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par Benjamin Pitcho, Avocat à la Cour, Ancien membre du conseil de l’Ordre
Le 06 Novembre 2019
D’un concept qui pouvait effrayer, les cliniques juridiques sont devenues des réalisations qui font envie. Il aura entre temps fallu faire taire quelques craintes par la preuve rapportée de l’encadrement systématique et compétent des professionnels et des enseignants-chercheurs, le rappel de cette évidence -qu’il serait pour le moins curieux de considérer- des étudiants comme une concurrence efficace faite aux professionnels, et la nécessaire complémentarité entre les types d’enseignements dispensés -cours magistral et TD d’un côté, apprentissage de savoirs professionnels de l’autre- afin de voir l’émergence des cliniques.
Elles revêtent différentes formes, sont dirigées par des personnes toujours engagées, fussent-elles parfois encore étudiantes, et exercent leur activité directement auprès du public, des associations, des institutions publiques ou par le biais d’une information générale sur les droits des justiciables. En France, toutes participent à l’accès au droit et aucune ne participe à l’accès au juge ni ne rédige des actes. Toutes proposent une mise en valeur des compétences professionnelles le plus précocement possible dans le cursus universitaire de nos étudiants et apportent une contribution au renouvellement du modèle d’enseignement habituel.
Les avocats, les notaires, les huissiers, les magistrats, les policiers et -évidemment- les enseignants-chercheurs, les juristes au sein des ONG ou ceux des administrations se sont dorénavant saisis des cliniques en proposant un singulier renouvellement des missions de service public qui sont celles habituellement mises en œuvre par nos Universités et établissements d’enseignement supérieur, y compris nos écoles d’avocats. Nous assistons à leur printemps tant elles fleurissent ça et là au gré de l’inspiration de leurs responsables, souvent étudiants d’ailleurs.
Est-ce à dire que la révolution qu’elles impliquent est achevée ?
Leurs missions doivent encore être étendues. Elles permettent d’assurer la promotion du droit continental dans le monde francophone alors que celui-ci semble parfois contesté. La structuration du Réseau des cliniques juridiques francophones y participe pleinement et il permet de projeter ce savoir-faire et ce savoir dans de nombreux pays étrangers. En contribuant à la formation de nos confrères et collègues, les cliniques conduisent à redéfinir les limites des stages comme des missions des écoles professionnelles. L’intégration de leur enseignement au sein de l’Université peut de même être améliorée, au sein des dispositifs d’enseignement comme au sein d’une politique ministérielle cohérente qui permettrait de ne plus avoir à compter sur des financements exceptionnels et erratiques mais davantage sur des heures de cours habituels. Il reste aux cliniques à comprendre les évolutions des professions auxquelles elles peuvent préparer, des juristes aux professions réglementées. Toutes vont connaître de vraies transformations avec l’arrivée massive de l’algorithmique et il est de notre devoir d’y préparer les étudiants aussi.
Il appartiendra surtout de préciser les contours de ce qui relève à proprement parler des enseignements cliniques face à d’autres pratiques qu’il est difficile de dénommer encore ainsi lorsque tout lien avec l’Université est coupé. A force de succès, le terme de clinique juridique devient un mot valise, sorte d’imprécation magique pour désigner une pratique qui transgresse de simples habitudes sans pour autant apporter un quelconque service aux étudiants. N’est-ce pas pourtant la contrepartie du succès de voir l’appellation reprise et galvaudée ?
C’est maintenant qu’il faut inventer les cliniques de demain. Au sein des Universités, elles figurent parmi les nombreuses initiatives qui croissent, proposent et bousculent. Leur créativité foisonnante nous offre de redéfinir l’apprentissage du droit par la preuve sans cesse ravivée de leurs projections vers des activités nouvelles. Elles délivrent surtout le plus beau des services qui puisse être imaginé : la joie des étudiants d’apprendre les disciplines que nous pratiquons et que nous enseignons, en même temps que le bonheur de favoriser l’accès au droit des personnes vulnérables.
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par Xavier Aurey, Lecturer, Université d’Essex, Royaume-Uni, Président du Réseau des Cliniques Juridiques Francophones
Le 06 Novembre 2019
Mots-clefs : Université • Clinique juridique • Accès au droit • Aide juridique • Histoire •
Résumé : "En 2019, les Facultés de droit françaises comptent un peu plus de vingt-cinq cliniques juridiques -ou cliniques du droit-, avec la création de la majorité d’entre elles au cours des trois dernières années. Cette apparition somme toute récente dans le paysage juridique et universitaire hexagonal nous invite à refaire ici l’histoire d’une idée pourtant plus que centenaire".
En 2019, les Facultés de droit françaises comptent un peu plus de vingt-cinq cliniques juridiques -ou cliniques du droit-, avec la création de la majorité d’entre elles au cours des trois dernières années [1]. Cette apparition somme toute récente dans le paysage juridique et universitaire hexagonal nous invite à refaire ici l’histoire d’une idée pourtant plus que centenaire.
Une clinique juridique est ce lieu où le droit est enseigné de manière clinique, à savoir par l’observation et la pratique du droit dans le monde réel. L’enseignement juridique clinique offre ainsi la possibilité aux étudiants en droit, pendant leur cursus et sous la direction d’enseignants de l’université, de travailler sur des cas réels, en collaboration avec des avocats, des ONG, des institutions nationales ou internationales. La clinique juridique relève alors d’une adaptation au monde du droit d’un dispositif bien connu des études médicales. Historiquement et étymologiquement, l’enseignement clinique est en effet un enseignement des arts médicaux dispensé au chevet du malade par l’observation et surtout la pratique directe de l’étudiant [2]. Il tire son nom du latin clinicus («relatif à la maladie, aux malades»), lui-même emprunté au grec ancien klinikós («alité, relatif au lit») - le klinê désigne en effet le «lit». En Occident, l’enseignement clinique de la médecine remonte à la fin du XVIème siècle -la première «clinique» est ainsi créé en 1578 à l’hôpital de Saint-François à Padoue [3]- mais c’est surtout au XVIIIème siècle qu’il se développe en Europe.
En France, il est notamment popularisé à Paris à partir de 1788 par Pierre-Joseph Desault, alors chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu [4]. Il souhaitait ainsi mettre en place un «enseignement clinique» de la médecine, «qui, sans nuire aux malades, fit servir les maladies à l’instruction des élèves» [5]. Gratuite et ouverte aux seuls patients indigents, cette clinique mettait les étudiants au centre de la pratique, en leur confiant le soin de la consultation et des pansements. Les opérations étaient ensuite pratiquées devant les étudiants par Desault, aidé d’internes, après qu’il leur eut présenté le cas et le procédé opératoire. Venait enfin une séance d’ «ouverture des cadavres» et une «leçon dogmatique sur un point particulier de pathologie» [6].
L’enseignement clinique répond donc dès son origine à deux types de besoins : d’un côté, un besoin en matière d’enseignement, visant à inscrire la pratique dans les formations ; d’un autre côté, un besoin lié à un contexte social spécifique, et visant à favoriser l’accès des plus démunis au service enseigné. Valable à la fin du XVIIIème siècle pour les cliniques médicales, ce constat l’est également dès leur création pour les cliniques juridiques. Et s’il est difficile de renier aux Etats-Unis le titre de pionniers dans le développement systématique de l’enseignement clinique du droit [7] (II), certains précurseurs se sont essayés dans d’autres pays à la question, en théorie et/ou en pratique (I). Nous clôturerons enfin cette promenade historique par un retour sur l’apparition tardive des cliniques juridiques en France (III).
Selon nos recherches, une première activité de type clinique juridique, même si elle n’en porte pas le nom, aurait existé à Paris entre 1802 et 1805 au sein d’une structure privée d’enseignement dénommée Académie de législation. Par un décret du 15 septembre 1793 -suspendu dès le lendemain- puis par un autre du 25 février 1795 [8], la Convention supprime les anciennes universités et crée les Ecoles centrales. La piètre qualité des enseignements de législation au sein de ces écoles nouvellement créées [9] amène de étudiants à solliciter d’anciens professeurs universitaires pour des cours privés. Face à la demande, certains de ces derniers se regroupent et créent des structures privées de formation juridique telles, à Paris, l’Académie de législation ou l’Université de jurisprudence [10]. Au sein de la première sera créé un bureau de consultations juridiques «délivrées gratuitement aux personnes indigentes» [11]. Ce bureau relève d’une activité d’enseignement clinique du droit dès lors que «[l]es élèves de la deuxième et de la troisième année sont admis à rapporter et rédiger ces consultations, sous la direction d’académiciens des plus expérimentés» [12]. Toutefois, la recréation des universités en mai 1806 par l’administration impériale voit la disparition de ces institutions et leurs innovations pédagogiques [13].
La première utilisation du terme de « clinique juridique » dans son sens moderne [14] date elle d’un ouvrage publié en 1855 par Dmitry Meyer [15] alors qu’il est professeur à l’Université impériale de Kazan en Russie. Entre 1845 et 1855, il semble qu’il ait mis en place ce qu’il appelle «une sorte de clinique juridique»[16] qui fonctionne sur le même modèle que les cliniques juridiques modernes [17]. Son décès en 1856 sonne toutefois le glas de son projet en Russie.
Un peu plus à l’ouest, lors du 4ème congrès des juristes allemands de 1863, le Conseiller de justice Volkmar propose de faire évoluer les études de droit et de «satisfaire aux besoins de la pratique au moyen d’une clinique juridique» [18]. Reprise par des enseignants comme Adolf Stölzel (1893) [19] ou Georg Frommhold (1900) [20], l’idée d’une clinique juridique ne dépassera toutefois pas le stade théorique en Allemagne avant la fin du XXème siècle [21].
Plus au nord, un groupe d’étudiants en droit de l’Université de Copenhague crée en 1885 un office d’aide juridique, la Studentersamfundets Retshjælp for Ubemidlede (Société étudiante d’aide juridique aux indigents) [22]. Très populaire à Copenhague, cet office a reçu par exemple plus de 27000 personnes pour la seule année 1908 [23]. En 1896, Hugues Le Roux, journaliste pour le Figaro, présente la structure à ses lecteurs et milite, sans succès, pour l’importation du modèle en France [24]. Ce modèle est également présenté au public américain dès le début du XXème siècle [25]. Si des enseignants et des avocats sont investis dans la société d’aide danoise, celle-ci ne sera toutefois jamais associée à un cursus universitaire, contrairement à ce qui se passera aux Etats-Unis à la même époque. A partir de 1917, la société s’autonomise de l’association étudiante qui l’avait créée. Elle devient en 1978 la «Københavns Retshjælp» (Aide juridique de Copenhague) qui existe encore aujourd’hui sous cette forme [26].
Historiquement, aux Etats-Unis, les premières cliniques juridiques sont issues de la transformation d’associations étudiantes d’accès au droit (les «legal aid dispensaries» [27]) en structures de formation intégrées au sein des Universités [28]. C’est en 1904 à l’université de Denver que naît ainsi sous ce nom de legal aid dispensary la première structure d’enseignement pratique du droit au sein d’une Law School, encadrée par un professeur - le terme de clinique juridique n’apparaît aux Etats-Unis qu’en 1916 avec un article de d’E. Morgan intitulé «The Legal Aid Clinic» [29]. Cette période entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème est charnière dans l’évolution de l’enseignement du droit dans ce pays. Ces premières cliniques juridiques apparaissent ainsi peu de temps après la création même de nombreuses Facultés de droit. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, les juristes se forment principalement par l’apprentissage au sein d’un cabinet et non par les universités - encore très peu nombreuses à l’époque [30]. En 1891, 80 % des juristes américains ne sont ainsi jamais passés par une Faculté de droit [31]. Le développement des universités s’accompagne rapidement d’une distinction entre la théorie et la pratique du droit. Alors que les premiers enseignants des Facultés furent généralement des praticiens, entre 1870 et 1920 ils sont lentement mais sûrement remplacés par des professeurs non-praticiens. Ce mouvement s’inscrit dans la mise en œuvre de la case method développée par le Doyen Langdell à Harvard : l’étude du droit se fait dans les livres et non par l’observation directe des juridictions. Les quelques cliniques juridiques qui existent alors ne sont qu’un faible rééquilibrage entre théorie et pratique.
Avec le mouvement réaliste des années 1930, notamment porté par Jérôme Franck, l’enseignement clinique du droit prend une nouvelle dimension et devient un projet de révolution des études juridiques, pour justement les sortir des livres [32]. Jerome Frank utilise ainsi la distinction faite par Roscoe Pound entre le droit dans les livres et le droit en action [33], pour faire des cliniques juridiques la tête de pont d’une réforme plus générale des études universitaires [34]. Mais il faut attendre l’après Seconde guerre mondiale pour voir réellement se développer l’enseignement clinique du droit aux Etats-Unis. L’étincelle viendra ainsi du mouvement des droits civiques à partir de 1954 ; la clinique juridique renoue avec l’idée de dispensaire et se redéfinit comme un projet de justice sociale, au profit des plus vulnérables. Associé à un soutien financier très important de la Fondation "Ford" à plus d’une centaine de Facultés de droit, les cliniques juridiques vont s’ancrer comme un incontournable des études juridiques [35]. A la fin des années 1970, pratiquement chaque Faculté des Etats-Unis dispose ainsi d’une clinique juridique. Dans les mêmes années, et toujours avec le soutien financier de fondations américaines, le concept a essaimé dans d’autres parties du monde. Plusieurs pays voient fleurir des programmes d’enseignement clinique du droit : que ce soit au Canada, en Australie, au Royaume-Uni, mais aussi en Afrique du Sud, en Tanzanie, en Ouganda, en Ethiopie ou en Inde [36].
Dès les années 1970, l’action de quelques fondations américaines a donc été un facteur déterminant dans le développement des cliniques juridiques, tant aux Etats-Unis, qu’en Afrique, en Asie, et en Europe de l’Est. Face à un système académique ayant toujours tendance à travailler dans le sens de sa propre conservation, l’action de ces fondations a servi d’impulsion, de levier pour faire évoluer les formations juridiques. Mais l’Europe de l’ouest, dont la France, est restée à l’écart de ce mouvement de soutien.
L’idée de clinique juridique ou clinique du droit n’est pourtant pas inconnue en France. Comme nous l’avons souligné ci-avant, une forme d’enseignement clinique a brièvement existé à Paris au début du XIXème siècle, et plusieurs auteurs vont par la suite réfléchir aux similitudes que pourraient présenter les études de médecine et de droit. Toutefois, chez ces auteurs, la clinique ne sera point étude du droit au chevet du justiciable, mais organisation d’exercices pratiques et étude de la pratique judiciaire.
En 1840, Prosper Eschbach -avocat et professeur suppléant à Strasbourg- importe dans son cours de droit civil et criminel le «practicum» des Facultés allemandes, qu’il qualifie de «clinique du Droit» [37]. Le practicum est ce cours «dans lequel on met entre les mains des jeunes gens de véritables dossiers, et dans lequel on les habitue à rédiger les différents actes de la procédure» [38]. Cinq plus tard, dans le cadre d’un rapport sur les études de droit demandé par le ministre de l’Instruction publique, la Faculté de droit de Strasbourg propose de généraliser ces exercices pratiques dans toutes les Universités, des exercices qui «consisteraient à faire plaider par les élèves, sous la direction du professeur, des causes fictives ou anciennement jugées, à les faire consulter sur des cas de contestations réelles, à leur faire dresser des rapports, des jugements motivés» [39]. Cette proposition pour la mise en place de simulations l’est «à défaut de pouvoir organiser une clinique judiciaire (on demande pardon pour le terme [sic]), clinique qui consisterait à faire suivre aux élèves les audiences des tribunaux, sous la direction du professeur» [40]. Dans la clinique des cas pratiques de Prosper Eschbach manque ainsi le lien direct des étudiants avec le réel, avec ses aléas, avec le sens des responsabilités qu’implique le rapport direct avec un justiciable ; dans celle promue par la Faculté, le réel est certes présent mais l’étudiant juriste n’y prend pas part, se contentant de l’observer derrière le filtre de son professeur.
Au tournant du XXème siècle, la question continue de se poser de la même manière, l’objectif étant, avant tout, de réintroduire de la pratique dans les formations, tant dans la forme (exercices pratiques), que dans le contenu (enseignement de la pratique du droit). Lors de son intervention au Troisième congrès international d’enseignement en 1900, Jean-Baptiste Brissaud, professeur de droit à Toulouse, s’intéresse justement au sujet de «L’enseignement pratique du droit» [41]. Faisant un parallèle entre les études de médecine et celle de droit, il propose d’instituer pour l’étudiant juriste «une clinique journalière», à savoir le fait de l’habituer aux «exercices de dissection des faits ou de raccordement des règles de droit auxquels, par exemple, le magistrat est forcé de se livrer, afin de trouver le nœud de la solution d'un litige et l'avocat ou le notaire, afin de donner un conseil» [42]. Brissaud souligne que les exercices à effectuer sont de trois sortes : des cas pratiques, des analyses de jurisprudence et des «consultations gratuites» [43]. L’idée de clinique juridique est alors à portée de main, pourtant ce dernier aspect des consultations ne semble pas avoir porté ses fruits à l’époque. Pour les deux autres -cas pratique et analyse de la jurisprudence-, Brissaud présente l’Ecole pratique de droit créée à Toulouse comme correspondant au schéma qu’il vient de développer [44].
La ville de Toulouse a ainsi vu en 1898 la création d’une Ecole pratique de droit, distincte de l’Université mais subventionnée par elle [45]. Imaginée sur le modèle des Ecoles de notariat, ces Ecoles visent donc à une formation pratique de l’étudiant juriste en le mettant au contact de «dossiers d'affaires civiles et criminelles, dont le dépouillement et le commentaire forment l'objet de cet enseignement nouveau» [46]. D’autres écoles de ce type voient le jour dans les années qui suivent - parfois sous le nom d’institut pratique de droit, généralement attachées à une Université : à Bordeaux en 1899 [47], Lille et Limoges [48] en 1909, Dijon et Poitiers en 1911, ou encore Lyon en 1913. Se fondant sur ces expériences, et toujours dans un parallèle avec les études de médecine, le Sénateur Charles-Maurice Couyba affirme en 1911, dans son rapport au Sénat sur le budget de l’instruction publique, la «nécessité d’un enseignement pratique du droit» [49].
Quelques années plus tard, Julien Bonnecase reprend à son compte cette exigence constatant qu’ «à l’heure actuelle, on n’apprend pas aux étudiants dans les Facultés, à rédiger un jugement, des conclusions, une consultation, un acte de Société» [50]. S’inspirant lui aussi des études médicales il qualifie son projet de «clinique juridique» [51]. Il distingue ainsi entre l’art médical qui «pour but le maintien et le rétablissement de la santé par opposition à la science médicale dont l’objet est l’étude des maladies». Il rattache alors la clinique médicale à «l’enseignement et la pratique de l’art médical tels qu’ils s’effectuent au lit du malade» [52]. La clinique n’est pas alors apprentissage au chevet du malade, mais apprentissage de ce que le médecin fait au chevet du malade. Ce que Bonnecase appelle clinique juridique en 1927 regroupe l’enseignement pratique des actes juridiques (qu’il nomme «clinique externe») et des compétences professionnelles du juriste (qu’il nomme «clinique interne») [53]. Ces réflexions vont inspirer la création par l’Association Polytechnique de Paris en 1931 de l’Institut clinique de jurisprudence, sous le patronage d’Henri Capitant. Cet institut délivrait des cours du soir au Palais de justice de Paris, principalement des cours de procédure et de compétence professionnelle, notamment sous la forme d’ «Exercices pratiques sur des espèces choisies de jurisprudence» [54].
Face aux critiques d’une formation universitaire jugée en comparaison trop théorique, le Doyen Berthélemy de la Faculté de droit de Paris va réagir la même année en plaidant pour une distinction entre la formation théorique (au sein des Universités) et la formation pratique qui a «sa place au Palais» [55]. C’est d’ailleurs l’approche qui sera retenue quelques années après-guerre, avec la création de l’Ecole nationale de la magistrature en 1958 [56], des écoles d’avocat en 1970 [57] et des centres de formation professionnelle du notariat en 1973 [58] en dehors des Universités.
Même si la «clinique juridique» de Bonnecase est redécouverte en 2005 par Norbert Olszak [59] - celui-ci souligne avec justesse qu’elle préfigure non les cliniques juridiques modernes mais «les travaux dirigés ou les séminaires que nous connaissons actuellement» [60], ce n’est point le professeur bordelais du début du XXème siècle qui va inspirer l’essor de cliniques juridiques françaises. Ces dernières s’inscrivent en effet dans une adaptation au contexte français d’un modèle nord-américain aujourd’hui centenaire.
Ce n’est également pas un hasard si les premiers articles français sur l’enseignement clinique du droit datent du milieu des années 2000 [61]. Cette période a en effet été marquante pour les Facultés de droit, entraînant une réflexion plus générale sur la formation des juristes. Tant les réformes issues du processus de Bologne, que l’émergence d’une compétition nationale et internationale sur la délivrance des diplômes, viennent ébranler un modèle d’enseignement ancré dans une tradition séculaire [62].
Deux mouvements perçus comme potentiellement dangereux par le corps professoral touchent alors les Facultés de droit. Le premier s’inscrit dans la volonté d’acteurs éducatifs non-universitaires tels Sciences Po Paris ou les écoles de commerce de délivrer des diplômes en droit [63]. Cette bataille a été perdue par les Facultés de droit en 2007 lorsque le gouvernement a ajouté à la liste des diplômes et titres reconnus comme «équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat […]. 9. Les mentions carrières judiciaires et juridiques et droit économique du diplôme de l'Institut d'études politiques de Paris» [64]. Comme le rappelle Myriam Aït-Aoudia, «la rupture est historique», et les Facultés de droit se demandant alors comment «contrer la naissance d’une concurrence inédite sur les diplômes de droit» [65].
Le second facteur renvoie aux critiques de certains membres des professions juridiques sur l’aspect non-professionnalisant des études universitaires - touchant donc à l’employabilité des étudiants. Christophe Bigot, avocat au Barreau de Paris, affirme ainsi qu’à la sortie de l’Université les étudiants «sont souvent mal ou pas préparés à mettre en œuvre des raisonnements logiques et des stratégies juridiques d'ensemble» [66].
En remettant en cause -à tort ou à raison, là n’est pas la question- la pertinence du modèle universitaire d’enseignement du droit, ces deux mouvements ont créé un espace propre à l’émergence d’une réflexion pédagogique, notamment autour de l’enseignement clinique du droit [67]. Inspirés du modèle américain, les différents projets de cliniques juridiques qui naissent en France à partir de 2007 visent à minima à développer «une formation alliant théorie et pratique [permettant] une meilleure appréhension des concepts» [68]. Tous, également, invitent à repenser l’Université comme un acteur social, ancré dans la communauté qui l’entoure. Cette combinaison des deux éléments traditionnels des cliniques juridiques -«learning by doing» et justice sociale- caractérise donc l’émergence du mouvement clinique en France. Après la maison du droit de Panthéon-Assas en 2007 et la clinique juridique de Tours en 2008 [69], ce sont les Universités de Caen (2009) et Nanterre (2010) ainsi que Sciences Po Paris (2010) qui à leur tour se lancent dans l’enseignement clinique du droit. De la rencontre de ces acteurs lors d’un colloque organisé à Caen en décembre 2013 [70] -incluant les nouvelles cliniques de Saint-Denis et de Bordeaux- naîtra le Réseau des Cliniques Juridiques Francophones [71]. Visant à développer l’enseignement clinique du droit dans l’espace francophone, ce Réseau regroupe aujourd’hui plus de 40 cliniques dans huit pays francophones. Malgré cet engouement, rares sont les cliniques de l’Hexagone à ne pas lutter pour leur survie. L’un de ses enjeux du Réseau est ainsi de mettre en relation les différents acteurs intéressés -institutions, Universités, professionnels du droit- afin de développer un statut des cliniques juridiques à même d’en assurer la pérennité. Le rendez-vous des cliniques juridiques avec la France a été tardif, il ne faudrait pas qu’il soit raté.
[1] Voir la liste des cliniques juridiques sur le site du Réseau des Cliniques Juridiques Francophones.
[2] Cf., notamment Jean Bouillaud, Dissertation sur les généralités de la clinique médicale et sur le plan et la méthode à suivre dans l'enseignement de cette science, Imprimerie d’Hippolyte Tilliard, 1831, p. 23 : «La clinique médicale n’étant autre chose que la médecine étudiée ou enseignée au lit des malades».
[3] Id., p. 19.
[4] En 1785, Samuel Tissot, un médecin suisse, publiait un ouvrage sur l’enseignement clinique qui a influencé nombre de ses collègues : S. Tissot, Essai sur les moyens de perfectionner les études de médecine - Mémoire sur la construction d'un hôpital de clinique, Mourer Cadet, 1785. Cf., A. Emch-Dériaz, L’enseignement clinique au XVIIIe siècle : l’exemple de Tissot, Bulletin Canadien d’Histoire de la Médecine, Volume 4, 1987, pp. 145-164.
[5] X. Bichat, Notice historique sur la vie de Pierre-Joseph Desault, Chirurgien en chef du grand Hospice d’Humanité (ci-devant Hôtel-Dieu) de Paris, Journal de Chirurgie, 2nde année, tome 4, 1792, p. 206.
[6] Id., p. 206 note.
[7] Un mouvement avait également débuté en Amérique du sud, initié par la création en 1924 par Hector Lafaille de l’Instituto de enseñanza práctica de l’Université de Buenos Aires. Quelques autres instituts se développent ensuite, mais les coups d’Etat des années 1950 et 1960 vont réduire à néant ce premier mouvement sud-américain. Cf. Rosario Polotto, «Hacia Una Nueva Experiencia Del Derecho. El debate en torno a la enseñanza práctica del derecho en la Universidad de Buenos Aires a comienzos del siglo XX», Revista de Historia del Derecho, vol. 34, 2006, pp. 213-239.
[8] Décret du 7 ventôse an III portant établissement d'écoles centrales pour l'enseignement des sciences, des lettres et des arts.
[9] Cf., J. Imbert, L’enseignement du droit dans les Ecoles centrales sous la Révolution, Annales d’Histoire des Facultés de Droit et de la Science Juridique, n° 3, 1986, pp. 37-56
[10] Cf., H. Hayem, La renaissance des Etudes Juridiques en France sous le Consulat, Nouvelle revue historique de droit français et étranger, vol. 29, 1905, pp. 96-122, 213-260 et 378-412 ; G. Thuillier, Aux origines de l'Ecole libre des sciences politiques : L’Académie de législation en 1801-1805, La Revue administrative, 38ème Année, n° 223, 1985, pp. 23-31.
[11] Mémoires de l’Académie de législation, tome 1, C. F. Patris, imprimeur de l'Académie de législation, 1802, p. 707.
[12] Id. Nous n’avons pour le moment pu trouver de preuves tangibles de la réelle mise en œuvre de ce bureau de consultations. Une telle question mériterait des recherches supplémentaires.
[13] Loi relative à la formation d’une université impériale, et aux obligations particulières des membres du corps enseignant, 10 mai 1806 ; cf., G. Thuillier, Aux origines de l'Ecole libre des sciences politiques : L'Académie de législation en 1801-1805, La Revue administrative, 38ème Année, No. 223, 1985, p. 23.
[14] Comme nous le verrons ci-après, en 1840 Prosper Eschbach -avocat et professeur suppléant à Strasbourg- développe des cours pratique de droit civil et criminel qu’il qualifie de «clinique du Droit». Cf. Prosper Eschbach, Cours d'introduction générale à l'étude du droit, ou Manuel d'encyclopédie juridique, N. Delmaotte Ainé, 1843, p. 65 note 1.
[15] D. Meyer, О Значении Практики Въ Системь Современнаго Юридическаго Образовангя [De l'importance de la pratique dans l’enseignement moderne du droit], Université impériale de Kazan, 1855, pp. 41-44.
[16] Id.
[17] En l’absence, pour le moment, de documentation sur cette clinique en dehors de l’article ci-dessus référencé, nous préférons utiliser le conditionnel. Dans son ouvrage publié en 2018, Richard Wilson note qu’il n’a pas non plus trouvé de document prouvant l’existence réelle de cette clinique, cf., Richard Wilson, Richard J. Wilson, The Global Evolution of Clinical Legal Education. More than a Method, Cambridge University Press, 2018, p. 87 note 6.
[18] Reproduit in Th. Olshausen, Der deutsche Juristentag: Sein Werden und Wirken. Eine Festschrift zum fünfzigjährigen Jubiläum des Deutschen Juristentages, Immanuel Guttentag Verlagsbuchhandlung, 1910, p. 59.
[19] Lors d’une conférence prononcée en octobre 1893 et dont le texte a été publié dans Adolf Friedrich Stölzel, Schulung für die zivilistische Praxis, Franz Vahlen, 1930, pp. 1-26.
[20] G. Frommhold, Juristische Kliniken, Deutsche Juristen-Zeitung, vol. 5, 1900, pp. 448-449.
[21] Sur l’émergence des cliniques juridiques en Allemagne, cf., notamment, S. Barton et al., Praktische Jurisprudenz. Clinical Legal Education und Anwaltsorientierung im Studium, Verlag Dr. Kovac, 2011.
[22] Cf., notamment, A. Von Briesen, The Copenhagen Legal Aid Society, Legal Aid Review, vol. 5, 1907, pp. 25 s. ; V. Lachmann, Assistance juridique aux indigents de Copenhague par l’association libérale des étudiants danois, in A. Krieger (dir.), Assistance et prévoyance sociale en Danemark, Imprimerie de J. H. Schultz, 1910, pp. 245-249.
[23] V. Lachmann, Assistance juridique aux indigents de Copenhague par l’association libérale des étudiants danois, in A. Krieger (dir.), Assistance et prévoyance sociale en Danemark, Imprimerie de J. H. Schultz, 1910, p. 247.
[24] H. Le Roux, La Consultation Juridique, Le Figaro, 9 janvier 1896, p. 1.
[25] Th. Juhl, The "Poor Man’s Lawyer" in Copenhagen, The Economic Review, vol. 11, 1901, pp. 236 s.
[26] B. Lemann Kristiansen, Legal Aid in Denmark, in Outsourcing Legal aid in the Nordic Welfare States, Ole Hammerslev et Olaf Halvorsen Rønning (dir.), Palgrave MacMillan, 2018, §§ 101 s.
[27] Tel le legal aid dispensary créé par des étudiants de l’Université de Pennsylvanie en 1893.
[28] Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre article : Les origines des cliniques juridiques, Cliniques juridiques, Volume 1, 2017. Cf., également pour une approche plus développée de l’histoire des premières cliniques juridiques aux Etats-Unis : R. J. Wilson, The Global Evolution of Clinical Legal Education. More than a Method, Cambridge University Press, 2018, pp. 56-11
[29] E. M. Morgan, The Legal Aid Clinic, Handbook of the Association of American Law Schools, 1916, p. 147-155, cité par J. S. Bradway, The Objectives of Legal Aid Clinic Work, Washington University Law Quarterly, vol. 24, 1939, p. 174, n° 13.
[30] Ch. R. McKirdy, The Lawyer as Apprentice : Legal Education in Eighteenth-Century Massachusetts, Journal of Legal Education, vol. 28, 1976, p. 124.
[31] L. I. Appleman, The Rise of Modern American Law School. How Professionalization, German Scholarship, and Legal Reform Shaped Our System of Legal Education, New England Law Review, vol. 39, 2005, pp. 251 et s..
[32] J. Frank, Why Not a Clinical Lawyer School, University of Pennsylvania Law Review, vol. 81, 1933, p. 912. Pour une étude très complète sur l’évolution de l’enseignement du droit et sa critique aux Etats-Unis, voir A. B. Spencer, The Law School Critique in Historical Perspective, Washington & Lee Law Review, vol. 69, 2012, p. 1949-2063.
[33] R. Pound, Law in Books and Law in Action, American Law Review, vol. 44, 1910, p. 15.
[34] J. Frank, Why Not a Clinical Lawyer School, p. 907 ; id., What Constitutes a Good Legal Education ?, American Bar Association Journal, vol. 19, 1933, p. 723 ; id., A Plea for Lawyers-Schools, Yale Law Journal, vol. 56, 1947, p. 1303. Pour une analyse de ses théories, voir notamment K. R. Kruse, Getting Real About Legal Realism…, pp. 295-320 ; N. Duxbury, Jerome Frank and the Legacy of Legal Realism, Journal of Law and Society, vol. 18, 1991, p. 175.
[35] Voir, notamment ; P. A. Joy, The Law School Clinic as a Model Ethical Law Office, William Mitchell Law Review, vol. 30, 2003, p. 35. Dans un premier temps, la Fondation Ford avait travaillé avec la National Legal Aid Association à la création d’un National Council on Legal Clinics, mais qui n’a fonctionné que pendant six ans (1959-1965). Elle créera ensuite une fondation spécifique nommée Council on Legal Education and Professional Responsibility.
[36] Pour un tour du monde de l’enseignement clinique du droit, voir notamment F. S. Bloch (dir.), The Global Clinical Movement. Educating Lawyers for Social Justice, Oxford University Press, 2012 ; R. J. Wilson, The Global Evolution of Clinical Legal Education. More than a Method, Cambridge University Press, 2018.
[37] Practicum également qualifié de «clinique juridique» des années plus tard par Paul Oertman, alors professeur à l’Université d’Erlangen en Allemagne, cf., P. Oertman, La formation du Code civil allemand et les méthodes d’enseignement du droit civil usitées dans les universités allemandes, Anales de la Facultad de Derecho y Ciencias Sociales, t. 2, 1912, p. 139.
[38] P. Eschbach, Cours d'introduction générale à l'étude du droit, ou Manuel d'encyclopédie juridique, N. Delmaotte Ainé, 1843, p. 65 note 1.
[39] Faculté de droit de Strasbourg, Séance du 8 mai 1845, in Haute Commission des Etudes de Droit, Délibérations des Facultés de droit sur les questions proposées à la Haute commission par M. le ministre de l’Instruction publique, Imprimerie de P. Dupont, 1845, p. 73.
[40] Id.
[41] J.-B. Brissaud, L’enseignement pratique du droit, Troisième congrès international d’enseignement supérieur tenu à Paris du 30 juillet au 4 août 1900. Introduction, Rapports préparatoires, communications et discussions, A. Chevalier-Marescq & Cie Editeurs, 1902, pp. 409-413.
[42] Id., p. 411.
[43] Id., p. 412.
[44] Id., p. 413.
[45] Cette école est incluse au sein de la Faculté de droit en 1901, puis à nouveau détachée en 1905, pour être finalement réintégrée à l’Université en 1924. Cf,. J. Begliuti, La Création de l'Ecole pratique de droit de Toulouse (1898) ou la fonction professionnelle du droit, Etudes d'histoire du droit et des idées politiques, n° 16, 2012, pp. 222-237.
[46] Pandectes françaises. Recueil mensuel de jurisprudence et de législation, Premier Cahier, tome seizième, 1901, p. 8 : à propos de l’Ecole pratique de droit de Bordeaux.
[47] Créée au départ en dehors de l’Université de Bordeaux, cette école est rattachée à la Faculté de droit en 1905 sous le nom d’Institut pratique du droit. Cf. M. Malherbe, La Faculté de Droit de Bordeaux (1870 - 1970), Presses Universitaires de Bordeaux, 1996, pp. 235-237.
[48] En 1920, l’Ecole supérieure de droit de Limoges devient la Faculté libre de droit de Limoges ; puis le 23 mars 1927 elle est transformée en Ecole de droit rattachée à l’Université de Poitiers par convention, cf. P. Plas, Avocats et barreaux dans le ressort de la cour d'appel de Limoges : 1811-1939, Presses Univ. Limoges, 2007, p. 425. En 1911, le journaliste Pierre de Pindray mentionne que l’Ecole supérieure de droit de Limoges s’apprête à ouvrir des « consultations gratuites » (cf. Pierre de Pindray, A propos de la crise d’apprentissage, Limoges illustré : publication bi-mensuelle : artistique, scientifique et littéraire, 15 mai 1911, p. 3946). Toutefois, nous n’avons pour le moment pu trouver de trace de leur réelle mise en place.
[49] Sénat, Rapport fait au nom de la Commission des finances, chargée d’examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des Députés, portant fixation du budget général de l’exercice 1911 (ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts), par M. Couyba, Sénateur, n°149, 1911, Annexe au procès-verbal de la séance du 16 mai 1911, pp. 61 s.
[50] J. Bonnecase, Qu’est-ce qu’une Faculté de Droit ?, Introduction à l’Etude du droit, Librairie du Recueil Sirey, 1929, p. 185.
[51] J. Bonnecase, Précis de pratique judiciaire et extrajudiciaire. Eléments de clinique juridique plus spécialement à l'usage des aspirants au barreau, à la magistrature et au notariat, Recueil Sirey, 1927.
[52] Id., n° 150 et s
[53] Ibid.
[54] J. Bonnecase, L’enseignement de la clinique juridique et les Facultés de droit. L’Institut clinique de jurisprudence, Revue Générale du Droit, de la Législation et de la Jurisprudence en France et à l’Etranger, vol. 55, 1931, pp. 61-70. Ce nom pour l’Institut n’est pas sans rappeler l’ouvrage publié en 1924 chez Dalloz par un groupe de professeurs sous le titre Espèces choisies empruntées à la jurisprudence, préfacé par Henri Capitant et Edouard Lambert.
[55] «Discours de M. Berthélemy, Doyen de la Faculté», Annales de l’Université de Paris, vol. 7-2, mars-avril 1932, pp. 106 s. Il en profite pour critiquer avec verve la double casquette professeur/avocat qui se pratique en Province, «malheureusement pour la science», affirmant qu’il est bon que cette pratique soit interdite à Paris.
[56] Initialement sous le nom de Centre national d’études judiciaires, cf., Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, art. 14.
[57] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. L’Institut du Barreau de Paris avait été pour sa part créé en 1965.
[58] Décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire.
[59] N. Olszak, La professionnalisation des études de droit. Pour le développement d'un enseignement clinique (au-delà de la création d'une filière «hospitalo-universitaire» en matière juridique)», Recueil Dalloz, 2005, p. 1172
[60] Ibid.
[61] Cf., également S. Hennette-Vauchez et D. Roman, Pour un enseignement clinique du droit, Les petites affiches, n° 218-219, 2 novembre 2006, pp. 5-6 ; E. Millard, Sur un argument d’analogie entre l’activité universitaire des juristes et des médecins, in Frontières du droit, critique des droits. Billets d’humeur en l’honneur de Danièle Lochak, LGDJ, 2007, pp. 343-352.
[62] Comme le souligne Yves Gaudemet, les Universités d’aujourd’hui en France sont les héritières des réformes de la fin du XIXème siècle ; Y. Gaudemet, Les facultés de droit dans la réforme universitaire, Revue du droit public, n° 3, 2008, p. 680.
[63] En 2004, la grande majorité des doyens des Facultés de droit ont signé une tribune appelant le gouvernement à ne pas autoriser ces établissements non-universitaires à délivrer des diplômes en droit : «La "lutte pour le droit"», Dalloz, 2004, p. 2579.
[64] Arrêté du 21 mars 2007 modifiant l'arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat, art. 1er.
[65] M. Aït-Aoudia, Le droit dans la concurrence. Mobilisations universitaires contre la création de diplômes de droit à Sciences Po Paris, Droit et société, vol. 83, 2013, pp. 99-116.
[66] Ch. Bigot, Réflexions d'un avocat sur la professionnalisation des études de droit, Dalloz, 2005, p. 1724.
[67] Sur ce mouvement, on lira avec intérêt l’article de Jeremy Perelman, L’enseignement du droit en action : l’émergence des cliniques juridiques en France, Cliniques juridiques, Volume 1, 2017.
[68] Ibid.
[69] Une clinique qui a disparu quelques années seulement après sa création.
[70] Les actes de ce colloque ont été publié in X. Aurey, M.-J. Redor-Fichot (dir.), Les cliniques juridiques, Presses universitaires de Caen, 2015.
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par Olivier Fontibus, Ancien Bâtonnier, Président de la Commission de l’Exercice du droit du Conseil National des Barreaux
Le 06 Novembre 2019
Mots-clefs : Université • Clinique juridique • Accès au droit • Aide juridique • Avocats • Exercice du droit • Réglementation
Phénomène en pleine croissance dans le paysage juridique français, les cliniques du droit se développent en France à l’aune de deux principes de base : la formation pratique des étudiants en droit associée à l’idée d’une nouvelle vision de l’accès au droit.
Encouragées par le ministère de la Justice, notamment à la suite du rapport «Haeri» [1], ces cliniques du droit ont fleuri un peu partout en France, moins rapidement somme toute que dans les pays anglo-saxons, à l’initiative de différents acteurs, publics et privés, de l’enseignement du droit.
Permettre aux étudiants en droit de traiter in vivo de cas juridiques réels et non plus seulement de «cas pratiques» qui n’ont de «pratiques» que le nom, au-delà même des divers stages qu’ils sont amenés à suivre durant leur cursus Universitaire, est évidemment une excellente initiative.
La formation clinique des étudiants en droit fait naturellement partie intégrante des missions de l’enseignement supérieur.
Il n’est donc nullement question de discuter la légitimité des Universités françaises et des écoles de formation professionnelles à créer, organiser et piloter ces cliniques du droit qui ouvrent la voie à l’initiation à la pratique professionnelle.
Ainsi que le rappelle justement la Commission «Haeri», «les cliniques juridiques constituent un cadre particulièrement pertinent pour assurer dès la L3 une mise en pratique et en situation des enseignements académiques assurés à l’Université, clarifier la perception par l’étudiant du rôle de l’avocat et inscrire davantage encore la profession et la filière juridique dans des missions d’intérêt général» [2].
Confronter ces «apprentis du droit» à la réalité d’un monde dans lequel ils ne sont d’ailleurs pas, pour la plupart, à titre personnel, totalement entrés, doit permettre de faciliter cette nécessaire appréhension du réel et du quotidien ainsi qu’une meilleure acquisition de la culture et des compétences nécessaires aux métiers du droit.
«De ce point de vue, il est intéressant de constater que l’importation des cliniques juridiques en France renvoie à la critique récurrente du dogmatisme des études de droit ; études qui ne prépareraient pas -ou très imparfaitement- les étudiants à la pratique professionnelle qui sera en principe la leur dans les années à venir. En ce sens, l’explication la plus simple de l’émergence des cliniques juridiques en France doit être recherchée dans la volonté des juristes et notamment des juristes universitaires de permettre à des étudiants, le plus souvent de troisième cycle, de mieux connaître la réalité du droit : son application concrète et quotidienne» [3].
Chemin faisant, le développement de ces «laboratoires du droit» à visée prioritairement pédagogique, a très vite été justifié par la volonté d’offrir à nos concitoyens les plus démunis un nouveau mode d’accès au droit.
Universités, écoles d’avocats, écoles privées du droit ont ainsi également fondé la création de leur clinique par une volonté d’élargir les offres pro bono principalement dans les domaines du droit des personnes.
Cette conception sociale de l’enseignement du droit, très présente dans les pays de droit anglo-saxon, notamment outre-Atlantique, n’était pas, il faut bien le reconnaître, initialement prégnante dans l’Hexagone à l’exception peut-être de quelques prises de positions doctrinales telles que celles de Diane Roman et Stéphanie Hennette-Vauchez qui soulignent toutes deux le rôle social des cliniques [4] «ces cliniques juridiques jouent souvent un rôle essentiel pour l’aide judiciaire et l’accès au droit».
C’est ainsi que les programmes de ces cliniques concernent aujourd’hui des interventions dans les différents points d’accès au droit, dans la rue, les cafés et les MJC mais aussi à l’intérieur de certaines maisons d’arrêt.
Le but de ces projets est «d'exposer les étudiants à la complexité des problèmes ‘de la vraie vie’, le plus souvent rencontrés par des individus ou des familles aux revenus modestes qui font face à des problèmes juridiques» [5].
Si l’on peut saluer cet engagement social des Universités et Ecoles du droit, la vérité des faits impose tout de même de rappeler que la profession d’avocat et tout particulièrement les Ordres, n’ont pas attendu le phénomène «clinique» pour créer et développer l’accès au droit et les activités pro bono au travers des principes séculaires de la profession, de l’aide juridictionnelle et des consultations juridiques gratuites organisées dans les Palais de Justice, les mairies, les lieux de détention et les points d’accès au droit.
La justesse et le bienfondé apparents de ces projets qui mêlent intérêt pédagogique et visées sociales et altruistes rendent-ils pour autant juridiquement valables ces nouvelles activités juridiques au regard des compétences des Universités, définies aux articles L. 123-1 (N° Lexbase : L4703IXH) et L. 711-1 (N° Lexbase : L9983LLC) du Code de l'éducation, du principe de spécialité qui gouverne l'activité de ces établissements publics, et de la réglementation de l’exercice du droit ressortant de la loi du 31 décembre 1971 ?
La question de la capacité juridique des Universités à conduire une activité de clinique du droit doit être posée à l’aune du principe de spécialité des établissements publics, et de son application aux Universités dont le champ d'activité est défini par les dispositions des articles L. 123-1 et L. 711-1 du Code de l’éducation.
Cette problématique a notamment été abordée à l’occasion de la création par l’Université Panthéon-Assas Paris II d’une filiale ayant pour objet la «préparation d’intensive d’été» à l’examen d’entrée au CRFPA, que le tribunal administratif de Paris a annulé par jugement du 29 octobre 2013 au motif que le Code de l'éducation n'autorise pas une université à créer une filiale aux fins d'exercer des activités de formations conduisant à des diplômes ou préparant à des examens ou concours qu'elle organise elle-même [6].
Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 8 mars 2016 de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 8 mars 2016, n° 13PA04846 N° Lexbase : A2876Q7N), dont les conclusions du rapporteur public confirment que la censure est prononcée pour violation du principe de spécialité, inscrivant cette jurisprudence "dans le prolongement de celle, plus globale, relative aux conditions et modalités des interventions publiques dans l'économie : la prise en charge d'une activité économique par l'administration implique de vérifier que celle-ci agit dans la limite de ses compétences et qu'un intérêt public justifie cette intervention" (CE, Ass., 31 mai 2006, n° 275531, Ordre des avocats au barreau de Paris, Lebon 272 ; AJDA, 2006. 1592, chron. C. Landais et F. Lenica ; et 2008. 911, étude J.-J. Israël ; RFDA 2006. 1048, concl. D. Casas) [7].
Les Universités ne peuvent donc éluder la nécessité de mener une réflexion approfondie sur leurs compétences, champs d'activités et missions de service public avant d'envisager la création d'une clinique du droit, surtout si celle-ci risque de méconnaître des règles d'ordre public édicté par la loi du 31 décembre 1971.
En effet, qu’il s’agisse de la formation pratique des étudiants ou de l’accès au droit stricto sensu, la délivrance de consultations juridiques répond à des exigences légales, protectrices des intérêts de ceux à qui elles sont destinées.
Loin d’être la traduction d’un corporatisme de mauvais aloi, mais parce qu’il s’agit ni plus ni moins de la formation des futurs praticiens du droit et de la protection des intérêts de nos concitoyens, l’impérieuse nécessité de veiller au respect de ces normes légales permet d’éviter une pratique du droit dévalorisée et non sécure, un service juridique « low cost » offert aux plus vulnérables d’entre nous.
Il ne faudrait pas en effet que toute cela aboutisse, comme le note Liora Israël, «à faire passer la cause avant les individus et donc à ne pas toujours tenir compte des intérêts de ces derniers» [8].
L’exercice du droit en France, à savoir la possibilité de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes à titre principal ou accessoire, est réservé à un certain nombre de professionnels réglementés ou qualifiés.
Ce domaine «réservé» l’est, non pas à des fins corporatistes, mais bien pour assurer la sécurité juridique de nos concitoyens, le droit étant un «bien de confiance» avant d’être un simple bien marchand.
En ce sens, s’agissant de la conformité de cette réglementation avec le droit de l’Union, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que si “le fait pour cette loi, en son article 54, de réserver la délivrance de consultations juridique à des personnes justifiant d'un niveau de compétence et en son article 60, précité, de soumettre les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée à la justification d'une qualification pour y procéder à titre accessoire de leur activité constitue bien une entrave à la libre prestation de service consacrée par l'article 56 du TFUE (N° Lexbase : L2705IPU), il n’en demeure pas moins que l’objectif poursuivi par cette entrave est l’intérêt des bénéficiaires de consultation juridique».
La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne est claire : “d’une part, la protection des consommateurs, notamment des destinataires des services juridiques fournis par des auxiliaires de justice, et, d’autre part, la bonne administration de la justice sont des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services» [9].
Ainsi, les articles 54 et suivants de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) règlementent de manière stricte les conditions permettant de donner des consultations juridiques à titre habituel et rémunéré :
En ce qui concerne ce dernier critère, l’article 56 de ladite loi réserve la pratique professionnelle de la consultation juridique à titre habituel et rémunéré aux membres des professions juridiques et judiciaires.
Qu’il s’agisse des étudiants titulaires d’une Licence ou d’un Master en droit ou des élèves-avocats, la loi ne leur permet donc pas d’exercer le droit, l’article 56 visant expressément les "avocats inscrits à un barreau français".
Cependant, pour les besoins de leur formation, les élèves-avocats sont autorisés, sous la supervision de leur maître de stage, à développer une activité professionnelle sous un cadre strict. Ils sont d’ailleurs astreints au secret professionnel pour tous les faits et actes qu'ils ont à connaitre au cours de leur formation et des stages accomplis (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 12-2).
Le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), prévoit en son article 60, que l’élève-avocat «collabore à la consultation et à la rédaction d'actes en matière juridique» aux côtés de l’avocat maitre de stage qui en reste le seul responsable à l’égard du client.
Ce texte autorise aussi l’Ecole d’avocats à faire participer les élèves à des consultations juridiques organisées par les Ordres d'avocats.
Cette rédaction exclut par conséquent toute participation des élèves-avocats à des permanences de consultations juridiques organisées en dehors de ce cadre par les seules Universités ou les Ecoles d’avocats.
En dehors de ce cadre dérogatoire justifié par les besoins de sa formation, l’élève avocat reste tenu par les dispositions du Titre II de la loi du 31 décembre 1971.
La loi du 31 décembre 1971 fait ne concerne pas l’activité juridique exercée à titre occasionnel et gratuit.
Cependant, les activités juridiques des étudiants ou des élèves avocats au sein de ces cliniques ne peuvent être assimilées à une activité de consultation occasionnelle en raison des interventions répétées auprès des usagers qu’implique la participation à une telle structure.
En ce sens, les universités et les écoles concernées assument totalement le fait que l’activité de leur clinique va bien au-delà de l’occasionnel, s’inscrivant volontairement dans la continuité et dans le paysage juridique local.
Sans nécessairement procéder à des modifications législatives qui permettraient aux yeux de certains d’offrir aux cliniques universitaires un cadre juridique sécurisé, leur développement au sein des Ecoles d’avocats ou des Universités ne peut être, en l’état de notre réglementation, véritablement envisagé que sous le respect de plusieurs conditions cumulatives :
C’est, par conséquent, en veillant au strict respect de ces principes directeurs que le développement de ces cliniques pourra se faire dans le respect de la loi.
Les cliniques juridiques n’ont donc aucune vocation à concurrencer les avocats et leurs Ordres dans leurs domaines de compétences, mais peuvent favoriser et faciliter l’accès au droit dans le respect des normes en vigueur.
Elles doivent, en tout état de cause, retrouver le sens même de leur existence, à savoir veiller au renouvellement des pédagogies universitaires, restées trop longtemps éloignées des réalités du monde et totalement dépourvues d’intérêt pratique.
[1] Rapport de la Commission «Haeri», L’avenir de la profession, 2017.
[2] Rapport de la Commission «Haeri», L’avenir de la profession, 2017, page 30.
[3] S. Etoa, Cliniques juridiques, enseignement du droit et idée de Justice - Dalloz.
[4] D. Roman et S. Hennette Vauchez, Pour un enseignement clinique du droit, 2017.
[5] Programme d’accès au droit de l’Ecole du droit de Science Po 2018-2019.
[6] TA Paris, du 29 octobre 2013, n° 1217449 (N° Lexbase : A0967KPI), AJDA, 2016, p. 522, note J.-M. Pastor.
[7] Filialisation des Universités : les principes guidant le libre choix de l'activité et du partenaire, conclusions C. Cantié, AJDA 2016, p. 1071
[8] Sur la question du cause lawyering, voir ainsi L. Israël, Le droit mis au service de causes politiques : le cause lawyering, un modèle d’origine nord-américaine, in Au cœur des combats juridiques. Pensées et témoignages de juristes engagés, E. Dockès (dir.), Paris, Dalloz (Thèmes et commentaires), 2007, p. 9.
[9] CJCE, 5 décembre 2006, aff. C-94/04 (N° Lexbase : A7978DSB), point 64, (ibid., point 34).
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par Olivier Pluen, Maître de conférences en Droit public à l’UVSQ - Paris-Saclay et Directeur de la Clinique de légistique (Centre VIP, EA 3643 - CDPC, EA 7320)
Le 06 Novembre 2019
Mots-clefs : Université • Clinique juridique • Accès au droit • Aide juridique • Formation • International
Résumé : Alors que les cliniques juridiques suscitent un véritable engouement en France, atteignant le nombre de vingt-huit d’après le site du Réseau des cliniques juridiques francophones (RCJF), il est possible de s’interroger sur le potentiel de développement de ce phénomène à l’international. Au terme d’une recherche approfondie, la présente étude rappelle que les cliniques correspondent déjà à une réalité universelle et transnationale empirique, avant de souligner les limites d’un tel état de fait et la nécessité d’une structuration de cette catégorie d’entité sui generis au niveau international.
Le 28 février 2014, le site ivoirien de presse en ligne «Lebabi.net» publiait un article à l’intitulé attrayant pour toute personne intéressée par le développement des cliniques du droit dans le monde : «La représentante spéciale de l’ONU inaugure la Clinique juridique de San Pedro». A lire ensuite le contenu du texte, l’enjeu était, en effet, d’importance, puisque, selon les propos de la responsable de l’ONUCI relayés dans celui-ci, cette clinique «constitue la seule structure juridique de la localité qui permette aux populations d’accéder à l’information juridique et de bénéficier de conseils appropriés dans leur quête de Justice» [1].
Cette actualité, bien que déjà ancienne, pourrait a priori s’analyser comme une manifestation du degré de reconnaissance dont bénéficient les «cliniques juridiques» au sommet de la communauté internationale. Ce sentiment d’universalité est -il est vrai- susceptible d’être facilement conforté lors de l’utilisation d’un moteur de recherche, en oubliant d’entrer le deuxième des deux termes qui composent cette notion. Xavier Aurey a pu rappeler en ce sens, en ouverture d’une contribution sur «Les origines des cliniques juridiques», dans laquelle il prend justement soin de circonscrire l’emploi du mot «clinique» à la sphère de l’enseignement : «Etymologiquement, l’enseignement clinique est un enseignement des arts médicaux dispensé au chevet du malade par l’observation et la pratique» [2]. Appliqué au domaine du droit, l’enseignement clinique, s’il s’inspire du précédent, revêt néanmoins un champ plus restreint, du fait de sa dimension organique, de son caractère intra-universitaire et de ses objets complémentaires. Cet enseignement est effectivement donné dans le cadre des «cliniques juridiques», organismes à but non-lucratif nés au début du XXème siècle au sein des facultés de droit américaines, afin de promouvoir un nouveau mode de transmission des connaissances juridiques aux étudiants, associant à la fois une formation théorique, l’expérience de la pratique, le service de la communauté et la participation à une mission d’accès au droit, le tout dans une logique d’ouverture des établissements d’enseignement supérieur sur le monde professionnel et la société. Et, initialement, il s’agissait pour les étudiants des «Law Schools» de participer, sous la supervision d’enseignants-chercheurs et de professionnels du droit, à une activité bénévole d’aide juridique en faveur de catégories jugées défavorisées.
Or, si la naissance des cliniques juridiques est traditionnellement associée aux Etats-Unis, certains auteurs n’ont pas manqué de souligner que l’Europe a, dès l’origine, joué un rôle, qu’il soit précurseur [3] ou qu’il concerne le développement de celles-ci. Le cas de la France est de ce point de vue particulièrement intéressant. Ainsi, le rapport du Club des juristes sur le thème : «Réformer l’enseignement du droit en France à la lumière des systèmes étrangers», paru en 2017, précise que des «cliniques du droit apparaissent […] en France dans les années 1920 et 1930» [4], citant à l’appui l’action de Julien Bonnecase. Et, près d’un siècle plus tard, la France paraît se situer à la pointe d’une véritable «cliniquemania», vis-à-vis de laquelle les chiffres parlent d’eux-mêmes. D’après le site du Réseau des cliniques juridiques francophones (RCJF) [5], le pays compterait au 1er novembre 2019 vingt-huit structures, dont vingt-sept pour l’Hexagone et une dans les Outremer (La Réunion). Il ne s’agirait d’ailleurs là que de la «face émergée de l’iceberg», la presse faisant périodiquement état de cliniques non répertoriées, telle «L630», dont la création a été annoncée le 16 octobre 2019 dans Libération [6]. Mieux encore, une Université française principalement -celle de Caen-Normandie- a été à l’initiative de la mise en place, en 2016, du réseau mentionné plus haut, qui regroupe désormais quarante-six structures présentes sur les trois régions du monde que sont l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Afrique.
Vu de France, la question du développement des cliniques juridiques à l’international, c’est-à-dire à l’étranger, voire dans un cadre transnational [7], peut en conséquence laisser penser de prime abord qu’il existe dans ce domaine un «espace vierge» à occuper. Pourtant, un examen plus attentif de la situation invite rapidement à nuancer ce regard. Parce que la France, et plus largement l’Europe de l’Ouest, hors Royaume-Uni et Irlande, s’inscrivent dans la tradition du droit écrit [8], l’essor des cliniques juridiques y est en réalité longtemps resté marginal. De l’aveu même du président du RCJF, «l’Europe occidentale continentale, dont la France, est un peu le dernier bastion à conquérir» [9]. Mais, dans le même temps, une recherche effectuée par mots-clés sur l’encyclopédie collective "Wikipédia", qui présente l’avantage de refléter assez fidèlement l’importance attachée à une notion, aboutit à des résultats extrêmement décevants. Seules existent, en effet, sur le site des entrées pour les expressions : «Legal Clinic» -en anglais- et «Enseignement clinique du droit» -en français-, celles-ci ayant en commun d’être extrêmement peu étayées.
Un tel changement de perspective, qui place le lecteur devant un paradoxe a priori insoluble, semble néanmoins pouvoir faire l’objet d’une explication rationnelle, en même temps qu’il emporte un déplacement du sujet. Dans la mesure où les cliniques juridiques ont pris une grande partie de leur élan actuel sous l’influence d’une culture juridique -anglo-saxonne- dominée par le pragmatisme, elles constituent déjà une réalité internationale empirique dont il convient de rendre compte (I). Mais, du fait précisément de cette spécificité, leur capacité à connaître un développement pérenne à l’international les confronte au défi de leur structuration (II).
Moins de soixante-dix ans après la parution de l’article de Jerome Frank : «Why Not a Clinical-Lawyer School ?», ayant donné naissance à la notion de «Clinical Legal Education» (CLE), le lancement en 2000 du premier numéro de l’International Journal of Clinical Legal Education (IJCLE) prenait acte de l’ampleur prise par le phénomène des cliniques juridiques dans le monde. Comme l’écrivit alors Neil Gold, dans sa contribution introductive : «The time has come» [10]. De fait, les cliniques correspondent, aujourd’hui, à une réalité à la fois universelle (A) et transnationale (B).
Les McCrimmon, Ros Vickers et Ken Parish ont résumé la situation dans un plaidoyer en faveur du développement de l’enseignement clinique en ligne : «Today, clinical legal education is truly global in scope, and takes a variety of forms» [11].
En effet, de la même façon qu’il est question en droit constitutionnel de «vagues de la constitutionnalisation» [12], la diffusion de la culture des cliniques juridiques à travers le monde a été le fait d’une succession de mouvements comparables, alternativement ou cumulativement liés à la volonté d’améliorer le système d’accès au droit (au profit des plus démunis), à une approche appliquée de l’enseignement du droit, ou à un processus de démocratisation ou de lutte pour les droits. De leur apparition jusqu’à la fin des années 1960, les cliniques demeurent un phénomène essentiellement étasunien, du fait de l’influence du réalisme juridique américain, sous réserve de quelques tentatives en France [13] et en Argentine [14]. La première vague, qui va jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, repose sur quelques Legal Aid Dispensaries associés au cursus universitaire, tandis que la seconde vague s’ouvre en 1947 avec les premières structures universitaires spécifiques, prenant l’appellation de Legal Aid Clinic [15]. Comme l’écrit encore Xavier Aurey, la conjonction notamment d’une culture sociale de l’aide juridique et du mouvement des droits civiques va conduire à ce que, «à la fin des années 1970, pratiquement chaque faculté de droit des Etats-Unis dispose d’une clinique juridique» [16].
A compter du début des années 1970, le phénomène des cliniques juridiques s’étend aux autres pays anglo-saxons ou se trouvant sous leur influence, dans un logique d’accès à la Justice, qu’il s’agisse du Canada en Amérique du Nord, du Royaume-Uni en Europe occidentale, de l’Inde en Asie, ou de l’Afrique du Sud et de l’Ethiopie en Afrique. Plusieurs décennies plus tard, les chiffres sont éloquents : en Ethiopie, les cliniques étaient présentes dans soixante-dix universités en 2010, contre quatorze en 1981 [17] ; au Nigéria, le nombre de ces structures est passé de quatre en 2005 à dix-huit en 2015 [18]. Les années 1990 ont à leur tour permis l’émergence d’une nouvelle vague, consécutive à la chute de l’URSS, entraînant un mouvement de démocratisation dans les anciens pays du Bloc de l’Est et, indirectement du fait d’un changement de politique des Etats-Unis, dans une partie de l’Amérique latine. La nécessité d’assoir le nouvel Etat de droit, mais aussi de combler le manque de structures d’accès au droit, va entraîner une diffusion des dispositifs cliniques [19]. Ainsi, la Russie comptait déjà cent-cinquante cliniques juridiques en 2009 [20]. Les trois dernières vagues semblent avoir pris forme à partir du début des années 2000, et concernent l’Asie d’un côté [21], et l’Europe continentale occidentale [22] et -à travers la France et le Canada- le monde francophone de l’autre. Et, ici encore, les données chiffres évoquées dans l’introduction s’agissant de la France montrent l’ampleur du phénomène.
Or, si les cliniques juridiques sont bien sur le point de conquérir l’ensemble de la planète, leur diffusion se trouve renforcée par la plasticité dont elles font l’objet au regard de leurs activités et de leurs domaines d’intervention, permettant à leurs initiateurs de multiplier les combinaisons [23]. Initialement établies pour fournir des informations juridiques, elles ont progressivement investi les champs de l’éducation juridique ou civique (missions au sein d’établissements scolaires ou d’organismes associatifs), le contentieux (participation à la préparation de dossiers devant certaines juridictions nationales ou internationales), les transactions (participation à la préparation de dossiers dans le cadre de procédures de transaction), les activités associatives (collaboration avec des ONG en vue de la défense de groupes humains ou sociaux), les plaidoyers législatifs (préparation de projets visant à faire évoluer la législation dans tel ou tel domaine), ou encore la médiation (participation à l’élaboration de solutions informelles de résolution des conflits). Dans le même temps, d’abord limitées à quelques matières de base intéressant les individus (droits pénal, du travail, de la famille ou du logement), les domaines couverts par les cliniques se sont accrus pour tenir compte de l’évolution des besoins sociétaux (droits de la consommation, de l’environnement, ou encore légistique) ou permettre une ouverture à l’international (droits de l’asile et des étrangers, ou droit humanitaire, par exemple).
Parce que la diffusion progressive des cliniques juridiques à travers le monde a permis de leur conférer une visibilité comparable à celle des universités et autres établissements de l’enseignement supérieur qui les abritent, le recours à celles-ci s’est rapidement imposé à un niveau transnational comme un moyen de tisser des liens universitaires, voire entre ces établissements et les Etats, organisations internationales ou non gouvernementales.
Premièrement, il est possible de faire état, ainsi que cela a été souligné à la fin du développement précédent, de la spécialisation d’un nombre croissant de cliniques vers la sphère internationale. Certaines cliniques se focalisent en ce sens, en tout ou partie, sur un soutien à l’accès au droit à l’étranger. Tel est le cas du "Legislative Program" de l’Université de Boston aux Etats-Unis qui intégrait une "Africa I-Parliaments Clinic" dont le but était d’aider, dans le cadre d’un programme initié par les Nations Unies ("Africa Parliamentary Knowledge Network") en 2008, les parlements du continent africain et de Madagascar à améliorer la qualité et l’effectivité de leur législation. D’autres cliniques se proposent d’intervenir, comme leur nom l’indique, dans l’espace régional ou international dans lequel elles s’insèrent elles-mêmes. Figurent dans cette catégorie, à l’échelle européenne, l’"UE Rights Clinic" créée en collaboration avec l’Université du Kent à Bruxelles, la "Human Rights and Migration Law Clinic" de l’Université de Turin, ou encore l’"EU Regulatory Policy Clinic" co-instituée par HEC à Paris. A l’échelon supérieur, c’est-à-dire proprement international, pourront être citées la Clinique juridique pour le Tribunal spécial de la Sierra Leone de l’Université McGill au Canada, ou l’"International Human Rights Law Clinic" de l’Université de Californie à Berkeley aux Etats-Unis.
Deuxièmement, tendent à se développer des cliniques juridiques communes à deux ou plusieurs universités ou établissements d’enseignement supérieur appartenant à des Etats distincts. L’"EU Regulatory Policy Clinic" susmentionnée offre ici une illustration, dans la mesure où celle-ci a été mise en place conjointement par l’école française de gestion HEC de Paris et l’Université de New York. L’établissement de cliniques peut également accompagner ou conforter la création d’universités transnationales. Dans la Caraïbe, l’Université des West Indies, et, dans le Pacifique, l’Université of the South Pacific, se trouvent toutes deux dotées de structures cliniques. Mais l’exemple le plus marquant est sans doute celui donné par la "Caribbean Law Clinic", projet de l’"American Carribbean Law Initiative" (ACLI), qui regroupe onze établissements universitaires couvrant un espace géographique allant de Trinidad & Tobago jusqu’à la Floride.
Troisièmement, l’on assiste à la constitution de réseaux de cliniques juridiques, destinés à favoriser les échanges entre les structures existantes et permettre aux fondateurs de celles à naître de bénéficier de conseils et informations. En raison de leur taille ou de leur caractère fédéral, certains Etats ont -et cela mérite d’être noté au préalable- vu se développer de telles structures. Ainsi, les Etats-Unis disposent de la "Clinical Legal Education Association" (CLEA), la Russie du "Center of Development of Legal Clinics" (CODOLC), la Chine du "Committee of Chinese Clinical Legal Educators" (CCCLE), et l’Indonésie de l’"Indonesia Clinical Legal Education Association" (ICLEA). Au-delà des Etats et de ces «super-Etats», les réseaux de cliniques se structurent par région ou par espace linguistique. Peuvent être mentionnés le "Latin American Network of Legal Clinics" (LANLC), l’"European Network for Clinical Legal Education" (ENCLE), la "Southeast Asia Clinical Legal Education Association" (SEACLEA), ainsi que le Réseau des cliniques juridiques francophones (RCJF). Enfin, à défaut d’existence d’un réseau mondial des cliniques, deux initiatives participent indirectement de cet objectif : la "Global Alliance for Justice Education" (GAJE) et, déjà évoqué, l’"International Journal of Clinical Legal Education" (IJCLE).
Si, près de vingt ans après le début du XXIème siècle, il est indéniablement possible de parler d’un phénomène universel et transnational des cliniques juridiques, celui-ci semble paradoxalement en souffrance. Leur développement exponentiel ayant été largement favorisé par une approche pragmatique se refusant à les enfermer dans un cadre juridique (A), elles encourent à terme un risque de dénaturation (B).
Puissantes images, les pages de l’encyclopédie collective en ligne «Wikipédia» consacrées aux cliniques juridiques sont presque muettes sur le sujet, révélant l’extrême difficulté à dire aujourd’hui précisément ce qu’elles sont et à donner une liste des structures pouvant se prévaloir de cette appellation.
Dans le cas français, le débat a été ouvert très récemment, en 2018, avec la parution d’un article de Didier Valette intitulé Les cliniques juridiques universitaires, un modèle à inventer [24], suivie, l’année suivante, d’une journée d’étude du RCJF à la Sorbonne sur L’intégration des cliniques juridiques dans le droit français [25] et d’un colloque à l’Université Clermont Auvergne relatif à L’introduction des cliniques juridiques dans le paysage juridique français [26]. Or, ces initiatives universitaires, faute peut-être d’avoir été suffisamment coordonnées, et bien qu’ayant bénéficié de l’écoute du conseiller stratégique pour la pédagogie du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et de la présidente de la Conférence des doyens des Facultés de droit et de science politique, n’ont pas permis de faire émerger à ce stade et surtout à ce «simple échelon national» des solutions faisant consensus.
Dans le même temps, pourtant, l’imposante doctrine étrangère et française sur les cliniques juridiques et l’enseignement clinique du droit vient constamment mettre en évidence, de manière -certes- souvent incidente, l’ampleur de la tâche à accomplir pour garantir un degré suffisant d’homogénéité entre les structures se prévalant de ce qualificatif et parer à certaines tensions. Au premier rang des problèmes à envisager, figure celui de la notion à retenir pour les désigner («clinique juridique», «clinique du droit», «clinique de l’accès au droit», «clinique universitaire…»). Suit la question de l’équilibre que ces structures doivent trouver entre leur fonction pédagogique («enseignement [clinique] du droit»), leur participation à des missions d’intérêt général de l’accès au droit («aide juridique», «accès à la Justice»,…), mais aussi leur dimension éthique et déontologique. Notamment, et c’est un aspect sur lequel la dernière sous-partie reviendra, les cliniques juridiques n’ont en principe pas vocation à se substituer aux dispositifs traditionnels de l’accès au droit, à peine de préjudicier à l’objectif de formation des étudiants. Vient au-delà la problématique du caractère intra-universitaire ou tout du moins universitaire des cliniques juridiques, par opposition à des structures qui seraient créées ou tenues par des organismes tiers tels que des associations étudiantes non agréées par les établissements, des cabinets d’avocats ou par des collectivités publiques sans rapport avec l’enseignement. Pour s’en tenir à la dernière hypothèse, Xavier Aurey prenait ainsi soin de relever que «le monde africain francophone connaît […] des institutions appelées ‘cliniques juridiques’, mais totalement détachées de l’Université (proches de ce que les canadiens appellent les ‘cliniques juridiques communautaires’)» [27]. Enfin, doit être abordé et traité le thème récurrent des relations entre les cliniques juridiques et les compétences dévolues au barreau, même si l’intensité du débat varie d’un pays à l’autre selon la culture -de Common Law ou de droit écrit- à laquelle il appartient. Concernant la France, Didier Valette a pu évoquer, à l’appui de sa thèse en faveur d’un encadrement juridique des cliniques en France, «le courroux de certains professionnels du droit qui s’agacent d’une forme de concurrence déloyale lorsque la ‘pratique clinique’ dissimule une activité de consultation juridique rémunérée, exercée en infraction avec les dispositions de la loi de 1971» [28].
Cet ensemble de difficultés reste cependant largement ignoré des institutions nationales et internationales dotées d’un pouvoir normatif. Comme est venu le rappeler la journée d’étude du RCJF de la Sorbonne de 2018, rares sont les Etats à avoir légiféré sur le sujet [29], freinant une action concertée en vue de l’adoption d’un texte au niveau régional ou international. Dans ce contexte, l’Assemblée générale des Nation Unies s’est référée aux cliniques juridiques dans une résolution de 2012, uniquement en ce qu’elles participent aux activités d’aide juridique [30], le Parlement et le Conseil de l’Union européenne étant de leur côté restés silencieux dans une Directive de 2016 à l’objet pourtant analogue [31].
Faute de cadre normatif, ou tout du moins suffisamment contraignant, permettant de leur assurer un certain degré d’homogénéité, les cliniques juridiques peuvent dès lors se trouver fragilisées en tant que catégorie juridique.
Il ne s’agit bien entendu pas de condamner l’émergence de particularismes parmi les structures existantes, visant à tenir compte de la culture ou de l’espace dans lequel elles évoluent. Ainsi, semblent se dessiner, à grands traits, quatre modèles de cliniques juridiques dans le monde, dont les territoires se recoupent parfois. Le premier, «anglo-saxon», fait reposer le recours aux cliniques à la fois sur une approche pratique de l’enseignement du droit destiné à former des praticiens et une exigence le plus souvent constitutionnelle d’accès à la Justice [32]. Le deuxième, «social», envisage les cliniques comme une composante majeure de l’aide juridique et de l’accès à la Justice «sociale» pour les plus démunis. A la différence du précédent qui recouvre le monde anglo-saxon, celui-ci regroupe des territoires de cultures disparates mais cherchant à combler un déficit historique en matière d’accès au droit. Paraissent en relever les Etats de l’ancien Bloc de l’Est, ainsi que ceux de l’Afrique Subsaharienne. Le troisième modèle, susceptible d’être qualifié de «pédagogique», et couvrant l’Europe continentale occidentale et l’espace francophone, paraît d’abord concevoir le recours aux cliniques juridiques comme une manière de réformer un enseignement du droit jugé trop théorique en lui conférant une dimension professionnalisante [33]. Au sein de ce modèle, la France a sans doute vocation à occuper une place particulière, sa qualité de «patrie du service public» autorisant une théorisation du rôle des universités et des cliniques juridiques dans ce domaine [34]. Enfin, le dernier modèle, se voudrait «éthique», selon la réflexion développée par Bruce Avery Lasky et Shuvo Prosun Sarker, dans leur article «Clinical Legal Education and its Asian Characteristics». Comme l’écrivent effectivement les deux auteurs en conclusion : «Finally, the [clinical] programmes focus on assisting in strengthening a more ethical and socially conscious legal profession and legal system in an area of the world which is often seen to be in great need of this reinforcement» [35].
Mais, passé ce constat positif, des craintes méritent d’être formulées. Premièrement, et dans l’ordre croissant des atteintes, l’appellation de «clinique juridique» peut être aujourd’hui aisément «piratée» par des entités sans lien avec l’enseignement supérieur. Didier Valette le relevait ainsi dans son article de 2018 : «Ici, certains cabinets ou réseaux d’avocats créent des ‘cliniques juridiques’ qui ne sont, en fait, que des structures destinées à héberger des étudiants stagiaires. Ailleurs, des entreprises, ne présentant aucun lien avec les professions réglementées, emploient le terme de ‘cliniques’ pour couvrir des activités d’édition ou de prestation juridique…» [36]. Deuxièmement, les cliniques encourent le risque d’être détournées de leur fonction pédagogique première pour pallier les insuffisances des structures d’aide juridique traditionnelles. Si la participation active des cliniques juridiques aux côtés de tels organismes est déjà une réalité dans certaines zones géographiques, ainsi que cela a déjà été précisé auparavant, l’extension de ce phénomène en dehors de territoires souffrant d’un retard structurel est de nature à inquiéter. Ainsi, dans son article, Richard J. Wilson est revenu sur la résistance opposée aux Etats-Unis par les cliniques à la présidence Reagan dans les années 1980, pour que leur développement ne devienne pas un prétexte à la diminution des dispositifs d’aide existants. Cette action aura porté ses fruits puisque, en 2015, moins de 2 % des affaires d’aides juridiques étaient traitées par celles-ci [37]. Les déclarations faites ces dernières années par les gardes des Sceaux successifs en France, si elles expriment immanquablement une reconnaissance des cliniques, appellent néanmoins, sur ce point, à la vigilance [38]. Troisièmement et enfin, les cliniques ne sont pas à l’abri d’être utilisées à des fins politiques ou idéologiques. Une telle utilisation peut être le fait des créateurs ou des membres de la clinique. A titre d’illustration, la question de l’implication d’une telle structure en matière de lutte environnementale a pu donner lieu à un très vif débat aux Etats-Unis [39], qui, en l’absence d’un précieux et légitime soutien de l’"American Bar Association", aurait pu se traduire par un affaiblissement durable des cliniques juridiques sur le sol américain. Mais l’instrumentalisation peut également être le fait des Etats. Or, si le développement des cliniques juridiques a pu être regardé comme l’expression d’un «impérialisme juridique» étasunien [40], il n’est pas improbable que ces structures deviennent à l’avenir, à travers notamment les réseaux régionaux constitués dans ce domaine, l’enjeu d’une lutte d’influence entre ces mêmes Etats-Unis, la Chine et la Russie.
Quant à la France, à défaut de pouvoir à ce stade, ni vouloir dans l’absolu lui prêter une telle intention, peut-être devrait-elle, du fait de sa présence géographique sur deux continents et les territoires de trois océans, ainsi que de sa place dans l’Union européenne, la Francophonie -dont le RCJF est un rappel- et l’ONU, impulser ce travail de structuration de l’actuel «archipel» des cliniques juridiques…
[1] La représentante spéciale de l’ONU inaugure la Clinique juridique de San Pedro, Lebabi.net, 28 février 2014.
[2] X. Aurey, Les origines des cliniques juridiques, Revue Cliniques juridiques, 2017, vol. 1, § 1.
[3] R. J. Wilson, Legal Aid and Clinical Legal Education in Europe and the USA : Are They Compatible ?, in O. Halvorsen Rønning, O. Hammerslev (eds), Outsourcing Legal Aid in the Nordic Welfare States, Palgrave Macmillan, Cham, 2018. L’auteur prête un rôle précurseur au Danemark.
[4] M. Mekki (dir.), Réformer l’enseignement du droit en France à la lumière des systèmes étrangers, LexisNexis, Le Club des juristes, 2017, p. 180-181.
[6] C. Delouche, Drogues : L630 ouvre sa “clinique juridique”, Libération, 16 octobre 2019.
[7] A l’international, voir, www.academie-francaise.fr.
[8] N. Gold, Why not an International Journal of Clinical Legal Education ?, IJCLE, 2000, vol. 1, p. 7-12.
[9] X. Aurey, Les origines…, op. cit., § 27.
[10] N. Gold, Why not an International…, op. cit., p. 12.
[11] L. McCrimmon, R. Vickers, K. Parish, Online Clinical Legal Education : Challenging the Traditional Model, IJCLE, 2016-5, vol. 23, 2016, p. 37.
[12] J. Gicquel, J.-E. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, Domat Droit public, 29ème éd., 2015, p. 50-53.
[13] M. Mekki (dir.), Réformer l’enseignement…, op. cit., p. 180-181.
[14] X. Aurey, Les origines…, op. cit., § 16.
[15] Xavier Aurey mentionne celles des Université de Duke, qui existait déjà de manière moins structurée depuis 1931, et du Tennessee : Ibid., § 8.
[16] Ibid., § 13.
[17] Ibid., § 20.
[18] O. Bamgbose, Access to Justice through clinical legal education : A way forward for good governance and development, African Human Rights Law Journal, 2015, vol. 15, p. 380-381.
[19] E. Winkler, Clinical Legal Education : A report on the concept of law clinics, University of Gothenburg, 2013, p. 11-14 ; X. Aurey, Les origines…, op. cit., § 16.
[20] E. Winkler, Clinical Legal…, op. cit., p. 13
[21] B. Avery Lasky, S. Prosun Sarker, Clinical Legal Education and Its Asian Characteristics, AJLE, 2018, vol. 5, p. 76-87.
[22] E. Winkler, Clinical Legal…, op. cit., p. 14-16.
[23] La page du RCJF qui dresse la liste des quarante-six cliniques juridiques francophones permet également de les retrouver à partir de cinquante entrées correspondant chacune à une «spécialité» (activité ou domaine).
[24] D. Valette, Les cliniques juridiques universitaires, un modèle à inventer, Dalloz actualité, 23 mars 2018.
[25] RCJF, L’intégration des cliniques juridiques dans le droit français, Journée d’étude à l’Université Panthéon-Sorbonne, 5 avril 2019.
[26] D. Mainguy et J. Roque (dir.), D. Valette (pdt), L’introduction des cliniques juridiques dans le paysage juridique français, Colloque à l’Université Clermont Auvergne, 17 avril 2019.
[27] X. Aurey, Les origines…, op. cit., § 22.
[28] D. Valette, Les cliniques juridiques…, op. cit.
[29] En Afrique du Sud, une définition des cliniques juridiques a ainsi été donnée par l’Attorneys Act (n° 53 of 1979), à l’occasion de l’Attorneys Amendment Act (n° 102 of 1991). Puis le Legal Practice Act (n° 28 of 2014) est venu réglementer ces structures au titre des activités juridiques. Au Québec, une proposition de loi n°697 visant à permettre aux étudiants en droit de donner des consultations et des avis d’ordre juridique dans une clinique juridique universitaire afin d’améliorer l’accès à la Justice, a été déposée en 2017. Cependant, ce texte n’a pas été examiné au fond.
[30] Principles and Guidelines on Access to Legal Aid in Criminal Justice Systems, Résolution A/RES/67/187 du 20 décembre 2012 de l’Assemblée générale des Nations Unies, www.unodc.org
[31] Directive (UE) 2016/1919 du 26 octobre 2016 du Parlement et du Conseil européen concernant l'aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d'arrêt européen, www.eu-lex.europa.ue (N° Lexbase : L9752LAG).
[32] V., les développements consacrés par Xavier Aurey et Richard J. Wilson à l’arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis «Gideon v. Wainwright», 372 US 335 (1963) : X. Aurey, Les origines…, op. cit., § 11 ; R. J. Wilson, Legal Aid…, op. cit.
[33] M. Mekki (dir.), Réformer l’enseignement…, op. cit., 320 p..
[34] V., O. Pluen, N. Wolff, Plaidoyer pour une contribution active des étudiants au renouveau de l’Université, en collaboration avec Nathalie Wolff, AJDA, n° 8, 2010, p. 409.
[35] B. Avery Lasky, S. Prosun Sarker, Clinical Legal…, op. cit., p. 87.
[36] D. Valette, Les cliniques juridiques…, op. cit.
[37] R. J. Wilson, Legal Aid…, op. cit.
[38] Voir, L. Garnerie, Jean-Jacques Urvoas renvoie les avocats à leurs responsabilités, Gazette du Palais, 31 janvier 2017, n° 5, p. 5-6 ; G. Laurent, Les cliniques juridiques et le renouveau du service public de la Justice, LPA, 22 décembre 2017, p. 7 et s..
[39] Voir, I. Urbina, School Law Clinics Face a Backlash, New York Times, 3 avril 2010.
[40] X. Aurey, Les origines…, op. cit., § 24-26.
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par Kami Haeri, Partner, Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan et Raphaël Saint-George, Elève à l’Ecole de Droit de Sciences-Po.
Le 07 Novembre 2019
Mots-clefs : Université • Clinique juridique • Accès au droit • Aide juridique • Avocats • Praticiens
Résumé : "Bien que plus présentes et visibles, les cliniques continuent de susciter néanmoins, encore aujourd’hui, des interrogations parmi certains professionnels du droit et de l’enseignement, qui mettent en cause leur utilité et dénoncent leur impact sur la sphère professionnelle. Pourtant, les cliniques juridiques ne sont ni illégales, ni une menace pour les professions juridique. Bien au contraire, elles constituent un formidable outil de formation, dont l’utilité sociale et la propension à unir les acteurs de la filière juridique doivent nous inciter à les promouvoir autant que possible".
Les cliniques juridiques, qui ont fait une apparition remarquée en France depuis quelques années, sont des structures intégrées, le plus souvent au sein des Universités, qui se consacrent à la formation des étudiants par une expérience -et une expérimentation pratique- du droit, en particulier au service de personnes fragiles ou défavorisées, et dans un engagement d’intérêt général. Cet objectif social et historique, est aujourd’hui moins consubstantiel à l’enseignement clinique mais reste prédominant dans sa pratique.
Les racines des cliniques juridiques se trouvent dans les facultés de droit nord-américaines du début du XXème siècle, où le courant de pensée du legal realism considère, à l’instar d’un Jérôme Frank, que pour se former utilement, les étudiants ne peuvent se limiter à une réflexion théorique basée exclusivement sur l’étude des textes et de la jurisprudence, mais doivent se mettre au contact des réalités et pratiques quotidiennes des métiers du droit et des besoins en droit. Autrement, «ils ressemblent à de futurs éleveurs de chiens qui ne voient rien d’autres que des chiens empaillés» [1]. A la fin des années 1970, la quasi-totalité des facultés de droit américaines disposait d’une clinique juridique.
Le développement de l’enseignement clinique du droit en France est plus récent. Si un débat s’est ouvert en France au début du XXème siècle, l’idée a été abandonnée au profit du modèle français des grandes écoles professionnelles. Ce n’est donc qu’au milieu des années 2000 que les premières cliniques feront leur apparition en France, au sein des facultés de droit de Panthéon Assas, Tours, Caen, Paris Nanterre ou Sciences Po Paris. Bien que plus présentes et visibles, les cliniques continuent de susciter néanmoins, encore aujourd’hui, des interrogations parmi certains professionnels du droit et de l’enseignement, qui mettent en cause leur utilité et dénoncent leur impact sur la sphère professionnelle.
Pourtant, les cliniques juridiques ne sont ni illégales, ni une menace pour les professions juridique. Bien au contraire, elles constituent un formidable outil de formation, dont l’utilité sociale et la propension à unir les acteurs de la filière juridique doivent nous inciter à les promouvoir autant que possible.
Aucune disposition normative n’encadre formellement l’enseignement clinique du droit, ni dans le code de l’Education, ni dans la loi du 31 décembre 1971 réglementant la profession d’avocat. Pourtant, les cliniques juridiques sont en plein essor et sont reconnues et acceptées tant par les Universités que par les professionnels avec qui elles collaborent systématiquement. Encore récemment, c’est le Conseil National des Barreaux qui organisait un colloque dédié aux Cliniques Juridiques, le 13 juin 2019… comptant justement au titre de la formation continue obligatoire des avocats [2].
Cela démontre une acceptation et une intégration des cliniques comme un instrument légitime de formation et d’action -certes sui generis- au sein de la communauté des avocats. Cette acceptation et la légitimité qui en découle ne peuvent naturellement exister qu’à la condition que les cliniques ne dépassent pas le cadre posé par la loi du 31 décembre 1971 qui prohibe en son article 54 que soient données «à titre habituel et rémunéré» des consultations juridiques par des personnes non habilitées [3]. La lecture qui en ressort est claire : la clinique juridique, pour être dans la légalité, est et doit rester «un outil de formation au service des étudiants […] exercé en toute gratuité et en respect des règles déontologiques» [4].
Par ailleurs, l’Université est le cadre idéal pour assurer l’enseignement clinique du droit. Elle dispose, en effet, d’une grande légitimité institutionnelle à organiser les cliniques. Le parallèle sémantique avec l’enseignement de la médecine n’est pas fortuit : il s’agit d’apporter une assistance au justiciable et d’intégrer l’enseignement dans une vision pratique présentant des situations aussi variées que formatrices.
Cette légitimité se déduit d’ailleurs directement de l’article 123-3 du Code de l’éducation (N° Lexbase : L4707IXM) qui dispose que l’une des missions de l’enseignement supérieur est «la formation initiale et continue tout au long de la vie ainsi que l’orientation, la promotion sociale et l’insertion professionnelle».
Les Universités sont également légitimes à dispenser cet enseignement pratique parce que les liens qui l’unissent au milieu juridique professionnel sont nombreux. Les professeurs de droit sont habilités à donner des consultations juridiques, nombreux sont les avocats qui donnent des cours dans les Université et écoles de droit, étant au demeurant rappelé que tous sont issus de ces mêmes Universités. La contribution de l’Université à l’activité professionnelle des juristes est permanente, et les cliniques juridiques en sont une manifestation supplémentaire et essentielle.
Toutefois, constituant une pratique relativement nouvelle, ces cliniques ne sont pas encore harmonisées dans leur fonctionnement. Certaines cliniques relèvent d’initiatives étudiantes tandis que d’autres sont élaborées par le corps universitaire lui-même. De plus, les avis divergent quant à leur accessibilité : doivent-elles être rendues obligatoires ou rester un espace facultatif ? A quel moment de leur parcours universitaire faut il y impliquer les étudiants ? Notre sentiment est que, s’il est indispensable de donner aux plus jeunes étudiants en droit, dès la première année, des indications sur les qualités nécessaires à l’exercice de la profession d’avocat, sur la réalité quotidienne de notre pratique, les missions menées dans le cadre des cliniques juridiques, en ce qu’elles ont une implication pratique, doivent être prioritairement confiées à des étudiants plus expérimentés et essentiellement aux étudiants de Master II.
Un certain nombre d’avocats ou de juristes ont dénoncé les cliniques juridiques en ce qu’elles constitueraient une concurrence déloyale pour la pratique et l’exercice «rémunéré» du droit. Au-delà d’un malheureux réflexe corporatiste, il est vrai que de nombreux avocats se consacrent quotidiennement à des missions qui sont rémunérées au titre de l’aide juridictionnelle. Pour certains d’entre eux, compte tenu des réalités économiques des régions et barreaux où ils exercent, la part des missions au titre de l’aide juridictionnelle constitue une part importante de leurs revenus. Pour autant, considérer que les cliniques juridiques leur feraient concurrence se heurte selon nous à plusieurs objections.
Tout d’abord, les cliniques juridiques exercent avant tout à titre gratuit, et ne représentent donc pas une concurrence directe à proprement parler. Il s’agit souvent d’une analyse préliminaire d’une situation juridique, au bénéfice de populations fragiles, qui iront in fine se tourner vers des avocats si des actes de procédure et des démarches judiciaires sont nécessaires. La clinique agit donc davantage comme un espace d’accompagnement très en amont de l’intervention des avocats, et en aucune manière en contradiction avec celle-ci. Ensuite, les interventions des cliniques ne couvrent pas les mêmes domaines que ceux des avocats. Elles apportent le plus souvent une assistance dans des domaines plus délaissés du droit (notamment en droit de l’immigration et des étrangers). La gratuité du service doit en toute hypothèse demeurer le critère essentiel de l’activité des cliniques juridiques et il ne serait évidemment pas question que des prestations rémunérées soient offertes via ces plateformes, ce qui constituerait une violation des conditions d’exercice des prestations juridiques en France.
Pour ces différentes raisons et en particulier cette dernière, il est utile de donner un cadre normatif plus structuré et, partant, une légitimité complète, à l’enseignement clinique du droit, afin de l’intégrer dans la chaine de formation des juristes, et consacrer son utilité.
L’idée qui sous-tend le développement des cliniques juridiques est développée par le legal realism et notamment Jerome Frank qui condamne la case method de Langdell -en vigueur dans toutes les facultés de droit américaines au début du XXème siècle et qui prône l’apprentissage du droit exclusivement par l’étude des grands arrêts. Selon Frank au contraire, le droit doit s’apprendre «en action», grâce aux cliniques juridiques, permettant de doter les étudiants «d’outils d’analyse théorique et pratique issus du droit mais également (et fondamentalement) d’autres disciplines» [5]. Plus récemment, c’est une réclamation des cabinets d’avocats d’affaires américains eux-mêmes, qui se plaignaient de devoir assurer en leur sein la formation pratique de leurs nouveaux collaborateurs, qui a accéléré le développement des cliniques.
C’est sur ce fondement pratique et pluridisciplinaire que la clinique juridique de l’Ecole de Droit de Sciences Po s’est constituée comme l’une des pionnières en France [6]. Car en plus d’être marqué par une analyse importante de la théorique juridique, l’apprentissage du droit en France reste marqué par une pédagogie très verticale, laissant peu de temps pour les mises en situations pratiques. Ce n’est d’ailleurs pas la faute des facultés de droit. Leur mission d’ouverture et d’enseignement au profit du plus grand nombre, mission historique, les prive du temps et des ressources pour constituer des enseignements plus restreints, lieux propices à une mise en situation du droit. S’ajoute à cela un enseignement qui est naturellement construit sur une structuration en disciplines et branches du droit : droit du travail, droit social, droit de l’environnement. Or, la pratique quotidienne du droit révèle à quel point les disciplines se mêlent et se répondent. Cette mobilisation quotidienne de plusieurs branches du droit voire à des connaissances extra-juridiques, qu’il appartient aux étudiants d’apprendre à mobiliser au plus vite, est consubstantielle à l’exercice en clinique juridique. Comme le résume parfaitement Benjamin Pitcho, avocat au barreau de Paris, «une clinique juridique connecte l’Université avec son environnement» [7].
La vocation pédagogique des cliniques ne s’arrête pas à la formation pratique des étudiants. Elle réside également dans ce que les cliniques peuvent apporter comme distance critique par rapport au droit qui leur est enseigné.
Le droit est une matière mouvante, qui n’est pas aussi sédimentée que l’on peut parfois le penser. Il est essentiel que les étudiants soient conscients de cette flexibilité du droit -pour reprendre le mot de Carbonnier- ainsi que de la portée sociale et des enjeux que cette discipline porte. De plus, l’opportunité de travailler dans un projet d’utilité sociale constitue également une occasion de mesurer des situations sociales, économiques, environnementales, sociologiques moins immédiatement perceptibles pour nombre d’étudiants.
Enfin, outre le travail d’accès au droit, certaines cliniques portent des programmes de recherche appliquée visant à soutenir le développement de normes ou de réformes d’intérêt général, également appelés Policy Reform au sein des cliniques de droit américaines. Ces programmes permettent ainsi d’aider les étudiants à construire une réflexion critique sur l’état du droit positif et sur ses évolutions souhaitables. D’autres cliniques font même de cette réflexion critique le cœur de leur programme, avec l’objectif aussi intéressant qu’a priori paradoxal de ne plus professionnaliser mais de «dé-professionnaliser» [8] les étudiants, à l’instar de ce que proposait Gary Bellow à Harvard [9].
Ces deux espaces de formation ne s’opposent pas. Bien au contraire. Tout d’abord, la temporalité n’est pas la même entre les deux types d’enseignement pratique. On l’a dit, la clinique est généralement rattachée à une université et est dès lors proposée à des étudiants en fin de Master, c’est-à-dire à l’issue d’un cycle de formation essentiellement théorique. L’école professionnelle, par définition, est un cursus post-universitaire dédié à l’apprentissage des techniques et pratiques les plus quotidiennes (rien n’empêche, cela étant, de développer des cliniques juridiques au sein de ces écoles professionnelles [10]). La clinique peut donc constituer une transition idéale entre deux espaces d’enseignement, obéissant d’ailleurs à des modes de pédagogie différents. Surtout, il est difficile de voir en quoi apporter un surplus de formation aux étudiants qui le désirent -la participation aux travaux des cliniques étant facultatives- est problématique, alors qu’au contraire leur travail participe nécessairement à une meilleure formation des juristes.
Si l’on se tourne vers les stages, là encore, les cliniques juridiques ne créent aucun risque de redondance. Tout d’abord les stages sont une mise en situation et une immersion pendant une période donnée tandis que les cliniques exercent leur activité tout au long de l’année, dans un rythme associé à l’enseignement des Universités. Ensuite, ces deux expériences diffèrent dans leurs problématiques et leurs portées, sans d’ailleurs qu’il soit pertinent d’établir une hiérarchie entre elles. Les problématiques étudiées sont le plus souvent très différentes, ne s’adressent pas toujours aux mêmes justiciables et obéissent à une organisation du travail distincte : les étudiants en stage ont généralement une autonomie moins grande que ceux qui collaborent à un projet clinique, même placés sous la supervision de professeurs et de professionnels.
Les cliniques juridiques ont toujours eu une double vocation pédagogique et sociale. C’était le cas à leur création, et ce phénomène s’est accentué avec la baisse, aux Etats-Unis, du financement du Legal Services Corporation depuis le début des années 1980, et qui a entrainé la fermeture de nombreux centres d’aide juridictionnelle. Les cliniques se sont alors emparées de questions de droit qui relevaient notamment de l’accès au droit. C’est pourquoi, aux Etats Unis, les principales problématiques abordées aujourd’hui sont celles du droit d’asile, du droit des étrangers ou de la situation des populations les plus fragiles et les plus marginalisées.
Il convient toutefois de noter, comme le souligne Eric Millard, qu’au vu du développement de certaines cliniques désormais entièrement tournée vers la professionnalisation des étudiants en droit des affaires [11], cette portée sociale n’est plus la seule vocation des cliniques juridiques [12].
Pour examiner l’impact des cliniques, prenons un exemple. Le projet «Street Law» du programme d’accès au droit de la Clinique de Sciences Po, projet lauréat du prix Anthony Mainguené 2018, visait «à ‘amener’ le droit aux personnes dans leur lieu de vie, plutôt qu’inciter les personnes à se déplacer pour solliciter des conseils juridiques» [13].
Les étudiantes ont d’abord cartographié «les espaces où l’information juridique pourrait être utile : centre de santé, centre de jeunes, marché, café, parc…». Ils ont, ensuite, recueilli les témoignages des personnes dans ces lieux afin d’identifier les questions juridiques qui émergeaient. On retrouve à la fois la vocation de faciliter l’accès au droit et l’aspect critique de l’enseignement clinique, puisque l’un des objectifs était de «conscientiser les personnes sur le droit comme instrument civil de pouvoir au-delà de l’incidence du droit comme instrument répressif». Dans un deuxième temps, les étudiants ont élaboré des supports juridiques simples d’accès et ludiques qui servent d’outils dans les espaces locaux du quartier, sortes de kits juridiques à disposition des populations qui ont difficilement accès au droit par d’autres moyens.
Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres : des cliniques assurent des permanences «simples» dans de nombreux domaines, d’autres insistent sur les questions d’accès au droit, à l’image de l’Université de Grenoble dont les étudiants cliniciens effectuent des «maraudes» afin de venir en aide aux plus démunis en matière de droit au logement [14].
De même, le développement de la clinique de Paris, rattachée à l’Université Paris I, est telle qu’elle dispose désormais de plusieurs pôles : droit des étrangers et d’asile, droit social, droit des affaires, droit de la famille, droit pénal, et bénéficie du soutien de la Mairie de Paris et du Barreau de Paris [15].
Il convient enfin de noter que les cliniques sont une opportunité exceptionnelle de réunion des acteurs d’une filière juridique dont il faut reconnaitre qu’elle est parfois fragmentée et dont les espaces d’interaction sont rares ou marqués par des tensions. Rares sont, en effet, les espaces où juristes, avocats, professeurs et magistrats interviennent conjointement autour de projets communs. Or, la filière juridique manque d’unité. Si les représentants institutionnels des différentes professions se fréquentent, les projets conjoints réunissant ces différents acteurs sont peu nombreux. Or la fluidité et la mobilité entre les différentes branches de la communauté juridique constituent des exigences légitimes chez les étudiants en droit, qui ne s’inscrivent pas toujours dans la linéarité professionnelle de leurs ainés. La clinique constitue donc un espace où cette fluidité peut prendre essor.
Les cliniques juridiques sont présentes dans notre environnement universitaire et professionnel et il est essentiel de leur donner le cadre et l’essor qu’elles méritent. Exceptionnels lieux d’apprentissage et d’échanges, espaces où se conjuguent divers mode d’expression du droit, différentes cultures professionnelles, elles ne sont ni un obstacle, ni un concurrent des professions du droit. Bien au contraire, elles participent d’une unité de la filière juridique, d’une valorisation du droit comme nouvelle grammaire sociale, et portent un message d’utilité du droit au bénéfice de chacun. Il conviendra sans doute -afin de rassurer les plus inquiets- de leur accorder un cadre juridique plus formel, en espérant que ce cadre ne portera pas atteinte à la créativité, au formidable rôle social de celles-ci.
[1] J. Frank, Pourquoi pas une école de juristes cliniciens ?, 81, University of Pennsylvania Law Review 907, 1932 – 1933 (traduction par Christophe Jamin) in Les Cahiers de la Justice 2019/2 n° 2 pages 295 à 320.
[2] Conseil National des Barreaux, Programme du colloque sur les cliniques juridiques du 13 juin 2019.
[3] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 54, al. 1 (N° Lexbase : L6343AGZ).
[4] D. Valette, Les cliniques juridiques universitaires, un modèle à inventer, 23 mars 2018, Dalloz Actualité.
[5] J. Perelman, L’enseignement du droit en action : l’émergence des cliniques juridiques en France, Revue Cliniques Juridiques, Volume 1 – 2017.
[6] Voir, à cet égard, C. Jamin, La cuisine du droit. L’Ecole de droit de Sciences Po : une expérimentation française, Paris, Lextenso - Dalloz, 2013.
[7] B. Pitcho, avocat et responsable de la clinique de l’Université Vincennes-Saint-Denis (Paris VIII) in Des élèves juristes aux petits soins pour leurs clients, Le Monde, mercredi 18 avril 2018.
[8] J. Perelman, L’enseignement du droit en action : l’émergence des cliniques juridiques en France, Revue Cliniques Juridiques, Volume 1 – 2017.
[9] Fondateur et directeur du programme de cliniques juridiques à la Harvard Law School.
[10] C’est d’ailleurs par exemple déjà le cas à l’Ecole de formation du Barreau de Paris depuis 2014.
[11] Par exemple, la Clinique Juridique PSL-Dauphine.
[12] E. Millard, Relier savoir et savoir-faire, connaissances et compétences, théorie et pratique. X. Aurey et M.-J. Redor, Les cliniques juridiques, Presses universitaires de Caen, pp. 105--112, 2015.
[13] Projet «Street law» à Saint Ouen description sur le site de l’Ecole de droit de Sciences Po.
[14] Le projet "Equipe juridique mobile" est un «dispositif innovant et unique en France qui vise à apporter un traitement juridique au non recours au droit au logement opposable (DALO) et au droit à l’hébergement opposable (DAHO), tout en renforçant les moyens existants d’accompagnement des publics. Cette expérimentation doit permettre de renforcer le repérage et l’accompagnement des publics en besoin d’hébergement ou de logement, mais aussi de répondre aux questions administratives et juridiques relatives à la constitution d’un dossier de recours au DALO/DAHO». Plus d’informations sur le site de la Clinique Juridique de Grenoble.
[15] Site du Réseau des Cliniques juridiques francophone, page «Clinique juridique de Paris».
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par Charles-André Dubreuil, Agrégé de droit public, Professeur à l’Université Clermont-Auvergne, Centre Michel de l’Hospital (EA 4232), Directeur de la Clinique des droits.
Le 06 Novembre 2019
Mots-clefs : Université • Clinique juridique • Accès au droit • Aide juridique • Formation • Retour d'expérience •
Résumé : "Ce qui n’est pas non plus mis en lumière, car la pédagogie universitaire intéresse peu y compris dans les facultés de droit, est l’impact de cette nouvelle forme d’enseignement sur les pratiques pédagogiques. C’est de cela que l’on souhaiterait discuter dans les brefs développements qui suivent, sans ambition particulière si ce n’est de partager l’expérience acquise au cours de trois années de fonctionnement de la Clinique des droits de Clermont-Ferrand. Il n’est donc pas question de proposer une quelconque méthode transposable à d’autres cliniques juridiques ni de théoriser une méthode de l’enseignement clinique du droit. Tout juste, après avoir évoqué le contexte dans lequel s’inscrit cette étude, d’évoquer les modalités d’enseignement retenues ainsi que la réflexion menée sur les modalités d’évaluation et d’auto-évaluation des étudiants".
On a coutume de présenter l’enseignement délivré dans le cadre des cliniques juridiques universitaires comme l’équivalent de celui qui est offert en faculté de médecine où cohabitent un enseignement académique et une pratique clinique en milieu hospitalier. Il s’agit alors d’un moyen simple et rapide d’exprimer clairement ce que l’expression de «clinique juridique» ne permet pas immédiatement d’appréhender [1].
On conçoit bien, en effet, combien la mise en œuvre pratique de connaissances théoriques acquises tout au long du cursus universitaire est une exigence tant pour les étudiants que pour leurs futurs employeurs.
Les cliniques juridiques qui se développent partout en France sont ainsi un bon moyen de faire taire la rumeur selon laquelle les enseignements délivrés à l’Université par des théoriciens «hors sol» et «ignorants du droit tel qu’il s’applique» seraient totalement déconnectés de la pratique, ne formeraient pas les étudiants aux réalités professionnelles, etc.. Cette réputation a d’ailleurs été largement exagérée si l’on considère le nombre d’enseignements pratiques figurant dans les maquettes de Licence et de Master, la part des cours délivrés par des praticiens, l’importance grandissante des stages et de la formation professionnelle dans le cursus, le développement de techniques innovantes d’enseignement reposant sur des cas ou situations réels.
Ce que l’expression «clinique juridique» ne permet toutefois pas de mettre suffisamment en lumière est la vocation sociale des projets mis en œuvre par les étudiants et leurs enseignants, car dans un nombre important de cas -ce qui a d’ailleurs été le but recherché outre-Atlantique lorsque les premières cliniques juridiques sont apparues [2]- ces cliniques s’adressent principalement aux personnes les plus défavorisées qui, confrontées à des difficultés tant juridiques qu’administratives, se trouvent démunies et sans ressource. En ce sens, leur développement constitue une manière intéressante de lutter contre le non-recours au(x) droit(s) [3]. Et ce d’autant plus, on y reviendra, que l’aide apportée inclut bien souvent un accompagnement à moyen terme qui fait des cliniques juridiques non seulement un moyen de faciliter l’accès au droit [4], mais également un parfait moyen de mise en œuvre des droits.
Ce qui n’est pas non plus mis en lumière, car la pédagogie universitaire intéresse peu y compris dans les facultés de droit [5], est l’impact de cette nouvelle forme d’enseignement sur les pratiques pédagogiques. C’est de cela que l’on souhaiterait discuter dans les brefs développements qui suivent, sans ambition particulière si ce n’est de partager l’expérience acquise au cours de trois années de fonctionnement de la Clinique des droits de Clermont-Ferrand. Il n’est donc pas question de proposer une quelconque méthode transposable à d’autres cliniques juridiques ni de théoriser une méthode de l’enseignement clinique du droit. Tout juste, après avoir évoqué le contexte dans lequel s’inscrit cette étude, d’évoquer les modalités d’enseignement retenues ainsi que la réflexion menée sur les modalités d’évaluation et d’auto-évaluation des étudiants.
Bien que les différents modèles de cliniques juridiques aient pu faire l’objet d’une classification tenant compte tant des domaines d’intervention que des modalités concrètes de mise en œuvre et de pédagogie, la Clinique des droits de l’Université Clermont-Auvergne s’est construite de manière «artisanale» sans référence particulière à un modèle déterminé. Il a, en effet, fallu tenir compte des spécificités locales tenant tant aux thématiques d’enseignement et de recherche des universitaires ayant initié le projet qu’au positionnement de la Maison de Justice et de droit (MJD), du Conseil départemental de l’accès au droit (CDAD) et du conseil de l’Ordre des avocats ainsi que des associations humanitaires partenaires.
Aussi, le schéma général qui a progressivement émergé est le suivant :
Après avoir suivi une formation théorique et pratique de 25 heures en droit des étrangers et droit d’asile ainsi qu’en droit de la nationalité, les étudiants cliniciens accueillent tous les vendredis après-midi dans les locaux de la Maison de Justice et du Droit des personnes rencontrant des difficultés administratives ou juridiques ayant trait de près ou de loin à leur séjour sur le territoire français (entrée et séjour sur le territoire, demande d’asile, logement, scolarisation, prestations sociales, etc.).
En présence d’un avocat dont la permanence est indemnisée par le CDAD et sous la supervision d’un universitaire, les étudiants réalisent un entretien d’une demi-heure en vue de déterminer les problématiques et difficultés auxquelles sont confrontées les personnes reçues et leur apporter une aide la plus efficace possible. Il s’agit, en effet, d’informer ces personnes de leurs droits, des règles applicables à leur situation, mais également de les orienter et de les accompagner dans leurs démarches ultérieures (notamment, rédaction de courriers et constitution de dossiers). En cas d’urgence ou si la situation implique d’initier une procédure judiciaire, l’avocat est en mesure de se saisir du dossier et, s’il l’accepte, d’être accompagné par les étudiants tout au long de la procédure.
Dans le cas inverse (ce qui représente l’immense majorité des situations), les étudiants disposent d’une quinzaine de jours, sous la supervision d’un universitaire, pour procéder aux recherches nécessaires et lui présenter le fruit de leur travail lors d’une réunion dite de «prérestitution» où la parole est totalement libre et la confrontation des points de vue encouragée. C’est lors d’un deuxième entretien que les cliniciens restituent les informations collectées, présentent les diverses démarches envisageables et proposent, le cas échéant, un accompagnement sur le plus long terme.
L’émergence des cliniques juridiques américaines est la conséquence d’une critique, formulée par certains universitaires, des modalités de l’enseignement académique des disciplines juridiques. Schématiquement, il a été reproché aux pédagogies traditionnelles de reposer à titre principal sur l’étude des Codes ou des décisions de justice en vue d’en dégager des règles et principes généraux (case method) [6]. Une telle méthode, également partagée en France dans l’apprentissage de disciplines telles que le droit administratif, a été remise en cause au motif qu’elle ne permettait non seulement pas aux étudiants d’apprécier correctement les règles ainsi dégagées de manière abstraite, mais surtout qu’elle ne leur permettait pas de développer leur esprit critique et leur aptitude à mettre en œuvre concrètement les acquis théoriques. Aussi l’idée des cliniques juridiques destinées à venir en aide aux personnes les plus démunies visait-elle à assurer aux étudiants en droit, de la même manière que ce qui est proposé aux étudiants en médecine, un enseignement pertinent et adapté du droit par le biais du traitement de cas réels.
Une telle approche, dont les prémisses sont partagées par la plupart des promoteurs des cliniques juridiques en France, soulève néanmoins des questions spécifiques que l’on ne peut traiter de la même manière qu’en Amérique du Nord.
Cette approche soulève d’abord la question du statut de l’enseignants-chercheur en droit ou, du moins, de la conception que l’on s’en fait. Car il n’existe pas en France de statut d’enseignant-clinicien tel qu’il peut en exister dans d’autres pays, où l’on voit des praticiens accéder à l’Université en qualité d’enseignant et prendre en charge les activités d’enseignement clinique. Les universitaires français qui s'y consacrent le font donc en partageant le même statut et les mêmes conditions de travail que leurs collègues. Les liens entre l’enseignement et la recherche en droit, d’une part, et la pratique juridique, d’autre part, étant encore très problématiques aujourd’hui au sein de la communauté universitaire, on a ainsi pu craindre que la professionnalisation des études juridiques ne remette en cause le statut de l’enseignant-chercheur [7]. Et les mêmes de s’inquiéter du fait que «transformer les facultés de droit en écoles conduira, à terme, à faire disparaître le droit de l'Université» [8] et remettra en cause son originalité qui est d’associer en son sein activités d’enseignement et recherche.
Cette crainte semble, si ce n’est infondée, du moins largement exagérée. Car la pratique du droit au sein des cliniques juridiques est un atout considérable non seulement pour les étudiants, mais également pour les enseignants qui les encadrent et qui peuvent ainsi enrichir et diversifier leur propre enseignement ainsi que leur recherche. Plutôt que de constituer une menace pour la recherche en droit, on pourrait donc voir dans la pratique qu’autorisent les cliniques juridiques un moyen de la développer et de la rendre plus attractive. Car l’enseignement du droit partage avec l’enseignement de la médecine un point commun qui est de porter sur une discipline qui n’a de sens que parce qu’elle est appliquée à des situations humaines [9].
Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence de prise en compte de la spécificité de l’enseignement clinique du droit, notamment pour ce qui concerne la charge de travail supplémentaire qu’il implique -charge qui n’est d’ailleurs que rarement et partiellement compensée, puisqu’elle est difficilement incluse dans le service des enseignants-chercheurs- il est peu probable que l’on incite beaucoup d’universitaires à se lancer dans l’aventure. De manière volontairement provocatrice, on pourrait même avancer l’idée selon laquelle ce ne sont plus les cliniques juridiques qui menacent le statut d’enseignant-chercheur, mais bien plutôt une conception dépassée du rôle de ce dernier qui empêche les cliniques de se développer. On touche alors du doigt les limites intrinsèques du modèle de clinique universitaire qui tente de se développer dans un cadre qui n’est absolument pas adapté. Preuve en est, même si les choses semblent être en voie d’amélioration, la grande difficulté à intégrer les cliniques juridiques au sein des maquettes, qui côtoieraient ainsi des enseignements jugés plus «nobles». Pour les étudiants et leurs enseignants, l’enseignement clinique est aujourd’hui bien souvent purement bénévole.
Les cliniques juridiques sont fréquemment présentées comme permettant de tester et de mettre en œuvre des méthodes innovantes d’enseignement. Elles sont d’ailleurs régulièrement lauréates de prix et remportent fréquemment des appels à projets visant à valoriser l’innovation pédagogique.
Si l’on partage cette appréciation, il convient toutefois de lui conférer une juste portée.
Car, d’une part, l’innovation pédagogique est loin d’être l’apanage du seul enseignement clinique : nombreux sont, en effet, les enseignants-chercheurs qui s’y investissent avec d’excellents résultats et dont le partage d’expérience enrichit les trop rares échanges existant entre juristes sur ce point.
D’autre part, l’appellation clinique juridique est parfois utilisée pour désigner des modalités d’enseignement du droit consistant à traiter des cas pratiques sans que les méthodes pédagogiques se distinguent véritablement de celles qui sont mises en œuvre dans les écoles professionnelles ou lors de stages et qui permettent d’acquérir des savoirs professionnels autrement appelés «soft skills».
Or, la plus-value pédagogique de l’enseignement clinique du droit dépasse largement les seuls atouts de la professionnalisation des études de droit [10], c’est-à-dire la seule acquisition de compétences professionnelles, aussi indispensables qu’elles paraissent être par ailleurs [11]. Comme le relèvent la plupart des auteurs qui se sont penchés sur la question, il vise à acérer l’esprit critique des étudiants en leur permettant de dévoiler les soubassements idéologiques des règles qu’ils appliquent, d’affermir leur personnalité, de se sensibiliser aux questions éthiques [12]. Il permet aux étudiants de faire la part des choses entre l’enseignement académique qu’ils reçoivent -qui n’est, lui non plus, pas neutre- et la réalité du contexte d’application des règles de droit ; ce qui implique de comprendre leurs finalités et leurs limites et d’intégrer le fait que, confronté à un cas donné, il n’existe pas en soi de bonne ou de mauvaise solution, mais des solutions plus ou moins satisfaisantes selon la situation concrète qu’il s’agit de traiter [13].
Dans le cadre de la clinique des droits de Clermont-Ferrand, la discipline du droit des étrangers et du droit d’asile se prête particulièrement bien à cet apprentissage. Il n’est pas nécessaire de longuement rappeler combien les textes adoptés à l’envi depuis 30 ans sont pétris d’idéologie et manifestent tous un positionnement politique très marqué.
Aussi, les étudiants et leurs enseignants essaient de traduire cette démarche critique de plusieurs manières.
En premier lieu, les étudiants sont les garants, tout au long de leur «clinicat», du respect de la charte de déontologie régissant les relations entre les différents intervenants et qui rappelle, en substance, les principes de déontologie, de confidentialité et de gratuité inhérents à la Clinique des droits. Ils sont ensuite en charge de l’organisation de conférences-débats ou autres manifestations visant à échanger et débattre avec des partenaires fort divers de questions d’actualité touchant aux phénomènes migratoires. L’année 2020 sera, également, pour eux l’occasion d’organiser un colloque consacré au rôle social des cliniques juridiques. Plus généralement, les permanences d’accueil -ainsi que les réunions de travail intermédiaires- sont organisées de manière à laisser un temps d’échange et de parole à chacun afin d’évoquer les situations traitées et de comprendre les raisons ayant conduit les personnes accompagnées à solliciter l’aide des étudiants. Elles permettent, également, aux étudiants d’échanger avec l’avocat présent et d’ainsi confronter leur appréciation des cas qu’il convient d’étudier.
En second lieu, les enseignants doivent parfois adapter la manière d’enseigner leur discipline dès l’instant où il n’est pas question de professer une vérité désincarnée -ce que la plupart d’entre eux ont déjà intégré- mais de questionner les connaissances transmises afin de permettre aux étudiants de se forger une opinion critique de celles-ci. Les méthodes pédagogiques sont ici aussi nombreuses qu’il y a d’enseignants, qui passent par la simulation, l’étude de cas concrets, la mise en situation, l’autoformation en ligne, etc.. Ce faisant, l’enseignement académique est nécessairement enrichi par les interventions de différents acteurs de terrains ou de praticiens.
Au sein de la Clinique des droits, la formation académique préalable à la participation aux permanences hebdomadaires est, de ce fait, particulièrement diversifiée. Elle repose, en premier lieu, sur un enseignement traditionnel d’une dizaine d’heures en droit des étrangers et droit d’asile qui a été jugé indispensable dans la mesure où cette discipline n’est enseignée, pour partie, que dans un seul Master.
Elle repose, en deuxième lieu, sur l’intervention de différents acteurs présents localement : avocats spécialisés lors de séances pratiques ; représentants des administrations compétentes (par ex., OFII) ; représentants d’associations ; étudiants cliniciens dans le cadre de séances de cas pratiques élaborées à partir de cas réels traités par eux.
Elle repose, en troisième lieu, sur un voyage d’études organisé tous les ans à la Cour nationale du droit d’asile, à l’occasion duquel les étudiants sont reçus par un juge et peuvent assister aux audiences, ce qui ne manque pas de les bouleverser parfois, alors même qu’ils sont rompus à l’accueil de personnes en difficultés lors des permanences.
Enfin, et en dernier lieu, cette formation repose sur l’apprentissage de la transmission du savoir à un public beaucoup plus jeune, puisque partenaire du projet «Educadroit» du Défenseur des droits, la Clinique des droits intervient auprès des élèves des écoles primaires de la ville pour évoquer avec eux des questions relatives au droit, à la Justice, à la démocratie, etc.. Ceci suppose, la réalisation d’un travail préparatoire permettant, notamment, de déterminer la meilleure manière d’initier un échange avec des enfants sur des questions parfois sensibles et de les faire réagir.
La mise en place tâtonnante et progressive de la Clinique des droits a conduit à obérer, du moins dans un premier temps, un aspect pourtant fondamental de cette nouvelle manière d’enseigner le droit qu’est l’évaluation des étudiants cliniciens.
Or, l’innovation pédagogique que permet l’enseignement clinique inclut nécessairement une réflexion sur la manière dont doivent être évalués les étudiants et sur la manière dont ils doivent être mis en mesure de s’autoévaluer, ce qui participe de l’apprentissage de l’autonomie et du développement de leur esprit critique. Elle doit donc porter à la fois sur l’acquisition de compétences professionnelles (ce qui constitue l’apport minimal de l’enseignement clinique), mais également sur la manière dont chaque étudiant est en mesure d’évaluer et de faire part de son d’expérience.
Pour ce qui concerne, d’abord, l’acquisition des compétences professionnelles, la Clinique des droits a bénéficié du soutien du programme "Learn’in Auvergne" qui, dans le cadre du projet "I-site", a lancé un appel à projets en vue de valoriser les projets pédagogiques innovants. Dans ce cadre, une réflexion a été menée visant à déterminer les compétences professionnelles à l’acquisition desquelles contribue la Clinique, mais, également, à déterminer la manière dont cette acquisition peut être évaluée.
A l’issue de ce travail, on a retenu une modalité mixte d’évaluation de l’acquisition des compétences professionnelles par les étudiants, qui allie évaluation par les encadrants et auto-évaluation par les étudiants.
L’évaluation par les encadrants -universitaires et praticiens- n’a rien d’originale et s’aligne sur celle qui est prévue à l’issue d’un stage. Il s’agit de porter une appréciation qualitative sur l’acquisition, par chaque étudiant, de compétences professionnelles qui ont été préalablement répertoriées.
En revanche, l’auto-évaluation est beaucoup plus originale en ce qu’elle conduit l’étudiant à devoir apprécier la réalité et la progressivité de son apprentissage et de porter un jugement le plus objectif possible sur son implication et sur la qualité de son travail.
Elle repose sur un questionnaire élaboré en collaboration avec l’équipe du pôle d’ingénierie pédagogique de l’Université. Il dresse une liste de compétences susceptibles de répondre aux futures exigences des employeurs (notamment pour des avocats, magistrats, juristes en entreprise, associations ou collectivités publiques).
Sans entrer dans le détail, ces compétences sont réparties en plusieurs rubriques : direction d’un entretien ; recherche documentaire ; qualité rédactionnelle ; travail en équipe ; respect des règles déontologiques. Pour chacune d’entre elles, quatre paliers sont proposés aux étudiants pour s’autoévaluer :
Palier 1 : débutant ou élémentaire ("je ne me sens ni apte, ni à l'aise ou j'ai besoin d'aide pour le faire")
Palier 2 : intermédiaire ou "niveau de survie" ("je me sens apte, mais pas à l'aise, j'apprécie recevoir de l'aide")
Palier 3 : compétent ou indépendant ou autonome ("je me sens apte et à l'aise, je n'ai pas besoin d'aide")
Palier 4 : expert/maîtrise ou expérimenté ("je me sens apte, à l'aise et en mesure de conseiller autrui sur cette compétence").
Ce questionnaire devra être rempli par les étudiants à trois reprises : après leur formation et avant la première permanence ; à l’issue de leur participation à la Clinique des droits ; un an après avoir quitté la Clinique, afin de faire apparaître la réalité de l’apprentissage au regard des exigences des milieux professionnels. Parallèlement, il est envisagé de soumettre ce même questionnaire à des étudiants n’ayant pas participé à la Clinique, mais ayant réalisé un stage obligatoire au cours de leur Master, afin de mettre en lumière les qualités respectives de ces deux modes de professionnalisation des études du droit.
Pour ce qui concerne, ensuite, l’évaluation non plus de l’acquisition de compétences professionnelles, mais de ce que l’on pourrait désigner par l’expression de «développement personnel du juriste», il est prévu -dès l’instant où l’on sera parvenu à inscrire de manière pérenne l’enseignement clinique dans les maquettes de Master ; ce qui est en bonne voie !- de demander aux étudiants la rédaction d’un rapport d’activité, ou journal de bord, leur permettant, d’une part, de faire état de leur expérience au sein de la Clinique des droits et, d’autre part, de traiter une thématique qu’ils auront choisie afin, en s’appuyant sur les cas qu’ils auront eu à traiter, de développer une analyse personnelle et critique des questions juridiques traitées.
Une telle évaluation mixte et «multicritères» doit assurer, c’est en tout cas le but recherché, la cohérence générale du projet mis en œuvre, autrement dit de faire correspondre les innovations pédagogiques permises par l’enseignement clinique avec le développement des compétences et de l’esprit critique des étudiants. Mais elle n’est pas suffisante pour y parvenir. Elle doit être complétée par une évaluation faite par les étudiants de l’enseignement qui leur est délivré et des modalités de fonctionnement de la clinique. C’est ici encore une difficulté qu’il convient de surmonter, propre au modèle traditionnel de l’enseignement du droit qui ne laisse qu’une place minime, mais grandissante, à l’évaluation officielle des enseignants par les étudiants.
[1] La page d’accueil du site internet du Réseau des cliniques juridiques francophones en donne la définition suivante : «les cliniques juridiques se consacrent à la formation des étudiants en droit par une expérience pratique de cette matière, sous la direction d’enseignants-chercheurs et de professionnels du droit, et généralement au service des populations défavorisées».
[2] Ce que le terme «dispensary» exprime bien.
[3] Sur cette question, V. par ex., Ph. Warin, Qu’est-ce que le non-recours aux droits sociaux ?, La vie des idées, 1er juin 2010.
[4] Sur le rôle joué par les cliniques juridiques dans l’accès au droit, v., dans cette même édition, O. Fontibus, Les cliniques du droit, outil de formation universitaire et d’accès au droit : un encadrement nécessaire, Lexbase Professions, n° 295, 2019 (N° Lexbase : N0974BYQ).
[5] Cette appréciation sévère doit en réalité être nuancée. V., not., S. Babcock, Clinique juridique, enseignement du droit et accès à la Justice, 19/11/2014 ; S. Hennette-Vauchez et D. Roman, Pour un enseignement clinique du droit, LPA, 2006, n° 2019, p. 3.
[6] V., en ce sens, S. Babcock, préc.
[7] H. Croze, Recherche juridique et professionnalisation des études de droit, D., 2005, p.908
[8] M. Grynbaum, cité in H. Croze, Ibid.
[9] Ibid et N. Olszak, La professionnalisation des études de droit. Pour le développement d'un enseignement clinique (au-delà de la création d'une filière «hospitalo-universitaire" en matière juridique), D., 2005, p. 1172.
[10] S. Hennette-Vauchez et D. Roman, Pour un enseignement clinique du droit, LPA, 2006, n° 2019, p.3 : selon les auteures : «l'Université doit être, au moins dans un premier temps, un lieu où l'on apprend aux étudiants à se servir de leur intelligence avant d'être un lieu où leur seraient dispensés des savoirs immédiatement pratiques et opératoires [...]. En d'autres termes, l'enseignement clinique n'a pas vocation à concurrencer l'enseignement traditionnel du droit, ni même à le marginaliser, mais bien à le compléter utilement». V., égal., Ch. Jamin, Cliniques du droit : innovation versus professionnalisation ?, D., 2014, p. 675.
[11] Selon S. Hennette-Vauchez et D. Roman, les cliniques juridiques permettant à «l'enseignement des aspects procéduraux et institutionnels, inhérents à chaque discipline juridique, (de bénéficier), à travers l'expérience clinique, d'un éclairage nouveau de nature à faciliter sa compréhension».
[12] N. Olszak, préc.
[13] S. Babcock, préc.
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newsid:470975
Réf. : Cass. civ. 3, 24 octobre 2019, n° 18-24.077, F-P+B+I (N° Lexbase : A4722ZSP)
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N0945BYN
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par Julien Prigent
Le 06 Novembre 2019
► Le congé du preneur notifié pour une échéance triennale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ne peut être déclaré nul, alors que les dispositions de l’article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L9957LMQ), dans leur rédaction applicable au moment où il a été notifié, permettaient de donner congé, notamment, sous cette forme.
Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 24 octobre 2019 (Cass. civ. 3, 24 octobre 2019, n° 18-24.077, F-P+B+I N° Lexbase : A4722ZSP).
L'affaire. En l’espèce, le 1er septembre 2010, le locataire principal de locaux à usage commercial en avait sous-loué une partie. Par lettre recommandée du 18 février 2016, le sous-locataire lui avait donné congé pour l’échéance triennale du 1er septembre 2016.
Les juges du fond (CA Caen, 6 septembre 2018, n° 16/02685 N° Lexbase : A4568X3L) avaient déclaré nul ce congé. Ils avaient considéré que le congé visant à mettre un terme à un bail commercial ne peut être délivré par le preneur que dans les délais et suivant les modalités prévues par l’article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2009KGI) qui, dans sa version applicable au 16 février 2016 et issue de la loi du 6 août 2015 (loi n° 2015-990 N° Lexbase : L4876KEC), imposait la délivrance du congé par acte extrajudiciaire.
La décision. La décision est censurée. La Cour de cassation rappelle en effet que l’article L. 145-4 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015, confère au preneur la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire.
Précisions. Si la Haute cour ne se prononce pas directement sur ce point, il peut être déduit de la solution qu’elle énonce que les nouvelles dispositions relatives à la forme du congé sont applicables aux baux conclus antérieurement à leur entrée en vigueur, certainement en application de la règle selon laquelle les effets légaux d'un contrat sont régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent (cf. l'Ouvrage «Baux commerciaux» N° Lexbase : E3963AZS).
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newsid:470945
Réf. : Ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : Z955378U)
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N0965BYE
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 06 Novembre 2019
► A été publiée au Journal officiel du 31 octobre 2019, l’ordonnance portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis (ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 N° Lexbase : Z955378U), prise en application du II de l'article 215 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite «ELAN» (N° Lexbase : L8700LM8).
Comme l’indique le rapport au Président de la République, cette ordonnance prévoit un ensemble de mesures visant à améliorer la gestion des immeubles et à prévenir les contentieux, destinées à :
1° redéfinir le champ d'application et adapter les dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L5536AG7), au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété, d'une part, et modifier les règles d'ordre public applicables à ces copropriétés, d'autre part ;
2° clarifier, moderniser, simplifier et adapter les règles d'organisation et de gouvernance de la copropriété, celles relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires ainsi que les droits et obligations des copropriétaires, du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic.
L'ordonnance comprend six titres et 42 articles : le titre Ier traite de la structure juridique de l'immeuble en copropriété, le titre II des dispositions relatives à l'administration de la copropriété, le titre III de la prise de décision au sein de la copropriété, le titre IV des dispositions propres à certaines copropriétés, le titre V des dispositions diverses et le titre VI des dispositions transitoires et finales.
Comme prévu, l’une des grandes nouveautés réside dans l'aménagement de mesures spécifiques aux petites copropriétés.
Les autres mesures notables concernent, notamment :
- le renforcement du rôle et des pouvoirs du conseil syndical, avec notamment la possibilité pour l’assemblée générale de lui octroyer une délégation générale pour tout ou partie des décisions relevant de la majorité simple ;
- la clarification des règles applicables au contrat de syndic, notamment en cas de non-renouvellement et de résiliation, ainsi que celles relatives à l'obligation de mise en concurrence des projets de contrats de syndic mise à la charge du conseil syndical.
- la clarification et la simplification des modalités de prise de décision en assemblée générale, afin de remédier à l'inertie de certains copropriétaires, absents lors des assemblées générales, et de faciliter la réalisation de travaux d'intérêt collectif dans les parties privatives.
A noter : à la grande surprise générale de tous ceux qui avaient suivi le projet, la suppression, dans la version publiée au JO, de la mise en place obligatoire d’un plan pluriannuel de travaux (PPT) pour les copropriétés de plus de 15 ans, qui constituait l’une des mesures phares du texte à l'état de projet.
Entrée en vigueur : conformément aux dispositions du II de l'article 215 de la loi «ELAN», l’ordonnance entrera en vigueur le 1er juin 2020 (à l’exception de deux dispositions concernant l’ouverture de compte bancaire séparé dans les petites copropriétés, pour lesquelles la date est repoussée au 31 décembre 2020).
La revue Lexbase Hebdo - édition privée reviendra, bien sûr, très prochainement en détail sur l’ensemble des dispositions, dans le cadre d’un numéro spécial consacré à la réforme.
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newsid:470965
Réf. : Cons. const., décision n° 2019-810 QPC, du 25 octobre 2019 (N° Lexbase : A5363ZSG)
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N0959BY8
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par Marie Le Guerroué
Le 06 Novembre 2019
► Les irrégularités manifestes qu'il appartient au transporteur de déceler sous peine d'amende, au moment de l'embarquement, lors du contrôle des documents requis, sont celles susceptibles d'apparaître à l'occasion d'un examen normalement attentif de ces documents par un agent de la compagnie ; en instaurant cette obligation, le législateur n'a pas entendu associer les transporteurs aériens au contrôle de la régularité de ces documents effectué par les agents de l'Etat en vue de leur délivrance et lors de l'entrée de l'étranger sur le territoire national.
Ainsi statue le Conseil constitutionnel dans une décision du 5 octobre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-810 QPC, du 25 octobre 2019 N° Lexbase : A5363ZSG).
Litige. Le ministre de l'Intérieur avait infligé à la société Air France deux amendes de 5 000 euros chacune sur le fondement des articles L. 625-1 (N° Lexbase : L9308K4I) et L. 625-5 (N° Lexbase : L9306K4G) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CAA Paris, 10 décembre 2018, n° 17PA03680 N° Lexbase : A6666YQX).
QPC. Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité, posée par la société Air France (CE 2° et 7° ch.-r., 31 juillet 2019, n° 427744 N° Lexbase : A7424ZK8), relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 625-1 et L. 625-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Textes. Le Conseil rappelle que le premier de ces textes punit d'une amende l'entreprise de transport aérien qui débarque sur le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par le droit applicable. Le second texte prévoit que cette amende n'est pas infligée en particulier lorsque l'entreprise établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.
Grief. Il était reproché à ces dispositions, par la société, de permettre qu'un transporteur aérien soit sanctionné même lorsqu'il a procédé au contrôle des documents de voyage à l'embarquement et que l'irrégularité qui les affecte n'a pas été détectée par les services compétents de l'Etat lors de leur délivrance. Ces dispositions auraient ainsi eu pour effet de déléguer au transporteur, en violation de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M), l'accomplissement d'opérations de contrôle incombant aux seules autorités publiques.
Plein contrôle. S'agissant d'un régime de sanction des transporteurs aériens trouvant son origine dans le droit européen, le Conseil constitutionnel devait, pour répondre à la question soulevée, déterminer la nature de son contrôle. Il relève à cet égard que les dispositions contestées, propres au droit national, ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la Directive du 28 juin 2001 (N° Lexbase : L7710AU4) et exerce en conséquence un plein contrôle de leur conformité à la Constitution.
Réponse. Le Conseil constitutionnel juge, en réponse à la critique tirée de la méconnaissance de l'article 12 précité, dont il résulte l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la «force publique» nécessaire à la garantie des droits, que les irrégularités manifestes qu'il appartient au transporteur de déceler sous peine d'amende, en application des dispositions contestées, au moment de l'embarquement, lors du contrôle des documents requis, sont celles susceptibles d'apparaître à l'occasion d'un examen normalement attentif de ces documents par un agent de la compagnie. En instaurant cette obligation, le législateur n'a pas entendu associer les transporteurs aériens au contrôle de la régularité de ces documents effectué par les agents de l'Etat en vue de leur délivrance et lors de l'entrée de l'étranger sur le territoire national.
Rejet. Rejetant également des griefs tirés de la méconnaissance des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, du principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait et du principe d'égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions du 2° de l'article L. 625-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être déclarées conformes à la Constitution.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2019-811 QPC du 25 octobre 2019 (N° Lexbase : A5364ZSH)
Lecture: 2 min
N0961BYA
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par Yann Le Foll
Le 06 Novembre 2019
► Pour les élections au Parlement européen, la volonté du législateur d’admettre à la répartition des sièges les seules listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés n’est pas contraire à la Constitution.
Telle est la solution d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 25 octobre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-811 QPC du 25 octobre 2019 N° Lexbase : A5364ZSH).
Contexte. En instituant un seuil pour accéder à la répartition des sièges au Parlement européen, le législateur a, dans le cadre de la participation de la République française à l'Union européenne prévue à l'article 88-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0911AH9), poursuivi un double objectif. D'une part, il a entendu favoriser la représentation au Parlement européen des principaux courants d'idées et d'opinions exprimés en France et, ainsi, renforcer leur influence en son sein. D'autre part, il a entendu contribuer à l'émergence et à la consolidation de groupes politiques européens de dimension significative. Ce faisant, il a cherché à éviter une fragmentation de la représentation qui nuirait au bon fonctionnement du Parlement européen. Ainsi, même si la réalisation d'un tel objectif ne peut dépendre de l'action d'un seul Etat membre, le législateur était fondé à arrêter des modalités d'élection tendant à favoriser la constitution de majorités permettant au Parlement européen d'exercer ses pouvoirs législatifs, budgétaires et de contrôle.
Décision. En fixant à 5 % des suffrages exprimés le seuil d'accès à la répartition des sièges au Parlement européen, le législateur a retenu des modalités qui n'affectent pas l'égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée et qui ne portent pas une atteinte excessive au pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et d'égalité devant le suffrage doivent être écartés.
Les dispositions contestées (les mots «ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés» figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977, relative à l'élection des représentants au Parlement européen N° Lexbase : L7791AIE, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018, relative à l'élection des représentants au Parlement européen {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 46319883, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "LOI n\u00b0 2018-509 du 25 juin 2018 relative \u00e0 l'\u00e9lection des repr\u00e9sentants au Parlement europ\u00e9en (1)", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L7996LKD"}}), qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
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newsid:470961
Réf. : Cass. com., 23 octobre 2019, n° 18-21.125, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0883ZSI)
Lecture: 3 min
N0950BYT
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par Vincent Téchené
Le 06 Novembre 2019
► Si l’article L. 661-6, III, du Code de commerce (N° Lexbase : L2742LB8) accorde au débiteur le droit de former appel, en vue de sa réformation, du jugement qui arrête ou rejette le plan de cession de son entreprise, mettant ainsi fin à toute difficulté quant à la qualité du débiteur à agir, ce texte n’exclut pas pour autant que, conformément à la règle de droit commun énoncée par l’article 546, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6697H78), le débiteur doive justifier de son intérêt à interjeter appel.
Telle est la solution énoncée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 octobre 2019 (Cass. com., 23 octobre 2019, n° 18-21.125, FS-P+B+I N° Lexbase : A0883ZSI).
L’affaire. Une société exploitant un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie a été mise en redressement puis liquidation judiciaires. Le tribunal a arrêté le plan de cession dont la débitrice a relevé appel. Un premier arrêt d’appel a déclaré la débitrice irrecevable (CA Lyon, 28 janvier 2016, n° 15/09777 N° Lexbase : A9358N4D). La Cour de cassation a ainsi censuré l’arrêt d’appel (Cass. com., 12 juillet 2017, n° 16-12.544, F-P+B+I N° Lexbase : A6552WMM ; lire N° Lexbase : N9545BWG). Sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Lyon déclare, de nouveau, l’appel de la débitrice irrecevable (CA Lyon, 7 juin 2018, n° 17/06827 N° Lexbase : A5142XQI).
La décision. Saisie d’un nouveau pourvoi, la Cour de cassation le rejette. Elle énonce que, si elle a jugé, le 12 juillet 2017, que le débiteur était, en raison de sa seule qualité, recevable à former appel du jugement qui arrête le plan de cession de son entreprise, sans qu’il y ait lieu de vérifier, en outre, l’existence de son intérêt propre, cette jurisprudence, non suivie par l’arrêt attaqué, a en outre soulevé des controverses doctrinales, justifiant sa réévaluation. Ainsi, au visa des articles L. 661-6, III, du Code de commerce, 31 (N° Lexbase : L1169H43) et 546 du Code de procédure civile, ensemble l’article L. 661-7, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3498ICK), elle retient qu’il résulte de la combinaison des trois premiers textes que si le débiteur a qualité à interjeter appel du jugement arrêtant le plan de cession, il doit en outre justifier d’un intérêt personnel à exercer cette voie de recours. Par ailleurs, Il résulte du dernier texte que le pourvoi n’est ouvert qu’au ministère public à l’encontre des arrêts statuant sur le plan de cession de l’entreprise et il n’est dérogé à cette règle, comme à toute autre interdisant ou différant un recours, qu’en cas d’excès de pouvoir. Ainsi, la cour d’appel ayant relevé que la débitrice n’avait proposé aucun plan de redressement, ne s’était pas, non plus, opposée à la cession de l’entreprise et que les seuls intérêts soutenus à l’appui de l’appel étaient ceux de son dirigeant, en raison des cautionnements qu’il avait souscrits, et d’un candidat repreneur évincé, tous deux étant irrecevables à former un tel recours, elle n’a pas, en déclarant l’appel de la débitrice irrecevable faute d’intérêt, commis d’excès de pouvoir, de sorte que son pourvoi n’est pas recevable.
Précision. Comme elle l’énonce très clairement dans son arrêt, la Cour de cassation opère ici un revirement par rapport à son précédent arrêt rendu le 12 juillet 2017 dans la même affaire (cf. l’Ouvrage «Entreprises en difficulté» {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 6605871, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "L'appel de la d\u00e9cision statuant sur le plan de cession", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E3161EUM"}}).
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newsid:470950
Réf. : Ass. plén., 25 octobre 2019, n° 17-86.605 (N° Lexbase : A5365ZSI)
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N0947BYQ
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par June Perot
Le 06 Novembre 2019
► Ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression la diffusion, lors d’une émission de télévision, d’une affiche qui associe une personnalité politique, candidate à l’élection présidentielle, à un excrément, dès lors que cette affiche, initialement publiée dans un journal revendiquant le droit à l’humour et à la satire, comporte une appréciation du positionnement politique de cette candidate à l’occasion de l’élection et a été montrée avec d’autres affiches parodiant chacun des candidats, dans la séquence d’une émission polémique s’apparentant à une revue de presse, mention étant expressément faite que ces affiches émanent d’un journal satirique et présentent elles-mêmes un caractère polémique.
C’est ainsi que l’Assemblée plénière a tranché le litige qui lui était soumis dans un arrêt du 25 octobre 2019 (Ass. plén., 25 octobre 2019, n° 17-86.605 N° Lexbase : A5365ZSI).
Résumé des faits. Courant 2012, lors de l’émission On n’est pas couché, diffusée par France 2, l’animateur a présenté à l’antenne plusieurs affiches parodiques attribuées à des candidats à l’élection présidentielle, qui avaient été publiées dans le journal Charlie Hebdo. Dans celle attribuée à la candidate du Front national, la représentation d’un excrément fumant était surmontée du texte : «X..., la candidate qui vous ressemble». La candidate a déposé plainte avec constitution de partie civile. Le présentateur a été poursuivi pour complicité d’injures publiques envers un particulier. Le tribunal correctionnel a relaxé l’animateur et a, en outre, rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la candidate. Celle-ci ayant interjeté appel, la cour d’appel de Paris, qui, en l’absence d’appel du ministère public, n’était investie que du pouvoir de statuer sur l’action civile, a confirmé le jugement en ses dispositions civiles. L’intéressé a formé un pourvoi en cassation. Par arrêt du 20 septembre 2016 (Cass. crim., 20 septembre 2016, n° 15-82.942, FS-P+B N° Lexbase : A9922R3U), la Chambre criminelle a cassé l’arrêt d’appel aux motifs que «le dessin et la phrase poursuivis, qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile en l’associant à un excrément, fût-ce en la visant en sa qualité de personnalité politique lors d’une séquence satirique de l’émission précitée, dépassaient les limites admissibles de la liberté d’expression». La cour d’appel de Paris, autrement composée, a, de nouveau, confirmé le jugement en ses dispositions civiles. L’intéressé a formé un pourvoi contre cet arrêt.
Rejet du pourvoi. Ce pourvoi est rejeté par l’Assemblée plénière, dont l’arrêt permet de dégager plusieurs enseignements (v. Note explicative relative à l’arrêt disponible sur le site de la Cour de cassation) :
Les Hauts magistrats énoncent que la dignité de la personne humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ). Si elle est de l’essence de la Convention (CEDH, 22 novembre 1995, Req. 47/1994/494/576, S.W. c/ Royaume-Uni N° Lexbase : A8378AW9, § 44), elle ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression. Dès lors, pour déterminer si la publication litigieuse peut être incriminée, il suffit de rechercher si elle est constitutive d’un abus dans l’exercice du droit à la liberté d’expression.
S’agissant de l’exigence de proportionnalité, celle-ci implique de rechercher si, au regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression. En l’absence de dépassement de ces limites, et alors même que l’injure est caractérisée en tous ses éléments constitutifs, les faits objet de la poursuite ne peuvent donner lieu à des réparations civiles. En l’espèce, l’arrêt retient que l’affiche, qui a été publiée dans un journal revendiquant le droit à l’humour et à la satire, comporte une appréciation du positionnement politique de la candidate à l’occasion de l’élection présidentielle et a été montrée par l’animateur avec d’autres affiches parodiant chacun des candidats à l’élection présidentielle, dans la séquence d’une émission polémique s’apparentant à une revue de presse, mention étant expressément faite que ces affiches émanent d’un journal satirique et présentent elles-mêmes un caractère polémique. La cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée de cette affiche à la lumière des éléments extrinsèques qu’elle a souverainement analysés, en a déduit, à bon droit, que la publication litigieuse ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression.
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Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2019, n° 18-16.057, F-P+B (N° Lexbase : A6522ZSD)
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N0958BY7
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par Charlotte Moronval
Le 06 Novembre 2019
► L’autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date d’envoi de la convocation à l’entretien préalable au licenciement ; est ainsi irrégulier le licenciement, sans autorisation de l’inspecteur du travail, du salarié convoqué à l’entretien préalable avant le terme de la période de protection, peu important que l’employeur dans la lettre de licenciement retienne par ailleurs des faits commis postérieurement à l’expiration de la période de protection.
Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 23 octobre 2019 (Cass. soc., 23 octobre 2019, n° 18-16.057, F-P+B N° Lexbase : A6522ZSD).
Dans les faits. Un ancien délégué du personnel dont la protection s'achève le 5 mai, est convoqué le 28 avril à un entretien préalable à son licenciement fixé au 9 mai. Il est licencié pour cause réelle et sérieuse le 15 mai. L'employeur ne sollicite pas l'autorisation de l'inspection du travail, estimant que bien qu'une partie des faits reprochés avaient été commis pendant la période de protection, certains faits reprochés au salarié avaient été commis postérieurement à la période de protection.
La position de la cour d’appel. Le salarié est débouté par la cour d’appel (CA Basse-Terre, 5 février 2018, n° 16/00278 N° Lexbase : A0743YHY) de sa demande en nullité de licenciement et de ses demandes subséquentes de réintégration dans l’entreprise. Il forme un pourvoi devant la Cour de cassation.
La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel. En statuant comme elle l’a fait, alors qu’elle avait constaté que l’employeur avait engagé la procédure de licenciement tandis que le salarié bénéficiait encore d’une protection et que l’employeur n’avait pas saisi l’inspecteur du travail, la cour d’appel a violé l’article L. 2411-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0150H9G), dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7628LGM) (sur Les délégués du personnel, bénéficiaires de la protection spéciale contre le licenciement, cf. l'Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9525ESL).
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Réf. : CE, 1° et 4° ch.-r., 21 octobre 2019, n° 419996, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9752ZRM)
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N0944BYM
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par Laïla Bedja
Le 06 Novembre 2019
► Alors même qu'elles sont, par elles-mêmes, dépourvues d'effets juridiques, les recommandations de l’ANSM litigieuses, prises par une autorité administrative, ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des demandeurs et titulaires d'autorisation de mise sur le marché et d'enregistrements, ainsi que sur les comportements de consommation des patients recourant à l'automédication, et sont de ce fait de nature à produire des effets notables ; dans ces conditions, ces recommandations doivent être regardées comme faisant grief aux laboratoires pharmaceutiques, notamment ceux commercialisant des spécialités non soumises à prescription médicale, et sont par suite susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
C’est en ce sens que s’est prononcé le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 21 octobre 2019 (CE, 1° et 4° ch.-r., 21 octobre 2019, n° 419996, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9752ZRM).
L’affaire. L'Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA) demande au Conseil d'Etat d’annuler pour excès de pouvoir les recommandations, adoptées en janvier 2018 par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), intitulées «Etiquetage des conditionnements des médicaments sous forme orale solide (hors homéopathie) - Recommandations à l'attention des demandeurs et titulaires d'autorisations de mise sur le marché et d'enregistrements» et celles intitulées «Noms des médicaments : recommandations à l'attention des demandeurs et titulaires d'autorisations de mise sur le marché et d'enregistrements» en tant qu'elles interdisent l'utilisation de «marques ombrelles». Ces deux recommandations ont été mises en ligne sur le site internet de l’ANSM en janvier 2018. Par ces recommandations, élaborées à l'issue d'une évaluation du risque d'erreurs médicamenteuses liées au nom et à l'étiquetage des médicaments, l’ANSM a précisé les éléments qu'elle entendait prendre en considération, à l'occasion de l'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché ou de modification d'autorisation, pour apprécier le respect des dispositions applicables au nom et au conditionnement des médicaments, afin de contribuer à la prévention des erreurs médicamenteuses.
Précisions sur la pratique des «marques ombrelles». Cette pratique consiste, pour un titulaire d'autorisations de mises sur le marché de médicaments pouvant être délivrés sans prescription médicale, soit à utiliser un même nom de fantaisie pour plusieurs médicaments dont la composition en substances actives et les indications thérapeutiques sont différentes, soit à choisir, pour un médicament, un nom de fantaisie qui partage tout ou partie du nom d'un autre produit de santé tel un dispositif médical, d'un produit cosmétique ou encore d'une denrée alimentaire.
La solution. Enonçant la solution précitée, le Conseil d’Etat rejette les requêtes de l'Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable.
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