Réf. : Cass. crim., 21 janvier 2020, n° 18-84.899, FS-P+B+I (N° Lexbase : A99543BB)
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par Elise Letouzey, Maître de conférences en droit privé, Université de Picardie Jules Verne
Le 04 Mars 2020
Résumé : pour la première fois la Chambre criminelle de la Cour de cassation assimile les infractions de recel et de blanchiment au titre de la récidive légale délictuelle en faisant une application combinée des articles 132-10 (N° Lexbase : L2276AMA) et 324-5 du Code pénal (N° Lexbase : L1832AMS). Mots-clés : récidive légale • assimilation • recel • blanchiment • qualifications • termes de la récidive • récidive spéciale et temporaire |
La récidive légale délictuelle emporte, dans l’esprit et dans la lettre, la commission d’une nouvelle infraction identique. Toutefois, le principe de légalité conduit à une interprétation stricte de l’identique et du semblable. Pour pallier cette approche réductrice, le législateur a donc recouru à la fiction et établi de lui-même des assimilations entre des agissements qui, s’ils ne sont pas strictement identiques, relèvent d’une proximité matérielle ou criminologique rendant opportun de les considérer comme semblables. L’article 132-10 du Code pénal est très clair sur ce point : doit avoir été commis « soit le même délit, soit un délit qui lui est assimilé au regard des règles de la récidive ».
Ont ainsi été soigneusement aménagées les situations dans lesquelles des infractions voisines pouvaient être assimilées, soit dans la partie générale du Code pénal réservée à la récidive légale (C. pén., art. 132-16 N° Lexbase : L2188AMY à 132-16-4-1), soit dans la partie spéciale pour deux délits : le recel (C. pén., art. 321-5 N° Lexbase : L1884AMQ) et le blanchiment (C. pén., art. 324-5 N° Lexbase : L1832AMS).
À cet égard, la jurisprudence a toujours veillé à une acception stricte de cette assimilation légale. Formellement, c’est par exemple le cas lorsque la loi prévoit un ordre dans lequel les infractions doivent être commises pour constituer l’état de récidive légale, comme le prévoit l’article 132-16-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1205DH4). Doit d’abord avoir été commis un délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique puis, ensuite, un délit de blessures involontaires par conducteur sous l’empire d’un état alcoolique, pour que l’état d’ivresse soit répété et conduise à une récidive [1].
Substantiellement, cela revient à ne pas interpréter de manière extensive l’identité des délits concédée par le législateur. Toutefois les questions sont nombreuses sur ce point, notamment en raison de formulations qui peuvent générer un doute quant au périmètre de l’assimilation. Par exemple, l’article 324-5 du Code pénal dispose que « Le blanchiment est assimilé, au regard de la récidive, à l'infraction à l'occasion de laquelle ont été commises les opérations de blanchiment ». À la lecture de l’article, l’interrogation peut alors être la suivante : est-ce que le blanchiment d’un délit d’origine peut être assimilé à n’importe quelle atteinte aux biens susceptible de permettre un blanchiment ?
Les juges du fond ont déjà eu, par le passé, l’occasion de se prononcer dans le sens d’une interprétation assez accommodante de l’assimilation, permettant par exemple de retenir la récidive légale composée pour le premier terme du délit de conséquence avec le recel de biens provenant d’un vol et un second terme établi par le délit d’extorsion lequel avait été commis postérieurement au délit de conséquence [2]. De même, le recel en récidive a pu être retenu alors que le premier terme était constitué d’un vol sans rapport avec les biens objet du recel constituant le second terme [3].
Mais c’est la première fois que la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans cet arrêt rendu le 21 janvier 2020, est saisie de cette question, qui plus est sous un angle indéniablement original.
L’espèce était la suivante : un garagiste est poursuivi et déclaré coupable pour des faits de blanchiment consistant en une opération de conversion du produit direct d’une infraction. Plus précisément, le prévenu, profitant des facilités procurées par son activité professionnelle, a transformé des fourgons volés en camping-cars, en établissant de faux certificats de carrossage au moyen de tampons supportant des identités d’emprunt.
La question se pose de savoir s’il est en état de récidive légale dès lors que le prévenu a déjà été condamné pour recel de vol.
Rien dans l’arrêt ne permet de préciser les caractéristiques du vol de la première condamnation : s’agit-il du vol des mêmes véhicules pour leur dissimulation (recel constituant le premier terme) puis leur transformation (blanchiment constituant le second terme) ? Ou bien s’agit-il d’un premier terme constitué d’un recel de vol quelconque puis du blanchiment des fourgons volés constituant le second terme ?
En réalité, quelle que soit l’hypothèse, l’enseignement de cette décision n’en demeure pas moins inédit car il répond à une autre question, totalement originale à notre connaissance : peut-on assimiler deux délits de conséquence, à savoir un recel et un blanchiment ?
À cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative en rejetant le moyen au pourvoi. Elle estime en effet que la cour d’appel a justifié sa décision « dès lors que, d'une part, il ressort de ses motifs que le délit de blanchiment a été commis à l'occasion de faits de recel de vol, infraction à laquelle il devait être assimilé, au regard de la récidive, en application de l'article 324-5 du Code pénal, d'autre part, compte tenu d'une précédente condamnation pour recel de vol, la récidive était établie par application de l'article 132-10 du Code pénal ».
Peu importe ici l’identité du délit d’origine, la Chambre criminelle consacre une technique que l’on pourrait qualifier d’assimilation par double renvoi [4]. En effet, non seulement il est indispensable de mobiliser l’article 324-5 du Code pénal prévoyant que le délit de conséquence est assimilé au délit d’origine, c’est-à-dire « l’infraction à l’occasion de laquelle ont été commises les opérations de blanchiment », mais il est tout aussi indispensable d’appliquer l’article 132-10 du Code pénal qui permet de composer la récidive légale de tout « délit qui lui est assimilé au regard des règles de la récidive ». Combinant ces deux dispositions, il devient parfaitement envisageable, lato sensu, de considérer comme assimilés le recel et le blanchiment. Les deux délits, chacun de leur côté, disposent d’un texte spécial d’assimilation et ils se retrouvent, non seulement sur le fondement de l’article 132-10, mais si besoin était (et à l’instar de ce qu’avait retenu la cour d’appel) sur le fondement de l’article 132-16 du Code pénal assimilant les appropriations frauduleuses.
Si l’on tire les conséquences d’une telle décision : toutes les appropriations frauduleuses au sens de l’article 132-16, à savoir le vol, l’escroquerie, l’extorsion, le chantage et l’abus de confiance, ainsi que les délits de conséquence s’y rattachant, à savoir le recel au sens de l’article 321-5 et le blanchiment au sens de l’article 324-5 du Code pénal sont assimilés au sens de la récidive légale. Pour le dire autrement, tout recel, blanchiment, ainsi que toute atteinte aux biens relevant de l’article 132-16 sont considérés comme la même infraction et peuvent constituer un état de récidive légale.
Pour la première fois, la Cour de cassation affirme que la récidive légale peut se composer d’un recel et d’un blanchiment.
La solution semble parfaitement logique pour ce qui est du blanchiment, dès lors que l’auto-blanchiment au sens de l’article 324-1, alinéa 2, du Code pénal est de longue date admis [5]. Mais allant un peu plus loin, l’on peut observer que si de tels délits sont assimilés au sens de la récidive, cela revient à neutraliser les qualifications incompatibles tenant au refus par la jurisprudence d’admettre l’auto-recel. En effet, l’exclusion de l’auto-recel se maintient en dépit de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point, imposant un examen circonstancié des situations de conflit et de cumul depuis l’arrêt du 26 octobre 2016 [6]. Or, la censure de l’auto-recel revient à un rejet ab initio et in abstracto de tout examen du cumul de qualifications.
Tout du moins, ce qui n’est pas admis au sein d’une seule poursuite, pour un concours réel d’infractions, à savoir la condamnation de l’auteur pour le délit d’origine et son recel, serait envisageable par le biais de la récidive légale. Cela crée une distorsion peu justifiée car si le cumul de déclarations de culpabilité est neutralisé dans un cas, il sera admis et conduira à une aggravation de la peine encourue dans l’autre cas, exactement pour la même raison : l’identité abstraite des délits
[1] Cass. crim., 31 mai 2016, n° 15-84.329, F-P+B (N° Lexbase : A8680RRW).
[2] CA Lyon, 4ème ch., 8 décembre 2009, n° 09/00514 (N° Lexbase : A17513GX).
[3] CA Toulouse, 3ème ch., 8 janvier 2014, n° 13/01414 (N° Lexbase : A17523GY).
[4] V. notre thèse, La répétition d’infractions, Dalloz, coll. NBT, 2016, n° 157, n° 291.
[5] Cass. crim., 14 janvier 2004, n° 03-81.165, FS-P+F (N° Lexbase : A0622DBN) ; Cass. crim., 20 février 2008, n° 07-82.977, FS-P+F (N° Lexbase : A4124D7U) ; Cass. crim., 14 juin 2017, n° 16-84.921, F-D (N° Lexbase : A2309WID).
[6] Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3230SCM).
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Réf. : Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I (N° Lexbase : A39993G9)
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par June Perot
Le 17 Mars 2020
► L’exhibition de la poitrine d’une femme entre dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal (N° Lexbase : L5358IGK), même si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle ;
Toutefois, si le comportement d’une militante féministe qui dénude sa poitrine, sur laquelle est inscrite un message politique, dans un musée en plantant un pieu dans une statue de cire représentant le dirigeant d’un pays, constitue l’infraction d’exhibition sexuelle, la relaxe de la prévenue n’encourt pas la censure dès lors que ce comportement s’inscrit dans une démarche de protestation politique et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.
C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 26 février 2020 concernant une activiste Femen qui avait exposé sa poitrine au sein du musée Grévin à Paris (Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I N° Lexbase : A39993G9).
Résumé des faits. L’intéressée s’était présentée au musée Grévin, à Paris, dans la salle dite « des chefs d’État », qui rassemble plusieurs statues de cire de dirigeants mondiaux. Elle avait dévêtu le haut de son corps, révélant sa poitrine nue, portant l’inscription : « Kill Putin ». Elle avait alors fait tomber la statue du président russe, M. Poutine, dans laquelle elle avait planté à plusieurs reprises un pieu métallique pour partie peint en rouge, en déclarant : « fuck dictator, fuck Vladimir Poutine ». Elle avait été interpellée, revendiquant son appartenance au mouvement dit « Femen », donnant à son geste le caractère d’une protestation politique.
Poursuivie devant le tribunal correctionnel pour exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui, les premiers juges l’avaient déclarée coupable de ces deux délits et condamnée à 1 500 euros d’amende. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de ce jugement.
La cour d’appel de Paris s’est prononcée sur ces appels, par un arrêt du 12 janvier 2017, cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2018 (Cass. crim., 10 janvier 2018, n° 17-80.816, F-D N° Lexbase : A1903XAQ ; lire N. Catelan, Adam (toujours) plus fort qu'Eve : quand un sein est un sexe !, Lexbase Pénal, février 2018 N° Lexbase : N2680BXK), qui a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.
En cause d’appel. Pour relaxer la prévenue de l’infraction d’exhibition sexuelle, les juges d’appel retiennent que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle, ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui, mais relève de la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ). Selon les juges, la prévenue déclare appartenir au mouvement dénommé « Femen », qui revendique un « féminisme radical », dont les adeptes exposent leurs seins dénudés sur lesquels sont apposés des messages politiques, cette forme d’action militante s’analysant comme un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci par les militantes, au moyen de l’exposition de sa nudité.
Ils ajoutent enfin que le regard de la société sur le corps des femmes a évolué dans le temps, et que l’exposition fréquente de la nudité féminine dans la presse ou la publicité, même dans un contexte à forte connotation sexuelle, ne donne lieu à aucune réaction au nom de la morale publique. La juridiction du second degré souligne que, si certaines actions menées par les membres du mouvement « Femen » ont été sanctionnées comme des atteintes intolérables à la liberté de pensée et à la liberté religieuse, le comportement de la prévenue au musée Grévin n’entre pas dans un tel cadre et n’apparaît contrevenir à aucun droit garanti par une prescription légale ou réglementaire.
Une exhibition sexuelle consommée mais non punissable. Reprenant la solution visée plus haut, la Cour suprême retient que c’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle.
Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.
Pour aller plus loin : N. Catelan, Adam (toujours) plus fort qu'Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 3), Lexbase Pénal, février 2020 (N° Lexbase : N2385BYY) |
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Le 05 Mars 2020
C’est au milieu d’une grève nationale et inédite que le 221ème Bâtonnier de Paris, Olivier Cousi a pris ses fonctions le 1er janvier dernier aux côtés de Nathalie Roret, Vice-Bâtonnière. Il a accepté de revenir, pour Lexradio et Lexbase Avocats, sur ce mouvement sans précédent mais aussi sur les enjeux de son mandat.
Cette interview est, également, disponible en podcast sur Lexradio.
Lexbase : Nous approchons des neuf semaines de grève. Est-ce qu’une sortie de crise est aujourd’hui envisageable ?
La grève a commencé au départ sur la question de la réforme des retraites. Mais, très vite, elle s'est nourrie d’un certain nombre de frustrations, d'agacements, parfois même de colère, de la part des confrères de toute la France. Les raisons de ce mouvement sont plus complexes que la retraite. Il y a à la fois l'accumulation de réformes, l’incompréhension que le Gouvernement manifeste vis-à-vis de ce qu'est une profession libérale et, ces réformes de la Justice qui sont arrivées de manière mal préparée, mal concertée et qui bouleversent les activités des cabinets. La mobilisation est donc toujours très forte et la sortie de crise dépendra beaucoup de ce que peut nous proposer le Gouvernement.
Lexbase : Justement, où en sont les négociations ?
Sur la retraite, nous tournons en rond. La première demande des avocats était de ne pas être inclus dans le système universel. Notre caisse est équilibrée, indépendante, fonctionne de manière autonome et est provisionnée pour les quarante années à venir.
Nous n'avions aucune raison de rentrer dans un système universel. Le Gouvernement nous y force mais, au lieu de nous aider à entrer dans ce système en nous proposant des solutions comme le maintien d'une certaine autonomie ou la gestion par notre caisse du système des retraites - qui pourrait être encadré - dans un système universel, il applique un discours extrêmement ferme. Un discours qui n’a d’ailleurs pas évolué depuis le Rapport « Delevoye ». Le Rapport consiste à dire « vous êtes autonome dans votre solidarité et le Gouvernement, dans sa grande sagesse, vous autorise dans le cadre du système universel, à rester solidaires ». Présenté ainsi cela peut paraître séduisant mais, en réalité, c'est toujours l'argent des avocats et c'est toujours la caisse des avocats qui est censée compenser les hausses de cotisations. On est sur un marché de dupes depuis le début. Le Gouvernement nous dit, si je caricature, « on vous autorise à choisir entre des pommes et des bananes pour dépenser votre argent, vous ne pouvez pas vous plaindre ; on vous écoute mais le montant ne changera pas, le taux des cotisations ne changera pas, l'impact sur les cabinets ne changera pas. Utilisez vos fonds, vos réserves, vos droits de plaidoirie et leurs contributions équivalentes ». Ce dernier amendement « Belloubet » compense l’augmentation des cotisations en faisant payer les avocats. On est dans une logique absurde. Quand nous indiquons que les cabinets, et particulièrement les plus petits, n’ont pas les moyens de supporter les augmentations de charges, le Gouvernement fait payer les autres avocats. On est dans un tournant. Aujourd'hui, les propositions ne sont ni acceptables, ni acceptées.
Lexbase : Que feriez-vous si vous étiez Garde des Sceaux ?*
Je pense que la situation de la Garde des Sceaux aujourd'hui est très inconfortable. Elle est prise entre des contraintes budgétaires, des contraintes de décisions qui ne sont pas de son fait sur le régime de retraite et à une grogne des avocats qui n'a jamais eu lieu dans l'Histoire. On peut donc comprendre que cette situation soit difficile. Cela dit, je pense que si j'étais Garde des Sceaux, j'aurais d'abord demandé aux avocats ce qu'ils en pensent, j'aurais consulté la profession et j'aurais retenu les propositions faites par la profession. Mais, pour cela, il faut qu'elle puisse s'entourer d'avocats. Le problème de la Garde des Sceaux aujourd'hui est qu'elle est dans un cabinet et dans une organisation administrative dans laquelle les avocats ne sont pas consultés et ne sont pas présents ni dans la discussion, ni dans les propositions. La Chancellerie fonctionne sur une organisation de la Justice qui, comme au tribunal judiciaire de Paris, dissocie totalement la partie juridiction et la partie publique. Les avocats ne sont ni dans l'une, ni dans l'autre. Donc, ils n'ont pas leur place de reconnue dans le fonctionnement judiciaire. De ce fait, la situation de la Garde des Sceaux est isolée par rapport à la profession. Nous avons fait des discussions, des rencontres, des propositions mais à chaque fois la même formule revenait : « Vous [les avocats] êtes toujours contre, vous êtes toujours en opposition, vous êtes toujours défavorables à ce qu'on vous propose ». Mais notre réponse est toujours la même : nous sommes défavorables à ce qui va nuire à l'activité de la profession, nous sommes défavorables à la prise de contrôle par l'Etat de notre régime autonome de retraites, nous sommes défavorables à toutes les obligations nouvelles que l’on nous fait supporter sur les changements de textes, des nouvelles dispositions dès lors qu'elles ne vont pas dans le sens, où qu'elles ne sont pas accompagnées par la profession.
Lexbase : Quel est l’impact de la grève sur l’activité des avocats ? Pourront-ils financièrement poursuivre le mouvement ?
La grève touche essentiellement les avocats qui ont une activité liée à l'aide juridictionnelle, notamment la grève des désignations c'est-à-dire l'absence de désignation par les barreaux d'avocats commis d'office, commis à l'aide juridictionnelle ou qui travaillent sur des actions d'accès au droit. Ces derniers n'ont pas été en mesure de travailler pendant six ou sept semaines. Donc il s’agit de cabinets qui sont très directement impactés par la grève et par une absence de revenus. Ces cabinets, en première ligne, seront également ceux qui demain se verront appliquer l'augmentation des cotisations.
Lexbase : Certains magistrats estiment que les juridictions sont les « victimes collatérales » du mouvement de grève des avocats, notamment en raison des séquences de « défense massive » ou du blocage du tribunal judiciaire le 24 février dernier, que leur répondez-vous ?
Le droit de manifester et le droit d'être en grève sont des droits constitutionnels et nécessairement, ce genre d'action a des conséquences qui peuvent être plus ou moins agréables ou désagréables sur des tiers comme les magistrats, le justiciable, les greffiers et tous les personnels de justice. Donc il est vrai que cela a un impact. Est-ce que cet impact est aussi négatif que certains le disent ? Je ne crois pas. En matière de défense massive, notamment à Paris où il y en a eu beaucoup, on constate une fatigue, une lassitude, une difficulté à assurer les audiences mais, dans le même temps, ces audiences permettent de démontrer que les comparutions immédiates lorsqu'elles sont entre les mains d'un groupe de confrères qui prend le temps et qui oblige le tribunal à prendre le temps d’aller étudier les dossiers dans le détail, permettent d'obtenir des décisions favorables aux prévenus. Le bilan pour la défense massive est effectivement une surcharge de travail pour les magistrats mais cela permet de constater que ces audiences doivent être revues et que ce mécanisme des comparutions immédiates doit être repensé pour une meilleure Justice. Quant au blocage du tribunal, il s’agit d’une opération visible. Il y a eu dans ce mouvement de grève beaucoup d'imagination de la part des confrères. C’est une profession qui est jeune, moins de quarante ans et qui a de l'imagination. Quand ils bloquent un tribunal quelques heures, cela n'a pas beaucoup d'impact sur le fonctionnement de la Justice. Il faut aussi avoir une certaine bienveillance pour ce genre d'action.
Lexbase : Est-ce que le mouvement participe au changement d’image de la profession d’avocat ?
Dans les manifestations auxquelles j'ai participé, les gens dans la rue nous disaient « c’est bien, vous savez vraiment bien vous défendre, vous saurez nous défendre quand on en aura besoin ». Il y a un mouvement de sympathie. L’image de « nanti » que l’avocat peut avoir est liée à sa rémunération. Je suis toujours un peu surpris par l'absence totale de connaissance des organisations qui nous gouvernent, qui sont tous des fonctionnaires et qui ne savent pas ce qu'est une profession indépendante. Quand vous payez un avocat, sur un chèque de 1 200 euros, il y a 200 euros de TVA et 700 euros de charges pour les cotisations, la retraite, la CSG, les salaires, l'organisation du cabinet…
Lexbase : Vous l’avez indiqué le mouvement de contestation qui anime aujourd’hui les barreaux français traduit un malaise plus profond de la profession. On sait, notamment, que 30 % des avocats quittent la robe avant 10 ans de carrière. Quelles sont les mesures concrètes qui seront entreprises sous votre mandat pour endiguer le phénomène ?
C’est le message que j'ai essayé de faire passer au Gouvernement. Il faut donner à la profession d'avocats des perspectives d'avenir. Ces perspectives passent par des marchés, par exemple, en matière de protection de l'environnement, de conformité, de médiation, de modes alternatifs de règlement des litiges, de protection des personnes vulnérables etc.. Il y a, une activité juridique et judiciaire qui augmente. Il y a de plus en plus besoin de droit de proximité, de droit dans les entreprises et de droit pour les particuliers. La réponse est donc de permettre aux avocats d'aller sur ces marchés. Par exemple, pour les actions de groupes, nous avons demandé - à plusieurs Gouvernements - que les avocats soient leaders dans ces actions. Pour des raisons que nous comprenons mal d'ailleurs, ils refusent que les avocats soient à la pointe de ces actions de groupe. Nous attendons donc des ouvertures et la possibilité pour les avocats d'investir des marchés -sur lesquels ils sont, pour certains, déjà- en matière de legaltech, de médiation en ligne, de services juridiques en ligne, de nouvelles protections juridiques, d'accès au droit... Il y a donc plein de possibilités pour que les avocats puissent travailler plus et mieux. Pour cela, nous avons besoin d'avoir un Garde des Sceaux qui soit à l'écoute et qui comprenne la profession. Comme j’ai pu déjà l’évoquer cela n’est pas le cas aujourd'hui. Il y a une deuxième réponse économique immédiate qui doit être apportée à la profession. Il s’agit de la possibilité pour les avocats d'avoir des revenus plus importants, notamment à l'aide juridictionnelle. Aujourd'hui, en France, cinq cents millions d'euros à peu près sont consacrés au budget de l’aide juridictionnelle. Deux fois moins qu'en Allemagne et presque trois fois moins qu'en Angleterre. Il n'y a aucune justification à cette faiblesse de l'aide juridictionnelle d'Etat pour la Justice française.
Lexbase : Quels seront les autres priorités de votre Bâtonnat ?
Nous souhaitons que les avocats puissent trouver auprès de leur Ordre des réponses pratiques à des questions pratiques et un soutien pratique.
Le premier projet que nous mettons en place est un grand plan de mise à niveau numérique qui sera lancé le 3 juin prochain. L’objectif est de permettre à tous les avocats parisiens qui le souhaitent d'avoir accès à des outils numériques afin de comprendre comment ils fonctionnent, d’apprendre à s'en servir et à les utiliser pour leur activité. Cela passe par des questions très simples comme des outils informatiques, des logiciels, des sites internet, des utilisations de cloud et autres.
Nous avons aussi un chantier sur la collaboration libérale. Cette collaboration libérale, c'est une particularité de la profession d'avocat. C'est un contrat d'échanges, de prestations entre un avocat et un autre avocat ou un cabinet d'avocat. C'est une activité qui est régi par nos dispositions déontologiques et nous souhaitons qu'elle soit le plus équilibré possible entre le collaborateur et le cabinet. Nous souhaitons ainsi améliorer le statut de collaborateur. Cela passera par la transmission, la formation, le mentorat, la participation aux bénéfices, l’intéressement aux résultats, la rémunération de l'apport d'affaires, tous les moyens de renforcer la cohésion dans le respect d’une collaboration responsable et digne. Il s’agit de renforcer la capacité des collaborateurs à davantage contribuer au développement des cabinets. Faire évoluer ce statut de collaborateur nous permettra de donner confiance à la nouvelle génération d’avocats. Pour cela, l’accès au statut d’associé doit aussi être simplifié. En échange, il nous faut protéger les collaborateurs et en faire de vrais partenaires des cabinets. Nous souhaitons, également, mettre en place une garantie de perte de collaboration qui démontrera que la solidarité n'est pas un vain mot au sein de notre Barreau.
Nous avons également un projet sur la parité dans l'exercice de la profession. Nous avons plein de projets mais si nous n'étions pas empêchés par toutes les questions et tous les sujets qui nous obligent à nous battre, nous pourrions en faire plein d’autres.
Lexbase : Une autre affaire justement au cœur de l’actualité : l’affaire «Juan Branco». Vous avez indiqué que « l’absence de distance manifestée par Monsieur Juan Branco entre sa mission d’avocat et l’action reprochée à son client » ne lui permettait pas de le défendre. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi la déontologie de l’avocat faisait obstacle à cette défense ?
Il est normal pour un avocat d'apprécier - et, l’avocat l’apprécie en conscience -, si la proximité, qui peut être de toute nature, financière, familiale et amicale, qui peut être aussi une proximité de cause l'empêche ou non d'être indépendant. C'est sur cette question de l'indépendance, dont Juan Branco avait d'ailleurs accepté le principe, qu’il avait été décidé qu’il était nécessaire de se retirer du dossier, pas sur une question de conflits d'intérêts. Sur le conflit d'intérêts, on a statué de manière très claire. Il n’y en avait pas en l'état du dossier. En revanche, le risque de mise en cause de son indépendance justifiait son retrait.
Lexbase : Alors, est ce que l'on peut être un avocat-militant ?
Un avocat peut être, bien évidemment, militant. Il y a d’ailleurs eu de grands avocats militants. C’est la question de militer pour une cause qui se pose et de l'indépendance. En revanche, on ne peut pas être un activiste actif sur des opérations et, par ailleurs, défendre un client sur ces mêmes opérations. Un militant ne peut participer à des actions qui seraient des actions répréhensibles et, par ailleurs, rester indépendant en sa qualité d'avocat. Cette incompatibilité paraissait intéressante à signaler mais évidemment pas le fait de militer, ce qui en soi est tout à fait normal. J'ai eu la satisfaction de constater que beaucoup d'avocats militants comme Henri Leclerc, William Bourdon ou Joseph Breham avaient confirmé mon analyse.
*Retrouvez notre série « Que feriez-vous si vous étiez Garde des Sceaux ? » en vidéo sur notre chaîne Youtube.
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Réf. : TGI Paris, 29 janvier 2020, n° 19/82171 (N° Lexbase : A75333EQ)
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par Marie Le Guerroué
Le 12 Mars 2020
► La société « Demander justice », bien qu’ayant entrepris diverses modifications de son site, ne s’est nullement conformée aux obligations de l’arrêt qui visait à supprimer la confusion avec un site officiel et à informer l’utilisateur sur le taux de réussite, puisque la modification des couleurs n’est pas visible à l’œil nu et que la fiche d’information n’est que très difficilement consultable.
C’est en ces termes, dans un jugement du 29 janvier 2020, que le juge de l’exécution condamne la société « Demander justice » à payer au CNB la somme de 500 000 euros représentant la liquidation de l’astreinte précédemment fixée par la cour d’appel de Paris (TGI Paris, 29 janvier 2020, n° 19/82171 N° Lexbase : A75333EQ).
Procédure. Selon un arrêt du 6 novembre 2018 (CA Paris, 6 novembre 2018, n° 17/04957 N° Lexbase : A7021YKA), la cour d’appel de Paris, saisie par le Conseil national des Barreaux de diverses demandes, dont une demande de fermeture des sites exploités par la société « Demander justice », fondée notamment sur le fait que celle-ci affichait un taux de succès fallacieux et utilisait un logo aux couleurs bleue, blanche et rouge entretenant une confusion avec les services publics, avait enjoint à cette dernière sous astreinte de faire disparaître de son site les mentions de relatives au taux de réussite sauf à en mentionner précisément les modalités de calcul, et lui a fait interdiction d’utiliser ensemble les trois couleurs du drapeau français. Le Conseil national des Barreaux avait fait assigner la société devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris afin de voir liquider l'astreinte.
Le Conseil national des Barreaux faisait valoir au soutien de ses demandes que concernant l’utilisation d’un logo comportant un bandeau tricolore, la société « Demander justice » s’était contentée de remplacer la couleur blanche par une teinte d’un gris si pâle que sa distinction avec le blanc est malaisée. Le juge de l’exécution estime que force est de constater à l’examen des différentes photographies communiquées qu’il est impossible sur un écran de consultation de différencier le gris pâle utilisé de la couleur blanche, d’autant plus que la bande grise apposée entre les couleurs rouge et bleue est plus pâle que le gris utilisé pour la tête de la figurine et sa base, lui conférant ainsi par contraste une clarté plus importante, de sorte que le risque de confusion relevé par la cour et lié à l’utilisation des couleurs du drapeau français persiste.
Concernant le taux de succès annoncé, le CNB indique que si la société a inséré sur le site une notice explicative, celle-ci est difficilement accessible. Le juge relève qu’il ressort des constats établis par le CNB que cette fiche n’est pas accessible par les divers liens hypertextes, mais seulement en positionnant le curseur de la souris sur la mention “82% des plaignants ont obtenu gain de cause depuis 2012", l’accès à cette information étant rendu particulièrement aléatoire puisque le curseur, généralement constitué d’une flèche ou d’une main donnant accès à un lien hypertexte, se transforme en l’espèce, lorsqu’il est positionné sur la phrase en question en une simple barre verticale assortie de deux petits traits horizontaux (I-Beam constituant la plupart du temps un outil de sélection ou d’édition), ce qui donne à penser à l’internaute qu’aucune information n’est accessible par ce biais.
Liquidation de l’astreinte. Il apparaît par conséquent que la société « Demander justice », bien qu’ayant entrepris diverses modifications de son site, ne s’est nullement conformée aux obligations de l’arrêt qui visait à supprimer la confusion avec un site officiel et à informer l’utilisateur sur le taux de réussite, puisque la modification des couleurs n’est pas visible à l’œil nu et que la fiche d’information n’est que très difficilement consultable. Au vu de l'ensemble de ces éléments et des modifications entreprises l'astreinte doit être liquidée à un montant de 500 000 euros (cf. l’Ouvrage « la Profession d'avocat" N° Lexbase : E0989E9I).
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Réf. : Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 19-11.939, FS-P+B+I (N° Lexbase : A37993D3)
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par Gérard Biardeaud, Magistrat
Le 05 Mars 2020
On sait que pour la Cour de cassation, toute erreur affectant à la hausse le taux effectif global [1] d’un prêt est réputée négligeable, si elle reste inférieure à 0,1. C’est la « règle de la décimale », que la Haute cour tire d’une lecture très critiquable de la remarque d de l’annexe à l’article R. 314-3 (N° Lexbase : L1403K9T), ancien article R. 313-1 (N° Lexbase : L3654IPZ), du Code de la consommation : « Le résultat du calcul [du TEG/TAEG] est exprimé avec une exactitude d'au moins une décimale. Lorsque le chiffre est arrondi à une décimale particulière, la règle suivante est d'application : si le chiffre de la décimale suivant cette décimale particulière est supérieur ou égal à 5, le chiffre de cette décimale particulière sera augmenté de 1 ».
Bien qu’il faille à l’évidence s’attacher à l’exactitude de la dernière décimale annoncée, la Cour de cassation campe sur ses positions, et se refuse à solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur ce texte d’origine communautaire [2].
Cette jurisprudence, aussi contestable qu’inespérée pour les banques, a déjà repêché les calculs approximatifs de nombre d’établissements prêteurs. Plus récemment, elle a permis d’absoudre l’usage inadmissible du diviseur 360 pour le calcul des intérêts intercalaires [3].
La décimation des règles protectrices de l’emprunteur se poursuit de plus belle. Voici maintenant que la « règle de la décimale » vient au secours de l’absence d’indication du taux de période et de la durée de la période ! Selon un arrêt tout récent, « l'offre de prêt immobilier doit mentionner le taux effectif global, qui est un taux annuel, proportionnel au taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période, doivent être expressément communiqués à l'emprunteur. Le défaut de communication du taux et de la durée de la période est sanctionné par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts conventionnels. Une telle sanction ne saurait cependant être appliquée lorsque l'écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel est inférieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 ».
L’arrêt du 5 février 2020, promis à la plus large diffusion, opère un revirement : il y a moins d’un an, la même chambre jugeait que le défaut de communication du taux et de la durée de la période était sanctionné par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts conventionnels [4], sans qu’il y ait à s’intéresser à l’exactitude du TEG lui-même. Un arrêt [5] avait même censuré une cour d’appel pour avoir jugé que le défaut de mention du taux de période était sans conséquences, du fait de son absence d’incidence sur l’exactitude du taux.
Ces arrêts étaient pleinement justifiés : il n’y a en effet aucun rapport entre la présence ou l’absence du taux de période et l’exactitude du TEG/TAEG : celui-ci peut être irréprochable alors même que le taux de période ou la durée de la période ne sont pas mentionnés, ou le sont de façon erronée (on a vu des prêteurs calculer le taux de période en divisant par 12 le taux annuel actuariel !). A l’inverse, un TEG/TAEG inexact peut cohabiter sur le contrat avec le véritable taux de période…
Cette jurisprudence de bon sens est donc abandonnée : selon l’arrêt du 5 février 2020, l’indication d’un TEG/TAEG exact, ou réputé tel, dédouane le prêteur de l’absence de mention du taux de période et de la durée de la période.
La première chambre civile semble estimer que le taux de période et la durée de la période ne sont que de simples outils de calcul du TEG/TAEG, et restent secondaires si celui-ci s’avère correctement calculé, ou minoré de moins d’une décimale… Elle balaie ce faisant 35 ans de réglementation d’ordre public : l’article 1er du décret n° 85-944 du 4 septembre 1985 (N° Lexbase : L9322HI4), texte fondateur en la matière, intégré depuis dans le Code de la consommation, définissait le TEG comme un taux annuel proportionnel au taux de période, et ajoutait aussitôt : « le taux de période et la durée de la période doivent être expressément communiqués à l’emprunteur » [6].
L’information devait donc, dès l’origine, porter à la fois sur le TEG et sur les éléments indissociables de ce taux que sont le taux de période et la durée de la période, éléments que le décret plaçait sur le même plan que le TEG. La doctrine en avait d’ailleurs logiquement déduit que la sanction du défaut d'indication du taux de période était la même que celle du défaut d'indication du TEG [7].
La jurisprudence assimilait elle aussi l’absence de ces éléments à une insuffisance d’indication du TEG lui-même [8].
La Directive 2008/48 du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs (N° Lexbase : L8978H3W), a confirmé ces exigences en prescrivant, outre l’indication du TAEG, la mention sur les documents contractuels de « toutes les hypothèses utilisées pour calculer ce taux » (art. 10 § 2 g ; C. consom., art. R. 312-2, 11° N° Lexbase : L1539LK9 et R. 312-10, 2° f N° Lexbase : L9730LBY), parmi lesquelles figurent le taux de période et la durée de la période [9].
C’est donc un sérieux recul dans l’information de l’emprunteur qu’opère l’arrêt du 5 février 2020, en triant les informations qu’il juge utiles et celles, selon lui, qui ne le sont pas. Cette nouvelle jurisprudence menace d’autres choix informatifs faits de longue date par le législateur : si le TEG/TAEG est la seule information véritable, la mention suprême dont la présence salvatrice excuserait l’absence des autres, pourquoi exiger l’indication du coût du crédit, ou de celui des sûretés exigées, voire du taux débiteur ? Le TEG/TAEG intègre en effet ces éléments, et s’il est exact (ou presque), leur mention séparée devient inutile, et leur absence ne saurait donner lieu à la moindre sanction… La « règle de la décimale » pourrait ainsi devenir une arme de destruction massive des régimes d’information de l’emprunteur.
Si l’on s’en tient aux seuls taux et durée de la période, jugés négligeables le 5 février 2020, ce serait une erreur de croire que leur seule utilité est de se combiner pour déterminer le TEG/TAEG ; chacun de ces deux éléments présente en effet un intérêt spécifique : le taux de période est l’élément mathématique essentiel, celui qui réalise l’égalité entre le capital emprunté et les paiements successifs, actualisés selon la méthode des intérêts composés (ou méthode d’équivalence, les deux termes étant synonymes) ; le TEG/TAEG n’en est que la traduction annuelle [10]. La présence du taux de période n’est donc pas destinée à satisfaire une curiosité déplacée, mais à communiquer à l’emprunteur l’élément technique de base qui caractérise l’opération dans laquelle il s’engage. Faut-il rappeler que le professionnel doit informer le consommateur des caractéristiques essentielles du service proposé (C. consom., art. L. 111-1 N° Lexbase : L1400LWR) ?
Le législateur lui-même a d’ailleurs estimé que le taux de période, en tant que tel, était une information suffisamment importante pour faire l’objet d’une mention spécifique sur l’état mensuel actualisé de l’exécution du contrat de crédit renouvelable (C. consom., art. L. 312-71, 4° N° Lexbase : L9585LG4).
Quant à la durée de la période, elle est elle aussi indispensable à une lecture avertie du TEG/TAEG annoncé, que la méthode suivie soit la méthode proportionnelle ou la méthode actuarielle [11].
Lorsque la méthode proportionnelle est applicable, la réglementation définit de façon détaillée la marche à suivre pour déterminer la durée de la période unitaire, notamment lorsque la périodicité des versements est irrégulière ; l’emprunteur, même agissant à des fins professionnelles, a droit à un éclairage sur le résultat du calcul complexe imposé au prêteur [12].
Pour les crédits relevant de la méthode actuarielle, l’absence de mention de la durée de la période peut elle aussi laisser l’emprunteur dans l’incertitude quant au procédé utilisé pour le calcul du TAEG annoncé : prenons l’exemple des crédits remboursables par mensualités, mais fonctionnant « en compte courant » (c’est le cas de certains prêts en devises et de la quasi-totalité des crédits renouvelables) ; les intérêts sont calculés en fonction de la durée en jours séparant chaque arrêté de compte, sur la base d'un taux de période quotidien (correspondant au taux débiteur divisé par le nombre de jours dans l'année) ; la période correspond alors à un jour, et le TAEG est obtenu en élevant à la puissance 365 le multiplicateur du taux quotidien. Un autre calcul du TAEG est toutefois envisagé par la réglementation (article 3, 4° du décret n° 2011-135 du 1er février 2011 N° Lexbase : L3462IPW), qui autorise l’indication d’un TAEG obtenu en élevant à la puissance 12 le multiplicateur du taux mensuel ; à taux débiteur identique, ce TAEG sera inférieur, parfois de plus d’une décimale, à celui calculé sur la base d’un taux quotidien [13]. Si, au mépris des textes, le prêteur ne précise pas que le calcul du TAEG qu’il indique fait intervenir un taux mensuel, son offre paraîtra plus compétitive que celle d’un concurrent plus scrupuleux, alors qu’elle sera en fait équivalente.
En prescrivant la mention du taux et de la durée de la période (ou a minima de la durée de la période), les dispositions mises à mal par la « règle de la décimale » n’imposent pas d’inutiles complications technocratiques ; elles ne font que donner à l’emprunteur l’information complète à laquelle il peut légitimement prétendre, et assurent une concurrence loyale entre les prêteurs.
L’arrêt du 5 février 2020 fait donc fi de la lettre et de l’esprit de textes d’ordre public (C. consom., art. L. 314-26 N° Lexbase : L3313K7T), en ne voyant, dans le taux et la durée de la période, que des détails négligeables dont l’absence n’est pas spécifiquement sanctionnée.
Le revirement du 5 février 2020 est choquant à un autre titre : que devient le procès équitable, lorsque la Cour applique d’office une nouvelle règle qu’elle crée ex nihilo, et, estimant qu’il n’y a plus rien à juger, met fin au litige en cassant sans renvoi, privant ainsi le consommateur d’un débat indispensable ? S’il prend fantaisie à l’emprunteur, qui a épuisé les voies de recours internes, de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme, cette volte-face pourrait bien encourir la condamnation des juges de Strasbourg.
[1] Le taux effectif global (TEG), terme général utilisé par l’article L. 314-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3335K7N), connaît une sous-appellation, le taux annuel effectif global (TAEG), qui n’a cessé de prendre de l’importance : depuis le 1er mai 2011, le TEG des crédits à la consommation et des prêts non professionnels échappant au régime des crédits aux consommateurs est en effet dénommé « taux annuel effectif global » (décret n° 2011-135 du 1er février 2011, article 1erN° Lexbase : L3462IPW) ; il en va de même, depuis le 1er octobre 2016, pour les crédits immobiliers (C. consom., art. L. 314-3 N° Lexbase : L3333K7L : « Pour les contrats de crédit entrant dans le champ d’application des chapitres II et III du présent titre, le taux effectif global est dénommé "Taux annuel effectif global" »). Le TEG proprement dit ne concerne donc plus que les prêts destinés à financer les besoins d’une activité professionnelle, et ceux destinés aux personnes morales de droit public.
[2] V. nos obs., Taux d’intérêts : de la décimale prescrite par l’article R. 313-1… à la décimale tout court, D., 2019, 597.
[3] V. G. Biardeaud et B. Poitrat, Calcul lombard des intérêts intercalaires et « règle de la décimale » : quand la seconde valide le premier, D., 2020, 26.
[4] Cass. civ. 1, 6 février 2019, n° 17-24.812, F-D (N° Lexbase : A6157YWX).
[5] Cass. civ. 1, 19 février 2013, n° 12-14.381, F-D (N° Lexbase : A4338I88).
[6] Une page d’histoire s’impose : l’article 1er du décret n° 85-944 du 4 septembre 1985 (N° Lexbase : L9322HI4), devenu le 3 avril 1997 l'article R. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2786DAG), visait à l'origine tous les crédits, c’est-à-dire les crédits mobiliers ou immobiliers aux consommateurs (chapitres II et III du titre premier « Opérations de crédit » du Code de la consommation), mais aussi les crédits non professionnels exclus du dispositif protecteur institué par ces deux chapitres, ainsi que ceux destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle, et ceux accordés aux personnes morales de droit public. Pour tous ces crédits, le passage du taux de période au TEG s’effectuait selon la méthode proportionnelle ; dans cette méthode, le taux effectif global est obtenu « en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l'année civile et celle de la période unitaire » (ce rapport donne le nombre de périodes contenues dans une année) ; pour un prêt remboursable par mensualités, il faut donc multiplier le taux mensuel par le rapport 12/1, soit 12, pour obtenir le TEG ; pour un taux mensuel de 1 %, le TEG sera : 0,01 x 12 = 0,12 soit 12 %. Si les paiements étaient trimestriels, le TEG correspondrait au taux de période (taux trimestriel) multiplié par 12/3 = 4.
Conformément aux prescriptions de la Directive 98/7/CE du 16 février 1998 (N° Lexbase : L9949AUZ), le décret n° 2002-927 du 10 juin 2002 (N° Lexbase : L6050A3H) a modifié l’article R. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6959ABD), et, pour les crédits à la consommation et les crédits non professionnels échappant au régime protecteur du Code de la consommation, il a abandonné la méthode proportionnelle au profit de la méthode actuarielle. La méthode actuarielle (dite aussi équivalente) consiste à élever le multiplicateur du taux de période à la puissance correspondant au nombre de périodes contenues dans une année (12 s’agissant d’un taux de période mensuel), et à retrancher 1 ; par exemple, pour un taux mensuel de 1 %, le TAEG sera : 1,0112 - 1 = 0,1268 soit 12,68 % (v. G. Biardeaud, Les calculs financiers du juriste, Berger-Levrault, 2016, n° 22). Nonobstant ce changement de méthode, la mention du taux et de la durée de la période devait toujours faire l’objet d’une communication expresse, pour ces crédits comme pour les autres (Cass. civ. 1, 1er juin 2016, n° 15-15.813, F-D N° Lexbase : A8710RRZ, à propos d’un crédit immobilier souscrit en juin 2007).
Le décret n° 2011-135 du 1er février 2011 (N° Lexbase : L3462IPW), applicable au 1er mai 2011, a de nouveau modifié cet article R. 313-1 (N° Lexbase : L3654IPZ) : pour les crédits à la consommation et les crédits non professionnels échappant au régime protecteur du Code de la consommation (§ III), seule la mention de la durée de la période (et non plus celle du taux de période) était prescrite. Pour les autres crédits (crédits immobiliers, crédits destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle, ou accordés aux personnes morales de droit public), qui restaient soumis à la méthode proportionnelle, la communication du taux de période et de la durée de la période à l'emprunteur était toujours obligatoire (§ II).
Une nouvelle modification est intervenue avec le décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 (N° Lexbase : L0525K9C), créant l’article R. 314-3 (N° Lexbase : L1403K9T), applicable à compter du 1er octobre 2016 : en application de ce nouvel article, le TAEG des crédits immobiliers est désormais calculé selon la méthode actuarielle, et seule la mention de la durée de la période est exigée.
L’article R. 314-2 (N° Lexbase : L1402K9S), issu du même décret du 29 juin 2016, ne laisse subsister la mention du taux de période que pour les crédits destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle, et ceux accordés aux personnes morales de droit public. Toutefois, pour les crédits à la consommation, les articles R. 312-2, 11° (N° Lexbase : L1539LK9) et R. 312-10, 2° f (N° Lexbase : L9730LBY) du Code de la consommation exigent, comme on le verra plus loin, outre l’indication du TAEG, la mention sur les documents contractuels de « toutes les hypothèses utilisées pour calculer ce taux », parmi lesquelles figure la durée de la période mais aussi son taux (voir note 9).
[7] D. Schmidt et P. Lutz, Commentaire du décret n° 85-944 du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global, Rev. Banque, 1986, p. 865.
[8] Cass. civ. 1, 1er juin 2016, n° 15-15.813, F-D (N° Lexbase : A8710RRZ), approuvant par ailleurs la cour d’appel d’avoir substitué le taux d'intérêt légal au taux conventionnel stipulé.
[9] Le terme hypothèse désigne en effet les diverses propositions retenues pour le calcul du taux annuel : le prêt est de x €, il est remboursé à l’aide de x mensualités de x €, la première est payable x jours après le déblocage des fonds, il y a x € de frais de dossier, ces frais sont déduits du montant prêté, ou s'ajoutent aux x premières mensualités, ou sont compris dans ces x premières, etc., le taux de période mensuel en résultant est de x %, et le taux annuel effectif global, calculé à partir de ce taux selon la méthode d'équivalence, est de x %.
La mention du taux de période des crédits à la consommation reste donc exigée au titre des données intervenant dans le calcul du TAEG (en ce sens : TI Beauvais, 16 septembre 2015, Contrats Conc. Consom n° 12, décembre 2015, comm. 291, par G. Raymond ; TI Saint-Brieuc, 26 juin 2017, D., 2017, 1525, obs. Gh. Poissonnier ; TI Saint Quentin, 5 octobre 2018, D., 2018, p. 2133, obs. Gh. Poissonnier).
[10] Dans une opinion, la notion de taux de période a perdu toute pertinence pour les crédits soumis à la méthode actuarielle (c’est-à-dire, depuis le 1er juillet 2002, les crédits à la consommation et les crédits non professionnels exclus du dispositif protecteur institués par les chapitres II et III du titre premier « Opérations de crédit » du Code de la consommation, et depuis le 1er octobre 2016 les crédits immobiliers) ; pour ces crédits, soutient-on, les formules de calcul du TEG prescrites par l’annexe au décret n° 2002-928 du 10 juin 2002 (notamment les cinquième et sixième exemples) sauteraient l'étape du taux de période. Cette thèse est sans doute à l’origine de la suppression ultérieure, dans l’article R. 313-1 (devenu R. 314-3), de l’exigence de la mention expresse du taux de période pour les crédits soumis à la méthode actuarielle. Nous ne partageons pas cette opinion : les formules annexées aux décrets du 10 juin 2002 reposent bien sur le calcul du taux de période, même si elles ne l'expriment que sous la forme d'une racine du multiplicateur du TAEG (v. G. Biardeaud, Les calculs financiers du juriste, Berger-Levrault, 2016 n° 24) ; le décret n° 2002-928 du 10 juin 2002 (art. 1er), toujours en vigueur, prévoit d'ailleurs : « le taux effectif global déterminé à partir du taux de période par la méthode équivalente est calculé selon les modalités annexées suivantes […] », et l’obligation de mentionner le taux de période n’a disparu de l’article R. 313-1 (de façon donc injustifiée) qu’au 1er mai 2011.
[11] Sur les caractéristiques respectives de ces deux méthodes, voir la note 6.
[12] La méthode à suivre est spécifiée par le troisième alinéa de l’article R. 314-2 du Code de la consommation : « Lorsque la périodicité des versements est irrégulière, la période unitaire est celle qui correspond au plus petit intervalle séparant deux versements. Le plus petit intervalle de calcul ne peut cependant être inférieur à un mois ». Ce texte est à lire à la lumière du quatrième alinéa du même article : « Lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l'année civile et celle de la période unitaire. Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d'au moins une décimale ».
Prenons, pour bien comprendre ces prescriptions réglementaires, un exemple tiré d’une circulaire de l’Association Française des Banques : soit un contrat prévoyant le déblocage des fonds (10 000 €) le 1er mars, un premier remboursement de 5 500 € le 29 juillet, et un second remboursement de 5 000 € le 7 octobre, soldant le prêt ; l’écart entre le premier versement et le second est de 70 jours, et l’écart entre le déblocage des fonds et le premier versement est de 150 jours, ce qui peut s’écrire 70 + 70 + 10 ; le plus petit intervalle supérieur à un mois séparant deux versements étant de 70 jours, il faut calculer le taux de période en retenant dans l’équation correspondante une période unitaire de 70 jours, ce qui nous donne un taux de période de 1,88204 % (en effet, l’équation : 10000 – [5500/(1+tp)2 + 5000/(1+tp)3]/(1+tp)10/70 = 0 se vérifie avec tp = 0,0188204 ). Pour déterminer le TEG, il faut ensuite multiplier ce taux de période par le rapport entre la durée de l'année civile et celle de la période unitaire, soit 365/70 = 5,2143, chiffre qui pourra être arrondi à 5,2 ; le TEG sera de 1,88204 x 5,2 = 9,79 %.
Comme on le voit, l’indication du taux de période (1,88204 %) et de la durée de la période (70 jours) ne sont pas de trop pour comprendre le TEG indiqué (9,79 %)…
[13] V. G. Biardeaud, Les calculs financiers du juriste, Berger-Levrault, 2016 n° 68.
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Réf. : Cass. civ. 3, 27 février 2020, n° 19-10.887, FS-P+B+I (N° Lexbase : A49773GG)
Lecture: 2 min
N2471BY8
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 05 Mars 2020
► Le syndic n'a pas à être autorisé par l'assemblée générale des copropriétaires pour défendre à l'action introduite à l'encontre du syndicat et former une demande en garantie contre l'assureur de la copropriété.
Telle est la précision apportée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 27 février 2020 (Cass. civ. 3, 27 février 2020, n° 19-10.887, FS-P+B+I N° Lexbase : A49773GG).
En l’espèce, se plaignant d'infiltrations, dans ses appartements situés sous une toiture-terrasse, un copropriétaire avait assigné le syndicat des copropriétaires en paiement de dommages-intérêts.
Le syndicat des copropriétaires avait appelé en garantie son assureur. La cour d’appel avait déclaré irrecevable sa demande en garantie au motif que l'assemblée générale des copropriétaires n'avait pas habilité le syndic à agir contre l'assureur de la copropriété ni validé l'action.
A tort, selon la Cour suprême.
En effet, selon l'article 55 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 (N° Lexbase : Z24152KG), le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l'assemblée générale ; une telle autorisation n'est pas nécessaire pour défendre aux actions intentées contre le syndicat.
La Haute juridiction rappelle qu’en application de l'article 55, alinéa 2, précité, il a été jugé que le syndic pouvait, dans une instance dans laquelle il était défendeur, appeler en garantie un coresponsable pour dégager la responsabilité du syndicat des copropriétaires (Cass. civ. 3, 7 janvier 1981, n° 79-12.508 N° Lexbase : A4137CGC ; Cass. civ. 3, 30 novembre 2004, n° 00-20.453, F-D N° Lexbase : A1136DES).
La Cour de cassation précise, alors, que de même, le syndic n'a pas à être autorisé par l'assemblée générale des copropriétaires pour défendre à l'action introduite à l'encontre du syndicat et former une demande en garantie contre l'assureur de la copropriété.
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Réf. : Cass. civ. 2, 26 février 2020, n° 20-60.096, F-P+B+I (N° Lexbase : A40023GC)
Lecture: 2 min
N2389BY7
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par Yann Le Foll
Le 13 Mars 2020
► La personne contestant sa radiation d’une liste électorale doit saisir le tribunal avant le premier scrutin suivant la radiation contestée.
Ainsi statue la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 février 2020 (Cass. civ. 2, 26 février 2020, n° 20-60.096, F-P+B+I N° Lexbase : A40023GC).
Faits. Selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort (tribunal judiciaire de Paris, 11 février 2020), Mme X, se plaignant d’avoir été radiée, à la suite de son déménagement dans le même arrondissement, des listes électorales du vingtième arrondissement de Paris, sans que cette décision lui ait été notifiée, a saisi le 11 février 2020 un tribunal judiciaire d’une demande d’inscription sur ces listes électorales.
Grief. Elle fait grief au jugement de déclarer sa demande d’inscription irrecevable alors «qu’elle n’a pas été avertie de sa radiation par la mairie à son adresse actuelle et qu’elle n’a pu, ignorant alors cette radiation, demander son inscription avant la date limite du 7 février 2020».
Position du tribunal judiciaire. Le jugement attaqué énonce d’abord qu’il résulte de l’article L. 20 II du Code électoral (N° Lexbase : L0450LTT) que toute personne qui prétend avoir été omise par suite d’une erreur matérielle ou radiée de la liste électorale de la commune en méconnaissance de l’article L. 18 du même code (N° Lexbase : L3668LK3) peut saisir le tribunal judiciaire, qui a compétence pour statuer jusqu’au jour du scrutin. Il retient à bon droit qu’il résulte de cette disposition que la saisine du tribunal doit intervenir avant le premier scrutin suivant l’omission ou la radiation contestée.
Solution. Ayant constaté que l’intéressée avait été radiée des listes électorales le 3 octobre 2018, le tribunal en a exactement déduit que la demande présentée par celle-ci postérieurement au jour du premier scrutin suivant cette radiation, lequel avait eu lieu le 26 mai 2019 pour l’élection des représentants de la France au Parlement européen, était irrecevable (cf. l'Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E4772ZBD).
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Réf. : Cass. civ. 2, 20 février 2020, deux arrêts, F-P+B+I, n° 20-12.184 (N° Lexbase : A04033GZ) et n° 20-12.180 (N° Lexbase : A04023GY)
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N2307BY4
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par Yann Le Foll
Le 13 Mars 2020
► Pour l’inscription sur une liste électorale, la condition de domicile réel n’est pas remplie en cas de caractère professionnel du bail principal et en l’absence de tout caractère privatif des lieux occupés.
Telle est la solution de deux arrêts rendu par la Cour de cassation le 20 février 2020 (Cass. civ. 2, 20 février 2020, deux arrêts, F-P+B+I, n° 20-12.184 N° Lexbase : A04033GZ et n° 20-12.180 N° Lexbase : A04023GY).
Dans la première affaire (n° 20-12.184), selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, le maire de Papeete a, par décision notifiée le 9 décembre 2019, refusé l’inscription d’une personne sur les listes électorales de cette commune, ce que cette dernière conteste dans son pourvoi.
La Cour suprême confirme la position du tribunal de première instance de Papeete.
Elle indique que le jugement a exactement rapelé que l’article 102 du Code civil (N° Lexbase : L9050IZ9) définit le domicile comme le lieu où la personne a son principal établissement, le jugement retient que pour justifier sa demande, l’intéressée, qui indique vivre en concubinage, produit un contrat de sous-location, daté du 19 août 2019, par lequel l’association Tahoeraa Huiraatira, représentée par son premier vice-président, a donné à bail au concubin de la demandeuse, un local d’une superficie de quinze mètres carrés, ainsi que des factures d’électricité établies au nom de celui-ci, et un procès-verbal d’huissier de justice constatant la présence d’affaires personnelles.
Le jugement relève ensuite que les locaux loués font partie intégrante du local occupé par l’association Tahoeraa Huiraatira, parti politique dont le concubin est le président, et que la destination des lieux loués à cette association est l’exercice de l’activité professionnelle du preneur.
Il constate également, au vu du plan des locaux, que le logement de quinze mètres carrés concerne une pièce comprenant une salle d’eau et que la cuisine n’est pas comprise dans le local loué.
Il retient que le fait que la demandeuse ait déposé des effets personnels ou encore que son compagnon règle des factures d’électricité ne saurait à lui seul faire du local concerné un domicile personnel.
C’est donc dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que le tribunal a estimé que l’intéressée ne justifiait pas d’un domicile réel dans la commune de Papeete et ne pouvait donc légitimement demander son inscription sur les listes électorales de cette commune (cf. l'Ouvrage « Droit électoral » N° Lexbase : E0979A8R).
Dans la seconde affaire (n° 20-12.180), la Cour suprême rappelle qu’il résulte de l’article L. 11, I, 1° du Code électoral (N° Lexbase : L3663LKU), que la condition d’habitation d’au moins six mois doit être remplie à la date de dépôt de la demande d’inscription sur les listes électorales communales.
Ayant relevé en l’espèce que ce délai n’était pas acquis à la date de la demande d’inscription de l’intéressé sur les listes électorales de Papeete, de sorte que ce dernier ne justifiait pas habiter dans cette commune depuis au moins six mois, le tribunal, sans méconnaître les dispositions de l’article L. 11, I, 1° du Code électoral, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision (cf. l'Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E0976A8N).
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Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 10 février 2020, n° 427282, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A18253EC)
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N2428BYL
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par Mireille Le Corre, rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 04 Mars 2020
Quelles sont vos attentes à l’égard des conclusions d’un rapporteur public ? Nous ne nous livrerons pas, en réponse à cette question, à un exercice d’introspection, mais plus simplement, à une tentative de clarification des suites de votre jurisprudence «Communauté d’agglomération du pays de Martigues».
1. Par votre décision de Section «Communauté d’agglomération du pays de Martigues» (CE, 21 juin 2013, n° 352427 N° Lexbase : A2099KH9, au Recueil), vous avez jugé trois points importants :
a) Premier point : la communication aux parties du sens des conclusions a pour objet de les mettre en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré. Ce sont là les trois finalités explicitées de la diffusion du sens des conclusions. Cela suppose, en conséquence, que les parties soient mises en mesure de connaître, dans un délai dit «raisonnable» avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761‑1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4). Et cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
b) Deuxième point : il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir. La communication de ces informations n’est toutefois pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision.
c) Troisième point : dans les deux cas, le rapporteur public qui, après avoir communiqué le sens de ses conclusions, envisage de modifier sa position doit, à peine d’irrégularité de la décision, mettre les parties à même de connaître ce changement.
Autrement dit, le rapporteur public n’est pas tenu de communiquer les raisons déterminant la solution proposée mais s’il le fait, il doit alors prévenir les parties en cas de modification de sa position, à peine d’irrégularité. Cette implication a, selon nous, un effet pervers, qui est de ne pas pousser les rapporteurs publics à apporter ce degré de précision car s’il est facultatif, son usage, une fois utilisé, a des conséquences redoutables. Mais elle est nécessaire pour informer les parties d’un changement de position.
Dans ses conclusions sur cette décision, Xavier de Lesquen écartait deux options extrêmes, à savoir soit que le rapporteur public ne communique rien, comme étant contraire à la lettre du texte mais aussi à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en se fondant sur l’arrêt Kress c/ France [1], soit au contraire qu’il communique tout le texte de ses conclusions, obligation exclue par votre décision «Esclatine» (CE, 29 juillet 1998, n°s 179635, 180208 N° Lexbase : A8031ASA, au Recueil). Il invitait à retenir la solution consistant à ce que le sens communiqué corresponde au dispositif proposé, hormis au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.
2. Vous avez apporté un tempérament à cette jurisprudence avec votre décision «M. et Mme Gauchot» (CE, 1er octobre 2015, n° 366538 N° Lexbase : A5699NSU, au Recueil) : s’il ne ressort pas du dossier que les requérants se sont plaints d’un changement de position du rapporteur public qui ne leur a pas été communiqué, dans les observations orales présentées par leur avocat après les conclusions et que la note en délibéré n’en fait pas mention, l’irrégularité n’est pas tenue pour établie. Cette décision est essentiellement guidée par la nécessité d’établir la preuve du changement de position du rapporteur public.
Dans ses conclusions -cette fois contraires- sur cette décision, Xavier de Lesquen invitait logiquement à la recherche d’un élément de preuve pour établir le changement de sens des conclusions entre l’écrit et l’oral, mais il n’en faisait pas peser la charge sur les requérants, mais sur la juridiction. Il estimait que «la seule façon de garantir la régularité de la décision rendue [était] d’organiser, a priori par le secrétaire de séance, le relevé du sens des conclusions prononcées pendant la séance publique et de consigner cet élément dans le dossier de procédure». Mais il indiquait d’emblée que cette solution serait sans doute considérée comme excessivement formaliste et lourde de conséquences matérielles pour la juridiction et envisageait, à titre subsidiaire, la solution qui a été finalement retenue, consistant à exiger que l’irrégularité alléguée ait été signalée à la juridiction au plus vite, par les observations orales ou par la note en délibéré, faute de quoi elle ne pourrait être tenue pour établie.
3. Cette souplesse apportée dans le cas du changement de position du rapporteur public doit-elle être transposée à d’autres cas dans lesquels la communication du sens des conclusions a posé une difficulté ?
Le cas qui vous est soumis aujourd’hui est celui d’une information insuffisante donnée, dès le départ, par le rapporteur public.
Il est utile de l’illustrer maintenant par le cas d’espèce, en disant quelques mots de la procédure, afin de percevoir les attentes légitimes quant au contenu du sens des conclusions.
Le litige en question concernait le solde du règlement d’un marché passé par la communauté de communes de Pont-Audemer et une entreprise, la société Les compagnons paveurs, pour l’exécution de travaux d’aménagement d’une place. Les travaux ont été exécutés avec retard, ce qui a conduit la communauté de communes à infliger des pénalités de retard à la société, réduisant d’autant le solde du marché. La société a saisi le tribunal administratif de Rouen d’une demande de condamnation de la communauté de communes et des conclusions reconventionnelles ont été présentées par la communauté de communes. Le tribunal administratif n’a fait que très partiellement droit à la demande de la société et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Le liquidateur judiciaire de la société a formé un appel et la communauté de communes un appel incident. La cour administrative d’appel de Douai, après avoir annulé partiellement le jugement pour une omission à statuer, a fait droit à l’appel incident et a fait droit très partiellement à l’appel principal, en condamnant la communauté de communes à verser des intérêts contractuels sur les sommes dues au titre du solde du marché, mais sans remettre en cause le montant de celui-ci.
Le rapporteur public devant la cour s’était borné à indiquer la mention suivante : «Annulation partielle du jugement – réformation partielle du jugement». Il n’a donc pas indiqué le montant de l’indemnisation qu’il proposait de mettre à la charge de la communauté de communes. Et cela est d’autant plus gênant qu’en présence d’un appel incident, le sens de ce qu’il préconisait était non seulement imprécis -du fait de l’absence du montant- mais aussi imperceptible dans son orientation même, favorable ou non au requérant.
Vous avez déjà retenu une méconnaissance des exigences posées par l’article R. 711-3 du Code de justice administrative par une récente décision du 28 mars 2019 (CE, n° 415103 N° Lexbase : A2874Y7L, aux Tables ; auparavant, non fichée : CE, 5 octobre 2016, n° 389197 N° Lexbase : A9882R4R, inédit) dans le cas d’une mention indiquant «satisfaction totale ou partielle» en la jugeant insuffisante. Une telle mention ne permet ni de connaître la position du rapporteur public sur les personnes susceptibles d’être condamnées au versement d’une indemnité, ni le montant de cette indemnisation, ce qui conduit à une irrégularité. La somme ne fait pas partie des motifs de la décision, mais bien du dispositif de celle-ci et doit, par suite, entrer dans les mentions obligatoires communiquées par le rapporteur public.
Le caractère irrégulier ne fait donc guère de doute dans un cas comme celui de l’espèce se limitant à indiquer «annulation partielle du jugement – réformation partielle du jugement».
Mais cette irrégularité peut-elle être neutralisée, comme le soutient la communauté de communes en défense, si la société était représentée lors de l’audience publique devant la cour et, d’autre part, a présenté des observations orales à la suite des conclusions et enfin n’a pas produit de note en délibéré, à la différence d’ailleurs de la communauté de communes ?
Aller en ce sens reviendrait à transposer la jurisprudence «Gauchot», aujourd’hui cantonnée au cas du changement de position du rapporteur public, à l’hypothèse du contenu insuffisant des conclusions. Deux éléments pourraient vous conduire à aller dans ce sens.
D’abord, vous avez admis une approche souple -donc ne caractérisant pas une irrégularité- dans le cas d’informations discordantes entre l’indication figurant dans la rubrique «sens synthétique des conclusions» («rejet au fond») et celle figurant dans la rubrique «sens des conclusions et moyens ou causes retenus» («rejet pour défaut de qualité pour agir»). L’avocat du requérant n’ayant pas pris l’attache du greffe pour relever cette discordance, ayant pu discuter du motif d’irrecevabilité lors de l’audience et n’ayant pas produit de note en délibéré, vous n’avez pas censuré l’arrêt. Vous avez relevé que les informations permettaient de savoir que le rapporteur public allait conclure au rejet de la requête et de connaître avec précision le motif (en réalité l’un des motifs indiqués) justifiant la solution proposée (CE, 12 juillet 2019, n° 420085 N° Lexbase : A2961ZKU, C, conclusions Louis Dutheillet de Lamothe). Cette hypothèse d’informations discordantes nous semble toutefois assez particulière et différente du cas qui vous est soumis aujourd’hui, qui pose la question du caractère insuffisant du contenu communiqué, au point que le requérant ne connaisse pas le sens proposé.
Un second type de considérations pourrait vous conduire à écarter l’irrégularité : c’est l’exigence que vous attachez aux démarches faites par les requérants eux-mêmes.
Ainsi, vous avez retenu qu’une procédure ne méconnaît pas l'obligation de mettre les parties en mesure de connaître le sens des conclusions du rapporteur public lorsque le requérant a été informé par l’avis d’audience de la possibilité, à défaut de pouvoir y accéder par le biais de l'application «Sagace», d'en prendre connaissance auprès du greffe de la juridiction, et qu'il n’établit pas avoir présenté une telle demande au greffe après avoir constaté l’impossibilité d’obtenir cette information au moyen de l’application (CE, 23 octobre 2015, n° 372778 N° Lexbase : A0321NUG, aux Tables). Vous aviez retenu que l’impossibilité dans laquelle est mise une partie de prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public, faute de communication par le tribunal administratif du code permettant l'accès à l'application «Sagace» de son avocat, alors que ce dernier établit avoir effectué auprès du greffe une démarche, restée sans réponse, pour y accéder, entache la procédure d'irrégularité (CE, 2 février 2011, n° 330641 N° Lexbase : A2629GRS, aux Tables).
Vous pourriez, dans une même logique, estimer que si un requérant se trouve confronté à un sens des conclusions qu’il estime insuffisamment précis, c’est à lui d’engager une démarche, en se manifestant en amont auprès du greffe, ou en faisant état de cette difficulté lors de l’audience ou dans la note en délibéré.
Toutefois, nous pensons que la souplesse d’interprétation permise par votre jurisprudence «Gauchot» ne doit pas être élargie à notre hypothèse, là aussi pour deux raisons.
La première est que nous y voyons un risque de vider de sa portée l’article R. 711-3.
Quelle frontière pourriez-vous, en effet, dresser entre un contenu insuffisant ou incomplet du sens des conclusions et une absence de toute communication même du sens des conclusions ? Si vous en veniez à considérer que dans tous les cas, dès lors que la partie n’a pas été lésée (en vérifiant les trois points précités : absence à l’audience, absence de prise de parole, absence de note en délibéré), il n’y a pas irrégularité, vous pourriez progressivement considérer que l’absence de communication du sens des conclusions est sans incidence. Or, cela nous semble frontalement contraire à la lettre de l’article R. 711-3, mais aussi à son esprit tel que rappelé par votre jurisprudence «Commune de Martigues», qui si elle éclaire le sens de cet article en explicitant sa finalité, n’a évidemment pas entendu retirer leur portée obligatoire et effective à ces dispositions.
La seconde raison est que la jurisprudence «Gauchot» s’explique, comme nous le disions, essentiellement par une difficulté d’établissement de la preuve. Invoquer le changement du sens des conclusions du rapporteur public entre l’écrit et l’oral suppose que cela transparaisse d’une façon ou d’une autre dans un document établissant cette irrégularité. Tel n’est pas le cas ici : le manquement aux obligations est évident lorsque le sens même des conclusions telles qu’elles sont saisies par le rapporteur public est insuffisant. Il n’y a pas besoin d’autre élément de preuve, supposant une manifestation de la partie lors de l’audience ou une note en délibéré.
La circonstance que le requérant ait été représenté à l’audience et n’ait pas produit de note en délibéré nous semble, en conséquence, devoir, dans un tel cas, être considérée comme étant sans incidence sur le caractère irrégulier de la procédure.
Il va sans dire -mais nous le disons !- que cette exigence vaut pour l’ensemble de la juridiction administrative. Comme le soulignait Xavier de Lesquen dans ses conclusions sur la décision de Section «Communauté d’agglomération du pays de Martigues», l’article R. 711-3 du Code de justice administrative applicable aux cours et tribunaux, comme l’article R. 712-1 (N° Lexbase : L5688ICN) applicable devant le Conseil d’Etat imposent tous deux la même exigence et, disait-il, «il est heureux qu’un même texte conduise aux mêmes obligations effectives pour toutes les juridictions».
Nous vous proposons donc d’annuler cet arrêt pour ce motif d’irrégularité.
Tous les autres moyens pourraient, en revanche, être écartés, si vous ne nous suiviez pas.
Par ces motifs, nous concluons :
- à l’annulation de l’arrêt attaqué ;
- au renvoi de l’affaire à la cour administrative d’appel de Douai ;
- à ce que la communauté de communes de Pont-Audemer verse à Me Courtoux une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;
- au rejet des conclusions présentées au même titre par la communauté de communes de Pont-Audemer.
[1] CEDH, 7 juin 2001, Req. 39597/98 (N° Lexbase : A2964AUC).
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Réf. : Cass. civ. 2, 27 février 2020, n° 18-26.083, FS-P+B+I (N° Lexbase : A49743GC)
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N2438BYX
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 05 Mars 2020
► Dans le cadre d’une instance, lorsque la cause justifiant la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est découverte durant l’audience, où les faits établissant la partialité de la juridiction se sont produits, le requérant a l’obligation de soulever sa demande par déclaration consignée dans un procès-verbal, à cette audience, conformément aux dispositions de l’article 344 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6749LEP) à défaut; la demande qui serait déposée, auprès du premier président de la cour d’appel, serait déclarée irrecevable.
Telle est la précision apportée par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendu le 27 février 2020 (Cass. civ. 2, 27 février 2020, n° 18-26.083, FS-P+B+I N° Lexbase : A49743GC).
Faits et procédure. En l’espèce, dans le cadre d’une instance pendante devant le tribunal de commerce, en relevé d’une mesure d’interdiction de gérer, une première audience avait été fixée au 18 octobre 2018, puis l’affaire a été renvoyée à une audience ultérieure. Le demandeur, a déposé une requête en suspicion légitime au greffe de la cour d’appel, remettant en cause l’impartialité de la juridiction, préalablement à l’audience de renvoi.
Le pourvoi. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’ordonnance rendue le 11 décembre 2018 par le premier président de la cour d’appel de Versailles, d’avoir déclaré irrecevable la requête en suspicion légitime formée à l’encontre des membres du tribunal de commerce de Nanterre, aux regards des dispositions de l’article 344 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6749LEP). Il fait valoir que les dispositions de l’article précité prévoient deux modes de saisine de renvoi pour cause de suspicion légitime, le premier par une remise de l’acte au greffe de la cour d’appel, ce qui a été le cas en l’espèce, et le second, par déclaration consignée par le greffier dans un procès-verbal, adressé sans délai au premier président de la cour d’appel, lorsque la cause sur laquelle porte la demande est découverte à l’audience. Le demandeur énonce que les deux modes de saisine ne sont pas exclusifs entre eux, et qu’il n’est pas prévu l’irrecevabilité d’effectuer la demande par déclaration si la cause est découverte à l’audience, ouvrant la possibilité pour le requérant d’opter pour le premier mode de saisine.
Solution de la Cour. Confortant la position adoptée par la cour d’appel, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Pour aller plus loin : Lire l’Ouvrage « Procédure civile »,La récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime N° Lexbase : E1321EUH) |
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Réf. : Cass. soc., 26 février 2020, n° 18-22.759, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A39973G7)
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N2388BY4
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par Charlotte Moronval
Le 04 Mars 2020
► En application de l’article L. 2323-4 du Code du travail alors applicable (N° Lexbase : L2115KGG), interprété conformément aux articles 4, § 3, et 8, § 1 et § 2, de la Directive 2002/14/CE (N° Lexbase : L7543A8U), la saisine du président du tribunal de grande instance avant l’expiration des délais dont dispose le comité d’entreprise pour rendre son avis permet au juge, dès lors que celui-ci retient que les informations nécessaires à l’institution représentative du personnel et demandées par cette dernière pour formuler un avis motivé n’ont pas été transmises ou mises à disposition par l’employeur, d’ordonner la production des éléments d’information complémentaires et, en conséquence, de prolonger ou de fixer le délai de consultation tel que prévu par l’article R. 2323-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1466K98) à compter de la communication de ces éléments complémentaires.
Telle est la solution énoncée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 février 2020 (Cass. soc., 26 février 2020, n° 18-22.759, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A39973G7 ; lire la notice explicative).
Dans les faits. Une société convoque le comité central d’entreprise (CCE) dans le cadre d’une procédure d’information consultation sur un projet de création de deux installations au Royaume-Uni. Lors d’une réunion en date du 9 mai 2016, le CCE désigne deux experts pour examiner le projet et réclame plusieurs documents d’information complémentaires. Par requête du 20 juin 2016, le CCE sollicite l’autorisation d’assigner la société devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour demander la suspension des délais de consultation jusqu’à communication par l’employeur d’un certain nombre de documents complémentaires. Une autorisation d’assigner est délivrée pour le 22 septembre 2016. Par ordonnance du 27 octobre 2016, le président du tribunal de grande instance déclare irrecevables les demandes du CCE, au motif que le délai de consultation était, au jour où il statuait, d’ores et déjà expiré.
La position de la cour d’appel. La cour d’appel infirme cette décision, dit les demandes recevables et ordonne à la société de remettre au CCE un document d’information complémentaire. Elle enjoint également à la société de procéder à une nouvelle convocation du CCE dans un délai de deux mois. La société forme un pourvoi en cassation.
La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation rejette le pourvoi. En l’espèce, le CCE, dont le délai de consultation expirait le 2 juillet 2016, a saisi le président du tribunal de grande instance le 20 juin 2016. La cour d’appel a souverainement constaté que les documents fournis par l’employeur à l’appui de la consultation étaient, au regard de l’importance du projet, de l’existence de risques opérationnels et financiers certains, et de l’impact sur le nombre d’emplois en France et à l’international, insuffisants en ce que seule une synthèse du rapport confié par la société à un groupe d’experts de six personnes avait été remis au CCE et que cette synthèse laissait subsister des zones d’ombre et des angles morts que la production de l’entier rapport, réclamé vainement par le CCE, pouvait permettre de dissiper. C’est dès lors à bon droit, et peu important que l’employeur ait commencé à mettre en oeuvre le projet, que la cour d’appel, après avoir ordonné à l’employeur la communication de documents complémentaires, a fixé un nouveau délai de consultation de deux mois au comité central d’entreprise pour émettre son avis (sur Les modalités d'exercice par le comité social et économique de ses attributions générales, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E1958GAR (affaire concernant un CE mais la solution retenue est applicable au CSE)).
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Réf. : Min. Travail, Questions-réponses sur le coronavirus, 28 février 2020
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par Charlotte Moronval
Le 04 Mars 2020
► Le ministère du Travail a publié, le 28 février 2020, un questions-réponses à destination des salariés et employeurs, afin de leur permettre de se conformer aux recommandations gouvernementales à appliquer face à l’épidémie de coronavirus.
Recommandations aux salariés
Ainsi, il est recommandé aux salariés d’éviter tout voyage en Chine « sauf raison impérative » et « de reporter tous les déplacements non essentiels dans les régions de Lombardie et de Vénétie en Italie, en Corée du Sud, en Iran et à Singapour ». En cas de séjour dans l’une des zones à risques, il convient d’informer son employeur avant la reprise du travail.
En cas de retour d’un pays à risque, l’employeur peut demander au salarié de télétravailler ou d’aménager son poste de travail de manière à limiter le risque de contagion.
Si la situation le requiert, l’employeur peut décider de manière unilatérale de :
Si aucune solution n’est trouvée, le salarié peut contacter l’Agence régionale de santé (ARS), via le portail web www.ars.santé.fr afin qu’un médecin habilité établisse un avis d’arrêt de travail correspondant à la durée d’isolement préconisée de 14 jours.
De même, si l’enfant d’un salarié est soumis à une mise en quarantaine de 14 jours, ce dernier peut également prendre contact avec l’ARS afin d'obtenir un avis d'arrêt de travail.
Au titre de ces arrêts de travail, le salarié percevra les indemnités journalières de la Sécurité sociale, cela, sans application d'un délai de carence. Il pourra également bénéficier de l’indemnité complémentaire conventionnelle ou légale, sans délai de carence.
Enfin, si l’employeur demande à son salarié de se déplacer dans une zone à risque, le salarié peut exercer son droit de retrait « s’il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».
Recommandations aux employeurs
Parmi les recommandations adressées à l’employeur, en cas de retour d’un salarié provenant d’une zone à risque ou de contact avec une personne infectée par le coronavirus, il doit mettre en place des mesures pendant les 14 jours :
Si l’un de ses salariés est contaminé par le coronavirus, l’employeur doit :
Enfin, en cas de baisse d’activité de l’entreprise liée à la crise, l’employeur peut solliciter le dispositif d’activité partielle.
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