La lettre juridique n°472 du 9 février 2012

La lettre juridique - Édition n°472

Éditorial

Accident de ski et obligation de moyens : tout schuss sur l'indemnisation intégrale

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N0092BTL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Grand émoi dans la petite commune de la vallée de la Cerdagne, Font Romeu, après sa condamnation au versement d'une provision d'un million d'euros en réparation du préjudice subie par une skieuse qui, en 1997, était devenue tétraplégique à la suite d'un accident sur le domaine skiable catalan. Les près de 2 000 romeufontains ne seront pas mis à contribution directement, les assurances se chargeant de l'indemnisation, mais l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, en date du 21 décembre 2011 qui, pour fêter l'hiver, confirme, à nouveau, l'obligation de sécurité de moyens à laquelle est tenu tout exploitant d'une station de ski, aura sans doute des répercussions, non véritablement juridiques, mais économiques, à la fois pour les communes qui accélèreront le transfert de la gestion des domaines skiables, à des sociétés commerciales ; des régies et de leurs assurances quant au coût d'exploitation des stations de ski ; et, pour finir, pour les touristes et autres aficionados des sports d'hiver, dont la facture du séjour devrait sensiblement augmenter.

Alors, n'en déplaise à Jean-Louis Démelin, le maire de la cité pyrénéenne condamnée, l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier n'est pas une "première" en France, du moins quant aux principes juridiques appliqués et quant à la condamnation d'une commune à la réparation du préjudice invoqué à la suite d'un accident de ski. Dernier opus en date, si, le 4 novembre 2011, la Cour de cassation reprochait à une cour d'appel d'avoir retenu l'entière responsabilité d'une commune exploitante de la piste skiable sur laquelle s'était produit un accident, sans répondre aux conclusions invoquant le comportement fautif du skieur comme cause de l'évènement, elle reconnaît que l'exploitante avait insuffisamment rempli l'obligation de sécurité de moyens qui pesait sur elle, caractérisant ainsi une faute à son encontre (en l'espèce, une insuffisante signalisation d'un socle en béton d'un canon à neige). Et, si la même formation écartait, le 1er juin 2011, conformément à sa jurisprudence constante, la responsabilité de la société exploitante d'une piste ni balisée, ni entretenue, mais alors qu'il était parfaitement établi qu'au moment de l'accident, la piste empruntée était fermée et signalée comme telle à son origine, elle retenait, le 17 février 2011, que l'endroit où le skieur avait quitté la piste présentait un danger particulier du fait de la présence d'un torrent situé en contrebas, et que l'accident ne se serait pas produit si un filet de protection avait été placé entre le mélèze et le premier piquet maintenant le filet existant, à l'endroit où la victime avait quitté la piste.

L'obligation de sécurité de moyens imposée à tout exploitant d'un domaine skiable, qu'il soit une commune ou un opérateur privé, n'est donc pas chose nouvelle. Tout au plus, pouvons-nous souligner que l'obligation de moyens, dont les contours sont définies par les juges montpelliérains, c'est-à-dire la pose de filets de sécurité tout au long des pistes skiables, est, de l'aveu même des professionnels de la montagne, parfaitement impossible à respecter. D'où il suit que, si la présence d'une plaque verglacée constituait dans les circonstances de l'espèce, un risque tout particulier à raison de son emplacement et que la probabilité de survenance de chutes de la part de skieurs, même d'un niveau moyen, avec la quasi-certitude de terminer leur course en dehors de la piste et donc, contre un arbre, voire un rocher, était objectivement non négligeable, attendre de l'exploitant qu'il interdise le passage sur cette portion -encore faut-il qu'il en connaisse le danger-, ou qu'il prévienne et balise la présence de cette plaque de verglas -sur l'ensemble des milliers de m² des pistes-, ou, enfin, qu'il pose des filets de protection le long de la zone boisée et parsemée de rochers située en bordure de piste, précisément à raison du danger réel et anormal que présentait cette plaque, c'est l'astreindre à une quasi-obligation de résultat, l'accident survenant malgré ces précautions caractérisant une faute quasi-exclusive du skieur exonérant, pour une grande partie, la commune exploitante de sa responsabilité. Comme le souligne Grégory Mollion, avocat au barreau de Grenoble et Maître de conférences à l'Université de Grenoble, le risque zéro n'existe pas et tous les aménagements possibles de sécurité n'empêcheront pas les accidents.

Non, si le maire de la commune, interrogé par le journal l'Indépendant s'est dit "surpris" par la décision de justice, c'est évidemment par le quantum de la provision pour préjudice de l'accident qui doit être versé à la skieuse tétraplégique -précisant bien que le montant en cause peut être réévalué à la hausse en fonction des nécessités liées à l'état de la victime, après expertise de l'ensemble des besoins soulevés par les demandeurs-. En effet, les communes exploitant directement un domaine skiable, reconnues responsables du fait de leur manquement à leur obligation de sécurité de moyens, était plutôt habituées à devoir verser une indemnisation à "quatre zéro", de l'ordre de la dizaine de milliers d'euros, quand dans les années soixante, l'indemnisation n'avoisinait "que" le millier de francs. Cet "emballement" du montant de l'indemnisation de la victime d'un accident de ski est le fruit de la conjugaison de deux facteurs juridiques. D'abord, par un arrêt du 19 février 2009, le Conseil d'Etat renvoyait aux tribunaux judiciaires la compétence exclusive pour connaître d'un litige opposant une victime d'un accident de ski à une commune, en raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé, alors que les juges administratifs étaient compétents en la matière depuis l'origine des premières stations de ski ; et la Cour de cassation de lui emboîter le pas, le 31 mars 2010, en confirmant bien que le juge judiciaire est compétent dès lors que l'organisme chargé de l'exploitation du domaine skiable constitue un service public industriel est commercial. La judiciarisation du contentieux en la matière explique, non seulement la compétence de la cour d'appel, mais aussi l'application du régime de la responsabilité civile et non celui de la responsabilité administrative s'attachant au seul pouvoir de police du maire.

Exit la théorie du risque inhérent à la pratique d'un sport, les amateurs de sport, violents ou non, savent bien que tout au plus cette théorie est valable pour les courses automobiles, comme il a été jugé par un arrêt de la Haute juridiction rendu le 8 octobre 1975, mais plus difficilement sur la piste verte d'une station de ski, même si ne méconnaît pas son obligation de sécurité à l'égard des usagers, l'exploitant d'un domaine skiable qui a mis en place un dispositif de signalisation visible et efficace, l'accident ayant trouvé son origine dans la vitesse excessive de la victime, selon un arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 1996. Dès lors, comme le rappelle l'avocat grenoblois, point besoin de faute caractérisée applicable en matière de police administrative, le manquement à l'obligation de moyens suffit, et, conformément à la jurisprudence judiciaire, nous rappelons que c'est le principe cardinal de la réparation intégrale du préjudice qui prévaut. Depuis l'arrêt d'Assemblée plénière du 28 novembre 2011, on sait que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties. Mieux, il faut une "adéquation de la réparation au préjudice", selon Philippe le Tourneau, une "équivalence entre dommage et réparation", précise Geneviève Viney : d'où le montant de la provision sur dommages et intérêts accordée à la victime et la Caisse primaire d'assurance maladie.

Alors, afin de battre en brèche une jurisprudence judiciaire clouant au pilori les finances des communes, de leurs assureurs et, au final, des vacanciers, on évoque un pourvoi en cassation. C'est juste oublier, d'une part, que sur le terrain du droit, les juges n'ont fait qu'appliquer une jurisprudence constante et, d'autre part, que le montant de l'indemnité réparatrice est souverainement apprécié par les juges du fond, au terme d'un examen in concreto de la situation, sauf dans l'hypothèse où la loi imposerait une base ou lorsque les parties déterminent conventionnellement ce montant. Aussi, sauf à démontrer un partage de responsabilité, du fait de la faute de la skieuse handicapée, un pourvoi en cassation ne constituera pas une solution miracle pour les communes comme pour les sociétés exploitant un domaine skiable.

Tel est l'avenir de ce "moyen de transport" néolithique, de ces deux planches de bois qui sauvèrent, en 1206, le fils du roi Haakon III de Norvège (à l'origine de la traditionnelle course de fond entre Lillehammer et Trondheim), et qui jouèrent un si grand rôle dans la souveraineté de la Suède en 1523, alors aux mains des danois ; mais qui, ayant pris la qualité de "sport", se voit contraint à un exercice ultra réglementé, pour que sa pratique demeure un loisir, un plaisir, entouré du surf, du free ride, du ski joëring et du snowk ball. Reste que la sécurité et son obligation de moyens ont un coût dont le premier débiteur sera le vacancier. "Pourtant, que la montagne est belle...".

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Aide juridictionnelle

[Le point sur...] Le régime de l'aide juridictionnelle

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par Samantha Gruosso, Avocat au barreau de Paris

Le 10 Février 2012

L'aide juridique prend son origine dans la loi du 22 janvier 1851, l'idée étant alors l'esprit de charité. Une réforme intervient dans de nombreux pays après la Seconde guerre mondiale et la terminologie change pour l'expression "assistance judiciaire", puis "aide judiciaire", la solidarité remplaçant la charité. Puis, avec la loi de 1991 (loi n° 91-647 N° Lexbase : L8607BBE), l'expression "aide juridictionnelle" naît et participe pleinement à rendre effectif l'accès à la justice. Ainsi, l'AJ a 22 ans ; elle couvre les besoins d'une population qui avoisine le million de justiciables et sa réforme est souhaitée depuis dix ans maintenant comme l'a rappelé le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lille, René Despieghelaere, à l'occasion de l'introduction de la journée des Etats généraux de l'aide juridictionnelle, organisée le 25 juin 2010. Et, les griefs contre le système actuel sont nombreux : un avocat sur deux fait une mission d'AJ par mois avec un tarif qui ne couvre ni les charges, ni la rémunération de l'avocat ; les moyens pour l'AJ sont insuffisants et entraînent des retards conséquents ; la pratique de l'AJ devient dévalorisante pour un avocat et la crainte d'un barreau à deux vitesses émerge progressivement. Pour autant, les conditions d'accès et le régime de l'aide juridictionnelle viennent de faire l'objet d'une nouvelle réforme par l'intermédiaire de six lois, rien qu'en 2011 ! Après les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle (N° Lexbase : N9950BSC), Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, de revenir sur le régime de l'aide juridictionnelle. I - La distinction entre l'aide juridictionnelle totale et l'aide juridictionnelle partielle

A - Les modalités de l'aide juridictionnelle totale

  • Principe : interdiction pour l'avocat de solliciter auprès de son client des honoraires

Les dispositions applicables à l'aide juridictionnelle totale résultent de l'article 32 et 33 de la loi du 10 juillet 1991 (loi n° 91-647 N° Lexbase : L8607BBE).

Conformément à l'article 32, la contribution due au titre de l'aide juridictionnelle totale à l'auxiliaire de justice est exclusive de toute autre rémunération, sous réserve des dispositions de l'article 36 (retour à meilleure fortune). Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

Lorsqu'un avocat a accepté un dossier dans le cadre de l'aide juridictionnelle, jusqu'à ce que le bureau d'aide juridictionnelle ait statué sur celle-ci, il doit s'abstenir de solliciter des honoraires. Lorsque la décision accordant l'aide juridictionnelle totale est rendue au profit du client, il est strictement interdit à l'avocat de lui réclamer des honoraires.

C'est ainsi que dans un arrêt rendu le 24 avril 2006 par la cour d'appel de Paris, il a été jugé qu'un avocat ayant accepté d'être désigné au titre de l'aide juridictionnelle de son client, ne peut antidater une facture, antérieure à son acceptation de désignation (CA Paris, 1ère ch., sect. K, 24 avril 2006, n° 05/00139 N° Lexbase : A5288DRB).

Cependant, plusieurs arrêts ont réaffirmé le principe selon lequel les diligences accomplies par l'avocat avant la date de demande d'aide juridictionnelle ouvrent droit à celui-ci à rémunération, quand bien même celles-ci se rattachent à l'instance pour laquelle l'aide juridictionnelle a, ensuite, été accordée (Cass. civ. 2, 24 mai 2006, n° 04-15.129 N° Lexbase : A7367DPK ; Cass. civ. 2, 27 mars 2003, n° 02-10.592, F-P+B N° Lexbase : A5829A7Z ; CA Nancy, 2 septembre 2010, n° 10/01632 N° Lexbase : A4367E8A).

Ainsi un avocat ne peut demande au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale un honoraire de diligences qu'à la condition que ces diligences aient été accomplies avant la demande d'aide.

Conformément à l'article 33 de la loi du 10 juillet 1991, les honoraires ou émoluments ainsi que les provisions versées à ce titre avant l'admission à l'aide juridictionnelle totale par son bénéficiaire viennent en déduction de la contribution de l'Etat. Ainsi, lorsque l'avocat a accepté d'être désigné au titre de l'aide juridictionnelle, et qu'il a reçu des honoraires ou provisions avant l'admission à l'aide juridictionnelle totale, le montant versé par le client vient en déduction de la contribution de l'Etat lors du règlement au titre de l'aide juridictionnelle. De plus, conformément à l'alinéa 2 de l'article 33 de la loi du 10 juillet 1991, dans le cas où le client a versé avant une demande d'aide juridictionnelle au moins égale à celles perçues dans le cadre de l'aide juridictionnelle aucune contribution n'est due par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle. Enfin, l'alinéa 3 du même article précise que la rémunération déjà versée par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale est inférieure à la contribution de l'Etat prévue à ce titre, l'avocat ne peut prétendre qu'à un complément du montant égal à la contribution versée par l'Etat.

  • Exception à l'interdiction de demande d'honoraires : article 36 de la loi du 10 juillet 1991

L'avocat ne peut prétendre à un honoraire en dehors de la contribution de l'Etat que lorsque les conditions de l'article 36 de la loi du 10 juillet 1991 sont réunies :

- la décision doit être passée en force de chose jugée ;
- le bureau d'aide juridictionnelle doit avoir été saisi d'une demande de retrait d'aide juridictionnelle ;
- le retrait doit avoir été effectivement prononcé par le bureau d'aide juridictionnelle ;
- en cas d'application de l'article 36, aucun honoraire de résultat n'est dû s'il n'a été expressément stipulé dans une convention préalablement conclue entre l'avocat et son client (cf., Cass. avis, 27 septembre 1999, n° 09-90011, publié N° Lexbase : A2296CKA).

L'article 36 de la loi du 10 juillet 1991 a été modifié par la loi du 18 décembre 1998 (loi n° 98-1163 N° Lexbase : L1390AXR), en son article 4 qui dispose que : "Lorsque la décision passée en force de chose jugée rendue au profit du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a procuré à celui-ci des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d'aide juridictionnelle, celle-ci ne lui aurait pas été accordée, l'avocat désigné peut demander des honoraires à son client après que le bureau d'aide juridictionnelle a prononcé le retrait de l'aide juridictionnelle".

En effet, auparavant des honoraires pouvaient être demandés sur condamnation passée en force de chose jugée avec l'autorisation du Bâtonnier. Depuis la loi du 18 décembre 1998, il faut impérativement que le bureau d'aide juridictionnelle ait prononcé le retrait de l'aide juridictionnelle pour permettre à l'avocat de solliciter un quelconque honoraire. En pratique, il est utile, dans le cas où les conditions énumérées à l'article 36 de la loi du 10 juillet 1991 sont réunies, de conclure avec le client dès le début de la procédure une convention d'honoraires applicable exclusivement en cas de retrait de l'aide juridictionnelle en prenant la précaution d'indiquer qu'à défaut de retrait la convention sera nulle et non avenue. Cette convention est différente de celle pouvant être conclue dans le cadre de l'aide juridictionnelle partielle et prévue à l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991.

B - Les modalités de l'aide juridictionnelle partielle

  • Principe : nécessité de conclure une convention d'honoraires

Conformément à l'article 34 de la loi du 10 juillet 1991, en cas d'aide juridictionnelle partielle la part contributive de l'Etat au profit du bénéficiaire est proportionnelle aux ressources du bénéficiaire selon un barème fixé par décret en Conseil d'Etat. Et, selon l'article 35 de la même loi, en cas d'aide juridictionnelle partielle l'avocat a droit de solliciter de la part du bénéficiaire un honoraire complémentaire librement négocié.

En cas d'aide juridictionnelle, l'avocat doit rédiger et faire signer par le client une convention dès qu'il prend en charge le dossier. Une convention pré-imprimée est généralement jointe à la désignation de l'avocat.

Les honoraires sollicités par l'avocat doivent prendre en compte les éléments énumérés à l'alinéa 2 de l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991, à savoir :

- la complexité de l'affaire ;
- les diligences et les frais imposés par la nature de l'affaire ;
- et les ressources et le patrimoine du bénéficiaire.

Les conditions de fixation des honoraires prévues à l'alinéa 2 de l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991 rappellent les dispositions de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ). Cet honoraire doit être fixé avec une particulière délicatesse en tenant compte de la contribution versée par l'Etat. Le montant des honoraires doit être mentionné aux termes de la convention ainsi que le montant de la part contributive de l'Etat ; il ne peut être que forfaitaire. Les modalités de paiement du complément d'honoraires doivent être précisées. Il est recommandé de recourir à des échéanciers devant aussi figurés aux termes de la convention. L'article 101 du décret du 19 décembre 1991 précise que les auxiliaires de justice désignés au titre de l'aide juridictionnelle partielle ne peuvent, en cas de paiements fractionnés, subordonner leur intervention au paiement préalable de l'intégralité de la somme.

Il n'est pas possible de prévoir, dans le cadre de l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991, un pourcentage sur le résultat et le taux horaire pratiqué par le cabinet. La convention d'honoraires doit, également, préciser les voies de recours ouvertes en cas de contestations.

La convention d'honoraires doit être transmise dans les quinze jours de sa signature au Bâtonnier qui contrôle sa régularité ainsi que le montant du complément d'honoraires fixé par l'avocat.

  • Exception à l'interdiction de solliciter un honoraire de résultat

En dehors de sa part contributive et du complément d'honoraires fixé aux termes de la convention, l'avocat ne saurait prétendre à un quelconque honoraire de résultat.

Néanmoins, il existe une exception prévue à l'article 36 de la loi du 10 juillet 1991 (retour à meilleure fortune) ou en cas de retrait de l'aide.

Ainsi, aucun honoraire de résultat ne peut être demandé avant le retrait prononcé par le bureau d'aide juridictionnelle.

II - Les dispositions communes applicables à l'aide juridictionnelle partielle et totale

A - L'application de l'article 700 du Code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991

  • L'application de l'article 700 du Code de procédure civile - Indemnité allouée pour le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle

Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale ou partielle qui succombe peut être condamné à verser à son adversaire une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W).

La jurisprudence a rappelé ce principe en précisant qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne soustrait le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile (Cass. civ. 2, 14 décembre 2000, n° 98-14.949, F-P+B N° Lexbase : A5009CHY).

Aux termes de la circulaire n° NOR JUS J 05 90 0001 C du 12 janvier 2005 (N° Lexbase : L1346ISN), il a été rappelé les conditions dans lesquelles le juge peut prononcer au profit du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle une condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut notamment solliciter le remboursement des honoraires versés à son avocat avant la demande d'aide juridictionnelle.

L'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile permet ainsi de couvrir :

- les frais de déplacement engagés par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle pour se rendre à l'audience ;
- les frais justifiés afférents à l'instance ne constituant pas des dépens au sens de l'article 695 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9796IRA) (frais de correspondance échangée avec l'adversaire, ou l'avocat, de reprographie...) ;
- les honoraires et provisions versés par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle avant l'admission à l'aide juridictionnelle totale qui restent acquis à l'avocat (loi du 10 juillet 1991, art. 33) ;
- les honoraires laissés à la charge du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle en cas d'aide juridictionnelle partielle (loi du 10 juillet 1991, art. 35).

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 avril 1984, a précisé que cette possibilité vise tous les frais exposés par le bénéficiaire en relation avec la procédure et non pris en charge par l'aide juridictionnelle (Cass. civ. 3, 26 avril 1984, n° 82-12.682, publié N° Lexbase : A0203AAR).

Ainsi, l'application de l'article 700 du Code de procédure civile permet au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle d'être indemnisé des frais qu'il a exposés et qui ne relèvent, compte tenu de leur nature, ni des dépens pris en charge au titre de l'aide juridictionnelle, ni de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

De même, lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, celui-ci prend exclusivement en charge les dépens exposés par son adversaire.

Ainsi, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale ou partielle ne peut être tenu de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt rendu le 17 février 2011 (Cass. civ. 2, 17 février 2011, n° 10-12.174, F-P+B N° Lexbase : A2227GXR). En l'espèce, dans un litige opposant M. K. à Mme D., bénéficiaires de l'aide juridictionnelle totale, cette dernière a été condamnée aux dépens. Elle a alors fait opposition à l'état de frais et dépens vérifiés. Pour mettre à sa charge la part contributive du Trésor public à la mission d'aide juridictionnelle de l'avocat et de l'avoué de son adversaire, l'ordonnance du premier président énonce que, lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, il supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire. Ainsi, pour la cour, Mme D. n'est pas fondée dans son opposition, étant précisé que M. K. bénéficiait lui-même de l'aide juridictionnelle totale. L'arrêt va être censuré par la Haute juridiction au visa des articles 42 et 43 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, ensemble l'article 123 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 : "en statuant ainsi, alors que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale condamné aux dépens est dispensé de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle accordée à son adversaire, le premier président a violé les textes susvisés".

L'avocat n'a pas la possibilité de percevoir la somme accordée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. En effet, conformément aux dispositions législatives et réglementaires précédemment exposées, la somme allouée sur le fondement de l'article 700 revient de droit au client. Si l'avocat souhaite réclamer des honoraires à hauteur de la somme allouée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, il faudra que le retrait de l'aide juridictionnelle soit prononcé dans la mesure où la contribution due au titre de l'aide juridictionnelle totale est exclusive de toute autre rémunération (loi du 10 juillet 1991, art. 32).

Les principes applicables à l'article 700 du Code de procédure civile le sont aussi aux indemnités accordées sur le fondement des articles 475-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3911IRB) et L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).

  • L'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 - indemnité allouée à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle

L'avocat peut, aussi, demander au juge la condamnation de la partie adverse non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle et condamnée aux dépens à lui verser une somme qui correspond aux honoraires auxquels il aurait pu prétendre si son client n'avait pas eu l'aide juridictionnelle sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Le juge doit statuer distinctement sur les demandes présentées respectivement sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au vu de leurs motivations et des justificatifs fournis.

La demande d'indemnité sur le fondement de l'article 37 peut être présentée par l'avocat même si son client a sollicité une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Conformément à l'alinéa 3 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, si le juge fait droit à la demande formulée par l'avocat, celui-ci dispose d'un délai de douze mois à compter du jour où la décision est passée en force de chose jugée pour recouvrer la somme qui lui a été allouée. S'il recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat.

Conformément à l'alinéa 4 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, si à l'issue des douze mois mentionné au troisième alinéa, l'avocat n'a pas demandé le versement de tout ou partie de la part contributive de l'Etat, il est réputé avoir renoncé à celle-ci. Lorsqu'il recouvre intégralement la somme allouée sur le fondement de l'article 37, l'avocat renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. Il doit en aviser sans délai le greffier ou le secrétaire de la juridiction qui a rendu la décision et la Carpa dont il relève. A cet effet, il doit remplir le document "Avis de renonciation de l'avocat à la part contributive de l'Etat" et l'adresser au greffe et à la Carpa, accompagné d'une copie de la décision allouant la somme au titre de l'article 37 et la décision d'admission à l'aide juridictionnelle. Ces diligences permettent au greffe et à la Carpa de clôturer le dossier.

L'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 est applicable en toute matière civile, administrative et pénale que l'aide juridictionnelle soit totale ou partielle.

B - Les frais couverts par l'aide juridictionnelle et autres frais pouvant être obtenus pas le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle

  • Les frais couverts par l'aide juridictionnelle

Conformément à l'article 40 de la loi du 10 juillet 1991, l'aide juridictionnelle concerne tous les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée.

Le bénéficiaire de l'aide est dispensé du paiement, de l'avance ou de la consignation de ces frais. Les frais occasionnés par les mesures d'instruction sont avancés par l'Etat.

  • Les frais irrépétibles

Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale ou partielle peut demander au juge de condamner son adversaire à lui verser une indemnité au titre des frais irrépétibles.

Cette condamnation est prévue à l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 qui dispose que "dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens".

Dans le cadre de cette condamnation, le juge prend en considération "l'équité ou la situation économique de la partie condamnée".

En application de l'article 43 de la loi du 10 juillet 1991 et des articles 123 et suivants du décret du 19 décembre 1991, la partie condamnée aux dépens non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est tenue de régler cumulativement ou alternativement :

- le remboursement des sommes exposées par l'Etat et notamment le montant de la part contributive de l'Etat versée à l'avocat pour la mission accomplie ;
- la somme accordée au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle la somme accordée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la somme allouée à l'avocat sur le fondement de l'article 37. Dans ce cas, et si l'avocat perçoit l'intégralité de cette somme, le Trésor Public ne réclamera pas le remboursement de la part contributive due par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle puisque l'avocat y aura renoncé.

Le décret du 15 mars 2011 (décret n° 2011-272 N° Lexbase : L7533IPP) a inséré dans le décret du 19 décembre 1991 deux nouveaux articles :

- un article 123-1 qui dispose qu'en cas de désistement mettant fin à l'instance, les dépens ne peuvent être mis à la charge du défendeur bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Toute stipulation contraire est réputée non écrite ;
- un article 123-2 qui précise que l'accord des parties tendant à mettre fin à une instance les opposant ne peut mettre à la charge de la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle plus de la moitié des dépens de cette instance. Il en est de même de la convention des époux en cas divorce par consentement mutuel.

  • La TVA

En matière d'aide juridictionnelle totale ou partielle, y compris la partie honoraire complémentaire de l'article 35 de la loi du 10 juillet 1991, était soumise au taux réduit de la TVA en vertu de l'article 279 du CGI (N° Lexbase : L0686IP4).

Une instruction fiscale du 18 février 2011 (BOI 3 C-1-11 N° Lexbase : X9783AHS) commente la suppression du taux réduit de TVA applicable aux prestations effectuées par les avocats et les avoués dans le cadre de l'aide juridictionnelle, ordonné par la loi de finances rectificative pour 2010 (loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 N° Lexbase : L9902IN3).

A compter du 31 décembre 2010, le taux de TVA applicable en matière d'aide juridictionnelle totale et partielle est de 19,6 %.

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Droit des étrangers

[Jurisprudence] La Cour de Strasbourg juge illégale la rétention de jeunes migrants accompagnés de leurs parents en raison de l'inadaptation du centre de rétention

Réf. : CEDH, 19 janvier 2012, Req. n° 39472/07 et n° 39474/07 (N° Lexbase : A1647IBM)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 09 Février 2012

Le droit des étrangers à mener une vie familiale normale est au centre des mutations récentes du droit des étrangers et sa réglementation préoccupe les systèmes juridiques qui mêlent leurs influences sur le continent européen. En tant que tel, le droit au respect de la vie familiale des étrangers ne figure pas dans le texte de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH) ou de ses protocoles additionnels. Pour autant, les étrangers ne sont pas exclus du bénéfice de ce droit majeur dans le système de la Convention (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR), qu'il s'agisse des étrangers régulièrement établis sur le territoire d'un Etat et sur lesquels ne pèse aucune mesure d'éloignement, ou de ceux qui sont visés par une décision de refus d'entrée, de refoulement, d'expulsion, d'interdiction du territoire, voire d'extradition. Même si la Convention ne règlemente pas l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers, les seconds nommés bénéficient de la "protection par ricochet" du droit garantie par l'article 8 de la CESDH ; cette technique permettant au juge européen d'étendre la protection de certains droits garantis par la Convention à des droits non expressément protégés par elle. Le chemin parcouru par les requérants avant de parvenir jusqu'à la Cour fut émaillé de nombreuses péripéties policières et contentieuses. Les requérants sont des ressortissants kazakhstanais accompagnés de leurs enfants mineurs nés, respectivement, en France en 2004 et 2007. Ils ont fui les persécutions récurrentes dont ils ont été victimes dans leur pays du fait de leur origine russe et de leur appartenance à la religion orthodoxe. C'est le 15 décembre 2002 que la requérante est arrivée en France après avoir quitté son pays d'origine, munie d'un visa d'une durée de quinze jours. Elle a été rejointe par son époux le 19 juin 2003. Le couple a déposé une demande d'asile qui a été rejetée au même titre que leurs demandes de titres de séjour. Ils ont, par la suite, été interpellés à leur domicile avec leurs enfants et placés en garde à vue le 27 août 2007. Leur rétention administrative dans un hôtel d'Angers fut ordonnée le même jour et ils furent transférés le lendemain vers l'aéroport Charles-de-Gaulle en vue de leur éloignement vers le Kazakhstan. Le vol fut, cependant, annulé obligeant les autorités à transférer toute la famille dans un centre de rétention administrative habilité à recevoir des familles.

Le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la rétention pour une durée de quinze jours par une décision du 29 août 2007 et les requérants furent conduits au même aéroport pour une seconde tentative d'expulsion qui connût un nouvel échec le 11 septembre 2007. Le juge des libertés et de la détention constatant que l'échec de l'embarquement n'était pas du fait des requérants, ordonna, alors, leur remise en liberté par décision du 12 septembre 2007, l'obligation de quitter le territoire étant maintenue. Le 14 septembre 2007, la cour d'appel de Rouen infirma la décision du juge des libertés et de la détention et prolongea la mesure de rétention administrative pour une durée de quinze jours, considérant que certaines pièces au dossier permettaient d'affirmer que l'échec de l'embarquement était bien du fait des requérants (1).

Le statut de réfugié demandé par les requérants avant leur arrestation leur fut octroyé le 16 juillet 2009 par la Cour nationale du droit d'asile, au motif que l'enquête menée par la préfecture des Ardennes auprès des autorités kazakhstanaises, au mépris de la confidentialité des demandes d'asile, avait mis les requérants en danger en cas de retour au Kazakhstan (2). Deux requêtes furent, alors, déposées devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Les requérants alléguant, en particulier, que leur rétention administrative pendant quinze jours au centre de rétention administrative dans l'attente de leur expulsion vers le Kazakhstan, pays où ils craignaient d'être persécutés, violait les articles 3 (N° Lexbase : L4764AQI), 5 (N° Lexbase : L4786AQC) et 8 de la Convention.

Concernant, tout d'abord, la mise en cause pour traitements inhumains et dégradants prévue à l'article 3, la Cour conclut que les autorités n'ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants d'un enfermement en centre de rétention, dont les conditions ont dépassé le seuil de gravité exigé par cet article. La durée de rétention des enfants, sur une période de quinze jours, si elle n'apparaît pas excessive en soi, peut être ressentie comme infiniment longue par eux, compte tenu de l'inadéquation des infrastructures à leur accueil et à leur âge. Ainsi, les conditions dans lesquelles les enfants ont été détenus, pendant quinze jours, dans un milieu d'adultes, confrontés à une forte présence policière, sans activités destinées à les occuper, ajoutées à la détresse des parents, étaient manifestement inadaptées à leur âge. Les deux enfants, une fillette de trois ans et un bébé, se trouvaient dans une situation de particulière vulnérabilité, accentuée par la situation d'enfermement. Ces conditions de vie ne pouvaient qu'engendrer pour eux une situation de stress et d'angoisse, et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme. En revanche, concernant les parents, le fait ne pas avoir été séparés de leurs enfants pendant la rétention a nécessairement apaisé le sentiment d'impuissance, d'angoisse et de frustration que la rétention administrative dans un centre collectif a dû créer chez eux.

Concernant la mise en cause au titre du droit à la liberté et à la sûreté prévu par l'article 5 de la Convention, la Cour considère que, bien que les enfants aient été placés dans une aile destinée aux familles avec leurs parents, leur situation particulière n'a pas été prise en compte par les autorités qui n'ont pas non plus recherché si une solution alternative à la rétention administrative était envisageable. La Cour conclut donc à la violation de l'article 5 § 1 f) de la CESDH concernant les enfants, mais elle va encore plus loin concernant les enfants, considérant que ceux-ci tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d'exercer un tel recours. En effet, ils n'ont fait l'objet ni d'un arrêté d'expulsion, ni d'un arrêté de placement en rétention administrative qu'ils auraient pu contester. La Cour conclut donc à la violation de l'article 5 § 4 de la CESDH (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention) concernant les enfants.

Enfin, concernant la mise en cause au titre du droit au respect de la vie familiale prévu à l'article 8 de la Convention, la Cour rappelle le large consensus, notamment en droit international, selon lequel l'intérêt des enfants doit primer dans toutes les décisions les concernant (3) et elle estime, dans cette logique, que cet intérêt supérieur ne commande pas seulement la préservation de l'unité familiale mais aussi la limitation de la détention des familles accompagnées d'enfants. Dans les circonstances des requérants, une détention de quinze jours en centre fermé était disproportionnée par rapport au but poursuivi. La Cour conclut donc à la violation de l'article 8 de la CESDH.

En jugeant de la sorte, la Cour ne condamne pas directement la détention de familles d'étrangers accompagnés d'enfants, mais elle encadre strictement les conditions d'une telle détention en développant les exigences conventionnelles incitant les Etats à y renoncer. Ce n'est pas la rétention de mineurs qui suscite, en soi, le constat de violation mais le fait que le centre concerné était ici "inadapté" pour les accueillir. Au-delà de cet élément, l'arrêt de la Cour est essentiel en ce qu'il témoigne du développement constant de la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant que ce soit au titre des traitements inhumains et dégradants (CESDH, art. 3) ou au titre du droit au respect de la vie familiale (CESDH, art. 8). En cela, l'arrêt étend l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la privation de la liberté en se fondant essentiellement sur "l'intérêt supérieur de l'enfant" (II), tout en mettant en avant ce même impératif de protection spécifique des enfants dans la qualification aujourd'hui incertaine des traitements inhumains et dégradants (I).

I - La mise en avant de l'impératif de protection spécifique des enfants dans la qualification incertaine de traitements inhumains et dégradants

En elle-même, la rétention de jeunes enfants, accompagnant leurs parents objet d'une procédure d'éloignement du territoire, ne constitue pas un traitement inhumain et dégradant. La réponse est négative aussi bien de la part des juridictions internes que de la part de la Cour européenne, même si elles ne l'ont pas exprimée de manière identique. La Cour de cassation a, par exemple, expressément rejeté la qualification de traitement inhumain et dégradant (A), tandis que la Cour européenne s'est contentée de réserver cette qualification à des circonstances de rétention particulières. C'est ce qui ressort encore de l'arrêt commenté, même si la Cour a renforcé ces critères au seuil de gravité des traitements inhumains et dégradants (B).

A - La rétention d'enfants accompagnant leurs parents n'est pas, par principe, interdite par les juridictions internes

Les juridictions internes se sont prononcées à plusieurs reprises sur la pratique du placement en rétention administrative d'enfants accompagnant leurs parents, en vue de leur éloignement. Concernant le juge judiciaire, après des juges de la liberté et de la détention, deux magistrats de cours d'appel, à Toulouse et à Rennes, devant lesquels il était plaidé l'irrégularité d'une procédure au motif que, par principe la retenue de très jeunes enfants auprès de leurs parents en centre de rétention est "inhumaine" tant pour cet enfant que pour ses parents, ont pu retenir le traitement inhumain au sens de l'article 3 de la CESDH (4). Mais la Cour de cassation n'a pas partagé cet avis. Dans deux arrêts du 10 décembre 2009 (5), elle a jugé dans des termes identiques qu'"en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, en l'espèce, un traitement inhumain ou dégradant, le premier président a violé [l'article 3 de la Convention]".

Ces arrêts de la Cour de cassation rappellent que l'obligation faite aux juges de veiller au respect par les autorités nationales des dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme ne peut les conduire à refuser d'appliquer une loi pour des motifs abstraits d'ordre général et qu'ils ne peuvent écarter l'application d'une disposition légale qu'après avoir recherché la façon concrète dont elle est mise en oeuvre. Aussi, ce n'est que s'il est établi que l'application de la loi en question aux situations de fait dont ils sont saisis serait de nature à constituer une violation de la Convention européenne qu'ils doivent en écarter l'application. En clair, la Cour de cassation ne dit pas si oui ou non le maintien d'enfants dans un centre de rétention est "inhumain" au sens de la Convention. Elle ne ferme la porte à aucune hypothèse.

En revanche, les juges chargés de statuer ne doivent pas se contenter d'une affirmation de principe. Ils doivent, en conséquence de ces deux arrêts, vérifier très concrètement, dans le centre de rétention où se trouve la famille concernée, dans quel environnement évolue le très jeune enfant et ses parents, de quels moyens disposent ces derniers pour s'en occuper, s'il existe un risque pour sa santé physique ou psychologique, et, plus largement, quelles sont les conséquences pour l'ensemble de la famille de la rétention en milieu clos. Ce n'est qu'après avoir pris connaissance de la situation réelle que le juge peut dire s'il existe un traitement "inhumain" au sens du droit européen.

En ce qui concerne la jurisprudence administrative, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 juin 2006 (6), a rejeté les requêtes des associations de défense des étrangers qui demandaient l'annulation du décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 (N° Lexbase : L7926G83), relatif à la rétention administrative et aux zones d'attente pris en application des articles L. 111-9 (N° Lexbase : L0464HLR), L. 551-2 (N° Lexbase : L5065IQN), L. 553-6 (N° Lexbase : L5866G4Z) et L. 821-5 (N° Lexbase : L5957G4E) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (7) "en tant qu'il organise le placement en rétention administrative de familles, y compris de mineurs". Concernant la rétention des familles, il considéra que l'article 14 du décret en cause n'avait pas pour objet, ni pour effet, de permettre aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l'encontre des familles des personnes placées en rétention, mais qu'il visait seulement à organiser l'accueil de ces familles. Le Conseil d'Etat en conclut que le pouvoir réglementaire était compétent pour édicter de telles dispositions qui n'étaient contraires ni au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni à la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (N° Lexbase : L6807BHL).

B - Des critères aujourd'hui renforcés quant au seuil de gravité des traitements inhumains et dégradants

Ce n'est pas la première fois que le juge européen statue sur la présence dans un centre de rétention d'une famille. La Cour européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt du 19 janvier 2010 concernant la Belgique (8), a, ainsi, eu à statuer sur la présence, dans un centre de rétention, d'une famille russe (ayant transité par la Pologne) comprenant quatre enfants respectivement âgés de 7 mois, 3 ans, 5 ans et 7 ans (le séjour ayant duré du 22 décembre 2006 au 24 janvier 2007) pour affirmer que, "compte tenu du bas âge des enfants requérants, de la durée de leur détention et de leur état de santé, diagnostiqué par des certificats médicaux pendant leur enfermement, la Cour estime que les conditions de vie des enfants requérants [...] avaient atteint le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention et emporté violation de cet article".

Pourtant, le juge européen ne prône pas une interdiction de principe et rejoint en cela, notamment, la jurisprudence de la Cour de cassation. Si les conditions matérielles d'accueil sont satisfaisantes et appropriées, il n'y a pas violation de la disposition conventionnelle. La Cour, dans l'arrêt d'espèce, accepte le principe sous réserve de stricts aménagements conjoncturels qui ne semblent pas exister ici dans les faits. C'est dans l'appréciation plus sévère de ces éléments conjoncturels que se situe la novation majeure de l'arrêt. La Cour confirme la prise en compte plus nette de l'impératif de protection spécifique dont les enfants doivent bénéficier. C'est en s'appuyant, notamment, sur les mêmes motifs que les cours d'appel précitées, les rapports de la Cimade, du Défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie et de sécurité (toutes deux aujourd'hui dissoutes dans le Défenseur des droits), et du Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, que la Cour justifie la mise en avant des intérêts supérieurs des enfants en la matière.

La Cour fait reposer l'inadéquation des locaux de rétention des enfants sur trois éléments conjoncturels : d'abord, sur le fait que les infrastructures ne soient pas adaptées à la présence d'enfants (§ 95), d'autant plus que le droit français n'explicite pas ce qui est précisément nécessaire à l'accueil des familles (9). Ensuite, elle retient le critère lié à l'âge des enfants. Le Gouvernement français estimait que "l'âge des enfants requérants était tel qu'il ne leur permettait pas vraiment de se rendre compte de leur environnement" (§ 84). Pour la Cour, la fillette de trois ans et le bébé se trouvaient inversement "dans une situation de particulière vulnérabilité, accentuée par la situation d'enfermement" (§ 101). Les conditions de vie ne pouvaient qu'engendrer pour les enfants "une situation de stress et d'angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur le psychisme" (§ 101). L'absence d'éléments de preuve sur les troubles psychologiques des enfants ne suffit pas à exempter le Gouvernement français en la matière. Enfin, la Cour met en avant la durée de la détention des mineurs qui, même si elle n'apparaît pas excessive en soi, "peut-être ressentie comme infiniment longue par eux, compte tenu de l'inadéquation des infrastructures à leur accueil et à leur âge" (§ 100).

Elle estime, ensuite, que, "compte tenu du bas âge des enfants, de la durée de leur détention et des conditions de leur enfermement dans un centre de rétention, les autorités n'ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants. Elle considère que les autorités n'ont pas assuré aux enfants un traitement compatible avec les dispositions de la Convention et que celui-ci a dépassé le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention. Partant il y a eu violation de cet article à l'égard des enfants" (§ 103).

Au final, si l'impératif de protection spécifique des enfants justifie une tolérance de plus en plus faible pour le juge européen dans la prise en compte des traitements inhumains et dégradants, il va, également, permettre à ce même juge d'étendre l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la privation de la liberté, toujours en se fondant essentiellement sur "l'intérêt supérieur de l'enfant".

II - L'extension de l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale à l'ensemble de la famille faisant l'objet de la rétention

Le fait que les juges nationaux et le juge européen n'interdisent pas, par principe, la rétention de jeunes migrants accompagnés de leurs parents peut, à certains égards, être une solution qui, humainement, n'est pas satisfaisante. Le caractère incertain de la condamnation pour traitements inhumains et dégradants, malgré des seuils de gravité de plus en plus bas, ne permet pas entièrement de garantir une protection adéquate. La mise en avant de l'intérêt supérieur de l'enfant (A) va permettre, en l'espèce, au juge d'aller encore plus loin dans cette protection par la reconnaissance, pour la première fois de façon certaine, de l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale à l'ensemble de la famille faisant l'objet de la rétention (B).

A - La mise en avant de l'intérêt supérieur de l'enfant

Il existe un principe fondamental selon lequel l'enfant n'a pas à être dans un lieu privatif de liberté s'il n'a pas commis d'infraction, ce principe pouvant être adossé à la fois à l'article 5 de la Convention et à l'article 37 de la Convention internationale des droits de l'enfant. En droit des étrangers, la prohibition de la rétention des mineurs est indirectement consacrée. Le mineur étranger est, en effet, protégé contre toute mesure d'éloignement : expulsion (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 521-4 N° Lexbase : L5789G48), arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et obligation de quitter le territoire français (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 511-4 N° Lexbase : L7191IQE), mais aussi interdiction du territoire puisqu'il s'agit d'une peine que les tribunaux pour enfants ne peuvent prononcer (10). De cette protection, il faut déduire qu'un mineur ne peut être placé dans un centre de rétention en raison de sa propre situation irrégulière ou en raison d'infractions commises par lui sur le territoire français. Toutefois, le "principe" de la prohibition de la détention d'un mineur non délinquant n'est pas applicable dans deux hypothèses : un mineur faisant l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire national, qu'il soit ou non isolé, peut être "maintenu dans une zone d'attente [...] pendant le temps strictement nécessaire à son départ" (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 221-1 N° Lexbase : L5034IQI) (11) et, si le mineur ne peut pas lui-même être éloigné, il peut être placé en centre de rétention avec ses parents condamnés à un départ forcé.

C'est là que la jurisprudence met aujourd'hui en avant et développe de manière constante et à titre principal la notion "d'intérêt supérieur de l'enfant". La Cour souligne qu'il existe actuellement un large consensus -y compris en droit international- autour de l'idée que, dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (§ 140). La Cour rappelle que la Convention internationale des droits des enfants prévoit, à l'article 37, que "tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge [...]". La Cour rappelle aussi sa jurisprudence à propos de l'enfermement des mineurs étrangers, notamment celle sur la détention d'enfants dans des lieux de privation de liberté dans l'attente de leur expulsion. Dans un arrêt rendu le 5 avril 2011 (12), la Cour a conclu, dans le cas d'un mineur isolé maintenu, que les conditions de rétention étaient si déplorables qu'elles portaient atteinte à l'essence même de la dignité humaine, qu'elles s'analysaient en elles-mêmes et sans prendre en considération la durée de détention, en un traitement dégradant contraire à l'article 3 de la Convention. Enfin, la Cour relève, toujours dans l'idée du consensus général, que le Haut Commissariat pour les réfugiés, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et le défenseur des enfants se sont prononcés en faveur de mesures alternatives à la détention.

Dans cette logique et au-delà du caractère tout de même incertain de la condamnation sur le fondement des traitements inhumains et dégradants (CESDH, art. 3), la Cour applique pour la première fois le grief tiré du droit au respect de la vie familiale (CESDH, art. 8) lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la mesure de rétention.

B - L'applicabilité dorénavant certaine du droit au respect de la vie familiale

Lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la mesure de rétention, la Cour écartait jusqu'à maintenant le grief tiré de l'article 8 de la CESDH et le droit au respect de la vie familiale en estimant qu'il ne pouvait y avoir un problème de réunification familiale dans la mesure où les requérants et leurs enfants étaient détenus ensemble (13). Mais, en s'appuyant sur les derniers développements jurisprudentiels concernant l'intérêt supérieur de l'enfant dans la rétention des jeunes migrants, la Cour renverse cette jurisprudence. Elle le fait en soulignant qu'elle est "consciente de ce qu'un grief similaire a précédemment été déclaré irrecevable concernant la détention de quatre enfants avec leur mère pour une durée d'un mois, et alors qu'aucune alternative à la détention n'avait été envisagée" (§ 147), mais elle estime aujourd'hui que "l'intérêt supérieur de l'enfant ne peut se limiter à maintenir l'unité familiale mais que les autorités doivent mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d'enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale" (§ 147).

La Cour part donc du principe que le seul fait que la cellule familiale soit maintenue ne garantit pas nécessairement le respect du droit à une vie familiale et, notamment, lorsque la famille est détenue. Elle considère, ainsi, "que le fait d'enfermer les requérants dans un centre de rétention, pendant quinze jours, les soumettant à la vie carcérale inhérente à ce type d'établissement, peut s'analyser comme une ingérence dans l'exercice effectif de leur vie familiale" (§ 134). Cette ingérence n'encourt pas nécessairement violation de l'article 8 de la CESDH si elle bénéfice d'une base légale et poursuit des but légitimes ce qui est, d'ailleurs, le cas en l'espèce (14). Pour autant, la Cour juge la mesure disproportionnée et met en avant toute une série de reproches par rapport aux autorités françaises. En l'espèce, les requérants "ne présentaient pas de risque particulier de fuite nécessitant leur détention" (§ 145). Leur enfermement "n'apparaissait pas justifié par un besoin social impérieux, et ce, d'autant plus que l'assignation dans un hôtel durant la première phase de leur rétention administrative ne semble pas avoir posé de problème" (§ 145). La Cour mettant surtout en avant qu'il "ne ressort pas des éléments communiqués par le Gouvernement qu'une alternative à la détention ait été envisagée, assignation à résidence ou, à l'instar de la préfecture du Maine-et-Loire, maintien en résidence hôtelière" (§ 146). Enfin, pour la Cour, "il ne ressort pas des faits en présence que les autorités aient mis en oeuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d'expulsion et limiter le temps d'enfermement. En effet, les requérants furent maintenus pendant quinze jours sans qu'aucun vol ne soit organisé" (§ 146).

Il ressort au final de l'arrêt une tendance au développement constant dans la jurisprudence européenne de "l'intérêt supérieur de l'enfant". La position européenne ne condamne pas nécessairement la position des juges nationaux et, notamment, la Cour de cassation. Si les positions sont opposées, elles ne sont pas, pour autant, inconciliables. Mais, à travers la décision d'espèce, la jurisprudence européenne met, néanmoins, en place une protection plus énergique, la tolérance envers la détention de familles d'étrangers accompagnées d'enfants devenant de plus en plus faible. Il n'y a toujours pas de condamnation de principe et en soi d'une telle pratique, puisque l'exclusion de principe de la rétention pour les enfants entraînerait l'exclusion de principe de la rétention pour les parents. Mais, au final, l'interdiction de principe est-elle si illégitime ? Le fait de privilégier l'assignation à résidence sur la prolongation de la rétention s'il existe des enfants en bas âge semble aujourd'hui, en tout cas, de plus en plus légitime (15).


(1) En l'occurrence, un courriel envoyé par l'un des officiers de la police de l'air et des frontières mentionnant la nécessité d'une escorte pour le prochain éloignement au vu de la réception de Mme X. Le prochain vol avec escorte pour éloigner les requérants ne pouvant intervenir avant le 18 septembre 2007, le préfet n'avait pas fait preuve d'un manque de diligence pour organiser le départ et limiter le temps de la détention.
(2) L'OFPRA avait rejeté la demande au motif du caractère général des faits allégués et qui, assorti à l'invraisemblance du chantage exercé par les autorités kazakhstanaises ne permettaient pas d'établir leur réalité.
(3) La Cour relève, à ce titre, que la France compte parmi les trois seuls pays européens qui recourent systématiquement à la rétention de mineurs accompagnés ; cf. Rapport de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen (LIBE) de décembre 2007.
(4) CA Rennes, 29 septembre 2008, n° 271/2008 ; CA Toulouse, 21 février 2008, n° 08/00088 (N° Lexbase : A9815IB7).
(5) Cass. civ. 1, 10 décembre 2009, n° 08-21.101, FP-P+B+I (N° Lexbase : A4183EPM), Bull. civ. I, n° 250 ; Cass. civ. 1, 10 décembre 2009, n° 08-14.141, FP-P+B+I (N° Lexbase : A4182EPL), Bull. civ. I, n° 249.
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 12 juin 2006, n° 282275, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9349DPX).
(7) JO du 31 mai 2005, p. 9658.
(8) CEDH, 19 janvier 2010, Req. 41442/07 (N° Lexbase : A2046ER9). A ce sujet, lire les obs. d'Adeline Gouttenoire, Papa, maman et moi en centre de rétention..., Lexbase Hebdo n° 384 du 19 février 2010 - édition privée (N° Lexbase : N2454BN9).
(9) Décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 précité, art. 14, et C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 553-3 (N° Lexbase : L1743HWH).
(10) Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, relative à l'enfance délinquante, art. 20-4 (N° Lexbase : L4633AGP), JO, 4 février 1945, p. 530.
(11) Cette zone d'attente est matériellement distincte et séparée des "zones de rétention" où peuvent être placées les personnes visées par une mesure d'éloignement.
(12) CEDH, 5 avril 2011, Req. 8687/08 (N° Lexbase : A5687HML).
(13) CEDH, 19 janvier 2010, Req. 41442/07, préc.., § 98.
(14) La base légale est l'article L. 554-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5867G43). Concernant le but poursuivi par la mesure litigieuse, la Cour constate "qu'elle a été prise dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine et du contrôle de l'entrée et du séjour des étrangers sur le territoire. Cette action peut se rattacher à des objectifs tant de protection de la sécurité nationale, de la défense de l'ordre, de bien-être économique du pays que de prévention des infractions pénales" (§ 137).
(15) Sur la même décision, lire les obs. d'Adeline Gouttenoire, La France condamnée à Strasbourg pour la rétention de mineurs étrangers accompagnant leurs parents, Lexbase Hebdo n° 472 du 8 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0138BTB).

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Impôts locaux

[Chronique] Chronique de fiscalité locale - Février 2012

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N0099BTT

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 09 Février 2012

Si la loi de finances pour 2012 (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD) a délaissé la fiscalité locale, la quatrième loi de finances rectificative a procédé à quelques ajustements supplémentaires en matière de contribution économique territoriale. En effet, le remplacement de la taxe professionnelle ne se fait pas sans difficulté, et nombreux sont les textes qui ajustent l'application de cette nouvelle contribution. La dernière loi de finances rectificative pour 2011 modifie donc les modalités d'application de cet impôt. Ainsi, trois mesures sont prises : la cotisation foncière des entreprises, première composante de la CET, est modifiée de façon à permettre la réduction facultative de la base minimum de CFE pour les redevables les plus modestes, à proportionner la valeur locative déclarée par les parcs d'attraction saisonnier à leur période d'activité et à simplifier la déclaration des personnes redevables non sédentaires. Ensuite, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, seconde composante de la CET, est aménagée de façon à prendre en compte, de façon plus efficace, les difficultés générées par la mise en oeuvre d'une procédure collective. Enfin, une troisième mesure vise les déclarations de CVAE et de CFE par les non-résidents en France. Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, revient sur les dispositions modifiées par la quatrième loi de finances pour 2011. Depuis le 1er janvier 2010 (1), la taxe professionnelle (TP) a été remplacée par la contribution économique territoriale (CET) perçue au profit des collectivités territoriales. Cette récente imposition est composée de deux éléments : d'une part, la contribution foncière des entreprises (CFE) qui correspond à la part de la TP qui était assise sur les valeurs locatives foncières, et, d'autre part, la cotisation minimale de TP qui était assise sur la valeur ajoutée est remplacée par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Dans le même temps, avait été supprimée la TP sur les investissements productifs. Enfin, a été instaurée l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER).

La CET n'a "aucune existence propre en dehors de ses deux composantes" (2). Effectivement, ces deux éléments, CVAE et CFE, sont indépendantes l'une de l'autre quant aux différentes règles qui les régissent. Jusqu'à présent, la principale actualité de cette nouvelle CET a toujours été générée par les changements législatifs. La quatrième loi de finances rectificative pour 2011 (3) ne déroge pas à cette constatation et vient modifier des mesures qui intéressent la CFE et la CVAE, mais aussi les obligations déclaratives de certains contribuables de la CET.

  • Les mesures relatives à la CFE

Elles sont principalement au nombre de trois. La première d'entre elles concerne l'institution d'une réduction facultative de la base minimum de CFE pour les redevables les plus modestes. La deuxième est une mesure spécifique à la valeur locative des parcs saisonniers, inscrite à l'article 1478 du CGI (N° Lexbase : L5725IRH). La troisième a créé une nouvelle disposition qui intéresse le lieu d'imposition pour les redevables non sédentaires.

1 - Possibilité d'une réduction facultative de la base minimum de CFE pour les contribuables modestes

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 1647, D, I du CGI (N° Lexbase : L6018IRC), les redevables de la CFE peuvent être assujettis à une cotisation minimum au lieu de leur principal établissement. Cette règle existait déjà sous l'empire de la TP, dans le cadre de laquelle la cotisation minimum était calculée à partir d'une cotisation théorique de taxe d'habitation (TH), correspondant à un logement de référence choisi, en principe, par le conseil municipal. Cette cotisation était convertie en base minimum de TP (4). S'il a été retenu le principe d'une cotisation minimum lors de l'instauration de la CFE, en revanche, les règles de son calcul ont été simplifiées.

Depuis le 1er janvier 2010, cette cotisation minimum est établie sur la base d'un montant fixé par le conseil municipal ou l'établissement public de coopération intercommunale qui le remplace. Ce montant est compris entre 200 et 2 000 euros pour les contribuables dont le montant du chiffre d'affaires (CA) est inférieur à 100 000 euros HT au cours de l'année N-2 (année de référence) (5). Il est compris entre 200 et 6 000 euros si le CA est supérieur à 100 000 euros HT (CGI, art. 1647 D, I, al. 1) (6).

L'article 50 de la quatrième loi de finances (7) autorise les communes à réduire de moitié au maximum le montant de la base minimum pour les redevables qui réalisent un CA inférieur à 100 000 euros. Cette mesure a été prise au regard de la situation économique actuelle, en vue de diminuer la cotisation minimum de CFE pour les contribuables réalisant un faible CA. Cette disposition entre en vigueur pour la CFE acquittée au titre de 2012, à la condition que la délibération la mettant en oeuvre soit prise avant le 15 février 2012.

Dans l'hypothèse d'absence de délibération prise par l'organe délibérant, aux termes de l'alinéa 1er de l'article 1647 D, I, le montant de la base minimum applicable est égal au montant de la base minimum de TP appliqué en 2009. La prise en compte de cette base minimum n'est pas valable pour l'ensemble des contribuables mais seulement pour certaines catégories. Il s'agit de deux catégories définies au 1 de l'article 1647 D, I du CGI : les contribuables dont le CA est inférieur à 100 000 euros HT et ceux dont le CA est supérieur à ce même seuil pour la période de référence.

2 - La procédure de délibération permettant d'instituer une réduction de la valeur locative des parcs de loisirs saisonniers

Cette nouvelle mesure ne vient pas modifier le texte régissant cette procédure mais en préciser certains éléments. Pour rappel, la CFE est assise sur la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière (CGI, art. 1467, 1° N° Lexbase : L0812IPR). Néanmoins, cette valeur locative, utile à l'établissement de la CFE, peut être corrigée en fonction de la période d'activité. Cette règle n'est applicable qu'aux établissements limitativement énumérés à l'article 1478, V du CGI (N° Lexbase : L5725IRH). Cette liste comprend : les hôtels de tourisme saisonniers, restaurants, cafés, discothèques, établissements de spectacles ou de jeux, établissements thermaux. Aux termes de l'article 40 de la loi de finances rectificatives pour 2010 (8), les parcs d'attraction et de loisirs ayant une activité saisonnière ont désormais la possibilité de pondérer leur valeur locative en fonction de leur période d'activité en vue de calculer la CFE dont ils sont redevables.

Cependant, cette mesure ne s'applique pas de manière automatique, mais sous réserve que les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale concernés aient pris une délibération dans le sens d'une réduction. Cette délibération doit être prise avant le 1er octobre de l'année N pour être applicable l'année N+1 (CGI, art. 1639 A bis N° Lexbase : L5300IRQ).

L'article 44, X, 1° et XIII est venu préciser que les délibérations de la commune et de l'établissement public de coopération intercommunale doivent être concordantes quant à la réduction de la valeur locative dont peuvent bénéficier les parcs d'attraction et de loisirs au prorata de leur période d'inactivité.

On peut rappeler que l'inclusion des parcs de loisirs et d'attraction saisonniers dans la liste limitative des établissements pouvant bénéficier d'une réduction de leur valeur locative en fonction de leur durée d'ouverture est venue contredire la position du Conseil d'Etat. La Haute juridiction, par une décision en date du 10 novembre 2004 (9), avait en effet estimé que ce type d'établissement ne pouvait être considéré comme un établissement de spectacle au sens de l'article 1478, V du CGI.

Cette mesure est entrée en vigueur au 1er janvier 2012 à condition que la commune et l'établissement public de coopération intercommunale aient délibéré en ce sens avant le 1er octobre 2011.

3 - Lieu d'imposition

Selon les dispositions de l'article 1473 du CGI (N° Lexbase : L0810IPP), la CFE est établie dans chaque commune dans laquelle le redevable dispose de locaux ou de terrains, en raison de la valeur locative des biens qui y sont situés ou rattachés. Ce principe était déjà applicable dans le cadre de la TP. Cette assiette, uniquement foncière, a permis au législateur de simplifier les règles de répartition des bases d'imposition sur lesquelles reposaient la TP. Cette simplification a permis la suppression des mesures spécifiques à certains secteurs d'activité (10).

A compter des impositions dues au titre de l'année 2011, les entreprises non sédentaires ne disposant, pour leur activité, d'aucun local ni terrain, mais qui ont en France un domicile fixe, seront redevables de la cotisation minimum de CFE au lieu de leur habitation principale. Par application de l'article 1647 du CGI, tous les redevables de la CFE peuvent être assujettis à une cotisation minimum au lieu de leur principal établissement. Antérieurement à la modification commentée, ces personnes étaient redevables de la cotisation minimum au lieu de la commune de rattachement mentionné sur le récépissé de consignation, tel que prévu par l'article 7 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 (loi relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe N° Lexbase : L4723GUH) et par l'article 302 octies du CGI (N° Lexbase : L5971HLQ) (11).

Les dispositions de cet article impliquent que ce récépissé ne peut être délivré qu'aux redevables non sédentaires qui n'ont pas en France ni résidence, ni domicile depuis plus de six mois. Donc, de la combinaison de ces différents textes, il résultait que le lieu d'imposition des redevables non sédentaires mais possédant un lieu d'habitation principale n'était pas indiqué par la loi. L'article 44, I, 3 de la quatrième loi de finances pour 2011 est venu remédier à cette situation.

  • Mesure intéressant le recouvrement de la CVAE en cas d'ouverture d'une procédure collective

Les dispositions de l'article 1586 octies, II, 2 du CGI (N° Lexbase : L5720IRB) prévoient un délai spécifique pour déposer la déclaration de CVAE en cas de transmission universelle de patrimoine (12). Ce délai est de soixante jours pour déposer la déclaration de la valeur ajoutée et des effectifs salariés, ainsi que la déclaration en vue de liquider la CVAE. Le décompte de ce délai est effectué aux mêmes conditions que pour la déclaration de résultats en matière d'impôt sur les sociétés (IS).

Cependant, dans l'hypothèse de l'ouverture d'une procédure collective, qu'il s'agisse d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires, aucune mesure spécifique n'était prévue quant aux redevables de la CVAE. En conséquence, lors de l'ouverture d'une de ces procédures, la CVAE due par l'entreprise n'était exigible qu'à la date de dépôt de la déclaration, qui est la même que celle du paiement du solde.

Or, l'application du droit commun en matière de recouvrement de la CVAE, au regard des règles de l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX), aboutissait à la situation selon laquelle le délai fixé par le tribunal arrivait à expiration alors même que la créance de CVAE n'avait pas encore été établie définitivement. En effet, l'article précité du Code de commerce indique que tous les créanciers, dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, disposent d'un délai de deux mois à compter de la publication de ce jugement pour déclarer cette créance auprès du mandataire liquidateur. Pour les créances du Trésor public qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire à la date de leur déclaration, elles sont admises à titre provisionnel mais sous réserve des impôts et autres créances non encore établis à la date de la déclaration. Elles sont établies à titre définitif dans le délai fixé par le tribunal et ce sous peine de forclusion. En matière de CVAE, la créance, la plupart du temps, ne pouvait être établie définitivement dans le délai imparti par le tribunal.

De par la modification instaurée par l'article 53, IX de la quatrième loi de finances pour 2010 (13), il est mis en place une obligation de dépôt anticipé de la déclaration de CVAE en cas d'ouverture d'une procédure collective. La déclaration de la valeur ajoutée et des effectifs salariés devra être déposée dans un délai de soixante jours à compter du jour du jugement d'ouverture d'une telle procédure. Cette nouvelle obligation s'applique à compter du 30 décembre 2011, car à défaut de toute indication mentionnant une autre date, la date d'entrée en vigueur est celle du lendemain de la publication.

  • Les modifications apportées aux obligations déclaratives des redevables de la CET qui ne disposent pas d'un établissement en France

Il n'existe pas une déclaration quant à la CET, mais des obligations déclaratives différentes pour la CFE et la CVAE. L'article 44, I, 1 et 2 de la quatrième loi de finances modifie les obligations déclaratives des entreprises qui n'emploient aucun salarié en France et ne disposent d'aucun salarié en France, mais y exercent une activité de location ou de ventes d'immeubles. Cette modification a été inscrite à l'article 1477 du CGI (N° Lexbase : L0879IPA), par l'ajout d'un IV.

A compter de l'imposition due au titre de 2012 en matière de CFE, ces redevables devront déposer leurs déclaration au lieu de situation de l'immeuble dont la valeur locative foncière est la plus élevée au 1er janvier de l'année d'imposition (CGI, art. 1477, IV nouveau). Cette règle d'imposition existait déjà dans le cadre de la cotisation minimum pour les entreprises situées à l'étranger ne disposant d'aucun établissement en France. Aux termes de l'article 108, I, R de la loi de finances pour 2011 (14), pour les redevables étrangers ne disposant d'aucun local ou terrain en France, la cotisation minimum de CFE est due dans la commune de situation de l'immeuble dont la valeur locative foncière est la plus élevée au 1er janvier de l'année d'imposition. Cette mesure a été codifiée sous l'article 1647 D, II, 3 du CGI (N° Lexbase : L5719IRA).

Cependant, cette règle, modifiée par la loi de finances pour 2011, n'a pas été complétée par une mesure spécifique à la déclaration de la CFE. Dès lors, ces redevables étaient soumis au droit commun qui impose de déposer une déclaration de valeur locative au lieu de chaque immeuble vendu ou loué au 1er janvier de l'année d'imposition. Pour remédier aux effets de cette règle qui entraînaient nombre de déclarations et impliquaient une gestion peu aisée, tant pour les contribuables que pour l'administration, le redevable est, à présent, seulement astreint à déposer sa déclaration de CFE au lieu de situation de l'immeuble dont la valeur locative est la plus élevée.

Cette mesure ne s'appliquera qu'aux impositions dues au titre de l'année 2012 (15). En effet, la déclaration de CFE doit être déposée au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1er mai de l'année précédent celle de l'imposition (16). Donc, les entreprises ont déjà déposé leur déclaration (17) devront liquider les impositions dues pour l'année 2011 sous l'empire de la règle antérieure.

S'agissant des obligations déclaratives en matière de CVAE, dans l'hypothèse où le contribuable n'emploie aucun salarié en France, ni ne dispose d'aucun établissement en France tout en exerçant une activité de location ou de ventes d'immeubles, le III de l'article 1586 du CGI (N° Lexbase : L3094IGP) prévoyait les dispositions suivantes : selon le 1° de l'article précité, le contribuable devait répartir la valeur ajoutée des entreprises (VAE) entre les différents lieux de situation de chacun des immeubles en location ou vendu, et ce au prorata de la valeur locative foncière de chaque immeuble. Le 3° de l'article 1586, III du CGI énonçait que le contribuable à la CVAE devait déposer sa déclaration de valeur ajoutée et des effectifs salariés et sa déclaration liquidative au lieu de situation de l'immeuble dont la valeur locative est la plus élevée au 1er janvier de l'année d'imposition.

Depuis la modification instaurée aux termes de l'article 44 de la quatrième loi de finances rectificative pour 2011 (18), la déclaration de CVAE doit être déposée au lieu de la déclaration de résultat (19) (CGI, art. 1586 octies, III, 3° modifié N° Lexbase : L5720IRB). Cette mesure facilitera la gestion de cette déclaration car cette dernière et celle relative aux résultats comportent les mêmes données fiscales et doivent être remises à la même date. Ces déclarations doivent être déposées au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1er mai (CGI, art. 1586 octies, II).


(1) Loi de finances pour 2010, n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, art. 2 (N° Lexbase : L1816IGD).
(2) Hervé Zapf et Betty Toulemont, La contribution économique territoriale, Ed. Formation Entreprise, 2ème édition, 2011, 428 pages, p. 2.
(3) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011 (N° Lexbase : L4994IRE).
(4) Ghislaine Werbrouck, Contribution économique territoriale, Dossiers pratiques, éd. Francis Lefebvre, 2011, 676 pages, p. 288.
(5) CGI, art. 1467 A (N° Lexbase : L0811IPQ).
(6) Ces différents montants sont indexés annuellement sur l'indice des prix. Ainsi en 2011, les montants retenus étaient 203 et 2030 euros, en 2012, les montants sont portés à 206 et 2065 euros.
(7) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, op. cit..
(8) Loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L9902IN3).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 258844, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8961DDA), DF, 2005, n° 3, comm. 90.
(10) Ghislaine Werbrouck, Contribution économique territoriale, op. cit..
(11) DB 6-E-311, n° 7.
(12) C. civ., art. 1844-5 (N° Lexbase : L2025ABM).
(13) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, op. cit..
(14) Loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 (N° Lexbase : L9901INZ).
(15) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 44, XIII, A, 2, op. cit..
(16) CGI, art. 1477, I (N° Lexbase : L0879IPA).
(17) Formulaire n° 1447-M.
(18) Op. cit..
(19) Actuellement, il s'agit de la direction des résidents étrangers et des services généraux sise au 10, rue du centre à Noisy-le-Grand (93160).

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité médicale (novembre 2011 - février 2012)

Lecture: 12 min

N0096BTQ

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

Le 09 Février 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité parue de novembre 2011 à février 2012. En matière de faute médicale, on relèvera, entre autres, un arrêt du Conseil d'Etat rendu le 16 novembre 2011, duquel il ressort que les juges du fond ne peuvent accorder la réparation intégrale du préjudice consécutif au décès du patient lorsque la maladie qui n'avait pas été diagnostiquée à temps était incurable ; seule une perte de chance d'avoir pu ralentir son évolution peut être indemnisée (CE 7° s-s., 16 novembre 2011, n° 342541). Pour ce qui concerne les produits de santé, il convient de relever la décision très attendue de la CJUE, en date du 21 décembre 2011, qui a retenu que la Directive du 25 juillet 1985, relative à la responsabilité des producteurs, n'était pas applicable au simple utilisateur de produits de santé, ce qui est le cas de l'hôpital utilisant une couverture chauffante (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10). A noter, enfin, à propos du dispositif "anti-Perruche", l'arrêt en date du 15 décembre 2011, par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation retient qu'il ne résulte pas des termes de la décision du Conseil constitutionnel 2010-2 QPC du 11 juin 2010 que l'abrogation du dernier alinéa de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles devrait être limitée aux actions engagées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ; l'abrogation doit donc bénéficier également aux enfants nés avant l'entrée en vigueur de celle-ci, même s'ils n'avaient pas encore engagé d'action (Cass. civ. 1, 15 décembre 2001, n° 10-27.473, FS-P+B+R+I). I - Faute médicale
  • Les juges du fond ne peuvent écarter la responsabilité d'un médecin en présence d'une faute de diagnostic, sous prétexte que la cause du décès est inconnue, sans établir que cette faute n'a pas fait perdre au patient une chance de bénéficier d'un diagnostic et d'un traitement qui auraient pu éviter son décès (Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.799, F-D N° Lexbase : A9689HX7)

Intérêt de l'arrêt. Cet arrêt non publié confirme les termes de deux précédentes décisions intervenues en 2010 et qui sanctionnent les juges du fond lorsqu'ils écartent toute application de la théorie de la perte de chance, alors qu'une faute médicale a été établie, sous prétexte que toutes les causes du dommage qui est finalement survenu n'ont pas été identifiées (1).

L'affaire. Un patient était décédé quelques jours après avoir subi une adénomectomie prostatique. La cour d'appel avait mis hors de cause les praticiens poursuivis par les proches, alors pourtant qu'un erreur fautive de diagnostic avait été relevée (les médecins en charge de la surveillance post-opératoire avaient interprété comme une crise de goutte une douleur au pied droit dont le patient s'était plaint la veille sans mettre en oeuvre les investigations qui auraient pu permettre de confirmer ou éliminer le diagnostic de phlébite, l'embolie pulmonaire massive étant la première cause de décès en matière de chirurgie prostatique), sous prétexte que la cause exacte du décès restait inconnue, ce qui interdisait de tenir pour établi le lien de cause à effet entre cette faute et le décès ainsi qu'entre la faute et la perte de chance de survivre alléguée par les appelants.

Cet arrêt est cassé au visa de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), pour manque de base légale, la Cour de cassation reprochant aux juges du fond de n'avoir pas recherché "si, comme cela le lui était demandé, l'absence d'investigations complémentaires reprochée aux praticiens n'avait pas fait perdre à [la victime] une chance de bénéficier d'un diagnostic et d'un traitement qui auraient pu éviter son décès, peu important que la cause de celui-ci demeure indéterminée".

Une solution justifiée. Les demandeurs ne prétendaient pas que les fautes médicales relevées étaient à l'origine de l'entier dommage, mais seulement que l'erreur de diagnostic avait pu contribuer à retarder la mise en oeuvre d'un traitement approprié susceptible de sauver la victime, à tout le moins d'améliorer ses chances de survie. Le fait qu'on ignore pourquoi ce dernier avait fait une embolie pulmonaire était finalement secondaire dès lors qu'il était certain que la faute avait nécessairement retardé sa prise en charge. Certes, la mesure de la fraction de cette chance perdue sera délicate à établir, mais elle n'aurait pas été plus aisée à déterminer si l'origine de l'embolie avait été connue, ce qui suffit à démontrer que cette circonstance était indifférente au règlement du différend.

La faute de diagnostic à l'origine d'une présomption de causalité. Cette sévérité à l'égard des médecins fait qu'en présence d'une faute de diagnostic susceptible de faire perdre au patient une chance de bénéficier d'une prise en charge plus rapide de son mal, le préjudice est en quelque sorte présumé, à moins que le médecin ne démontre que la cause du dommage exclut toute perte de chance, notamment parce qu'il n'y avait rien à faire pour éviter ou même seulement ralentir l'issue finale. Si la cause du décès est inconnue, c'est alors à la victime de la faute médicale que le doute doit profiter (2).

  • Les juges du fond ne peuvent accorder la réparation intégrale du préjudice consécutif au décès du patient lorsque la maladie qui n'avait pas été diagnostiquée à temps était incurable ; seule une perte de chance d'avoir pu ralentir son évolution peut être indemnisée (CE 7° s-s., 16 novembre 2011, n° 342541 N° Lexbase : A9287HZY)

Cadre juridique. En présence d'une faute commise dans le diagnostic d'une affection ou du retard dans son traitement, le juge dispose de trois possibilités ; s'il est certain que sans la faute le dommage ne se serait pas réalisé, alors la réparation des dommages doit être intégrale (3) ; s'il est certain que cette faute a été sans conséquence sur l'issue fatale, alors aucune réparation ne sera due (4) ; s'il est certain que cette faute a accéléré l'issue fatale, ou a rendu sa survenance plus probable, alors le juge aura recours à la théorie de la perte de chance.

Les faits. Un jeune homme avait fait, en 1995, une demande de volontariat en service outre-mer. A la suite d'examens ayant révélé la présence de sang dans les urines, un néphrologue avait en juin 1996 attiré l'attention du médecin aspirant du régiment sur la nécessité de faire examiner le patient par une équipe de néphrologues en métropole pour effectuer une biopsie rénale, le diagnostic envisagé étant celui d'une néphropathie glomérulaire sans insuffisance rénale et sans hypertension. Ces informations ne furent communiquées au médecin traitant qu'en août 1998 et il fallut attendre septembre 2000 pour qu'une biopsie rénale soit enfin réalisée.

Un rapport d'expertise avait conclu à la responsabilité de l'Etat dans le retard de diagnostic de la pathologie du patient.

Par un arrêt du 17 juin 2010 (5), la cour administrative d'appel de Nancy a condamné l'Etat à verser une indemnité à la caisse primaire d'assurance maladie et une indemnité au patient au titre du trouble dans les conditions d'existence et du préjudice corporel.

Cet arrêt est annulé, le Conseil d'Etat considérant qu'"il n'existe à ce jour aucun traitement permettant d'obtenir la guérison" de l'affection qui a causé le décès et "que les seules options thérapeutiques disponibles consistent à retarder l'évolution de la maladie". Pour la Haute juridiction, "le retard pris dans le diagnostic de la maladie, a seulement eu pour effet de faire perdre une chance au patient C de ne pas voir se réaliser l'ensemble des préjudices qu'il a subis", ce qui s'oppose à la réparation intégrale, le Conseil d'Etat évaluant l'indemnité à 25 % du dommage subi par le patient.

  • Le manquement à l'obligation d'information cause nécessairement un préjudice au patient qu'il convient de réparer (Cass. civ. 1, 26 janvier 2012, n° 10-26.705, F-D N° Lexbase : A4344IBI)

En affirmant, dans cet arrêt, que "toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir et que le non-respect du devoir d'information qui en découle cause à celui auquel l'information était légalement due un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation", la Cour de cassation confirme ici les termes de sa jurisprudence "Seurt" (6) .

II - Produits de santé

  • La Directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des producteurs n'est pas applicable au simple utilisateur de produits de santé, ce qui est le cas de l'hôpital utilisant une couverture chauffante (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10 N° Lexbase : A6909H8E)

Intérêt de la décision. La solution était attendue, espérée même depuis que le Conseil d'Etat avait saisi la CJUE d'une question préjudicielle portant sur l'applicabilité de la Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT) aux simples "utilisateurs" de produits de santé (7) . Il s'agissait plus précisément de déterminer si le juge administratif pouvait continuer de faire application de sa jurisprudence "Marzouk", dégagée en 2003 et qui a consacré l'existence d'une responsabilité sans faute pour les dommages causés par les dispositifs médicaux (8), s'agissant singulièrement d'une couverture chauffante dont un hôpital s'était servi pour réchauffer un patient, lui occasionnant de sérieuses brûlures.

La réponse. La CJUE répond positivement aux deux questions qui lui étaient posées et considère que la responsabilité du simple utilisateur de produits n'entre pas dans le champ de la directive. Elle considère, en effet, que "la responsabilité d'un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d'une prestation de services telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n'est pas le producteur au sens des dispositions de la Directive 85/374 et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation ne relève pas du champ d'application de cette Directive". La Cour précise que la Directive "ne s'oppose dès lors pas à ce qu'un Etat membre institue un régime, tel que celui en cause au principal, prévoyant la responsabilité d'un tel prestataire à l'égard des dommages ainsi occasionnés, même en l'absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois, que soit préservée la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci".

Une solution justifiée. La solution semble parfaitement logique dans la mesure où le régime de responsabilité issu de la Directive est le fruit d'un savant compris entre le désir de faciliter l'indemnisation des victimes tout en préservant les intérêts des producteurs. Cette recherche d'équilibre, parfaitement rappelée dans les conclusions de l'avocat général et dans l'arrêt lui-même, suppose que l'on soit bien en présence d'un producteur, à tout le moins d'un distributeur qui rend la commercialisation des produits possibles. Or, du point de vue des dispositifs médicaux dont les médecins et établissements se servent, il ne s'agit ici ni de fabricants, ni de professionnels de la vente ou de la fournitures uniquement chargés de favoriser la diffusion de ces produits, mais d'hôpitaux ayant des missions bien particulières, qui en sont les utilisateurs finaux et qui sont soumis par ailleurs soumis à des régimes de responsabilité civile qui leur sont propres.

Une portée considérable. Compte tenu de la justification de la distinction introduite entre producteurs/ fournisseurs et utilisateurs, la portée de la décision sera certainement considérable car la même solution doit être logiquement appliquée à tous les dispositifs médicaux (instruments, appareillages, etc.).

Régime applicable au sang et aux médicaments. On peut toutefois s'interroger sur la question de "l'utilisation" du sang et des médicaments par les établissements. Il semble a priori plus difficile de leur étendre la solution dans la mesure où il s'agit de biens consomptibles qui vont faire être assimilés par les patients ; la notion d'utilisateur semble dès lors plus discutable, d'autant plus que, par le passé, la jurisprudence les avait qualifiés de "fournisseurs" (9).

Il nous semble pourtant que l'exclusion devrait leur être appliquée dans la mesure où la solution retenue tient non pas aux caractéristiques des produits concernés mais au rôle joué par les protagonistes dans la chaîne de circulation du produit ; les établissements ne sont en effet pas les "producteurs" des produits ou des médicaments lorsque ces derniers leur sont fournis par l'EFS ou les laboratoires, ni même des distributeurs puisqu'il ne s'agit pas pour eux de les commercialiser pour permettre aux patients de les utiliser, en dehors de leur contrôle, comme des pharmaciens, mais bien de les utiliser directement et personnellement dans le cadre d'une prestation médicale.

Fondement désormais visé. Reste à déterminer sur quels fondements la responsabilité des établissements pourra être engagée s'agissant des produits utilisés, si ce n'est pas sur le régime de responsabilité du fait des produits défectueux.

Il semble acquis que le Conseil d'Etat semble désireux de poursuivre dans la voie de l'application de sa jurisprudence "Marzouk", c'était d'ailleurs le sens de la seconde question posée à la Cour de justice, et que la Cour de cassation pourrait continuer de se référer à la figure de l'obligation de sécurité de résultat qu'elle avait visé avant 2002 (10).

Il nous semble toutefois que l'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique devrait être visé en ce qu'il pose comme principe que la responsabilité des professionnels et établissements en raison du "défaut des produits de santé" est engagée sans qu'il soit nécessaire de prouver la faute. Si la référence au "défaut" s'imposerait alors au juge, ce dernier demeurerait libre notamment de ne pas retenir les nombreuses causes d'exonération de la directive, notamment le risque de développement.

III - Dispositif "anti-Perruche"

  • Il ne résulte pas des termes de la décision 2010-2 QPC du 11 juin 2010 que l'abrogation du dernier alinéa de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles devrait être limitée aux actions engagées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ; l'abrogation doit donc bénéficier également aux enfants nés avant l'entrée en vigueur de celle-ci, même s'ils n'avaient pas encore engagé d'action (Cass. civ. 1, 15 décembre 2001, n° 10-27.473, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2913H8E) (11)

Contexte. Nous avons évoqué à de nombreuses reprises le contentieux né de l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (N° Lexbase : L1457AXA), transféré dans le Code de l'action sociale et des familles (à l'article L. 114-5 N° Lexbase : L8912G8L) à l'occasion de l'adoption de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (N° Lexbase : L5228G7R). On sait que le dernier alinéa de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles, qui prétendait faire une application immédiate du dispositif "anti-Perruche" à toutes les demandes antérieures n'ayant pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée, a été successivement considéré comme contraire au droit européen (12) puis à la Constitution et finalement abrogé par le Conseil constitutionnel dans une décision 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (13) .

Doutes sur la portée effective de l'abrogation. Restait une question délicate en suspens concernant la portée effective de l'abrogation.

On sait que, s'agissant de la contrariété de l'application immédiate du dispositif avec le droit aux biens de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CESDH, la Cour de cassation avait retenu comme critère du maintien de sa jurisprudence "Perruche" la date de naissance de l'enfant, par hypothèse antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, et non la date à laquelle l'action en justice aurait été introduite (14). Or, dans sa décision en date du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel s'est référé, dans ses motifs, à la date de l'action et non à la date de naissance, de sorte qu'on pouvait s'interroger sur la portée effective de l'abrogation pour les enfants nés avant le 7 mars 2002 mais exerçant une action après cette date.

Le Conseil d'Etat a, pour sa part, considéré "qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel et des motifs qui en sont le support nécessaire qu'elle n'emporte abrogation, conformément au deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, du 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 que dans la mesure où cette disposition rend les règles nouvelles applicables aux instances en cours au 7 mars 2002" (15), mais contre l'avis de son rapporteur public (16).

Intérêt de la question sur le plan constitutionnel. La question posait, tout d'abord, un épineux problème constitutionnel, car même si, en principe, seul le dispositif d'une décision rendue par le Conseil s'impose aux juridictions, cette autorité s'étend également aux motifs "qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même".

Or, pour la Cour de cassation, tel n'est pas le cas en l'espèce car il n'existe pas de "motifs clairs et précis qui en seraient indissociables".

Même si la question intéresse avant tout les spécialistes de contentieux constitutionnel et ne change finalement pas grand-chose à la situation, puisque la Cour de cassation a tranché la question, il nous semble que cette analyse doit être approuvée car la question de la portée de l'abrogation ne doit pas être confondue avec celle de ses motifs (17). Or, on peut parfaitement considérer que l'atteinte au principe de la garantie des droits, qui constitue le fondement de l'abrogation du texte litigieux impose tout autant de protéger les intérêts des enfants ayant agi avant le 7 mars 2002 que de ceux qui seraient nés avant cette date mais n'auraient pas agi, car dans les deux cas il s'agit d'éviter non seulement l'intrusion du législateur dans le cours de la justice, mais aussi plus de garantir le respect du principe de sécurité juridique. Mais même si ce principe n'a pas de valeur constitutionnelle propre, on peut admettre qu'il doit guider le juge dans son interprétation des règles qui portent atteinte à la confiance légitime en amplifiant des solutions qui pourraient être fondées sur d'autres règles, ce qui était bien le cas ici.

L'affirmation a un autre intérêt évident qui est d'unifier les solutions issues du contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité du dispositif car, à imaginer qu'on considère le texte comme abrogé uniquement pour les victimes qui auraient saisi le juge avant le 7 mars 2002, le texte n'en demeure pas moins contraire au droit aux biens s'agissant des enfants nés avant l'entrée en vigueur du texte mais qui n'avaient pas encore saisi le juge. C'est d'ailleurs bien le sens de l'arrêt qui affirme, dans un deuxième temps, cette contrariété, nonobstant la question de la portée de la décision d'abrogation (18).


(1) Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, n° 08-20.755, F-P+B (N° Lexbase : A7639EQY), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (février et mars 2010), Lexbase Hebdo n° 390 du 8 avril 2010 - édition privée (N° Lexbase : N7306BNW) : s'agissant d'un enfant dont le handicap de naissance n'avait pu être expliqué ; Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-69.195, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7906GBG), RTDCiv., 2011, p. 128, obs. P. Jourdain ; D., 2010, p. 2682, note P. Sargos ; D., 2011, p. 37, obs. O. Gout ; et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (15 juin - 30 octobre 2010), Lexbase Hebdo n° 415 du 4 novembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4537BQ4) : retard de diagnostic concernant une affectation dont toute l'étiologie n'avait pu être établie avec certitude.
(2) Sur l'application de ce mécanisme dans le contentieux de la vaccination anti-hépatite B, notre chron., Causalité juridique et causalité scientifique : de la différence à la dialectique, D., 2012, chron.
(3) Le Conseil d'Etat a pour sa part tendance, dans cette hypothèse, à viser la théorie de la perte de chance tout en accordant à la victime la réparation d'une perte de chance de... 100 %. Dans ce même cas de figure, la Cour de cassation ne vise pas la théorie de la perte de chance mais l'existence d'une causalité directe et certaine. Le résultat indemnitaire est le même.
(4) A moins de considérer, comme c'est désormais le cas en présence d'un défaut d'information, que cette faute cause nécessairement un préjudice qu'il convient de réparer.
(5) CAA Nancy, 3ème ch., 17 juin 2010, n° 09NC00994 (N° Lexbase : A1894E3K).
(6) Cass. civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-13.591, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1522EYZ) et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juin 2010), Lexbase Hebdo n° 401 du 30 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4400BPN) ; Resp. civ. et assur., 2010, comm. 222, note S. Hocquet-Berg ; D., 2010. 1484, obs. I. Gallmeister, 1522, note P. Sargos, 1801, point de vue D. Bert, et 2092, chron. N. Auroy et C. Creton ; RDSS, 2010, 898, note F. Arhab-Girardin ; RTDCiv., 2010, 571, obs. P. Jourdain ; JCP éd. G., 2010, 788, note S. Porchy-Simon, et Chron. resp. civ., 1015, spéc. n° 3 et 6 ; C. Corgas-Bernard, RLDC, oct. 2010, 21 ; LPA, 17-18 août 2010, note R. Milawski. Dans le même sens, Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-21.241, F-D (N° Lexbase : A6137HYX) : nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (juin à octobre 2011), Lexbase Hebdo n° 463 du 23 novembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N8879BSN).
(7) CE, 5° et 4° s-s-r., 4 octobre 2010, n° 327449 (N° Lexbase : A3527GBA), nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (15 juin - 30 octobre 2010), préc..
(8) CE 5° et 7° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 220437 (N° Lexbase : A1898C98).
(9) Dernièrement, Cass. civ. 2, 17 juin 2010, n° 09-10.786, FS-P+B (N° Lexbase : A0924E3M), à propos du fondement du recours entre cofournisseurs de produits sanguins, nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (15 juin - 30 octobre 2010), préc..
(10) Cass. civ. 1, 17 novembre 2000, n° 99-12.255 (N° Lexbase : A7794AH7) : D., 2001, somm., p. 2236, obs. D. Mazeaud.
(11) JCP éd. G, 2012, p. 72, note P. Sargos ; RDA, 2012, comm. 20, obs. F. Melleray.
(12) Par la CEDH (CEDH, deux arrêts, 6 octobre 2005, Req. 11810/03 N° Lexbase : A6794DKT, et Req. 1513/03 N° Lexbase : A6795DKU : Resp. civ. et assur., 2005, comm. 327, obs. Ch. Radé), puis la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-13.775 FP-P+B N° Lexbase : A5688DMM : Resp. civ. et assur., 2006, comm. 94, nos obs. ; JCP éd. G, 2006, II, 10062, note A. Gouttenoire et S. Porchy-Simon ; Dr. Famille, 2006, comm. 94, obs. B. Beignier et concl. J. Sainte-Rose) et le Conseil d'Etat (CE, 5° et 6° s-s-r., 24 février 2006, n° 250704 N° Lexbase : A3958DNW : Resp. civ. et assur., 2006, comm. 127).
(13) Cons. const., décision n° 2010-2 QPC, du 11 juin 2010 (N° Lexbase : A8019EYN).
(14) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), JCP éd. G, 2008, II, 10166, avis C. Melloté, note P. Sargos ; et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 6 octobre 2008 - édition privée (N° Lexbase : N3835BHI).
(15) CE, Ass., 13 mai 2011, n° 317808 (N° Lexbase : A8711HQP) et n° 329290 (N° Lexbase : A8726HQA), publiés au recueil Lebon : RGDM, 2011, n° 40, p. 355, note J. Saison-Demars et M. Girer ; JCP éd. A, 2011, n° 29, p. 29, note B. Pacteau ; RDSS, 2011, p. 749, note D. Cristol ; RFDA, 2011, p. 772. Egalement, mais dans une formule n'excluant pas formellement les naissances antérieures : CE, 5° s-s., 18 juillet 2011, n° 328881, (N° Lexbase : A3149HWK) : "que cette décision emporte abrogation, conformément au deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, du 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 dans la mesure où cette disposition rend les règles nouvelles applicables aux instances en cours au 7 mars 2002".
(16) RFDA, 2011, p. 772, concl. J.-Ph. Thiellay.
(17) Dans le même sens, P. Sargos au JCP éd. G, 2012, préc..
(18) Dans le même sens, P. Sargos, préc..

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Exemption du plan de reclassement interne : précisions et sanctions

Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4422IBE)

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N0102BTX

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 24 Octobre 2012

Au mois d'octobre 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation jugeait que, lorsqu'un employeur met en place un plan de départs volontaires qui exclut tout licenciement pour parvenir à la suppression des emplois projetée, il est dispensé de pourvoir le plan de sauvegarde de l'emploi de mesures de reclassement. Cette solution avait, unanimement ou presque, suscité l'inquiétude et l'incertitude tant les conditions de cette exemption semblaient fuyantes. C'est pour répondre à ces craintes que la Chambre sociale, par un arrêt rendu le 25 janvier 2012, apporte de substantielles précisions à la question, tant s'agissant des conditions de l'exemption (I), que des sanctions infligées lorsque ces conditions n'étaient pas réunies (II).
Résumé

Si l'employeur qui entend supprimer des emplois pour des raisons économiques en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable, n'est pas tenu d'établir un plan de reclassement interne lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d'emplois, il en va autrement lorsque le projet de réduction d'effectifs de l'employeur implique la suppression de l'emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l'entreprise dans le cadre du plan de départs volontaires; que le maintien de ces salariés dans l'entreprise supposant nécessairement en ce cas un reclassement dans un autre emploi, un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l'emploi.

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié concerné par une procédure de suppression d'emplois pour raisons économiques, lorsqu'elle est justifiée par l'absence ou l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi que l'employeur est tenu d'établir, produit les effets d'un licenciement nul.

Commentaire

I - Les conditions de l'exemption de plan de reclassement

  • L'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi en cas de départs volontaires

Rares sont les affaires donnant lieu à tant de commentaires, à une telle médiatisation, dès le stade de la première instance (1). Ce fut pourtant là le destin de l'arrêt "Renault" rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 octobre 2010 (2).

Depuis longtemps déjà savait-on que la rupture d'un commun accord, le "départ négocié" voire le "départ volontaire" résultant d'un motif économique se voyait appliquer le régime du licenciement pour motif économique (3). Cette exigence figure, aujourd'hui, au second alinéa de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) qui prévoit que "les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au premier alinéa".

Cette règle générale emportait, bien sûr, des conséquences concrètes sur le plan du régime juridique de ces départs volontaires ou négociés, la Chambre sociale excluant l'application de certaines règles (4) pour en retenir d'autres (5). Parmi ces dernières figurait l'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi. Ainsi, de manière constante, la Chambre sociale de la Cour de cassation imposa que la survenance de dix départs volontaires dans une même période de trente jours, départs justifiés par un motif économique, oblige l'employeur à mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi (6).

  • Départs volontaires et plan de reclassement

Cette règle avait cependant fait l'objet d'un aménagement substantiel dans le cadre de l'affaire "Renault". Dans l'hypothèse où seuls des départs volontaires étaient mis en oeuvre pour rendre effectives plusieurs milliers de suppressions d'emploi, la Chambre sociale retenait qu'"un plan de reclassement, qui ne s'adresse qu'aux salariés dont le licenciement ne peut être évité, n'est pas nécessaire dès lors que le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppressions d'emplois" (7).

On considère traditionnellement que le plan de sauvegarde de l'emploi est composé de différents volets (8). Le plan de sauvegarde a pour objet d'éviter les licenciements ou d'en limiter le nombre. Il comporte ainsi des mesures de reclassement, interne ou externe, qui permettent aux salariés dont l'emploi est supprimé de conserver un emploi dans l'entreprise ou d'en trouver un dans une autre entreprise. Ce "plan de reclassement" est expressément visé au second alinéa de l'article L. 1233-61 du Code du travail (N° Lexbase : L1236H9N). Le plan de sauvegarde contient, en outre, des mesures destinées à compenser ou à alléger les conséquences du licenciement quand celui-ci ne peut être évité, permettant ainsi par exemple que soient proposés aux salariés licenciés des actions de formation, des parcours de validation des acquis de l'expérience, des aides à la mobilité professionnelle ou, encore, des aides à la création ou à la reprise d'activités (9).

Lorsque le plan de réduction des effectifs n'est composé que de départs volontaires, c'est donc tout un pan du plan de sauvegarde dont l'employeur est dispensé, celui relatif au reclassement des salariés qui quittent l'entreprise et pour qui, suivant le raisonnement de la Chambre sociale, le licenciement est évité (10). Par une décision rendue le 25 janvier 2012 et destinée à une publicité aussi large que l'arrêt "Renault" (P+B+R+I) (11), la Chambre sociale apporte quelques précisions à cette exemption de plan de reclassement.

  • L'affaire

A la suite de l'externalisation d'un service, une société et les organisations syndicales représentatives présentes dans l'entreprise avaient conclu un accord de méthode qui prévoyait la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi comportant un plan de départs volontaires proposé aux salariés concernés par l'externalisation et qui ne souhaitaient pas demeurer au service de l'entreprise dans ces conditions. Une fois le plan de départ volontaire approuvé par le comité d'entreprise, sans que le plan de sauvegarde ne comporte de plan de reclassement, un salarié dont le poste était externalisé fit valoir sa candidature au départ volontaire. A la suite du refus de ce projet par une commission paritaire de suivi, la société proposa au salarié un reclassement interne à des fonctions différentes que celles exercées jusque là. Le salarié engagea une procédure pour demander la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi puis, estimant s'être vu refuser une formation et avoir été laissé sans activité dans l'entreprise, prit acte de la rupture de son contrat de travail, demandant plus particulièrement à ce que cette prise d'acte produise les effets d'un licenciement nul.

La cour d'appel saisie de l'affaire jugea que la prise d'acte du salarié devait produire les effets d'une démission, ce pour plusieurs raisons. D'abord, le salarié ne pouvait reprocher à l'employeur de s'être vu refuser le bénéfice d'un départ volontaire puisqu'il ne présentait pas les conditions requises pour bénéficier du plan. Ensuite, faute que le refus de formation et l'absence d'activité ne soient démontrés, ces griefs ne pouvaient fonder une prise d'acte aux torts de l'employeur.

Au visa des articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR) du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision par un arrêt rendu le 25 janvier 2012. Par un double et très long chapeau de tête, la Chambre sociale dispose, d'abord, que "si l'employeur qui entend supprimer des emplois pour des raisons économiques en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable, n'est pas tenu d'établir un plan de reclassement interne lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d'emplois, il en va autrement lorsque le projet de réduction d'effectifs de l'employeur implique la suppression de l'emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l'entreprise dans le cadre du plan de départs volontaires; que le maintien de ces salariés dans l'entreprise supposant nécessairement en ce cas un reclassement dans un autre emploi, un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l'emploi".

Elle ajoute, ce sur quoi nous reviendrons ultérieurement et qui constitue un apport non négligeable de la décision, que "la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié concerné par une procédure de suppression d'emplois pour raisons économiques, lorsqu'elle est justifiée par l'absence ou l insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi que l'employeur est tenu d'établir, produit les effets d'un licenciement nul".

En somme, et pour s'en tenir pour l'instant à l'exigence d'un plan de reclassement composant le plan de sauvegarde de l'emploi, la Chambre sociale constate que le salarié ne pouvait bénéficier du plan de départ négocié alors même que son emploi était supprimé, ce dont attestait la proposition de reclassement faite par l'employeur. En effet, "l'opération d'externalisation décidée par l'employeur entraînait nécessairement la suppression des emplois concernés" et "le salarié avait vu son projet de départ refusé, ce dont il résultait que la prise d'acte du salarié, qui se trouvait privé d'emploi, était justifiée par l'absence dans le plan social d'un plan de reclassement interne et produisait les effets d'un licenciement nul".

  • Première précision : l'absence de licenciement

Comme le relèvent eux-mêmes les magistrats de la Cour de cassation (12), le premier intérêt de cette décision est donc d'apporter des limites à la jurisprudence "Renault", limites qui, cependant, pouvaient déjà être pressenties dans cette précédente affaire. Ainsi que cela avait été relevé, l'absence de licenciement stricto sensu joue donc un rôle essentiel dans l'application de l'exemption de plan de reclassement (13). A partir du moment où un emploi est supprimé sans que le salarié qui l'occupait puisse bénéficier du plan de départs volontaires, l'éventualité d'un licenciement reparaît et justifie qu'un plan de reclassement soit inclus au plan de sauvegarde de l'emploi.

A première vue au moins, l'arrêt n'apporte pas de précision quant à la question de savoir si l'exemption de plan de reclassement doit intervenir en cas d'engagement ferme de l'employeur à ne pas licencier ou, seulement, lorsque le plan de départ volontaire n'envisage pas de licenciements (14). Une lecture attentive permet de remarquer que la Chambre sociale conserve une terminologie plutôt vague puisque l'exigence d'un plan de reclassement n'est exclue que "lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d'emplois" (15). A s'en tenir à cette motivation, il suffirait donc qu'initialement, aucun licenciement ne soit envisagé, peu important que, finalement, des licenciements interviennent. La solution apportée aux faits de l'espèce est pourtant totalement contradictoire avec cette argumentation. En effet, à l'origine, aucun licenciement n'était envisagé, comme précisément la Cour de cassation l'exige. Pourtant, l'un des salariés ne pouvant bénéficier du plan, la Cour de cassation prend acte, ex post, que tous les départs ne seront pas des départs négociés et, ainsi, adopte concrètement une approche beaucoup plus restrictive de l'exigence d'absence de licenciement. Même si l'on aurait donc préféré que la motivation de principe soit précisée pour que l'absence de licenciement ne soit pas seulement exigée au stade de l'élaboration du plan de réduction des effectifs, le résultat est satisfaisant (16). Si le salarié ne peut pas ou, mieux, ne veut pas bénéficier du plan de départ volontaire, le plan de sauvegarde de l'emploi devra intégrer un plan de reclassement quand bien même l'employeur n'avait pas envisagé que des licenciements puissent survenir.

  • Seconde précision : exemption limitée au reclassement interne

La décision apporte une autre précision à l'arrêt "Renault", précision d'ailleurs beaucoup moins ambiguë. On s'était en effet demandé, à plusieurs occasions, quel était le domaine de l'exemption du plan de reclassement (17). Celle-ci permettait-elle seulement à l'employeur de ne pas envisager de mesures de reclassement interne ou, plus largement, lui permettait-elle d'écarter toute mesure de reclassement, y compris de reclassement externe ?

L'arrêt "Renault" demeurait très vague, visant seulement l'exemption du "plan de reclassement". Il fallait, pour espérer préciser cette question, aller à nouveau consulter le communiqué de la Cour de cassation qui, pour sa part, visait les mesures de reclassement interne. Le doute n'est plus aujourd'hui permis puisque la Chambre sociale précise très clairement que c'est "un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l'emploi" lorsqu'un salarié ne peut ou ne veut pas bénéficier du plan de départs volontaires.

Là encore, les conséquences d'une conception trop large du plan de reclassement auraient présenté certains dangers, vidant de facto le plan de sauvegarde de l'emploi de tout son contenu opérationnel (18). Même s'il est vrai que la technique du reclassement interne s'accommode assez mal avec l'idée selon laquelle le licenciement ne peut être évité (19), on peut tout de même se féliciter que le plan de sauvegarde de l'emploi conserve une grande partie de son intérêt, même en cas de plan de départs volontaires.

Il reste, cependant, d'autres questions qui devront à l'avenir être précisées. Ainsi, par exemple, on peut se demander si le plan de reclassement interne introduit au plan de sauvegarde de l'emploi lorsque des salariés ne peuvent ou ne veulent pas bénéficier du plan de départs volontaires pourra également bénéficier aux salariés qui s'étaient initialement engagé dans un processus de départ négocié. Si tel n'était pas le cas, et comme cela a déjà été relevé, une flagrante inégalité de traitement se ferait jour (20).

On s'était également interrogé sur la sanction d'un licenciement survenant alors même que le plan de départ volontaire n'envisageait pas un tel mode de rupture des contrats de travail (21). L'occasion lui en étant donnée, la Cour de cassation répond indirectement à cette question tout en ouvrant, pour la première fois, la faculté pour le salarié d'obtenir que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en cas d'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi produise les effets d'un licenciement nul.

II - Les sanctions de l'exemption de plan de reclassement

  • La prise d'acte de la rupture justifiée par un plan de sauvegarde insuffisant produit les effets d'un licenciement nul

Le salarié qui estime que l'employeur a manqué gravement à ses obligations en mettant en place un plan de sauvegarde de l'emploi insuffisant peut-il prendre acte de la rupture de son contrat de travail et, s'il le fait, cette prise d'acte produira-t-elle les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'un licenciement nul ? En répondant à cette question, la Chambre sociale ménage un deuxième apport essentiel à l'arrêt commenté. Comme le relève une fois encore le communiqué de la Cour de cassation, "cet arrêt statue également pour la première fois en matière de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, en cas d'absence de plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi" (22).

Sans revenir dans le détail du régime juridique de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, rappelons que ce mode de rupture permet au salarié de prendre l'initiative de la rupture de son contrat de travail tout en imputant cette rupture à un manquement grave de son employeur à ses obligations. Selon que les manquements de l'employeur sont avérés et sont ou non d'une gravité suffisante, la prise d'acte produira les effets d'une démission ou ceux d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (23).

Cette position, adoptée dès 2003, a cependant fait l'objet de précisions. Il semble, en effet, que, dans un certain nombre de cas, les manquements de l'employeur caractérisent un manquement d'une gravité telle que le licenciement, s'il avait été prononcé, n'aurait pas seulement été dépourvu de cause réelle et sérieuse mais, plus radicalement, aurait été illicite et aurait pu être annulé. Dans cette situation, la Cour de cassation juge que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement nul. Cela n'a jusqu'ici été jugé, stricto sensu, que pour les représentants du personnel qui prennent acte de la rupture de leur contrat de travail. Faute que la rupture ait été autorisée par l'administration du travail, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul lorsque les manquements reprochés à l'employeur sont d'une gravité suffisante (24). Quoique seulement infligée à ce jour à la suite de demandes de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, la sanction devrait être la même s'agissant de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail introduite par un salarié victime de harcèlement (25) ou victime d'une discrimination (26).

  • Une solution justifiée, mais aux effets difficile à mesurer

C'est à cette solution que parvient l'arrêt sous examen s'agissant du salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de l'absence ou de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi. Là encore, la position prise par la Chambre sociale doit être approuvée, cela pour au moins deux raisons.

Le premier argument est purement textuel. L'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi dont les mesures soient suffisantes est imposée par le Code du travail à peine de nullité de la procédure et, subséquemment, de nullité des licenciements éventuellement prononcés (27). A l'image du licenciement d'un représentant du personnel sans autorisation, le licenciement à la suite d'un plan de sauvegarde insuffisant est nul. C'est donc fort logiquement que la règle peut être étendue à de telles prises d'acte.

Le second argument tient à l'une des faiblesses de la jurisprudence relative à la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un représentant du personnel. Comme l'avait pertinemment relevé Christophe Radé (28), la règle posée par la Chambre sociale pouvait être contestée en ce que l'employeur, dans ce cas de figure, n'avait pas réellement manqué à une obligation dont la violation pouvait emporter la nullité du licenciement. La règle violée était de pure procédure -le fait de ne pas avoir saisi l'administration du travail- et l'employeur ne pouvait la respecter alors même qu'il ne prenait pas l'initiative de la rupture.

Si cet argument doit être entendu s'agissant des représentants du personnel, il ne peut, en revanche, s'opposer à la solution commentée s'agissant de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi. En effet, même si l'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi est bien de nature procédurale, sa mise en oeuvre était chronologiquement préalable à la prise d'acte de la rupture. L'employeur a manqué à ses obligations en ne mettant pas en place le plan de sauvegarde alors qu'il ne manquait pas à ses obligations en ne demandant pas d'autorisation de licenciement pour un salarié protégé.

La portée de cette décision est potentiellement très importante. Toute prise d'acte qui interviendrait à la suite d'un comportement illicite de l'employeur pourrait produire les effets d'un licenciement nul. Au-delà des hypothèses déjà envisagées du harcèlement ou des discriminations, on pourrait encore envisager la prise d'acte de la rupture d'une salariée enceinte, d'un salarié dont le contrat est suspendu en raison d'un accident du travail, du salarié gréviste, etc.

Si ces solutions devaient être confirmées, la prise d'acte de la rupture ne conduirait plus à un résultat binaire comme le définissait la jurisprudence en 2003 entre démission et licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mais à une issue à trois options entre démission, licenciement sans cause réelle et sérieuse et licenciement nul. Sous réserve que la rupture soit véritablement imputable à un comportement illicite de l'employeur, cette nouvelle échelle aurait le mérite de s'adapter aux différentes sanctions qui peuvent être infligées en matière de licenciement.

  • Sanction implicite de l'absence de plan de reclassement

Si cette précision est donc d'une grande importance, elle a, enfin, le mérite de préciser quelle sanction sera encourue par les employeurs qui négligeront d'introduire un plan de reclassement dans leur plan de sauvegarde de l'emploi alors que certains salariés ne pourront ou ne voudront bénéficier du plan de départs volontaires.

En effet, implicitement, le salarié qui sera finalement licencié pourra invoquer la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi pour insuffisance et, par ricochet, la nullité de son licenciement. L'argument a fortiori est ici difficilement contestable. Si la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul, c'est à plus forte raison que le licenciement prononcé sans que le plan de sauvegarde comporte de mesures de reclassement subira, lui aussi, la nullité.


(1) TGI Nanterre, 12 décembre 2008, n° 08/12847 (N° Lexbase : A9640EBN) ; CA Versailles, 14ème ch., 1er avril 2009, n° 09/01005 (N° Lexbase : A4821GNU). A propos de ces décisions, au-delà de l'affaire "Renault", et plus généralement, V. Plan de départs volontaires... nouvelle alternative au PSE ? - Questions à Maître E. Laherre, Avocate à la Cour, Coblence & Associés, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9389BLC) ; PSE : vilain petit canard ou cygne d'Ionie du licenciement économique ? - Questions à Maître C. Davico-Hoarau, Avocate à la Cour, Coblence & Associés, Lexbase Hebdo n° 370 du 5 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3602BMD) ; Rupture conventionnelle, rupture d'un commun accord et licenciements économiques - Questions à Maître S. Stein, Avocat associée du cabinet Eversheds, Lexbase Hebdo n° 340 du 5 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7696BIU) ; M.-L. Dufresnes Castets et Y. Tarasewicz, Un plan de sauvegarde de l'emploi se conçoit-il sans effort de reclassement ?, RDT, mai 2009, p. 282 ; ibid., p. 380, obs. A. Fabre ; G. Couturier et J. Pélissier, Le reclassement interne est-il compatible avec les départs volontaires ?, SSL, n° 1411, p. 208.
(2) Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-15.187, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6142GCH) et les obs. de Ch. Willmann, Les départs volontaires ne déclenchent plus l'obligation de mise en place d'un PSE, Lexbase Hebdo n° 415 du 3 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5575BQK) ; D., 2010, p. 2653, obs. L. Perrin ; RDT, 2010, p. 704, note F. Géa ; Dr. soc., 2010, p. 1483, note F. Favennec-Héry ; SSL, 2010, n° 1465, pp. 9 et s., rapp. P. Bailly, note E. Dockès ; JCP éd. S, 2010, 1483, obs. G. Loiseau.
(3) Plus précisément depuis la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 (N° Lexbase : L7461AI8).
(4) Exclusion, par exemple, des règles relatives à la motivation du licenciement (Cass. soc. 2 décembre 2003, n° 01-46.540, publié N° Lexbase : A3402DAA) ou de celles relatives à l'ordre des licenciements (Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-19.828, publié N° Lexbase : A4551AGN ; JCP 2000, II, 10230, obs. F. Duquesne).
(5) Application, par exemple, des règles relatives à la priorité de réembauchage, v. Cass. soc., 13 sept. 2005, n° 04-40.135, publié (N° Lexbase : A4536DK9) et les obs. de Ch. Radé, Accords négociés et licenciements économiques, ou le mariage de la carpe et du lapin, Lexbase Hebdo n° 183 du 28 septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N8886AIX) ; Dr. soc., 2005, p. 1059, obs. G. Couturier ou des règles relatives aux consultations des représentants du personnel, Cass. soc., 10 avril 1991, n° 89-18.485, publié (N° Lexbase : A1623AAD) ; D., 1992, somm. 290, obs. M. A. Rotschild-Souriac, Dr. ouvr., 1991. 208, note P. Moussy.
(6) V. not. Cass. soc., 10 avril 1991, préc. ; Cass. soc., 22 février 1995, n° 92-11.566, publié (N° Lexbase : A0953ABW) ; JCP éd. G, 1995, II, 22433, concl. Y. Chauvy.
(7) Cass. soc., 26 octobre 2010, préc..
(8) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 26ème édition, n° 483 et s..
(9) C. trav., art. L. 1233-62 (N° Lexbase : L1239H9R).
(10) Sur ce raisonnement, v. le communiqué de presse de la Cour de cassation relatif à l'arrêt "Renault".
(11) Décision faisant, elle aussi, l'objet d'un communiqué de presse.
(12) Ibid.
(13) V. notamment F. Géa, préc. ; E. Dockès, préc..
(14) S'interrogeant sur cette question, v. F. Géa, préc..
(15) Nous soulignons.
(16) On remarquera que la Chambre sociale refuse d'aller jusqu'à exiger de l'employeur qu'il prenne l'engagement formel de ne pas procéder à des licenciements, comme le proposait E. Dockès. Le résultat est cependant le même puisque la Chambre sociale sanctionne finalement le manquement à cet engagement que, pourtant, elle ne lui impose pas de prendre.
(17) V. F. Géa, préc. ; G. Couturier, préc. ; E. Dockès, préc. ; L. Perrin, préc..
(18) Faisant du plan de sauvegarde une "outre vide" (v. F. Géa, préc.) dans une opération pouvant elle-même s'apparenter à une "chimère" (v. E. Dockès, préc.).
(19) V. en ce sens G. Couturier, préc..
(20) V. Ch. Willmann, préc. Adde, sur cette question, F. Aknin, L'égalité de traitement appliquée aux départs volontaires, SSL, 2010, n° 1465, p. 14.
(21) V. en part. E. Dockès, préc..
(22) Cette affaire et l'affaire "Renault" démontrent, si cela était encore nécessaire, l'importance que revêtent aujourd'hui les communiqués de la Cour de cassation qu'il n'est plus possible de négliger. Sur cette technique, v. P. Deumier, Les communiqués de la Cour de cassation : d'une source d'information à une source d'interprétation, RTD Civ., 2006, p. 510 ; F. Guiomard, Sur les communiqués de presse de la Chambre sociale de la Cour de cassation, RDT, 2006, p. 222.
(23) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 (N° Lexbase : A8977C8Y) ; n° 01-42.335 (N° Lexbase : A8976C8X) ; n° 01-43.578 (N° Lexbase : A8978C8Z) ; n° 01-41.150 (N° Lexbase : A8975C8W) ; n° 01-40.235 (N° Lexbase : A8974C8U), et les obs. de Ch. Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9951AAS) ; Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 2008, n° 208.
(24) Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7) et les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié protégé, Lexbase Hebdo n° 224 du 19 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N1109ALN) ; D., 2007, p. 54, note J. Mouly ; Dr. soc., 2006, p. 815, note J.-E. Ray. Récemment, v. Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 10-23.060, FS-D (N° Lexbase : A4642H3C).
(25) Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 11-10.527, F-D (N° Lexbase : A4620H3I).
(26) Cass. soc., 19 janvier 2011, n° 09-42.541, F-D (N° Lexbase : A2804GQW).
(27) C. trav., art. L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX).
(28) V. Ch. Radé, Prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié protégé, préc..

Décision

Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4422IBE)

Cassation, CA Grenoble, ch. soc., 23 juin 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR)

Mots-clés : licenciement économique collectif, plan de départ volontaire, plan de sauvegarde de l'emploi, plan de reclassement interne, prise d'acte de la rupture du contrat de travail

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[Chronique] Chronique trimestrielle de droit des transports - Février 2011

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

Le 09 Février 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en droit des transports, sous la plume de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole. Ce trimestre, l'auteur a choisi de s'arrêter sur quatre arrêts rendus par la Cour de cassation. Dans le premier arrêt en date du 1er décembre 2011, la première chambre civile se prononce, pour la première fois, sur l'obligation de sécurité du transporteur ferroviaire de voyageurs, dans le cadre d'un contrat par abonnement. Deux arrêts de la Chambre commerciale sont signalés dans ces lignes par l'auteur : l'un du 27 septembre 2011 est relatif aux conditions de la subrogation de l'assureur dans les droits du vendeur des marchandises transportées et l'autre du 25 octobre 2011 est l'occasion pour la Cour de rappeler que la livraison de la marchandise de la marchandise s'entend de la remise physique de la marchandise au destinataire ou à son représentant qui l'accepte. Enfin, le Professeur Paulin a sélectionné un arrêt rendu le 7 décembre 2011 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui éclaire la question de la compétence juridictionnelle pour connaître de l'indemnisation des victimes d'accidents aériens.

  • Obligation de sécurité du transporteur ferroviaire de voyageurs, dans le cadre d'un contrat par abonnement (Cass. civ. 1, 1er décembre 2011, n° 10-19.090, FS-P+B+I N° Lexbase : A4848H3X)

Si la première chambre civile de la Cour de cassation s'est souvent, et de façon fort compréhensive, prononcée sur l'obligation de sécurité du transporteur ferroviaire de voyageurs, elle n'avait pas eu, jusqu'à présent, l'occasion de préciser l'application de cette obligation dans le cadre d'un contrat par abonnement. C'est désormais chose faite. Un passager titulaire d'un abonnement se trompe de train. S'apercevant de son erreur, il saute alors que le train démarre et se blesse. Il recherche alors la responsabilité de la SNCF. Il est vrai que les juges adoptent une conception de la responsabilité contractuelle du transporteur très protectrice du passager, estimant qu'il ne peut limiter sa responsabilité en cas de faute du voyageur et qu'il ne peut s'en exonérer que si cette faute présente les caractères de la force majeure (Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-12.551, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3908D7U, Rev. dr. transp., 2008, comm. 96, nos obs. ; Cass. mixte, 28 novembre 2008, n° 06-12.307, P+B+R+I N° Lexbase : A4743EBB, Rev. dr. transp., 2009, comm. 1, nos obs. ; Cass. civ. 1, 21 octobre 1997, n° 95-19.136, publié N° Lexbase : A0687ACG, Bull. civ. I, n° 288). Les juges refusent alors de retenir la force majeure lorsqu'un passager a ouvert les portières d'un train en marche, estimant que ceci pourrait être évité par la mise en place d'un mécanisme approprié.

C'est dire que, fondée sur l'inexécution de l'obligation de sécurité et la responsabilité contractuelle, l'action de la victime avait de bonnes chances de prospérer, en dépit de sa faute. Telle était la solution retenue par la cour d'appel qui accordait une indemnité à la victime, estimant qu'il importait peu à la solution du litige qu'elle se soit trompée de rame car, titulaire d'un abonnement régulier, elle avait bien souscrit un contrat de transport avec la SNCF (CA Chambéry, 1ère ch., 30 mars 2010, n° 09/00671 N° Lexbase : A8914EZ8).

C'est toutefois oublier que l'obligation de sécurité, obligation née du contrat de transport, ne s'applique que si celui-ci est en cours d'exécution (Cass. civ. 1, 7 mars 1989, n° 87-11.493 N° Lexbase : A8872AAT, Bull. civ. I, n° 118). Tel n'est pas naturellement le cas lorsque le voyageur ne prend pas le train correspondant à son titre. Pour cette raison, la première chambre civile censure l'arrêt d'appel, pour violation des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1384 (N° Lexbase : L1490ABS) du Code civil, l'accident n'étant pas survenu dans l'exécution du contrat convenu entre les parties.

Faute d'exécution du contrat et le train ayant joué un rôle causal dans le dommage survenu à la victime, c'est effectivement la responsabilité délictuelle du fait des choses qui était applicable. En revanche, ce nouveau fondement n'est pas de nature à modifier la situation de la victime. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déjà écarté la force majeure alors qu'un passager avait sauté du train en marche (Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-10.250, FS-P+B N° Lexbase : A4485DQ8, Bull. civ. II, n° 216). Ici, la première chambre civile se range à cette solution en ne censurant l'arrêt d'appel qu'en ce qu'il a retenu une responsabilité contractuelle au lieu de délictuelle.

  • Conditions de la subrogation de l'assureur dans les droits du vendeur des marchandises transportées (Cass. com., 27 septembre 2011, n° 10-21.362, F-D N° Lexbase : A1248HYU)

Par un arrêt du 27 septembre 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle les conditions de la subrogation de l'assureur dans les droits du vendeur des marchandises transportées. Les faits sont classiques. Un vendeur ex works vend des marchandises à un acheteur. Au cours du transport, celles-ci disparaissent. Le vendeur est alors indemnisé par son assureur qui, invoquant la subrogation, se retourne contre le transporteur. La cour d'appel déclare alors son action irrecevable (CA Reims, 3 mai 2010, n° 08/01986 N° Lexbase : A1248HYU). Le pourvoi est rejeté par la Chambre commerciale. Celle-ci estime que le contrat d'assurance ne garantissait les risques du transport que s'ils étaient à la charge du vendeur, de sorte, que, la vente étant réalisée aux conditions ex works, le paiement par l'assureur n'avait pas été réalisé en exécution du contrat d'assurance et ne permettait pas d'agir sur le fondement de la subrogation légale.

La solution, bien acquise, est parfaitement fondée (cf. déjà Cass. com., 19 juin 2009, n° 08-15.165, F-P+B N° Lexbase : A5841EI8, Bull. civ. IV, n° 89). La subrogation de l'assureur dans les droits de l'assuré, établie par l'article L. 121-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI), suppose en effet que l'assureur ait payé l'indemnité d'assurance, c'est-à-dire qu'il ait versé les sommes en exécution du contrat (Cass. civ. 1, 18 février 2003, n° 00-10.380, FS-D N° Lexbase : A1797A7P, RGAT, 2003, p. 476, note F. Vincent). Dès lors que l'assureur a payé alors qu'il n'y était pas tenu en vertu du contrat, il ne peut se prévaloir de la subrogation spéciale. Par ailleurs, les conditions de la subrogation légale de droit commun n'étant pas réunies, l'assureur n'étant pas tenu avec d'autres ou pour d'autres, seule une subrogation conventionnelle aurait été envisageable.

  • Livraison de la marchandise : remise au destinataire ou à son représentant (Cass. com., 25 octobre 2011, n° 10-18.894, F-D N° Lexbase : A0560HZR)

La livraison de la marchandise par le transporteur se heurte fréquemment à des obstacles imprévus : lieux fermés, absence, réceptionnaire incompétent. Souvent, le temps presse et le chauffeur livreur ne peut se permettre une trop longue attente, ni d'importantes recherches. La tentation est alors grande de remettre la marchandise aux personnes présentes sur les lieux, contre une vague signature. Tel est le cas du transporteur qui, livrant dans une boutique en travaux, remet la marchandise à un ouvrier se trouvant sur les lieux. La marchandise ayant disparu, le transporteur est assigné en responsabilité.

La Chambre commerciale rappelle clairement dans son arrêt du 25 octobre 2011 que "le voiturier est responsable des pertes et dommages subis par la marchandise jusqu'à sa livraison et que celle-ci s'entend de la remise physique de la marchandise au destinataire ou à son représentant qui l'accepte", et rejette le moyen qui invoquait que la livraison est réalisée par la remise de la marchandise à une personne prétendant agir pour le destinataire (pour l'arrêt d'appel : CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 7 avril 2010, n° 09/08299 N° Lexbase : A1247EZ9). Le transporteur doit donc se montrer vigilant, et ce d'autant plus que la jurisprudence considère la remise des marchandises à des personnes n'ayant aucun lien avec les destinataires sans la moindre vérification ou précaution des marchandises comme une faute lourde, et même comme une faute inexcusable (Cass. com., 17 mai 2011, n° 10-21.527, F-D N° Lexbase : A2589HSP).

  • Indemnisation des victimes d'accidents aériens : détermination de la juridiction compétente (Cass. civ. 1, 7 décembre 2011, n° 10-30.919, FS-P+B+I N° Lexbase : A1627H4Z)

Par rapport à la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, la Convention de Montréal du 28 mai 1999 apporte de considérables améliorations à l'indemnisation des victimes d'accidents aériens, en supprimant les plafonds de réparation ou en garantissant une indemnité à la victime, sauf en cas de faute de sa part, pour les dommages n'excédant pas environ 100 000 euros. Parmi ces améliorations, figure la reconnaissance du privilège de cinquième juridiction. La Convention de Varsovie et la Convention de Montréal ont ainsi en commun de connaître quatre juridictions compétentes pour connaître de l'action en responsabilité contre le transporteur aérien de voyageurs : le tribunal du domicile du transporteur, celui du siège principal de son exploitation, celui du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu (Cass. com., 8 novembre 2011, n° 10-28.069, F-P+B N° Lexbase : A8819HZN) ou, enfin celui du lieu de destination.

Cette compétence juridictionnelle peut poser des difficultés à des demandeurs ayant acheté leur billet sur internet et résidant dans un Etat différent du lieu de destination. Pour cette raison, la Convention de Montréal ajoute une cinquième juridiction, celle du lieu de résidence du passager. Outre que cela limite les contraintes juridictionnelles, cette compétence peut permettre au passager ou à ses ayants droit de s'adresser à une juridiction plus attentive aux droits des victimes (pensons, par exemple, aux indemnités accordées par des juridictions américaines). Pour que ce droit soit effectif, encore faut-il que la juridiction ainsi saisie ne puisse pas se déclarer incompétente pour des motifs de droit interne.

Tel était le cas dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt rendu le 7 décembre 2011 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. A la suite d'un accident aérien ayant causé la mort de tous les passagers d'un vol entre Panama et Fort-de-France, certains ayants droit avaient saisi une cour des Etats-Unis. Celle-ci, à la demande des défendeurs, s'était cependant déclarée incompétente et avait renvoyé les demandeurs à se pourvoir devant le juge de Fort-de-France, lieu de destination. Le tribunal de Fort-de-France s'étant déclaré compétent, ayant refusé de se dessaisir, et la cour d'appel ayant confirmé le jugement, un pourvoi a été formé.

La Cour de cassation censure alors la décision, estimant que l'option de compétence ouverte par la Convention de Montréal appartient au seul demandeur, lequel dispose seul dispose du choix de décider devant quelle juridiction le litige sera effectivement tranché, sans que puisse lui être opposée une règle de procédure interne aboutissant à contrarier son choix impératif.

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