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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Trois avocats jettent ainsi un pavé dans la mare -comme de coutume- ; et non pour le montant des sommes en cause (68, 68 et 11 euros d'amende), mais pour le principe des droits de la défense et de l'accès au juge et à la justice. En effet, dans ces trois dossiers, les avocats, fins connaisseurs des arcanes du Code de la route, avaient régulièrement contesté les infractions qui leur étaient reprochées et les sanctions afférentes, sans pour autant avoir pu plaider leur cause devant un juge... dut-il être de proximité. Et, même si le juge de proximité, auquel la Cour de cassation a dû récemment rappeler qu'il devait procéder lui-même au supplément d'information, en la matière, est au magistrat ce que The artist est aux Quatre cavaliers de l'Apocalypse de Rex Ingram, il n'en demeure pas moins que tout justiciable a droit à ce que sa cause soit entendue, et qui plus est en matière pénale.
Dans les trois affaires, les officiers du ministère public avaient, certes, reçu la contestation des procès-verbaux, mais ne les avaient pas fait suivre auprès de la juridiction compétente, alors que "les requérants [avaient] clairement indiqué contester l'infraction et, dans une lettre d'accompagnement, [avaient ] dûment précisé leur motifs", nous précise la Cour. Ainsi, les sommes consignées, en règlement des amendes, furent définitivement encaissées par le Trésor, heureux d'éteindre, de ce fait, l'action publique.
A court terme, les arrêts rendus le 8 mars 2012 ne devraient pas bouleverser l'équilibre budgétaire français ; ils seront peu nombreux à affronter le système judiciaire pour contester une amende de 11 euros, tout au plus les officiers du ministère public se feront-ils taper sur les doigts, par le biais d'une nouvelle circulaire les enjoignant, même pudiquement, à accéder aux demandes de saisine des juridictions, en cas de contestation en bonne et due forme des procès-verbaux. Entre les impératifs budgétaires, la "pression du chiffre" dénoncée régulièrement par les syndicats de police et le respect des prescriptions européennes, l'on sait, au final, qui en sortira vainqueur -les libertés fondamentales, à l'image du long feuilleton sur la garde à vue-, mais à quel prix et sous quel délai ?
Plus foncièrement, ces trois arrêts posent la question de la nature des amendes ainsi recouvrées sans droit effectif à la contestation, car, si "en ce monde on ne peut dire que rien est certain, excepté la mort et les impôts" (Benjamin Franklin), il n'est pas loin à ce que les PV d'infractions au Code de la route, en France, rejoignent ce duo morbide, sans pour autant que chaque conducteur ne se prenne pour un wild angel.
Et, sans faire de populisme de bas étage, et compte tenu de la grogne certaine des automobilistes même les plus zélés, les pouvoirs publics seraient certes avisés de réformer profondément les rapports entre l'usager contraventionnel et l'officier du ministère public, percepteur des temps modernes. La partie recette des lois de finances montrant clairement les objectifs budgétaires du recouvrement des amendes routières, visant à une augmentation conséquente de leur produit annuel que ce soit en matière de contrôle automatisé (172 à 192 millions d'euros) ou en matière de circulation et de stationnement routiers (de 1,11 à 1,2 milliard d'euros), une loi "Aicardi", à l'image de cette loi du 8 juillet 1987 instaurant, notamment, la Charte des obligations et des droits du contribuable vérifié, pilier de l'apaisement des relations conflictuelles entre les contribuables et l'administration fiscale, serait, sans doute, la bienvenue. On n'ira pas jusqu'à exiger la mise en place du "rescrit routier", pour savoir si l'on peut ou non adopter tel comportement en exonération de contravention, bien que les conducteurs de deux-roues seraient bien heureux de savoir où apposer leur ticket horodateur, lorsqu'ils ont stationné leur véhicule sur une place payante, sans craindre une amende. De la même manière, on s'étonnera que le procès-verbal négligemment déposé sur le pare-brise d'une voiture et soumis aux quatre vents cardinaux ou à des mains farceuses suffisent à entraîner une majoration de l'amende, pour défaut de paiement dans les délais prescrits ; et, pour cause, puisque, contrairement à la notification de redressements ou proposition de rectifications, seule à même d'imposer un sanction fiscale, le procès-verbal de l'infraction routière n'est pas adressé par lettre recommandée avec accusé réception, faisant fi du régime de la preuve à charge.
Ce serait un pas important vers la transparence et le respect des droits de la défense, à l'image du contentieux de la circulation routière condamnant, depuis peu, le défaut d'information du conducteur préalable à tout retrait de points du permis de conduire.
"Poujade, sort de ce corps", me direz-vous ? Non, juste le sens de l'apaisement social et du consentement à l'impôt... Pardon ! De l'acceptation des impératifs d'ordre public de sécurité routière, veux-je dire...
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par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)
Le 15 Mars 2012
De prime abord, l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 février 2012 ne semble guère offrir un apport déterminant, même sur le terrain des dispositions communes aux contrats d'assurance. Car ce type d'affaire est fréquent. En témoigne notamment l'un de nos commentaires récents : "N'est pas limitée la clause d'un contrat assurance habitation excluant le défaut d'entretien" (in Chronique en droit des assurances - Octobre 2011, Lexbase Hebdo n° 458 du 20 octobre 2011 - édition privée N° Lexbase : N8285BSN, à propos de : Cass. civ. 2, 6 octobre 2011, n° 10.10.001, F-P+B N° Lexbase : A6120HYC). Dans ce dernier arrêt, nous avions déjà eu l'occasion de constater que le thème des clauses d'exclusion ne se révélait nullement obsolète, contre toute croyance, et en dépit de multiples années d'application de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) relatif au caractère formel et limité des clauses d'exclusions. S'il était permis de penser que nos tribunaux avaient eu à connaître de toutes les illustrations possibles, la jurisprudence récente démontre le contraire.
En l'espèce, peu importe ou presque l'origine exacte du litige. Précisons juste, pour différencier cet arrêt d'autres similaires, qu'un fabricant avait livré à une entreprise un produit de revêtement de voirie. Or, des désordres, au sens du droit de la construction, étaient apparus peu après la pose de ce produit. Une expertise avait mis à jour une fabrication incorrectement réalisée. Et l'acquéreur avait assigné le fabricant et son assureur de responsabilité. Or, la cour d'appel, pour rejeter cette requête avait décidé de l'application de la clause d'exclusion de garantie invoquée par le fabricant en dépit de son libellé. Toutefois, pour la Cour de cassation, cette dernière, loin d'être obscure voire absconse, apparaît si étendue, si vaste quant à son champ d'application qu'elle a pour effet de retirer tout intérêt à la garantie d'assurance. Nos Hauts magistrats cassent donc l'arrêt d'appel.
Convient-il de le répéter encore : si les clauses d'exclusion de garantie sont admises par le législateur -car un assureur ne saurait offrir une indemnisation sans la moindre limite-, elles ne doivent pas être privatives de tant d'hypothèses de mise en oeuvre de la garantie que cette dernière perdrait tout intérêt d'exister. C'est donc à une sorte de juste équilibre entre les attentes des deux parties au contrat d'assurance auquel le juge tente de parvenir lorsqu'une contestation relative à l'intérêt effectif ou non de la relation contractuelle émerge. Si le contrat d'assurance est aléatoire, seul le hasard décide du côté vers lequel la balance penche, et non les parties elles-mêmes. La prestation promise par l'une des parties doit donc correspondre à celle à laquelle l'autre partie s'engage, au moins de manière approximative. De manière concrète, si la garantie d'assurance offerte se révèle ne pas correspondre à un montant de primes assez élevé, le juge en déduit que la clause qui réduit ainsi la portée possible de la garantie ne saurait s'appliquer. La contrepartie escomptée par l'assuré ne doit pas être un leurre.
Et, si l'on y réfléchit, nul ne peut s'en étonner. Car, au-delà du contrat d'assurance, toute relation contractuelle synallagmatique et non aléatoire suppose une forme d'équilibre. C'est ce que l'article 1104, alinéa 1, du Code civil (N° Lexbase : L1193ABS) suggère en exposant la définition d'un contrat commutatif : "[Le contrat] il est commutatif lorsque chacune des parties s'engage à donner ou à faire une chose qui est regardée comme l'équivalent de ce qu'on lui donne [...]". Le texte envisage une équivalence des obligations et prestations fournies entre les parties. Cette équivalence ne s'entend pas d'un équilibre parfait, lequel serait illusoire voire fantasmagorique ; elle consiste juste dans une recherche d'égalité imparfaite, non chiffrée et non chiffrable, mais d'une approximation la moins imprécise possible.
Encore une fois, il faut insister : a priori, ne manque donc pas d'une certaine curiosité ce souci de nos tribunaux, dans le cadre d'un contrat aléatoire, de rétablir une certaine proportion d'équivalence et d'équilibre, propre aux contrats commutatifs. Mais c'est que le caractère aléatoire envisagé s'entend de celui résultant d'événements qui ne sont pas aux mains des parties, mais qui dépendent du hasard, non de décisions personnelles, surtout lorsqu'elles sont unilatérales. Car, le fond du problème se situe là : ce que le magistrat cherche à gommer, le plus possible, s'entend avant tout du déséquilibre des connaissances des cocontractants au stade de la formation du contrat. C'est le caractère d'adhésion, subi par l'assuré, sans éléments d'information suffisants pour fournir son accord véritable, que les juges réprouvent.
En face de cette inégalité entre les parties au contrat d'assurance, la présente réaction jurisprudentielle ne constitue pas une surprise. Nombreux sont les arrêts à avoir statué dans le même sens que celui-ci, en date du 9 février 2012. Ce qui retient l'attention, c'est que la Cour de cassation estime bon de publier cette décision. Serait-ce en raison de son agacement en constatant les contrats d'assurance aux allures alléchantes, car porteuses de promesses de garantie à l'infini ou presque, alors que la réalité se révèle toute autre ? Est-ce d'ailleurs seulement le décalage existant entre l'apparence contractuelle et ce qu'elle recouvre en réalité que nos hauts magistrats déplorent ? Rien n'est aussi sûr. Chacun sait déjà qu'au sein de l'article L. 113-1 du Code des assurances, cité dans le visa, nos magistrats se fondent surtout sur le caractère limité que ces clauses d'exclusion sont priées de respecter ; l'aspect formel fait moins couler d'encre.
Par delà même ce constat connu, c'est la malignité que la clause de garantie contient qui justifie les réactions de nos tribunaux, parfois vives, en raison des conséquences pratiques et des enjeux financiers. La référence à cet article L. 113-1 du Code des assurances marque le souci du respect de la légalité. Pour autant, c'est encore l'attitude quasi dolosive -eu égard à la façon de taire l'insuffisance de la garantie d'ensemble- que le magistrat peut être tenté de relever. Et il ne manque pas de l'effectuer parfois. Que l'on se souvienne de cet arrêt du 4 juillet 2007 (Cass. civ. 1, 4 juillet 2007, n° 05-10.254, F-P+B N° Lexbase : A0693DXX), où la Cour de cassation refuse de retenir la qualification de contrat d'assurance vie, en raison du défaut d'aléa dans un contrat d'assurance vie, alors que, le même jour, certes dans des affaires distinctes, elle se contente de raisonner sur le seul terrain du Code des assurances (et de l'article L. 132-13 de ce même code N° Lexbase : L0142AAI).
Et si nous avions fustigé la décision rendue, c'est qu'elle avait été retenue, dans les circonstances décrites, eu égard au prétendu manque d'aléa au contrat, ce qui, là, s'avère plus discutable. En revanche, la sanction de défaut de cause, dans les présentes hypothèses, apparaît plus adéquate. En effet, lorsque la contrepartie offerte par l'assureur s'avère dérisoire, il est davantage possible d'admettre que, s'il en avait eu conscience, le souscripteur souvent assuré, n'aurait pas fourni son consentement. Le dérisoire, même s'il n'équivaut donc pas à l'inexistant, suffit à faire obstacle à un véritable accord.
Quoi qu'il en soit, en l'espèce, les magistrats préfèrent se fonder sur le pur droit des assurances et la mise en oeuvre de l'article L. 113-1 du Code des assurances, même si la sanction n'apparaît pas plus mesurée ; d'ailleurs, devait-elle l'être ? Et, grâce à ce seul texte, ils anéantissent les projets de l'assureur que d'aucuns nommeront manoeuvres. En tous les cas, la recherche de cette sorte de dolus bonus, sans le dire, ne versant pas dans le dolus malus, n'est pas si aisé non plus pour l'assureur, en cas de demandes de garanties non traditionnelles et aguerries.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen
Cet arrêt du 9 février 2012, bien que non publié, nous semble d'un réel intérêt.
Il jette la lumière sur la possibilité d'articuler deux articles qui sanctionnent la fausse déclaration du risque par l'assuré : les articles L. 113-8 (N° Lexbase : L0064AAM) et L. 113-9 (N° Lexbase : L0065AAN) du Code des assurances.
Ceux qui arpentent le droit des assurances connaissent l'importance de ces deux articles, qui sont en lien avec l'obligation initiale de l'assuré, consignée à l'article L. 113-2-2° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI) de "répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge".
Cette obligation de déclarer le risque avec précision et honnêteté, renvoie, en amont, l'assureur à son obligation d'établir un questionnaire d'évaluation des risques qui soit suffisamment complet, clair et précis, pour appeler des réponses de même nature (là-dessus, cf. notamment nos obs. sous Cass. civ. 2, 13 janvier 2011, n° 10-12.806, F-D N° Lexbase : A9870GPA, in Chronique en droit des assurances - Février 2011, Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2011 N° Lexbase : N3546BRR).
Au stade de la sanction, tout change selon que l'assuré a commis une fausse déclaration ou une omission avec ou sans mauvaise foi :
- dans le premier cas, la nullité du contrat d'assurance est encourue en application de l'article L. 113-8, qui exige de l'assureur la démonstration que les critères exigés sont bien réunis : "le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre" ;
- dans le second cas, l'article L. 113-9 précise que : "l'omission ou la déclaration inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie n'entraîne pas la nullité de l'assurance" et prévoit, quand la fausse déclaration non-intentionnelle est découverte après sinistre, ce qui est évidemment plus fréquent qu'une découverte avant sinistre, qu'il y a lieu de pratiquer une réduction proportionnelle d'indemnité "en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés".
Parce que la sanction prévue par L. 113-8 est la plus radicale et la plus avantageuse pour les assureurs, ceux-ci semblent plus volontiers incliner le contentieux vers ce seul article.
Il peut être toutefois de meilleure stratégie procédurale de n'être pas trop sûr de sa victoire, et de sa démonstration de la mauvaise foi de l'assuré, et d'avoir la sagesse de soulever un "subsidiaire" fondé sur l'article L. 113-9 du Code des assurances. Mais il est sans doute quelques avocats pour penser que soulever un tel subsidiaire serait "fragiliser" le principal en nullité...
Dans une précédente chronique (Chronique en droit des assurances - Février 2011, préc.), nous soulignions, combien la deuxième chambre civile n'entend pas laisser les juges du fond qualifier "à la légère" l'attitude de l'assuré de comportement de mauvaise foi, de nature à déclencher une sanction aussi radicale que la nullité du contrat et la conservation de la prime par l'assureur.
Nous indiquions alors que, dans certaines circonstances, il sera préférable, pour l'assureur, de se "replier" sur la réduction proportionnelle d'indemnité de l'article L. 113-9 plutôt que de s'obstiner et de s'enferrer dans la voie de l'article L. 113-8.
Tel était visiblement la stratégie de l'assureur dans l'arrêt examiné du 9 février 2012.
Dans cette espèce, une société qui exploite une ferme éolienne et a souscrit une assurance garantissant le risque bris de machine et perte d'exploitation "qu'elle a fait installer elle-même en assemblant sur place différents composants". Après sinistre (effondrement d'une éolienne), l'assureur a opposé un refus de garantie. Une cour d'appel, saisie du litige, a déclaré nul le contrat d'assurance pour fausse déclaration intentionnelle.
La Cour de cassation a, par décision du 2 octobre 2008 (Cass. civ. 2, 2 octobre 2008, n° 07-17.443, F-D N° Lexbase : A5931EAW), censuré cet arrêt au motif que les juges d'appel n'avaient pas constaté que la fausse déclaration de la société avait été faite de mauvaise foi. La solution est en ligne avec le propos susvisé relatif à la vigilance de la Haute juridiction.
Devant la cour de renvoi, l'assureur a soulevé, pour la première fois, le bénéfice de l'article L. 113-9 du Code des assurances, ayant compris l'inutilité de s'obstiner sur le fondement de la fausse déclaration intentionnelle. Mais la cour d'appel de Douai (CA Douai, 2ème ch., sect. 1, 16 décembre 2010, n° 09/00812 N° Lexbase : A0473GP9) a considéré qu'il y avait là pour une prétention nouvelle irrecevable selon l'article 564 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0394IGP), aux motifs que "le fondement de l'article L. 113-9 du Code des assurances repose sur une notion de proportionnalité selon le taux des primes dont l'examen est une question de fond qui n'est pas contenue dans le moyen de défense tiré de l'application de l'article L. 113-8 ; qu'elle n'est ni son accessoire ni son complément, puisqu'elle vise à analyser la portée et l'application du contrat ; que son débat est différent du débat sur la nullité ; qu'il s'agit donc d'une prétention nouvelle ; qu'il n'y a pas de lien suffisant entre les prétentions antérieures de la société avant la présente instance et cette demande nouvelle, qui n'est pas contenue en germe dans l'article L. 113-8 en cas de rejet".
Cette motivation, quoique solide, était incomplète. Elle se concentre essentiellement sur le rejet de l'applicabilité de l'article 566 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6719H7Y) ("Les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément"). En revanche, elle n'éclaire pas l'articulation entre les articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances sous l'angle de la notion de "prétentions qui tendent juridiquement aux mêmes fins" au sens de l'article 565 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6718H7X "les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent").
La Cour de cassation qui, curieusement vise le seul article 564 (N° Lexbase : L0394IGP) et ni l'article 565 ni l'article 566 du Code de procédure civile, censure en tenant les deux sanctions de la fausse déclaration, pour deux demandes complémentaires visant à s'opposer à la demande de l'assuré. Les Hauts magistrats énoncent ainsi : "la demande nouvelle de l'assureur tendait à écarter, au moins en partie, la prétention adverse en paiement des indemnités garanties par le contrat d'assurance".
On pourrait être surpris par une telle analyse dans la mesure où l'article L. 113-9 procède d'une application du contrat (application par réduction proportionnelle) tandis que l'article L. 113-8 procède d'une nullité du contrat. Or, de nombreux arrêts ont, en dehors du droit des assurances, refusé de tenir pour tendant aux mêmes fins une demande nouvelle fondée sur des effets si distincts d'une demande initiale :
- a été jugée irrecevable pour cause de nouveauté par rapport à la demande en nullité de vente, la demande ultérieure formée en appel en réduction du prix (Cass. com., 18 janvier 1984, n° 82-11.958 N° Lexbase : A0174AAP, Bull. civ. IV, n° 23) ;
- de même pour une demande en nullité d'une vente formée en cause d'appel, jugée ne pas tenir aux mêmes fins que la demande en paiement d'une partie du prix soumise aux premiers juges (Cass. com., 2 juin 1975, n° 73-13.352 N° Lexbase : A7511CEW, Bull. civ. IV, n° 152).
Toutefois, cette solution est en ligne avec un arrêt antérieur (Cass. civ. 2, 12 juillet 2001, n° 99-17.389 N° Lexbase : A1582AU7) dans lequel des juges du fond avaient clairement énoncé que l'assureur "ne peut présenter une demande de réduction proportionnelle qui ne tend pas aux mêmes fins que sa demande en nullité". La Haute juridiction avait alors censuré aux motifs que, "en statuant ainsi, sans rechercher si la demande reconventionnelle ainsi présentée en appel ne se rattachait pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
L'arrêt du 9 février 2012 énonce la solution avec une plus grande netteté, qui considère que les deux articles sont complémentaires et visent à une même fin : s'opposer à la demande de prise en charge (intégrale) du sinistre par l'assuré.
Cette solution est en cohérence avec la jurisprudence qui reconnaît aux juges la faculté de relever d'office l'article L. 113-9 du Code des assurances lorsque, saisis sur L. 113-8, ils trouvent dans les faits de quoi fonder cette solution. Un arrêt du 28 novembre 2011 (Cass. civ. 1, 28 novembre 2001, n° 00-13.193, F-D N° Lexbase : A2667AX3) énonce ainsi : "attendu, d'abord, qu'en appliquant l'article L. 113-9 du Code des assurances, les juges n'ont fait que déduire les conséquences juridiques des faits dont ils étaient saisis et sur lesquels les parties s'étaient expliquées".
La solution, favorable aux assureurs, nous semble devoir être pleinement approuvée, quitte à faire plier les principes procéduraux sur l'autel de la logique assurantielle. L'assureur doit pouvoir se "replier" sur la fausse déclaration non-intentionnelle quand le débat devant les premiers juges a fragilisé le caractère évident de la mauvaise foi de l'assuré. Soulever la réduction proportionnelle est refusé d'accéder à la demande de l'assuré mais la satisfaire en grande partie. C'est donc une solution d'équilibre.
Outre cette "leçon de procédure", l'arrêt illustre la fausse déclaration, indépendamment du point de savoir si celle-ci a été volontaire ou non-intentionnelle. En l'espèce, l'assuré a présenté le montage des éoliennes comme ayant été fait par un professionnel notoire, ce qui était inexact. Les matériaux utilisés (pales des éoliennes) "n'avaient pas l'origine indiquée dans le descriptif". Tout ceci était bien de nature à modifier l'opinion de l'assureur sur le risque, s'il est avéré que le montage était moins sérieux qu'affirmé et/ou les matériaux utilisés moins sûrs. L'assuré, fut-il exploitant d'éoliennes, ne doit pas "vendre du vent" à son assureur...
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences en droit privé, Membre de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé) de la Faculté de droit de l'Université de Nantes
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par Samantha Gruosso, avocat au barreau de Paris
Le 15 Mars 2012
C'est l'alinéa 2 de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ) qui énonce les critères de fixation d'honoraires applicables en l'absence de convention d'honoraires conclue entre les parties. Celui-ci dispose que : "A défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci".
Les critères d'évaluation précités sont, également, rappelés à l'article 11.2 du règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) qui dispose que :
"[...] La rémunération de l'avocat est fonction, notamment, de chacun des éléments suivants conformément aux usages :
- le temps consacré à l'affaire,
- le travail de recherche,
- la nature et la difficulté de l'affaire,
- l'incidence des frais et charges du cabinet auquel il appartient,
- sa notoriété, ses titres, son ancienneté, son expérience et la spécialisation dont il est titulaire,
- la situation de fortune du client,
- les avantages et le résultat obtenu au profit du client par son travail, ainsi que le service rendu à celui-ci".
L'arrêt rendu le 9 février 2012 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fait une exacte application de l'un des critères d'évaluation, à savoir la notoriété.
En effet, la Cour de cassation a considéré qu'un avocat auquel le client a confié un dossier, mais qui a été suivi, en réalité, par sa collaboratrice dans son intégralité, ne peut invoquer sa propre notoriété pour faire fixer ses honoraires.
Cette décision revêt toute son importance, lorsque l'on sait que certains collaborateurs disposent d'une large autonomie au sein de leurs cabinets, les amenant nécessairement à gérer l'intégralité du dossier, l'avocat associé supervisant essentiellement le travail effectué par ceux-ci.
Ainsi, pour l'avenir, cet arrêt vise à remettre en question l'organisation interne de certains cabinets et subordonne l'application du critère d'évaluation relatif à la notoriété à une intervention personnelle.
En l'espèce, Mme B. avait refusé de régler une facture d'honoraires de Me L. auquel elle avait confié la défense de ses intérêts dans un litige administratif.
Mme B. avait donc saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Toulon qui a fixé, par décision du 19 novembre 2009, les honoraires dus par celle-ci à Me L. à la somme de 2 475, 29 euros HT.
Me L. a interjeté appel de la décision ordinale rendue.
Par ordonnance du 5 juillet 2010, le premier président de la cour d'appel d'Aix -en-Provence a statué de nouveau et fixé les honoraires de Me L. à la somme de 1 500 euros H.T (CA Aix-en-Provence, 5 juillet 2010, n° 09/23399 N° Lexbase : A1390E7M).
Me L. s'est pourvu en cassation et fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir infirmé la décision du Bâtonnier, aux motifs qu'il n'appartient pas au premier président de statuer sur d'éventuelles fautes de l'avocat, fautes susceptibles d'engager sa responsabilité mais seulement de fixer le montant de ses honoraires.
Il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence parfaitement établie que le premier président peut souverainement fixer le montant de l'honoraire en fonction des diligences accomplies (Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 06-18.697, F-P+B N° Lexbase : A4577EQL), la fixation des honoraires s'établissant par application des critères d'évaluation de la loi, conformément à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971.
Le premier président de la cour d'appel n'a pas à s'expliquer sur chacun des critères retenus. Il est seulement tenu "de faire état des critères d'évaluation déterminants de son estimation" (Cass. civ. 1, 21 janvier 1997, n° 95-12.326 N° Lexbase : A0369ACN).
En l'espèce, Me L. précise avoir effectué les diligences qui ont consisté en l'étude du dossier, des rendez-vous avec le client, en la rédaction et la transmission d'un mémoire devant la cour administrative d'appel.
Néanmoins, il ressort tant au cours de l'instance ordinale que de celle devant la cour d'appel que le dossier de Mme B. a été suivi par une collaboratrice du cabinet et non par Me L. lui-même.
C'est dans ces conditions que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que "ayant relevé que la cliente faisait valoir l'absence d'intervention personnelle de l'avocat, le dossier ayant été suivi par une collaboratrice, le premier président a pu décider que l'avocat ne pouvait se prévaloir de sa propre notoriété et a souverainement évalué les honoraires en application des critères de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971".
Dans un arrêt rendu le 9 février 2012, la Cour de cassation rappelle que la procédure de fixation des honoraires est une procédure orale, et que les conclusions déposées la veille de l'audience saisissent le premier président, à la condition que leur auteur soit personnellement présent ou régulièrement représenté à l'audience (cf. Cass. civ. 1, 15 janvier 2002, n° 99-15.508, F-P N° Lexbase : A8012AXZ).
Devant la cour d'appel, c'est le premier président qui est compétent pour connaître des recours formés contre les décisions rendues par le Bâtonnier.
L'article 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) précisent les conditions applicables en matière de procédure de fixation d'honoraires devant le Bâtonnier et le premier président de la cour d'appel.
L'article 177 du même décret dispose que "le premier président les [les parties] entend contradictoirement".
La procédure orale a pour conséquence que les parties doivent être obligatoirement présentes, ou, éventuellement représentées lors de l'audience au fond.
Cette comparution des parties est une garantie du respect du principe du contradictoire.
La jurisprudence a rappelé, à plusieurs reprises, cette obligation de comparution, notamment dans un arrêt rendu le 16 décembre 2004 la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que la présence des parties à l'audience était obligatoire, faute de quoi ces dernières seront déclarées irrecevables dans leur recours principal et incident (Cass. civ. 2¸ 16 décembre 2004, n° 03-15.614, FS-P+B N° Lexbase : A4790DE7).
Elle présente, néanmoins, un danger lorsque l'une des parties régulièrement convoquée à l'audience ne se présente pas et que la partie adverse sollicite sur le fond un jugement qui sera contradictoire conformément à l'article 468 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6580H7T).
En l'espèce, par contrat du 11 janvier 2008, la société L'A. a confié une mission de conseil stratégique à la société C.P. avec la possibilité de recourir à des experts extérieurs, le montant de leurs honoraires étant fixé forfaitairement à la somme de 100 000 euros.
Me L. a été mandaté par la société C.P. afin d'établir un plan d'action qui n'a pas été mis en oeuvre.
La mission de la société C.P. a pris fin le 16 avril 2008.
Me L. a saisi le Bâtonnier d'une demande de condamnation de la société L'A. à lui payer la somme de 134 853,21 euros HT au titre de ses honoraires pour la mission accomplie.
Me L. a transmis la veille de l'audience ses écritures et pièces à la société L'A. soit le 20 septembre 2010, l'audience étant fixée au 21 septembre 2010.
Lors de cette audience Me L. était régulièrement représenté.
Pourtant, par ordonnance du 19 octobre 2010, le premier président de la cour d'appel de Paris a écarté des débats les écritures et pièces communiquées par Me L. considérant qu'il y a eu en l'espèce violation du principe du contradictoire.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé l'ordonnance rendue par le premier président et renvoyé les parties de la cour d'appel de Versailles aux motifs que "Me L. auteur des conclusions déposées la veille, comparaissait par avocat à l'audience du 21 septembre 2010, le premier président a violé les textes susvisés".
En dépit de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), le juge dispose d'un pouvoir de révision de la convention d'honoraires proposée par l'avocat à son client et acceptée par celui-ci.
C'est ainsi que le juge peut réviser les conventions conclues faisant la loi des parties et réduire notamment l'honoraire de résultat, lorsque celui-ci conduit à une rémunération excessive au regard des services rendus (Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 95-15.799 N° Lexbase : A1902ACG ; Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.633, FS-P+B N° Lexbase : A0828DXX ; Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 07-13.268, FS-P+B N° Lexbase : A7403ENI).
Ce pouvoir de révision vise, surtout, à assurer un équilibre contractuel.
Néanmoins, le juge n'a pas le pouvoir de dénaturer, ni d'interpréter l'accord conventionnel conclu entre les parties.
Par application de l'article 1134 du Code civil, la convention régularisée entre les parties prime, mais elle doit être claire, précise et équilibrée (absence de tous vices de consentement).
Le juge doit appliquer l'honoraire de résultat convenu, dès lors que la convention est valide (Cass. civ. 2, 19 février 2004, n° 01-14.504, F-P+B N° Lexbase : A3134DBP).
Dans un arrêt rendu le 9 février 2012, la Cour de cassation a censuré une décision rendue par le premier président pour violation de l'article 1134 du Code civil.
En l'espèce, M. R. a confié à Me T. la défense de ses intérêts dans le cadre d'un litige prud'homal.
Une convention d'honoraires a été signée entre les parties prévoyant un honoraire de diligence de 1 000 euros HT et un honoraire complémentaire de résultat fixé à 20 % HT de l'ensemble des sommes perçues après décision de la cour d'appel devenue définitive ou après signature d'un accord amiable ou d'une transaction intervenue entre M. R et la partie adverse.
Un accord a été formalisé devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes fixant le montant total des sommes dues au salarié à 305 505,96 euros, dont la somme de 140 000 euros au titre de l'indemnité transactionnelle.
Le montant de l'ensemble des sommes précitées a été versé par la partie adverse.
C'est dans ces conditions que Me T. a réclamé à son client le montant de l'honoraire de résultat dû en application de la convention d'honoraires régularisée entre les parties et correspondant à l'ensemble des sommes perçues par M. R. après la conclusion de la transaction.
M. R. a contesté le montant de l'honoraire de résultat.
Tant le délégataire du Bâtonnier que le premier président de la cour d'appel, dans son ordonnance attaquée du 24 septembre 2010, pour fixer l'honoraire de résultat à la somme de 10 000 euros HT, ont effectué une distinction entre les sommes versées au titre de l'indemnité transactionnelle et celles versées dans le cadre de la rupture du contrat de travail (indemnité de préavis, indemnité de congés payés, indemnités conventionnelles de licenciement...).
Le premier président a estimé que seule l'indemnité transactionnelle répond à la définition de l'honoraire de résultat prévu contractuellement, celle-ci étant le fruit d'un avantage obtenu par l'avocat au profit de son client.
Ainsi, seule l'indemnité transactionnelle constitue l'assiette de cet honoraire.
Me T. a formé un pourvoi contre ladite ordonnance, qui a été accueilli par la Cour de cassation au visa de l'article 1134 du Code civil considérant que "la clause concernée prévoyait l'assiette de l'honoraire de résultat était constituée des sommes perçues après transaction, le premier président a dénaturé les termes clairs et précis de la convention".
Ainsi, par cet arrêt, la Haute juridiction rappelle la limite du pouvoir de révision dont dispose le juge de l'honoraire. En effet, en présence d'une convention d'honoraires valide, celle-ci constitue la loi des parties et doit être appliquée dans son intégralité.
Par un arrêt rendu le 9 février 2012, la Haute juridiction a rappelé que le premier président de la cour d'appel ne saurait faire droit à la demande d'un avocat tendant à la fixation de ses honoraires, dès lors qu'une décision irrévocable déboutant l'avocat a, d'ores et déjà, été rendue.
En l'espèce, Me S. avait saisi le Bâtonnier d'une demande de fixation d'honoraires. Son client M. G. a interjeté appel de la décision rendue par le Bâtonnier.
Par ordonnance du 6 mai 2010, le premier président de la cour d'appel a infirmé la décision rendue par le Bâtonnier et débouté Me S. en considérant que sa demande était prématurée dans la mesure où M. G. n'avait pas encore encaissé les sommes obtenues par Me S. devant le tribunal de grande instance.
Celui-ci a formé un pourvoi en cassation duquel il s'est par la suite désisté.
Par requête du 12 mai 2010, Me S. a sollicité auprès du premier président la réouverture des débats et la condamnation de M.G. au paiement de la somme de 8 400 euros HT au titre de ses honoraires.
Par ordonnance rendue le 16 septembre 2010, le premier président a confirmé la décision du Bâtonnier taxant le montant des honoraires dus à Me S. à la somme de 8 820,42 euros TTC.
Pour accueillir la requête en rectification d'erreur matérielle présentée par Me S., le premier président soutient qu'il convenait de rechercher si la décision définitive avait été entièrement exécutée et d'examiner les pièces versées aux débats ayant conduit à l'ordonnance du 6 mai 2010, notamment la convention d'honoraires régularisée entre les parties prévoyant un honoraire de résultat de 12 % des sommes obtenues par M. G..
Le premier président considère que l'honoraire de résultat prévu par la convention doit être calculé sur les sommes effectivement perçues par M. G., qu'en l'espèce le jugement a été exécuté, mais les sommes sont encore détenues par l'huissier de justice.
M. G. a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'ordonnance rendue le 16 septembre 2010.
Au soutien de son pourvoi, il affirme que le premier président avait déjà tranché la contestation d'honoraires soulevée par Me S., par son ordonnance du 6 mai 2010, et qu'en acceptant de rouvrir les débats et de faire droit à cette demande par ordonnance du 16 septembre 2010, le premier président a violé les articles 480 (N° Lexbase : L6594H7D) et 500 (N° Lexbase : L6617H79) du Code de procédure civile, et 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP).
La Haute juridiction a accueilli le pourvoi formé par M. G. et considéré "qu'une décision irrévocable déboutant M. S. de sa demande avait déjà été rendue, le premier président a violé les textes susvisés".
Elle a cassée l'ordonnance rendue le 16 septembre 2010 sans renvoi conformément à l'article 627, alinéa 1er, du Code procédure civile (N° Lexbase : L8428IRL).
Si la convention d'honoraires n'est pas obligatoire, celle-ci semble être une nécessité notamment dans l'établissement de la preuve de la volonté des parties. Elle limite, également, le pouvoir de révision du juge en cas de contestation.
Dans ce domaine, il n'existe aucun formalisme ; néanmoins, la jurisprudence est venue apportée des éléments concernant les modes de preuve de cette volonté.
Ainsi cette preuve peut résulter :
- d'un écrit du client s'analysant en une reconnaissance de dette (CA Paris, ord. premier président, 21 février 2001, n° 99/45780) ;
- d'un échange lettres entre l'avocat et son client (Cass. civ. 1, 13 octobre 1999, n° 97-17.767 N° Lexbase : A7237CST ; Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 97-17.487 N° Lexbase : A3898A7I).
La volonté des parties doit être libre, non équivoque et dépourvue de tous vices de consentements.
Ainsi, il ne peut être considéré que les parties ont entendu conclure une convention d'honoraires de résultat, dès lors qu'aucun élément n'établit sans ambiguïté l'intention claire et non équivoque des parties en ce sens et une volonté libre et éclairée de la cliente d'y souscrire.
Tel est le sens de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nancy le 12 janvier 2012.
En l'espèce, le 3 mars 2011, Mme K. a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau d'Epinal d'une demande de taxation d'honoraires à l'encontre de la SCP C..
Celle-ci a assuré la défense des intérêts de Mme K. et ceux de son fils dans un litige devant le tribunal de grande instance, le 20 janvier 2006, puis devant la cour d'appel de Nancy, le 26 octobre 2009.
Mme K. a versé à la SCP C. la somme de 60 449,64 euros au moyen de quatre chèques calculée sur le montant des dommages et intérêts alloués par le TGI, selon jugement du 20 janvier 2006. Cette décision a été infirmée la cour d'appel de Nancy lui accordant une indemnisation moindre.
Dans la mesure où le Bâtonnier n'a pas statué dans le délai de quatre mois qui lui était imparti, conformément à l'article 175 du décret du 27 novembre 1991 et qu'aucune décision motivant la prorogation de ce délai n'a été prise, Mme K. a saisi le 25 juillet 2011 le premier président de la cour d'appel de Nancy.
En effet, selon l'alinéa 2 de l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, "lorsque le Bâtonnier n'a pas pris de décision dans les délais prévus à l'article 175, le premier président doit être saisi dans le mois qui suit".
Le Bâtonnier a finalement rendu sa décision le 7 septembre 2011 qui a été contestée par Mme K. le 30 septembre 2011.
Le premier président a examiné la demande formulée par Mme K., celle-ci reconnaissant devoir à la SCP C. la somme de 13 595,20 euros TTC au titre des honoraires de diligences.
Dans sa décision, celui-ci a apporté de nouveaux éléments sur la preuve de l'existence d'une convention entre les parties.
Ainsi, dans le cas d'espèce, n'apporte pas cette preuve :
- divers courriers auxquels Mme K. n'a pas répondu ;
- le paiement fractionné, par elle, d'une somme de 60 449,64 euros.
C'est dans ces conditions que le premier président de la cour d'appel de Nancy a ordonné la jonction des demandes formulées par Mme K. les 25 juillet et 30 septembre 2011, et taxer les honoraires dus par Mme K. à la SCP C. à la somme de 13 395,20 euros TTC.
Le remboursement des sommes versées par Mme K. pour le surplus a également été ordonné représentant la somme de 47 054,44 euros.
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par Justine Molinier - SGR droit social
Le 15 Mars 2012
Enfin, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 (loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 N° Lexbase : L4309IRZ) vient modifier le régime social applicable à ces sommes et avantages, versés aux salariés par des entreprises qui ne sont pas leur employeur (I), prévoyant un système, simplifié quant aux modalités d'assujettissement, et propre s'agissant des modalités de paiement et de déclaration (II).
I - Le principe du régime social des rémunérations allouées aux salariés par des tiers à l'employeur
L'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale définit le champ d'application du principe d'assujettissement à cotisations sociales de ces gratifications (A), distinguant selon le régime auquel appartient le travailleur (B). L'application de cet article emporte toute une série de conséquences qui vont modifier considérablement le régime social de ces sommes et avantages versés aux salariés par un tiers à l'employeur (C).
A - Le champ d'application du principe d'assujettissement à cotisations sociales de ces gratifications
Selon l'article L. 242-4-1 du Code de la Sécurité sociale, "toute somme ou avantage alloué à un salarié par une personne n'ayant pas la qualité d'employeur en contrepartie d'une activité accomplie dans l'intérêt de ladite personne est une rémunération assujettie aux cotisations de Sécurité sociale et aux contributions".
Un régime social spécifique a été mis en place, par la LFSS pour 2012, pour les salariés exerçant une activité commerciale ou en lien direct, avec la clientèle, pour laquelle il est d'usage qu'une personne tierce à l'employeur alloue des sommes ou avantages aux salariés, au titre de cette activité. Dans ce cas-là, les cotisations des assurances maladie et maternité, d'allocations familiales, d'assurance vieillesse et d'accidents du travail et les contributions sociales, dues sur ces rémunérations, sont acquittées sous la forme d'une contribution libératoire à la charge de la personne tierce. Ainsi, ces sommes et avantages sont, en principe, exonérés de cotisations et contributions sociales, pour chaque année, dans la limite de 15 % du montant du Smic mensuel (soit 209,76 euros en 2012). Par ailleurs, les gratifications supérieures à 0,15 fois le montant du Smic mensuel brut et inférieures ou égales à 1,5 fois ce montant font l'objet d'un prélèvement libératoire égal à 20 % du total de la gratification versée au salarié concerné.
La LFSS pour 2011 prévoyait donc un régime libératoire plus restrictif, en ce qu'il n'était applicable qu'aux gratifications inférieures ou égales à une fois le montant du Smic mensuel brut.
Toutefois, lorsque le tiers appartient au même groupe que l'employeur, au sens de l'article L. 2331-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9924H83), il ne peut s'acquitter de ses cotisations et contributions sociales par le versement de la contribution libératoire. Les gratifications versées aux salariés sont alors soumises aux cotisations et contributions de droit commun. De plus, l'assujettissement dans les conditions du droit commun suppose l'application des dispositions de l'article L. 242-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4951ADQ), relatives à la proratisation des cotisations en cas de pluralité d'employeurs. En effet, un salarié peut travailler régulièrement ou simultanément pour le compte de deux ou plusieurs employeurs. La part des cotisations incombant à chacun des employeurs est, dans ce cas, déterminée au prorata des rémunérations qu'ils ont respectivement versées aux salariés.
De même, il ne peut y avoir versement de la contribution libératoire, lorsque l'employeur et le tiers ont accompli des actes qui ont pour objet d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des cotisations et contributions sociales. Etant précisé que toute manoeuvre ayant pour objet de minorer le montant des cotisations sociales à payer sera susceptible d'un redressement, selon la procédure prévue à l'article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1943IEP). L'abus de droit entraînant l'application d'une pénalité égale à 20 % des cotisations et contributions dues.
B - La distinction faite selon la qualité du travailleur
L'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale ne trouve à s'appliquer que lorsque la personne à laquelle sont versés les sommes ou avantages par la personne tierce est, par ailleurs, salariée ou assimilée (sur le fondement de l'article L. 311-3 du Code de la Sécurité sociale), quel que soit le régime de Sécurité sociale auquel elle est affiliée.
A l'inverse, lorsque la personne recevant les sommes ou avantages de la personne tierce est un travailleur indépendant, elle continue à devoir déclarer, dans ses revenus, ces sommes selon le droit commun.
Dans l'hypothèse où un lien de subordination est établi entre la personne tierce et le salarié, ce sont les dispositions des articles L. 311-2 (N° Lexbase : L5024ADG) et L. 242-1 qui sont applicables. Par conséquent, ce ne sera plus à la personne tierce de cotiser pour les gratifications offertes au salarié, mais au salarié et à l'employeur d'être prélevés, de la part correspondante, pour les charges sociales de ce qui sera devenu des rémunérations.
Par ailleurs, en application de l'article R. 242-1, alinéa 8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6497ADY), si les gratifications versées aux salariés, par des tiers à l'employeur, ne prennent la forme que d'avantages en nature, aucune cotisation ni contribution salariale n'est alors due.
En outre, lorsque la personne tierce appartient au même groupe que l'employeur, elle ne peut s'acquitter de ses cotisations et contributions sociales par le versement de la contribution libératoire.
C - Les conséquences de l'application de l'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale
L'application de l'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale emporte trois conséquences essentielles. Tout d'abord, toutes les sommes ou avantages versés sont soumis aux cotisations et contributions du régime général de la Sécurité sociale, selon les règles applicables aux salaires et dans les conditions décrites par la circulaire du 9 novembre 2011. De plus, la personne tierce verse, à l'Urssaf ou la caisse générale de Sécurité sociale dont elle dépend, les cotisations et contributions dues au titre de ces sommes ou avantages. Si la personne tierce ne verse habituellement pas de cotisations ou contributions à l'Urssaf ou la caisse générale de Sécurité sociale, elle doit se signaler auprès de l'Urssaf ou de ladite caisse de son ressort géographique. Enfin, le salarié qui reçoit ces sommes ou avantages peut s'ouvrir, à ce titre, des droits à l'assurance vieillesse (CSS, art. L. 311-3, 31°).
Le fait que la personne tierce ne soit pas l'employeur, au sens du droit du travail, du salarié auquel elle verse des gratifications, a pour conséquence que ce dernier n'entre dans aucun dispositif de décompte des effectifs au sens du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale.
La circulaire du 9 novembre 2011 précise que l'intérêt du tiers peut être financier (hausse du chiffre d'affaires) ou non (développement de la renommée), mesurable ou pas. L'activité attendue peut donner lieu à des dispositions explicites (contrat, instructions, etc.) ou implicites du tiers à l'égard du salarié.
L'application de l'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale est indifférente à la réalisation effective ou non des objectifs, poursuivis par le tiers, lors du versement de gratifications. Que les résultats escomptés aient été obtenus, ou non, par le salarié, ne permettent pas à la personne tierce de se délier de son obligation de cotiser pour les gratifications qui ont été accordées.
En revanche, certains avantages ou sommes sont exclus du champ d'application de l'article L. 242-1-4 du code cité (1). En effet, les gratifications sont versées au salarié, par le tiers à l'employeur, en raison de l'exercice d'une activité commerciale (pouvant permettre au tiers de mieux commercialiser ses produits ou services) et non en raison du statut du travailleur. De ce fait, le versement d'avantages par un comité d'entreprise, comité de groupe ou un organisme à caractère social (fonds d'action sociale), l'octroi d'avantages tarifaires généraux négociés par l'employeur pour tous ses salariés quelle que soit leur forme, l'octroi d'avantages tarifaires généraux sur des biens ou services produits au sein du groupe à des salariés d'entreprises appartenant à ce groupe, la participation à un programme de fidélisation libellés en points accordé de manière générale à l'ensemble des clients ou usagers du tiers et non spécifiquement ciblés sur des salariés susceptibles d'être prescripteurs des produits ou services de ce tiers, ne bénéficient pas des dispositions de l'article L. 242-1-4. Il s'agira alors de rémunérations, pour lesquelles le salarié et l'employeur, selon l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, devront cotiser.
Sont également exclus, l'octroi de sommes ou avantages qui, s'ils avaient été versés par l'employeur direct, auraient été qualifiés de frais professionnels ou de frais d'entreprise (2). Il s'agit, notamment, des voyages de formation s'ils sont effectués aux frais du tiers avec l'accord de l'employeur sur le temps de travail du salarié et sans que ce dernier ne soit accompagné de membres de sa famille ou personnes de son choix. La prise en charge par la personne tierce des frais de participation aux réunions est également concernée, si les objectifs sont l'information et l'animation de réseaux de vente ou de prescripteurs. Cette participation doit également s'effectuer avec l'accord de l'employeur sur le temps de travail du salarié et sans que celui-ci ne soit accompagné, aux frais du tiers, de membres de sa famille ou personnes de son choix. La fourniture d'échantillons de produits de parfumerie ou cosmétique dans le but de tester les produits est également exclue du champ d'application de l'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale (3).
L'octroi de sommes ou avantages à un salarié par la personne tierce n'ouvre pas droit au bénéfice de dispositifs d'exonérations, abattements d'assiette ou réduction de taux. Ainsi, le bénéfice par la personne tierce des allègements généraux de cotisations pour ses propres salariés n'entraîne pas l'application de cette exonération aux sommes ou avantages versées au salarié d'un autre employeur. De même, si un employeur bénéficie au titre de la rémunération versée à ses salariés de l'allègement général de cotisations, cela n'ouvre pas droit, pour le tiers, à l'application de cette exonération au titre des sommes ou avantages versés à ce salarié.
Ce régime spécifique met également en place des modalités particulières concernant l'assujettissement aux cotisations sociales pour les sommes versées aux salariés par des tiers à l'employeur.
II - Les modalités applicables au régime social des gratifications versées aux salariés par des tiers à l'employeur
La circulaire du 9 novembre 2011 introduit de nouvelles modalités pour l'assujettissement de la contribution libératoire (A), ainsi que pour la déclaration et le paiement des cotisations et contributions (B).
A - Les conditions d'assujettissement de la contribution libératoire
La circulaire du 9 novembre 2011 rappelle que l'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale prévoit des modalités simplifiées particulières d'assujettissement de la personne tierce au titre des sommes ou avantages qu'elle verse. En effet, quels que soient les modalités d'assujettissement, les sommes ou avantages versés sont considérés correspondre à une rémunération brute.
Elle précise qu'est considéré comme relevant du secteur commercial, le salarié dont l'activité habituelle est de faire des actes de commerce au nom et pour le compte d'un employeur. Il n'est donc pas nécessaire que son contrat de travail le qualifie expressément de commercial. Ainsi, le lien direct peut être dématérialisé, notamment s'agissant de personnels de télémarketing.
La circulaire donne également une liste exhaustive des secteurs réputés respecter les critères de commercialité. Il s'agit du personnel de vente du secteur des cosmétiques, parfumerie, parapharmacie, du personnel de vente du secteur de la distribution, spécialisé ou non, et des grands magasins, des portiers d'hôtel, des employés du secteur bancaire en lien direct avec la clientèle, du personnel de vente des concessionnaires. Sont également concernés les salariés auxquels sont octroyés des avantages sous forme de titres-cadeau (chèques cadeau, cartes cadeau, coffrets cadeau, accès à un catalogue cadeau, le cas échéant dématérialisés, etc.), fournis par des tiers approvisionnés auprès de sociétés spécialisées dans l'émission de ces titres-cadeau dans le cadre d'opérations de stimulation ou de promotion des ventes, quelle que soit la nature de l'activité et des salariés plaçant des financements en support à la vente des produits et services proposés par leur employeur.
Pour les salariés relevant d'autres secteurs, dont la circulaire estime qu'il serait d'usage qu'ils perçoivent des sommes ou avantages de la part de tiers, l'entreprise tierce est invitée à se rapprocher de l'Urssaf ou de la caisse générale de Sécurité sociale, dont elle dépend, pour l'interroger sur l'application éventuelle de la contribution libératoire. Ces informations pourront être fournies par l'Urssaf selon des modalités similaires à celles relatives au rescrit social, visé à l'article L. 243-6-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1911IEI), lorsque le tiers en fait la demande.
Cependant, il peut arriver que ces sommes et avantages, octroyés par un tiers, à une équipe de salariés, qui concernent à la fois des salariés entrant dans le champ de la contribution libératoire et d'autres salariés. La circulaire a alors convenu, dans un souci de simplification, de faire entrer dans le champ de la contribution libératoire de 20 %, les gratifications versées à l'ensemble des personnes participant à cette opération. L'opération doit, néanmoins, avoir un cadre formalisé (les règles sont écrites et diffusées aux intéressés), et la part des salariés n'entrant pas dans le champ de la contribution libératoire doit être minoritaire.
La contribution libératoire est une contribution proportionnelle globale, uniquement à la charge du tiers. Cette contribution est exclusive de tout autre versement, notamment de cotisations salariales de Sécurité sociale. Les autres cotisations, d'origine légale ou conventionnelles, rendues obligatoires par la loi ne sont donc pas dues.
Elle est due par la personne tierce en tenant compte du montant des avantages et sommes qu'elle a versés au cours de l'année civile considérée à un salarié donné. Son assiette est égale à la part des sommes et avantages comprise entre 15 % et 100 % de la valeur du salaire minimum interprofessionnel de croissance brut calculée pour un mois (Smic mensuel) sur la base de la durée légale du travail et pour sa valeur en vigueur au 1er janvier de l'année de versement de l'avantage (soit 151,67 x le taux horaire du Smic).
S'agissant des salariés auxquels sont octroyés, à titre exclusif, des avantages sous forme de titres-cadeau, à titre de tolérance et par souci de simplification, ce plafond est réputé respecté et le tiers est dispensé de calculer le montant cumulé sur l'année des sommes ou avantages versés, lorsque ces derniers sont attribués sous forme de titres cadeau d'une valeur n'excédant pas 70 % de la valeur du Smic mensuel brut par salarié par opération.
Dans ce cas, la contribution libératoire s'applique sur la part supérieure à 10 % de la valeur du Smic mensuel brut par salarié et par opération. Lorsqu'il apparaît que l'octroi de ces avantages a été artificiellement fractionné dans le but exclusif d'éluder ou d'atténuer les contributions et cotisations sociales, une telle pratique pourra faire l'objet d'un redressement sur le fondement de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1943IEP). L'abus de droit sera notamment présumé constitué dès lors qu'un tiers fera bénéficier, un même salarié, de titres cadeau à partir de cinq opérations dans l'année.
B - L'exigence des formes de déclaration et de paiement des cotisations et contributions
Dans tous les cas, il appartient à celui qui verse les sommes ou avantages de déclarer et payer les cotisations et contributions dues sur ces sommes ou avantages, sauf accord écrit et préalable avec l'employeur, qui devra être tenu à disposition de l'Urssaf. Sauf dans ce dernier cas, c'est donc le tiers qui aura à s'acquitter de la déclaration et du paiement des cotisations et contributions dues, ou le cas échéant, de la contribution forfaitaire, auprès de l'Urssaf ou de la caisse générale de Sécurité sociale dont il dépend.
Concernant les modalités de déclaration et de paiement propre à la contribution libératoire, la contribution libératoire due au titre des sommes ou avantages, prévus dans le cadre de la circulaire du 9 novembre 2011, est déclarée et payée par le tiers, au choix de ce dernier, soit à l'issue de chaque opération, avec les cotisations et contributions dues pour ses salariés, soit une fois par an. En tout état de cause, la déclaration et le paiement doivent intervenir avant la fin du premier trimestre de l'année qui suit celle du versement des sommes ou avantages. Des modalités simplifiées de remplissage par la personne tierce de la déclaration annuelle des données sociales seront communiquées ultérieurement afin de ne recueillir que les éléments strictement nécessaires.
Les éléments nécessaires à la déclaration et au paiement des cotisations et contributions ainsi qu'au remplissage de la déclaration annuelle des données sociales et du bordereau récapitulatif des cotisations, notamment les éléments permettant de les identifier (nom, prénom, numéro de sécurité sociale, adresse, date et lieu de naissance,...) sont recueillis par la personne tierce auprès des bénéficiaires.
La personne tierce communique à chacun des salariés concernés l'information relative aux sommes ou avantages versés ainsi que le montant des cotisations et contributions dues. Cette communication peut notamment prendre la forme d'une notification adressée lors de la remise de l'avantage ou consister en la signature d'une feuille d'émargement par le salarié.
Cette transmission s'opère, au plus tard, au choix de la personne tierce, le premier jour du mois qui suit l'allocation des sommes et avantages ou le 30 juin de l'année civile qui suit celle de cette allocation. La preuve de cette information doit pouvoir être fournie par le tiers aux organismes de recouvrement.
Conformément au décret du 25 octobre 2011, relatif aux obligations déclaratives de la personne tierce à l'employeur mentionnée à l'article L. 242-1-4 du Code de la Sécurité sociale, une copie de ce document, quel que soit sa forme, sera adressée à l'employeur. Et dans l'éventualité d'un contrôle, le tiers devra tenir à disposition des agents de contrôle un récapitulatif de ces gratifications, ainsi que des éléments d'identification des salariés.
Concernant les modalités de déclaration et de paiement des cotisations et contributions dans les conditions de droit commun, les cotisations dues au titre des sommes ou avantages prévus dans le cadre de la circulaire du 9 novembre 2011 sont déclarées et payées par le tiers selon les mêmes modalités (aux mêmes dates, selon la même périodicité et au même organisme de recouvrement) que les cotisations versées par celui-ci pour son propre personnel. Lorsque le personnel du tiers relève d'un régime autre que le régime général, les cotisations dues au titre des gratifications doivent être versées auprès de l'Urssaf ou de la caisse générale de Sécurité sociale territorialement compétente selon la périodicité trimestrielle prévue au 1° du II de l'article R. 243-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4910HZU).
L'obligation d'information de l'Urssaf, par la personne tierce, sur les sommes ou avantages versés aux salariés a donc été supprimée. La personne tierce reste toutefois tenue de délivrer à l'employeur une information sur les sommes ou avantages versés à son salarié.
(1) Circ. DSS n° 2011/415 du 9 novembre 2011, relative aux rémunérations allouées aux salariés par une personne tierce à l'employeur (N° Lexbase : L2575IRS).
(2) Au sens de la circulaire DSS, n° 2003/07, 7 janvier 2003, relative à la mise en oeuvre de l'arrêté du 10 décembre 2002 (N° Lexbase : L9385A84) relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de Sécurité sociale et de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale (N° Lexbase : L0419A9E).
(3) Circ. DSS n° 2011/415, 9 novembre 2011 préc..
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
Le 15 Mars 2012
Voici quelques mois, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé, au regard de l'autorité de la chose jugée, l'effet attaché à l'admission définitive d'une créance au passif sur sa nature antérieure ou postérieure (1). Plus récemment, par arrêt du 7 février 2012, les Hauts magistrats se sont penchés sur une question voisine tout aussi intéressante : celle de l'autorité -ou non- de chose jugée de la décision rejetant la demande en relevé de forclusion sur la nature des créances concernées.
Les faits de l'espèce, soumis à la législation du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 N° Lexbase : L4126BMR), étaient les suivants : en 2001, la société M. avait donné en location une machine à la société OIE. En décembre 2002, la première fut mise en liquidation judiciaire tandis que la seconde devait, près de trois ans plus tard, être placée en redressement judiciaire.
De nombreux loyers n'ayant pas été réglés par le locataire, le liquidateur judiciaire du loueur avait déclaré au passif de la société OIE une créance portant sur les loyers d'août 2002 à juillet 2009. Eu égard à sa tardiveté, cette déclaration fut rejetée sans que le liquidateur de la société M. ne parvienne, ès qualité, à être relevé de la forclusion encourue. Prenant conscience du fait que les loyers postérieurs au redressement n'étaient en réalité pas soumis à déclaration au passif mais qu'ils auraient dû être réglés en leur qualité de créances postérieures, le liquidateur judiciaire de la société M. avait alors assigné la société OIE en paiement des loyers postérieurs et obtenu sa condamnation par les juges du fond. Par l'arrêt rapporté, rendu le 7 février 2012, la Chambre commerciale rejette le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt d'appel (CA Poitiers, ch. com., éco. et fin., 21 janvier 2010) et considère que c'est à bon droit que le juge du fond a retenu "que la décision rejetant la demande de relevé de forclusion de la déclaration de créances formées par [le liquidateur de la société M. ès qualité] pour des loyers tant antérieurs que postérieurs au jugement d'ouverture, n'a pas autorité de chose jugée quant à la nature de ces créances".
Cette décision doit être totalement approuvée dans la mesure où elle respecte parfaitement le domaine de l'autorité de la chose jugée.
L'autorité de la chose jugée, conçue par le Code civil comme une présomption légale irréfragable de vérité attachée au jugement (C. civ., art. 1350 N° Lexbase : L1459ABN), trouve son domaine précisé par l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP). Aux termes de ce texte, "l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement". Toutes les énonciations du jugement ne sont donc pas revêtues de l'autorité de la chose jugée car, par principe, seuls les points effectivement tranchés dans le dispositif disposent de cette force (2). Il a cependant été admis en jurisprudence que certaines questions puissent avoir été tranchées avec autorité de chose jugée de façon implicite ou virtuelle (3). Ainsi, l'autorité de la chose jugée doit être attachée également aux questions implicitement contenues dans le dispositif, que le juge a dû obligatoirement trancher pour prendre sa décision, parce qu'elles constituent les antécédents nécessaires de cette décision. Ces questions ne pourraient être remises en cause sans que la décision soit privée de tout fondement logique. Ainsi, pour éviter la déstabilisante remise en question de ces éléments, leur est conférée l'autorité de chose jugée.
Ces principes procéduraux ont été parfaitement appliqués par la Chambre commerciale invitée à statuer sur l'autorité de chose jugée de la décision statuant sur le relevé de forclusion dans l'espèce présentement rapportée, ou sur l'admission de la créance (4), sur la nature antérieure ou postérieure de la créance.
Le jugement qui statue sur la demande de relevé de forclusion a pour objet de déterminer si, au regard des faits de l'espèce, le créancier retardataire dont la demande est recevable se trouve dans un des cas de figure, précisés par le texte (5), lui permettant d'être relevé de la forclusion. Dans l'affirmative, le créancier est relevé de la forclusion encourue, ce qui l'autorise, alors, à déclarer sa créance en dehors du délai classique de déclaration (6). Il y a ensuite lieu à vérification des créances, et c'est dans ce cadre seulement que pourra s'élever une discussion sur la nature antérieure ou postérieure de la créance. La décision statuant sur le relevé de forclusion ne statue pas implicitement sur la nature de la créance, de sorte qu'elle n'a pas autorité de chose jugée sur ce point. Cette solution est identiquement applicable que la décision rejette -comme en l'espèce rapportée- ou, au contraire, accueille favorablement la demande de relevé de forclusion.
Il faut cependant réserver l'hypothèse dans laquelle le juge-commissaire relèverait le créancier de la forclusion après dépôt de la liste des créances par le mandataire judiciaire. En effet, en ce cas, le juge-commissaire statue également sur la créance dans les conditions de l'article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3758HBS). Cette décision, dont le dispositif porterait à la fois sur le relevé de forclusion et l'admission de la créance aurait alors nécessairement autorité de chose jugée sur la nature antérieure de la créance admise.
Cela s'explique par le fait que le constat de la nature antérieure de la créance constitue alors un antécédent nécessaire de la décision d'admission au passif. Puisque le juge a dû obligatoirement -même si ce n'est qu'implicitement- trancher cette question pour prendre sa décision, la nature de la créance est revêtue de l'autorité de chose jugée. C'est la raison pour laquelle, un créancier ne peut pas prétendre être titulaire d'une créance postérieure alors qu'il a déclaré cette créance puis a été admis au passif du débiteur sous procédure collective (7).
En définitive, si le créancier qui a déclaré une créance au passif ne peut plus réclamer le paiement d'une créance postérieure, du fait de l'admission de celle-ci au passif, il en va différemment du créancier qui a sollicité un relevé de forclusion.
Une autre question mérite d'être soulignée : le créancier postérieur non réglé à l'échéance peut-il assigner en paiement le débiteur sans, au préalable, avoir effectué une démarche aux fins de figurer sur une liste de créanciers postérieurs ? On sait que, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 applicable aux faits de l'espèce, avait été instaurée une liste des créances postérieures (8) sans qu'une sanction ait été posée au défaut d'établissement de la liste. Le droit de poursuite du créancier ne pouvait donc pas dépendre de sa mention ou non sur la liste, ni même de l'existence de cette liste. En l'espèce, c'est donc à juste titre que le débiteur a été condamné à payer le créancier postérieur alors même que celui-ci ne figurait, semble-t-il, sur aucune liste de créanciers postérieurs.
La solution aurait-elle été la même sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises ? Dans le cadre de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, les créanciers titulaires du privilège des créances postérieures doivent porter leurs créances à la connaissance "du mandataire judiciaire et de l'administrateur ou, lorsque ces organes ont cessé leurs fonctions, du commissaire à l'exécution du plan [...] dans le délai d'un an à compter de la fin de la période d'observation" (C. com., art. L. 622-17, IV N° Lexbase : L3493ICD). Dans le cadre de la liquidation judiciaire, le créancier doit porter son privilège à la connaissance des organes de la procédure dans un délai de six mois à compter de la publication du jugement prononçant la liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-13, IV N° Lexbase : L3405IC4). Cependant, il ne s'agit pas ici d'une obligation de déclaration comparable à celle des créances antérieures car la seule sanction attachée au fait de ne pas porter les créances postérieures privilégiées à la connaissance des organes résulte de l'impossibilité pour le créancier de conserver son privilège de créancier postérieur conféré par les articles L. 622-17, IV (article de la sauvegarde applicable en redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14, al. 1er N° Lexbase : L2453IEL) et L. 641-13, IV (en liquidation judiciaire). Il s'agit là d'une péremption du privilège sans que le créancier postérieur soit, pour autant, assimilé à un créancier antérieur (9). Le créancier demeure un créancier postérieur mais sans privilège. Il n'en reste pas moins qu'en tant que créancier postérieur éligible au traitement préférentiel, il doit être maintenu dans son droit d'être payé à l'échéance (10) et, par voie de conséquence, dans celui d'exercer des actions en paiement de sa créance.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
Les approximations dans les décisions d'admission de créances émanant du juge-commissaire sont fréquentes. L'une des difficultés essentielles, en la matière, tient à l'absence d'indication, dans la décision du juge-commissaire, de l'admission des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, au titre d'un contrat de prêt d'un an ou plus, ou au titre d'un contrat prévoyant un paiement différé d'un an ou plus.
Quelle démarche procédurale doit employer le créancier en ce cas ? C'est la première question à laquelle répond la Cour de cassation, dans l'arrêt de sa Chambre commerciale du 21 février 2012, appelé à la publication au Bulletin.
En l'espèce, le créancier, prêteur à plus d'un an, avait été admis au passif, sans qu'il soit fait réserve de la continuation du cours des intérêts. Estimant que le juge-commissaire n'avait pas épuisé sa saisine, il l'avait à nouveau saisi, pour qu'il rende une décision complémentaire d'admission de la créance d'intérêts dont le cours n'était pas arrêté, emportant modification de l'état des créances. Cela était-il possible ?
Non, a répondu la cour d'appel (CA Grenoble, ch. com., 23 septembre 2010, n° 09/00522 N° Lexbase : A3010GAQ). La Cour de cassation a confirmé l'analyse, de manière extrêmement pédagogique, en envisageant deux hypothèses.
Dans un premier cas de figure, le juge-commissaire complète l'état des créances, par une décision autonome, lorsqu'il ne s'est pas déjà prononcé sur la créance déclarée. En ce cas, effectivement, le juge-commissaire n'a pas épuisé sa saisine. Il doit, même s'il a déjà statué sur toutes les autres créances, et même si l'état des créances a déjà été déposé au greffe, rendre une décision par laquelle il statue sur la créance déclarée. En l'espèce, cette démarche ne pouvait prospérer, dans la mesure où le juge-commissaire avait déjà statué sur la créance déclarée.
Dans un second cas de figure, qui est celui de l'espèce, le juge-commissaire a statué sur la créance déclarée, par une précédente décision, mais soit il s'est trompé matériellement, soit il a oublié de statuer sur un chef de demande.
S'il a commis une erreur purement matérielle, le créancier peut la faire réparer par la technique de la requête en rectification d'erreur matérielle, démarche procédurale qui n'est enfermée dans aucun délai.
Si le juge-commissaire a omis de statuer sur un chef de demande, ce qui était le cas en l'espèce au regard des intérêts dont le cours n'avait pas été arrêté, le créancier doit le saisir à nouveau, par la voix de la requête en omission de statuer. Cette voie procédurale est enfermée dans le délai d'un an, qui court à compter du passage en force de chose jugée de la décision, ainsi que le prévoit l'article 463 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6574H7M).
Ce n'est pas la démarche qu'avait empruntée le créancier, de sorte que sa saisine du juge-commissaire aux fins de compléter l'état des créances n'aurait pas dû être jugée recevable. Mais, ni le débiteur, ni le liquidateur ne s'y étaient opposé. Observons qu'il n'y aurait pas davantage eu place, en ce cas, pour une rectification d'erreur matérielle (11).
La difficulté de l'espèce tenait à l'existence d'une caution, que le créancier entendait actionner. La caution, qui n'est pas une partie à la décision d'admission de la créance, ne peut faire appel. Mais, personne intéressée par la décision d'admission, elle dispose d'une voie de recours particulière, la réclamation à l'état des créances, qui est une variété de tierce-opposition.
La caution entendait en conséquence contester, par le biais de la réclamation à l'état des créances, la décision rendue par le juge-commissaire, et qui figurait sur l'état des créances complémentaire, par laquelle il avait, de façon autonome, statué sur la créance d'intérêts dont le cours n'avait pas été arrêté.
Deux difficultés se présentaient.
La première tenait au fait que la caution avait formalisé sa réclamation à l'état des créances, avant l'avis d'insertion au Bodacc du dépôt complémentaire de l'état des créances. Le pouvait-elle ?
Sous l'empire de la législation de 1985, applicable aux faits de l'espèce, l'article 83 du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5379A4Y) nonce que "le délai pour former réclamation est de 15 jours à compter de cette publication" au Bodacc, l'insertion devant préciser ce délai. Indiquons au passage que, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, l'article R. 624-8, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L0908HZN, anciennement, décret du 28 décembre 2005, art. 109, al. 4 N° Lexbase : L3297HET), texte de la sauvegarde applicable en redressement judiciaire (C. com., art. R. 631-29, al. 1er N° Lexbase : L1012HZI, anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 197, al. 1er) et en liquidation judiciaire (C. com., art. R. 641-28 N° Lexbase : L1056HZ7, anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 239), qui conserve le point de départ du délai, l'allonge pour le porter à un mois. Ainsi, les observations qui suivent seront encore valables, sous l'empire du droit positif.
La jurisprudence, sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 N° Lexbase : L7803GT8) (12), avait décidé que la réclamation ne pouvait être déclarée au greffe avant la publication au Bodacc.
Cette solution était inopportune car, dès lors que la personne intéressée avait connaissance du dépôt de l'état des créances au greffe, elle devait pouvoir former sa voie de recours. Aussi avions nous approuvé (13) les juges du fond de statuer en ce sens (14), sauf à contraindre l'intéressé à surveiller en permanence les publications au Bodacc.
La Cour de cassation, saisie de la difficulté, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, considère identiquement recevable la réclamation introduite avant la publication au Bodacc du dépôt au greffe de l'état des créances, et, plus précisément, en l'espèce, avant avis d'insertion au Bodacc de l'avis de dépôt de l'état des créances complémentaire.
La seconde difficulté tenait à la portée de la réclamation de l'état des créances. La caution pouvait-elle contester, par cette voie de recours, l'irrégularité tenant à la saisine du juge-commissaire tendant à ce qu'il rende une décision complémentaire, en lieu et place d'une ordonnance de mission de statuer, enfermée dans un délai ?
Oui, répondent à la question la cour d'appel, puis la Cour de cassation.
Par le mécanisme de la réclamation à l'état des créances, qui, rappelons-le, est une variété de tierce-opposition, le réclamant peut discuter de l'existence de la créance, du montant des sommes dues ou de la nature privilégiée ou chirographaire de la créance (15). Il peut, par ce biais, faire écarter de l'admission de la créance, les intérêts dont le cours n'avaient pas été réservés dans l'admission au passif et qui avaient été ensuite admis par la voie d'une rectification d'erreur matérielle, alors que seule la voie de la requête en omission de statuer était recevable (16). Cette dernière solution est très proche de celle qui nous occupe. Il n'est dès lors pas étonnant que le réclamant ait pu faire écarter de l'admission de la créance, les intérêts dont le cours n'avaient pas été réservés dans l'admission au passif et qui avaient été ensuite admis par une décision complémentaire du juge-commissaire, alors que seule une requête en omission de statuer était recevable.
Le créancier prêtera donc attention, lorsqu'il aura déclaré au passif une créance d'intérêts dont le cours n'aura pas été arrêté, à la décision d'admission du juge-commissaire, qui devra impérativement mentionner ces intérêts, dont le cours n'aura pas été arrêté.
Si la décision du juge-commissaire est incomplète, il sait désormais, de la manière la plus nette, qu'il ne dispose que d'une possibilité : la requête en omission de statuer, enfermée dans l'année du passage en force de chose jugée de la décision d'admission.
Lui sont fermées, pour obtenir l'admission au passif de sa créance d'intérêts, non seulement la voie de la saisine du juge-commissaire en rectification d'erreur matérielle, mais encore la technique consistant à demander au juge-commissaire qu'il statue par décision autonome.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
(1) Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-18.031, F-P+B (N° Lexbase : A2481HQX), D., 2011, AJ 1279, obs. A. Lienhard ; D., 2011, pan. 2077, note P.-M. Le Corre ; Gaz. pal., 9 juillet 2011, n° 189, p. 12, nos obs. ; JCP éd. E, 2011, 1596, n° 7 et 8, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2011/10, comm. 148, note L. Fin-Langer ; BJE septembre/octobre 2011, comm. 127, p. 250, note S. Benilsi ; P.-M. Le Corre. Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté, Lexbase Hebdo n° 251 du 19 mai 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N2759BSY)
(2) V. sur cette question N. Fricero, Droit et pratique de la procédure civile, sous la direction de S. Guinchard, Dalloz action, 2009/2010, n° 421.40 et s..
(3) V. N. Fricero, préc., n° 421.71 et les réf cit..
(4) Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-18.031, préc..
(5) Cf. C. com., art. L. 621-46, anc. (N° Lexbase : L6898AIC) et L. 622-26 (N° Lexbase : L2534IEL) : la défaillance du créancier à déclarer dans les délais ne doit pas être due à son fait ou, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, elle fait suite à une omission volontaire de la part du débiteur de faire figurer le créancier sur la liste de ses créanciers remise au mandataire.
(6) Sur le délai dans lequel est enfermée cette déclaration, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2012/2013, n° 665.57.
(7) Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-18.031, préc.
(8) Décret n° du 27 décembre 1985, art 62-1 (N° Lexbase : L5353A4Z), issu du décret n° 98-1232 du 29 décembre 1998 (N° Lexbase : L9400A8N).
(9) Cette assimilation frappe, en revanche, le créancier postérieur non visé aux articles L. 622-17, I et L. 641-13 I, c'est-à-dire le créancier postérieur non éligible au traitement préférentiel.
(10) En ce sens : F. Pérochon, Les créanciers postérieurs et la réforme du 26 juillet 2005, Gaz. proc. coll., 2005, n° sp., 7-8 septembre 2005, p. 57, sp. p. 68, n° 62 ; P.-M. Le Corre, Dalloz action, préc., n° 456.19 ; A. Jacquemont, Procédures collectives, 7ème éd., Litec, n° 445 ; adde, G. Jazottes, Les innovations des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, Rev. proc. coll., 2005/4, p. 358 et s., sp. p. 362 ; Ph. Froehlich et M. Sénéchal, Du jugement de liquidation judiciaire, LPA n° sp., 9 février 2006, n° 29, p. 8 et s., sp. p. 19 ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 6ème éd., n° 610 ; Ph. Pétel, Procédures collectives, Dalloz, 6ème éd., n° 222.
(11) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 31 mars 2006, n° 04/12251 (N° Lexbase : A2598DQB).
(12) Cass. com., 29 janvier 1980, n° 78-14.663, publié ([LXB=PANIER]) ; D., 1981., IR 4, obs. crit. Derrida.
(13) Nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 6ème éd., 2012/2013, n° 683.23.
(14) CA Rennes, 2ème ch. com., 12 avril 2000, n° 99/01360 (N° Lexbase : A0275A7C), BICC 15 janvier 2001, no 72 ; CA Paris, 30 octobre 2008, n° 08/02182 (N° Lexbase : A6211EBN).
(15) Com. 16 juin 2004, n° 02-18.470, F-D (N° Lexbase : A7358DCI) ; Cass. com., 16 juin 2004, n° 02-18.472, F-D (N° Lexbase : A7358DCI).
(16) CA Paris, 3ème ch., sect., B, 31 mars 2006, n° 04/12251, préc..
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par Simon Ginesty, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine
Le 27 Février 2013
De nombreux facteurs peuvent expliquer ce phénomène : la recherche d'une expérience étrangère, la proximité de la France, la langue, mais aussi peut être tout simplement la curiosité d'une autre culture.
La fiscalité en fait-elle partie ?
- Assurément non, si l'on se fie au taux marginal de l'impôt sur le revenu : 50 %, soit 9 points de plus que le taux français.
- Oui, si l'on en croit le nombre important de milliardaires venus poser leurs bagages dans le très chic quartier de Kensington.
Cet apparent antagonisme ne résiste pourtant pas à un examen plus approfondi de la législation locale. En effet, si la Grande-Bretagne s'avère, dans l'ensemble, loin d'être un paradis fiscal, il existe néanmoins quelques "niches" permettant à certains contribuables de s'exonérer, en tout ou partie, d'impôt sur le revenu.
L'actualité 2012 plaçant ce pays sous les feux des projecteurs (6), l'occasion nous est ainsi donnée de faire un rapide tour d'horizon de la fiscalité patrimoniale des deux cotés de la Manche et de (re)découvrir, face à la pression fiscale en vigueur en France, les charmes du parapluie britannique.
I - Une pression fiscale française accrue sur les revenus du capital
Après plusieurs années d'accalmie, voire de répit, la fiscalité patrimoniale se trouve aujourd'hui dans le collimateur du législateur. Symbole de ce retournement de tendance, le bouclier fiscal, qui soufflera cette année sa cinquième et dernière bougie. Sans entrer dans la liste des mesures adoptées, ce que Prévert n'aurait pas renié (7), voici un rapide tour d'horizon des principales réformes, étant souligné que les droits d'enregistrement frappant les transmissions (donations et successions) ont été, pour l'heure, remarquablement épargnés.
1 - Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus
Une contribution "exceptionnelle" (8) sur les hauts revenus a été adoptée par le législateur dans le cadre de la loi de finances pour 2012. Son montant a été fixé à :
- 3 % pour la fraction comprise entre 250 000 euros et 500 000 euros pour les contribuables célibataires, veufs, séparés ou divorcés (ce montant est doublé pour les contribuables imposés communément) ;
- 4 % pour la fraction supérieure à 500 000 euros pour les célibataires et assimilés (ce montant est doublé pour les contribuables mariés).
Applicable aux revenus 2011, cette contribution ne constitue pas une nouvelle tranche de l'impôt sur le revenu puisqu'elle est assise sur le revenu fiscal de référence (CGI, article 1417, IV N° Lexbase : L5275IRS (9)). Ce dernier, beaucoup plus large, est calculé en tenant compte notamment des plus-values soumises à un taux proportionnel, mais aussi des sommes ou versements soumis au prélèvement libératoire, ou encore les revenus ou profits exonérés d'impôt sur le revenu.
Il est, par ailleurs, intéressant d'observer que l'application du quotient familial a été expressément exclue pour le calcul de cette contribution, seul un dispositif spécifique ayant été prévu pour lisser les revenus exceptionnels.
2 - Plafonnement global des avantages fiscaux
Le Gouvernement a également décidé une déduction supplémentaire de 15 % de l'avantage en impôt procuré pour les dispositifs de réductions ou crédits d'impôt compris dans le champ du plafonnement global (CGI, art. 200-0 A N° Lexbase : L5282IR3). Parallèlement, le plafonnement global de certains avantages fiscaux a été renforcé, le plafond étant désormais fixé à 18 000 euros et 4 % du revenu imposable (au lieu de 18 000 euros + 6 % pour 2011). Ce nouveau plafond concerne les avantages accordés pour des dépenses payées et des investissements réalisés à compter du 1er janvier 2012 ou des aides accordées à compter de cette date. Des mesures transitoires ont toutefois été prévues pour certains investissements (location meublée non-professionnelle, "Scellier" et investissement outre-mer, notamment).
3 - Prélèvements libératoires
Non content d'inclure les revenus soumis aux prélèvements libératoires au nouveau prélèvement exceptionnel, le législateur a également décidé de relever assez significativement les taux eux-mêmes. Ils sont désormais fixés à :
- 21 % pour les dividendes perçus par les résidents fiscaux français (soit, en incluant les prélèvements sociaux, un taux global de 34,5 % (10)).
- 30 % pour les dividendes perçus par les non-résidents (taux de droit commun (11)).
- 24 % pour les produits de placement à revenu fixe (soit 37,5 % avec les prélèvements sociaux)
4 - Plus-values
S'agissant des plus-values, là encore, le législateur a sensiblement modifié les règles du jeu, dans un sens très largement défavorable aux contribuables.
Pour les plus-values mobilières d'abord, puisque l'abattement pour durée de détention a été supprimé, ou tout du moins fortement remanié. Voici donc une mesure abandonnée avant même sa mise en oeuvre effective, puisque celle-ci était censée s'appliquer, sauf rares exceptions, à partir de 2012 (12). On rappellera simplement que cette mesure prévoyait l'application, aux gains nets de cession à titre onéreux de titres, d'un abattement d'un tiers par année de détention révolue au-delà de la cinquième (conduisant, mécaniquement, à une exonération totale au-delà de 8 ans).
En lieu et place, le Gouvernement a introduit un nouveau mécanisme de report/exonération des plus-values sous condition de remploi, dont le bénéfice est subordonné, entre autres, au respect des conditions suivantes :
- le cédant doit avoir détenu (directement, indirectement ou par l'intermédiaire de certains membres de sa famille) au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres sont cédés, pendant les huit années précédant la cession ;
- il doit réinvestir au moins 80 % du montant des plus-values, dans un délai de 36 mois, dans la souscription au capital initial ou dans l'augmentation de capital d'une société exerçant une activité professionnelle, l'apport devant représenter au moins 5 % du capital de celle-ci ;
- il ne doit pas avoir été associé de cette société avant l'opération d'apport, ni y exercer de fonction de direction.
Après cinq ans de détention des titres ainsi acquis, et si l'ensemble des conditions demeurent satisfaites, la plus-value bénéficiant du sursis serait alors définitivement exonérée. Autrement dit, ce régime s'adressera à un nombre relativement restreint de contribuables.
Pour les plus-values immobilières ensuite, avec un allongement de l'exonération totale des plus-values réalisées, désormais portée à 30 ans au lieu de 15. Entrée en vigueur au 1er février 2012, cette mesure ne concerne que la cession d'une résidence autre que la résidence principale (une exonération est toutefois possible dans l'hypothèse où le contribuable réinvestit les sommes issues d'une cession d'un bien immobilier dans l'acquisition de sa résidence principale).
5 - ISF et bouclier fiscal
L'impôt de solidarité sur la fortune a subi un lifting important au printemps dernier. Applicable pour la première fois en 2012, cet impôt ne comporte plus que trois tranches d'imposition (au lieu de sept précédemment), à savoir :
- 0 % pour les patrimoines nets taxables compris entre 0 et 1 299 999 euros ;
- 0,25 % pour les patrimoines nets taxables compris entre 1 300 000 et 3 000 000 d'euros ;
- 0,50 % pour les patrimoines nets taxables supérieurs à 3 000 000 d'euros.
Par ailleurs, cette réforme s'accompagne d'une simplification bienvenue des obligations déclaratives pour les patrimoines inférieurs à 3 millions d'euros, puisque le contribuable sera invité à déclarer le montant de son patrimoine imposable au 1er janvier, directement sur sa déclaration des revenus, l'impôt correspondant étant recouvré par voie de rôle (le contribuable aura également la possibilité d'opter pour un prélèvement mensuel).
Contrepartie de cette mesure, le bouclier fiscal, qui avait fait son apparition en 2007, disparaît. L'année 2012 constituera donc la dernière année de remboursement pour les contribuables concernés.
6 - Exit tax
Si toutes ces mesures venaient à tenter un éventuel contribuable de quitter notre beau pays, le Gouvernement a parachevé son oeuvre par la création d'un ovni fiscal : l'"exit tax".
Introduit par la première loi de finances rectificative pour 2011 (article 48), l'article 167 bis du CGI (N° Lexbase : L5276IRT) prévoit une imposition des contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal hors de France à compter du 3 mars 2011, au titre des plus-values latentes sur certains titres, des créances de complément de prix et de certaines plus-values en report d'imposition. Applicable originellement aux personnes qui détenaient une participation d'au moins 1 % dans les bénéfices d'une société ou une participation dont la valeur excède 1,3 millions d'euros (prise isolément), le champ d'application de l'"exit tax" vient d'être étendu, s'agissant des transferts de domicile intervenus à compter du 30 décembre 2011, aux plus-values latentes afférentes :
- soit aux seuls titres représentant au moins 1 % des droits aux bénéfices sociaux de la société émettrice, lorsque la valeur de ces titres, cumulée avec celle des autres titres (hors SICAV) détenus par le foyer fiscal, n'excède pas 1,3 million d'euros ;
- soit à l'ensemble des titres (hors SICAV) détenus par le foyer fiscal, dès lors que leur valeur cumulée excède 1,3 million d'euros.
En comparaison, la Grande-Bretagne n'a pas connu de tels bouleversements. Ce pays s'apparenterait même à un territoire idéal pour tous les candidats à l'exode -volontaire ou forcé-, puisqu'en qualité de pays membre de l'Union Européenne, l'"exit tax" pourra faire l'objet d'un report d'imposition (laquelle se transformera en exonération définitive au bout de huit ans).
II - La Grande-Bretagne, "paradis fiscal" sous conditions
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Grande-Bretagne s'avère particulièrement accueillante pour les étrangers, plus encore lorsqu'il s'agit de contribuables très aisés ("high net worth individual"). A cela rien d'étonnant, le Royaume s'étant, en effet, doté d'une législation fiscale particulière, avec une distinction entre résidence "ordinaire" et "non-ordinaire", cette dernière pouvant s'avérer, nous le verrons, particulièrement attrayante.
1 - Territorialité : "to be or not to be", that is definitely the question
La question de la territorialité de l'impôt en Grande-Bretagne est d'importance. En effet, les conséquences fiscales qui s'attachent à chaque statut diffèrent grandement, d'où le soin à apporter à cette question, sous peine de grande désillusion.
A - Résidence
Dans l'attente d'une reforme d'envergure attendue pour l'année prochaine, les règles relatives à la résidence sont relativement complexes et disparates. Schématiquement, sont ainsi considérées comme résidents fiscaux :
- les personnes effectivement présentes au Royaume-Uni plus de 183 jours au cours d'une année d'imposition (13) ;
- celles qui y ont effectué des séjours réguliers d'au moins 91 jours en moyenne au cours de trois années fiscales consécutives ; la qualité de résident est alors acquise lors de la quatrième année.
Sauf exceptions, lorsque l'une de ces deux conditions est remplie, l'individu sera considéré comme résident, non pas durant la seule période où il était physiquement présent, mais durant la totalité de l'année d'imposition (soit du 6 avril au 5 avril de l'année suivante).
B - Résidence fiscale "ordinaire" et "non-ordinaire"
A côté de la résidence fiscale proprement dite, le Royaume-Uni distingue deux catégories de résidents : les "résidents ordinaires" ("resident and ordinary resident - R/OR") et les "résidents non-ordinaires" ("resident but not-ordinary resident - R/NOR").
A la différence de la notion précédente, ce concept s'attache un peu plus à l'intention du contribuable, plutôt que de simplement comptabiliser, de manière arithmétique, les jours passés sur le sol britannique. On se rapproche ici de la définition française de la résidence fiscale, où divers facteurs (tels que la famille, l'emploi,...) jouent un rôle prépondérant dans l'appréciation du domicile fiscal. Selon "Her Majesty's Revenue and Customs" (HMRC), équivalent de l'administration fiscale française, une personne physique est considérée comme "ordinary resident" si elle remplit l'une des conditions suivantes :
- à son arrivée en Grande-Bretagne, elle manifeste l'intention de s'installer durablement. L'idée est ici d'apprécier la volonté du contribuable de se "fixer", même pour une courte durée, sur le sol britannique ;
- ou bien si elle manifeste l'envie d'y habiter régulièrement pour une durée supérieure à trois ans.
C'est, en fait, la notion de séjour régulier ou durable qui prévaut pour décider de la qualité d'"ordinary resident". Ainsi, si une personne physique fait l'acquisition d'un bien immobilier, cela traduit, pour l'administration fiscale, la volonté d'un séjour durable au Royaume-Uni. Dès lors, la qualité d'"ordinary resident" sera acquise pour l'année fiscale où cet événement s'est produit. A défaut, cette qualité sera attribuée lors de la quatrième année fiscale qui suit son arrivée.
C - Notion de "domicile"
Le "domicile" est une notion générale de droit anglais, qui se différencie de toutes les autres notions indiquées précédemment (ce y compris de la notion de domicile telle que communément entendue dans le langage courant français).
Pour l'HMRC, il s'agit ni plus ni moins que de sonder les reins et les coeurs, avec une particularité toutefois : changer de domicile s'avère très difficile. Ainsi, "on peut dire qu'une personne considérée comme domiciliée au Royaume-Uni perd difficilement cette qualité. Par contre, une personne qui n'y est pas domiciliée l'acquiert difficilement" (14).
Ce domicile s'acquiert selon deux modes :
- par origine. Il s'agit normalement du domicile hérité de ses parents. Par ailleurs, et en cas de changement de domicile du parent avant l'âge de 16 ans, c'est ce nouveau pays qui constitue le domicile d'une personne physique ;
- par choix. Lorsqu'une personne physique a plus de 16 ans, elle a la possibilité de choisir son propre domicile. Il ne doit, bien sûr, pas s'agir d'un choix aléatoire ou temporaire, mais doit être, au contraire, la traduction d'un choix clair et délibéré de s'installer dans un nouveau pays, avec la ferme intention d'y résider jusqu'à la fin de ses jours.
S'agissant d'étrangers désireux de venir s'expatrier en Grande-Bretagne, et sauf cas particuliers (enfants nés de parents résidents britanniques par exemple), ils demeureront "non-domiciliés" sur le territoire britannique.
2 - Conséquences fiscales
A - Le principe : une pression fiscale importante
Les personnes physiques résidentes du Royaume-Uni sont, en principe, imposables à raison de leurs revenus de source britannique et étrangère (imposition sur le revenu mondial - "arising basis"). Il s'agit d'un principe similaire à celui en vigueur en France où les résidents français sont également assujettis à l'impôt sur le revenu sur la base de leurs revenus mondiaux.
L'impôt sur le revenu y est établi selon un barème progressif par tranche, fixé, pour l'année fiscale 2011/2012, à :
- 20 % lorsque le revenu imposable est inférieur à 35 000 livres sterling (41 583,5 euros environ) ;
- 40 % lorsque le revenu imposable est compris entre 35 000 livres sterling et 150 000 livres sterling (178260 euros environ) ;
- 50 % lorsque le revenu imposable excède 150 000 livres sterling.
Il convient de préciser qu'il n'existe pas au Royaume-Uni d'imposition commune par foyer, chaque personne physique étant imposée en son nom propre.
Les revenus patrimoniaux sont soumis à ce barème progressif, à l'exception des dividendes, qui sont soumis à des taux différents (soit, toujours pour l'année 2011/2012, respectivement 10 %, 32,5 % et 42,5 % (15)).
Quant aux plus-values, elles sont généralement imposables au taux de 28 %, mais bénéficient d'un abattement annuel s'élevant, pour l'année 2011/2012, à 10 600 livres sterling (12 596 euros environ) (16).
La pression fiscale en Grande-Bretagne apparaît ainsi relativement comparable, voire même supérieure, à celle supportée par les contribuables français. Toutefois, outre le fait qu'il n'existe pas d'ISF, le Royaume se distingue par l'option offerte à certains contribuables d'une règle d'imposition différente laquelle, en y prêtant attention, peut s'avérer particulièrement avantageuse.
B - L'exception : la règle de la" remittance basis"
Les personnes résidentes du Royaume-Uni qui sont "non-domiciliées" sur le territoire britannique ou qui n'ont pas la qualité d'"ordinary resident", peuvent bénéficier d'un traitement particulier, à savoir n'être imposables que sur leurs revenus de source britannique.
Il s'agit donc d'une option pour les contribuables concernés qui peuvent, au titre de chaque année fiscale, choisir d'être imposés selon le régime normal ("arising basis") ou selon ce mode particulier ("remittance basis").
L'option pour ce second régime, si avantageux qu'il puisse paraître, n'est pour autant pas dépourvue d'inconvénients :
- perte de l'abattement général pour tous les contribuables dont le revenu fiscal annuel est inférieur à 100 000 livres sterling (118 820 euros environ) (17) (ce montant est fixé, pour l'année fiscale 2011/2012, à 7 475 livres sterling -8 882,5 euros environ) ;
- option payante. En effet, les contribuables considérés comme résidents au Royaume-Uni pendant au moins 7 des 9 dernières années fiscales précédentes sont redevables d'une taxe forfaitaire de 30 000 livres sterling (35 649 euros environ) pour chaque année au titre de laquelle ils optent pour ce régime (18) ;
- définition restrictive des revenus de source étrangère, puisque seuls sont considérés comme tels les revenus dont la source est située en dehors de la Grande-Bretagne (salaire, revenus de patrimoine, plus-values, etc., c'est-à-dire tous revenus afférents à une activité ou un patrimoine situés en dehors du territoire britannique), qui n'ont pas été rapatriés ("remitted income"). L'idée sous-jacente est la suivante: si un contribuable perçoit des revenus à l'étranger mais qu'il utilise, directement ou indirectement, l'argent ainsi perçu sur le sol britannique, alors l'HMRC considère qu'il s'agit de revenus de source britannique. C'est, par exemple, le cas lorsqu'une personne physique utilise la carte de crédit de son compte à l'étranger pour effectuer des achats en Grande-Bretagne. Dans cette hypothèse, l'administration fiscale considérera que l'argent utilisé a été "rapatrié" sur son sol, et deviendra donc taxable ;
- la Convention fiscale entre la France et la Grande-Bretagne (19) limite ce droit. En effet, l'article 29 dispose que "les personnes résidentes d'un Etat contractant qui ne sont imposées dans cet Etat que sur le montant de leurs revenus ou gains en capital qui y sont reçus ou transférés ne peuvent bénéficier des réductions ou exonérations de retenue à la source ou de prélèvements, prévues par la convention, sur les revenus ou gains en capital dont la source se situe dans l'autre Etat contractant que si ces revenus ou gains sont imposés dans leur Etat de résidence". Ce dernier point, assez méconnu, signifie concrètement que les personnes résidentes du Royaume-Uni qui ont opté pour ce régime d'imposition ("remittance basis") ne bénéficient d'une exonération ou d'une réduction de retenue à la source ou de prélèvement sur leurs revenus ou gains en capital de source française que si ces revenus ou gains ne sont pas exonérés au Royaume-Uni (20).
Ce régime s'adresse donc aux contribuables les plus fortunés, tout au moins ceux que la taxe annuelle de 30 000 livres sterling n'effraie pas. Il conviendra, par ailleurs, d'être particulièrement attentif lors des mouvements de fonds, afin d'éviter de tomber sur la notion de sommes rapatriées, le plus simple pour cela étant de créer un compte bancaire off-shore ad hoc.
Sous réserve de ces précautions, le contribuable "non-domicilié" ou "résident non-ordinaire" pourra ainsi exonérer l'intégralité de ses revenus de source étrangère. L'on comprend mieux pourquoi tant de contribuables très aisés sont venus s'installer à Londres.
(1) CE Ass., 24 mars 2006, n° 288460, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7837DNL).
(2) Voire jamais appliqué. Ce fut ainsi le cas pour la taxe de 2 % sur les nuitées d'hôtels, instituée à l'article 302 bis ZO du CGI par l'article 5 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2011 (loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 N° Lexbase : L1269IRG) et supprimée par l'article 2 de la quatrième loi de finances rectificative pour 2011 (loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 N° Lexbase : L4994IRE).
(3) L'idée étant "d'harmoniser la fiscalité française et la fiscalité allemande". Voir, sur ce sujet, le rapport "Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne" établi par la Cour des comptes, en date du 4 mars 2011 (lire Comparaison des systèmes fiscaux français et allemand : la Cour des comptes publie son rapport - Questions à Franck Le Mentec, avocat associé au sein du cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral N° Lexbase : N7559BRE).
(4) Le montant total estimé des "bonus" versés au titre de l'année 2011 est "seulement" de 4,2 milliards de livres sterling, bien loin de records des années précédentes. Au delà, c'est bien la philosophie générale du système qui commence à perturber les citoyens britanniques (M. Cameron, Premier ministre, s'est ainsi élevé contre le bonus attribué au Président-Directeur Général de l'une des plus grande banque du Pays, excipant de son caractère "immoral").
(5) Il est toutefois délicat de dénombrer le nombre de Français résidant en Grande-Bretagne avec exactitude (114 000 inscrits au registre des Français hors de France, le consulat évaluant leur nombre réel à près de 400 000).
(6) A savoir, dans l'ordre, la célébration du soixantième anniversaire du règne de sa Gracieuse Majesté Elizabeth II suivie, cet été, des prochains Jeux Olympiques.
(7) Citons, néanmoins, outre les reformes indiquées ci-après, l'introduction de nouvelles règles relatives au trusts (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011 [LXB= L0278IRQ], art. 14 et rescrit n° 2011/37 du 23 décembre 2011 N° Lexbase : L5458IRL) et aux retraites-chapeaux (loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 28 N° Lexbase : L4994IRE).
(8) L'utilisation de ce terme peut néanmoins prêter à sourire quand on sait par exemple que la contribution "exceptionnelle" et "temporaire" de solidarité (CET) a été créée en.... 1997.
(9) Appréciation du montant des revenus à retenir pour l'application des abattements, exonérations et dégrèvements prévus aux articles 1391 (N° Lexbase : L9902HLC), 1391 B (N° Lexbase : L9905HLG), 1411 (N° Lexbase : L5724IRG), 1414 (N° Lexbase : L3540IG9) et 1414 A (N° Lexbase : L4876IQN) du CGI (instruction du 5 juin 1998, BOI 6 D-2-98 N° Lexbase : X1849AKP).
(10) Et même 36,5 %, en incluant le relèvement de deux points de la CSG voté par le Parlement au sein de la loi de finances rectificative pour 2012, en attente de publication.
(11) Le taux réduit (applicable aux revenus éligibles à l'abattement de 40 % versés à des personnes résidentes d'un Etat de l'EEE) a, par ailleurs, été porté de 19 % à 21 %, tandis que le taux majoré (applicable aux dividendes perçus par un résident d'un Etat et territoire non coopératif) est passé de 50 % à 55 %.
(12) CGI, art. 150-0 D bis (N° Lexbase : L5278IRW), institué par le I l'article 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6430HEU). Pour l'application de ce dispositif, lorsque les titres cédés ont été acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2006, la durée de détention devait être décomptée à partir du 1er janvier 2006 ; à compter de cette date, la durée de détention était décomptée à partir du 1er janvier de l'année d'acquisition ou de souscription des titres cédés.
(13) Il est à noter que les jours de présence n'ont pas forcément besoin d'être consécutifs et le décompte s'effectue par simple addition du nombre de jours au cours desquels une personne est physiquement présente à minuit.
(14) Françoise Fontaneau-Vandoren, La résidence fiscale en droit anglais : une brève description, Revue Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires, 1998/2.
(15) Income tax Act 2007, S.19. Par exemple, un contribuable ayant perçu 30 000 livres sterling de revenus non-patrimoniaux et 10 000 livres sterling (11 885 euros environ) de dividendes sera imposé à hauteur de :
- 6 000 livres sterling (7 128 euros environ) sur ses revenus salariaux (soit 30 000 livres sterling x 20 %) ;
- 2 125 livres sterling (2 525 euros environ) sur les dividendes perçus (soit 5 000 livres sterling au taux de 10 % - tranche inférieure à 35 000 livres sterling - et 5 000 livres sterling (5 942 euros environ) à hauteur de 32,5 % - tranche comprise entre 35 000 livres sterling et 150 000 livres sterling).
(16) TCGA 1992, S.3. Les contribuables dont le revenu imposable n'excède pas la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu (soit 35 000 livres sterling pour l'année 2011/2012) sont imposés sur les plus-values réalisées a hauteur de 18 % jusqu'à hauteur de cette tranche, puis 28 % au-delà.
(17) Le montant de cet abattement est réduit, pour les revenus supérieurs à 100 000 livres sterling, d'une livre sterling toutes les deux livres sterling de revenu. Ainsi, un contribuable bénéficiant d'un revenu fiscal de 110 000 livres sterling (130 702 euros environ) verra son abattement réduit de 5 000 livres sterling (soit un abattement restant de 2 475 livres sterling -2 940,3 euros). Ainsi, et mathématiquement, tout contribuable dont le revenu excède 114 950 livres sterling (136 549,1 euros environ) pour l'année fiscale 2011/2012 ne bénéficiera plus de cet abattement.
(18) ITA 2007, S.809H ("Remittance Basis Charge"). Le projet de loi de finances pour 2012 prévoit de porter ce montant à 50 000 livres sterling (59 415 euros environ) annuel, dans l'hypothèse où un contribuable aurait été résident pendant au moins 12 ans au cours des 14 dernières années précédentes.
(19) Convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital, signée à Londres le 19 juin 2008 (N° Lexbase : L5161IEU).
(20) En ce sens, lire l'instruction du 29 juillet 2011, BOI 14 B-1-11 (N° Lexbase : X9612AIT). Cette clause n'est toutefois pas applicable en matière de bénéfices des entreprises et de dividendes.
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Réf. : CEDH, 8 mars 2012, Req. 12039/08 (N° Lexbase : A0666IEE), Req. 14166/09 (N° Lexbase : A0667IEG), Req. 39243/10 (N° Lexbase : A0668IEH)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 14 Mars 2012
I - La recevabilité des requêtes
Dans les affaires 12039/08 et 14166/09, le Gouvernement allègue l'irrecevabilité de la requête, faute pour le requérant d'avoir épuisé les voies de recours internes. Selon les autorités françaises, ce dernier avait la possibilité, en application de l'article 530-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8069G7Y), de soulever devant la juridiction de proximité un incident contentieux relatif à l'exécution du titre exécutoire (Cass. crim., 29 mai 2002, n° 01-87.396, FS-P+F N° Lexbase : A8858AYQ ; Cass. avis du 5 mars 2007, n° 0070004P N° Lexbase : A3996ICY). Il se réfère, en outre, à la décision n° 2010-38 QPC du septembre 2010 (Cons. const., décision n° 2010-38 QPC, du 29 septembre 2010 N° Lexbase : A4883GA4), par laquelle le Conseil constitutionnel déclare l'article 529-10 du même code, alors en vigueur (N° Lexbase : L0860DYI), et qui fixe les conditions de recevabilité communes à la requête en exonération contre une amende forfaitaire et à la réclamation contre une amende forfaitaire majorée, conforme à la Constitution. De son côté, le requérant objectait que l'article 530-2 précité n'est applicable qu'en présence d'une amende forfaitaire majorée rendue exécutoire. Or, en l'espèce, l'amende forfaitaire n'avait pas été majorée puisqu'elle avait été payée par conversion du paiement de la consignation.
La Cour rappelle, tout d'abord, que seules les voies de recours effectives et propres à redresser la violation alléguée doivent être épuisées. Plus précisément, les dispositions de l'article 35 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L4770AQQ) ne prescrivent l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats ; ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie, mais aussi en pratique. L'Etat défendeur, s'il plaide le non-épuisement, doit donc démontrer que ces conditions se trouvent réunies (CEDH, 6 janvier 2011, Req. 34932/04 N° Lexbase : A7281GNY). Elle a, par ailleurs, déjà jugé que la possibilité prévue par l'article 530-2 du Code de procédure pénale de soulever devant le juge un incident contentieux relatif à l'exécution du titre exécutoire ne constitue pas un recours effectif (CEDH, 21 mai 2002, Req. 32872/96 N° Lexbase : A6933AYG). Celui-ci ne permet pas de remédier au grief du requérant, qui consistait à mettre en cause le rejet de sa demande d'exonération de l'amende forfaitaire, la validité de la motivation de la décision de l'OMP rejetant sa réclamation contre l'amende forfaitaire majorée, ainsi que l'entrave subséquente à son droit d'accès à un tribunal pour contester la réalité de l'infraction reprochée.
En effet, en application de l'article R. 49-18 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6010IMK), la requête en exonération ayant été déclarée irrecevable par l'officier du ministère public, la consignation acquittée par le requérant a été considérée comme valant paiement de l'amende forfaitaire, le mode d'enregistrement et de contrôle des informations relatives aux infractions au Code de la route pouvant conduire à considérer que la réalité de l'infraction est établie (voir CAA Nancy, 4ème ch., 10 janvier 2011, n° 09NC01680, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4967GQZ, et CE 4° et 5° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 312215, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1321EK7). De ce fait, la procédure n'a pas donné lieu à l'amende forfaitaire majorée prévue par l'article 529-2 du même code (N° Lexbase : L0857DYE), seule susceptible, aux termes de cet article, d'aboutir à un titre exécutoire. Il n'y a donc pas eu de titre exécutoire susceptible de fonder l'application de l'article 530-2 précité. Il s'en déduit logiquement que le requérant n'avait pas accès à la procédure prévue par cette disposition.
II - Le fond des requêtes
Le requérant soutient que la consignation qu'il a versée ne pouvait être assimilée au paiement de l'amende forfaitaire au sens de l'article 49-18 du Code de procédure pénale ; elle était, en effet, concomitante d'une requête en exonération accompagnée d'une lettre dans laquelle il indiquait très clairement contester l'infraction qui lui était imputée au motif que la preuve de la matérialité de l'infraction n'était pas rapportée. Le Gouvernement français, quant à lui, soulignait que la requête en exonération du requérant pouvait légitimement passer pour non motivée, et que le but du système procédural simplifié de la procédure d'amende forfaitaire -éviter l'encombrement du rôle des juridictions par des affaires d'infractions routières- avait été jugé légitime par la CEDH (CEDH, 30 juin 2009, Req. 49852/06 N° Lexbase : A4978IE4).
Les juges strasbourgeois indiquent que le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours. Le requérant avait bien entamé les démarches nécessaires, puisqu'il avait adressé à l'OMP, dans les formes et délai prescrits, le formulaire intitulé "formulaire de requête en exonération" joint à l'avis de contravention sur lequel il avait coché la case correspondant à la troisième situation ("autre motif ou absence des justificatifs ou des documents demandés"). Le formulaire était dûment accompagné de l'avis de contravention, d'un document établissant que le requérant avait réglé la consignation et d'une lettre intitulée "mémoire", dans laquelle il soulignait que la production du cliché ne pouvait être subordonnée à un paiement et exposait, notamment, ce qui suit : "[...] En l'absence de tout élément de fait susceptible d'établir l'infraction qui lui est reprochée, le mis en cause ne peut se déterminer sur la reconnaissance ou la contestation de l'infraction. Il y a là une atteinte caractérisée aux droits de la défense, incompatible avec la présomption d'innocence, dont la Cour européenne des droits de l'Homme est le garant. Je conteste fermement l'infraction qui m'est imputée".
L'article 530-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7596IMB) énonce que, chargé de vérifier les conditions de recevabilité des requêtes en exonération, l'OMP a trois possibilités : soit renoncer à l'exercice des poursuites, soit saisir la juridiction compétente, soit, lorsque la requête n'est pas motivée ou n'est pas accompagnée de l'avis, aviser l'intéressé de son irrecevabilité. En l'espèce, il a considéré que la requête était irrecevable au motif qu'il s'agissait d'une "requête ou réclamation non motivée". Or, comme indiqué précédemment, le requérant avait clairement indiqué contester l'infraction, et précisé ses motifs dans la lettre accompagnant sa requête en exonération. En outre, le pouvoir d'appréciation de l'OMP se limite normalement à l'examen de la recevabilité formelle de la contestation. Sa décision de rejeter la requête en exonération "en raison du non respect des règles impératives prescrites par l'article 529-10 du Code de procédure pénale", la lettre précisant que "le motif du rejet est : requête ou réclamation non motivée", pouvait donc précisément caractériser le fait qu'il avait excédé ses pouvoirs. Cette même lettre ajoutait : "conformément aux dispositions de l'article R. 49-18 du Code de Procédure Pénale, la somme versée est considérée comme un paiement de l'amende forfaitaire ou de l'amende forfaitaire majorée, sous réserve que ce montant corresponde à celui de l'amende due. Le cas échéant, vous devez payer le complément au centre d'encaissement des amendes [...]".
La décision d'irrecevabilité de l'OMP ayant entraîné de manière automatique l'encaissement de la consignation équivalant au paiement de l'amende forfaitaire, un "tribunal", au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH, n'avait donc pu examiner le fondement de l'"accusation" dirigée contre le requérant et pu juger du bien-fondé de ses arguments. Or, c'est justement dans l'hypothèse où cette requête est déclarée irrecevable par l'OMP que le tribunal peut régulièrement être saisi (Cass. crim., 25 octobre 2000, n° 00-82.939 N° Lexbase : A9974CIA). La CEDH relève, enfin, que dans sa décision n° 2010-38 QPC du 29 septembre 2010 précitée, le Conseil Constitutionnel avait jugé que, dans le cas où l'officier du ministère public déclare irrecevable une requête en exonération contre une amende forfaitaire après que le requérant a payé la consignation et où la déclaration d'irrecevabilité a pour effet de convertir le paiement de la consignation en paiement de l'amende, l'impossibilité de saisir la juridiction de proximité d'un recours contre cette décision est incompatible avec le "droit à un recours juridictionnel effectif".
Dans la troisième affaire (CEDH, 8 mars 2012, Req. 39243/10), c'est, là aussi, le caractère d'automaticité de la sanction qui était contestée. La CEDH juge que les requérants ont bien effectué les démarches qui leur étaient imposées, puisque, dans les formes et délais requis, une requête en exonération de l'amende forfaitaire, dûment motivée et accompagnée de l'avis correspondant à la contravention litigieuse, avait été envoyée à l'OMP. Ils ont tout de même reçu une mise en demeure de payer assortie d'un avertissement aux termes duquel "à défaut de paiement immédiat, toutes les mesures d'exécution seront engagées sans autres avis". Or, aux termes des articles 530 (N° Lexbase : L7597IMC) et R. 49-8 (N° Lexbase : L0885ACR) du Code de procédure pénale, une réclamation recevable entraîne l'annulation du titre exécutoire et l'OMP est tenu d'en informer sans délai le Trésor (Cass. crim., 29 octobre 1997, n° 97-81.904 N° Lexbase : A4944CKC). Le fait que la procédure en recouvrement s'est poursuivie indique que l'OMP a traité la réclamation des requérants comme étant irrecevable, mais le ministère public a, en outre, omis d'aviser les requérants du rejet de celle-ci. L'OMP a donc lui-même statué sur le bien-fondé de la réclamation, privant ainsi les requérants de l'examen par la juridiction de proximité de l'"accusation" dont il est question. Le droit d'accès à un tribunal des requérants s'étant, là aussi, trouvé atteint dans sa substance même, il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
Ces trois décisions sont donc susceptibles de rappeler aux autorités françaises que, si une répression sévère s'impose pour faire baisser le nombre des victimes de la route, les automobilistes ont, également, des droits à faire valoir, et au premier chef, celui de pouvoir accéder à un tribunal s'ils désirent pouvoir contester les infractions routières qui leur sont reprochées.
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