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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
A l'approche d'une éventuelle alternance gouvernementale et parlementaire, la rupture conventionnelle commençait à compter ses heures, car il est de notoriété commune que cet important élément de la "modernisation du marché du travail", selon les voeux de la loi du 25 juin 2008, est fort décrié par les avocats, qui constatent de nombreux détournements de procédure, et les salariés eux-mêmes, qui ne sont pas suffisamment informés de leurs droits, faute d'une assistance obligatoire. Aucun bilan chiffré n'est établi, mais le dernier état (2010) faisait de la rupture amiable un mode croissant de la séparation du salarié et de l'entreprise, même si le licenciement conservait une part prégnante des modes de rupture (les 2/3 environ). Avec un "retoquage" par l'Inspection du travail, de l'ordre de 10 %, on comprend, dès lors, que la rupture conventionnelle, si elle ne constitue pas un mode sécurisé de la rupture du lien salarial pour l'employé peu ou mal informé, présente une sécurité juridique, hors pair (sous trois semaines), pour l'employeur. Tout juste admet-on qu'une rupture conventionnelle sur trois est suivie d'un retour à l'emploi avant la fin de l'année, quand le taux de retour à l'emploi après un licenciement avoisine les 12 % sur la même période. D'aucuns, mauvaises langues sans doute, ajouteront aussitôt que la rupture conventionnelle concerne d'abord les cadres (39,9 %) du secteur tertiaire (75,6 %)... soit la catégorie socio-professionnelle la moins touchée par le chômage de longue durée.
Non, si ce "patronat" a de quoi se réjouir, c'est bien parce que la "faute grave" a encore de beaux jours devant elle ! Le dynamisme de la Cour de cassation en la matière est symptomatique d'une recrudescence de ce motif personnel de licenciement que peut constituer une faute, qui plus est jugée "grave", moyen net et sans bavure de se séparer d'un salarié indélicat, car, sauf volonté contraire des parties, le licenciement pour faute grave exclut le versement de l'indemnité de licenciement...Voyez vous-même...
Dans un arrêt rendu le 27 mars 2012 et promis à la publicité, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que constitue une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, le fait pour un salarié, appartenant au personnel critique pour la sécurité d'une compagnie aérienne, de consommer des drogues dures pendant des escales entre deux vols, se trouvant ainsi sous l'influence de produits stupéfiants pendant l'exercice de ses fonctions.
Et, par quatre arrêts diffusés, rendus le 28 mars 2012, on apprend que rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifient son licenciement pour faute grave :
- le comportement d'une salariée qui a volé, dans son entreprise d'édition, un livre destiné à l'activité professionnelle d'une collègue, et ce, alors qu'elle était coutumière de ce type d'agissement ;
- le comportement d'un salarié, exerçant en qualité de moniteur-éducateur, violent et grossier, ce qui est générateur d'angoisse pour les enfants, et qui est caractérisé par son attitude vindicative, des propos excessifs, accusateurs et dévalorisants, des accès de colère et une violence verbale vis-à-vis des enfants et qui n'y a pas remédié en dépit d'une mise en demeure ;
- le comportement d'une salariée qui s'est rendue coupable d'une faute grave en entrant des données fictives dans une base de données commerciales qu'elle était chargée de renseigner, ce qui avait eu pour conséquence de fausser la fiabilité de celle-ci et de porter préjudice à l'employeur, et ce alors qu'elle avait une qualification de haut niveau et une parfaite connaissance du travail à effectuer ;
- le fait pour un salarié de refuser de se rendre au lieu fixé par l'employeur pour y recevoir les consignes de celui-ci pour le travail de la journée et de refuser, un jour déterminé, de conduire un camion au motif inexact que ce dernier était en mauvais état.
Une chose est certaine : "Qui fait la faute la boit"...
Mais, si, sur le licenciement consécutif à un acte illégal commis par le salarié, nous n'avions aucun doute quant aux conclusions de l'appréciation hautement souveraine des juges en matière de faute grave, pour le mensonge et l'insubordination, la question était déjà plus délicate. La cour d'appel de Paris avait, tout de même, jugé, le 14 février 2008, que les insultes proférées par le salarié s'inscrivant dans un contexte particulier, la faute, ainsi, commise n'avait pas le caractère de faute grave invoqué par l'employeur. Mieux, le 27 mai 2009, considérant que l'employeur avait pour le moins toléré le comportement raciste du salarié, la cour d'appel décidait que le licenciement était justifié non par une faute grave, mais par une cause réelle et sérieuse... Et, l'on retient au détour d'un "vieil" arrêt de cassation du 14 mai 1987 que l'ancienneté du salarié dans l'entreprise peut avoir pour effet d'atténuer la gravité de la faute, quand, en 2002, la Haute juridiction ne considère pas qu'un salarié qui compte une ancienneté de 22 ans et qui refuse de porter un équipement de protection deux jours de suite ne commet pas une faute grave, d'autant moins qu'il finit par se conformer aux directives de l'employeur. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'appréciation du juge en matière de "faute grave" est à géométrie variable, d'autant que, depuis un arrêt du 27 septembre 2007, la définition traditionnelle de la faute grave se voit amputée de toute référence au préavis, si bien que la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est, désormais, simplement celle qui rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise. Et, effectivement, la frontière avec la cause réelle et sérieuse apparaît ténue...
Mais que voulez-vous ? "Gens trop heureux font toujours quelque faute...", nous enseigne le fabuliste académicien. Trop de bonheur dans les entreprises françaises nuit, décidément, trop au climat social... c'est bien connu.
* Baruch Spinoza
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par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat, Faculté de droit de Nantes, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)
Le 12 Avril 2012
La conclusion d'un contrat d'assurance est, le plus souvent, fondée sur les seules déclarations effectuées par le souscripteur. Sans doute, l'assureur dispose-t-il de la possibilité de les vérifier, de procéder à des formes d'enquêtes ou d'expertise même par son propre personnel spécialisé. Il demeure que dans l'immense majorité des cas, surtout dans les contrats d'assurances contractés avec des particuliers, l'assureur se fie aux seuls dires de son cocontractant. Pour cette raison, très tôt, la doctrine spécialiste de droit des assurances, notamment Picard et Besson, a souligné que le contrat d'assurance est un contrat de bonne foi. L'expression visait, alors, à indiquer que cette attitude loyale devait émaner du profane, non professionnel. C'est que l'idée figurait de manière implicite, voire quasiment explicite, dans la loi du 13 juillet 1930.
En effet, les dispositions figurant désormais aux articles L. 113-8 (N° Lexbase : L0064AAM) et L. 113-9 (N° Lexbase : L0065AAN) du Code des assurances, destinées à sanctionner les déclarations inexactes des souscripteurs aux assureurs, distinguent deux cas de figure. Selon le premier de ces textes : "indépendamment des causes ordinaires de nullité, et sous réserve des dispositions de l'article L. 132-26 (N° Lexbase : L0155AAY), le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre". L'hypothèse visée est celle de l'absence de bonne foi du souscripteur. Au contraire, l'article L. 113-9 du Code des assurances envisage le cas de déclarations inexactes par inadvertance ou notamment par incompréhension ou ignorance du non-professionnel. Les sanctions adjointes sont donc moindres.
En volume, la mise en oeuvre de l'article L. 113-8 du Code des assurances donne lieu à une jurisprudence plus nourrie que pour l'article L. 113-9 du même code. C'est qu'il apparaît difficile de démontrer la "réticence ou fausse déclaration intentionnelle". Nul ne peut sonder les reins et les coeurs, pas plus que les âmes et leurs ramifications. Les magistrats doivent donc se faire une opinion au moyen de propos, d'indices, d'attitudes ou de comportements desquels ils induiront un état d'esprit condamnable. Or, souvent, ces éléments extérieurs ou extériorisés font défaut. Toutefois, certaines affaires apparaissent plus simples à trancher. Telle fut la situation dans cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 8 mars 2012.
Dans cette affaire, aux origines ordinaires, des époux avaient sollicité des emprunts auprès d'établissements bancaires, lesquels, à titre de garantie, avaient exigé, avant de donner leur accord, que leurs clients souscrivent des contrats d'assurance. Sans doute conscients de l'importance de l'obtention de ces "couvertures" d'assurance pour utiliser le jargon souvent utilisé, dans le passé, par la profession, ceux-ci semblaient avoir multiplié les fausses informations aux mentions figurant dans le bulletin d'adhésion. C'est ce que les premiers juges, déjà, n'avaient pas manqué de relever pour justifier leur refus de faire droit à la demande des époux d'indemnisation par l'assureur. Peut-être ces magistrats s'étaient-ils contentés d'énoncer quelques éléments concrets, dans cette affaire, justifiant leur décision en raison de la conviction obtenue de l'absence de bonne foi des souscripteurs. Pour que ce reproche ne puisse lui être fait, la Cour de cassation s'emploie à multiplier l'exposé des circonstances et comportements démontrant le caractère intentionnel des fausses déclarations opérées par les souscripteurs.
En d'autres termes, elle semble considérer que si telle déclaration ne peut, à elle seule, attester de l'intention condamnable du souscripteur, l'accumulation de déclarations inexactes légitime la décision des premiers juges de mettre en oeuvre l'article L. 113-8 du Code des assurances. Et la Cour de cassation de passer en revue tous les griefs classiques souvent reprochés aux assureurs : emploi de caractères trop petits dans le bulletin d'adhésion, mentions décisives inscrites à des endroits du contrat peu visibles ou encore exigence de la signature juste au-dessus de le reproduction de l'article L. 113-8 du Code des assurances. En l'absence de telles critiques pouvant être adressées au contrat d'assurance, le souscripteur ne pouvait prétendre avoir mal compris ces dispositions. Car, en l'espèce, le souscripteur n'avait pas remarqué qu'il ne devait pas avoir été en arrêt de travail plus de trente jours consécutifs ou non au cours des vingt-quatre mois précédents.
Sur la méthode employée, qu'il nous soit permis d'émettre certaines réserves. Il est entendu qu'il n'y a rien de plus difficile que de démontrer une intention peu louable ou une malveillance intentionnelle. Il est donc incontestable que les juges doivent pouvoir s'appuyer sur tous les éléments ou circonstances permettant de se forger une opinion. Toutefois, la Cour de cassation déduit, en l'espèce, de la clarté du document fourni au souscripteur sa volonté de tromper son contractant. La démonstration peut apparaître insuffisante. En effet, aucune autre attitude du souscripteur n'était relevée pour attester de sa volonté délibérée d'effectuer une fausse déclaration intentionnelle. Aucune indication n'est ainsi fournie sur les circonstances dans lesquelles la signature de ce document est intervenue.
Car, dans un établissement bancaire, une signature sur le bord d'un comptoir, après qu'il vous ait été dit qu'il vous suffisait de signer là et de vous hâter car d'autres clients attendent, sans que le document, donc, puisse être lu, au calme, posément, surtout lorsque le souscripteur n'est pas nécessairement un juriste ou une personne avertie de ces pratiques, ne prend pas le temps indispensable à une véritable et complète réflexion de son engagement. Les intermédiaires d'assurance disposent de cet art de savoir presser leurs clients pour ne pas toujours leur laisser le loisir de déchiffrer, en détail, le document présenté. Pour qui n'a jamais signé de tels accords, leur longueur, même relative lorsqu'ils se limitent à un recto et verso, n'invite pas à une réflexion réelle, sans compter la pression issue de la situation globale où l'établissement de crédit insiste sur la nécessité de disposer d'une telle assurance si l'on entend bénéficier de sa prétendue largesse en acceptant de prêter une somme d'argent à des clients.
Certes, les conditions légales sont satisfaites. Néanmoins, tous les clients ne sont pas réceptifs aux mêmes données. Tel sera attentif à une mise en garde écrite ; tel autre capte mieux une information orale. Dans tous les cas, le principe même d'une signature immédiate, même en disposant d'un délai de réflexion que peu de personnes perçoivent car elles ne lisent pas toujours le document remis alors qu'elles l'ont signé. Si le législateur souhaite une véritable information, réfléchie, mesurée, encore que rien ne soit certain, il ne serait pas inutile qu'il impose une remise du document un jour donné, avec interdiction de le signer avant tel délai de lecture, d'interrogations ou renseignements pris. Toutes les autres mesures sont, pour partie, illusoires ; et chacun en est conscient. Reste à connaître la réalité du prétendu objectif de protection des souscripteurs de contrats d'adhésion.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de IRDP
L'assureur de protection juridique a la redoutable tâche de devoir être un excellent généraliste du droit dans tous les domaines couverts par le contrat.
Or, les difficultés juridiques ne manquent pas. Cela se vérifie, en l'espèce, en droit de la vente, où l'assureur est confronté à la question de la renonciation à la rétractation par l'acquéreur immobilier dans le cadre de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1988HPC), aux termes duquel "pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation [...], l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte"
La question ne se présentait pas sous les traits d'une renonciation au bénéfice des dispositions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, d'ordre public. Une telle renonciation, comme pour tout droit d'ordre public, doit être non équivoque et postérieurement à la naissance de ce droit acquis. Toute renonciation incluse dans l'avant-contrat lui-même serait donc nulle, sans discussion. En revanche, on peut hésiter sur le moment à compter duquel le droit à rétractation est ouvert à l'acquéreur. Est-ce dès la signature de l'avant-contrat ou après la notification de l'avant-contrat ? Cette seconde analyse, plus sûre, est préconisée en doctrine (cf. Jacques Lafond, JurisClasseur Notarial Formulaire, Avant-contrat, Fasc. 14, spéc. n° 106 et s.).
En l'espèce, la question se présentait sous des traits encore plus complexes. L'acquéreur non-professionnel ayant signé sous l'acte sous seing privé avait exercé la faculté de rétractation ouverte par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, puis avait immédiatement renoncé à cette rétractation.
Selon les termes de l'arrêt, l'acquéreur "était revenu pratiquement immédiatement sur [sa renonciation et] avait confirmé dans des termes dépourvus d'équivoque son engagement d'acquérir l'immeuble aux conditions contractuelles et avait adressé à l'assureur de protection juridique des vendeurs un chèque en complément de la somme séquestrée lors de la signature de la promesse de vente".
La cour d'appel de Pau avait constaté une renonciation expresse à la faculté de rétractation et lui avait donné plein effet (CA Pau, 1ère ch., 6 décembre 2010, n° 09/04198 N° Lexbase : A8919GMB). Cette attitude était-elle possible ? En d'autres termes, l'adage "rétractation sur rétractation" vaut est-il de droit positif ? La troisième chambre civile de la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et censure au motif que la rétractation a entraîné l'anéantissement du contrat. La "renonciation à la rétractation" n'est pas de nature à faire "revivre" le contrat (de promesse) dissous.
On pourra s'étonner d'une telle solution si la rétractation de la rétractation est survenue dans le délai de sept jours pour exercer ce repentir. On notera, toutefois, que l'arrêt examiné est dans la droite ligne d'un arrêt rendu par cette même chambre en 2008 (Cass. civ. 3, 13 février 2008, n° 06-20.334, FS-P+B N° Lexbase : A9216D44, Bull. civ. III, Defrénois, 30 juin 2008, p. 1358, obs. R. Libchaber), ayant déjà jugé que l'exercice par un acquéreur du droit de rétractation prévu par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation entraîne l'anéantissement du contrat, et qu'une rétractation de la rétractation, fût-elle antérieure à l'expiration du délai prévu par l'article, est sans effet sur sa validité.
M. Libchaber s'était interrogé sur l'efficacité d'une telle expression de volonté unilatérale par l'acquéreur qui voudrait revenir sur sa rétractation. Il avait noté que si la renonciation à la rétractation a été jugée inefficace, la solution ne va pas de soi, "car d'autres situations témoignent d'une efficacité moins considérable de la volonté solitaire [telle] la renonciation à succession que, reprenant une solution ancienne, l'article 807 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L9882HNC) rend révocable tant qu'aucun autre héritier n'est venu manifester son acceptation".
Le droit de la vente est, quant à lui, foncièrement bilatéral. La rétractation a entraîné l'anéantissement du contrat. La Cour ne dit pas "caducité", puisque l'anéantissement provient d'une volonté unilatérale. Ce que la volonté de l'un a défait, cette volonté unilatérale ne peut suffire à renouer le fil du contrat. Il faudrait une nouvelle expression de la volonté du vendeur pour acquiescer à la "renonciation à la renonciation" de l'acquéreur.
Il nous semble qu'il y aurait une autre voie possible : ne pourrait-on considérer que le repentir de l'acquéreur emporte offre dans l'intérêt exclusif du vendeur ?
L'assureur de protection juridique méditera l'adage "rétractation sur rétractation ne vaut" pour indiquer à l'assuré vendeur la nécessité de reprendre le processus contractuel à zéro : conclure une nouvelle promesse synallagmatique. En espérant que l'acquéreur ne change pas encore d'avis et en vienne à exercer un troisième repentir...
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'Institut de recherche en droit privé, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan
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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 12 Avril 2012
Cela étant, la pratique de la location ou du commodat de fonds libéral souffre de l'absence d'une reconnaissance légale. Certes, il existe des professions libérales non réglementées, pour lesquelles la liberté contractuelle demeure la règle de principe et qui, en conséquence, peuvent sans nul doute pratiquer aisément, dans le silence des textes, la location ou le commodat de fonds libéral. Mais les restrictions professionnelles sont fortes, en ce qui concerne la plupart des professions réglementées, de sorte que doit être saluée l'initiative prise par la profession d'avocat, en vue de reconnaître (I) et d'encadrer (II) la pratique des conventions de location et commodat de fonds libéral.
I - L'avènement de la location et du commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats
Pendant un siècle et demi, chaque convention visant à opérer un transfert de clientèle était, en principe, vouée aux foudres prétoriennes. L'hostilité manifestée trouvait son fondement dans l'affirmation du caractère intuitu personae de ces clientèles et dans la sacralisation du principe de libre choix dont découlait la règle de l'extracommercialité de la clientèle. Certes, le tempérament prétorien que constituait l'admission de la pratique des conventions de présentation pouvait autoriser à valider les locations ou commodats de clientèles civiles, dans la mesure où ces dernières accédaient, par ce biais, à une forme de patrimonialité. Toutefois, cette patrimonialisation s'opérait indirectement, par le truchement de la valorisation financière d'une prestation réalisée par le titulaire du poste professionnel au profit d'un tiers : la présentation du tiers à la clientèle du titulaire. Dans ces conditions, une évolution de la jurisprudence apparaissait nécessaire pour permettre véritablement la pratique de la mise à disposition d'une entreprise libérale au bénéfice d'autrui.
Dans un arrêt rendu le 7 novembre 2000 (2), la première chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement spectaculaire en considérant que "la cession d'une clientèle médicale n'est pas illicite, dès lors que la liberté du choix du patient est expressément sauvegardée". Transposé à la profession d'avocat, l'arrêt autorise désormais la cession à titre onéreux ou gratuit, non plus du seul droit de présentation à clientèle mais de la clientèle, elle-même, prise en tant qu'entité c'est-à-dire comme élément incorporel du fonds d'exercice libéral. Il autorise également d'autres opérations telles que les contrats de location et de commodat (3).
Prenant acte "avec satisfaction" de cette évolution prétorienne sur la question de la patrimonialité des clientèles libérales, le Conseil national des barreaux (CNB) a pris position en faveur de la validation des contrats permettant à un praticien de conférer l'utilité de son fonds libéral à un confrère. En effet, sur présentation d'un rapport de la Commission du Statut fiscal, social et financier de l'avocat, et après avis favorable de la Commission des Règles et Usages réunie le 4 décembre 2004, l'Assemblée générale du CNB, réunie les 11 et 12 mars 2005 à Paris, a adopté une résolution validant la location et le commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats (4). Le texte insiste sur le fait que ce type de convention constitue une technique juridique souple de nature à faciliter le rapprochement souhaité des cabinets d'avocats. Il peut répondre à de nombreuses motivations : création d'une période d'essai avant l'acquisition définitive, exploitation d'un cabinet par un tiers en cas d'omission, mandats électifs, maladie ou décès, constitution d'une capacité de financement pour l'avocat locataire en vue d'une future acquisition. Surtout, il offre une grande souplesse (5) et comporte un intérêt fiscal certain (6).
II - L'encadrement de la location et du commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats
Le cabinet considéré comme un fonds libéral peut être l'objet de contrats de location ou de commodat, à condition qu'ils respectent certaines règles déontologiques, notamment le principe de libre choix du client, certaines modalités d'inscription au tableau et l'arbitrage du Bâtonnier.
Précisément, la résolution adoptée par le CNB indique que la location ou le commodat du fonds d'exercice libéral ou de la clientèle doivent être obligatoirement soumis au Bâtonnier de l'Ordre où sont inscrites respectivement les deux parties. Il est également recommandé que le contrat comprenne une clause obligeant en toutes circonstances à respecter le choix, par le client, de son conseil. Cette recommandation rappelle la solution de l'arrêt fondateur du fonds libéral, lequel avait subordonné la validité de la convention de cession de clientèle civile au respect du libre choix de son praticien par le client ou patient, affirmant littéralement "que, si la cession de la clientèle n'est pas illicite, c'est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient". Depuis lors, la Cour de cassation maintient cette exigence propre aux activités libérales (7). Initiée en matière de professions médicales, elle a été précisée dans la jurisprudence postérieure, le respect du principe évoqué paraissant s'imposer à toutes activités libérales et relever de l'appréciation souveraine des juges du fond (8).
Ensuite, la résolution du CNB impose que l'avocat loueur soit inscrit et ait exercé pendant au moins cinq ans. Il s'agit d'éviter toute spéculation sur la clientèle de l'avocat, par respect pour la clientèle elle-même, ainsi que par souci déontologique. Encore la force majeure devrait-elle, sans doute, justifier la levée de l'exigence d'ancienneté (par exemple en cas de décès, de maladie ou d'omission du tableau du praticien titulaire).
De plus, la résolution dispose que l'avocat loueur ne peut se réinstaller au titre de la clientèle, objet de la convention, pendant toute la durée du contrat. La raison en est que le commodataire ou preneur doit être garanti de toute tentative du loueur, ou du prêteur, de lui faire concurrence.
Par ailleurs, le texte précise que le contrat comprend, à défaut d'une promesse de vente, un droit de préemption ou de préférence au profit du locataire et que le Bâtonnier arbitre les conflits, tranche les litiges et autorise, le cas échéant, une dérogation aux règles précédentes.
Enfin, l'attention des avocats est attirée sur la nécessité absolue d'obtenir parallèlement l'accord du bailleur à défaut de dispositions du bail professionnel autorisant expressément la sous-location. Les tiers à la convention ne sont donc pas "oubliés" par le CNB qui veille, notamment, à ce que le propriétaire du local dans lequel est exploité le fonds soit associé à la démarche contractuelle.
Un arrêt de la cour d'appel de Douai, rendu le 25 octobre 2010 (9), rappelle que l'obligation de rendre la chose prêtée après s'en être servi est de l'essence du commodat, le prêteur demeurant propriétaire de la chose prêtée. Le prêt à usage concernant un fonds de clientèle libérale, le matériel professionnel et un bail professionnel, l'article 1832-2 du Code civil (N° Lexbase : L2003ABS) est inapplicable, dans la mesure où le commodat exclut tout acte de disposition sur la communauté et où la clientèle reste propriété de ladite communauté. L'arrêt, qui concerne la profession de chirurgien ophtalmologiste, mais qui est transposable à la profession d'avocat, rappelle également que l'article 1424 du Code civil (N° Lexbase : L2300IBS) énonce que les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables, et les meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. Et, en application de l'article 262-2 du Code civil (N° Lexbase : L2645ABL), toute obligation contractée par l'un des époux à la charge de la communauté, toute aliénation de biens communs faite par l'un d'eux dans la limite de ses pouvoirs, postérieurement à la requête initiale en divorce sera déclarée nulle, s'il est prouvé qu'il y a eu fraude aux droits de l'autre conjoint. Aussi, la société d'exercice libéral à laquelle l'un des conjoints en instance de divorce transfert l'usage par l'intermédiaire d'un commodat est nulle, les parts sociales acquises au moyen d'une donation étant considérées comme des biens propres, le conjoint commodant n'ayant, dès lors, plus de comptes à rendre à la communauté en ce qui concerne les bénéfices perçus par la société dans laquelle il s'est associé avec un tiers, ainsi que sur les actifs détenus par cette société.
(1) L'expression a été supprimée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG).
(2) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 98-17.731 (N° Lexbase : A7780AHM), JCP éd. E, 2001, p. 419, note G. Loiseau. V. également, Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 99-11.336 (N° Lexbase : A3498ATQ), Bull. civ. I, n° 110.
(3) V. F. Vialla, Les contrats du fonds libéral, Dr. et patrimoine, septembre 2002, p. 32.
(4) V. F. Vialla, Les contrats portant sur le fonds libéral. Résolution du Conseil national des barreaux, D., 2005, n° 1500.
(5) V. M.-H. Monsèrié-Bon, Utilisation des contrats de location et de commodat par les professions libérales, Dr. et patrimoine, juillet-août 1999, p. 28.
(6) V. G. Notté, Location et commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats, JCP éd. E, 2005, actu. n° 130.
(7) V. par exemple, Cass. civ. 1, 16 janvier 2007, n° 04-20.711, FS-P+B (N° Lexbase : A6133DTC), Rev. Lamy dr. civ. mars 2007, n° 2435, obs. S. Doireau, à propos d'une convention à titre onéreux permettant l'exercice privilégié d'actes infirmiers dans le cadre d'une maison de retraite.
(8) V. Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 99-20.286, F-P (N° Lexbase : A9187DCA), D., 2005, somm. p. 405, obs. J. Penneau.
(9) CA Douai, 1ère ch., 1ère sect., 25 octobre 2010, n° 08/09690 (N° Lexbase : A1704GDH).
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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 12 Avril 2012
La loi fiscale permet à une société qui conserve (1), pendant deux ans, au moins 5 % du capital d'une autre société (2), quelle que soit sa forme juridique, de ne pas inclure dans sa base imposable les dividendes versés par la filiale, évitant -presque- ainsi une double imposition ; cette dernière s'élevant en fait à 1,67 % (CGI, art. 145 N° Lexbase : L8238IET ; CGI, art. 216 N° Lexbase : L3998HLN ; instruction du 19 mars 2007, BOI 4 H-3-07 N° Lexbase : X8327ADR). En effet, la société mère va déduire, sur la déclaration 2058-A (3), la somme perçue minorée d'une quote-part de frais et charges, forfaitairement fixée à 5 % depuis l'adoption de la loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, art. 10 N° Lexbase : L9901INZ) (4), qui reste soumise à l'impôt sur les sociétés (IS), sauf si elle a opté pour le régime distinct de l'intégration fiscale (5) (CGI, art. 223 B N° Lexbase : L5534H9T). De plus, la loi fiscale exige, de façon constante depuis 1979, la détention en pleine propriété des titres de participation (CGI Annexe II, art. 54 N° Lexbase : L3720HZS). Or, la "mode" fiscale étant au démembrement des titres de société, la détention de titres en usufruit est à l'origine d'une jurisprudence qui n'est pas favorable aux contribuables dans le cadre du régime mère-fille. C'est ainsi que le juge administratif a déjà eu à écarter les prétentions des contribuables dans de nombreux litiges qui tendent à se multiplier avec l'administration fiscale (notamment : CAA Douai, 2ème ch., 30 décembre 2011, n° 10DA00628, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9616IBR ; CAA Nancy, 4ème ch., 19 octobre 2009, n° 07NC01201, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2349EMX ; CAA Douai, 2ème ch., 7 décembre 2004, n° 00DA01085, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9602DED). Il ressort de la jurisprudence que le régime mère-fille est réservé aux titres permettant, non seulement une participation financière de la société mère détentrice, mais également un contrôle sur la vie sociale et la politique de sa filiale. Or, en cas de démembrement de titres dans les sociétés anonymes, "le droit de vote attaché à l'action appartient à l'usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires" (C. com., art. L. 225-110 N° Lexbase : L5981AID).
En droit des sociétés, un usufruitier n'est pas assimilable à un nu-propriétaire, ce dernier devant être considéré comme associé (Mémento Sociétés commerciales, Editions Francis Lefebvre, 2012, § 2400 ; A. Viandier, La notion d'associé, LGDJ, 1978, n° 173 ; contra : J. Derruppé, LPA, 13 juillet 1994, p. 15), bien que la question ne soit pas nettement tranchée semble-t-il (P. Merle et A. Fauchon, Sociétés commerciales, Dalloz, coll. : Précis, 14ème édition, 2010, p. 330). Selon la doctrine administrative, pour pouvoir prétendre à ce régime dérogatoire, les titres doivent comporter un droit aux dividendes et un droit de vote, car l'administration fiscale a précisé la philosophie du régime mère-fille, qui ne peut bénéficier qu'aux seules "sociétés qui participent de manière active à la gestion de leur filiale par l'exercice du droit de vote" (doc. adm. 4 H 2112, § 70, 1er mars 1995). Cet aspect est souligné par la jurisprudence, lorsque les juges du fond relèvent que "la société requérante n'était donc [pour les titres détenus en usufruit] ni détentrice de leur pleine propriété ni de l'entier [nous soulignons] droit de vote".
S'agissant de la décision commentée, il est parfaitement indifférent que l'usufruitier soit statutairement attributaire du droit de vote tant aux assemblées générales ordinaires qu'extraordinaires : le démembrement du droit de propriété entraîne le rejet du bénéfice du régime mère-fille (CAA Nancy, 2ème ch., 1er août 2008, n° 06NC00586, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8779D9Z). En cassation, c'est sans surprise que le Conseil d'Etat rejette le pourvoi de la société requérante au motif que "si la qualité d'usufruitier permet une participation aux éventuels bénéfices, elle ne confère pas à son titulaire des droits équivalents, notamment vis-à-vis du capital et de l'exercice du droit de vote, à ceux d'un propriétaire détenteur du titre". On rapprochera cette décision de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, qui a adopté la même solution que celles rendues par les juridictions françaises en ce sens que la notion de participation doit s'entendre, au regard de la Directive du 23 juillet 1990 (Directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents N° Lexbase : L7669AUL), comme ne comprenant pas les titres détenus en usufruit (CJUE, 22 décembre 2008, aff. C-48/07 (6) N° Lexbase : A9981EBB).
Est-il fiscalement rentable, pour une société commerciale, de reverser une partie de son chiffre d'affaires à des oeuvres caritatives sans risquer un redressement de ce chef ?
Les faits à l'origine de cette décision ne sont pas courants en jurisprudence car, si l'on trouve des exemples relatifs au parrainage d'exploits automobiles ou d'écuries de course par des entreprises -le hasard voulant que leurs dirigeants ou leurs principaux associés pilotent parfois eux-mêmes ces véhicules (CE 8° et 7° s-s-r., 4 novembre 1983, n° 33823, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9821ALC ; CE 9° et 7° s-s-r., 21 janvier 1991, n° 75070, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9014AQW ; CAA Douai, 3ème ch., 28 mai 2003, n° 99DA20073, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4851C9K ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 12 octobre 2006, n° 03BX00856, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9831DSW ; CAA Paris, 5ème ch., 30 juin 2011, n° 09PA04731, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4752HXB ; v. pour les versements d'une société anonyme à deux autres personnes morales finançant ainsi la carrière automobile du fils des actionnaires de la généreuse donatrice : CAA Nantes, 1ère ch., 28 novembre 2005, n° 03NT01769, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8706DME)-, très rares, en revanche, sont les décisions de justice opposant l'administration fiscale et les entreprises lorsqu'il s'agit de parrainer des projets humanitaires (v. pour la mise à disposition par une société de moyens matériels lors d'un repas de réveillon au profit d'une association caritative : CAA Douai, 3ème ch., 12 mai 2005, n° 02DA00749, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2368DKW). L'administration est certainement plus sourcilleuse à l'égard de dirigeants qui financent leurs loisirs automobiles par le biais de dépenses publicitaires... Toujours est-il qu'il existe en France au moins une entreprise qui se propose de favoriser le développement de projets humanitaires, c'est-à-dire tournés vers des personnes nécessiteuses : au cas particulier, la société requérante a une activité de vente par correspondance de matériels de bureau et d'articles d'hygiène auprès de professionnels démarchés par téléphone à partir des annuaires postaux. La société contribuable s'est engagée à reverser 5 % au moins du prix d'achat facturé à des associations humanitaires pour financer des projets.
Il est particulièrement intéressant de souligner que la juridiction administrative s'appuie sur un ensemble d'éléments, démontrant ainsi l'intérêt de l'anticipation d'un litige fiscal par la société, et qui s'est traduit par la rédaction ad hoc de contrats et d'accessoires aux contrats opposables à l'administration fiscale :
- les statuts de la société rédigés en ce sens ;
- les conditions générales de vente de la société redressée mentionnant la nature et le montant des reversements ;
- l'existence de conventions pour la mise en oeuvre des projets humanitaires non critiquées par l'administration fiscale ;
- les factures adressées aux clients sur lesquelles figuraient les noms des organismes bénéficiaires des 5 % du prix payé par les clients et les actions spécifiques qu'ils ont contribuées à réaliser grâce à leur générosité.
La SARL requérante estimait alors que ces versements, qui constituent, au sens de l'article 39, 7°, du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), des frais de parrainage ("sponsoring"), représentaient un argument commercial permettant de vendre à un prix supérieur à celui de ses concurrents et de justifier la déduction de ces montants de son résultat imposable. Lors d'une vérification de comptabilité au titre des exercices 2001 et 2002, l'administration fiscale a retenu une lecture totalement différente des dispositions du CGI : en effet, selon le service, les versements n'étaient pas des charges déductibles mais des dons plafonnés (7), effectués au profit d'oeuvres ou d'organismes d'intérêt général (CGI art. 238 bis N° Lexbase : L4774HLE). Cette qualification est exclusive, selon le Conseil d'Etat, de celle de charge déductible au titre de l'article 39, 1-7°, du CGI.
L'affaire portée devant le juge de l'impôt va voir la thèse de la société contribuable triompher : devant la cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 4ème ch., 27 avril 2010, n° 07MA02993, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5363IGQ), les juges du fond prononcent la décharge totale des suppléments de cotisations au titre de l'impôt sur les sociétés et de la contribution d'IS de 10 % au titre des exercices 2001 et 2002 pour des montants respectivement de 144 450,08 euros et 83 376,43 euros. En effet, la société requérante faisait valoir que les reversements effectués entraînaient une contrepartie -non contestée par le service- en termes de promotion de son action et de la notoriété de son image de marque, stimulant ainsi son chiffre d'affaires. On remarquera, s'agissant toujours de la contrepartie, que si la cour administrative d'appel de Marseille avait relevé que le reversement des sommes en cause permettait le maintien et l'accroissement du chiffre d'affaires (8), la Haute juridiction administrative mentionne une alternative résultant soit du maintien du chiffre d'affaires, soit de son accroissement. Le fait que la contrepartie directe ne soit pas fournie par les organismes bénéficiaires des versements est indifférent, ce qui doit être approuvé dès lors que ce sont bien les actions caritatives financées par les clients par l'intermédiaire de la contribuable qui lui permettent de maintenir ou d'accroître son chiffre d'affaires.
La SARL requérante opposait également un argument démontrant la relation directe -exigée par l'article 39, 1-7°, du CGI- entre les dépenses engagées et l'intérêt direct de l'exploitation de l'entreprise, c'est-à-dire en l'espèce, entre les versements aux oeuvres et la croissance de son chiffre d'affaires : l'absence de partenariats conclus avec les organismes caritatifs ne lui aurait pas permis de vendre ses produits, consacrant ainsi le caractère direct de la contrepartie. A ce titre, la doctrine administrative (doc. adm. 4 C 426, § 11, 30 octobre 1997) précise que le critère du lien direct est satisfait lorsque :
"- l'identification de l'entreprise qui entend promouvoir son image de marque dans le cadre du parrainage est assurée. Peu importe à cet égard le support qui permet cette identification (affiches, annonces de presse, effets médiatiques, etc.) ;
- les dépenses engagées sont en rapport avec l'avantage attendu par l'entreprise. Celle-ci doit être en mesure de justifier que les charges supportées à l'occasion d'une action de parrainage ne sont pas excessives eu égard à l'importance de la contrepartie attendue. Cette justification résulte de l'analyse des circonstances de fait et de l'application des critères doctrinaux et jurisprudentiels existants".
Lors de la résurrection de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 1989, digne héritier de l'impôt sur les grandes fortunes (IGF), le législateur a introduit une taxe de 3 % (CGI, art. 990 D N° Lexbase : L5483H9X), assise sur la valeur vénale des immeubles situés en France et possédés par toute entité juridique, afin de décourager certains contribuables de recourir à des montages fiscalement attrayants : il était tentant de constituer, par exemple, une société, dans un pays n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative, propriétaire de l'immeuble français dont les associés se réservaient, de fait, la jouissance (9). Ce dispositif a suscité, de la part des contribuables, des critiques quant à son application au regard du droit interne (CGI, art. 990 E N° Lexbase : L5484H9Y ; Cons. const., décision n° 2011-165 QPC du 16 septembre 2011 (10) N° Lexbase : A7449HX8), mais également quant à sa compatibilité avec le Traité CE (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 02-10.359, FS-P+B N° Lexbase : A9787DL3 ; CJUE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 N° Lexbase : A7180DYL ; Cass. com., 8 avril 2008, n° 02-10.359, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8041D7X), entraînant une très forte incitation à une réforme immédiate des textes français, lorsque les intérêts financiers de l'Etat sont concernés (loi n° 2007-1824, 25 décembre 2007, de finances rectificative pour 2007 N° Lexbase : L5490H3Q ; CGI, art. 990 D). On remarquera également que les commentaires de l'administration fiscale (instruction du 7 août 2008, BOI 7 Q-1-08 N° Lexbase : X3940AEN) prennent grand soin de préciser que la jurisprudence communautaire précitée était "limitée aux seuls Etats membres de l'Union européenne à l'exclusion des sociétés ayant leur siège hors Union européenne (considérant n° 19), les mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers s'inscrivant dans un contexte juridique différent" (instruction du 10 novembre 2009, BOI 7 Q-2-09 N° Lexbase : X6389AGQ).
La location meublée a des atouts que la presse grand public ne cesse de mettre en valeur (M. Pellefigue, Le Monde Argent, 28 mars 2012, p. 2). Toutefois, la Cour de cassation vient de se prononcer sur le champ d'application de la taxe de 3 % en présence d'une location meublée. Il s'agissait, en l'espèce, d'une société de droit suisse propriétaire d'une maison à usage d'habitation située en France. Après avoir déposé une demande d'exonération de la taxe de 3 % sur les immeubles détenus en France par une société étrangère, l'administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification. Les recours devant l'administration étant épuisés, la société contribuable a alors saisi l'ordre judiciaire, compétent pour trancher ce type de litige (LPF, art. L. 199 N° Lexbase : L8478AEQ). Le moyen soulevé par la contribuable tentait d'opposer les dispositions de l'article 990 E du CGI, dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, selon lesquelles cette taxe n'est pas applicable aux personnes morales dont les actifs immobiliers, situés en France, représentent moins de 50 % des actifs français. Cette exonération, liée à la qualité d'entité juridique à non-prépondérance immobilière, est toujours en vigueur depuis la réforme opérée par la loi de finances rectificative pour 2007, mais elle a été modifiée par rapport au régime antérieurement applicable (instruction du 7 août 2008, BOI 7 Q-1-08, § 47 et s., N° Lexbase : X3940AEN).
La notion de non-prépondérance immobilière exonératoire a été discutée en jurisprudence : c'est ainsi que la prépondérance immobilière doit être appréciée tant au niveau de la personne morale étrangère que de la personne interposée (Cass. com., 3 juin 1998, n° 96-13.883, inédit N° Lexbase : A8707CL3), ou encore, un contribuable ne peut être exonéré lorsqu'il prétend avoir conclu un contrat de location-gérance d'un fonds de commerce, alors qu'aucune clientèle antérieure n'a pu être constituée et qu'il s'agissait, en réalité, d'une location d'immeuble équipé et aménagé à usage de résidence de tourisme (Cass. com., 13 février 2007, n° 04-11.726, inédit N° Lexbase : A2055DUN). Au cas d'espèce, pour l'application de cette disposition, ne sont pas inclus dans les actifs immobiliers les actifs affectés par les contribuables à leur propre activité professionnelle autre qu'immobilière. Par conséquent, la société requérante en déduisait qu'une personne morale exerçant une activité professionnelle commerciale de loueur en meublé n'était pas assujettie à la taxe de 3 % pour les immeubles possédés en France et affectés à cette activité commerciale. Ce raisonnement est rejeté par la Cour régulatrice qui considère que l'immeuble détenu en France par la société requérante constituait son seul actif français affecté à sa propre activité professionnelle de loueur en meublé, de sorte qu'elle était bien à prépondérance immobilière.
(1) Instruction du 19 mars 2007, BOI 4 H-3-07 et loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005 (N° Lexbase : L6430HEU) : "l'obligation de souscrire l'engagement de détention de deux ans est supprimée pour les titres de participation non souscrits à l'émission. A cet engagement se substitue une obligation de conservation pendant deux ans de tous les titres, qu'ils soient souscrits ou non à l'émission".
(2) Il existe des dispositions particulières si le prix de revient des participations est au moins égal à 22 800 000 euros concernant, notamment, les banques mutualistes ou les sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (Sacicap).
(3) Ligne XA.
(4) Ce qui interdit, depuis lors, la déduction d'une quote-part fixée selon un montant réel.
(5) Le régime de l'intégration fiscale permet à une société intégrante de "se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice" (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L3718IAX) ; les sociétés intégrées étant alors tenues, à titre de garantie, à hauteur de l'impôt qu'elles auraient acquitté si elles n'avaient pas été intégrées.
(6) "39. - Par conséquent, il résulte du libellé de l'article 3 de la Directive 90/435 que la notion de participation dans le capital d'une société, au sens de cette disposition, ne comprend pas l'usufruit que détient une société sur les parts du capital d'une autre société. 40. - Cette analyse est confortée par l'économie des dispositions de la Directive 90/435. 41. - En effet, en premier lieu, l'article 4, paragraphe 1, de cette Directive vise l'hypothèse dans laquelle "une société mère reçoit, à titre d'associée de sa société filiale, des bénéfices distribués". Or, l'usufruitier des parts d'une société reçoit les dividendes distribués par celle-ci en vertu de son usufruit. Sa situation juridique vis-à-vis de la société filiale n'est pas de nature à lui conférer la qualité d'associée, dès lors que cette situation découle uniquement de l'usufruit que lui a transféré le propriétaire des parts dans le capital de la société filiale, ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général au point 57 de ses conclusions. 42. - En second lieu, conformément à l'article 4, paragraphe 2, de la Directive 90/435, les Etats membres gardent la faculté de prévoir que des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Cette disposition permet aux Etats membres d'adopter des mesures pour empêcher que la société mère jouisse d'un double avantage fiscal. En effet, cette société pourrait, d'une part, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, de cette Directive, percevoir des bénéfices sans être taxée et, d'autre part, obtenir une réduction de l'impôt par le jeu de la déduction à titre de charges des moins-values de la participation résultant de la distribution desdits bénéfices. 43. - Or, comme il ressort des observations écrites du Gouvernement belge, l'usufruitier a seulement droit aux bénéfices distribués tandis que les bénéfices mis en réserve reviennent au nu-propriétaire. Ainsi, en cas de distribution des bénéfices, ni l'usufruitier ni le nu-propriétaire ne peuvent jouir d'un double avantage fiscal, le nu-propriétaire ne recevant pas de bénéfices et l'usufruitier n'ayant droit qu'aux bénéfices distribués. Lorsque la distribution de bénéfices engendre une moins-value de la participation, la faculté ouverte à tout Etat membre de prévoir que cette moins-value n'est pas déductible du bénéfice imposable de la société mère ne peut être mise en oeuvre que dans l'hypothèse où une même société reçoit les bénéfices distribués et subit la moins-value de sa participation résultant de cette distribution. Cela confirme que le législateur communautaire a considéré que la "société mère" au sens de la Directive 90/435 est une seule et même société. 44. - Partant, eu égard au libellé clair et non ambigu des dispositions de la Directive 90/435, tel qu'il est conforté par leur économie, on ne saurait interpréter la notion de participation dans le capital de la société d'un autre Etat membre figurant à l'article 3 de ladite directive en ce sens qu'elle s'étend à la détention de parts en usufruit dans le capital d'une société d'un autre Etat membre et élargir par là-même les obligations des Etats membres y afférentes (voir, par analogie, arrêts du 8 décembre 2005, aff. C-220/03, Rec. p. I-10595, point 31 N° Lexbase : A8945DLU, et du 28 février 2008, aff. C-263/06, Rec. p. I-1077, point 48 N° Lexbase : A0708D7D)".
(7) Aux termes de ce texte, dans la rédaction applicable aux faits de l'espèce, la déduction du montant du bénéfice imposable était limitée à 2,25 pour 1 000 du chiffre d'affaires. Le texte prévoyait alors une possibilité, lorsque les plafonds étaient dépassés au cours d'un exercice, que l'excédent soit déduit des bénéfices imposables des cinq exercices suivants, après déduction des versements effectués au titre de chacun de ces exercices. Le taux de 2,25 pour 1 000 pouvait être porté à 3,25 pour 1 000, dans l'hypothèse de fondations ou associations reconnues d'utilité publique ou encore aux associations cultuelles ou de bienfaisance qui sont autorisées à recevoir des dons et legs et aux établissements publics des cultes reconnus d'Alsace-Moselle.
(8) "que ces éléments établissent que la société requérante avait un intérêt direct dans la démarche commerciale suivie incluant, comme elle s'y était engagée, le reversement des sommes en cause pour maintenir et accroître [nous soulignons] son chiffre d'affaires" (CAA Marseille, 27 avril 2010, n° 07MA02993, inédit au recueil Lebon, précité) ; "que la société en avait retiré une contrepartie dans la promotion de son action qui lui avait permis de maintenir ou d'accroître [nous soulignons] son chiffre d'affaires" (arrêt commenté).
(9) "84. - Selon le Gouvernement français, la taxe litigieuse vise à dissuader les contribuables assujettis à l'impôt français sur la fortune d'échapper à une telle imposition en créant des sociétés, qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France, dans des Etats n'ayant pas conclu avec la République française une convention d'assistance administrative ou un traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité en application de laquelle ces sociétés ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies en France. 85. - La taxe litigieuse viserait, en particulier, à combattre les pratiques consistant dans la création, par des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France et dont les immeubles seraient normalement soumis à l'impôt sur la fortune, de sociétés qui ont leur domicile fiscal dans un autre Etat, duquel la République française ne peut obtenir les informations appropriées sur les personnes physiques détenant des participations dans ces sociétés", CJUE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 (N° Lexbase : A7180DYL).
(10) "5. Considérant qu'en instituant la taxe forfaitaire de 3 % prévue aux articles 990 D et 990 E (N° Lexbase : L5484H9Y), le législateur a entendu dissuader les contribuables assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune d'échapper à une telle imposition en créant, dans des Etats n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, des sociétés qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France ; qu'ainsi, il a voulu assurer la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ; que, pour ce faire, il a notamment prévu, dans le 3° de l'article 990 E, d'exempter de la taxe les entreprises qui communiquent annuellement à l'administration fiscale ou prennent et respectent l'engagement de le faire sur sa demande des informations sur la situation et la consistance des immeubles possédés en France, l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux et la justification de leur résidence fiscale ; qu'ainsi, au regard des possibilités de contrôle de l'administration, ces entreprises se trouvent dans une situation différente de celles qui, n'étant pas soumises aux mêmes règles de transmission d'informations, ne présentent pas les mêmes garanties ; que le législateur a donc institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi ; qu'il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels ; qu'en conséquence, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1360A9A) par le 3° de l'article 990 E du CGI doit être écarté ; que cette disposition n'instituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 9 de la Déclaration de 1789 est inopérant (N° Lexbase : L1373A9Q)".
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N1332BTI
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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour
Le 12 Avril 2012
Interrogé par le tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 2 novembre 2011, n° 0906432 N° Lexbase : A5913IG4), en application de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT) relatif aux avis sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le Conseil d'Etat vient de préciser les conditions de mise en oeuvre de l'article 51, alinéa 2, du statut général des fonctionnaires territoriaux (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, art. 51 N° Lexbase : L3877E3Y). Ce texte est issu de l'article 31 de la loi n° 2007-209 du 19 février 2007, relative à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L4509HUK). Se trouve, ainsi, institué un mécanisme de versement d'une indemnité au bénéfice d'une collectivité territoriale ou l'un de ses établissements publics, lorsqu'un fonctionnaire a obtenu sa mutation dans une autre collectivité territoriale moins de trois ans après sa titularisation. Le montant de cette indemnité est constitué de deux éléments : la rémunération perçue par l'agent pendant le temps de formation professionnelle obligatoire, ainsi que le coût de toute formation complémentaire suivie par l'agent au cours de ces trois années. A notre connaissance, ce système -inspiré de la "pantoufle" due par les fonctionnaires anciens élèves des grandes écoles de l'Etat-, n'avait pas suscité de contentieux jusqu'à présent.
Les faits de l'espèce sont simples. Une commune s'est vu adresser un titre de recettes en raison de la mutation dans ses services d'une attachée territoriale précédemment employée par la commune voisine. C'est dans le cadre du litige qui s'est élevé entre les deux communes que le Conseil d'Etat a été conduit à rendre son avis. Dans celui-ci, la question de la nature de la dette définie par le statut général est abordée, ainsi que les conditions dans lesquelles elle peut être recouvrée.
Tout d'abord, le Conseil d'Etat considère que la dette résultant de l'application de l'article 51 du titre II du statut général des fonctionnaires territoriaux constitue une dépense obligatoire pour la commune d'accueil. On sait qu'en application de l'article L. 1612-15 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8456AAG), le préfet peut, après avis de la chambre régionale des comptes, procéder à l'inscription d'office d'une dépense obligatoire au sein du budget de la commune. Selon ce texte, "ne sont obligatoires pour les collectivités territoriales que les dépenses nécessaires à l'acquittement des dettes exigibles et les dépenses pour lesquelles la loi l'a expressément décidé" (voir, également, CGCT, art. L. 2321-2 (N° Lexbase : L3090INR). L'indemnité de formation due à l'ancien employeur d'un fonctionnaire muté moins de trois ans après sa titularisation s'apparente à une dette exigible qui trouve son origine dans la loi (voir, par exemple, CE 9° et 8° s-s-r., 18 septembre 1998, n° 171087, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8198ASG, Recueil, p. 766). Elle répond, en effet, à la condition de liquidité et d'exigibilité requise par la jurisprudence (CE 9° et 10° s-s-r., 8 décembre 2003, n° 215705, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3849DAS, JCP éd. A, 2004, p. 228, note Jacques Moreau) dans la mesure où l'avis commenté précise que son montant est, en principe, égal au montant des rémunérations versées durant la formation de l'agent et au coût des formations complémentaires. De plus, l'avis indique que la créance est exigible à compter de la date de la mutation de l'agent (voir supra).
Si la créance de la collectivité d'origine ressort, dans son principe et dans son assiette, de l'article 51 du titre II du statut général des fonctionnaires territoriaux, ce texte autorise, néanmoins, que le montant de cette créance soit minoré. Ce n'est donc qu'à défaut d'un tel accord que la collectivité d'accueil se trouve contrainte de rembourser la totalité des sommes payées par l'administration d'origine. Dans son avis, le Conseil d'Etat reconnaît un large pouvoir de disposition au profit de l'administration d'origine, puisqu'il estime que la collectivité d'accueil peut être totalement déchargée du paiement de l'indemnité légale. Si cette hypothèse ne peut être écartée, l'avis indique, toutefois, qu'il s'agit-là d'une solution "de principe", n'excluant pas qu'une telle décharge puisse être considérée comme illicite. Cependant, rien n'est dit sur les critères qui pourraient conduire à une telle solution. Afin de dissiper tout doute quant au consentement du créancier -surtout s'agissant d'une dépense obligatoire- le Conseil d'Etat exige que l'accord tendant à diminuer le montant dû soit explicite.
Enfin, au plan procédural, la Haute juridiction indique qu'en dehors de la prescription quadriennale, l'action en recouvrement appartenant au créancier n'est enfermée dans aucun délai particulier. Le point de départ de la prescription se trouve fixé à la date à laquelle la mutation de l'agent est devenue effective. Toutefois, les collectivités concernées peuvent déterminer d'un délai ad hoc dans le cadre de l'accord visant à réduire le montant de l'indemnité légale.
C'est également à l'occasion d'une demande d'avis émanant d'un tribunal administratif (TA Orléans, 15 novembre 2011, n° 0902837 N° Lexbase : A8973IDP) que le Conseil d'Etat a été conduit a préciser la portée de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, qui détermine le régime des congés des fonctionnaires territoriaux. La question posée était de savoir si la prise en charge des frais médicaux et frais de déplacement rendus nécessaires par un accident reconnu imputable au service, ou par une rechute d'un accident reconnu imputable au service, est réservée aux seuls agents en activité au moment des soins, ou si l'administration employeur au moment de l'accident est tenue de prendre en charge les frais postérieurement à la mise à la retraite de l'agent concerné.
La saisine du Conseil d'Etat était amplement justifiée, non pas que la question fut nouvelle, mais parce que la jurisprudence administrative apparaissait divisée sur la question. Un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 7 février 2003 (CAA Nantes, 4ème ch., 7 février 2003, n° 01NT00562 N° Lexbase : A0109C9W) a estimé que seuls les fonctionnaires en activité pouvaient invoquer le bénéfice de la prise en charge, par la collectivité qui les emploie, des soins et traitements que justifient les troubles de santé qu'ils connaissent à la suite d'un accident imputable au service (voir, également, TA Clermont-Ferrand, 16 décembre 2010, n° 1001182). A l'opposé, le tribunal administratif de Toulouse (TA Toulouse, 2 juillet 2008, n° 0502094, AJFP, 2009, p. 32) a, quant à lui, jugé que, dès lors que les frais médicaux du fonctionnaire retraité ne peuvent être pris en charge ni par le régime de réparation des accidents de travail ou des maladies professionnelles de la Sécurité sociale, auquel l'agent titulaire n'est pas affilié, ni par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires en ce sens, seule la collectivité qui a employé l'agent, lorsqu'il était en activité est susceptible de les prendre en charge. Cette solution reposait en quelque sorte sur l'équité, afin que l'ancien agent, victime d'un accident de service, ne se trouve pas sans couverture sociale propre à prendre en charge les conséquences de cet accident, une fois le service quitté. Dans un jugement en date du 20 septembre 2011 (AJFP, 2001, p. 348, concl. Meillier), le tribunal administratif de Lyon est allé dans le même sens, sans pour autant adopter la même motivation. De son côté, le Conseil d'Etat a admis la pérennité de la prise en charge des frais médicaux au profit des fonctionnaires hospitaliers et de ceux de l'Etat (CE 2° et 6° s-s-r., 4 décembre 1987, n° 73337, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4023APP ; CE 2° et 6° s-s-r., 5 juillet 1999, n° 191517, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3296AXD, Recueil, p. 868).
L'avis n° 354898 du 1er mars 2012 vient clarifier la situation, dans le sens de l'interprétation constructive (selon l'expression du rapporteur public Meillier dans ses conclusions précitées) qui consiste à admettre que la radiation des cadres ne fait pas disparaître le droit à la prise en charge des frais médicaux consécutifs à un accident de service ou à une rechute mais, également, l'ensemble des frais directement exposés à la suite de cette affection. L'administration à qui incombe cette prise en charge est celle qui employait l'agent à la date de l'accident ou au cours de la période à laquelle se rattache la maladie professionnelle. Selon le Conseil d'Etat, la solution est la conséquence d'un "principe" (qui, bien que l'avis ne l'indique pas, doit être rapproché de la catégorie des principes généraux du droit). Ce principe selon lequel l'administration doit garantir ses agents contre les dommages qu'ils peuvent subir dans l'accomplissement de leur service s'applique à l'agent qui n'est plus en activité. La règle trouve donc à s'appliquer de manière systématique, alors même, note le Conseil d'Etat, que le premier alinéa de l'article 57 du titre II du statut général des fonctionnaires territoriaux ne mentionne que les fonctionnaires en activité. Le présent avis s'inscrit dans un mouvement initié avec l'arrêt d'Assemblée du 4 juillet 2003 "Moya-Caville" (CE, Ass., 4 juillet 2003, n° 211106, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2633C9E) (AJDA, 2003, p. 1598, concl. Chauvaux), qui a reconnu le droit pour un fonctionnaire victime d'un accident de service d'obtenir, même sans faute de la collectivité, la réparation des chefs de préjudices non couverts par l'allocation d'une indemnité forfaitaire réparant l'atteinte à l'intégrité physique (il y est question de "l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions").
Le principe d'égalité s'applique dans la fonction publique avec un certain "relativisme". Il ressort, en effet, de la jurisprudence que cette règle cardinale du droit français (affirmée, notamment, par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1372A9P) ne saurait se traduire par un égalitarisme rigide au profit de l'ensemble des agents publics. C'est pour cette raison que la notion de "différence de situation", qui justifie une différence de traitement (voir Cons. const., décision n° 76-67 DC du 15 juillet 1976 N° Lexbase : A7932ACR, Rec. CC, 1976, p. 35 ; CE, S., 10 mai 1974, n° 88032, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0207AZP, Recueil, p. 274) tient un rôle important dans ce domaine.
En principe, se trouvent dans une situation différente les agents qui n'appartiennent pas au même corps ou cadre d'emploi (CE, Ass., 13 mai 1960, Molina et Guidoux, Recueil, p. 324). Cependant, dans certains cas, des agents, bien que relevant de corps différents, peuvent occuper des fonctions considérées comme, a priori, très proches. Pour autant, le principe d'égalité doit-il s'appliquer sans distinction ? Dans l'affaire jugée le 12 mars 2012, était concerné un magistrat détaché sur un emploi fonctionnel territorial au sein d'un département (en l'occurrence, un emploi de directeur général adjoint des services). Il s'était vu refuser le bénéfice de la disposition réglementaire qui permet le calcul de la pension par référence à la rémunération de l'emploi occupé en détachement, plutôt que par référence au grade détenu au moment du départ en retraite (C. pens. retr., art. L. 15 N° Lexbase : L2073DKY). A la date de la radiation des cadres de l'agent, l'emploi du directeur général des services d'un département n'était pas inscrit sur la liste énoncée par l'article R. 27 du Code des pensions civiles et militaires (N° Lexbase : L7972IAI).
L'essentiel de la critique formée par l'ancien fonctionnaire était que ladite liste mentionnait d'autres catégories d'emplois fonctionnels que celui qu'il occupait, notamment l'emploi de directeur général adjoint des services d'une région. Il estimait qu'en ne visant pas les fonctions équivalentes au sein d'un département, le pouvoir règlementaire avait violé le principe d'égalité. Le Conseil d'Etat rejette la requête après avoir rappelé le considérant de principe applicable à la matière ("le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée") et indiqué que l'article R. 27 précité, dans sa rédaction à la date du départ en retraite, pouvait légalement instituer une différence de traitement entre des fonctionnaires employés par des catégories de collectivités territoriales différentes.
Ainsi, à l'intérieur de la fonction publique territoriale, les différents niveaux de collectivités ne semblent se valoir. Pourtant, lorsqu'il s'agit des emplois fonctionnels, l'article 53 du titre II du statut général des fonctionnaires territoriaux ne fait guère de différences. Ce texte met en place une catégorie générique, les emplois fonctionnels, soumise à des dispositions particulières, notamment en termes de recrutement et de cessation de fonctions. Les emplois fonctionnels sont définis par la nature des missions qu'ils impliquent, ainsi qu'en référence à la taille de la collectivité employeur. A ce titre, il apparaît difficile de déceler une différence de situation. D'ailleurs, l'arrêt du 12 mars 2012 ne s'attarde pas à définir la différence qui justifie selon lui un traitement différencié. Il évoque simplement le fait que la collectivité au sein de laquelle l'agent était employé était d'un niveau différent de celle mentionnée par l'article R. 27 du Code des pensions civiles et militaires.
Par le passé, la jurisprudence a admis que des emplois aux missions équivalentes ne puissent pas bénéficier du principe d'égalité, faute d'affectation dans les mêmes services. Cependant, il s'agissait, alors, d'agents appartenant à deux branches différentes de la fonction publique (CE 7° s-s., 18 septembre 1995, n° 142282, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5422AN7). Au sein d'une même branche de la fonction publique, le Conseil d'Etat estime, en principe, que les caractéristiques de l'emploi occupé permettent seules de justifier une différence de situation (CE 7° et 10° s-s-r., 30 décembre 1998, n° 194165, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8874ASH). Dans ces conditions, la solution retenue le 12 mars 2012 apparaît critiquable. Si l'on peut admettre, comme le fait le Conseil d'Etat, que la liste des emplois fonctionnels fixée à l'article 53 du titre II du statut général des fonctionnaires territoriaux englobe des fonctions dont les caractéristiques peuvent s'avérer différentes et de nature à justifier une différence de traitement, il est difficile de comprendre, à défaut de précisions données par l'arrêt, ce qui explique que l'emploi fonctionnel de directeur général adjoint des services d'un département se distingue de celui de directeur général adjoint d'une région. Il y a tout lieu de croire, comme souvent (v. J.-P. Carton, Le principe d'égalité de traitement des fonctionnaires, AJFP, 2002, p. 4), que des motivations financières ont poussé la Haute juridiction administrative à endiguer l'application du principe d'égalité afin que le pouvoir règlementaire puisse, au titre des règles de calcul des pensions de retraite, distinguer les fonctionnaires détachés sur des emplois fonctionnels bénéficiaires de la règle -avantageuse- de l'article L. 15-II du Code des pensions civiles et militaires.
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Réf. : Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-28.635, FS-P+B (N° Lexbase : A8741IEH)
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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan
Le 12 Avril 2012
La solution oscille ostensiblement entre un classicisme certain, eu égard à la compensation des dettes réciproques de la banque et de la caution (I), et une sévérité lourde, résultant d'une application très (trop ?) rigoureuse des textes, s'agissant du refus de prendre en compte les effets de cette compensation dans le rapport principal d'obligation (II) : nous nous proposons désormais d'étudier la décision sous cet angle double.
I - Une solution juridiquement classique quant aux rapports entre le créancier et la caution
L'acte premier du drame judiciaire dont nous nous autoriserons le commentaire ne surprend guère : il voit la Cour de cassation rappeler la condamnation de la banque, en sa qualité de créancier principal, à des dommages et intérêts pour manque de diligences à l'égard d'une caution profane (A), puis le paiement de cette dette par compensation avec les sommes dues par la caution elle même (B).
A - La mise de dommages et intérêts à la charge du créancier
Aussi bizarre que cela puisse paraître, en dépit de sa "consumérisation" à l'extrême, qui a récemment amené certains à parler en la matière de bilatéralisation (2), le droit du cautionnement ne contient pas en son sein toutes les dispositions spéciales nécessaires à la défense des intérêts de la caution. C'est notamment vrai lorsque celle-ci se trouve lésée par le comportement indélicat du créancier qu'elle garantit.
Certes, il existe bien la sanction pour perte du recours subrogatoire, prévue par l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP), mais on sait que les conditions de sa mise en oeuvre sont sévères. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence a bâti, sur le fondement des obligations de conseil et de mise en garde, un palliatif quasi-généralisé, apte à protéger les cautions non-averties aux prises avec des créanciers professionnels. Dans les faits de notre espèce, c'est évidemment sur ce ressort qu'avait initialement joué la Cour de cassation en rejetant, dans son arrêt du 7 avril 2009, le pourvoi initié par la banque contre le premier arrêt d'appel qui avait confirmé la condamnation de la banque à des dommages et intérêts au bénéfice de la caution.
En mentionnant dans l'attendu de la décision commentée qu'il y avait eu lieu, au préalable, à une "compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l'égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière", la Cour de cassation insiste sur sa jurisprudence usuelle. La caution vérifiait effectivement les conditions habituelles, appréciées in concreto, pour être considérée comme non-avertie, puisque n'occupant aucune fonction de direction au sein de la SCI et n'étant pas une professionnelle du crédit. Au surplus, il n'est pas déraisonnable de penser que la banque avait effectivement failli à certaines de ses diligences à son égard, compte tenu du caractère disproportionné de l'engagement obtenu de la caution (3). Dont acte.
B - La compensation des dettes réciproques du créancier et de la caution
Pour continuer dans les développements d'ordre canonique, il convient de s'attarder un instant sur le mode de paiement particulier de la créance de dommages et intérêts née en justice dans le patrimoine de la caution.
Comme c'est régulièrement le cas, les tribunaux ont raisonné dans cette affaire en procédant à une compensation entre les dettes et créances réciproques de la caution et de la banque (4). Il ne fait évidemment pas de doute que les conditions de la compensation prévues par l'article 1291 du Code civil (N° Lexbase : L1401ABI) étaient ici bien remplies :
- les deux dettes portaient sur une somme d'argent, d'une part, le paiement correspondant à la mise en oeuvre du cautionnement, d'autre part, le paiement des dommages et intérêts ;
- les deux dettes étaient liquides, puisque monétaires ;
- les deux dettes étaient exigibles, les conditions d'appel de la caution étant réunies et la condamnation de la banque étant devenue définitive (ce que rappelle très justement le moyen).
Répétons-le : jusqu'ici, il n'y a rien de choquant ou d'inhabituel. La solution dégage ainsi un statu quo, sorte de match nul judiciaire (5). En l'espèce, la compensation intervenue entre la caution et la banque a éteint la créance de cette dernière à hauteur de 103 142,64 euros soit le montant des dommages et intérêts alloués à la caution, permettant ainsi les échanges de flux entre les deux protagonistes.
Toutefois, de rivages cléments, la solution va tôt s'aventurer vers des eaux bien plus houleuses. Si, sur le pur plan de l'équité, on peut s'en émouvoir, une lecture rigoureuse, même si peut-être fondamentaliste, de notre cher Code civil est susceptible de pousser à d'autres conclusions.
II - Une solution chantre de la rectitude quant aux rapports entre le créancier et le débiteur principal
Accessorium sequitur principale -ou l'accessoire suit le principal, pour les partisans d'une réforme "litugico-juridique"- demeure, encore, un des credo du droit des sûretés. Et pourtant ! Se fondant sur une lecture des articles 1234 (N° Lexbase : L0970ABK), 1294 (N° Lexbase : L1404ABM) et 2288 (N° Lexbase : L1117HI9) du Code civil, la Cour de cassation l'ignore dans les grandes largeurs (A), contraignant à imaginer des systèmes de repli (B).
A - La lettre de l'article 1294 : toute la lettre, plus que la lettre ?
C'était le coeur du débat dans l'arrêt du 12 mars 2012 : la SCI, en sa qualité de débiteur principal, pouvait-elle opposer à la banque la compensation dont il vient d'être question ? Cela semblerait logique pour une raison assez simple : la compensation est un mode de paiement (6), et en voyant sa créance de dommages et intérêts compensée avec son propre dû, on peut donc légitimement penser que la caution a payé sa dette, et donc la dette principale, puisqu'il y a identité entre ses deux dettes conformément à l'article 2288 du Code civil. En conséquence, la banque devrait être désintéressée à hauteur de cette compensation et ne plus pouvoir agir contre la SCI.
Que nenni répond la Chambre commerciale ! En effet, l'article 1294 du Code civil, en son deuxième alinéa, disposant que "le débiteur principal ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à la caution", constitue aux yeux de la formation commerciale de la Cour de cassation un fondement approprié pour interdire à la SCI, débiteur principal de l'espèce, de se prévaloir de la compensation réalisée entre la caution et la banque comme suite au premier dénouement au fond de l'affaire. Le message lancé par les magistrats est dépourvu d'ambiguïté : puisque la caution a payé sa dette envers la banque par voie de compensation, la SCI se trouve empêchée d'invoquer ledit paiement.
La lettre du texte est-elle respectée ? Oui, assurément. Néanmoins, cette interprétation du texte nous semble pour le moins teintée de fondamentalisme juridique. Car, en sa qualité de débiteur principal, la SCI ne désirait pas tant opposer à la Banque la compensation de ses dettes réciproques avec celles de la caution qu'objecter que, par le jeu de ladite compensation, la dette principale était éteinte (7). Sur le plan de l'équité, cela paraît d'autant plus dérangeant du fait que la créance de dommages et intérêts de la caution était née, précisément, de sa qualité de caution et non pas à l'occasion de rapports autres que la banque et la caution auraient pu entretenir par ailleurs.
On peut donc regretter que la Cour de cassation ait retenu cette lecture "maximalisante" de l'article 1294 du Code civil. Que le débiteur ne puisse pas ex ante faire jouer une compensation dans les rapports obligationnels de la caution et de son créancier est une chose, que ce même débiteur principal ne soit pas en mesure d'invoquer le paiement par la caution de la dette principale par voie de compensation en est une autre. Permettons-nous d'y déceler une croupière manifestement taillée dans l'habit de l'accessoire dont on pare généralement le cautionnement.
B - Le recours nécessaire à une contractualisation tripartite
On ne saurait trop prédire l'avenir de l'arrêt de la Chambre commerciale du 13 mars 2012. Sa publication au Bulletin est peut-être révélatrice d'une volonté de ne pas le laisser trop isolé. Pour palier le cas où cela devrait se confirmer, il est nécessaire d'imaginer une solution protectrice du débiteur principal, sacrifié en l'espèce par la Cour de cassation.
De façon assez peu originale, nous suggérons de réfléchir à la conclusion d'une convention tripartite entre le créancier principal, le débiteur principal et la caution (8), stipulant que tout paiement, quel que soit son mode (y compris par voie de compensation, donc), reçu par le créancier principal de la part de la caution éteindra à due concurrence la dette principale. Nous le croyons possible dans la mesure où rien n'indique que l'article 1294 du Code civil est d'ordre public et que, ce faisant, aucun interdit du droit du cautionnement n'a l'air franchi. Convenons que, sans la position nouvelle prise par la Cour de cassation, la précaution aurait été mâtinée de superfétatoire : le climat prétorien invite à la prudence !
Vient-on d'assister à un sensible rééquilibrage des droits, opéré par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au profit du créancier bénéficiant d'une caution ? L'intention n'était peut-être pas celle-là, mais c'est l'effet concret de la décision qui nous a retenus. Paradoxalement, dans l'ensemble trinitaire réunissant le créancier, le débiteur principal et la caution, cela aboutit à un tableau dans lequel la caution est protégée et le créancier sanctionné dans ses rapports avec cette dernière, sans pour autant que toutes les conséquences de cette sanction ne soient tirées dans le rapport principal d'obligation. Voilà une étrangeté juridique, certes respectueuse de la lettre de l'article 1294 du Code civil mais peut-être pas complètement de son esprit. Quant aux effets économiques de cet arrêt, s'il devait être suivi par d'autres décisions, ils consisteraient vraisemblablement en un léger regain d'intérêt pour le cautionnement sans pour autant oublier une réalité froide : lorsque la caution est appelée à payer, c'est que le débiteur principal n'est pas en position de le faire lui-même. On peut donc rééquiper à loisir le créancier face au débiteur, cela ne pourrait finalement changer que peu à sa situation.
(1) Dont on peut penser qu'elle était une associée de la SCI, donc responsable indéfiniment des dettes de cette dernière en application de l'article 1857 du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP).
(2) M. Sejean, La bilatéralisation du cautionnement ? Le caractère unilatéral du cautionnement à l'épreuve des nouvelles contraintes du créancier, LGDJ, 2011.
(3) Ce que met bien en évidence le premier arrêt d'appel.
(4) Comme avait pu le faire, en son temps, le fameux arrêt "Macron" (Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, publié N° Lexbase : A1835ACX ; voir, not., RTDCiv., 1998, p. 157, obs. P. Crocq).
(5) Sous réserve du paiement d'une éventuelle soulte, cela va sans dire.
(6) Quoique puisse en dire, de manière quelque peu abrupte, l'article 1234 du Code civil.
(7) L'extinction était d'ailleurs le terme expressément employé par le moyen du pourvoi.
(8) Ce qui, en pratique, est parfois déjà le cas.
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale et Justine Molinier - SGR droit social
Le 12 Avril 2012
Afin de favoriser l'emploi en France, chaque candidat utilise ces techniques différentes.
A - L'emploi
Pour favoriser l'embauche des plus jeunes, François Hollande, le candidat du Parti socialiste, propose notamment la création de 150 000 emplois d'avenir dans l'innovation environnementale et sociale en priorité dans les quartiers populaires et de 500 000 "contrats de génération", une entreprise embauchant un jeune bénéficie d'allégements de charge durant trois ans si elle maintient en parallèle un senior en emploi. François Hollande envisage également une augmentation des cotisations chômage sur les entreprises qui abusent des emplois précaires selon un dispositif de notation sociale qui n'est pas encore développé. François Bayrou, candidat du Modem, prévoit l'exonération de charge pendant deux ans pour un CDI à un jeune ou un chômeur pour les entreprises de moins de 50 salariés. Il évalue cette mesure à 50 milliards d'euros. Le président sortant, Nicolas Sarkozy, souhaite mettre en place également une exonération de charges patronales mais seulement pour toute embauche d'un chômeur de plus de 55 ans en CDI ou en CDD d'au moins six mois. A la différences des mesures précédemment énoncées, Jean-Luc Mélenchon, du Front de gauche, ambitionne d'instaurer un quota maxi d'intérimaires et de CDD dans les sociétés : 5 % des effectifs dans les grandes entreprises et 10 % dans les PME. Fidèle à leur programme traditionnel, le Front national, par le biais de Marine Le Pen, prévoit de privilégier l'embauche de personnes de nationalité française tout en réservant une embauche sur trois aux plus de 45 ans dans le public.
Afin de développer l'intégration des jeunes dans l'entreprise, Marine Le Pen ainsi que François Bayrou souhaitent favoriser le rapprochement entre l'Education nationale et l'entreprise et Nicolas Sarkozy les liens entre l'Université et l'entreprise.
En ce contexte de crise et de fermeture d'entreprises, certains candidats vont tenter de lutter contre les licenciements dits "boursiers". Par exemple, François Hollande préconise de renchérir le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes alors que Jean-Luc Mélenchon recommande, ni plus, ni moins, que l'interdiction des licenciements boursiers.
B - Le dialogue social
Le dialogue social n'est pas oublié par les candidats à l'élection présidentielle. François Hollande envisage son inscription au sein de la Constitution allant plus loin que la loi "Larcher" du 31 janvier 2007 (loi n° 2007-130, de modernisation du dialogue social N° Lexbase : L2479HUD) (1) qui prévoit à l'article 1 du Code du travail que "tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation". François Bayrou énonce dans son programme, une évolution de la composition des conseils d'administrations des entreprises de plus de 500 salariés avec la présence de représentants des salariés possédant un droit de vote. Jean-Luc Mélenchon envisage également une augmentation du pouvoir des représentants du personnel par un droit de veto sur les décisions stratégiques (dont les délocalisations ou fermetures de site) et un droit de reprise en coopérative. A la différence des autres partis, Marine Le Pen souhaite une révision des modalités d'élection des syndicats. Nicolas Sarkozy insiste dans son programme sur les droits et devoirs des chômeurs. Ainsi, il prévoit la mise en place d'allocations chômage dégressives dans le temps, dès que le taux de chômage commencera à diminuer, couplé avec un droit à la formation pour tous les chômeurs et une obligation d'accepter un emploi.
C - Le temps de travail
Peu de mesures sur le temps de travail sont prévues par les candidats. Dans le prolongement des discussions actuelles sur les accords compétitivité-emploi, Nicolas Sarkozy souhaite leur instauration ainsi qu'une négociation au niveau des branches sur le temps de travail. François Bayrou n'envisage pas une négociation du temps de travail et les salaires au niveau de l'entreprise mais uniquement au niveau des branches. La leader du Front national ne préconise une renégociation possible du temps de travail que si cette dernière s'accompagne d'une augmentation proportionnelle du salaire. Jean-Luc Mélenchon marque sa différence avec le rétablissement des 35 heures.
D - Le pouvoir d'achat
Pour favoriser le pouvoir d'achat des français, de nombreuses mesures sont prévues pour augmenter les salaires, notamment sur l'augmentation du Smic. Jean-Luc Mélenchon prévoit que ce salaire sera égal à 1 700 euros bruts dès 2012 et 1 700 euros nets en 2017. Le candidat du Parti socialiste nuance cette augmentation en l'indexant le Smic sur la croissance et non plus sur l'inflation. Tous deux sont cependant d'accord pour prévoir un écart maximal de rémunération de 1 à 20 dans toutes les entreprises, François Hollande souhaitant cependant ne limiter cette mesure qu'aux entreprises publiques. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen envisagent une augmentation des salaires. L'actuel président de la République prévoit une hausse du salaire net de 840 euros par an pour les salariés gagnant entre 1 000 et 1 400 euros par l'intégration de la prime pour l'emploi. Marine Le Pen recommande d'augmenter les salaires de 200 euros jusqu'à 1,4 fois le Smic. Toujours dans cette optique d'augmentation du pouvoir d'achat, les différents candidats prévoient, dans leur programme, des modifications des aides actuellement versées par l'Etat. Comme indiqué précédemment, Nicolas Sarkozy envisage une augmentation des salariés par l'intégration de la prime pour l'emploi. En effet, ce dernier souhaite fusionner la prime pour l'Emploi et le revenu du solidarité active, les bénéficiaires du RSA ayant l'obligation de travailler sept heures par semaine, payées au Smic, la volonté de l'actuel président étant créer une différence plus importante entre les revenus du travail et les revenus de l'assistance. Jean-Luc Mélenchon préconise de fixer et d'indexer les minimas sociaux sur le Smic. François Hollande ne prévoit, à l'heure actuelle, que d'augmenter de 25% l'allocation de rentrée scolaire et Marine Le Pen, à l'instar de sa politique d'embauche, de réserver les allocations familiales aux familles dont un des parents est Français.
L'égalité professionnelle est un sujet plus prolixe en mesures marquée une volonté commune des candidats de lutter contre les inégalités. Plusieurs candidats envisagent l'instauration d'un ministère. Ainsi, François Bayrou souhaite créer un ministère de l'Egalité, qui s'occupera de toutes les égalités nécessaires en France et de la lutte contre les discriminations. Le candidat du Front de gauche propose un ministère des Droits des femmes et de l'Egalité, doté de moyens, et appuyé par des délégués interministériels chargés de la mise en oeuvre de l'égalité sociale et économique et prône le rétablissement de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde). François Hollande préconise un ministère des Droits de la femme ainsi que la mise en place d'une autorité indépendante chargée de lutter contre les discriminations et de promouvoir l'égalité. Plusieurs candidats souhaitent favoriser l'égalité de rémunération au sein des entreprises. Jean-Luc Mélenchon préconise d'instaurer une négociation annuelle entre les partenaires sociaux sur le respect de l'égalité professionnelle (embauche, salaires, retraites, promotions) au niveau des branches et des entreprises et François Hollande de supprimer les exonérations de cotisations aux entreprises qui ne respecteraient pas l'égalité entre les hommes et les femmes en matière de carrière professionnelle et de rémunération. François Bayrou poursuit un but commun en garantissant l'égalité salariale entre hommes et femmes en pénalisant financièrement les entreprises et en combattant la multiplication des contrats à durée déterminée à temps partiel qui concernent surtout les femmes. Le candidat du Front de Gauche désire une refonte du Code du travail et de la définition du harcèlement sexuel et une loi en faveur des personnes en situation de handicap dont l'objectif sera notamment de favoriser leur intégration professionnelle, toutes ces mesures faisant ensuite l'objet d'un bilan annuel sur les discriminations. François Hollande souhaite généraliser les CV anonymes sans nom et photo.
E - La formation professionnelle
Enfin, les candidats à l'élection présidentielle envisagent de réformer le système de la formation professionnelle souvent sujet à critiques. François Bayrou prévoit la mise en place d'un Fonds de formation professionnelle financés par les entreprises et gérés par les partenaires sociaux, d'une Agence nationale de la formation et la mutualisation des moyens de Pôle emploi, des chambres de commerce, des missions locales et des maisons de l'emploi. Le candidat socialiste souhaite également un renforcement des moyens de Pôle emploi afin de cibler la formation sur les publics les moins formés, notamment, les chômeurs. Marine Le Pen envisage un "Service public de la formation tout au long de l'existence", avec des "chèques formation" et Jean-Luc Mélenchon le développement de fonds nationaux et régionaux de formation professionnelle.
La formation touchant les salariés individuellement, Nicolas Sarkozy souhaite l'instauration d'un compte individuel de formation dont le capital de départ serait inversement proportionnel à la formation initiale et François Bayrou, un compte formation continue personnel. Enfin, François Hollande prévoit de renforcer la sécurisation des parcours professionnels en prévoyant notamment une sécurité sociale professionnelle, matérialisée par un compte temps-formation, permettant à chacun de reprendre des études, de réaliser un projet personnel et de choisir les modalités de son départ en retraite.
II - Les mesures en droit de la Sécurité sociale
Parmi tous les thèmes abordés en matière de Sécurité sociale et de protection sociale par les candidats, nous nous focaliserons sur les problématiques les plus récurrentes, occupant une large place dans les préoccupations des français et ainsi, nous étudierons les programmes des candidats en matière de retraite (A) et de système de santé (B).
A - La retraite de base du régime général
En travaillant, et en contrepartie des cotisations salariales et patronales prélevées sur leurs rémunérations, les salariés du secteur privé s'ouvrent des droits à une pension de vieillesse du régime général de la Sécurité sociale. Si, de 1945 à 1983, les réformes des régimes de retraite vont dans le sens d'une progression des droits des salariés, à partir des années 1990, les réformes visent, d'abord, à réduire les déficits des différentes caisses de retraite.
En effet, depuis quelques années, différentes réformes se sont succédées. Il y a, d'abord, eu la loi du 22 juillet 1993, dite réforme "Balladur" (loi n° 93-936 N° Lexbase : L8411INT), concernant exclusivement le régime général géré par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et les régimes alignés (salariés agricoles, artisans, industriels et commerçants). Cette loi augmente, notamment, le nombre d'années de cotisation nécessaires à l'obtention d'une retraite à taux plein (40 ans de cotisation, soit 160 trimestres, au lieu de 37,5 ans auparavant soit 150 trimestres). Si un salarié n'atteint pas la durée de cotisation exigée, il lui est appliqué une décote s'il liquide sa pension avant ses 65 ans. Le montant des pensions est calculé en référence au salaire moyen des 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures années. La série de revalorisations des salaires retenus pour calculer le salaire de référence des 25 meilleures années est indexée sur l'évolution des prix et non plus sur celle du salaire moyen et la revalorisation annuelle des pensions se fait sur l'indice des prix à la consommation. Enfin, la loi de 1993 a créé un Fonds de solidarité vieillesse (FSV) chargé de financer les avantages non contributifs (minimum vieillesse, avantages familiaux...).
La loi portant réforme des retraites, dite loi "Fillon", du 21 août 2003 (loi n° 2003-775 N° Lexbase : L9595CAM) a suivi, alignant, notamment, à raison de deux trimestres supplémentaires par an, la durée de cotisation des agents de la Fonction publique sur les salariés du privé (soit 40 annuités) entre 2004 et 2008. Cette loi a également instauré le passage progressif (à raison d'un trimestre par an) à 41 ans pour tous les salariés en 2012, avec instauration d'une décote en cas d'anticipation ou au contraire d'une surcote en cas de retardement de son départ en retraite. Désormais, l'indexation des retraites était prévue sur les prix (et non plus sur les traitements des fonctionnaires), afin de garantir le pouvoir d'achat des pensions. La loi "Fillon" a mis en place deux nouveaux dispositifs d'épargne retraite facultatifs : un contrat individuel, le PERP (Plan d'épargne retraite populaire) et un contrat collectif, en entreprise, le PERCO (Plan d'épargne pour la retraite collectif).
Promis par l'actuel président de la République, en 2007, la réforme des retraites a continué pour aboutir à la loi du 9 novembre 2010 (loi n° 2010-1330 N° Lexbase : L3048IN9). Cette loi allonge la durée minimale de cotisation (41,5 ans) et l'âge à partir duquel la retraite à taux plein est acquise. Les dispositions les plus importantes du texte sont entrées en vigueur le 1er juillet 2011.
Actuellement, l'âge minimal pour bénéficier de cette retraite, toujours fixé à 60 ans pour celles et ceux nés avant le 1er juillet 1951, est porté progressivement à 62 ans pour les salariés nés à compter du 1er janvier 1955 (sauf hypothèses de retraite anticipée). Le nombre de trimestres requis pour bénéficier d'une retraite à taux plein (soit 50 %), c'est-à-dire sans décote, varie selon l'année de naissance de l'assuré. Cependant, celui-ci obtient automatiquement une retraite à taux plein, quel que soit le nombre de trimestres validés, s'il fait liquider sa retraite à partir d'un âge fixé entre 65 et 67 ans selon son année de naissance. Le montant de la pension est déterminé à partir de trois paramètres : le salaire annuel moyen de l'assuré, calculé sur ses 25 meilleures années (pour les assurés nés à partir de 1948), le taux déterminé à partir de la durée totale de sa carrière et sa durée d'assurance dans le régime général. Des avantages complémentaires (par exemple, majoration pour trois enfants et plus) peuvent venir augmenter le montant de la pension. Par ailleurs, la pension versée ne peut pas être inférieure, ni supérieure à un certain montant.
Sujet sensible et intéressant tous les français, chaque candidat à la présidentielle s'attaque à la réforme de la retraite de base. Nous vous proposons d'y revenir afin de comparer les différents programmes.
François Hollande, candidat socialiste, entérine les 41,5 années de cotisation, mais avec un départ à la retraite à 60 ans. La pénibilité et la décote seront négociées ensuite. Il propose de relever de 0,1 point par an les cotisations salariales et patronales. En fin de quinquennat, les cotisations vieillesse seraient ainsi relevées de 1 point par rapport à 2012 (0,5 pour les salariés et 0,5 pour les employeurs). Elles se trouvent actuellement à 6,75 % pour les salariés et à 9,90 % pour les employeurs (dont une partie uniquement sur une fraction du salaire) (2).
Nicolas Sarkozy, l'actuel président de la République, souhaite le maintien de sa réforme de 2010. Il propose d'instaurer un minimum vieillesse réservé aux étrangers ayant cotisé 5 ans et vécu 10 ans sur le territoire français ainsi que le paiement des retraites le 1er du mois (actuellement elles le sont le 8).
François Bayrou, candidat du Modem, souhaite mettre en place une retraite qui fonctionne grâce à un système par points. Rappelons qu'un système par points attribue des droits à pension mais ne fixe pas le niveau des pensions, qui dépend de la valeur des points, laquelle n'est pas donnée a priori. Un tel système joue donc sur la distribution des pensions au sein d'une même génération. Il propose également un relèvement du montant des petites retraites en particulier dans le monde agricole et chez les artisans.
Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche, propose le départ à 60 ans à taux plein. Il souhaite également abroger les réformes de 2010, 1993 et 2003, revaloriser les montants pour atteindre au moins 75 % du dernier salaire et indexer les pensions sur les salaires et non sur les prix. Il met en place son financement par des taxes sur l'intéressement, la participation, stocks-options et par l'augmentation des cotisations patronales. Enfin, aucune retraite en dessous du SMIC.
Marine Le Pen, candidate du Front national, souhaite fixer le départ à la retraite à 60 ans avec 40 années de cotisation (mise en place progressive), un abaissement de l'âge de la retraite pour les mères avec au moins trois enfant, ou un enfant handicapé. Elle propose une revalorisation des retraites agricoles. Un financement élargi aux revenus du capital et dans un premier temps aux produits des douanes, avec une forte incitation à la natalité. Enfin, un minimum vieillesse réservé aux étrangers ayant travaillé et cotisé en France pendant 10 ans.
B - Le système de santé
Avec des comptes de la Sécurité sociale en déficit chronique depuis des années, le système de Sécurité sociale français est réputé coûteux. Une réputation qui ne contredira pas le dernier rapport publié en novembre 2011 par l'OCDE. Selon ce rapport, en effet, les dépenses de santé ont représenté 11,8 % du PIB Français en 2009. Ce qui place la France à la troisième place du classement des membres de l'organisation derrière les Etats-Unis, qui occupent la tête avec 17,4 %, et les Pays-Bas (12 %). Un chiffre qui est en légère augmentation par rapport aux 10,1% du PIB consacré aux dépenses de santé en 2000 (3). Chaque candidat à la présidentielle de 2012 propose des solutions afin de régler le déficit. Rappelons que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 (loi n° 2011-1906 N° Lexbase : L4309IRZ) confirme l'effort de maîtrise de la dépense avec la limitation de la progression de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) à + 2,5 % (au lieu de + 2,8 % prévu initialement) et est fixé à 167,1 milliards d'euros.
Concernant l'assurance maladie, le candidat socialiste, François Hollande déclare la baisse du prix des médicaments ainsi que l'encadrement des dépassements d'honoraires par spécialité et par région, l'augmentation de la part de rémunération forfaitaire des médecins généralistes, l'arrêt de la convergence tarifaire entre les secteurs public et privé, la suppression du droit d'entrée dans l'aide médicale d'Etat, introduit en 2011 et la généralisation du tiers payant.
Concernant la dépendance des personnes âgées, il souhaite mettre en place une contribution de solidarité nationale et créer un guichet unique pour l'accès à l'information et au conseil.
Nicolas Sarkozy, s'agissant de l'assurance maladie, souhaite instaurer la promotion du "juste soin" par la disparition des examens et prescriptions inutiles, la mise en place d'une "carte sociale sécurisée" biométrique pour limiter la fraude et la conclusion de "contrat de santé aux professionnels et aux patients pour renforcer l'accessibilité géographique et financière des soins". Enfin, dans la lignée de la réforme de l'assurance maladie du 13 août 2004 (loi n° 2004-810 relative à l'assurance maladie N° Lexbase : L0836GT7), l'actuel président propose une individualisation du parcours de soin avec le recours à la télémédecine.
Pour la dépendance, promis en 2007, le "cinquième risque" une réforme devait intervenir afin de faire face à la hausse importante du prix de la dépendance, en améliorant, notamment, les conditions de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie. Son programme de 2012 souhaite "poser les bases" de la réforme de la dépendance en 2013.
François Bayrou, concernant l'assurance maladie, propose la mise en place d'une Autorité indépendante (sur le modèle de l'Autorité de sûreté nucléaire), la révision de la formation des médecins, via une incitation à poursuivre en médecine générale et modification des règles de l'internat, la création d'un "bouclier santé" pour les personnes aux faibles revenus mais sans minimas sociaux et enfin, s'inspirer du régime local de l'Alsace Moselle.
Pour la dépendance, le candidat du Modem veut créer une cinquième branche de la Sécurité sociale et mettre en place une ou plusieurs journées de solidarité qui seraient assises sur la totalité des revenus.
Jean-Luc Mélenchon souhaite un remboursement à 100 % des dépenses de santé (dont l'interruption volontaire de grossesse), la création d'un pôle public du médicament, la préservation de l'aide médicale d'Etat, la suppression des agences régionales de santé (ARS, anciennement agences régionales de l'hospitalisation), la suppression des forfaits et franchises médicales et l'inscription, dans la Constitution, du droit à l'avortement.
Concernant la dépendance, le candidat du Front de gauche veut augmenter l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et créer un "droit universel de compensation à la perte d'autonomie".
Enfin, Marine Le Pen souhaite mettre en place, pour l'assurance maladie un délai de carence d'un an de résidence en France avant de bénéficier des avantages de la Sécurité sociale. La candidate du Front national propose de lutter contre la fraude (carte Vitale biométrique, lutte contre les arrêts maladie "de complaisance" ....), d'instaurer une procédure de vente au détail des médicaments prescrits et remboursés par la Sécurité sociale, le remboursement de certains médicaments qui sont, actuellement, déremboursés et la suppression de l'aide médicale d'Etat.
Elle veut également créer une cinquième branche pour la dépendance, financée par les économies générées grâce à la "reprise en main totale de la Sécurité sociale" et à partir d'"incitations publiques à une couverture prévoyance personnelle".
(1) Sur cette loi, lire, Le centre de gravité des relations de travail se trouve dans l'accord collectif - Questions à Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du travail, Lexbase Hebdo n° 479 du 29 mars 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1050BT3) et les obs. de F. Lalanne, Quand les partenaires sociaux font le droit..., Lexbase Hebdo n° 385 du 4 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4675BNH).
(2) J.-B. Chastand Hollande veut financer la retraite à 60 ans par une hausse de cotisations, Le Monde.fr, 26 janvier 2012.
(3) R. Renier Le système de santé français est le troisième le plus coûteux au monde, mais..., 23 novembre 2011, La Tribune.fr.
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