Réf. : Assemblée nationale, Rapport d'information sur l'aide juridictionnelle, n° 2183
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par Marie Le Guerroué
Le 04 Septembre 2019
► Mardi 23 juillet 2019 a été publié un rapport parlementaire qui vient conclure les travaux d’une mission d’information sur l’aide juridictionnelle et présente 35 propositions pour améliorer le dispositif et, notamment, une revalorisation régulière de la rétribution des avocats prenant en compte l’évolution des contentieux et des frais de fonctionnement des avocats (Assemblée nationale, Rapport d'information sur l'aide juridictionnelle, n° 2183).
Le rapport, présenté par les députés Philippe Gosselin et Naïma Moutchou, rappelle que le dispositif de l’AJ a été mis en place par la loi du 10 juillet 1991 (loi n° 91-647, relative à l'aide juridique N° Lexbase : L8607BBE) et constate qu’aujourd’hui le dispositif est victime de son succès au regard de l’explosion du nombre de bénéficiaires et, consécutivement, de l’augmentation des dépenses de l’AJ alors que, dans le même temps, les avocats dénoncent l’insuffisance de leur rétribution.
Pour améliorer le dispositif, les députés formulent 35 propositions :
Proposition n° 1 : instaurer un schéma directeur départemental de l’accès au droit recensant les besoins, programmant la réalisation d’équipements ou d’actions, fixant les contributions de chacun des acteurs et impliquant davantage les collectivités territoriales ;
Proposition n° 2 : installer un point d’accès au droit dans chaque tribunal de grande instance ;
Proposition n° 3 : installer un point d’accès au droit dans chaque maison France services ;
Proposition n° 4 : mieux articuler l’action des structures d’accès au droit avec les services d’accueil unique du justiciable et les bureaux d’aide juridictionnelle ;
Proposition n° 5 : conserver le formulaire de demande d’aide juridictionnelle dans sa version papier ;
Proposition n° 6 : mentionner dans le formulaire de demande d’aide juridictionnelle l’existence de la notice d’aide et remettre systématiquement aux demandeurs les deux documents ;
Proposition n° 7 : mettre en place un dossier unique par justiciable ;
Proposition n° 8 : recruter les présidents des bureaux de l’aide juridictionnelle de préférence parmi des magistrats en activité ou, à tout le moins, s’assurer que chaque président de bureau de l’aide juridictionnelle bénéficie d’une formation spécifique ;
Proposition n° 9 : regrouper les bureaux d’aide juridictionnelle au niveau des cours d’appel ;
Proposition n° 10 : renforcer la place des magistrats et des greffiers au sein des effectifs du bureau d’aide juridictionnelle ;
Proposition n° 11 : relever les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle au niveau du SMIC net ;
Proposition n° 12 : retenir comme critère d’appréciation des ressources du demandeur d’aide juridictionnelle le revenu fiscal de référence ;
Proposition n° 13 : diffuser les dispositions et les décisions les plus emblématiques sur le caractère manifestement irrecevable ou dénué de fondement d’un recours.
Proposition n° 14 : compléter l’article 34 du décret n° 91-1266 du 19 décembre (N° Lexbase : L0627ATE) ;
1991 afin de prévoir la production d’une copie de l’assignation ou de la requête lorsque la juridiction est déjà saisie ;
Proposition n° 15 : introduire en matière civile, en appel, des critères plus rigoureux relatifs au bien-fondé de la procédure et à la proportionnalité de l’enjeu à la demande ;
Proposition n° 16 : permettre l’accès des BAJ aux bases de l’administration fiscale afin de permettre l’automatisation du contrôle des ressources ;
Proposition n° 17 : encourager les chefs de cour à conduire une démarche d’harmonisation des pratiques des bureaux d’aide juridictionnelle, dans la perspective de leur regroupement à moyen terme.
Proposition n° 18 : sous réserve d’une évolution du périmètre des commissions d’office, instaurer un circuit ad hoc de traitement des demandes d’aide juridictionnelle pour les avocats commis d’office ;
Proposition n° 19 : prévoir que l’aide juridictionnelle est accordée, de droit, sans condition de ressources pour les victimes de violences conjugales et que ces dernières bénéficient de l’aide juridictionnelle dès le dépôt de plainte ;
Proposition n° 20 : garantir une revalorisation régulière de la rétribution des avocats prenant en compte l’évolution des contentieux et des frais de fonctionnement des avocats ;
Proposition n° 21 : revaloriser l’aide juridictionnelle en cas de médiation, afin de développer ce mode alternatif de règlement des conflits ;
Proposition n° 22 : développer la contractualisation locale entre les tribunaux de grande instance et les barreaux en fusionnant les différents dispositifs et en améliorant la visibilité de la dotation complémentaire versée dans le cadre de cette contractualisation ;
Proposition n° 23 : relancer, dans les tribunaux de grande instance volontaires, les expérimentations de structures dédiées employant des avocats salariés à temps partiel et sur une durée limitée.
Proposition n° 24 : mener avec les barreaux une réflexion sur le regroupement des caisses des règlements pécuniaires des avocats ;
Proposition n° 25 de Mme Naïma Moutchou : mettre en place, pour les contentieux civils et administratifs, un droit de timbre de 50 euros, dont seraient exonérés les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et dont le produit serait affecté à un compte spécial destiné à financer le relèvement des plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle au niveau du SMIC net et l’attribution de plein de droit de l’aide aux victimes de violences conjugales ;
Proposition n° 26 de M. Philippe Gosselin : mettre en place, pour les contentieux civils et administratifs, un droit de timbre de 50 euros, dont le montant serait réduit de moitié pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et le produit affecté à un compte spécial destiné à financer le relèvement des plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle au niveau du SMIC net et l’attribution de plein de droit de l’aide aux victimes de violences conjugales ;
Proposition n° 27 : introduire, dans la formation initiale des greffiers, un module relatif au recouvrement ;
Proposition n° 28 : poursuivre la dématérialisation du circuit de recouvrement et veiller à sa bonne articulation avec la mise en place du système d’information de l’aide juridictionnelle ;
Proposition n° 29 : étudier la possibilité d’une forfaitisation du montant à recouvrer ;
Proposition n° 30 : rendre le mécanisme prévu par l’article 37 de la loi du 10 juillet de 1991 plus incitatif en prévoyant que la condamnation de la partie perdante porte sur une somme égale à la part contributive de l’État majorée d’un pourcentage à déterminer ;
Proposition n° 31 : insérer dans le code des assurances une disposition selon laquelle la prime relative à l’assurance de protection juridique doit faire l’objet d’une mention spécifique dans l’avis d’échéance du contrat ;
Proposition n° 32 : introduire, parmi les garanties minimales qui doivent figurer dans un contrat d’assurance de protection juridique, l’assistance obligatoire d’un avocat librement choisi quelle que soit la procédure engagée et, pour les procédures visant à la réparation d’un dommage corporel, l’assistance d’un médecin expert ;
Proposition n° 33 : engager une concertation avec les sociétés d’assurance afin d’étendre le champ des litiges couverts par l’assurance de protection juridique à de nouveaux contentieux.
Proposition n° 34 : étendre l’assurance de groupe aux contrats d’assurance de protection juridique ;
Proposition n° 35 : dématérialiser l’envoi des attestations de non-prise en charge par les assureurs et systématiser la demande d’une attestation de l’assureur pour toutes les demandes d’aide juridictionnelle en matière civile et administrative (cf. l'Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E8635ETY).
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par François Saint-Pierre, Avocat*
Le 24 Octobre 2019
Mots-clefs : Etude • Avocats • Liberté de parole et d'argumentation • Poursuites pénales • Pousuites disciplinaires
Les avocats paraissent désabusés : ils désespèrent de se faire entendre des juges qui, à les en croire, ne les écouteraient plus, quoi qu’ils disent et quelle que soit leur cause, dans les tribunaux. Signe des temps, le SAF (le Syndicat des avocats de France) a titré son dernier colloque de défense pénale, qui s’est tenu en mai 2019, comme chaque année à Marseille : «Cause toujours…» ! Christian Saint-Palais, le président de l’ADAP (l’Association des avocats pénalistes), y est intervenu pour le déplorer : «jamais nous n’accepterons, nous les avocats, d’être interrompus pendant une plaidoirie. Il y a un caractère presque sacré de cette parole», a-t-il plaidé avec l’énergie du désespoir, avant d’ajouter qu’un «bon avocat pénaliste ne peut être le plus poli du barreau» !
Mais si l’on se retourne sur notre histoire judiciaire, les exemples de censure et de poursuites d’avocats ne manquent pas : de Fernand Labori, qui se vit interdire de poser toute question par le président de la cour d’assises lors du procès d’Emile Zola, alors que ses confrères lui crachaient dessus dans les couloirs du Palais de justice, en passant par Jacques Vergès et Jacques Isorni, tous les deux suspendus pour outrage envers les juges des tribunaux militaires devant lesquels ils défendaient leurs clients du FLN ou de l’OAS, la liste est longue des avocats sanctionnés pour avoir dénoncé un abus ou une injustice [1] - sans avoir pour autant manqué à la politesse…
Lorsque l’on prend ainsi la mesure de l’évolution des règles qui gouvernent la matière, l’on se rend vite compte que le pessimisme ambiant est trompeur : les avocats bénéficient désormais d’une liberté de parole plus grande et mieux garantie qu’autrefois, dans les tribunaux mais aussi dans les médias. Ce sont les paramètres de cette liberté qui ont changé et qu’il nous faut étudier.
Les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de cassation, mais aussi celle du Conseil constitutionnel, en fixent les nouveaux curseurs. Chacun doit les connaître : tant les avocats, pour qu’ils s’expriment librement, sans crainte d’être interrompus ou poursuivis, que les magistrats, qui se doivent de les écouter sans réflexe de rejet ou, pour ainsi dire, de fermeture d’écoutilles, mais au contraire avec attention, impassibles, conscients de la nécessité de cette liberté de parole, sans laquelle aucun procès ne saurait être équitable.
→ La notion classique d’immunité judiciaire
Une première donnée capitale est à prendre en ligne de compte : la notion classique d’immunité judiciaire a beaucoup perdu de sa force, au cours des années passées. Jadis, les avocats plaidaient à l’abri de cette immunité, persuadés qu’elle les protégeait de toute mise en cause personnelle à la suite des propos même excessifs qu’ils pouvaient tenir en robe, à l’audience.
Le texte qui la prévoit est toujours en vigueur. Il s’agit de l’article 41, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L5204AH9), que chacun connaît : «ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux». La Cour de cassation lui a toujours reconnu une fonction primordiale : garantir la liberté d’expression et d’argumentation des avocats pour la défense de leurs clients, dans leurs plaidoiries et leurs conclusions [2].
Cette immunité, a-t-elle jugé, leur permet d’aller, s’il le faut, jusqu’à la contestation de l’indépendance ou de l’impartialité d’un juge, puisqu’il s’agit là de garanties fondamentales [3]. Mais l’exercice est périlleux, car un terme inapproprié les exposerait à des poursuites - nombreux sont ceux qui en ont fait l’expérience. La formulation des conclusions ou des requêtes en récusation doit donc être la plus objective possible, évitant toute expression subjective ou, bien sûr, insultante.
D’ailleurs, l’article 41, alinéa 5, de la loi de 1881 prévoit que «les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, [peuvent] prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts» [4]. Cette disposition, qui a son équivalent à l’article 24 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1158H4N) [5], peut être utile ; mais je note qu’elle a jusqu’à présent assez peu été utilisée devant les juridictions pénales, sans doute parce que les avocats pénalistes écrivent moins que leurs confrères civilistes - ce qui tend cependant à évoluer !
Mais attention : l’article 41, alinéa 6, prévoit aussi que «les faits diffamatoires étrangers à la cause [peuvent] donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers». Tous les propos d’un avocat ne sont donc pas permis : ils doivent se rattacher à la défense de son client, même indirectement, à défaut de quoi l’immunité judiciaire cesse de le protéger [6].
Toutefois, la partie adverse doit avoir demandé au président du tribunal, comme le précise le texte, à ce que les propos la concernant soient actés et que l’action en diffamation ou en injure lui soit réservée, sous peine d’irrecevabilité de cette action [7]. Les tiers, qui n’ont pas qualité pour intervenir ou sont absents à l’audience, n’ont pas cette obligation et pourront agir ensuite.
→ Le risque de poursuites pénales
La situation s’aggrave pour l’avocat lorsque c’est le président qui fait acter d’initiative les propos qu’il estime excessivement outrageants, hors immunité judiciaire, pour lui-même ou pour la juridiction, ou par exemple pour le ministre de la Justice. En application de l’article 677, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5342LCT), il «en dresse procès-verbal qu’il transmet au procureur de la République», aux fins de poursuites pénales de l’avocat. Mais s’il omet de faire dresser ce procès-verbal, les poursuites seront entachées de nullité d’ordre public, selon la jurisprudence [8].
Souvenons-nous que, dans le passé, ce que l’on appelle le «délit d’audience» était jugé séance tenante par le tribunal, lequel pouvait alors interdire l’avocat d’exercer ! En 1981, le projet de loi Sécurité et liberté, qui supprima ce pouvoir disciplinaire des juges sur les avocats, avait prévu, pour le remplacer, que le président puisse «écarter» un avocat de la salle d’audience pendant deux jours ! Le Conseil constitutionnel s’y opposa, toutefois, en censurant cette disposition qu’il jugea «contraire, tant dans la personne de l’avocat que dans celle du justiciable, aux droits de la défense qui résultent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République» [9].
Des poursuites pénales pour outrage à l’audience ont-elles, depuis, été engagées à l’encontre de nombreux avocats ? Fort peu, en réalité, quelques-unes s’étant soldées par des nullités ou des relaxes. Il faut le reconnaître avec objectivité : durant ces dernières décennies, les magistrats se sont abstenus de faire peser sur le barreau la menace de telles poursuites. Mais si, à l’avenir, des procureurs en prenaient l’initiative, ce serait assurément le signe d’une grave régression, contre laquelle tous les recours utiles devraient alors être engagés, au nom de la liberté de la défense.
→ Le risque de poursuites disciplinaires
Cependant, ce progrès n’est que relatif, car, au cours de ces mêmes années passées, la voie des poursuites disciplinaires visant les avocats s’est largement développée… Depuis 2003, la Cour de cassation juge en effet que l’immunité judiciaire de l’article 41 de la loi de 1881, que nous venons d’évoquer, n’est pas applicable en matière disciplinaire. La première chambre civile, qui est en charge de ce contentieux, maintient depuis sa jurisprudence, et n’y reviendra sans doute pas [10].
La situation est donc paradoxale : des propos tenus à l’audience, qui ne pourraient pas faire l’objet de poursuites pénales, peuvent néanmoins justifier des poursuites disciplinaires contre leur auteur… Il suffit pour cela que le magistrat qui s’en plaint les dénonce au procureur général, lequel en saisira le bâtonnier aux fins de poursuites [11], pour «manquement à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse», selon les termes de l’article 183 du décret de 1991 (N° Lexbase : L8168AID) qui régit la profession [12].
Or, l’action disciplinaire est à bien des égards plus dangereuse et préjudiciable qu’un procès pénal, car elle entachera la carrière de l’avocat stigmatisé dans son milieu professionnel, d’autant plus qu’une mesure de suspension professionnelle pourra être prononcée à son encontre. Or, si l’avocat peut faire appel d’une décision du Conseil de discipline, son pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel n’est pas suspensif (et cela depuis 1991[13]) : il aura ainsi purgé sa peine avant même que la Cour de cassation ait statué. De manière tout aussi objective que précédemment, il faut donc reconnaître que les avocats sont de nos jours soumis à un régime disciplinaire sévère - le Conseil constitutionnel ayant de plus récemment exclu toute prescription de cette action ! [14]
Il ne s’agit pas de livrer ici une bataille corporatiste, réclamant pour les avocats une licence totale d’expression jusque dans l’outrance, mais de sonner l’alarme : ce risque disciplinaire préoccupe tous les avocats qui assument des défenses pénales difficiles, car ils sont conscients qu’ils risquent de se voir mis en cause à la moindre faute, au moindre écart d’expression, sans toujours pouvoir compter sur le soutien de leur ordre, loin de là. Ce qui peut les inciter à renoncer à mener des actions judiciaires certes osées, mais utiles pour la défense de leurs clients. Cette menace, diffuse dans le barreau, tend à intimider les avocats, à affaiblir l’action de la défense, et finalement à priver les justiciables d’une protection effective face au système judiciaire.
→ La jurisprudence de la CEDH
La Cour européenne des droits de l’Homme a été saisie à de nombreuses reprises de ce problème par des avocats sanctionnés, en France et dans d’autres pays européens, que ce soit au pénal ou au disciplinaire, ce qui lui a permis de développer une jurisprudence heureusement très protectrice de la défense, mais à sa manière, en rompant avec les concepts et les schémas du droit classique. Peu lui importe la notion d’immunité judiciaire, qu’elle n’apprécie pas en règle générale [15], la considérant comme un obstacle au fonctionnement de la Justice ; peu lui importe aussi que les fautes déontologiques ne soient pas précisément définies, à la différence des délits [16].
Ce qui lui paraît essentiel, c’est que les poursuites qui visent les avocats demeurent exceptionnelles, surtout au pénal, qu’elles soient toujours justifiées, et que les sanctions prononcées, le cas échéant, restent proportionnées, raisonnables [17]. Il ne faut pas, prévient-elle, que les avocats exercent leurs fonctions de défense sous la menace de ces poursuites, car elle considère à juste titre que cela produirait un effet inhibiteur, non seulement sur l’avocat mis en cause, mais aussi sur la collectivité du barreau [18]. N’a-t-elle pas jugé excessif, au regard de l’article 10 de la Convention (N° Lexbase : L6799BHB), le prononcé d’un avertissement à l’encontre d’un avocat qui s’était exprimé à la sortie d’une audience d’assises sans doute de manière inappropriée, imprudente, mais avec sincérité et passion [19] ?
Car non seulement la CEDH protège la liberté d’expression pendant le procès, mais aussi face aux médias - ce que ne couvre pas l’immunité de l’article 41 de la loi de 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) [20]. C’est dans son arrêt de Grande chambre du 23 avril 2015, «Morice c/ France», qu’elle a reconnu ce droit fondamental [21] : «la défense d’un client, a-t-elle jugé, peut se poursuivre avec une apparition dans un journal télévisé ou une intervention dans la presse et, à cette occasion, avec une information du public sur des dysfonctionnements de nature à nuire à la bonne marche d’une instruction» (§ 138).
Mais attention, a-t-elle ajouté dans ce même arrêt : «des attaques gratuites et infondées qui pourraient n’être motivées que par une volonté ou une stratégie de déplacer le débat judiciaire sur le terrain strictement médiatique ou d’en découdre avec les magistrats en charge de l’affaire» ne sont pas admissibles (§ 134). Les avocats sont donc libres d’expliquer dans la presse, notamment à la sortie de l’audience, leurs arguments de défense, mais en prenant soin de mesurer leur expression. Finalement, leur parole est vraiment libre, mais à une condition : qu’ils restent polis.
→ La jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Conseil constitutionnel
La Cour de cassation a depuis parfaitement intégré ce courant de jurisprudence [22]. La Première chambre civile juge comme la CEDH que «les termes de modération et de délicatesse sont suffisamment précis dans la langue française» pour que les avocats ne puissent en «ignorer le sens et la portée» [23]. Au regard de ces notions et de sa conception d’une bonne pratique judiciaire, elle apprécie au cas par cas les pourvois qui lui sont soumis, n’admettant pas les propos qui, «sans traduire une idée», sont seulement agressifs ou injurieux [24], ou, pire encore, les propos antisémites d’un avocat [25]. En revanche, elle n’hésite pas à annuler les décisions qu’elle juge excessives [26].
La Cour de cassation a de plus intégré l’arrêt «Morice c/ France», que nous avons cité, admettant depuis, à rebours de sa jurisprudence antérieure, qu’un avocat est bien légitime à s’exprimer dans les médias, même de manière vive, mais à la condition, selon les nouveaux critères du droit de la presse, qu’il s’agisse d’une «information d’intérêt général», fondée sur «une base factuelle suffisante», c’est-à-dire documentée et vérifiable - ce qui avait été le cas de Maître Morice, dont elle a, par conséquent, annulé en 2016 la condamnation pour diffamation publique de deux juges d’instruction qu’il avait critiqués dans le journal Le Monde comme ayant manqué, selon lui, à leurs devoirs d’indépendance et d’impartialité dans une grave affaire criminelle [27].
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs suivi cette voie, en allant plus loin encore, considérant dans une décision de mars 2018 qu’un avocat peut «communiquer des informations sur le déroulement de l’enquête ou de l’instruction» à des journalistes, car d’après lui le secret de l’instruction prévu à l’article 11 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7022A4T) s’entend «sans préjudice des droits de la défense» [28]. Les avocats sont, cependant, invités à la prudence avant de s’entretenir avec un journaliste, car, selon le décret du 27 novembre 1991, ils sont tenus de respecter le secret de l’instruction au titre de leur secret professionnel, ce que la Cour de cassation juge sans équivoque [29].
→ L’état de notre droit positif
Quel bilan dresser alors de l’état de notre droit positif ? Il est en évolution constante, parfois de manière peu lisible voire contradictoire, et l’on se dit, comme souvent, que la loi gagnerait à être mise à jour, par l’intégration de ces avancées jurisprudentielles que nous venons d’analyser. Mais comment soutenir sérieusement que la liberté d’expression et d’argumentation des avocats serait aujourd’hui menacée, au point d’être moins bien garantie qu’autrefois ? C’est un contre-sens.
Même la plaidoirie est protégée dans sa forme classique. La Chambre criminelle l’a rappelé dans un arrêt de février 2019 : les juges n’ont pas le pouvoir de limiter le nombre des avocats pour chaque accusé, non plus que leur temps de parole [30]. Si donc un président de juridiction voulait interrompre un avocat ou l’empêcher de plaider, ce dernier devrait alors faire noter l’incident au procès-verbal des débats ou au plumitif, pour en tirer toutes les conséquences : un appel, un pourvoi, une requête en récusation, bref exercer tous les recours ouverts, mais avec sang-froid.
Et si un prochain gouvernement avait l’idée saugrenue de faire voter une loi pour modifier le Code sur ce point et l’adapter à la procédure civile -qui permet il est vrai aux juges d’abréger les plaidoiries [31]-, il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel la censurerait au nom des droits de la défense pénale, qui sont de valeur constitutionnelle, dans la lignée de sa jurisprudence.
A titre indicatif, c’est d’ailleurs ce qu’il a fait d’un texte récemment voté, concernant «la durée des temps de parole et [le] nombre des orateurs» au Parlement, sénateurs et députés, qu’il a jugé contraire aux «exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire» [32].
Une QPC déposée contre une telle loi serait assurément d’une grande utilité. Nous ne sommes donc pas démunis pour défendre la liberté d’expression et d’argumentation des avocats, c’est-à-dire l’idée que nous nous faisons du débat judiciaire et du procès équitable.
* Pratique de la défense pénale, LGDJ, 2ème édition 2017, 3ème édition à paraître au 1er trimestre 2020 ; Avocat de la défense, Odile Jacob, 2009 ; Au nom du peuple français, jury populaire ou juges professionnels ?, Odile Jacob, 2013 ; Le droit contre les démons de la politique, Odile Jacob, 2019.
[1] Labori, ses notes manuscrites, sa vie, V. Attinger, 1947 ; Th. Lévy, Labori : un avocat, Ed. Audibert, 2006 ; S. Thenault, Une drôle de justice, les magistrats dans la Guerre d’Algérie, La Découverte, 2001; J. Isorni, Mémoires, Robert Laffont, 1984.
[2] Cass. crim., 14 novembre 2006, n° 06-83.120, F-P+F (N° Lexbase : A7971DSZ), Bull. crim., n° 283 ; Cass. crim., 8 juin 999, n° 96-82519, publié au bulletin (N° Lexbase : A5126AWR), Bull. crim., n° 127.
[3] Cass. crim., 11 octobre 2005, n° 05-80.545, F-P+F (N° Lexbase : A0399DLD), Bull. crim., n° 255.
[4] Cass. crim., 22 octobre 2002, n° 01-87.919 (N° Lexbase : A8047CYP).
[5] Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 01-12.638, F-P+B (N° Lexbase : A8243DBW), Bull. civ. II, n° 183.
[6] Cass. crim., 27 septembre 2000, n° 99-87.929 (N° Lexbase : A3303AUU), Bull. crim., n° 280 ; Cass. crim., 19 avril 2000, n° 99-84886 (N° Lexbase : A1276CI4) Bull. crim., n° 154 ; Cass. crim., 19 juin 2018, n° 17-84.153, F-D (N° Lexbase : A8585XT7).
[7] Cass. crim., 15 juin 2000, n° 99-83884, publié au bulletin (N° Lexbase : A5846CHY), Bull. crim., n° 231.
[8] CA Dijon, 28 mai 2009, AJ pénal 2009, p. 365.
[9] Cons. const., décision n° 80-127 DC, du 20 janvier 981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes (N° Lexbase : A8028ACC) § 50.
[10] Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH), Bull. civ. I, n° 196 ; Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-16.495, F-D (N° Lexbase : A8644GBR) ; Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 03-13.353, FS-P (N° Lexbase : A5236DA8), Bull. civ. I, n° 25.
[11] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 25 (N° Lexbase : L6343AGZ).
[12] Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, art. 183,
[13] Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, art. 270 ; le pourvoi était suspensif auparavant : décret n° 72-468, 9 juin 1972, art. 124 (N° Lexbase : L4055IRM) ; Cass. civ. 1, 26 mai 1993, n° 91-16.918 (N° Lexbase : A3700ACZ), Bull. civ. I, n° 187.
[14] Cons. const., décision n° 2018-738 QPC, du 11 octobre 2018 (N° Lexbase : A0164YG8).
[15] CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11 (N° Lexbase : A2647NZ3).
[16] CEDH, 19 décembre 2017, Req. 2316/15 (N° Lexbase : A3239XBL) § 14.
[17] CEDH, 12 février 2019, Req. 70465/12 (N° Lexbase : A6687YWL) § 66 ; CEDH, 12 janvier 2016, Req. 48074/10 (N° Lexbase : A5139N3Q) § 50 ; CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11 (N° Lexbase : A2647NZ3) § 55 ; CEDH, 23 avril 2015, Req. 29369/10 (N° Lexbase : A0406NHI) § 135 ; CEDH, 24 février 2015, n° 29222/11 et 64345/11 ; CEDH, 27 janvier 2015, n° 66232/10, § 42 ; CEDH, 15 décembre 2011, Req. 28198/09 (N° Lexbase : A6142IAQ) § 42, § 44 ; CEDH, 29 mars 2011, Req. 1529/08, (N° Lexbase : A3991HKZ) § 53 ; CEDH, 13 décembre 2007, Req. 35865/04 (N° Lexbase : A0600D3M) § 85 ; CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01 (N° Lexbase : A9564DLS), § 173 ; CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96 (N° Lexbase : A1016GNX), n° § 48 et 55.
[18] CEDH, 15 décembre 2015, Req. 29024/11, § 55.
[19] CEDH, 19 avril 2018, Req. 41841/12 (N° Lexbase : A3327XLS) § 69 s. ; v., aussi, CEDH, 28 juin 2016, n° 51000/11, § 66.
[20] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-11044, Bull. civ. I, n° 82 ; Cass. crim., 10 novembre 2009, n° 05-82.901, F-D (N° Lexbase : A1619ENB) ; Cass. crim., 6 février 2002, n° 01-84566 (N° Lexbase : A0294AYK), Bull. crim., n° 217.
[21] CEDH, 23 avril 2015, Req. 29369/10 ; CEDH, 15 décembre 2011, Req. 28198/09 ,§ 59.
[22] Pour rappel, l’Assemblée plénière a jugé en 2011 «que les Etats adhérents à [la] Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation» : Ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-17.049, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4), Bull. Ass. plén., n° 1 ; Ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-30.242, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7), Bull. Ass. plén., n° 2 ; Ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-30.313, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND), Bull. Ass. plén., n° 3 ; n° 10-30316, Bull. Ass. plén., n° 4.
[23] Cass. civ. 1, 10 juillet 2014, n° 13-19.284, F-P+B (N° Lexbase : A4344MUG) Bull. civ. I, n° 137.
[24] Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH), Bull. civ. I, n° 196 ; Cass. civ. 1, 29 octobre 2014, n° 13-27.610, F-D (N° Lexbase : A4920MZA).
[25] Cass. civ. 1, 6 septembre 2017, n° 16-24.664, F-D (N° Lexbase : A1143WRR).
[26] Cass. civ. 1, 8 février 2017, n° 16-19.855, F-D (N° Lexbase : A1968TCU) ; A. Portmann, Dalloz actualité, 9 février 2017, Annulation de la mesure de radiation prononcée contre l’avocat R..
[27] Ass. plén., 16 décembre 2016, n° 08-86.295 (N° Lexbase : A2362SXR), Bull. Ass. plén., n° 1.
[28] Cons. const., décision n° 2017-693 QPC, du 2 mars 2018 (N° Lexbase : A8169XEB), § 11.
[29] Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 sur la déontologie de l'avocat, art. 5 (N° Lexbase : L6025IGA) ; RIN, art. 2 bis (N° Lexbase : L4063IP8) ; Cass. crim., 18 septembre 2001, n° 00-86.518 (N° Lexbase : A1097AWK) Bull. crim., n° 179 ; Cass. crim., 28 octobre 2008, n° 08-81.432, F-P+F (N° Lexbase : A1727EBL), Bull. crim., n° 215.
[30] Cass. crim., 20 février 2019, n° 18-85.465, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8859YYR) Bull. crim., à paraître.
[31] C. proc. civ., art. 440 (N° Lexbase : L1124INX) : «Lorsque la juridiction s'estime éclairée, le président fait cesser les plaidoiries ou les observations présentées par les parties pour leur défense».
[32] Cons. const. 4 juillet 2019, n° 2019-785 DC (N° Lexbase : Z057378M), § 9.
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Réf. : AMF, décision du 25 juillet 2019, sanction (N° Lexbase : L5380LRP)
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par Vincent Téchené
Le 04 Septembre 2019
►Dans une décision du 25 juillet 2019, la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a infligé un avertissement et une sanction pécuniaire de 200 000 euros à une société de gestion et un avertissement à son dirigeant, pour des manquements à leurs obligations en matière de gestion de groupements forestiers d’investissement (AMF, décision du 25 juillet 2019, sanction N° Lexbase : L5380LRP).
Dans cette affaire, une société est spécialisée dans l’investissement forestier et dans l’animation de groupements forestiers, agréée depuis le mois d’avril 2014 pour la gestion de fonds d’investissement alternatifs (FIA). En 2016, cette société de gestion gérait 34 groupements forestiers d’investissement (GFI) possédant un total de 8 000 hectares de forêts, dont les parts étaient détenues par plus de 3 500 investisseurs essentiellement non-professionnels.
Après avoir relevé que les GFI étaient des FIA, la Commission a retenu à l’encontre de la société de gestion cinq séries de manquements pour des faits qui se sont déroulés entre avril 2014 et août 2017, également imputables à son dirigeant.
La Commission a d’abord considéré que la société avait manqué à son obligation de désigner un dépositaire pour onze GFI gérés et, dans les cas où un dépositaire avait été nommé, elle a retenu que la société de gestion n’avait pas assuré au dépositaire un accès permanent aux informations comptables relatives aux GFI, entravant l’exercice par le dépositaire de sa mission de vérification de la réalité des actifs détenus et des flux de liquidités des GFI.
La Commission a ensuite retenu que la société de gestion, qui a délégué à deux responsable de la conformité et du contrôle interne (RCCI) externes la réalisation de son contrôle permanent de second niveau, n’a pas communiqué au premier RCCI externe les informations pertinentes lui permettant de s’acquitter de sa mission, n’a pas mis en place de cartographie des risques et ne s’est pas assurée de la bonne réalisation des plans de contrôle et conclu qu’elle a ainsi manqué à son obligation d’établir et de maintenir un dispositif de contrôle approprié et opérationnel.
Il a par ailleurs été jugé que la société de gestion ne disposait pas de procédure opérationnelle concernant l’élaboration, la validation et la diffusion de la documentation commerciale et que certaines informations diffusées aux investisseurs sur divers supports (plaquettes commerciales, site internet, procès-verbaux d’assemblée générale…) présentaient un caractère peu clair, voire trompeur.
La Commission a également considéré que la société de gestion n’était pas dotée d’une procédure de gestion des conflits d’intérêts et n’a pas tenu et actualisé son registre des conflits d’intérêts. Il a également été retenu que la société de gestion ne s’était pas conformée, à tout moment, aux conditions de son agrément dans la mesure où son dirigeant assurait également la gérance d’une société d’expertise forestière contrairement à l’engagement pris dans le dossier d’agrément de se consacrer exclusivement à la société de gestion.
Enfin, la Commission, qui a relevé que les contrôleurs avaient adressé de nombreuses relances aux mis en cause pour obtenir communication de documents nécessaires à leur contrôle et que le secret professionnel, pourtant non-opposable, avait été invoqué par les mis en cause pour se soustraire à cette obligation, a estimé que la société de gestion et son dirigeant n’avaient pas apporté leur concours avec diligence aux contrôleurs de l’AMF.
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Réf. : Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique (N° Lexbase : L5882LRB), titre II
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par Pierre Tifine, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz
Le 05 Septembre 2019
Fonction publique - loi de transformation - recrutement - discipline
Comme l’a souligné le rapport de la commission des lois du Sénat [1], la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, de transformation de la fonction publique (N° Lexbase : L5882LRB), ne procède pas, comme l’annonce pourtant son intitulé, à une véritable «transformation» de la fonction publique. C’est le cas principalement concernant l’un des points les plus saillants de ce texte relatif à l’assouplissement du recours au contrat que l’on trouve dans le titre II de la loi. En effet, si la loi permet de moderniser le statut et les conditions de travail dans la fonction publique elle ne remet pas en cause pour autant les éléments essentiels de ce statut.
Le titre II de la loi ne concerne d’ailleurs pas que le recrutement d’agents contractuels. Il traite plus généralement des leviers managériaux que peut utiliser l’autorité hiérarchique. Pour le dire autrement, il s’agit d’une sorte de «boîte à outils» [2] qui est censée permettre la réorganisation de la fonction publique. Le titre II de la loi du 6 août 2019 est ainsi décomposé en trois chapitres : donner de nouvelles marges de manœuvre aux encadrants dans le recrutement de leurs collaborateurs ; reconnaissance de la performance professionnelle ; discipline.
On évacuera ici rapidement le chapitre II de la loi qui recense toute une série de dispositions importantes pour la plupart mais assez disparates : suppression du système de notation dans la fonction publique hospitalière et extension du dispositif d’évaluation professionnelle existant déjà dans les deux autres versants de la fonction publique ; assouplissement des ratios de promotion interne au sein de la fonction publique territoriale ; encadrement législatif de la rémunération des agents contractuels des trois versants de la fonction publique ; précision du régime juridique et extension de la prime d'intéressement collectif dans la fonction publique hospitalière ; renforcement du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) dans la fonction publique territoriale par la prise en compte possible des résultats collectifs du service ; suppression de l’avis de la commission administrative paritaire en matière d’avancement et de promotion interne dans chaque versant de la fonction publique ; obligation pour les autorités compétentes d’élaborer des lignes directrices de gestion pour déterminer la stratégie annuelle de pilotage des ressources humaines.
Le chapitre I et le chapitre III du titre II de la loi nous retiendront davantage. Le chapitre I, tout d’abord, est celui qui a fait le sujet des débats les plus âpres au Parlement : il concerne le recrutement et principalement l’élargissement du recours au contrat (I). Notons au passage que si le recours au contrat est facilité, la rupture du contrat l’est également. L'article 72 de la loi du 6 août 2019, qui figure dans son titre IV, instaure en effet la rupture conventionnelle pour les contractuels en contrat à durée indéterminée et, à partir de 2020, son expérimentation pour les fonctionnaires titulaires. Le chapitre II, ensuite, traite de la discipline et il organise une quasi-harmonisation de l’échelle des sanctions dans les trois versants de la fonction publique (II).
I – Le recrutement : l’élargissement du recours au contrat
La loi du 6 août 2019 a voulu donner davantage de marges de manœuvre aux encadrants dans le recrutement de leurs collaborateurs, ce qui ne renvoie d’ailleurs pas exclusivement à assouplir les conditions de recrutement des contractuels. Cette volonté a également conduit à faciliter les mutations, en supprimant l’avis préalable de la commission administrative paritaire et en généralisant le recours à des lignes directrices de gestion. L’article 25 de la loi a aussi fixé des durées maximum et minimum aux mouvements de fonctionnaires «afin d'organiser la fidélisation des personnels sur un emploi ou à l'inverse d'augmenter le rythme des mobilités sur certains emplois»[3].
S’agissant du recours au contrat, rappelons-le, la loi du 6 août 2019 n’a pas remis en cause le principe posé par l’article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), selon lequel les emplois permanents sont occupés par des fonctionnaires. Il est d’ailleurs ici utile de rappeler que les règles statutaires appliquées aux trois versants de la fonction publique prévoyaient déjà de nombreuses exceptions à ce principe.
Comme l’expose l’étude d’impact du projet de loi [4], les innovations introduites en matière de recours au contrat dans le statut général de la fonction publique poursuivent trois objectifs : mieux assurer la réactivité et la capacité d’adaptation des services ; solliciter des compétences spécialisées nécessaires à l’exercice et à la pérennité des missions de service public ; faire face aux enjeux d’attractivité dans des territoires pour lesquels des employeurs publics connaissent des difficultés de recrutement.
La loi prévoyant d’étendre considérablement les possibilités de recrutement d’agents contractuels -on mentionnera ici les principales hypothèses prévues- elle a voulu corrélativement renforcer le cadre juridique de leur recrutement de façon à garantir l’égal accès aux emplois publics [5]. L’article 15 de la loi prévoit ainsi qu’un décret en Conseil d'Etat devra prévoir les modalités de la procédure de recrutement, qui pourront être adaptées au regard du niveau hiérarchique, de la nature des fonctions ou de la taille de la collectivité territoriale ou de l’établissement public ainsi que de la durée du contrat. Le même article précise que l’autorité compétente assure la publicité de la vacance et de la création de ces emplois. Cette garantie existait déjà dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière [6], alors que dans la fonction publique de l’Etat, les textes imposaient jusqu’alors seulement de porter les créations et vacances à la connaissance du personnel [7]. Toujours du point de vue des garanties, notons aussi qu’en application de l’article 23 de la loi, les agents contractuels les plus précaires seront désormais mieux protégés avec l’instauration de la prime de précarité pour les contrats à durée déterminée de moins d’un an.
Le premier assouplissement majeur, prévu par l’article 16 de la loi, a pour objet d'élargir les possibilités offertes aux employeurs publics de recruter des agents contractuels pour occuper des emplois supérieurs ou de direction.
Il est d’abord créé une nouvelle exception à la règle suivant laquelle les emplois civils permanents de l’Etat et de ses établissements publics sont occupés par des fonctionnaires, qui s’applique non plus seulement aux «emplois supérieurs dont la nomination est laissée à la décision du Gouvernement » mais à l'ensemble des « emplois de direction» dont la liste sera fixée par décret en Conseil d’Etat. Selon l’étude d’impact du projet de loi, au moins 3 800 emplois seraient concernés. Il faut relever que si l’accès de non-fonctionnaires à ces emplois n’entraînerait pas leur titularisation -ce qui n’est pas nouveau- il n’est pas prévu que les nominations à ces emplois soient révocables, comme c’est le cas pour les emplois laissés à la discrétion du Gouvernement. En conséquence, la cessation de fonctions pour des agents contractuels occupant des «emplois de direction» obéirait aux règles de droit commun en matière de licenciement des agents contractuels.
S’agissant de la fonction publique territoriale, les modifications apportées par la loi du 6 août 2019 sont de moindre envergure. Il s’agit en effet seulement d’abaisser les seuils de population au-delà desquels les emplois de directeur général des services, de directeur général adjoint et de directeur général des services techniques des communes et des EPCI à fiscalité propre peuvent être pourvus par la voie du recrutement direct. Ce seuil sera désormais fixé, dans toutes ces hypothèses, à 40 000 habitants. Selon l’étude d’impact du projet de loi, cette extension concernerait au moins 125 communes et 154 EPCI et elle porterait le nombre d'emplois fonctionnels ouverts aux contractuels de 1 522 à près de 2 700[8].
S’agissant enfin de la fonction publique hospitalière, en dehors des directeurs d’établissements seuls visés par l’article 3 du titre IV du statut général, la loi étend la possibilité de recourir à des contractuels aux «autres emplois supérieurs hospitaliers» ce qui vise les emplois qui, eu égard aux fonctions exercées et au niveau de recrutement, peuvent ne pas être organisés en corps, conformément à l’article 4 du titre IV susvisé. Selon l’étude d’impact, 284 emplois de direction sont déjà ouverts au recrutement par contrat, et 81 autres emplois seraient concernés par l’extension du recours au contrat[9].
Le second assouplissement prévu par l’article 17 de la loi du 6 août 2019 créé un nouveau type de contrat dans les trois versants de la fonction publique, le contrat de projet. Ce nouveau dispositif est directement inspiré par le droit du travail ou il a été créé à titre expérimental par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), puis pérennisé par la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (N° Lexbase : L0720I7S). Selon l’article L. 1242-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6966LLL), il doit permettre le «recrutement d’ingénieurs et de cadres [...] en vue de la réalisation d'un objet défini». Contrairement aux contrats à durée déterminée de droit commun - en droit du travail comme dans le droit de la fonction publique - le contrat de projet ne comporte pas de terme précis, son échéance étant la réalisation du projet ou de l’opération objet du contrat. Il est conclu pour une durée minimale d’un an et une durée maximale de six ans et il peut être renouvelé pour mener à bien le projet ou l’opération, dans la limite d’une durée totale de six ans.
Le troisième assouplissement, prévu par l’article 18 de la loi du 6 août 2019, élargit les possibilités de recruter des agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents des administrations de l’Etat. C’est certainement là l’élément le plus essentiel de la loi. L’article 18 prévoit notamment que tous les emplois, et non plus seulement ceux du niveau de la catégorie A, peuvent être occupés par des agents contractuels lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. Surtout, il sera désormais possible de recourir à un agent contractuel «lorsque l'emploi ne nécessite pas une formation statutaire donnant lieu à titularisation dans un corps de fonctionnaires». Or, pas moins de 31 % des recrutements effectués en 2018 dans la fonction publique de l’Etat -17 % si l’on ne tient compte que des recrutements externes- n’ont donné lieu à aucune formation initiale statutaire [10]. Plus d'un emploi sur six serait concerné par cette possibilité de recourir au contrat, si l’on se réfère aux statistiques sur les recrutements effectués en 2018 [11].
Dans le même ordre d’idées, un autre assouplissement, prévu par l’article 21 de la loi, concerne spécifiquement les collectivités territoriales et plus spécialement les communes de moins de 1000 habitants qui pourront désormais recruter par voie de contrat sur l’ensemble de leurs emplois permanents.
Enfin, l’article 18 de la loi du 6 août 2019, assouplit les conditions de recours au contrat à durée indéterminée. Le titre II du statut général prévoyait déjà que ces contrats pouvaient être conclus au motif qu’aucun corps de fonctionnaires n’est susceptible d’assurer les fonctions correspondantes et pour ce qui concerne les contrats sur emploi permanent à temps partiel [12]. Deux autres hypothèses sont visées par la loi de 2019 : les contrats visant à pourvoir des emplois de toute catégorie «lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient» ; l'ensemble des contrats de recrutement conclus par les établissements publics administratifs de l’Etat.
II - Discipline : une quasi-harmonisation de l’échelle des sanctions
Plusieurs dispositions de la loi du 6 août 2019 concernent les règles de discipline. On soulignera notamment la suppression de la procédure de recours disciplinaire ainsi que des instances disciplinaires de recours propres à la fonction publique territoriale prévue par l’article 15 bis de la loi.
Du point de vue des règles de discipline, le principal apport de la loi du 6 août 2019 a consisté à harmoniser l’échelle des sanctions dans les trois versants de la fonction publique. Il est ici utile de rappeler que les sanctions sont classées en fonction de leur gravité en quatre groupes : le premier répertorie les sanctions les plus légères qui peuvent être prononcées sans avis préalable du conseil de discipline ; les trois autres concernent les sanctions plus graves pour lesquelles l’administration est tenue de saisir préalablement cette instance. Il est à noter qu’une harmonisation de l'échelle des sanctions avait déjà été tentée lors de la discussion de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L782547X), mais qu’elle avait échoué faute d’accord trouvé par la commission mixte paritaire.
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2019, il existait deux différences notables entre, d’une part, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière et, d’autre part, la fonction publique territoriale.
La première différence concernait la sanction d’exclusion temporaire de fonctions. S’agissant de la fonction publique territoriale, la loi n° 87-529 du 13 juillet 1987, modifiant les dispositions relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L4502IEH), avait introduit dans l’article 89 du titre III du statut général la sanction temporaire d’exclusion de fonctions pour une durée du cinq jours, ramenée ensuite à trois jours par la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990, relative à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L3036G8X), et portant modification de certains articles du Code des communes. Cette sanction, qui relevait du premier groupe, n’existait pas dans les deux autres versants de la fonction publique. En revanche, existait également dans les trois versants de la fonction publique des exclusions temporaires de fonctions plus longues, relevant des deuxième et troisième groupes, mais de durées différentes : de quatre à quinze jours (deuxième groupe), puis de seize jours à deux ans (troisième groupe) dans la fonction publique territoriale ; quinze jours maximum (deuxième groupe), de trois mois à deux ans (troisième groupe) dans les deux autres versants de la fonction publique.
La seconde différence concernait la radiation du tableau d’avancement qui existait dans la fonction publique de l’Etat et dans la fonction publique hospitalière, mais qui ne figurait pas dans l’échelle des sanctions applicable à la fonction publique territoriale.
La loi du 6 août 2019 corrige ces différences. D’une part, l’exclusion temporaire de fonctions de courte durée pour une durée maximale de trois jours devient une sanction du premier groupe pour l’ensemble des fonctionnaires relevant du statut général. Les durées des exclusions existant dans les deuxième et troisième groupes sont harmonisées : de quatre à quinze jours (deuxième groupe) et de seize jours à deux ans (troisième groupe). D’autre part, la loi introduit la radiation du tableau d’avancement comme sanction du deuxième groupe la moins grave applicable aux fonctionnaires territoriaux.
Notons toutefois que l’harmonisation n’est pas totale puisque le déplacement d’office -qui est une sanction de deuxième groupe applicable aux fonctionnaires de l’Etat- n’est pas applicable aux autres versants de la fonction publique. Il ressort en effet des débats parlementaires que cette sanction, qui implique un éloignement géographique, serait difficilement applicable à l’échelle d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public hospitalier.
[1] Rapport n° 570 (2018-2019) de C. Di Folco et L. Hervé, fait au nom de la commission des lois, déposé le 12 juin 2019.
[2] L’expression a été utilisée par E. Chalas, rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale.
[3] Etude d'impact, Projet de loi de transformation de la fonction publique, p. 134.
[4] Ibid., p.109.
[5] Cette procédure ne s’applique pas aux emplois supérieurs relevant du décret mentionné à l'article 25 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (N° Lexbase : L7077AG9), des emplois de directeur général des services mentionnés aux 1° et 2° de l'article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée et des emplois relevant des 1° et 2° de l'article L. 6143-7-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4830ISP).
[6] Loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 41 et loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, art. 36 (N° Lexbase : L8100AG4).
[7] Loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, art. 61.
[8] Préc., p. 312.
[9] Préc., p. 92.
[10] Projet de loi de transformation de la fonction publique, rapport, site du Sénat.
[11] Ibid.
[12] Art. 6, 6 bis.
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Réf. : Décrets n° 2019-912 (N° Lexbase : L8794LR7), n° 2019-913 (N° Lexbase : L8789LRX), n° 2019-914 (N° Lexbase : L8791LRZ) du 30 août 2019, pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de la réforme de la justice
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par Aziber Didot-Seïd Algadi
Le 04 Septembre 2019
► Ont été publiés au Journal officiel du 1er septembre 2019, trois décrets n° 2019-912 (N° Lexbase : L8794LR7), n° 2019-913 (N° Lexbase : L8789LRX), n° 2019-914 (N° Lexbase : L8791LRZ) du 30 août 2019, pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de la réforme de la justice (N° Lexbase : L6740LPC).
Le premier décret n° 2019-912 (N° Lexbase : L8794LR7), pris en l'application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, traite de la fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance au sein du tribunal judiciaire, de la création des chambres de proximité et du juge des contentieux de la protection, ou encore de l'extension des compétences du service d'accueil unique du justiciable, de la spécialisation des tribunaux judiciaires et de la fusion des greffes des tribunaux judiciaires et des conseils de prud'hommes.
Le deuxième décret n° 2019-913 (N° Lexbase : L8789LRX) tire les conséquences, dans les textes et codes en vigueur, de la substitution du tribunal judiciaire au tribunal de grande instance et au tribunal d'instance, ainsi que de la création du juge des contentieux de la protection prévues par l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Le décret modifie, en outre, les dispositions en vigueur relatives à l'institution, la compétence, l'organisation et le fonctionnement des juridictions définies par référence au tribunal de grande instance, au tribunal d'instance ou au juge d'instance. Ainsi, il précise que la présidence du tribunal paritaire des baux ruraux est assurée soit par un magistrat du siège du tribunal judiciaire soit par un magistrat de la chambre de proximité selon le lieu d'implantation de ce tribunal. Le décret prévoit, enfin, que, dans le cadre de la fusion des greffes du tribunal judiciaire et du conseil de prud'hommes, le directeur de greffe du tribunal judiciaire exerce toutes les fonctions de direction de greffe du conseil de prud'hommes telles que décrites dans le Code du travail.
Le troisième décret n° 2019-914 (N° Lexbase : L8791LRZ) modifie les dispositions qui relèvent du décret simple du Code de l'organisation judiciaire pour tirer les conséquences de la création du tribunal judiciaire et du juge des contentieux de la protection, toutes deux prévues par l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il détermine les compétences matérielles et territoriales des chambres de proximité des tribunaux judiciaires. Il modifie, en outre, les dispositions en vigueur relatives à l'institution, la compétence, l'organisation et le fonctionnement des juridictions définies par référence au tribunal de grande instance, au tribunal d'instance ou au juge d'instance. Enfin, il crée dans le Code rural et de la pêche maritime un tableau du siège et du ressort des tribunaux paritaires des baux ruraux.
Les trois décrets entreront en vigueur le 1er janvier 2020, à l’exception de certains articles qui entrent en vigueur le 2 septembre 2019 (décret n° 2019-912, art. 13 et 19 ; décret n° 2019-913, art. 29, n° 1° et 5° et décret n° 2019-914, art. 10).
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Réf. : Cass. crim., 7 août 2019, n° 18-87.174, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1597ZLQ)
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N0174BY4
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par June Perot
Le 04 Septembre 2019
► La saisie en valeur des biens meubles corporels, qui ne sont pas visés à l’article 706-141 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7245IMB), ne peut être effectuée que sur le fondement des articles 94 (N° Lexbase : L7224IMI) et 97 (N° Lexbase : L7467LPA) du même code.
Ainsi statue la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 août 2019 (Cass. crim., 7 août 2019, n° 18-87.174, FS-P+B+I N° Lexbase : A1597ZLQ).
Dans le cadre d’une information judiciaire diligentée des chefs d’abus de faiblesse et blanchiment à l’encontre d’une personne mise en examen, le juge d’instruction a ordonné la saisie en valeur de divers biens meubles corporels lui appartenant, et qui avaient été saisis par les officiers de police judiciaire, en exécution de la commission rogatoire délivrée par ce magistrat, lors d’une perquisition effectuée au domicile de l’intéressée. Le conseil de l’intéressée a relevé appel de la décision.
En cause d’appel, pour confirmer l’ordonnance attaquée, l’arrêt a retenu notamment que l’article 131-21, alinéa 9, du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ) prévoit que la confiscation en valeur peut être exécutée sur tous les biens, quelle qu’en soit la nature, appartenant au condamné ou sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, qu’il découle de ce texte que ce qui peut être confisqué peut être saisi et qu’en l’espèce, le juge d’instruction a expressément visé ce texte pour justifier de la saisie pénale d’objets mobiliers et effets vestimentaires garnissant le logement de la mise en examen, dont la valeur, après évaluation par un professionnel, équivaut à une partie du produit de l’infraction et constitue une partie du patrimoine de la personne mise en examen. Selon les juges, cette saisie a eu lieu au cours d’une perquisition patrimoniale dans le respect de l’article 97 du Code de procédure pénale prévoyant qu’avec l’accord du magistrat instructeur l’officier de police judiciaire ne maintient que la saisie des objets, documents et données informatiques utiles à la manifestation de la vérité, ainsi que des biens dont la confiscation est prévue à l’article 131-21 du Code de procédure pénale et qu’elle a ensuite donné lieu, conformément à l’article 706-148 du Code de procédure pénale, à une confirmation par ordonnance faisant suite aux réquisitions en ce sens du procureur de la République. En conséquence, les juges ont estimé que les conditions légales étant réunies et les formalités ayant été respectées, la saisie pénale décidée par le magistrat instructeur était bien-fondée. Un pourvoi a été formé.
La Haute juridiction, énonçant la solution susvisée, censure l’arrêt et dit n’y avoir lieu à renvoi. Pour parvenir à cette conclusion, elle rappelle qu’il résulte de l’article 706-141 que les dispositions des articles 706-141 à 706-158 du Code de procédure pénale s’appliquent aux saisies réalisées en application de ce code lorsqu’elles portent sur tout ou partie des biens d’une personne, sur un bien immobilier, sur un bien ou un droit mobilier incorporel ou une créance ainsi qu’aux saisies qui n’entraînent pas de dépossession du bien ; selon les articles 94 et 97, avec l’accord du juge d’instruction, l’officier de police judiciaire a le pouvoir de saisir les biens dont la confiscation est prévue à l’article 131-21 du Code pénal. Elle en déduit donc que les biens corporels concernés faisaient l’objet d’une saisie de droit commun et non d’une saisie spéciale.
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Réf. : CJUE, 29 juillet 2019, aff. C-476/17 (N° Lexbase : A7367ZK3)
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N0124BYA
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par Vincent Téchené
Le 04 Septembre 2019
► Le sampling peut constituer une atteinte aux droits du producteur d’un phonogramme lorsqu’il est réalisé sans son autorisation ;
► Toutefois, l’utilisation sous une forme modifiée et non reconnaissable à l’écoute d’un échantillon sonore prélevé d’un phonogramme ne constitue pas une atteinte à ces droits, même en l’absence d’une telle autorisation.
Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la CJUE le 29 juillet 2019 (CJUE, 29 juillet 2019, aff. C-476/17 N° Lexbase : A7367ZK3).
Dans cette affaire, un groupe de musique a publié en 1977 un phonogramme comportant notamment un titre musical. Des membres du groupe soutiennent que leur titre a été copié, à l’aide de la technique du sampling : environ deux secondes d’une séquence rythmique du titre ont été intégrées, par répétitions successives, à un autre titre. Estimant que le droit voisin dont ils sont titulaires en qualité de producteurs du phonogramme en question a été violé, les membres du groupe ont demandé, notamment, la cessation de l’infraction, l’octroi de dommages et intérêts et la remise des phonogrammes contenant le titre contrefaisant aux fins de leur destruction. C’est dans ces circonstances que le juge allemand a saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles.
La Cour rappelle, tout d’abord, que la reproduction par un utilisateur d’un échantillon sonore, même très bref, prélevé d’un phonogramme constitue, en principe, une reproduction en partie de ce phonogramme, de sorte qu’une telle reproduction relève du droit exclusif conféré au producteur du phonogramme. Toutefois, elle relève qu’il ne s’agit pas d’une «reproduction» lorsqu’un utilisateur, en exerçant sa liberté des arts, prélève un échantillon sonore sur un phonogramme afin de l’intégrer, sous une forme modifiée et non reconnaissable à l’écoute, dans un autre phonogramme.
La Cour constate, ensuite, qu’un support reprenant la totalité ou une partie substantielle des sons fixés dans un phonogramme constitue une copie de ce dernier, pour laquelle le producteur du phonogramme bénéficie d’un droit exclusif de distribution. Toutefois, la Cour précise que ne constitue pas une telle copie un support qui, comme celui en cause en l’occurrence, se limite à incorporer des échantillons musicaux, le cas échéant, sous forme modifiée, transférés depuis ce phonogramme en vue de créer une œuvre nouvelle et indépendante de ce dernier.
S’agissant des exceptions et limitations aux droits exclusifs de reproduction et de communication des titulaires de droits que les Etats membres ont la faculté de prévoir en vertu du droit de l’Union en ce qui concerne les citations provenant d’une œuvre protégée, la Cour constate que l’utilisation d’un échantillon sonore prélevé d’un phonogramme et permettant d’identifier l’œuvre dont cet échantillon a été extrait peut, sous certaines conditions, constituer une citation, pour autant, notamment, qu’une telle utilisation a pour objectif d’interagir avec l’œuvre en question. En revanche, ne constitue pas une telle citation l’utilisation de cet échantillon lorsqu’il n’est pas possible d’identifier l’œuvre en cause.
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Réf. : Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019, relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (N° Lexbase : L3022LRD)
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N0167BYT
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par Benjamin Pitcho, Avocat à la Cour, Ancien membre du Conseil de l’Ordre, Maître de conférences en droit privé
Le 04 Septembre 2019
Depuis quelques décennies, il existe une constante pour toute législature parlementaire : entreprendre une réforme profonde du système de santé. Le présent Parlement n’échappe évidemment pas à cette règle et il a permis le vote, puis la promulgation par le Président de la République, de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019, relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
Celle-ci, à l’évidence foisonnante, porte avec efficacité son titre par les mutations qu’elle imposera au secteur sanitaire comme au secteur médico-social. Il serait vain de souhaiter en présenter le contenu exhaustif dans un commentaire synthétique. Seules quelques idées saillantes peuvent, par conséquent, être rappelées, au détour des cinq titres complémentaires qui la composent.
Cet espoir serait d’autant plus illusoire que, malgré son contenu pléthorique, la loi renvoie encore pour chacun de ses titres, à des ordonnances qui devront intervenir prochainement, rendant inconnues les modalités pratiques de sa mise en œuvre. C’est au Gouvernement qu’il appartiendra de prendre les textes adéquats en ce sens.
► La réforme de la formation des professionnels de santé et de l'organisation du système de santé
Le premier titre de la loi entreprend une réforme profonde des études médicales comme des carrières des professionnels de santé. Il met fin au numerus clausus tel que nous le connaissions auparavant, en permettant à chaque université de fixer, annuellement, le nombre d’étudiants et d’étudiantes admis à suivre les cours de premier cycle dans des objectifs pluriannuels, qui feront intervenir la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie comme les Agences régionales de santé tandis que ces objectifs seront nationaux pour les étudiants de deuxième cycle (art. 1). Les études de troisième cycle sont elles aussi réformées, avec la suppression de l’internat, devenu, entre temps, examen qualifiant national, qui disparaît (art. 2).
Il est aussi souhaité un décloisonnement des carrières entre les secteurs libéral et public (art. 13). Des mesures doivent être prises par voie d’ordonnance pour ce faire, mais il est d’ores et déjà prévu que des interdictions, puis des sanctions financières, puissent être prises, par exemple, à l’encontre des professionnels de santé qui porteraient une concurrence aux établissements publics lorsqu’ils exercent leur art, en parallèle de leur activité hospitalière principale, dans des établissements privés (art. 14).
Le deuxième titre vise à réformer -à nouveau- l’organisation du système de santé. Il redéfinit l’équipe de soins et sa place dans le parcours de santé, en organisant celle-ci autour de médecins spécialistes qui agissent d’une manière coordonnée sur le territoire (art. 18). Il précise les règles applicables aux projets territoriaux de santé, qui sont la cheville ouvrière de l’organisation territoriale des soins pour les communautés professionnelles territoriales de santé, mais aussi les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux (art. 22).
Le régime des groupements hospitaliers de territoire est, de même, amendé bien que les modalités précises soient renvoyées à une ordonnance ultérieure (art. 37). La cohérence du groupement est, cependant, affirmée, avec les commissions médicales de groupement, l’organisation de la fusion entre établissements membres des groupements, la fusion entre les institutions de ces groupements tels que les commissions médicales, les comités techniques ou les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Parmi les très nombreuses mesures de ce titre, il est aussi prévu une concertation pour la détermination de la politique territoriale de santé entre les élus locaux d’une part, et les directeurs des agences régionales de santé d’autre part (art. 22). La gradation des soins hospitaliers est, enfin, organisée par l’accès aux hôpitaux de proximité qui peuvent orienter les patients au sein du secteur sanitaire vers les établissements de référence, des structures libérales ou les professionnels de santé et dont la mission sera concentrée autour de la médecine libérale, la gériatrie et la réadaptation (art. 35). Des extensions liées aux besoins de la population locale pourront être justifiées.
► Le régime unifié des données de santé
Le troisième titre est l’un des plus notables. Il ne manque assurément pas d’ambition par la révolution qu’il impose au système de gestion des données de santé. Il vise à doter notre pays d’un système unifié et efficace des données de santé, piloté par un organisme unique en premier lieu, renforcer la sécurité et l’interopérabilité des différents systèmes ensuite et, enfin, permettre à toute personne d’exercer efficacement ses droits sur ses propres données. C’est toute l’architecture des données de santé qui est ainsi réformée.
Pour ce faire, le législateur a entendu créer une Plateforme des données de santé, qui constitue un organisme unique de droit privé (art. 41). Il prend la suite, dans ses missions comme dans les biens, de l’Institut national des données de santé et il est destiné à opérer notamment la gestion des questions relatives aux données. Il n’est plus placé sous la seule responsabilité de la Caisse nationale d’assurance maladie, mais fait intervenir, outre celle-ci, l’Etat, les associations de malades et d’usagers, les producteurs de données ainsi que les utilisateurs publics et privés de ces données y compris les organismes de recherche. Son rôle consiste à réunir, organiser et mettre à disposition les données de santé disponibles. Il vise, en outre, à permettre aux patients d’accéder à leurs données et de faciliter leurs droits, en même temps qu’informer ces derniers. Il diffusera de plus les standards et normes de standardisation applicables pour la diffusion et l’exploitation des données de santé et assurera les opérations nécessaires aux traitements pour compte de tiers.
Le champ d’action de cette plateforme est singulièrement étendu puisque de nombreuses données seront intégrées au système de données de santé alors qu’elles n’étaient pas, auparavant, regroupées avec celles issues du système sanitaire. Tel est le cas, par exemple, des données issues des hébergeurs de données de santé donnant lieu à prise en charge au titre de la maladie ou de la maternité, les données relatives à la perte d’autonomie, celles qui sont personnelles et issues des enquêtes de santé, les données recueillies lors des visites médicales et de dépistage, lors des visites d’information et de prévention et celles produites par les services de protection maternelle et infantile.
Les traitements prévus sur les données sont de plus unifiés. L’influence de la mise en œuvre du Règlement européen no 2016/679 (N° Lexbase : L0189K8I), dit Règlement général sur la protection des données (RGPD), depuis le 24 mai 2019 et sa définition englobante du «traitement» est notable. La loi supprime, en effet, la trilogie de l’accès et du traitement pour «de la recherche, de l’étude ou de l’évaluation» qui parsemaient le Code de la santé publique pour distinguer les finalités des demandes d’accès aux données, au profit du seul «traitement».
Les conditions du traitement évoluent aussi. La pertinence de ce dernier sera appréciée par le Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé. Il inclut, en son sein, des usagers qui sont membres des associations d’usagers et de malades agréées. Il est de même prévu que sa composition soit mise en œuvre «en recherchant une représentation équilibrée des hommes et des femmes». Alors que la parité est maintenant imposée dans les organisations ordinales et qu’elle s’étend toujours davantage dans la vie politique et économique, il semble surprenant de ne pas l’avoir imposée dans la composition de ce Comité, d’autant que son rôle est important. Il doit en effet se prononcer sur les traitements, à l’exclusion de tout risque de conflit d’intérêts. L’indépendance de ses avis devrait être garantie par l’interdiction faite pour ses membres de participer à une délibération lorsque l'un d'eux n’est pas indépendant du promoteur ou de l’investigateur de la recherche.
La plateforme des données de santé prévue définira des référentiels d’interopérabilité et de sécurité pour le traitement, la conservation sur support informatique et la transmission par voie électronique des données de santé, auxquels devront être compatibles les systèmes d’informations, des services ou outils numériques utilisés professionnels de santé, les établissements et services ainsi que tout organisme qui participe aux soins, ceux qui sont utilisés par les établissements et professionnels des secteurs médico-social et social, ainsi que ceux mis en œuvre par les organismes de prise en charge. La détermination de ces référentiels fera intervenir les représentants des professions concernées, des usagers, des établissements, de l’édition et seront approuvés par le ministre en charge de la Santé. Les référentiels prendront appui sur des standards ouverts en vue de faciliter l’extraction, le partage et le traitement des données de santé (art. 44).
► La création d’un espace numérique personnel
La réforme des données renforce, de plus, l’accès des personnes à leurs propres données (art. 45). Toute personne prise en charge bénéficie, en effet, à l’aide de son identifiant santé, soit son numéro d’inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques, d’un espace numérique de santé. Il permet à son titulaire d’accéder à ses informations administratives, à son dossier médical partagé, à ses constantes de santé issues d’applications et de dispositifs tiers connectés et qui ont été transmises et regroupées selon des référentiels d’interopérabilité et de sécurité, aux données relatives aux remboursements des soins, à une messagerie et à différents outils permettant d’échanger avec les professionnels de santé et les établissements, aux données relatives à la prise en charge par les établissements sociaux et médico-sociaux ainsi qu’à tout service destiné à l’amélioration de la coordination, du parcours de soin, l’information du patient, etc..
Il appartient à la personne elle-même d’exercer les droits sur son espace personnel et, lorsque nécessaire, son représentant légal les exercera dans son intérêt. Afin de faciliter sa mise en œuvre, ce régime aurait sans doute gagné à être conforme à celui applicable aux conditions de recueil du consentement des personnes empêchées, de délivrance de l’information et d’accès au dossier médical, qui prévoit l’intervention du tuteur plutôt que du représentant légal.
Pour l’ouverture de son espace numérique, il ne sera pas nécessaire à la personne prise en charge d’émettre un consentement exprès. Seule son opposition en prévient la création. De même, il lui appartient de refuser d’inclure certaines données dans son espace ou encore d'accorder un accès à un établissement, un professionnel ou une équipe de prise en charge à titre temporaire ou permanent. Elle peut extraire les données lorsqu’elle le souhaite. Il sera, cependant, interdit de demander les informations issues de cet espace pour des besoins d’assurabilité, ce qui est une interdiction habituelle qui figure dans tout texte relatif aux données de santé. Toute personne pourra demander la clôture de son espace personnel. En l’absence de demande formelle de destruction, les données sont archivées dix ans, puis détruites.
La loi définit aussi le «télésoin» comme une forme de pratique de soins à distance utilisant des technologies de l’information et de la communication (art. 53). Il complète la télémédecine -devenue «télésanté» par effet de la loi- et concerne un patient, d’une part, et un pharmacien ou un auxiliaire médical, d’autre part. Des conventions préciseront les conditions de fonctionnement et de remboursement, permettant ainsi qu’un acte soit réalisé à distance non plus seulement par des médecins, mais par ses auxiliaires et les pharmaciens.
Comme pour chacun des titres, des ordonnances sont prévues afin de compléter la loi, tant dans le domaine de l’espace numérique, des référentiels que du télésoin ou de la certification des logiciels, par exemple (art. 55).
► La ratification des ordonnances : inventaire à la Prévert
Le titre IV de la loi prévoit différents dispositifs dits de simplification et dont les contenus ne paraissent pas toujours satisfaire l’appellation. Ils concernent, notamment, les autorisations de création, transformation et extension des établissements sociaux et médico-sociaux (art. 61), le service de santé des armées, la sécurité nucléaire et les différents évènements susceptibles de provoquer le décès de nombreuses personnes -catastrophes naturelles ou terrorisme- qui permettent un aménagement d’ordre public de certaines règles de droit commun et, par l’ajout d’un article 10-6 (N° Lexbase : L5997LRK) qui complète le Code de procédure pénale, la communication entre les administrations, les parquets, les juridictions et les associations de personnes concernées afin de permettre la réalisation de leurs missions respectives et l’information des personnes présentes ou leurs proches (art. 68).
Ce titre contient, de plus, des dispositions relatives aux protocoles de coopération (art. 66). Ils sont rédigés par les professionnels de santé qui souhaitent assurer une prise en charge coordonnée. Ils permettent des transferts de compétences entre lesdits professionnels en prévoyant la formation nécessaire pour ce faire. Les patients qui sont pris en charge au sein d’un tel protocole doivent en être informés. Des protocoles nationaux peuvent, de même, être mis en œuvre, qui font intervenir dans leur identification et leur élaboration le Comité national des coopérations interprofessionnelles. Des professionnels peuvent aussi choisir de conclure des protocoles expérimentaux locaux afin de mettre en œuvre des organisations innovantes. Comme toute loi de santé, cette expérimentation donnera une liberté souhaitable aux professionnels désireux de mettre en œuvre des projets qui ne satisfont à aucun des régimes déjà prévus.
Enfin, le cinquième et dernier titre a pour objet la ratification des ordonnances préalables prises par le Gouvernement. Ces ordonnances concernent, pêle-mêle, des sujets variés, qu’il s’agisse de la Haute autorité de santé (art. 73), de l’organisation des ordres professionnels ou des conditions d’élection à ces ordres (art. 77), des pharmacies à usage intérieur, de la lutte contre le tabagisme, des organismes mutualistes, des centres de santé, de la transfusion sanguine, etc. (art. 77).
► Une équation à de nombreuses inconnues
Il s’agit donc d’une loi ambitieuse, qui préfigure le système de santé qui sera le nôtre dans quelques années. Elle poursuit la convergence des secteurs sanitaire, médico-social et social. Elle vise, aussi, à établir un régime complet et efficace, applicable aux données de santé et aux traitements possibles. Elle prend acte de la place de ces données dans le système sanitaire et l’économie de la santé et permet leur exploitation efficace mais censément protectrice. Quelle que soit l’ambition de cette loi en effet, elle ne saurait contrarier le Règlement européen général sur la protection des données. Sa conformité avec la loi française qui en assure, en outre, la transposition dans notre pays par la loi n° 2018-493, relative à la protection des données personnelles (N° Lexbase : L7645LKD) apparaît souhaitable.
Cette loi "santé" renforce, enfin, la gouvernance des nouvelles structures, en même temps qu’elle permet une prise en charge efficace, par des établissements et des professionnels de santé aux champs d’interventions rationnalisés, tant en termes de compétences que territorialement. Le statut de praticien hospitalier évoluera sensiblement tandis que la présence des élus locaux est renforcée dans le pilotage local de l’offre de soins, et les professionnels de santé voient leurs carrières et leurs missions évoluer. La politique d’aide à l’installation et de lutte contre les déserts médicaux est de même rénovée et renforcée.
Pour être exhaustif, il faudrait aussi rappeler que cette loi est promulguée quelques semaines avant la discussion, au Parlement, de la loi «bioéthique». Si son contenu définitif demeure encore inconnu au jour de la rédaction du présent commentaire, celle-ci inclura nécessairement des dispositions politiques et sociales, liées, par exemple, à l’élargissement des conditions d’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes. Le rapport d’information sur la révision des lois bioéthique présenté remis par MM. Xavier Breton et Jean-Louis Touraine à l’Assemblée nationale insistait aussi sur les conditions de recours à l’intelligence artificielle du fait de la prépondérance prise par les données de santé, de même que le recours à différentes techniques génomiques. Ces pratiques ne manqueront pas d’avoir, très prochainement, une influence réelle sur le système de santé et imposeront, lorsqu’elles ne revêtiront plus un caractère expérimental, une nouvelle réforme.
Plus que le contenu de cette loi "santé", c’est son articulation avec l’ensemble du droit applicable qui conditionnera son efficacité et la satisfaction d’objectifs pourtant contradictoires : qualité de la prise en charge, sécurité des soins et frugalité des budgets nécessaires à leur réalisation. Une équation à beaucoup d’inconnues, qu’un pilotage de court terme rend souvent impossible. Il est à espérer que cette loi échappe à un tel sort, qui a pourtant été, jusqu’à présent, celui des textes qui l’ont précédée.
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Réf. : Ordonnance n° 2019-861 du 21 août 2019 (N° Lexbase : L7958LR8), visant à assurer la cohérence de diverses dispositions législatives avec la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (N° Lexbase : L9567LLW)
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N0145BYZ
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par Charlotte Moronval
Le 04 Septembre 2019
► Publiée au Journal officiel du 22 août 2019, l’ordonnance n° 2019-861 du 21 août 2019 (N° Lexbase : L7958LR8) vise à consolider l'articulation juridique des mesures déclinées par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (N° Lexbase : L9567LLW).
Elle a notamment pour but d’harmoniser l’état du droit, d’assurer la cohérence des textes, d’abroger les dispositions devenues sans objet et remédier aux éventuelles erreurs et de réécrire certaines dispositions afin d'en clarifier ou d'en préciser la portée, dans un souci de sécurité juridique et d'intelligibilité.
Elle procède notamment à la correction des erreurs matérielles ou des incohérences contenues dans le Code du travail ou d'autres codes à la suite des évolutions législatives.
Elle apporte aussi des précisions et modifications sur un certain nombre de dispositifs, en particulier celui de reconversion ou de promotion par l'alternance (Pro-A), l'entretien professionnel, qui se voit adjoindre une période de transition jusqu'à fin 2020, et le droit individuel de formation (DIF) dont les heures seront utilisables après 2020.
Des précisions sont également apportées en matière d'apprentissage.
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Réf. : Ordonnance n° 2019-766 du 24 juillet 2019, portant réforme de l'épargne retraite (N° Lexbase : L3019LRA)
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N0106BYL
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par Charlotte Moronval
Le 04 Septembre 2019
► Publiée au Journal officiel du 25 juillet 2019, l’ordonnance n° 2019-766 du 24 juillet 2019 (N° Lexbase : L3019LRA) porte réforme de l’épargne retraite.
Prise sur le fondement de l’article 71 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK), dite loi «Pacte», cette ordonnance met en place trois nouveaux produits d’épargne retraite :
- deux produits en matière d’épargne retraite d’entreprise : un plan d’épargne retraite entreprise collectif, ouvert à tous les salariés et ayant vocation à succéder aux actuels PERCO et un plan d'épargne retraite d'entreprise pouvant être réservé à certaines catégories de salariés et prenant la succession des actuels contrats «article 83» ;
- un produit d’épargne retraite individuel, qui a vocation à succéder aux actuels contrats "PERP" et "Madelin". Ces produits pourront être ouverts sous la forme d'un compte-titres ou d'un contrat d'assurance. Dans ce dernier cas, ils seront souscrits par l'intermédiaire d'une association souscriptrice représentant les intérêts des épargnants. Certains produits réservés à des publics ciblés, comme le contrat «Préfon» pour les agents publics, pourront conserver leur gouvernance spécifique.
Cette ordonnance précise également le régime des prélèvements sociaux applicables aux produits d'épargne retraite ainsi que les dispositions transitoires visant à faciliter la transformation des produits actuels en nouveaux plans d'épargne retraite.
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