perspectives qu’ouvre la décision commentée (B).
A. L’apport de la solution
La solution apportée par la cour d’appel de Paris est novatrice en ce que, plus que d’être pionnière de la matière, elle rompt avec les jurisprudences cousines rendues en matière de « constat internet » traditionnel, démontrant que les « constats internet » entrent réellement dans une nouvelle ère [19].
1) Définition du rôle passif dans le téléchargement
Pour un huissier de justice, télécharger une application mobile, c’est constater selon l’ordonnance du 2 novembre 1945 sus-évoquée. Ainsi peut-on résumer l’apport de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris qui valide le « tap » sur l’écran du smartphone.
Il est constant que l’huissier de justice, en matière de constat, ne peut être que spectateur : son acte narre ce qu’il voit, ce qu’il perçoit, le contraignant à une passivité forcée. Pour autant, il peut tout à fait cliquer sur des mentions du site internet comme l’a très justement indiqué la cour d’appel de Paris le 5 juillet 2019 [20]. De la même manière qu’un « clic » ne constitue pas une opération intellectuelle dénaturant la notion de constatation en matière internet, le simple « tap » de l’huissier de justice sur l’écran de son smartphone est donc valide au sens de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers. Cela vaut même si le « tap » concrétise le téléchargement d’une application.
C’est sur ce point que l’arrêt de la cour d’appel de Paris est novateur. Les juges valident le fait que le téléchargement d’une application puisse être réalisé au moyen des identifiants de l’huissier de justice, sans passer par la précaution du recours à un tiers comme le préconisait la doctrine [21]. La position doctrinale était dictée par la prudence compte tenu de l’absence de précédents dans le domaine. C’est ce vide juridique, source de jurisprudence, qui faisait le lit de la pusillanimité. Mais l’arrêt commenté prouve bien que la fortune sourit aux audacieux puisque l’officier public et ministériel n’a pas du tout agi ainsi par inconscience, comme le démontre la suite de la décision commentée.
Les juges posent cependant des garde-fous à l’utilisation par l’huissier de justice de ses identifiants personnels pour télécharger une application. La décision précise en effet que « l'huissier a conservé un rôle passif dès lors que cette opération ne requérait aucun contrôle ou autorisation préalables et entraînait l'ouverture automatique du compte sans tri ni sélection », et souligne le fait « l’application était d’ailleurs accessible à tous sans restriction ».
La notion de constatation est donc précisée à la lecture de cette décision : l’huissier de justice constate en conservant son rôle passif s’il utilise ses identifiants pour télécharger une application proposée au grand public, sans contrôle, tri, sélection ou autorisation préalable. Il ne pourrait donc pas, à la lumière de cette décision, télécharger avec ses identifiants une application réservée aux médecins, aux professionnels de la sécurité, ou autre catégorie de personnes, puisque qu’il y existe une sélection préalable.
2) Utilisation des codes du requérant
« Croire et oser » [22]. Cela aurait pu être la maxime de l’huissier de justice instrumentaire dans cette affaire, car tout démontre qu’il a sciemment utilisé ses codes pour télécharger l’application mais qu’il n’ignorait en rien que la suite des opérations lui interdisait de créer son compte utilisateur.
En effet, porté par son élan, cela n’aurait été guère étonnant que l’officier public et ministériel, après avoir utilisé ses identifiants pour télécharger l’application litigieuse, créée lui-même un compte utilisateur afin de lancer l’application et décrire son fonctionnement. Conscient que la cour de cassation a justement sanctionné un tel comportement [23] en ce que l’huissier, en créant un compte client, entreprend une démarche active contraire à l’impératif de neutralité des constatations, l’officier public et ministériel a préféré « emprunter » les identifiants déjà créés par son requérant.
La cour d’appel de Paris valide cette démarche, s’inscrivant dans une relative constance sur la question puisqu’elle tendait déjà à admettre la création d’un compte client par l’huissier de justice voire même l’utilisation d’un compte déjà existant sans que cela ne soit constitutif d’une violation du principe de loyauté [24].
Pour justifier sa position, notamment par rapport à l’arrêt du 20 mars 2014 sus-évoqué, la cour d’appel de Paris précisait que la jurisprudence antérieure hostile à l’utilisation d’un compte client par l’huissier de justice concerne les « achats de marchandises sur des sites filtrés par des « Webmasters », qui opèrent un contrôle préalable des inscriptions ». Cela n’étant pas le cas en l’espèce, la logique de la cour d’appel de Paris commandait évidemment de valider le fait par l’huissier de justice d’utiliser les identifiants de son mandant.
Pourtant, le raisonnement de la cour d’appel de Paris établissant une dichotomie selon que l’utilisation des codes du requérant est réalisée en vue d’un achat ou non est difficilement justiciable autrement que par des considérations d’espèce. En effet, en toute situation procéder ainsi revient à ce que l’huissier de justice devienne « en quelque sorte un “cavalier constatant”, officiant sous le masque numérique du tiers » [25]. Il est surprenant qu’un comportement de l’huissier de justice soit apprécié différemment selon que son procès-verbal est produit dans un contentieux de propriété intellectuelle ou non. Ce n’est pas la destinée souhaitée par le requérant qui doit influencer la validité du procès-verbal de l’huissier de justice.
Sur la question de l’appréciation de la validité du procès-verbal de l’huissier de justice par le juge, l’arrêt de la cour d’appel de Paris est également très intéressant car conforme aux fondamentaux du droit des constats et offre d’intéressantes perspectives.
B. Les perspectives de la solution
La décision commentée ouvre d’intéressantes perspectives. D’abord, en rappelant l’office du juge en matière de constat d’huissier (1). Ensuite, elle est la première pierre d’un contentieux à venir très important (2).
1) Office du juge
Les juges de la cour d’appel de Paris l’écrivent très clairement dans leur décision : « Il convient dans ces conditions, en cause de référé, en l'absence d'irrégularité manifeste lors de l'établissement du procès-verbal de constat du 11 octobre 2018, non pas de le 'valider' mais de dire qu'il n'y a pas lieu de l'écarter des débats. ».
Pourquoi s’attarder sur cette phrase ? Ces mots résument l’office du juge en matière de constat d’huissier de justice.
En effet, aux termes de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers dispose aujourd’hui que « (…) Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu’à preuve contraire ». L’expression « faire foi jusqu’à preuve contraire » est synonyme de « présomption simple de vérité ». Les constatations effectuées par l’huissier de justice sont donc présumées être de vérité. Mais plus que de bénéficier d’une « présomption simple de vérité » [26], il porte en son sein, par la qualité de son auteur, une « présomption simple de légalité ».
Cela explique que le juge est lié par les constatations de l’huissier de justice : il ne peut ni les dénaturer, ni les écarter des débats sans motifs. Puisqu’elles sont présumées être conformes à la vérité et à la légalité, le juge n’a pas à les valider comme le rappelle la cour d’appel de Paris. Le procès-verbal de constat dressé par huissier de justice n’a donc pas besoin de l’aval du juge pour exprimer sa puissance probatoire. Le juge doit en connaître, mais uniquement si le procès-verbal est critiqué, et simplement pour indiquer si l’acte est retenu dans les débats.
Il convient d’ailleurs de souligner que, très souvent, la sanction requise contre un procès-verbal de constat irrégulier est la nullité. Il s’agit là d’un raccourci de langage éloigné de l’exactitude juridique car, n’étant pas un acte de procédure, le régime des nullités pour vice de forme n’apparaît pas applicable au procès-verbal de sanction : la seule et unique sanction est la mise à l’écart des débats, comme la cour d’appel de Paris le laisse sous-entendre.
2) Prospectives
L’arrêt commenté s’inscrit donc dans une conception classique du contentieux du constat d’huissier. Ce n’est donc pas dans la perception de cet acte probatoire que cette décision est à retenir.
Cette décision est notable car il s’agit de la première rendue dans le contentieux grandissant des applications smartphone. Certes, le tribunal de grande instance Paris avait effleuré le thème le 7 juin 2013 [27]. Les juges avaient alors indiqué que le protocole requis pour dresser des constats Internet ne s’appliquait pas aux constats relatifs aux applications mobiles réalisés depuis un Smartphone.
La décision commentée est plus détaillée sur la question du comportement de l’huissier de justice, mais nullement sur les aspects techniques du constat sur application smartphone. L’absence de protocole prétorien ne signifie pas pour autant qu’aucune précaution ne doit être prise par l’huissier de justice appelé à constater, bien au contraire. Comme l’indique la doctrine [28] : « En effet, ce silence, pareil à une épée de Damoclès, laisse penser que tout procès-verbal peut faire jurisprudence. C’est dans cet esprit qu’il ne peut être que recommandé à l’officier public et ministériel appelé à constater une application de bien veiller à décrire son smartphone ou sa tablette, en n’omettant pas de préciser la version de son système d’exploitation (afin de prévenir le risque d’incompatibilité) après avoir vérifié qu’il était à jour, l’application à télécharger et la version de celle-ci (en s’assurant si une version plus récente est disponible ou non) ».
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris doit être salué, même s’il ne répond pas à toutes les interrogations qui se posent en la matière. En effet, qu’auraient décidé les juges si l’application litigieuse avait été payante ? En pareille situation, l’huissier de justice aurait-il pu utiliser son compte pour télécharger et payer cette application ? Nul doute que les tribunaux auront à statuer à l’avenir sur cette question, ce qui démontre bien que le contentieux de la preuve en cette matière n’en est qu’à ses balbutiements.
[1] Elie Yaffa, dit « Booba ».
[2] CA Paris, 22 septembre 2020, n° 19/10492.
[3] R. Perrot, Constatations purement matérielles : Procédures 2014, comm. 133.
[4] R. Perrot, Le constat d’huissier de justice, CNHJ, 1985, p. 33.
[5] Th. Guinot, L’huissier de justice : normes et valeurs, EJT, 2017, p. 228.
[6] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B (N° Lexbase : A7370MHG).
[7] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, FS-P+B (N° Lexbase : A4765D7M).
[8] S. Dorol : JCl. Encyclopédie des Huissiers de Justice, Bloc Preuve, Fasc. 30, V Les constats.
[9] S. Dorol : JCl. Encyclopédie des Huissiers de Justice, Bloc Preuve, Fasc. 30, V Les constats, n°4.
[10] CA Paris, 5 juillet 2019, n° 17/03974 (N° Lexbase : A2432ZIW) , inédit, Bull. Info. Vénézia & Associés, 2019, n°11, p.2.
[11] TGI Marseille, 5 février 2019, Bull. Info. Vénézia & Associés, 2019, n°11, p.2.
[12] CA Paris, 25 octobre 2006, n° 05/20120 (N° Lexbase : A2565DT8).
[13] V. Vigneau, Les constats d’achats : Procédures 2008, étude 10.
[14] V.sur ce point : S.Dorol, Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, 2ème éd., 2018.
[15] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B (N° Lexbase : A7370MHG), Bull. civ. 2014, n° 1018 ; Procédures 2014, comm. 133, p. 12, obs. R. Perrot.
[16] « Nous voulons ce qu’il y a de mieux pour ceux qui cherchent des apps. Et ceux qui les créent. » lien [en ligne].
[17] CA Paris, 5 juillet 2019, n° 17/03974 (N° Lexbase : A2432ZIW), inédit, Bull. Info. Vénézia & Associés, 2019, n°11, p.2.
[18] V.sur ce point : S. Dorol, Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, 2ème éd., 2018.
[19] S. Dorol et S.Racine, La nouvelle ère des constats Internet, Prop. Ind., 2019.
[20] CA Paris, 5 juillet 2019, n° 17/03974 (N° Lexbase : A2432ZIW).
[21] S. Dorol et S. Racine, La nouvelle ère des constats Internet, Prop. Ind., 2019 : « Si l’application mobile n’est qu’un outil pour le constat (outil de cartographie, traitement de textes, photographies, vidéos, dictaphone...), alors l’huissier de justice peut la télécharger sans soucis. En effet, puisque les constatations ne portent pas sur l’application elle-même, elle est donc extérieure au procès-verbal de constat. La réponse n’est cependant pas la même si l’application mobile est l’objet même du constat dressé par l’huissier de justice car le spectre de requalification en saisie-contrefaçon déguisée règnerait sur toute l’opération dès lors que l’officier public et ministériel a téléchargé lui-même, peut-être même en la payant, l’application litigieuse ».
[22] Devise du 6ème RPIMA.
[23] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B (N° Lexbase : A7370MHG) ; Procédures 2014, comm. 133, p. 12, obs. R. Perrot.
[24] CA Paris, 28 février 2018, n° 16/02263 (N° Lexbase : A7198XEC).
[25] CA Paris, 25 septembre 2015, n° 14/15558 (N° Lexbase : A8262SAA) Dr. et proc. 2015, p. 191, note S. Dorol.
[26] V. sur ce point : M.-P. Mourre-Schreiber, La preuve par le constat d’huissier de justice, thèse de doctorat, EJT, 2014, p. 266, n° 727 et s.
[27] TGI Paris, 3ème, 07 juin 2013, n° 11/13126 (N° Lexbase : A5809KHM).
[28] S. Dorol et S. Racine, La nouvelle ère des constats Internet, Prop. Ind., 2019.
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Réf. : Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-87.071, FS-P+B+I (N° Lexbase : A31933YW)
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par Adélaïde Léon
Le 04 Novembre 2020
► L’exception préjudicielle fondée sur l’existence de droits réels immobiliers ne peut être admise par les tribunaux répressifs qu’autant qu’elle est présentée par le prévenu et que les titres produits ou les faits invoqués sont de nature à faire disparaître l’infraction ;
Il appartient à la juridiction correctionnelle de renvoyer l’examen de la demande de restitution à une audience ultérieure après avoir statué sur la culpabilité et sur la peine sans que puisse être opposée au tiers requérant l’autorité de la chose jugée de la décision ayant éventuellement ordonné la confiscation, ni que puisse être exécutée cette mesure tant qu’il n’a pas été définitivement statué sur la demande de restitution ;
La juridiction correctionnelle, qui statue sur la requête en restitution d’un objet placé sous main de justice présentée par un tiers, est tenue de s’assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s’il justifie être titulaire de droits sur le bien, que lui ont été communiqués en temps utile, les documents de la procédure relatifs à la saisie ;
Ne peut revendiquer la qualité de propriétaire de bonne foi, pour obtenir restitution d’un bien saisi, la société qui fonde sa requête sur un acte juridique dont elle connait le caractère frauduleux.
Rappel des faits. Une personne a été poursuivie devant le tribunal correctionnel des chefs de blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs. Il lui était notamment reproché d’avoir apporté son concours à une opération de blanchiment du produit d’un délit de fraude fiscal, commis par une personne tierce, en organisant l’acquisition, par cette dernière, d’un appartement au moyen de fonds non déclarés à l’administration fiscale, par l’intermédiaire de la société britannique Yewdale Ltd, gérée par le prévenu et la société panaméenne Mochita Holding Corps. (ci-après « MHC ») constituée par la personne tierce susmentionné et ses enfants pour les besoins de l’opération.
L’immeuble avait été acquis par la société Yewdale Ltd. en exécution d’un contrat de mandat conclu avec la société MHC. Par requête, la société MHC a sollicité du tribunal correctionnel la restitution de l’immeuble dont elle alléguait être la propriétaire de bonne foi.
Le tribunal a, par la suite, déclaré le prévenu coupable des faits de blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs. Par un second jugement, la juridiction a rejeté la requête en restitution.
L’intéressé a interjeté appel la décision l’ayant condamné.
La cour d’appel a confirmé le jugement de condamnation ainsi que la peine complémentaire de confiscation.
Les pourvois formés contre cette décision ont été rejetés par la Cour de cassation (Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-87.190, F-D N° Lexbase : A88743YC).
La société MHC a, par ailleurs, interjeté appel du jugement ayant rejeté sa requête en restitution.
En cause d’appel. La cour d’appel a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par MHC fondée sur le fait que son action en revendication immobilière, introduite contre la société Yewdale Ltd, était pendante devant le tribunal de grande instance de Paris. Pour la juridiction d’appel, la société Yewdale Ltd devait être regardée comme l’unique propriétaire de l’immeuble et la procédure diligentée devant le juge de la revendication immobilière ne relevait que des rapports entre elles, nés de leur lien avec les opérations de blanchiment et dont la cour ne devait être tenue tributaire aux fins de pouvoir statuer.
Pour rejeter la requête aux fins de restitution d’un bien placé sous main de justice, la cour d’appel a affirmé que la procédure avait parfaitement établi les infractions de blanchiment commises par le prévenu, que les faits avait été commis notamment au moyen de la société Yewdale Ltd, et portaient entre autres, sur les fonds détenus par la personne ayant constitué MHC, dans le cadre de l’opération concernant l’immeuble dont la restitution est sollicitée et qui a également conduit à la condamnation du représentant légal de MHC dans la même affaire.
La cour d’appel soulignait que l’accord entre les deux sociétés ne pouvait servir à MHC pour revendiquer le bien en justifiant la qualité de propriétaire de bonne foi dès lors que, ayant pour finalité de permettre une opération de blanchiment, ce « fiduciary agreement », dont MHC connaissait l’objectif frauduleux, ne pouvait lui permettre de soutenir sa bonne foi.
Moyens des pourvois. La société MHC critiquait l’arrêt attaqué en ce qu’il avait rejeté la demande de sursis à statuer et, par conséquence, la requête aux fins de restitution d’un bien placé sous main de justice.
Au soutien de son pourvoi, MHC avançait n’avoir pas eu communication de l’entier dossier de la procédure sur lequel elle se fondait. Elle ajoutait que son représentant légal n’avait pas connaissance de l’illicéité de l’acquisition qui avait été conduite par ses enfants.
Enfin, elle arguait que la peine de confiscation de l’appartement avait été prononcée à l’encontre du prévenu, gérant de la société Yewdale Ltd. alors que cet immeuble avait été financé et acquis par la société MHC et que la saisie pénale avait été fondée sur le soupçon de blanchiment de fraude fiscale qu’aurait commis la personne ayant créé la société MHC, sans que ni cette dernière ni sa société n’aient été condamnés ni même poursuivis de ce chef.
Décision de la Cour. La Chambre criminelle rejette le moyen dénonçant le refus de la cour d’appel de faire droit à la demande de sursis à statuer. Elle rappelle à ce titre que l’exception préjudicielle fondée sur l’existence de droits réels immobiliers ne peut être admise par les tribunaux répressifs qu’autant qu’elle est présentée par le prévenu et que les titres produits ou les faits invoqués sont de nature à faire disparaître l’infraction.
S’agissant de la requête en restitution, la Cour rappelle le droit au respect des biens et, dans ce cadre, celui de bénéficier d’une procédure équitable comprenant notamment le droit au caractère contradictoire de l’instance, prévus par l’article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L1625AZ9), tel qu’interprété par la CEDH. Elle déduit de ces dispositions que la juridiction correctionnelle, qui statue sur la requête en restitution d’un objet placé sous main de justice présentée par un tiers, est tenue de s’assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s’il justifie être titulaire de droits sur le bien, que lui ont été communiqués en temps utile, les documents de la procédure relatifs à la saisie.
Elle ajoute qu’il appartient à la juridiction correctionnelle de renvoyer l’examen de la demande de restitution à une audience ultérieure après avoir statué sur la culpabilité et sur la peine « sans que puisse être opposée au tiers requérant l’autorité de la chose jugée de la décision ayant éventuellement ordonné la confiscation, ni que puisse être exécutée cette mesure tant qu’il n’a pas été définitivement statué sur la demande de restitution. ».
En l’espèce, la Haute juridiction a considéré que la MHC, qui n’était pas détentrice de l’appartement lors de la saisie, n’a pas justifié être titulaire de droits sur cet immeuble. Il n’y avait donc pas lieu de lui communiquer les pièces de la procédure.
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Réf. : Cass. crim., 14 octobre 2020, n° 20-84.077, FS-P+B+I (N° Lexbase : A96193XK), n° 20-84.078, FS-D, (N° Lexbase : A95463XT), n° 20-84.082, FS-D, (N° Lexbase : A95523X3), n° 20-84.086, FS-D, (N° Lexbase : A96003XT)
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par Yan Carpentier, Maître de conférences à l’université de Corse, Équipe méditerranéenne de recherche juridique (UR 7311)
Le 04 Novembre 2020
Mots-clés : détention provisoire • rapprochement familial • droits des personnes détenues • transfert
L’année 2020 restera dans les mémoires assurément en raison de la crise sanitaire mondiale, mais pour le pénaliste, elle sera également marquée par une activité jurisprudentielle importante en matière de droits des personnes détenues. Après la délicate question de l’existence d’une voie de recours pour contester des conditions de détention indignes [1], le Conseil constitutionnel devra s’intéresser au droit au rapprochement familial des personnes placées en détention provisoire. En effet, le 21 octobre 2020, plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité ont été enregistrées afin d’étudier la constitutionnalité des articles 22 et 35 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (N° Lexbase : L9344IES) [2].
À la suite d’un arrêt rejetant une demande de mise en liberté d’un individu placé en détention provisoire, un pourvoi devant la Cour de cassation est formé. En parallèle de ce pourvoi, le demandeur présente également trois questions prioritaires de constitutionnalité. Deux des questions sont écartées par la Chambre criminelle au motif qu’elles ne présentent pas de caractère sérieux. Cependant, la première question interrogeant la conformité au bloc de constitutionnalité des articles 22 et 35 de la loi du 24 novembre 2009 a retenu l’attention des juges de cassation. Le requérant arguait de l’inconstitutionnalité des dispositions de la loi du 24 novembre 2009 au regard de l’article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) d’une part, et de leur incompatibilité avec le droit de mener une vie familiale normale garanti par le préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L1356A94).
Les dispositions contestées organisent les relations familiales du condamné avec des personnes extérieures à l’environnement carcéral. L’article 22 de la loi pénitentiaire prévoit notamment que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits » lesquels peuvent toutefois faire l’objet de restriction pour des motifs prévus à ce même article. L’article 35 de loi pénitentiaire précise quant à lui les modalités d’exercice du droit au maintien des relations familiales à l’aide de visites et de permissions de sortir. Au regard des fondements de la question prioritaire de constitutionnalité, le requérant fait valoir un motif d’inconstitutionnalité tiré de la compétence négative du législateur et reproche à ce dernier ne pas avoir suffisamment organisé l’exercice d’un droit. Spécialement, le requérant interroge la constitutionnalité de ces dispositions en ce qu’elles ne permettent pas d’obtenir un transfert au sein d’un autre établissement carcéral afin d’assurer un rapprochement familial. En effet, l’absence de précisions à propos d’une demande de rapprochement familial au sein de l’article 35 de la loi pénitentiaire, ne serait-elle pas de nature à porter atteinte au droit à une vie de famille ? La Cour de cassation estime que la question soulevée présente un caractère sérieux au motif « qu’il n’existe aucune procédure permettant à la personne placée en détention provisoire de solliciter du juge d’instruction le changement de son lieu de détention, ce qui est de nature à la priver de la faculté de faire valoir une atteinte excessive portée à sa vie privée et familiale ». La question est alors transmise au Conseil constitutionnel par quatre décisions [3] concernant le même individu.
S’il faudra au moins attendre le mois de décembre voire, plus sûrement, le mois de janvier 2021 pour connaître la réponse du Conseil constitutionnel, il faut relever que celui-ci a déjà eu à connaître de la question du rapprochement familial des personnes détenues à titre provisoire [4]. Toutefois, la difficulté portait sur l’exigence d’un recours effectif au sens de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D), et concernait les personnes en attente de jugement après la clôture de l’instruction [5]. Les termes de la difficulté ne sont donc pas les mêmes.
Le Conseil devrait, en premier lieu, s’attacher à trancher une question au regard de l’article 35 de loi pénitentiaire et du préambule de la Constitution 1946. En effet, le requérant énonce que le droit de mener une vie de famille normale n’est pas suffisamment encadré notamment car l’article 35 de loi pénitentiaire ne prévoit pas la possibilité d’un transfert de la personne détenue à titre provisoire fondé sur un rapprochement familial. Le Conseil devrait donc dire si une telle absence est constitutive d’une violation du droit de mener une vie de famille normale. En miroir de la décision rendue le 8 février 2019 [6], il est possible que le Conseil puisse reconnaître une telle violation. Néanmoins, il faut préciser que lors de la précédente décision relative au rapprochement familial des personnes placées en détention provisoire, la difficulté portait sur une compétence liée de l’administration pénitentiaire. En effet, depuis un décret du 23 décembre 2010 [7], une procédure de rapprochement familial est organisée pour les personnes placées en détention provisoire et qui restent en attente de jugement [8]. Cette procédure supposait l’accord du magistrat instructeur pour procéder au transfert du détenu mais la décision du juge n’était pas susceptible de recours, ce qui fut la cause de l’inconstitutionnalité. Dans la présente affaire, il faut relever que la faculté de demander un transfert pour rapprochement familial n’est même pas prévue, de sorte que le Conseil devra en premier lieu préciser s’il s’agit d’une modalité d’exercice du droit de mener une vie de famille normale qui concerne l’ensemble des personnes placées en détention provisoire et non seulement celles dont l’instruction est close. Si le Conseil venait à affirmer le transfert pour rapprochement familial comme une modalité d’exercice du droit de mener une vie familiale normale, il lui appartiendra en second lieu, de s’attarder sur la procédure à mettre en place notamment en précisant l’éventuelle compétence du juge d’instruction. Cette question ne manquera pas d’attirer l’attention, si elle venait à être traitée, car les décisions de transfert appartiennent à l’administration pénitentiaire de sorte que si le Conseil accordait, à titre transitoire, un pouvoir d’injonction au juge d’instruction quant au transfert d’un détenu vers un autre établissement, le juge judiciaire se verrait doté d’un pouvoir lui permettant de troubler le fonctionnement administratif [9]. Reconnaître un tel pouvoir d’injonction au juge judiciaire ne serait pas illogique [10] mais il faut bien admettre que ces prérogatives sont plus communément accordées au juge administratif [11].
Sans attendre le sens de la décision du Conseil constitutionnel, on peut déjà dire qu’elle sera particulièrement attendue et lue avec une grande attention. Reste à savoir si la décision du Conseil sera une véritable seconde vague d’affirmation des droits des personnes détenues et pour cela, il faudra preuve de patience pour découvrir les termes de la décision.
[1] Cons. const., n° 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020 (N° Lexbase : A49423WX).
[2] Loi n° 2009-1436, du 24 novembre 2009, dite loi pénitentiaire.
[3] Cass. crim., 14 octobre 2020, n°s 20-84.077, 20-84.078, 20-84.082 et 20-84.086.
[4] Cons. const., n° 2018-763 QPC, du 8 février 2019 (N° Lexbase : A6194YWC).
[5] V. L. Grégoire, Rapprochement familial : l’ineffectivité du recours des détenus en attente de comparution, AJ pénal, 2019, p. 222 ; O. Le Bot, Quelles voie de recours pour contester le refus de rapprochement familial opposé à un détenu en détention provisoire, Constitutions, 2019, p. 112.
[6] Cons. const., n° 2018-763 QPC, du 8 février 2019, cit. op.
[7] Décret, n° 2010-1634, du 23 décembre 2010, portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9922INS).
[8] C. proc. pén., art. R. 57-8-7 (N° Lexbase : L0312IPA).
[9] En dépit de l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».
[10] Spécialement depuis les arrêts de la Chambre criminelle du 8 juillet 2020 (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739 N° Lexbase : A71573Q7 et n° 20-81.731 N° Lexbase : A10363RS) et de la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020 (Cons. const., QPC n° 2020-858/859, du 2 octobre 2020) qui font du juge judiciaire, le gardien naturel de la liberté individuelle. V. C. Margaine, Le JL(D)D : la Cour de cassation attribue au juge judiciaire sa lettre de noblesse, Dalloz actualités, 31 août 2020.
[11] Pour s’en convaincre, v. B. Beignet et L. Miniato, Institutions judiciaires, LGDJ, coll. Précis Domat, 18ème éd., 2020, p. 54,, § 42.
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Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., avis du 21 octobre 2020, n° 443327, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A47003YQ)
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par Marie-Claire Sgarra
Le 05 Novembre 2020
► Seule la notification au contribuable d'une décision expresse de rejet de sa réclamation assortie de la mention des voies et délais de recours a pour effet de faire courir le délai de deux mois qui lui est imparti pour saisir le tribunal administratif du litige qui l'oppose à l'administration fiscale, l'absence d'une telle mention lui permettant de saisir le tribunal dans un délai ne pouvant, sauf circonstance exceptionnelle, excéder un an à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de la décision ;
► En revanche si, en cas de silence gardé par l'administration sur la réclamation, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif à l'issue d'un délai de six mois, aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée.
Les faits : la cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles, 19 mai 2020, n° 18VE04118 N° Lexbase : A13803M3) a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT), de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question suivante :
Doit-on considérer que l'absence de décision expresse en contentieux fiscal ne fait obstacle qu'au déclenchement du délai de droit commun de deux mois et qu'une décision implicite ne fera, inversement, pas obstacle au déclenchement du délai raisonnable d'un an, sous réserve que le demandeur ait eu connaissance de cette décision implicite ' Ou doit-on au contraire étendre la solution retenue pour le délai de droit commun de deux mois au délai raisonnable et exiger, pour le déclenchement de ce dernier délai, l'intervention d'une décision explicite ?
Dans l’avis du Conseil d’État trois points sont ainsi précisés :
Rappelons que ce second point résulte de la jurisprudence « Czabaj » du Conseil d’État. Par cet arrêt d’Assemblée, le Conseil d’État avait ainsi jugé qu’un requérant dispose d’un délai d’un an pour contester par la voie de l’excès de pouvoir une décision administrative qui oublierait de mentionner les voies et délais de recours, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant (CE, Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2114RXL). Ce délai raisonnable d’un an n’est pas opposable à l’auteur du recours qui se prévaut de circonstances particulières ou d’un délai de recours supérieur, défini par un texte.
À lire, sur cet arrêt, C. De Bernardinis, La création d'un délai raisonnable de recours contentieux d'un an en cas de notification incomplète de l'acte administratif individuel, Lexbase Public, septembre 2016, n° 666 (N° Lexbase : N4033BWB). |
Ce délai a aussi été opposé aux recours administratifs préalables obligatoires (CE Section, 31 mars 2017, n° 389842, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0457UT4). Par un arrêt du 18 mars 2019, le Conseil d’État a également transposé ce délai aux décisions implicites de rejet (CE 5° et 6° ch.-r., 18 mars 2019, n° 417270, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1779Y4N).
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Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 9 octobre 2020, n° 414423, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A33893XS)
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N5124BYG
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Le 04 Novembre 2020
Mots clés : juridictions administratives • exercice de la fonction juridictionnelle • violation susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat
Dans une décision rendue le 9 octobre 2020, la Haute juridiction a énoncé que le juge administratif saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de l'État soit engagée du fait d'une violation manifeste du droit de l'Union ayant pour objet de conférer des droits à des particuliers à raison du contenu d'une décision d'une juridiction administrative devenue définitive, doit rechercher si cette décision a manifestement méconnu le droit de l'Union européenne au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de cette décision.
Lexbase : De quelle manière apprécie-t-on si le contenu d’une décision juridictionnelle de l’ordre administratif est entaché d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne ?
François-Vivien Guiot : Il faut commencer par rappeler que la définition des conditions sous lesquelles un arrêt rendu par le juge administratif est de nature à engager la responsabilité de l’Etat pour violation du droit de l’Union dépend du droit de l’Union européenne lui-même (ce qui n’est pas le cas de la mise en œuvre de cette responsabilité qui relève des Etats conformément au principe d’autonomie institutionnelle et procédurale). En effet, le principe de cette responsabilité découle directement des principes essentiels de l’ordre juridique européen (sa primauté ainsi que son immédiateté d’une part, et l’obligation de coopération loyale qui s’impose aux Etats membres d’autre part) ; il est « inhérent à l’ordre juridique de l’Union » selon l’expression employée par la Cour de justice de l’Union européenne.
En deuxième lieu, il convient de noter que le régime de la responsabilité de la puissance publique pour violation du droit de l’Union européenne est une création prétorienne. Comme souvent en droit de l’Union européenne, les indications textuelles prévues par le droit primaire sont en effet lapidaires et ne vise que la responsabilité de l’Union [1]. A défaut d’une intervention du « législateur » européen qui aurait adopté un acte de droit dérivé relatif à cette question, c’est donc la Cour de justice de l’Union européenne qui a réalisé ce travail d’interprétation constructive.
Cette origine prétorienne n’implique cependant pas d’incertitude en la matière, la jurisprudence a plus d’une vingtaine d’années désormais et fait preuve d’une stabilité certaine.
Il faut souligner également que le travail jurisprudentiel ne s’est pas effectué dans un néant juridique. Le point de départ est constitué par l’article 344, alinéa 2, TFUE [2] et la volonté de la juridiction européenne de construire un régime général de la responsabilité pour violation du droit de l’Union quelle que soit l’autorité à l’origine de la violation (exécutive, législative ou judiciaire, mais aussi européenne ou nationale). Si, selon le traité lui-même, il convenait pour définir un régime de responsabilité de l’Union de s’inspirer des « principes généraux communs » aux Etats membres, la même démarche a été retenue pour la responsabilité des Etats membres pour violation du droit de l’Union dont les traités ne disaient rien.
En réalité, c’est la pratique allemande qui a été déterminante dans l’élaboration de la position de la Cour de justice. Cela l’a conduit à juger que la responsabilité des Etats devait être soumise à trois conditions [3] dans un arrêt « Francovich et Bonifaci » (CJCE, 19 novembre 1991, aff. jtes C-6/90 et C-9/90 N° Lexbase : A5783AYT) :
Cette jurisprudence a été confirmée à l’égard du législateur sans que la nature de l’organe n’implique d’aménagement dans la définition des conditions de cette responsabilité pour violation du droit de l’Union [4], avant d’être appliquée à une autre autorité bénéficiant usuellement en droit interne d’un régime de responsabilité particulier : le pouvoir juridictionnelle.
Cette extension résulte de l’arrêt « Köbler » de 2003 (CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01 N° Lexbase : A6934C9P) et a été confirmée dès 2006 face aux réticences du législateur italien [5]. Face à l’invocation des principes nationaux d’indépendance de la justice et d’autorité de la chose jugée, la Cour de justice a reconnu la spécificité de la fonction judicaire, mais a réitéré le principe d’une responsabilité de l’Etat en cas de « violation suffisamment caractérisée ».
C’est en fait dans la définition de cette « violation suffisamment caractérisée » qu’elle a pu intégrer la prise en compte des particularités de la fonction du juge national. Ce standard juridique permet en effet une grande souplesse dans sa mise en œuvre, et la Cour de justice a poursuivi un difficile exercice d’équilibre en indiquant avec des précisions suffisantes le sens à donner à cette notion, tout en laissant aux juridictions nationales une certaine marge d’appréciation pour mettre en œuvre ce régime de responsabilité.
Face à la législation italienne qui entendait exclure toute responsabilité de l’Etat lorsque la violation découlerait de l’interprétation des règles de droit ou de l’appréciation des faits et éléments de preuves, la Cour de justice a cependant répondu qu’une telle exclusion mettrait hors de portée du régime de la responsabilité pour violation du droit de l’Union des opérations qui sont au cœur de l’office du juge.
Aussi a-t-elle rappelé qu’une « violation suffisamment caractérisée » devait être retenue « dans le cas exceptionnel » où une décision rendue par une juridiction statuant en dernier ressort, en violation de droits conférés par le droit de l’Union au requérant, « a méconnu de manière manifeste le droit applicable ». Selon des précisions rappelées de manière constante depuis 2003, pour apprécier le caractère manifeste de cette méconnaissance, « le juge national saisi d’une demande en réparation doit, à cet égard, tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui lui est soumise et, notamment, le degré de clarté et de précision de la règle violée, le caractère délibéré de la violation, le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur de droit, la position prise, le cas échéant, par une institution communautaire, ainsi que l’inexécution, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre de l’article [267 TFUE] » [6].
Lexbase : Cette méconnaissance a-t-elle déjà donné lieu à condamnation ?
François-Vivien Guiot : Les juridictions nationales ont fait preuve de peu d’entrain pour appliquer les innovations imposées par la Cour de justice. C’est vrai pour les juridictions de nos voisins européens, comme pour l’ordre judicaire français [7]. A leur décharge, la doctrine relève que lorsque les juridictions internes posent des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, afin d’être éclairées sur la mise en œuvre de ce « principe inhérent à l’ordre juridique », celle-ci fait elle-même preuve d’une certaine « timidité » et d’une « conception respectueuses de la spécificité de la fonction juridictionnelle » [8]. Comme si par une forme de solidarité professionnelle ou pour préserver la coopération juridictionnelle sur laquelle repose le renvoi préjudiciel indispensable à l’application uniforme du droit européen, elle se retenait de constater l’existence d’une « méconnaissance manifeste » de son droit par le juge national [9].
S’agissant de l’ordre juridictionnel administratif français, il faut donc reconnaître également une certaine réticence du juge administratif dans l’application de ce régime spécial de responsabilité. Certes le Conseil d’État a rapidement tiré les conséquences des exigences de la Cour de justice s’agissant de la responsabilité de l’administration [10]. Mais l’admission d’un régime de responsabilité pour « violation suffisamment caractérisée » du droit de l’Union vis-à-vis du pouvoir législatif (distinct de la responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques [11]) et du pouvoir juridictionnel (au-delà du fonctionnement défectueux du service public de la justice [12] ou de la méconnaissance du droit à un délai raisonnable [13]) est longtemps restée plus problématique.
S’agissant de la responsabilité du fait des lois, une transposition du principe a été mise en œuvre au profit de toute violation d’un engagement international (et non pas uniquement du droit de l’Union européenne) par le législateur avec l’arrêt « Gardedieu » de 2008 [14]. S’agissant de la responsabilité du fait d’une décision de justice, c’est dans l’arrêt « Gestas » de 2008 [15] que la plus haute juridiction administrative a reconnu la spécificité d’une violation du droit de l’Union européenne
Selon le considérant de principe retenu, « Considérant qu'en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité ; que si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l'Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entachée d'une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ». La même solution de principe a été rappelée dans un premier arrêt « Lactalis » rendu sur pourvoi en 2016 [16], dont nous redirons un mot plus bas, avant d’être reprise ici dans l’arrêt rapporté.
Malgré une position de principe désormais en apparente conformité avec la jurisprudence européenne, la responsabilité de l’Etat du fait d’une violation du droit de l’Union par le juge administratif n’a cependant jamais été reconnue de manière positive. Cette dernière décision du Conseil d’État témoigne des difficultés concrètes que les requérants rencontrent dans la mise en œuvre de cette action en responsabilité.
La multiplication des références européennes dans les visas ne cache pas la difficulté intrinsèque de l’exercice consistant pour les juridictions suprêmes nationales à reconnaître leur propre faute. Sur le fond, l’affaire Lactalis qui commence par une décision du tribunal administratif de Rennes de 2003 repose sur une incertitude quant au délai de prescription applicable aux demandes de remboursement d'une restitution à l'exportation indûment versée. Le règlement européen applicable, qui prévoit un délai de quatre ans, laisse la possibilité aux Etats d’appliquer un délai de droit commun plus long existant antérieurement à son entrée en vigueur [17]. Devant le Conseil d’État, la société invoqua cependant que la prescription trentenaire prévue par le droit français constituait une violation des principes européens de proportionnalité et de non-discrimination, argument que la haute juridiction administrative écarta dans un arrêt du 27 juillet 2009 en invoquant une décision préjudicielle de la Cour de justice rendu le 29 janvier de la même année (qui ne comprenait en réalité aucune indication précise sur ce point). Or, dans une procédure préjudicielle ultérieure, la juridiction européenne saisie à nouveau de cette question a apporté des précisions complémentaires qui contredisent le Conseil d’État : en effet, elle a dit pour droit dans son arrêt du 5 mai 2011 que « le principe de proportionnalité s’oppose […] à l’application d’un délai de prescription trentenaire au contentieux relatif au remboursement des restitutions indûment perçues ».
La société Lactalis Ingrédients a en conséquence initié une action en réparation du préjudice subi à raison de la décision du Conseil d’État rendue en violation du droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour de justice. Rejetée par le ministre de la Justice, le tribunal administratif de Rennes puis la cour administrative d’appel de Nantes, sa demande revient donc devant le Conseil d’État, lui-même à l’origine de la violation alléguée. Il faut préciser que la violation résulte autant de l’erreur d’interprétation du règlement communautaire que du non exercice d’un renvoi préjudiciel en interprétation. On sait, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de justice, que les juges internes statuant en dernier ressort ont l’obligation de poser une question préjudicielle en cas de doute quant à l’interprétation du droit de l’Union. Ils ne peuvent se libérer de cette obligation que dans le cadre des exceptions acceptées par la jurisprudence européenne (acte clair, acte éclairé, application du droit de droit de l’Union non pertinente pour la résolution du litige [18]).
Tout le nœud du problème tient dans l’appréciation de la portée de cette obligation, lorsqu’une erreur d’interprétation commise par le juge national est révélée par la jurisprudence européenne ultérieure. On retrouve la même configuration devant la Cour de cassation dans une autre affaire « Lactalis » [19] ou dans la décision « Ferreira et Brito » rendue par la Cour de justice en 2015. La motivation retenue en l’espèce par le Conseil d’État sur ce point est d’autant plus surprenante que, comme nous le verrons, elle semble entrer en contradiction non seulement avec cette jurisprudence « Ferreira et Brito », mais aussi avec l’arrêt du 4 octobre 2018 (CJUE, aff. C-416/17, Commission c/ France N° Lexbase : A5566YEU) rendu à l’encontre de la France et constatant que le Conseil d’État dans des circonstances similaires avait (déjà) manqué à son obligation de renvoi.
Lexbase : N'y a-t-il pas un risque que le juge administratif se retrouve juge et partie ?
François-Vivien Guiot : En effet, on peut penser au regard de la pratique des juridictions françaises qu’il s’agit là d’une des raisons essentielles de la neutralisation de ce régime de responsabilité. Pourtant, le choix fait en faveur de l’« autocontrôle » semble difficilement contestable au regard du droit applicable.
Tout d’abord, la Cour de justice estime qu’il est du ressort des Etats membres de prévoir dans le cadre de leur autonomie institutionnelle et procédurale à quelle autorité confier ce contentieux, ainsi que de définir les règles qui l’encadrent (dans le respect des conditions identifiées par sa jurisprudence, et des principes d’effectivité et d’équivalence). Ce raisonnement est aujourd’hui consacré en substance dans l’article 19, § 1 alinéa 2 TUE (N° Lexbase : L2119IP8).
Ensuite, au niveau interne, il a été jugé par le Conseil d’État [20] que le principe de la séparation des ordres juridictionnels n’est pas remis en cause par l’application du régime de responsabilité pour violation du droit de l’Union. En conséquence, une violation imputable au juge judicaire relève de la compétence de cet ordre de juridiction, tandis qu’une violation imputable au juge administratif relèvera de l’ordre administratif. De même, il a été jugé que ne relève pas de la compétence du juge administratif, mais de celle du juge judiciaire, l’examen d’une violation alléguée du droit de l’Union européenne qui découle non pas du législateur mais de l’interprétation judicaire de la loi [21].
Une nuance doit toutefois être apportée. Il a été précisé au cours de cette affaire « Lactalis », dans le premier arrêt rendu par le Conseil d’État en 2016 [22], que ce sont les tribunaux administratifs puis, en appel, les cours administratives d'appel qui sont compétents pour connaître de l’action en responsabilité de l’État du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union prétendument commise par le Conseil d’État – sous réserve d’un pourvoi devant la juridiction suprême qui pourra contrôler les erreurs de droit et l’erreur de qualification juridique dans l’application de la notion de « violation suffisamment caractérisée ». La solution est donc inverse à celle retenue dans le contentieux des délais excessifs de jugement, pour lequel l’article R. 311-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3707LW9) donne compétence en premier et dernier ressort au Conseil d’État.
Que pensez de cette solution ? Si l’on peine à imaginer raisonnablement un système différent, l’arrêt de la Cour de cassation de 2016 relatif à l’application du principe de la rétroactivité in mitius en matière pénale avait déjà confirmé quelques craintes quant à l’effectivité de cette procédure en réparation et à l’intérêt de faire intervenir les juridictions subordonnées. Les avis et rapport produit par les membres de la juridiction exposent avec quelle stupéfaction, quel agacement presque, les magistrats français ont reçu l’arrêt de la Cour d’appel de Paris osant reconnaitre la responsabilité de l’Etat à raison d’une décision rendue par le juge de cassation en méconnaissance manifeste du droit communautaire.
Il faut souligner, au regard de l’arrêt préjudiciel « Ferreira et Brito », qu’une juridiction inférieure qui entendrait relever l’existence d’une violation suffisamment caractérisée commise par une juridiction supérieure aura toujours intérêt à chercher auprès de la Cour de justice confirmation du bien-fondé de sa démarche…
Face à cet esprit de corps, dont on peut penser qu’il est partagé par les membres du Conseil d’État, il faut également s’interroger sur le réalisme des assurances qui sont données par l’arrêt du 9 octobre 2020 quant au respect du droit à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Alors que la société requérante avait adressé au juge administratif une demande de question préjudicielle sur ce point, le Conseil d’État donne raison au juge d’appel d’avoir considéré celle-ci comme sans objet au regard de l’arrêt « A.K. e.a. » de la Cour de justice [23]. Dans cet arrêt mettant en cause l’indépendance des juges de la Cour suprême polonaise, la juridiction européenne rappelle certes des éléments de définition très généraux sur les conditions de l’indépendance et de l’impartialité (tant subjective qu’objective) des tribunaux au regard de la théorie des apparences, mais elle ne répond en rien à la question de savoir si une juridiction nationale pouvait être juge et parti dans un recours en responsabilité dirigé devant la juridiction à l’origine du préjudice allégué. On peut certainement penser que les règles d’attribution des instances et de déport si nécessaire permettent de confier à des formations différentes et à des juges différents l’examen de ces demandes de réparation, toutefois il n’est pas certain que cela satisfasse pleinement la théorie des apparences et ce d’autant moins si ce sont les formations de jugement les plus solennelles qui sont saisies.
Pour être complet quant à l’usuelle question « Quis custodiet ipsos custodes ? », il faut toutefois rappeler qu’un défaut quant à l’indépendance et à l’impartialité dans l’examen de la demande de réparation par le Conseil d’État ou la Cour de cassation pourrait théoriquement être sanctionné par l’une des juridictions européennes : soit par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement des articles 6 § 1 (N° Lexbase : L1370A9M) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la Convention [24] ; soit par la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’un recours en manquement fondé sur la combinaison des dispositions matérielles du droit de l’Union impliquées dans la violation alléguées et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux.
Lexbase : Quel est l'apport essentiel de l'arrêt en la matière ?
François-Vivien Guiot : L’apport essentiel ne vient donc pas d’une application effective de la responsabilité du fait de la justice pour violation du droit communautaire par le juge français. Cependant, l’arrêt est à noter car la motivation du Conseil d’État prend position sur deux questions d’importance inégale.
Premièrement, subtilité qui intéresse essentiellement la doctrine, l’arrêt « Lactalis Ingrédients » semble trancher, pour ce qui est du juge administratif en tout cas, la question de savoir si le régime de responsabilité imposé par la Cour de justice doit être analysé en droit français sous l’angle de la « faute lourde » qui est le standard usuel en matière de responsabilité du fait de la justice [25]. Cette position a été défendue par la Cour de cassation. Or, elle pourrait être problématique dans le sens où la concordance entre les notions de faute lourde et de « violation suffisamment caractérisée » ou de « méconnaissance manifeste du droit de l’Union » n’est pas certaine [26]. La définition classique de la faute lourde paraît en effet impliquer un degré de gravité supplémentaire. En ce sens, la Cour de justice a jugé qu’entre en contradiction avec sa jurisprudence « Köbler » la loi italienne conditionnant la sanction de la violation du droit de l’Union à l’identification d’une « faute grave » commise par la juridiction nationale [27].
En l’espèce, non seulement le juge administratif admet que la spécificité du régime de responsabilité inhérent à l’ordre juridique implique que la violation du droit de l’Union européen puisse découler du contenu même d'une décision de justice, mais il semble également écarter l’exigence de la faute lourde. Si la construction syntaxique du considérant de principe n’est déterminante sur ce point, il n’en demeure pas moins que tous les considérants suivants consacrés à l’examen de la violation se placent exclusivement sous l’angle de la violation suffisamment caractérisée. Il écarte ainsi le risque que le régime de responsabilité mis en œuvre par les juges administratifs français soit jugé plus restrictif que celui imposé par la jurisprudence européenne.
Le second point est plus important, et certainement plus source de contestation devant les juges du Luxembourg. En effet, pour écarter sa responsabilité, le Conseil d’État donne raison à la cour administrative d’appel qui a totalement neutralisé – pour ne pas dire violé – la position de la Cour de justice quant à l’absence d’utilisation du renvoi préjudiciel par les juridictions suprêmes confrontées à des difficultés d’interprétation révélées a posteriori par une contradiction de solutions.
Dans le cadre du recours en manquement dirigé contre la France, la position du juge européen était très claire : l’absence de renvoi préjudiciel a amené le Conseil d’État à adopter « une solution fondée sur une interprétation des dispositions des articles 49 et 63 TFUE qui est en contradiction avec celle retenue dans le présent arrêt, ce qui implique que l’existence d’un doute raisonnable quant à cette interprétation ne pouvait pas être exclue au moment où le Conseil d’État a statué ». Autrement dit, pour la Cour de justice, la découverte a posteriori d'une contradiction est un indice tout à fait sérieux de ce que le juge national ne pouvait pas se défaire de son obligation de renvoi – obligation dont la violation est un des exemples de « violation suffisamment caractérisée » systématiquement indiqués dans la motivation des arrêts du juge européen.
Or, en l’espèce, les juridictions administratives rejettent ce raisonnement en considérant que le caractère excusable ou non de l’erreur commise doit s’apprécier au regard « des circonstances de fait et de droit applicables à la date de la décision contestée ». Constatant que « la Cour de justice avait donné une interprétation progressive des dispositions en cause, dont la portée et le sens ont été précisés par un arrêt ultérieur », la cour administrative d’appel pouvait ainsi conclure que le Conseil d’État qui s’était référé à la jurisprudence européenne disponible « n’avait pas entendu méconnaître les dispositions en question [du règlement communautaire] telles qu’interprétées par la Cour de justice », et que la disposition en cause ayant déjà fait l’objet d’une interprétation, il n’avait pas l’obligation de former un nouveau renvoi préjudiciel. Ce raisonnement est excessivement formaliste et en renvoyant à l'intention du Conseil d'Etat, il semble réintroduire la logique de la faute lourde.
Il est bien difficile d’adhérer à ce raisonnement que le Conseil d’État salue pourtant en écartant l’erreur de droit et l’erreur dans la qualification des faits invoqués par la société requérante. D’une part, il entre en confrontation directe avec la motivation retenue par la Cour de justice dans le recours en manquement du 4 octobre 2018. En toute logique, il devrait justifier une nouvelle procédure de la Commission pour manquement à la jurisprudence européenne. D’autre part, cette analyse du comportement du Conseil d’État n’est pas très honnête et ne résiste pas réellement à l’examen. La décision de 2009 de la Cour de justice dont le juge administratif se prévaut était très peu détaillée sur la question des délais de prescription prévus par le droit national. Surtout elle n’examinait pas du tout la question de la proportionnalité (le mot n’y figure même pas !) alors qu’il s’agissait du cœur de l’argumentation de la requête. En conséquence, l’utilisation de la théorie de l’« acte éclairé » pour écarter l’obligation de renvoi n’est pas convaincante : la problématique soulevée reposait moins sur l’interprétation des articles du règlement que sur celle du principe de proportionnalité qui est un principe général du droit de l’Union.
En conclusion, derrière les apparences de la consécration, ce énième arrêt « Lactalis » est une nouvelle manifestation de la résistance des juridictions françaises face à un mécanisme de responsabilité « venu d’ailleurs » et qui leur apparaît difficilement compatible avec le principe hiérarchique structurant leurs ordres de juridictions.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
[1] Selon l’article 268 du TFUE (N° Lexbase : L2582IPC) : « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l'article 340, deuxième et troisième alinéas. » Cet article ne régit cependant que l’engagement de la responsabilité contractuelle et non contractuelle de l’Union.
[2] TFUE, art. 340, al. 2 (N° Lexbase : L2663IPC) : « En matière de responsabilité non contractuelle, l'Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions ».
[3] On notera que dans un premier temps, conformément au principe d’autonomie procédurale, elle s’est contentée de poser le principe de l’obligation de réparation à la charge des Etats, tout en leur laissant le soin de définir ces conditions (CJCE, 16 décembre 1960, aff. 6/60, Humblet). Elle a par la suite considéré que l’exigence d’effectivité du droit de l’Union européenne et d’application uniforme justifiait d’abandonner cette approche.
[4] Pour une reconnaissance expresse, voir CJCE, 5 mars 1996, C-46/93 et C-48/93, Brasserie du Pêcheur SA c/ Bundesrepublik Deutschland et The Queen c/ Secretary of State for Transport (N° Lexbase : A8049AYR),
[5] CJCE, 13 juin 2006, aff. C-173/03, Traghetti del Mediterraneo (N° Lexbase : A8744DPK).
[6] Arrêt préc., pt. 32.
[7] Hormis une décision ancienne parfois évoquée par la doctrine mettant en cause la responsabilité de l’Etat à raison d’une circulaire du ministre de la Justice (Cass. com., 21 février 1995), on lira avec un certain étonnement le rapport de M. Echappé et l’avis de M. Marin qui accompagnent la première décision de la Cour de cassation consacrant le principe d’une responsabilité pour violation du droit de l’Union par le juge judiciaire : Ass. plén., 18-11-2016, n° 15-21.438, Cassation sans renvoi (N° Lexbase : A3279SHW).
[8] M. Blanquet, Droit général de l’Union européenne, Paris, Sirey, 2018, 11ème éd., p. 589. Une exception toutefois peut être identifiée avec l’arrêt du 9 septembre 2015, « João Filipe Ferreira da Silva e Brito e.a. » (CJCE, aff. C-160/14 N° Lexbase : A5968NND). Dans cette affaire la Cour de justice de l’Union européenne donne au juge a quo des éléments de réponse très clairs, établissant le bien-fondé de la demande de réparation justifiée par une décision du Tribunal suprême de justice portugais. Statuant en dernière instance, celui-ci s’était abstenu de poser une question préjudicielle en interprétation et avait appliqué le droit de l’Union d’une manière qui se révèle être contraire à l’interprétation retenue a posteriori par la Cour de justice elle-même. La Cour souligne que dans un contexte où les juridictions portugaises et celles des différents Etats membres avaient rendu des décisions contradictoires, la juridiction suprême aurait dû mettre en œuvre l’obligation de l’article 267 TFUE et poser au juge européen une question préjudicielle. Or, l’absence de respect de l’obligation de renvoi a toujours été identifiée par la jurisprudence européenne comme une des causes probables de l’engagement de la responsabilité de l’Etat pour violation du droit de l’Union du fait d’une décision de justice
[9] Voir en ce sens, l’arrêt préc. « Köbler » où elle juge elle-même que la violation commise par les juridictions autrichiennes n’était pas suffisamment caractérisée.
[10] CE, Ass., 28 février 1992, n° 87753 (N° Lexbase : A5378ARM).
[11] CE Ass., 14 janvier 1938, n° 51704 (N° Lexbase : A9868B7M).
[12] CE, Ass., 29 décembre 1978, n° 96004 (N° Lexbase : A4002AI3), Rec., p. 5 72.
[13] CE, Ass., 28 juin 2002 n° 239575 (N° Lexbase : A0220AZ8).
[14] CE, Ass., 8 février 2007, n° 279522 (N° Lexbase : A2006DUT) (la violation alléguée était fondée sur l’article 6 § 1 de la CESDH).
[15] CE, 18 juin 2008, n° 295831 (N° Lexbase : A2358D99).
[16] CE, 21 septembre 2016, n° 394360 (N° Lexbase : A0234R4G).
[17] Règlement (CE) n° 2988/95 du 18 décembre 1995, art. 3 § 3 (N° Lexbase : L5328AUU).
[18] CJCE, 27 mars 1963, aff. jtes 28 à 30/6, Da Costa.
[19] Arrêt préc. du 18 novembre 2016.
[20] CE, 12 janvier 2004, no 239686 (N° Lexbase : A7602DAS).
[21] CE, 23 juillet 2014, n° 354365 (N° Lexbase : A7254MU9).
[22] CE, 21 septembre 2016, n° 394360 (N° Lexbase : A0234R4G).
[23] CJUE, 10 janvier 2020, aff. Jtes C-585/18, C-624/18, C-625/18, A.K. e.a., A.
[24] A cet égard, il faut rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme s’est engagée dans la voie de la sanction du refus arbitraire de former un renvoi préjudiciel lorsque les parties en font la demande devant le juge national (CEDH, 8 avril 2014, Req. n° 17120/09 (N° Lexbase : A6854MIP). Or, il s’agit à l’évidence d’un des motifs récurrents qui conduit les justiciables à chercher la mise en cause de la responsabilité de l’Etat du fait des décisions de justice.
[25] Selon la Cour de cassation, « constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » (Ass. pl., 23 février 2001, n° 99-16.165 N° Lexbase : A0716ATP).
[26] Ainsi par exemple, s’agissant de l’obligation de renvoi, la première chambre civile a jugé que le refus de transmettre une question préjudicielle ne pouvait être qualifié de faute lourde en absence de « violation manifeste de l’article 234 TCE » devenu 267 TFUE (Cass. civ. 1, 26 octobre 2011, n° 10-24.250, FS-P+B+I, Rejet N° Lexbase : A0618HZW). Or, il semble pourtant que pour la Cour de justice toute violation de l’obligation de renvoi soit constitutive d’une méconnaissance manifeste du droit de l’Union.
[27] CJUE, 24 novembre 2011, aff. C-379/10, Commission c/ Italie (N° Lexbase : A0293H3A).
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