Réf. : CJUE, 4 juillet 2019, aff. C-622/17 (N° Lexbase : A5707ZHT)
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N9779BXH
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par Vincent Téchené
Le 16 Juillet 2019
► Un Etat membre peut, pour des motifs d’ordre public tels que la lutte contre l’incitation à la haine, imposer l’obligation de ne diffuser ou de ne retransmettre temporairement une chaîne de télévision en provenance d’un autre Etat membre que dans des bouquets payants.
Tel est le sens d’un arrêt rendu par la CJUE le 4 juillet 2019 (CJUE, 4 juillet 2019, aff. C-622/17 N° Lexbase : A5707ZHT).
En l’espèce, une société enregistrée au Royaume-Uni diffuse une chaîne de télévision destinée au public lituanien et dont l’essentiel des programmes est en langue russe. La commission lituanienne de la radio et de la télévision (la LRTK) a adopté, conformément à la législation lituanienne, une mesure obligeant les opérateurs distribuant par câble ou internet des chaînes de télévision aux consommateurs lituaniens, pendant une durée de douze mois, à ne plus diffuser cette chaîne que dans des bouquets payants. La décision reposait sur le fait qu’un programme diffusé sur la chaîne en question contenait des informations qui incitaient à l’hostilité et à la haine fondées sur la nationalité envers les pays baltes. Le diffuseur britannique de la chaîne lituanienne a introduit une demande tendant à l’annulation de cette décision. C’est dans ces circonstances que les juridictions lituaniennes ont saisi la CJUE afin de savoir si une décision, telle que celle adoptée par la LRTK, relève de la Directive 2010/13 du 10 mars 2010, sur la coordination de certaines dispositions relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (N° Lexbase : L9705IGK).
La Cour constate que ne constitue pas une entrave au sens de l’article 3 § 1 de cette Directive une mesure nationale qui, de façon générale, poursuit un objectif d’ordre public et qui régit les modalités de distribution d’une chaîne de télévision aux consommateurs de l’Etat membre de réception, dès lors que de telles modalités n’empêchent pas la retransmission proprement dite de ladite chaîne. En effet, une telle mesure n’instaure pas un second contrôle de l’émission de la chaîne en cause s’ajoutant à celui que l’Etat membre d’émission est tenu d’effectuer.
Après avoir relevé que la mesure en cause doit être considérée comme poursuivant, de façon générale, un objectif d’ordre public, la CJUE retient que la décision litigieuse ne suspend pas ou n’interdit pas la retransmission de cette même chaîne sur le territoire lituanien, car celle-ci peut, malgré ladite décision, toujours être légalement diffusée sur ce territoire et les consommateurs lituaniens peuvent toujours la visionner, pour autant qu’ils souscrivent à un bouquet payant. Par conséquent, la mesure telle que celle en cause n’empêche pas la retransmission proprement dite sur le territoire de l’Etat membre de réception des émissions télévisées de la chaîne de télévision, visée par cette mesure, en provenance d’un autre Etat membre. La Cour conclut donc qu’une telle mesure ne relève pas de la Directive.
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 1er juillet 2019, n° 421403, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3522ZHW)
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N9770BX7
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par Yann Le Foll
Le 10 Juillet 2019
► La fixation du montant de l’indemnité exigible par le gestionnaire du domaine public à l’occupant sans titre de ce domaine peut s’effectuer par référence au montant de la redevance due pour un emplacement similaire ou pour une utilisation procurant des avantages similaires. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 1er juillet 2019 (CE 3° et 8° ch.-r., 1er juillet 2019, n° 421403, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3522ZHW).
La ville de Paris s'est référée, pour calculer le montant de l'indemnité due pour l'année 2014 au titre des droits de voirie additionnels relatifs à l'utilisation irrégulière de dispositifs de chauffage et d'écrans parallèles sur la contre-terrasse installée par la société X, aux tarifs applicables, en la matière, aux terrasses ouvertes. La cour administrative d'appel, après avoir retenu qu'il n'existait pas, dans la règlementation de la ville de Paris, de tarif applicable aux contre-terrasses, a estimé que la ville n'avait pas pu légalement fixer le montant des droits de voirie additionnels en se référant aux tarifs applicables aux terrasses ouvertes, parce que les contre-terrasses n'auraient été autorisées, contrairement aux terrasses, que pour une période limitée au cours de l'année civile.
La Haute juridiction estime toutefois, d'une part, il ne ressort pas des dispositions de l'arrêté du 6 mai 2011 du maire de Paris portant règlement des étalages et des terrasses installés sur la voie publique que cet arrêté prévoirait que les contre-terrasses ne pourraient être autorisées que pendant une partie seulement de l'année. En interprétant ainsi cet arrêté, la cour administrative d'appel (CAA Paris, 10 avril 2018, n° 16PA03504 N° Lexbase : A6576XL7) a donc commis une erreur de droit.
D'autre part, en déchargeant la société de l'obligation de payer l'intégralité de la somme mise à sa charge par le titre exécutoire du 20 mars 2015, sans chercher à déterminer par référence à une utilisation du domaine procurant des avantages similaires, le cas échéant en faisant usage de ses pouvoirs d'instruction, le montant de droits additionnels permettant de tenir compte des avantages de toute nature procurés par l'utilisation irrégulière du domaine public par la société X, la cour a commis une erreur de droit.
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newsid:469770
Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 1er juillet 2019, n° 429742, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3523ZHX)
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N9777BXE
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par Marie-Claire Sgarra
Le 09 Juillet 2019
►Les dispositions de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9492IY9) sont renvoyées devant le Conseil constitutionnel.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 1er juillet 2019 (CE 8° et 3° ch.-r., 1er juillet 2019, n° 429742, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3523ZHX).
Pour rappel, ces dispositions encadrent la poursuite pénale des auteurs d’infractions financières et prévoient que seule l’administration fiscale a la possibilité de déposer des plaintes pour fraude fiscale auprès du parquet, après autorisation d’une commission composée pour l’essentiel de magistrats. Depuis la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude (N° Lexbase : L5827LMR), ce monopole n’existe plus et l’administration est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits l’ayant conduit à établir des redressements portant sur des droits d’un montant supérieur à 100 000 euros et ayant donné lieu à l’application des majorations les plus graves.
Pour le Conseil d’Etat, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte au principe d’égalité devant la loi soulève une question qui peut être regardée comme présentant un caractère sérieux et qu’il y a donc lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X8831ALN).
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Réf. : Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 17-15.884, FS-P+B (N° Lexbase : A3020ZIP)
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N9791BXW
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par Blanche Chaumet
Le 10 Juillet 2019
► Le juge ne peut débouter la salariée de sa demande de requalification de contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet et des demandes pécuniaires en découlant, au motif, d'une part, que le contrat de travail respecte pleinement les principes posés par le Code du travail pour les contrats à temps partiel qui ne prévoit, selon l'article L. 3123-1 (N° Lexbase : L6834K9Y), qu'un temps maximum de travail inférieur à 35 heures, que l'article L. 3123-14 (N° Lexbase : L6821K9I) du même code énonce que le contrat de travail doit fixer un nombre d'heures de travail, ce qui est le cas, puisqu'il est expressément garanti quatre heures de travail mensuelles, que la mention des horaires et leur répartition ne peuvent apparaître puisque c'est la salariée elle-même qui les déterminait selon ses disponibilités et le choix des prestations qu'elle souhaitait réaliser, et d'autre part, que les bulletins de salaire produits et le récapitulatif de l'activité de l'intéressée montrent qu'elle travaillait en moyenne 56,56 heures par mois, que l'employeur rapporte la preuve que la salariée ne travaillait pas à temps complet, alors qu'il ressortait de ses constatations que le contrat ne mentionnait pas la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail et ne répondait pas aux exigences légales.
Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 3 juillet 2019 (Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 17-15.884, FS-P+B N° Lexbase : A3020ZIP).
En l’espèce, par un contrat de travail à temps partiel mentionnant que les fonctions s'exerceraient à temps choisi, une salariée a été engagée le 15 octobre 1997 en qualité de coiffeuse à domicile par une société. Victime d'une maladie professionnelle, elle a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue de deux examens des 3 et 17 janvier 2012. Ayant été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de la requalification de la relation de travail en contrat à temps plein et de la rupture abusive du contrat de travail.
La cour d'appel ayant débouté la salariée de sa demande de requalification de contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet et des demandes pécuniaires en découlant, la salariée s’est pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l’arrêt au visa de l’article L. 212-4-3 du Code du travail, devenu L. 3123-14 du même code (voir également Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-16.433, FS-P+B N° Lexbase : A0775I34 ; sur L'impossibilité pour le salarié de prévoir son rythme de travail chaque mois et la contestation des horaires, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E4331EXP) et sur L'obligation d'un contrat de travail à temps partiel écrit, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 38139475, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "L'obligation d'un contrat de travail \u00e0 temps partiel \u00e9crit", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E0469ETK"}}).
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newsid:469791
Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 1er juillet 2019, n° 421460, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3526ZH3)
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N9767BXZ
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par Marie-Claire Sgarra
Le 09 Juillet 2019
► Lorsqu'une société notifie au service des impôts dont elle relève l'option pour la constitution d'un groupe fiscal intégré dans les conditions définies à l'article 46 quater-0 ZD de l'annexe III au Code général des impôts (N° Lexbase : L5650LQC), le refus que lui oppose l'administration au motif qu'elle ne remplit pas les conditions pour bénéficier du régime de l'intégration fiscale prévu aux articles 223 A et suivants de ce Code (N° Lexbase : L1889KG3) présente le caractère d'une décision faisant grief, eu égard aux effets qu'elle emporte pour cette société comme pour ses filiales ;
► Cette décision peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, nonobstant la circonstance que les sociétés concernées pourraient ultérieurement former un recours de plein contentieux devant le juge de l'impôt en vue d'obtenir, le cas échéant, les restitutions d'impôt résultant de la constitution d'un groupe fiscal intégré.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 1er juillet 2019 (CE 8° et 3° ch.-r., 1er juillet 2019, n° 421460, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3526ZH3).
En l’espèce, une société qui exerce l’activité de laboratoire d’analyse médicale, a adressé à l’administration un courrier du 7 mai 2013 portant option pour le régime d’intégration fiscale prévu par les articles 223 A et suivants du Code général des impôts, à compter du 1er janvier 2013. Par un courrier du 12 juin 2013, le directeur général des finances publiques du Rhône a refusé l’application de ce régime au motif que la société disposait de moins de 95 % des droits de vote au sein de ses deux filiales, en méconnaissance de l’article 46 quater-0 ZF du Code général des impôts.
La société requérante a saisi le tribunal administratif de Lyon d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision contenue dans ce courrier. Le tribunal administratif de Lyon a annulé pour excès de pouvoir ce refus. La cour administrative d'appel de Lyon (CAA de Lyon, 12 avril 2018, n° 16LY03896 N° Lexbase : A1823XWG), saisie d'un appel formé par le ministre, a annulé ce jugement et jugé irrecevable le recours pour excès de pouvoir de la société. La cour a retenu que cette décision ne constituait pas un acte détachable de la procédure d'imposition à l'impôt sur les sociétés et ne pouvait pas être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat ne suit pas ce raisonnement et juge que «compte tenu des enjeux économiques qui motivent l'option pour l'intégration fiscale et des effets notables autres que fiscaux qui sont susceptibles de résulter du refus opposé par l'administration pour les sociétés concernées», la décision litigieuse par laquelle le directeur général des finances publiques du Rhône a refusé l’application de ce régime être déférée à la juridiction administrative par la voie du recours pour excès de pouvoir.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019 (N° Lexbase : A8972ZHR)
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N9784BXN
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par Yann Le Foll
Le 10 Juillet 2019
► Le monopole du ministère public pour l'exercice des poursuites devant les juridictions financières est conforme à la Constitution. Telle est la solution d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 5 juillet 2019 (Cons. const., décision n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019 N° Lexbase : A8972ZHR).
Selon les requérants, les dispositions contestées (les mots «il saisit la formation de jugement» figurant au premier alinéa du paragraphe III de l'article L. 242-1 du Code des juridictions financières N° Lexbase : L1190LES, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 N° Lexbase : L6974IBW), en interdisant aux collectivités territoriales victimes d'une erreur du comptable public de soumettre au jugement des chambres régionales des comptes d'autres griefs que ceux retenus par le ministère public, les priveraient de toute possibilité d'exercer un recours auprès des juridictions financières pour obtenir l'indemnisation de leur préjudice.
Les Sages relèvent, d’une part, que ce régime spécial de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics devant les juridictions financières, dès lors qu'est constaté un déficit, une recette non recouvrée ou une dépense irrégulièrement payée, vise à garantir la régularité des comptes publics. Au vu de cet objet, il était loisible au législateur de confier au ministère public près les juridictions financières un monopole des poursuites en la matière.
D’autre part, le législateur a expressément prévu à l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 (N° Lexbase : L1090G8U), que ce régime spécial de responsabilité n'est pas exclusif de la responsabilité des mêmes comptables attachée à leur qualité d'agent public. Dès lors, les collectivités publiques victimes d'une faute du comptable ont la possibilité, si le ministère public près les juridictions financières n'a pas entendu saisir la chambre régionale des comptes de cette faute et de toutes ses conséquences, d'agir en responsabilité, selon les voies du droit commun, contre l'Etat ou contre le comptable lui-même.
Les dispositions contestées ne portent donc pas d'atteinte disproportionnée au droit des collectivités publiques victimes d'obtenir réparation de leur préjudice ni au droit à un recours juridictionnel effectif.
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newsid:469784
Réf. : Cass. civ. 3, 4 juillet 2019, n° 18-17.119, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7571ZHU)
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N9776BXD
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 10 Juillet 2019
► L’expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant, protégé par l’article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR), ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ;
► le droit de propriété ayant un caractère absolu, toute occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant aux propriétaires d’obtenir en référé l’expulsion des occupants.
Tels sont les rappels et précisions apportés par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 4 juillet 2019 (Cass. civ. 3, 4 juillet 2019, n° 18-17.119, FS-P+B+I N° Lexbase : A7571ZHU ; dans la lignée de Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 16-15.792, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9690XMT qui avait également énoncé que «l’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété», et lire le commentaire de Julien Laurent, Lexbase, éd. priv., n° 746, 2018 N° Lexbase : N4653BXM).
En l’espèce, des propriétaires avaient assigné différents occupants de leur parcelle en vue d’obtenir en référé leur expulsion ; faisant grief à l’arrêt attaqué d’accueillir cette demande, ces derniers invoquaient notamment les dispositions de l’article 8 de la CESDH, dont il résulte que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; ils soutenaient que la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile et que toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal.
L’argument est écarté par la Cour suprême, qui énonce les principes susvisés (on rappellera que la Cour de cassation s’est aussi tout récemment prononcée en faveur de la procédure d’expulsion, en décidant qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité dénonçant la suppression du délai de deux mois du commandement de quitter les lieux pour les occupants de locaux d’habitation entrés par voie de fait : Cass. civ. 3, 20 juin 2019, n° 19-40.010, FS-P+B+I N° Lexbase : A3027ZG9).
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newsid:469776
Réf. : Directive 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE)
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N9812BXP
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par Stéphanie Carre, Maître de conférences - HDR, CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375)
Le 11 Juillet 2019
La responsabilité des plateformes d’échanges en ligne de «contenus protégés» fut au cœur des plus vives polémiques et controverses que l’adoption de la nouvelle Directive a pu susciter. Destinée notamment à adapter et compléter «le cadre actuel de l’Union en matière de droit d’auteur» tout en maintenant un niveau élevé de protection de ce droit et des droits voisins, comme l’expliquait la Commission, la Directive 2019/790 du 17 avril 2010, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique et modifiant les Directives 96/9/CE (N° Lexbase : L7808AUQ) et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE) [1] prévoit notamment des règles sur «l’utilisation des œuvres et autres objets protégés par les prestataires de services en ligne qui stockent et donnent accès à des contenus téléversés par leurs utilisateurs» [2]. Les termes utilisés pour résoudre cette question témoignent autant de sa complexité que de son caractère sensible. Si dans la proposition de Directive publiée par la Commission en septembre 2016, l’expression pour désigner les actes dont il était nécessaire de préciser le régime était déjà celle d’«utilisations particulières» de «contenus protégés», le nom de ceux qui les réalisent a évolué. Les «prestataires de services de la société de l’information qui stockent et donnent accès à un grand nombre d’œuvres et autres objets protégés chargés par les utilisateurs» sont devenus le plus souvent, dans le texte adopté, «les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne» dont au moins l’un des objectifs principaux est de stocker et donner un tel accès. Au-delà du choix des mots, manifestant clairement une progression du débat, les dispositions relatives aux plateformes d’échanges en ligne de la nouvelle Directive, y apportent une solution complexe et de compromis. L’affirmation de l’existence d’un acte de communication effectué par ces fournisseurs et soumis à l’autorisation du titulaire de droit inscrit «dans la loi» la solution esquissée par la jurisprudence de la Cour de justice (I). Sans consacrer expressément une nouvelle exception ou limitation aux droits qu’il dessine pourtant en creux, le législateur européen aménage la responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne concernés à l’égard des œuvres et objets protégés communiqués sans autorisation, de manière à concilier les intérêts en jeu (II).
I - D’une «utilisation» soumise à l’autorisation des titulaires de droits
Le droit d’auteur de l’Union européenne est essentiellement construit au travers de l’adoption de différentes Directives et de la jurisprudence de la Cour de justice. L’harmonisation des législations nationales, parcellaire et limitée dans un premier temps, puis générale et transversale avec la Directive 2001/29 [3], a été complétée par l’audacieuse jurisprudence de la Cour de justice. Il n’est alors pas surprenant que la consécration légale de la qualification de «l’utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne» à l’article 17 de la Directive (A) s’inspire des décisions de la Cour. Mais sans aller au bout de cette opération de qualification, à notre sens, le législateur européen a choisi de préciser ses conséquences (B) en affirmant un régime spécifique de responsabilité.
A - La consécration légale d’une qualification
La discussion est simple du point de vue du droit d’auteur. Elle est de savoir si les actes réalisés par les plateformes de partage de contenus en ligne, lorsqu’ils stockent et «donnent accès au public» aux œuvres et autres objets protégés par les droits d’auteur et droits voisins, constituent des actes soumis à l’autorisation de leurs titulaires.
Elle a un temps été obérée notamment du fait d’une défense de ces acteurs fondée sur l’invocation de leur qualité d’hébergeurs et du bénéfice à ce titre de la responsabilité allégée prévue pour ces intermédiaires techniques par la Directive 2000/31 [4]. Les juridictions, se concentrant sur cette question, n’ont parfois pas eu besoin ou ne prenaient pas forcément la peine de qualifier les actes du point de vue des règles propres aux droit d’auteur et droits voisins.
Les plateformes d’échange ont revendiqué la qualité d’intermédiaire technique en soulignant que leur activité consiste dans la fourniture d’un service de stockage de «données» [5] fournies par leurs utilisateurs pour mise à disposition au public. Si cette qualité est recherchée c’est parce que lorsqu’une œuvre protégée ou un autre objet protégé par les droits voisins est «stocké pour mise à disposition du public» par une plateforme ou un service d’échange en ligne, une communication au public de l’œuvre intervient. Or l’article 3 de la Directive 2001/29 consacre pour les auteurs «le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement» [6]. Lorsque la question a été soulevée, les plateformes ont toujours prétendu que l’acte de communication au public soumis à autorisation du titulaire de droit était réalisé par l’utilisateur de leurs services. Cette prétention a été discutée. Certaines jurisprudences nationales ont pu fragiliser leur position [7], ce qui explique sans aucun doute qu’en France notamment, d’importantes sociétés proposant des plateformes d’échanges «de contenus» en ligne, et notamment des vidéos, ont passé des contrats avec les organismes de gestion collective [8].
Si certains appelaient de leurs vœux la reconnaissance d’un rôle actif des plateformes d’échanges en ligne et de la réalisation par celles-ci d’un acte de communication[9], cette opinion était loin d’être majoritaire. Néanmoins, la spécificité de ces «nouveaux acteurs» est admise. La Commission européenne a initié une consultation sur les plateformes en ligne afin de déterminer si un régime juridique spécial devait être élaboré et le cas échéant lequel [10]. Elle semble privilégier encore une «responsabilisation» de ces acteurs et fait le pari d’une (auto)régulation dans la proposition de Directive relative au droit d’auteur dans le marché unique numérique de septembre 2016 [11]. Dans ce texte, les fournisseurs de services de la société de l’information stockant et fournissant au public l’accès à de nombreuses œuvres ou autres objets protégés («to a large amount of» précise la proposition), téléchargés par leurs utilisateurs, se voient imposer une obligation spécifique, consistant à prendre des mesures afin de respecter des accords contractuels avec les titulaires de droits (art. 13 de la proposition, devenu l'art. 17 de la Directive). Si l’on voit donc se dessiner une catégorie particulière de fournisseurs de services de la société de l’information, la proposition de Directive ne semble donc pas remettre en cause les catégories dessinées par la Directive «e-commerce» ni a priori, le bénéfice par ces acteurs d’une responsabilité limitée au titre de la Directive 2000/31 en dépit de la particularité de ces acteurs. Cette spécificité des plateformes en ligne est inscrite dans la loi française par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 (loi n° 2016-1321 N° Lexbase : L4795LAT) qui nomme et définit un nouvel acteur, l’«opérateur de plateforme en ligne» [12], sans toutefois prévoir un régime particulier qui lui serait applicable, sauf à considérer leur obligation de loyauté et d’information à l’égard du consommateur. La question de leur responsabilité à l’égard des «contenus» demeure, comme celle de savoir s’ils réalisent un acte de communication au public ou de mise à disposition du public des œuvres ou autres objets protégés que leurs utilisateurs «fournissent»…
Or la jurisprudence de la Cour de justice a apporté à cette dernière interrogation des réponses, nous semble-t-il, dans ses dernières décisions relatives à la définition du droit de communication au public et spécialement de la notion de «communication au public». Cette notion autonome du droit de l’Union a fait l’objet d’une riche, dense, audacieuse ou chaotique (selon le point de vue…) construction jurisprudentielle. Ses derniers développements laissent penser que la Cour pourrait ne pas être favorable à l’application du régime des hébergeurs aux prestataires offrant des services de partage de contenus en ligne [13]. Dans une affaire portée à sa connaissance sur le seul terrain du droit d’auteur, la question lui est posée de savoir si une plateforme de partage qui indexe des métadonnées relatives à des œuvres protégées et fournit un moteur de recherche, permettant ainsi aux utilisateurs de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer) communique l’œuvre au public au sens de l’article 3 de la Directive 2001/29. L’Avocat Général, cité par la Cour, avait relevé que les œuvres protégées par le droit d’auteur sont, par l’intermédiaire de la plateforme de partage en ligne, mises à la disposition des utilisateurs, de manière à ce que ceux-ci puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement. Si les œuvres ont été mises en ligne sur cette plateforme non pas par les administrateurs de cette dernière, mais par ses utilisateurs, il n’en demeure pas moins, selon la Cour, «que ces administrateurs, par la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, interviennent en pleine connaissance des conséquences de leur comportement, pour donner accès aux œuvres protégées» [14]. La Cour considérant «leur rôle incontournable dans la mise à disposition des œuvres en cause», souligne qu’ils «offrent à leurs utilisateurs un accès aux œuvres concernées» [15]. Elle en conclut que «la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la Directive 2001/29» [16].
«Donner accès au public» à une œuvre, c’est la communiquer au public. Simplifier ainsi l’affirmation pourrait être dangereux mais c’est néanmoins la substance de la solution affirmée par la Cour de justice et elle a incontestablement inspiré le législateur qui reprend la formule dans le texte finalement adopté de la Directive. Le Parlement européen, en septembre 2018 amende en effet le texte du fameux article 13 de la proposition de Directive pour (enfin !?) affirmer que les plateformes de partages en ligne réalisent des actes de communication au public des œuvres dont elles permettent l’accès ! Dans la nouvelle rédaction de l’article 13, il est certes toujours prévu d’inviter ces plateformes à mettre en place des dispositifs techniques permettant l’identification des œuvres et de mettre fin aux atteintes au cas où le titulaire de droit ne souhaiterait pas conclure de contrat. Il n’en reste pas moins qu’il est affirmé que les plateformes réalisent un acte de communication au public et qu’elles doivent en conséquence conclure un contrat avec les titulaires du droit de communication au public.
En dépit des campagnes menées, parfois à l’initiative des sociétés gérant les plus grandes plateformes de partage en ligne, le Parlement et le Conseil ont donc finalement inscrit dans la nouvelle Directive une qualification légale de l’acte consistant, pour les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne, à donner accès au public à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou autres objets protégés «téléversés» par les utilisateurs de leurs services. La qualification expresse imposée aux Etats, par une formulation marquée sans aucun doute par l’empreinte des longues et délicates discussions, est importante. Confirmant l’analyse dessinée par la Cour de justice, elle met fin à l’idée même que ces opérateurs puissent être considérés comme ayant un rôle passif [17]. Elle correspond à l’acceptation d’une réalité : les plateformes en question exploitent les œuvres et objets de protection par les droits voisins [18]. Si aux termes de l’article 17 § 1, les Etats membres doivent prévoir que le «fournisseur de services de partage de contenus en ligne effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public aux fins de la présente Directive lorsqu’il donne au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs», le législateur européen n’en a pas moins fait le choix de privilégier une approche en termes de responsabilité en créant un régime spécifique pour ces opérateurs.
B - La précision légale des conséquences de la qualification
Le principe en droit d’auteur [19], en présence d’un acte de reproduction ou de communication au public, est que l’auteur a un droit exclusif de l’autoriser ou de l’interdire. Au principe correspond des exceptions et limitations. Ce principe d’un droit exclusif est affirmé par la Directive 2001/29 et a été rappelé à maintes reprises par la Cour de justice de l’Union européenne.
Le législateur européen tire logiquement les conséquences de la qualification de l’acte réalisé par les plateformes de partage en ligne et a souhaité l’expliciter. La nouvelle Directive prévoit donc que puisque le fournisseur de services de partage de contenus en ligne effectue un acte de communication au public (ou un acte de mise à la disposition du public), lorsqu’il donne l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés, «téléversés» par ses utilisateurs, soumis à autorisation des titulaires de droits en vertu de l’article 3 de la Directive 2001/29, il doit obtenir une autorisation des titulaires de droits. Si le législateur européen en dispose explicitement à l’article 17 § 1, alinéa 2 [20], sans doute pour clore (de la manière la plus ferme) un débat [21], on peut s’interroger sur le sens de la précision selon laquelle cette autorisation peut être obtenue «par exemple en concluant un accord de licence». De quelle autre manière cette autorisation nécessaire pourrait-elle être obtenue ? Si l’on entend jouer sur les mots… par cession bien entendu. La loi peut également permettre ou autoriser, au lieu et place du titulaire, dans l’hypothèse d’une exception ou limitation bien sûr. Il est également possible d’interpréter la disposition au regard des précisions apportées. Sans pouvoir ici questionner la valeur des considérants d’une Directive, le sens d’une disposition est a minima précisé par eux et l’on sait que la Cour, qui leur accorde une grande importance, procédera ainsi aux fins d’interprétation du texte. Or aux termes du considérant 69, l’autorisation expresse accordée par les titulaires de droit aux utilisateurs de services de partage de contenus en ligne de «téléverser» et mettre à disposition à disposition du public sur un tel service, vaut autorisation de l’acte de communication au public du fournisseur de ce service «dans les limites de l’autorisation octroyée».
La lettre de ce considérant 69, notamment, questionne, tout comme son esprit. Si l’on envisage l’hypothèse d’une autorisation accordée aux utilisateurs de mettre à disposition du public sur un service de partage en ligne, de deux choses l’une. Soit c’est parce que l’on considère que l’utilisateur d’un tel service réalise une communication au public distincte de celle réalisée par le fournisseur du service. Soit, on considère que deux personnes interviennent dans le cadre ou «à l’occasion» de la communication au public, mais qu’il n’y a qu’un acte de communication dont le responsable est celui qui exploite l’œuvre, autrement dit le fournisseur de service, et que l’autorisation peut être accordée par un accord de licence passé avec soit l’utilisateur, soit le fournisseur de service [22]. Si l’on retient cette dernière analyse, une question survient à la lecture du second paragraphe de cet article 17 de la Directive notamment. En effet, il y est expressément prévu que l’autorisation qu’obtient un fournisseur de service de partage de contenus en ligne couvrira les actes accomplis par les utilisateurs de son service et relevant du champ d’application de l’article 3 de la Directive 2001/29, lorsqu’ils n’agissent pas à titre commercial ou lorsque leur activité ne génère pas de revenus significatifs. Cette précision, tout comme celles apportées par les dispositions relatives au bénéfice des exceptions par les utilisateurs, laisse penser que les utilisateurs eux-mêmes réalisent un acte de communication au public : il y aurait donc deux actes de communication… Toutefois, aucune disposition ne l’affirme et le législateur évite soigneusement nous semble-t-il de «clarifier», pour reprendre ses termes, cette question [23].
La voie choisie, pour permettre d’adopter cette disposition sulfureuse, a été de régler la question en termes de responsabilité, d’imputabilité sans doute, d’un (d’au moins un ?) acte de communication au public identifié. Ainsi la Directive précise-t-elle tout d’abord que lorsque le fournisseur de services de partage de contenus en ligne procède à un acte de communication au public [24] , la limitation de responsabilité établie à l’article 14 § 1 de la Directive 2000/31 ne s’applique pas (art. 17 § 3).
La conséquence est logique. Il était important, sans doute, que cela soit écrit «noir sur blanc». Il était temps de rompre avec ce qui a pu être. L’observation a déjà été faite ici de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice relative à la notion de communication au public et avant elle, de la position de la Cour de cassation en 2012, dans une affaire concernant le service Google Vidéo liant l’accaparement de la valeur des œuvres au rôle actif. L’idée que l’exploitation à des fins commerciales ou lucratives d’une œuvre implique nécessairement un acte d’exploitation au sens du droit d’auteur «a fait son chemin» [25]…
L’enjeu de l’intervention du législateur et des vives discussions relatives à ce texte était le partage de la valeur, comme le manifestent clairement l’ensemble des travaux préparatoires. Néanmoins, et même s’il est enfin admis que les plateformes de partage de contenus en ligne exploitent des œuvres et autres objets protégés par les droits voisins, le législateur a considéré que l’absence d’autorisation n’impliquerait pas systématiquement une contrefaçon : certains faits peuvent justifier la non-responsabilité du responsable de l’acte d’exploitation. Autrement dit, le législateur de l’Union dessine en quelque sorte une exception ou limitation du droit d’auteur et des droits voisins en privilégiant un raisonnement en termes de responsabilité [26].
II - D’une limitation des droits par un nouveau régime spécifique de responsabilité
Le principe étant qu’un acte de communication au public d’un objet protégé est soumis à l’autorisation des titulaires de droits, prévoir une hypothèse dans laquelle, en dépit de l’absence d’autorisation, l’auteur de l’acte d’exploitation n’est pas responsable, revient a priori à consacrer une exception ou limitation des droits. La Directive n’en crée formellement pourtant pas à l’égard de l’utilisation des œuvres et autres objets protégés par les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne. Le législateur européen a préféré instituer pour une telle utilisation de «contenus protégés» un régime spécifique de responsabilité aux conditions différenciées (A), imposant à leurs exploitants des obligations particulières dont elle encadre les conséquences (B).
A - Un régime de responsabilité atténuée aux conditions différenciées
Le champ d’application du régime spécial de responsabilité institué par la Directive est restreint eu égard à la définition retenue des plateformes concernées. Par ailleurs, des conditions différentes encadrent en quelque sorte un régime de responsabilité(s) différencié(es).
Le régime spécifique de responsabilité créé par la Directive ne concerne que certaines plateformes d’échanges.
Si dans la proposition de Directive en 2016 il est question de «plateformes», il s’agit surtout des plateformes de vidéo à la demande en ligne, pour lesquelles l’actuel article 13 de la Directive prévoit un mécanisme de négociation afin d’encourager l’octroi de licences nécessaires à leur activité. Les plateformes d’échanges dont la destinée nous retient ici sont alors encore visées en tant qu’«intermédiaires en ligne», «intermédiaires dans la distribution en ligne d’œuvres et autres objets protégés» [27]. Dans cette proposition de Directive de la Commission, le célèbre article 13 concerne l'utilisation de contenus protégés par des prestataires de services «qui stockent et donnent accès à un grand nombre d'œuvres et d'autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs» [28]. Le Parlement en modifiera la portée en visant dans ses amendements les «prestataires de services de partage de contenus en ligne» et en ajoutant un article 13 ter concernant les prestataires qui «fournissent des services automatisés de référencement d'images» [29]. Il propose également de définir l’acteur dont le régime de responsabilité spécial est institué, et c’est heureux. Or, si à l’égard des services proposés par les acteurs les plus importants économiquement, pour le dire autrement par les GAFAM, progressait l’idée qu’ils exploitaient ou au moins profitaient de l’exploitation des œuvres et autres objets protégés, au cœur des débats virulents s’agissant du partage de la valeur, des critiques avaient été émises quant à la nécessité de laisser se développer les plateformes collaboratives, comme wikipédia, mais aussi celles qui ont une finalité non commerciale ou celles dont la taille est limitée.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Seuls les «fournisseurs de services de partage de contenus en ligne» au sens de la nouvelle Directive sont soumis au régime spécial. L’article 2 § 6 de la Directive précise que sera ainsi considéré «le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives». Pour répondre aux inquiétudes exprimées, les encyclopédies en ligne à but non lucratifs sont exclues, tout comme les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif, les plateformes de partage de logiciels libres. Pour d’autres raisons, qui tiennent cette fois au souci et au choix fait de voir appliquer soit un régime de pleine responsabilité, soit d’autres régimes spéciaux, sont exclus de la catégorie définie, les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la Directive 2018/1972 [30], les places de marché en ligne, les services en nuage entre entreprises et les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur propre usage.
Le régime spécifique de responsabilité institué par la Directive est fonction de «l’importance» et de «l’ancienneté» des plateformes d’échanges concernées.
Plusieurs critères -le chiffre d’affaire, le nombre d’années d’existence ou d’utilisateurs de la plateforme en ligne- déterminent leur régime de responsabilité et donc leurs obligations, lorsqu’aucune autorisation ne leur a été accordée par les titulaires de droit. Le régime général applicable aux «fournisseurs de services de partage de contenus en ligne» est construit sur le modèle de celui des hébergeurs. Il s’agit d’une responsabilité «atténuée… mais renforcée» puisque des conditions supplémentaires (par rapport à celles communes avec le régime spécial des hébergeurs) à leur irresponsabilité sont prévues. Trois conditions cumulatives (dont une double) permettent aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de s’exonérer de leur responsabilité pour contrefaçon lorsqu’ils n’ont pas obtenu les autorisations requises pour les actes de communication au public qu’ils effectuent.
En effet, ils ne seront pas responsables des actes non autorisés s’ils démontrent qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation et qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour garantir l’indisponibilité des objets protégés pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires et qu’ils ont agi promptement pour bloquer l’accès à ces objets ou pour les retirer dès réception d’une notification suffisamment motivée des titulaires de droits et dans ce cas qu’ils ont fourni également leurs meilleurs efforts pour empêcher leur futur «téléversement» [31]. Le dispositif revient donc sur le mécanisme du «notice and take down»? toujours valable s’agissant des hébergeurs? pour adopter le système du «notice and stay down», déjà existant pour des hébergeurs dans certaines lois étrangères.
Pour les nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, autrement dit comme le précise la Directive (art. 17§6), pour ceux qui ont mis à disposition du public leurs services depuis moins de trois ans [32], qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros, un régime dérogatoire et plus favorable s’applique. Il ressemble fort au régime de responsabilité atténuée des hébergeurs prévue à l’article 14 de la Directive «e-commerce». En effet, la seule différence avec ce régime applicable aux hébergeurs réside dans la condition «préalable» d’avoir fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation pour pouvoir prétendre à une irresponsabilité. Mais, à l’inverse des fournisseurs des mêmes services, «anciens» ou «très importants», nulle exigence de fournir leurs meilleurs efforts pour garantir l’indisponibilité des objets protégés pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires. Nulle condition de fournir leurs meilleurs efforts pour empêcher la réapparition d’un contenu dénoncé, sauf pour les nouveaux fournisseurs dans le cas où le nombre de visiteurs uniques [33] par mois dépasse les 5 millions !
Il est donc trois catégories de fournisseurs de services de partage de contenus en ligne pour lesquels des règles, des obligations différentes s’appliquent. Leur mise en œuvre est précisée et encadrée par la nouvelle directive.
B - Les obligations particulières aux conséquences encadrées des plateformes d’échanges
Le régime de responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne repose en quelque sorte sur des «obligations de moyen renforcées», pour prendre une notion bien connue des civilistes. Le standard visé à plusieurs reprises pour préciser les conditions de l’irresponsabilité est celui des «meilleurs efforts». Tant pour apprécier ceux-ci que pour déterminer si les autres obligations sont respectées, la Directive «invite» les Etats et leurs juridictions à prendre en considération certains éléments, à la lumière du principe de proportionnalité (art. 17 § 6). Ainsi en est-il du type, de l’audience et de la taille du service, du type d’œuvres ou autres objets protégés téléversés. Par ailleurs, il faudra également tenir compte de la disponibilité de moyens adaptés et efficaces et enfin de leur coût pour les fournisseurs d’accès.
Ces obligations, consistant à exiger des plateformes concernées leurs meilleurs efforts à certaines fins pour pouvoir bénéficier d’un régime de responsabilité dérogatoire au droit commun du droit d’auteur, correspondent à une obligation de coopérer plus avancée que celle envisagée en premier lieu par la Commission avec l’article 13 de la proposition de Directive de 2016. Cette obligation de coopération avec les titulaires de droits est expressément visée (cons. 71) et la coopération en elle-même [34] et ses conséquences sont l’objet de nombreuses dispositions (art. 17 § 7-10 ; cons. 66, 68, 70).
Une première précision s’imposait sans doute, qui répond à une question évidente. Différent de celui des hébergeurs, le régime spécifique institué par la Directive rappelle néanmoins celui des intermédiaires techniques [35], pour lesquels la Directive «e-commerce» prévoit que l’on ne saurait exiger de ces derniers, ni mettre à leur charge une obligation générale de surveillance. Or la coopération demandée implique la prise de mesures à l’égard des «contenus». Aussi comprend-on que le législateur ait entendu préciser fermement que l’application de l’article 17 «ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance» (art. 17 § 8, al. 1er). L’obligation des plateformes d’échanges de coopérer avec les titulaires de droits se distingue et ne doit pas conduire à exiger des premiers une surveillance des «contenus», qu’ils exploitent pourtant sans autorisation.
Quelle est la coopération attendue alors ? Elle est avant tout, comme l’indique la Directive, celle résultant des obligations propres au régime spécifique de responsabilité (art. 17 § 8, al. 2). Les titulaires de droits et les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne doivent se transmettre mutuellement des informations. Lorsqu’ils entendent faire respecter leurs droits à l’égard de tels ou tels œuvres ou objets protégées, les titulaires doivent par une notification motivée, communiquer les informations «pertinentes et nécessaires» aux fournisseurs de service pour les identifier et permettre aux fournisseurs de prendre des mesures (cons. 66 et art. 17 § 4). Le considérant 68 vise par ailleurs la transparence exigée de ces fournisseurs de service quant aux mesures prises dans le cadre de la coopération. Il s’agit de leur demander de fournir sur demande des titulaires de droits, des informations utiles sur le type d’actions entreprises et la manière dont elles le sont, sans être tenus de leur communiquer des informations détaillées concernant tels ou tels œuvres ou objets protégés identifiés. Peu de marge de manœuvre, que viendra peut-être encore préciser la Cour de justice, est laissée aux Etats pour organiser la mise en œuvre du dispositif. Il leur appartient de prévoir la fourniture, par les plateformes concernées, à la demande des titulaires de droits, des informations adéquates sur le fonctionnement de leurs pratiques en ce qui concerne la coopération visée au paragraphe 4 et, en cas d'accords de licence conclus entre les fournisseurs de services et les titulaires de droits, des informations sur l’utilisation des contenus couverts par les accords (art. 17 § 7, al. 1er).
Mais la coopération ne doit pas aboutir à priver les utilisateurs de leurs droits et libertés.
La Directive précise tout d’abord que la coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits ne doit pas empêcher la mise à disposition d’œuvres ou autres objets protégés téléversés par des utilisateurs qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur et droits voisins (art. 17 § 7, al. 1er). A ce titre sont notamment visés les œuvres ou autres objets protégés «couverts par une exception ou limitation». La formule est malheureuse : une œuvre, comme un objet de droits voisins, n’est pas couverte en tant que telle par une exception ou limitation, laquelle concernera un acte en particulier, c’est-à-dire une «utilisation» dans certaines circonstances d’une œuvre ou d’une prestation protégée. D’ailleurs, maladresse ou non, cette préservation fait l’objet d’une autre disposition, dont la formulation plus orthodoxe paraît aussi «plus ferme» (art. 17 § 9, al. 3) [36]. En effet il est affirmé par le texte que «la présente Directive n’affecte en aucune façon les utilisations légitimes, telles que les utilisations relevant des exceptions ou limitations prévues par le droit de l’Union» (art. 17 § 9, al. 3) [37]. Quoi qu’il en soit, il s’agit bien aux articles 17 § 7 et 17 § 9 de la Directive, de préserver spécialement le bénéfice des exceptions et limitations. La Directive impose aux fournisseurs de services d’informer leurs utilisateurs dans leurs conditions générales d’utilisation de la possibilité d’utiliser des œuvres et autres objets protégés dans le cadre des exceptions ou des limitations au droit d’auteur et aux droits voisins prévues par le droit de l’Union (art. 17 § 9, al. 3) [38]. Il semble d’ailleurs que les dispositions relatives à la préservation des exceptions et limitations concernent spécialement (exclusivement ?) leur bénéfice par les utilisateurs des services de partage de contenus en ligne [39]. C’est dans tous les cas à leur seul bénéfice qu’une obligation spéciale des Etats membres est précisée s’agissant de certaines exceptions considérées comme essentielles du point de vue de leur liberté d’expression et de création. En effet la Directive leur demande de veiller à ce que les utilisateurs puissent se prévaloir de certaines exceptions ou limitations, «lorsqu’ils téléversent et mettent à disposition des contenus générés par les utilisateurs» [40] : les exceptions de citation, critique et revue, d’une part, et de caricature, parodie ou pastiche d’autre part (art. 17 § 7, al. 2). Cet aspect, comme le souligne le considérant 70 est «particulièrement important aux fins d’assurer un équilibre entre les droits fondamentaux et spécialement la liberté d’expression et des arts (!?) et le droit de propriété, notamment intellectuelle» [41].
La garantie de cet équilibre suppose des moyens et la Directive oblige les Etats membres à prévoir la mise en place par les fournisseurs de ces services de partage un dispositif de traitement des plaintes et recours rapide et efficace en cas de litige sur les retraits ou blocages effectués, au bénéfice de leurs utilisateurs (art. 17 § 9). Les Etats doivent prévoir à la fois la disponibilité de mécanismes de recours extrajudiciaires et veiller à ce que les utilisateurs puissent aussi s’adresser à un tribunal ou autre autorité judiciaire compétente pour faire valoir le bénéfice d’une exception ou limitation. On songe bien évidemment, pour la France, à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), déjà compétente pour garantir le bénéfice effectif des exceptions privilégiées (visées aux art. L. 331-7 (N° Lexbase : L8888IEW) et L. 331-31 N° Lexbase : L8876IEH du Code de la propriété intellectuelle) lorsque le titulaire de droits recoure à des mesures techniques de protection.
La Directive prévoit enfin une collaboration entre les Etats membres et la Commission aux fins d’organiser, sous l’égide de cette dernière, des dialogues entre les parties prenantes. Le droit de l’Union se construit aujourd’hui avec l’idée que la norme sera mieux acceptée et plus effective et efficace si l’on se saisit des problèmes existants et si les acteurs concernés sont associés à son élaboration. Pour «garantir l’application uniforme de l’obligation de coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits et établir les bonnes pratiques» (cons. 71), pour examiner les «meilleurs pratiques» pour cette coopération, eu égard notamment à «la nécessité de maintenir un équilibre entre les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et aux limitations» [42], la Commission est appelée à organiser depuis le 6 juin dernier, en coopération avec les Etats des dialogues entre les parties intéressées, de consulter les fournisseurs des services concernés par le régime spécifique de l’article 17, les titulaires de droits, les organisations d’utilisateurs et les «autres parties prenantes concernées» pour ensuite émettre des orientations sur l’application du dispositif.
En France, un projet de loi visant à transposer le régime spécial de l’article 17 est en discussion au ministère au moment même où nous écrivons ces lignes. On peut s’interroger sur la démarche. Le dialogue, la consultation et les orientations dont l’initiative a été confiée à la Commission participent d’une manière de faire la loi, elle n’est sans doute pas partagée par le législateur français…
[1] JOUE n° L 130/92.
[2] Considérant 3 de la nouvelle Directive que certains ont décidé de désigner par l’acronyme «DANUM».
[3] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L3222LQE), JOUE n° L 167/10.
[4] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8018AUI ; Directive sur le commerce électronique), JOCE n° L 178/01.
[5] Ce terme de «donnée» est volontairement mobilisé ici : cette «méta-notion» est susceptible d’englober celle aussi vague de «contenu» par exemple, si séduisante que le législateur européen a choisi de la privilégier même dans une Directive consacrée au droit d’auteur ! V. sur ces notions spéc. V.-L. Benabou, Entrée par effraction d’une notion juridique nouvelle et polymorphe : le contenu numérique, Dalloz IP/IT, 2017, p. 7.
[6] L’article 3 de la Directive 2001/29 reconnaît également un droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions, pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes pour les producteurs des premières fixations de films, de l'original et de copies de leurs films, pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu'elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.
[7] Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, deux arrêts n° 11-13.669, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7506IQ3) et n° 11-13.666, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7505IQZ).
[8] En France par exemple, la société DailyMotion a passé des accords avec la SACD, la SCAM et l’ADAGP en 2008 et la société Youtube en 2010.
[9] Nous-même notamment : S. Carre et G. Vercken, Google et la fortune du droit d’auteur, Melanges A. Lucas, LexisNexis, p. 119.
[10] Consultation publique sur les plateformes, les intermédiaires en ligne, les données, l'informatique en nuage et l'économie collaborative, ouverte le 24 septembre 2015.
[11] Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on copyright in the Digital Single Market - COM(2016)593. Spécialement l’art. 13.
[12] Art. 49 de la loi n° 2016-1321, modifiant l’article L. 111-7 du Code de la consommation (N° Lexbase : L4973LAG).
[13] CJUE, 14 juin 2017, aff. C‑610/15 (N° Lexbase : A5741WH4).
[14] Point 36 de la décision, nous soulignons.
[15] Point 37 de la décision.
[16] Point 39 de la décision.
[17] On notera d’ailleurs que si dans le considérant 38 de la proposition de Directive, il était précisé qu’en ce qui concerne l’article 14 de la Directive 2000/31, il y avait lieu de vérifier si la plateforme d’échange joue un rôle actif, notamment en optimisant la présentation des œuvres ou autres objets protégés mis en ligne ou en assurant leur promotion, indépendamment de la nature des moyens employés à cet effet, le Parlement l’avait modifié en affirmant le rôle actif de certains services de partage de contenus en ligne qu’il définit (ceux dont au moins l’un des objectifs principaux «consiste à stocker, à mettre à la disposition du public ou à diffuser un grand nombre de contenus protégés par le droit d'auteur chargés ou rendus publics par leurs utilisateurs, et qui optimisent les contenus et font la promotion dans un but lucratif des œuvres et autres objets chargés, notamment en les affichant, en les affectant de balises, en les gérant et en les séquençant, indépendamment des moyens utilisés à cette fin»).
[18] Sur la centralité de la notion d’exploitation en droit d’auteur, v. not. S. Dussolier, L’exploitation des œuvres : une notion centrale en droit d’auteur, Mélanges A. Lucas, LexisNexis, 2014, p. 263.
[19] Comme en droits voisins, même si s’agissant de ces derniers, la consécration, dès leur reconnaissance, de droits à rémunération conduit à s’interroger sur l’existence d’un «principe général» de droit exclusif. Afin de mieux protéger les artistes interprètes notamment, une licence légale a été consacrée et son application doit être préservée.
[20] «Un fournisseur de services de partage de contenus en ligne doit dès lors obtenir une autorisation des titulaires de droits visés à l'article 3, paragraphes 1 et 2, de la Directive 2001/29/CE, par exemple en concluant un accord de licence, afin de communiquer au public ou de mettre à la disposition du public des œuvres ou autres objets protégés».
[21] Comme l’indique expressément le considérant 64, il convenait de «clarifier» le fait que ces plateformes réalisent un acte de communication au public.
[22] Quoi qu’il en soit, le considérant 69 précise enfin que «les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne ne bénéficient pas d’une présomption selon laquelle leurs utilisateurs auraient acquis l’ensemble des droits concernés».
[23] Peut-être d’ailleurs cela explique-t-il en partie l’expression sibylline «téléversée».
[24] La façon de faire du législateur européen, on l’a souligné, est ici encore particulière, du moins dans l’usage des termes, mais en toute cohérence avec la formule du § 1, sont visés au § 3 les mêmes actes donc est reprise à l’identique la formule «spéciale» «acte de communication au public» ou «acte de mise à la disposition du public».
[25] On peut d’ailleurs s’interroger. La finalité lucrative d’un «utilisateur» d’une œuvre ou autre objet protégé par les droits voisins constitue selon la Cour de justice un critère, un facteur ou un élément à prendre en compte pour déterminer l’existence d’un acte de communication au public. On peut se demander si l’article 17 de la nouvelle Directive n’en fera pas un critère déterminant. On relèvera en ce sens que les «téléversement et mise à disposition» d’une œuvre ou autre objet protégé, par l’utilisateur d’un service de partage de contenus en ligne, semblent devoir être qualifiés différemment selon que celui-ci agit à titre commercial ou avec un but lucratif (du moins si son activité génère des revenus significatifs), ou non (art. 17§2).
[26] Si l’article 17, tout comme l’article 5 qui lui énonce une exception/limitation, vise des «utilisations», le considérant 66 nomme très clairement le mécanisme mis en place : «il convient de prévoir un mécanisme de responsabilité spécifique aux fins de la présente Directive pour les cas où aucune autorisation n’a été accordée» ; est encore visé, plus loin, le «régime spécifique applicable aux nouveaux fournisseurs».
[27] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique : COM(2016) 593 final.
[28] Ibid..
[29] Amendements du Parlement européen, adoptés le 12 septembre 2018, à la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique : COM(2016)0593 – C8-0383/2016 – 2016/0280(COD).
[30] Directive 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen (N° Lexbase : L4469LNT), JOUE n° L 321/36, spéc. art. 2§4.
[31] Si le mot «téléverser» est intégré au dictionnaire Larousse en 2017, celui de «téléversement», utilisé ici en réaction, ne semble pas encore appartenir à la langue française.
[32] Et pour éviter tout détournement de la règle dérogatoire et donc tout abus, comme le précise le considérant 67, le régime applicable aux «nouveaux services en ligne» ne devrait pas «s’appliquer aux services nouvellement créés ni aux services fournis sous un nouveau nom, mais qui s’inscrivent dans la continuité de l’activité d’un fournisseur de partage de contenus en ligne déjà existant qui ne pouvait pas bénéficier de ce régime ou qui n’en bénéficie plus».
[33] Pour l’heure, nous ne savons pas ce que pourrait être un visiteur qui ne serait pas unique !?
[34] La coopération attendue des fournisseurs de ces services va au-delà de celle requise pour ne pas être responsable. A l’instar des intermédiaires techniques, ces plateformes sont perçues comme pouvant dans tous les cas «agir utilement» à l’égard de «contenus» illicites : la Directive précise que le régime spécifique qu’elle met en place est sans préjudice des injonctions qui peuvent être prises à leur égard (cons. 66)
[35] Et dont l’application n’est d’ailleurs pas totalement exclue dans la mesure où il est expressément envisagé l’application de l’article 14 § 1de la Directive 2000/31 à ces fournisseurs de services «pour des finalités ne relevant pas du champ d’application de la présente Directive» selon l’article 17 § 3, alinéa 2, et le considérant 65.
[36] De la même manière le considérant 70, alinéa 1er précise que «les mesures prises par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne devraient s’entendre sans préjudice de l’application des exceptions ou limitations au droit d’auteur».
[37] Il y est également précisé que la Directive (et plus précisément, comme l’indique le second alinéa du considérant 70, la coopération entre fournisseurs de services et titulaires de droits), ne doit pas aboutir à l’identification des utilisateurs individuels, ni au traitement de données à caractère personnel, excepté conformément à la Directive 2002/58/CE (N° Lexbase : L2925LHS) et au Règlement n° 2016/679 (N° Lexbase : L0189K8I).
[38] Remarquable : c’est à notre connaissance la première fois que l’on impose une information sur cette liberté !
[39] Les termes de l’article 17 § 7 sont en ce sens. C’est sans doute moins clair avec le paragraphe 9 (les utilisations légitimes qui doivent être préservées sont visées sans que leurs bénéficiaires soient expressément précisés, bien que soient mentionnés les «utilisateurs individuels», dont le risque d’identification est soulevé, dans la même phrase). Le bénéfice des exceptions ou limitations par les plateformes elles-mêmes ne manquera pas de faire l’objet de discussions.
[40] Nous souligne. On retrouve la question posée plus haut…. Les utilisateurs, lorsqu’ils mettent à disposition des contenus générés par les utilisateurs (d’autres ? eux-mêmes ?) ne réalisent-ils pas un acte de communication au public ? On répondra peut-être que le bénéfice de l’exception concerne la génération du contenu, son «téléversement» (en ce qu’il implique une reproduction ?) …et qu’ils bénéficient de l’exception pour pouvoir créer, reproduire l’œuvre ou l’objet protégé et le communiquer au public par ailleurs.
[41] Mais qu’en sera-t-il du bénéfice de ces exceptions par les plateformes ? Et qu’en est-il lorsque la loi nationale applicable ne prévoit pas l’exception en cause ?
[42] La formule est «innovante». Elle interroge : est souvent visé l’équilibre entre les droits fondamentaux que sont les libertés d’expression, de création et le droit de propriété intellectuelle que permettent notamment les exceptions et limitations… mais entend-on viser un autre équilibre en mentionnant celui entre les droits fondamentaux et les exceptions ou les limitations ?
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Le 11 Juillet 2019
Lexbase Hebdo - édition affaire vous propose, cette semaine, un numéro spécial sur la Directive 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE), en collaboration avec le Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Intellectuelle (CEIPI), sous la direction de Stéphanie Carre, Maître de conférences - HDR.
Au sommaire de cette édition spéciale :
- Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : l’adaptation des exceptions et limitations à l’environnement numérique et transfrontière (articles 3 à 7) par Anna Lawrynowicz-Drewek, Doctorante au CEIPI, Université de Strasbourg (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375) (N° Lexbase : N9840BXQ).
- Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : les mesures en faveur de l’octroi de licences et de l’accès plus large aux contenus (articles 8 à 14) par Franck Macrez, Maître de conférences, CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375) (N° Lexbase : N9820BXY).
- Directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : le droit voisin des éditeurs de presse (articles 15 et 16) par Bérénice Ferrand, Doctorante au CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375) (N° Lexbase : N9824BX7).
- Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (article 17) par Stéphanie Carre, Maître de conférences - HDR, CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375) (N° Lexbase : N9812BXP).
- Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : les contrats (articles 18 à 23) par Natalia Kapyrina, Docteur en droit (N° Lexbase : N9828BXB).
Bonne lecture…
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Réf. : Directive 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE)
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par Bérénice Ferrand, Doctorante au CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375)
Le 11 Juillet 2019
L'émergence du numérique est à l'origine d'une crise durable dont souffre particulièrement la presse. Le chiffre d'affaires global de ce secteur pâtit de deux évolutions simultanées : la croissance du marché publicitaire dont il ne bénéficie plus et le succès grandissant de la diffusion numérique qui génère très peu de revenus.
Les acteurs de la presse ont assisté, impuissants, à une évolution des modes de consommation de l'information et à une captation de la valeur par les plateformes des GAFAM. La publicité sur internet représente en 2017 les plus importants investissements des annonceurs, devant la télévision. Cependant, les éditeurs ne captent que 13 % de la valeur totale créée par le marché français des agrégateurs de contenus sur internet [1], largement phagocytée par les plateformes.
Les utilisateurs se sont habitués à une consultation rapide et gratuite de l'information, favorisée par l'offre des GAFAM. Un tel mode de consommation entraîne la paupérisation des métiers de la presse et des risques associés à la collecte des données personnelles des utilisateurs. L'apparente gratuité de l'information réifie l'utilisateur sous forme de données. En d'autres termes, «si c'est gratuit, c'est vous le produit» [2].
La presse n'est pas un secteur économique comme les autres. Souvent présentée comme «un chien de garde de la démocratie» [3], les valeurs qu'elle porte doivent être protégées et son indépendance et son pluralisme confortés. Alors même que le numérique permet la diffusion de l'information à grande échelle, la valeur créée par les journalistes et les éditeurs de presse se trouve captée par les plateformes et les agrégateurs de contenus.
La réponse européenne aux difficultés rencontrées par la presse a été apportée par la Directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique, adoptée par le Parlement européen le 26 mars 2019. La France a anticipé l'adoption de la Directive en mettant en discussion une proposition de loi de septembre 2018, actuellement en deuxième lecture au Sénat et dont l'adoption est prévue pour l'été 2020. Son objectif est de transposer la Directive en favorisant un partage de la valeur (I) et en créant un droit voisin soucieux de la liberté de la presse (II).
I - Un partage de la valeur au profit des éditeurs de presse
La transformation numérique des modes de consommation de l'information nécessite de repenser le partage de la valeur au profit des éditeurs de presse, qui ne disposent que de droits limités liés à leur qualité de cessionnaire de droits d'auteur (A), en tenant compte des tentatives de réponses nationales infructueuses (B).
A - Les droits limités des éditeurs de presse
Les éditeurs de presse ne bénéficiant pas de droits voisins, ils ne disposent que de faibles moyens juridiques pour protéger leurs droits. S’ils sont souvent titulaires ab initio de droit d’auteur sur une publication appréhendée comme œuvre collective, voire cessionnaires de droits d'auteur [4] en vertu d’un contrat conclu avec l’auteur d’un article, leurs droits se voient limités par les conditions propres à ces deux régimes.
Aussi l’éditeur dispose-t-il, en fonction du contrat passé avec le journaliste rédacteur, d'un droit d'auteur article par article, sous réserve de démontrer une chaîne de droit cohérente. Il doit ainsi rapporter la preuve d'une cession de droits à son profit par tous les auteurs concernés. S’il existe un principe de cession automatique des droits d’exploitation des œuvres des journalistes salariés au profit de l’employeur [5], tous les journalistes ne sont pas salariés. A défaut, la cession d'une œuvre à un éditeur de presse est soumise à un accord exprès et préalable du journaliste auteur, exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, sans préjudice de l'exercice de son droit moral. Une telle situation génère des contentieux nombreux et coûteux contre les plateformes et les agrégateurs.
Si les publications de presse sont classiquement considérées comme des œuvres collectives [6], cette qualification ne permet pas à l'éditeur de presse d'exercer librement ses droits. L'éditeur d'une œuvre collective est investi des droits d'auteur ab initio. Cependant, la titularité des droits sur l'œuvre collective ne confère pas le droit d'exploiter séparément les contributions individuelles composant l'œuvre. Seule une cession des droits au cas par cas permet à l'éditeur de presse de lutter contre une utilisation illicite des contributions composant la publication. Elle est cependant inadaptée aux nouveaux usages numériques, étant limitée quant à son périmètre et à sa durée.
Par ailleurs, l'arrêt «Reprobel» de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 12 novembre 2015 [7] a précisé que les éditeurs de presse ne disposaient d'aucun droit à compensation équitable en cas de reproduction d'un article. La CJUE a ainsi partiellement privé les éditeurs de presse de la protection offerte par le droit d'auteur, une position dont la Directive a pris le contrepied.
Si une telle décision a pu être justifiée par un rapport de force déséquilibré entre les journalistes, auteurs des articles, et les éditeurs de presse, fournisseurs des moyens de publication, l'entrée en jeu des plateformes bouleverse la recherche d'un équilibre. La captation de la valeur au profit des agrégateurs de contenus prive, en effet, les éditeurs de presse de leurs sources de revenus.
Plusieurs mécanismes permettent aux plateformes et aux agrégateurs de contenus de capter les revenus des éditeurs de presse. La première est la «curation» de contenus, soit la sélection, l'édition et le partage des contenus les plus pertinents sur internet pour une requête donnée. Elle consiste à établir une veille pour recenser tous les contenus relatifs à un même thème, pour ensuite sélectionner, reformuler et publier un nouveau contenu, et non pas un contenu nouveau. La curation parasite ainsi les contenus informationnels originaux publiés par les éditeurs de presse et leur occasionne une perte de revenu.
La seconde est l'insertion de liens hypertextes dirigeant l'utilisateur vers un article. Si la CJUE a longtemps considéré que cette pratique n'était pas constitutive d'un acte de communication au public [8], elle s’est depuis écartée de cette solution [9]. La CJUE estime ainsi que la notion de «communication au public [10] doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre la mise en ligne sur un site internet d’une photographie préalablement publiée, sans mesure de restriction empêchant son téléchargement et avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, sur un autre site internet» [11]. La Directive s’inscrit dans cette solution protectrice des droits de l’auteur, s’agissant des diffusions non autorisées de son œuvre. En tout état de cause, l’insertion d’hyperliens ne lèse théoriquement pas les éditeurs de presse qui bénéficient des visites de leurs sites internet via l'indexation de leurs contenus. Ils peuvent ainsi monétiser leurs contenus, sous forme d'abonnement ou de publicité.
Cependant, la technique du «snippet» agrège à ce lien hypertexte la description de la page web dans les résultats d'un moteur de recherche. Il s'agit souvent d'un résumé textuel. Or, des études statistiques ont montré que les utilisateurs se contentent majoritairement de lire ces résumés sans cliquer sur le lien hypertexte. L'utilisateur bénéficie donc de l'information résumée sans visiter le site internet dont elle est issue, ce qui prive l'éditeur de monétiser ses contenus. Une telle pratique constitue ainsi un acte préjudiciable aux éditeurs de presse sur le plan économique [12]. Pour pallier ces lacunes, des tentatives de réponses nationales ont été mises en œuvre.
B - Des tentatives de réponses nationales infructueuses
L'Allemagne et l'Espagne ont tenté d'instaurer un droit voisin des éditeurs de presse dans leurs droits nationaux respectifs.
L'Allemagne a adopté une loi entrée en vigueur le 7 mai 2013 [13], aux fins de créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse, leur conférant le droit d'autoriser ou d'interdire la réutilisation de leurs contenus par les agrégateurs de contenus informationnels. Ce texte impose ainsi l'autorisation des éditeurs pour la reproduction de leurs publications, à l'exception des liens hypertextes et des très courts extraits. Le moteur de recherche Google a réagi en refusant de négocier les licences comprises entre 6 et 11 % de son chiffre d'affaires et en appliquant la loi stricto sensu. En cessant d'indexer les articles avec des extraits ou «snippets», les sites web allemands ont accusé une chute brutale des visites et donc de leurs revenus. Les éditeurs ont dû se résigner à octroyer à Google des licences gracieuses d'utilisation pour reprendre des extraits de leurs articles. Les éditeurs de presse allemands ont engagé une action civile devant le Landgericht de Berlin pour dénoncer un comportement abusif du moteur de recherche qui menaçait de ne plus référencer leurs articles en cas de demande de rémunération. L'arrêt rendu le 19 février 2016 [14] énonce que Google ne traite pas les éditeurs de manière abusive, même s'il détient 90 % du marché.
L'Espagne a adopté une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2015 [15], introduisant une exception aux droits d'auteur pour la reprise d'extraits d'article de presse. Cette exception est assortie d'une compensation équitable et d'un mécanisme de gestion collective. La réaction immédiate de Google a été de refuser de verser la compensation et de fermer le service «Google News» en Espagne.
En France, un projet de loi [16] visant à instaurer un droit voisin a été discuté en 2012. Il n'a cependant jamais été adopté, en raison d'un accord commercial formé entre les éditeurs de presse et Google. Google a ainsi financé un fonds de 60 millions d'euros pour aider la presse dans sa mutation numérique. Une fois encore, la puissance commerciale et financière de Google est venue à bout des tentatives des éditeurs de presse de faire valoir leurs droits.
En Belgique, l'association belge qui protège les intérêts de la presse francophone a poursuivi en justice le moteur de recherche Google en 2006 pour violation du droit d'auteur du fait de la reprise d'articles par l'agrégateur d'information Google News. A la suite de la condamnation de Google par la Cour d'appel de Bruxelles en mai 2011, ce dernier a cessé de référencer la presse belge francophone. En décembre 2012, Google et les éditeurs de presse belge francophone ont trouvé un compromis, comprenant notamment l'achat par Google d'espaces publicitaires auprès des éditeurs.
Si ces tentatives de réponses nationales se sont avérées infructueuses, elles ont cependant permis de mettre en lumière la domination totale de Google dans les négociations avec les éditeurs de presse. Les réponses nationales non harmonisées et les éditeurs dispersés dans leur défense expliquent l'échec des négociations. Une riposte à l'échelle européenne était nécessaire. La Directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique tente à son tour de rétablir l'équilibre des forces en présence en créant un droit voisin des éditeurs de presse.
II - La création d’un droit voisin soucieux de la liberté de la presse
L'anticipation en France de l'adoption de la Directive a permis une discussion parallèle sur les dispositions du texte, portant notamment sur l'autorisation nécessaire des titulaires des droits voisins (A), sur l'adoption d'un système de gestion collective des droits voisins des éditeurs de presse (B) et sur la rémunération des titulaires des droits voisins (C).
A - L'autorisation nécessaire des titulaires des droits voisins
L'article 15 de la Directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique confère aux éditeurs de presse le droit d’autoriser la reproduction et la communication au public de leurs publications de presse sur internet par des prestataires de services de la société d'information, pendant les deux années suivant la première publication. La notion de prestataire de service de la société de l’information recouvre les agrégateurs de presse et autres services de veille à caractère informationnel, tels que les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les grandes plateformes.
Les éditeurs de blogs, dont les publications ne sont pas sous le contrôle d’un éditeur de presse, et les éditeurs de publications scientifiques ne sont pas bénéficiaires de ce droit voisin. De même, ne sont pas couvertes par ce droit voisin les utilisations privées ou non commerciales par des utilisateurs individuels. Enfin, sont exclus du champ d'application de l'article 15 de la Directive l’usage par les agrégateurs de lien hypertexte, l’utilisation de mots isolés ou de courts extraits et le rappel de simples faits rapportés dans les publications de presse.
L’usage des «snippets» est implicitement soumis à l'autorisation des éditeurs de presse, dès lors qu’il ne s’agit pas seulement de la reprise de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication. La reproduction de photographies illustrant un court extrait entre dans le champ du droit voisin, dès lors que cette communication au public n'est pas réalisée par un lien hypertexte.
En résumé, la communication au public en ligne par les agrégateurs de contenus est soumise au droit voisin des éditeurs de presse, tant qu'elle n'est pas réalisée par l’usage de liens hypertextes, d’images ou d’extraits d’articles, sous réserve qu’il ne s’agisse pas de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse.
En son article 2, la Directive définit la publication de presse comme «une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, mais qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés, et qui constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée sous un titre unique, telle qu’un journal ou un magazine généraliste ou spécialisé […] [qui] a pour but de fournir au grand public des informations liées à l’actualité ou d’autres sujets […] et [qui] est publiée sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un fournisseur de services».
La proposition de loi française de 2018 [17] s'était saisie des dispositions de la Directive aux fins d'anticiper l'obligation de transposition qui s'impose aux Etats membres de l'Union européenne.
Le futur article L. 218-1, I du Code de la propriété intellectuelle reprend cette définition. En son troisième point, l'article précité définit l'éditeur de presse comme «la personne physique ou morale qui édite une publication de presse ou un service de presse en ligne». Le futur article L. 218-2 requiert l'autorisation de l'éditeur de presse «avant toute reproduction ou communication au public de ses publications de presse sous forme numérique par un service de communication au public en ligne».
La proposition de loi de 2018 a le mérite d'apporter des précisions par rapport à la Directive, s'agissant du champ d'application et de l'identité des débiteurs appelés à contribuer aux droits voisins. Les droits voisins s'appliqueraient ainsi aux publications de presse, dont la définition précitée insiste sur la nature journalistique du travail et sur la fourniture d'informations en lien avec l'actualité. Enfin, les débiteurs de la rémunération sont les «services de communication au public en ligne», soit les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les plateformes.
B - Un système de gestion collective des droits voisins des éditeurs de presse
Les éditeurs de presse n'ont actuellement pas les moyens juridiques d'assurer la protection de leurs droits. La Directive et la proposition de loi de transposition française tentent de leur conférer une véritable capacité juridique. Cependant, les tentatives infructueuses de réponses nationales ont montré que le droit seul n'est pas toujours suffisant pour lutter contre le quasi-monopole d'accès à l'information qu'ont les plateformes. Si les plateformes refusent la négociation, il est difficile pour les éditeurs de presse de se priver de leurs services. Aussi importe-t-il autant d'instaurer un nouveau droit que d'en assurer l'effectivité.
L’instauration d'un système de gestion collective des droits voisins permet de créer les conditions d'un rapport de force plus équilibré entre éditeurs de presse et plateformes. Le regroupement des éditeurs de presse au sein de sociétés de gestion collective leur conférera davantage de poids dans la négociation de licences avec les opérateurs en ligne.
Le considérant 60 de la Directive permet aux Etats membres de prévoir un système de gestion collective des droits pour compenser le dommage qui leur est causé par une exception ou une limitation. L’article 3 de la proposition de loi française vise à créer un tel système. Le futur article L. 218-3 ouvre la possibilité pour les éditeurs de presse de concéder leurs droits et d'en confier la gestion à un ou plusieurs organismes de gestion collective. S'agissant d'une adaptation aux droits voisins des éditeurs de presse d'un mécanisme de gestion collective, ces organismes de gestion seraient régis par les mêmes règles que les sociétés existantes.
Une mesure inhabituelle a été envisagée, puis écartée par la proposition de loi : la soumission des organismes de gestion collective à un agrément du ministre en charge de la Culture. Les critères d'octroi auraient été la diversité des associés, la qualification professionnelle des dirigeants et les moyens humains et matériels mis en œuvre.
C - La rémunération des titulaires des droits voisins
Le considérant 60 de la Directive laisse aux Etats membres la liberté «de déterminer la manière dont les éditeurs doivent justifier leurs demandes de compensation ou de rémunération, et de fixer les conditions du partage de cette compensation ou de cette rémunération entre les auteurs et les éditeurs conformément à leurs systèmes nationaux».
La proposition de loi française s’est saisie de cette question. Le futur article L. 218-5 énonce que la rémunération des éditeurs de presse est assise sur les recettes de l'exploitation, un mode de rémunération en vigueur dans l'industrie de la musique. Elle peut toutefois être évaluée forfaitairement, dans les cas prévus à l'article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3387ADS). Etant donné la difficulté d'évaluation de la valeur des liens hypertextes, les quatre premiers cas prévus par cet article pourraient trouver à s'appliquer [18] :
«1° La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ;
2° Les moyens de contrôler l'application de la participation font défaut ;
3° Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ;
4° La nature ou les conditions de l'exploitation rendent impossible l'application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l'auteur ne constitue pas l'un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l'œuvre, soit que l'utilisation de l'œuvre ne présente qu'un caractère accessoire par rapport à l'objet exploité [...]».
Il est prévu que les journalistes professionnels et les autres auteurs des œuvres incorporées aux publications de presse, telles que des photographies, aient droit à une part appropriée et équitable de la rémunération. Cette part et ses modalités de répartition sont fixées par un accord d'entreprise ou, à défaut, par un accord collectif. Si aucun accord n'est trouvé dans un délai de six mois et en l'absence d'accord collectif applicable, l'une des parties à la négociation peut saisir une commission présidée par un représentant de l'Etat, composée pour moitié de représentants des organisations représentatives des journalistes et d'autres auteurs. Il est prévu que ce représentant soit nommé parmi les membres de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat ou de la Cour des comptes, par arrêté du ministre chargé de la Communication.
La proposition de loi laisse une large marge de manœuvre aux éditeurs et aux plateformes pour négocier les critères de rémunération. Un moyen de mesure efficace pourrait être l'audience, via le nombre de «clics». Il présente cependant quelques inconvénients. En effet, de nombreux sites proposent des informations de faible qualité. A défaut d'être le fruit d'un travail d'investigation ou d'une approche éditoriale originale, ils sont conçus pour attirer les visites des utilisateurs et donc pour générer le plus de revenus publicitaires. L'esprit de la Directive, partagé par la proposition de loi française, est de privilégier la presse de qualité. Les négociations au sein des futurs organismes de gestion collective des droits voisins des éditeurs de presse devront tenir compte de cet objectif.
Par ailleurs, la liberté laissée aux Etats membres par la Directive et le caractère optionnel de l'adhésion à un organisme de gestion collective offrent aux éditeurs de presse la possibilité de céder leurs contenus à titre gratuit, dans l'espoir de s'assurer un référencement plus favorable et donc plus rémunérateur sur les plateformes. Une telle pratique serait constitutive d'un détournement de l'esprit de la Directive. Dans les négociations nationales à venir, les protagonistes devront garder à l'esprit que l'objectif poursuivi est celui «de donner à une presse libre, indépendante et de qualité les moyens de mener à bien ses missions essentielles pour la démocratie» [19].
[1] M. Laugier, avis n° 151 (2018-2019), fait au nom de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, déposé le 22 novembre 2018.
[2] R. Serra, Television delivers people, 1973.
[3] CEDH, gr. ch., 27 mars 1996, req. n° 17488/90 (N° Lexbase : A1234GBC) ; Rec. CEDH, p. 1996-II, § 39 ; Sudre e.a., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 5ème éd., PUF, 2009, coll. «Thémis-droit», p. 617.
[4] C. prop. intell., art L. 132-36 (N° Lexbase : L3115IQG).
[5] Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (N° Lexbase : L3432IET), dite loi «HADOPI», publiée au JORF n° 0135 le 13 juin 2009, page 9666, texte n° 2.
[6] C. prop. intell., art. L. 113-5 (N° Lexbase : L3341AD4).
[7] CJUE, 12 novembre 2015, aff. C-572/13, (N° Lexbase : A4809NWZ).
[8] CJUE, 13 février 2014, aff. C-466/12 (N° Lexbase : A1280ME7), JCP éd. E, 2014, act. 171 ; LEPI, 2014, n° 4, p. 1, note A. Lucas- Schloetter ; CJUE, 21 octobre 2014, aff. C-348/13 (N° Lexbase : A5546M48).
[9] CJUE, 7 août 2018, aff. C-161/17 (N° Lexbase : A0035X3P), Les MAJ IRPI, n° 1, octobre 2018, Communication au public en ligne et Cour de justice : nouvelle étape, K. Messang-Blansché, p. 3.
[10] Au sens de la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L8089AU7), publiée au JOUE n° L 167 du 22 juin 2001 p. 10-19.
[11] CJUE, 7 août 2018, préc..
[12] L. Franceschini, rapport de la mission de réflexion sur la création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse, juillet 2016.
[13] Urheberrechtsgesetz, 9 septembre 1965 (Federal Law Gazette I p. 1273), modifiée par l'article 1 de la loi du 1er septembre 2017 (Federal Law Gazette I p. 3346).
[14] Tribunal régional de Berlin (Landgericht), ch. com., 19 février 2016, Google c/ 41 éditeurs de presse, aff. 92 O 5/14 kart.
[15] Loi sur la propriété intellectuelle du 4 novembre 2014, art. 32.2, entrée en vigueur le 1er janvier 2015.
[16] Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel, 21 octobre 2014 ; loi n° 2015-195 du 20 février 2015 (N° Lexbase : L9840I7L), publiée au JORF du 22 février 2015.
[17] Sénat, proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, n° 705, 5 septembre 2018.
[18] D. Assouline, rapport n° 243 (2018-2019), fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 16 janvier 2019.
[19] Préc..
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Réf. : Directive 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE)
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par Franck Macrez, Maître de conférences, CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375)
Le 11 Juillet 2019
Le troisième Titre de la Directive [1], intitulé «Mesures visant à améliorer les pratiques en matière d’octroi de licences et à assurer un accès plus large aux contenus», comporte quatre chapitres d’inégale importance : l’un porte sur les «œuvres et autres objets protégés indisponibles dans le commerce» (chapitre 1), un autre introduit des «mesures visant à faciliter l’octroi de licences collectives» (chapitre 2), un troisième vise la «Disponibilité d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande et accès à ces œuvres» (chapitre 3), et enfin les «Oeuvres d’art visuel dans le domaine public» (chapitre 4) sont l’objet de l’attention du législateur.
Le troisième chapitre, composé du seul article 13, tend à instaurer un «mécanisme de négociation» pour permettre la disponibilité d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande. Il a en effet été constaté que des difficultés pouvaient survenir quant à l’octroi de licences, notamment en raison du fait que le titulaire de droits a peu d’incitation économique à le faire, ou que la vidéo à la demande n’entre pas dans sa «fenêtre d’exploitation» (cons. 51) Il est vraisemblable qu’en France, cette problématique ne se pose pas avec une acuité particulière, notamment en raison de la récente mise à jour de la chronologie des médias [2]. Quoi qu’il en soit, s’il en est besoin, les Etats membres doivent prévoir une possibilité d’obtenir «l’assistance d’un organisme impartial ou de médiateurs» (art. 13). Bien entendu, il ne s’agira pas d’affecter la liberté contractuelle des parties, la démarche devant reposer sur une base volontaire (cons. 52) : il s’agit avant tout d’encourager le dialogue, y compris entre organismes représentatifs.
Le chapitre quatre contient lui aussi un seul article, et se voit attribuer le même intitulé : sont concernées les «œuvres d’art visuel dans le domaine public». Le nouveau texte enfonce une porte ouverte : «lorsque la durée de protection d’une œuvre d’art visuel est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur» (art. 14). Outre le regrettable emploi du terme de «matériel», qui montre bien que le texte a été conçu en anglais, il apparaît bien évident qu’il ne peut y avoir de droit d’auteur que pour un objet qui répond à la condition d’originalité. Cela étant, cet article est destiné à contrer des pratiques abusives de revendication de droit d’auteur sur des reproductions fidèles d’œuvres tombées dans le domaine public ; il est en cela salutaire, d’autant que l’existence de ces revendications illégitimes (souvent nommées copyfraud) est souvent, dans le grand public et par un amalgame grossier, utilisée pour stigmatiser le droit d’auteur lui-même, qui serait par nature illégitime.
Mais ce sont les deux premiers chapitres du Titre III qui méritent de plus amples développements du fait de l’influence, certaine ou potentielle, des dispositions adoptées. Les articles 8 à 11 de la Directive créent un régime particulier de licence obligatoire (qui se refuse à se nommer ainsi) pour les œuvres dites indisponibles (I) tandis que l’article 12 vise à faciliter l’octroi de licences collectives ayant un effet étendu (II).
I - Oeuvres indisponibles
La raison d’être d’un régime spécial pour les œuvres indisponibles trouve des sources multiples. Dans les faits, la volonté de développer des programmes de numérisation massive, notamment des collections de bibliothèques, est contrariée par la nécessité d’obtention d’autorisations préalables des titulaires de droit, ce qui peut être difficile et engendrer des coûts de transaction importants (cons. 30). Juridiquement, le législateur européen se devait de réagir du fait de la décision de Cour de justice «Soulier et Doke» qui avait condamné le système français ReLIRE [3], notamment car il créait une exception au droit d’auteur, ce qui est de la compétence de l’Union européenne.
L’étude du champ d’application du texte (A) précédera celle de son régime juridique (B)
A - Champ d’application
1°) Oeuvres concernées
Le chapitre 1 du Titre III de la Directive concerne des «œuvres ou d’autres objets protégés indisponibles dans le commerce qui se trouvent à titre permanent dans la collection de l’institution» (art. 8.1 et 8.2). Il s’agit donc d’une approche globale des œuvres indisponible, contrairement à la législation sectorielle envisagée sur les «livres indisponibles», ce qui tend à conserver une certaine homogénéité à l’intérieur de la matière. Le texte se veut inclusif et prend soin de préciser que sont en outre concernés «les photographies, les logiciels, les phonogrammes, les œuvres audiovisuelles et les œuvres d’art uniques [...]» (cons. 37). Néanmoins, les Etats membres sont invités à encourager un «dialogue sectoriel entre parties prenantes» (cons. 42), ce qui peut conduire à une prise en compte des spécificités des différentes catégories d’œuvres.
Concernant l’origine des œuvres, les rédacteurs de la Directive ont décidé de ne pas appliquer le régime spécifique aux œuvres indisponibles provenant de pays tiers, «pour des raisons de courtoisie internationale» (cons. 39). Sont donc exclues les œuvres autres que cinématographiques publiées pour la première fois dans un pays tiers (art. 8.7.a), les œuvres cinématographiques dont le producteur a son siège dans un pays tiers (art. 8.7.b), ainsi que les œuvres de ressortissant de pays tiers dont on ne peut déterminer le lieu de première publication (art. 8.7.c). Cette dernière hypothèse amoindrit le corpus d’œuvres par rapport au projet initial de la Commission, qui prévoyait que si le lieu du producteur ne pouvait être déterminé «après des efforts raisonnables», le lieu de l’institution de gestion du patrimoine culturel est celui à prendre en compte (proposition de Directive, art. 7.4, c).
Il convient enfin de noter que le texte réserve la situation dans laquelle la société de gestion collective est suffisamment représentative des titulaires de droit du pays tiers concerné (art. 8.7, al.2).
2°) Critère d’indisponibilité
Le régime spécifique concerne, on l’a vu, les «œuvres ou d’autres objets protégés indisponibles dans le commerce qui se trouvent à titre permanent dans la collection de l’institution». Il faut attendre le paragraphe 5 de l’article pour que la définition de cette œuvre indisponible soit établie : «Une œuvre ou autre objet protégé est réputé(e) indisponible dans le commerce lorsque l’on peut présumer de bonne foi que l’œuvre ou autre objet protégé dans son ensemble n’est pas disponible pour le public par le biais des circuits commerciaux habituels, après que des efforts raisonnables ont été entrepris pour déterminer si cette œuvre ou autre objet protégé est disponible pour le public» (art. 7.5, al. 1er). Ainsi, il est exigé que soient fournis des «efforts raisonnables», sans que l’on sache par qui [4], pour déterminer si une œuvre est disponible, à défaut de quoi on pourra lui appliquer le régime spécifique. L’exigence se situe quelque peu en deçà de celle de la législation sur les œuvres orphelines, qui exige une «recherche diligente» des titulaires de droits [5], surtout si l’on tient compte de ce que la loi française a ajouté que ces recherches doivent être «avérées et sérieuses» (C. prop. intell., art. L. 135-3, 1° N° Lexbase : L9889I7E ; v. aussi C. prop. intell., art. L. 113-10, al. 1er N° Lexbase : L3109ISX, issu de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 N° Lexbase : L2845IS8), sauf à considérer que ces derniers critères n’ajoutent rien au texte [6]. Cela n’est pas illogique si on garde à l’esprit que le titulaire est identifié et peut donc être retrouvé par la société de gestion, représentative du type d’œuvre concernée. Naturellement, l’appréciation des « efforts raisonnables » se réaliser de manière différenciée, en fonction du type d’œuvre, et une consultation des titulaires de droits sera nécessaire pour préciser les exigences et les procédures (cons. 37 in fine) [7]. Il est à noter qu’une œuvre peut être déclarée indisponible dans le commerce alors qu’elle n’a jamais été commercialisée (cons. 37). Cela est cohérent avec l’objectif de diffusion de la culture de la nouvelle législation [8], alors que la loi française de 2012 n’appréhendait que la culture diffusée commercialement [9]. Il conviendra toutefois d’articuler cette faculté avec le droit moral, et l’on peut souhaiter que le législateur français prenne les mesures nécessaires pour que les institutions de patrimoine culturel respectent le droit de divulgation des auteurs, comme l’y invite la Directive (cons. 37).
Par ailleurs, le texte précise que l’indisponibilité peut concerner un «ensemble d’œuvres [...] lorsqu’on peut raisonnablement présumer que toutes les œuvres [...] sont indisponibles dans le commerce» (art. 7.5, al. 2). Cela répond à une difficulté qu’il y aurait à établir une indisponibilité œuvre par œuvre, ce qui créerait des coûts de transaction dont la suppression constitue l’objectif principal du mécanisme. L’évaluation œuvre par œuvre ne sera nécessaire que «lorsque cela est jugé raisonnables au vu de la disponibilité des informations pertinentes, de la probabilité d’une disponibilité commerciale et du coût prévu de la transaction» (cons. 38). Il est possible d’en inférer que la pratique verra se développer des méthodes pour la déclaration d’indisponibilité de corpus d’œuvres déterminées, et que l’analyse œuvre par œuvre sera l’exception.
B - Régime juridique
1°) Nature juridique des régimes spécifiques
Deux régimes distincts sont prévus par l’article 8 de la Directive.
Le premier consiste à prévoir qu’«un organisme de gestion collective [...] peut conclure un contrat de licence non exclusive à des fins non commerciales avec une institution du patrimoine culturel [...] indépendamment du fait que tous les titulaires de droits couverts par la licence aient ou non mandaté l’organisme de gestion collective» (art. 8.1). Deux conditions sont apportées à cette possibilité de gestion collective pour des titulaires de droit n’ayant pas adhéré au système de gestion collective préexistant : que l’organisme de gestion collective soit «suffisamment représentatif des titulaires de droit» en fonction du type d’œuvre et du type de droit objet de la licence (art. 8.1, a), et que les conditions de la licence doivent être identiques pour tous les titulaires de droit, en vertu d’un principe d’«égalité de traitement» (art. 8.1, b).
Le législateur tient ici compte de la diversité des cultures juridiques et a souhaité laisser le choix (« une certaine latitude » : cons. 33) aux Etats membres de la technique juridique : la législation nationale pourra opter pour un système de licences collectives étendues ou bien pour un mécanisme de présomptions de représentation (cons. 33). Le résultat sera identique : des titulaires de droit non- membres de la société de gestion se verront appliquer le mécanisme. Ces titulaires seront donc, en vertu de la loi, créanciers de la société de gestion collective alors qu’aucune relation contractuelle antérieure ne les liait à elle [10]. La France devrait logiquement transposer cette disposition de la Directive en instaurant le mécanisme de présomption de représentation : c’est le mandat de la société de gestion qui est étendu aux non-membres, ce qui a pour résultat que la société de gestion est réputée représenter les droits des non-membres[11].
Il va de soi que les dispositions de la Directive 2014/26/UE N° Lexbase : L8028IZD) ont vocation à s’appliquer, en particulier s’agissant des règles de bonne gouvernance, de transparence, de communication d’information, ou encore de bonnes pratiques en matière de répartition des sommes dues aux auteurs.
du 26 février 2014 (Le second mécanisme est destiné à jouer uniquement dans les cas où il n’existe pas d’organisme de gestion collective qui remplisse les conditions du premier, à savoir qui est représentatif des titulaires de droits selon le type d’œuvre et le type de droits objets de la licence (art. 8.3). Il consiste en une exception pure et simple au droit d’auteur (mais aussi au droit sui generis sur les bases de données, le droit d’auteur spécifique applicable au logiciel et au nouveau droit voisin des éditeurs de presse) permettant aux institutions de patrimoine culturel de «mettre à disposition, à des fins non commerciales » des œuvres indisponibles à la double condition que le nom de l’auteur soit respecté et que ces œuvres « soient mis(es) à disposition sur des sites internet non commerciaux» (art. 8.2). Il s’agissait pour le législateur de combler les situations dans lesquelles aucune gestion collective n’existe pour le type d’œuvre concerné ou lorsque l’organisme de gestion collective n’est pas suffisamment représentatif du type d’œuvre et du type de droits.
2°) Bénéficiaires
Le mécanisme d’extension du contrat de licence non exclusive à des fins non commerciales aux œuvres des titulaires de droit de la même catégorie se réalise au bénéfice d’« une institution de patrimoine culturel » (art. 8.1 et 8.2). Celle-ci est définie comme « une bibliothèque accessible au public, un musée, des archives ou une institution dépositaire d’un patrimoine cinématographique ou sonore » (art. 2). La liste ne paraît pas exhaustive, et sont bien évidemment concernés les bibliothèques nationales, les archives nationales, les établissements d’enseignement et de recherche dans la mesure où ils accueillent des bibliothèques accessibles au public (cons. 13).
La limitation des bénéficiaires du mécanisme d’extension de l’application de la licence aux institutions de patrimoine culturel nous paraît importante à plusieurs égards. Son caractère limité permet de relativiser la critique potentielle quant au recul de l’exclusivité dans le système de droit d’auteur : une modalité particulière de l’exercice du droit de propriété est adoptée en vertu d’un objectif de diffusion de la culture, à des fins non lucratives. La poursuite de cet objectif ne nécessite d’autorisation d’exploitation commerciale, qui constituait un vice axiologique de la loi française de 2012. Il convient d’ailleurs de garder à l’esprit que, par hypothèse, l’exploitant commercial a abandonné toute exploitation de l’œuvre (puisque celle-ci est indisponible), et que généralement il n’a jamais disposé des droits numériques : lui accorder des tels droits d’exploitation était donc doublement inique [12]. En outre, la conformité du dispositif au test en trois étapes [13] serait douteuse si l’ampleur de l’entorse à l’exclusivité n’était pas cantonnée : nous ne serions plus dans un « cas spécial » et le préjudice aux intérêts de l’auteur pourrait plus difficilement être qualifié de raisonnable et proportionné, c’est-à-dire qu’il serait injustifié.
3°) Actes d’exploitation
Quel que soit le système choisi (licences collectives étendues ou un mécanisme de présomptions de représentation), la licence accordée par une société de gestion collective pourra s’appliquer à des œuvres dont les titulaires de droits ne sont pas membres de la société de gestion collective. Cette licence, non exclusive et à des fins non commerciales, autorisera le bénéficiaire à procéder à des actes d’exploitation, que la Directive nomme «utilisations» : il s’agira de la « reproduction, la distribution, la communication au public ou la mise à disposition du public » des œuvres indisponibles (art. 8.1). Concernant l’exception de l’article 8.2, elle ne vise que la «mise à disposition sur des sites internet non commerciaux». Globalement donc, les actes d’exploitation devraient n’être couverts par la licence que s’ils n’ont pas de visée lucrative. Une autre difficulté existe quant à la détermination précise de ce que recouvre la «non-commercialité», discussion qui peut conduire à une glose infinie. Le risque semble néanmoins limité en pratique, étant donné l’environnement de mise en œuvre du dispositif, au sein d’institutions de patrimoine culturel. Il convient néanmoins de préciser que le caractère non lucratif ne signifie pas gratuité systématique : l’institution de patrimoine culturel devrait pouvoir couvrir les investissements importants pour numériser sa collection, les coûts de diffusion ou encore les coûts de la licence (cons. 40). Il conviendra de rester vigilant quant au caractère raisonnable de l’application de cette faculté, en particulier en cas de constitution de partenariats public-privé.
Par ailleurs, il nous semble que le législateur français ne pourra pas ignorer le nécessaire respect du droit moral des auteurs, en particulier en matière de droit au respect de l’œuvre et de droit de divulgation.
L’article 9 ajoute que ces licences doivent permettre une exploitation «dans tout Etat membre». L’objectif est certainement de voir délivrer des licences paneuropéennes couvrant l’ensemble des Etats membres. Même si cela est laissé à la libre négociation entre institutions de patrimoine culturel et organismes de gestion collective, il est possible d’estimer que cela ne poserait pas de difficultés aux sociétés de gestion, qui disposent largement d’accords de représentation réciproques dans les différents Etats européens. Un résultat analogue est atteint, dans l’hypothèse de l’exception de l’article 8.2, lorsqu’il est prévu que les exploitations « sont réputées avoir lieu uniquement dans l'Etat membre où l’institution de patrimoine culturel qui procède à l’utilisation est établie» (art. 9.2).
4°) Publicité
L’article 10.1 exige que «des informations sur les parties au contrat de licence, les territoires couverts et les utilisations réalisées, soient rendues accessibles de façon permanente, aisée et effective sur un portail internet public unique au moins six mois avant que ces œuvres ou autres objets protégés soient distribués, communiqués au public ou mis à la disposition du public conformément à la licence ou dans le cadre de l’exception ou de la limitation». L’objectif est que ces informations fassent l’objet d’une publicité satisfaisante, suffisamment tôt avant que l’utilisation n’ait lieu (cons. 41). La gestion de ce portail d’information accessible via Iinternet est confiée à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (OUEPI). Cela apparaît cohérent avec sa mission de prévention des atteintes aux droits de propriété intellectuelle [14], et le fait qu’il est déjà en charge de la base de données sur les œuvres orphelines, bien qu’historiquement l’Office n’intervenait que dans le secteur des marques et des dessins et modèles industriels.
L’article 10.2 ajoute que les législations nationales peuvent prévoir des mesures de publicité supplémentaires appropriées «si cela est nécessaire pour sensibiliser les titulaires de droits». Concrètement, cela dépendra des caractéristiques des œuvres indisponibles en question, du type d’exploitation et des usages en vigueur.
La Directive se limite à cette information générale du public, sans jamais exiger d’information individuelle des auteurs et autres titulaires de droit. Elle postule d’ailleurs que «les mesures de publicité devraient être effectives sans qu’il soit nécessaire d’informer chaque titulaire de droits individuellement» (cons. 41, in fine). Cela est caractéristique du recul de l’exclusivité voulu par le législateur, et met de côté l’exigence de la Cour de justice de «garanties d’information effectives et sérieuses» de sa décision «Soulier et Doke» [15].
5°) Opt out
La logique de l’opt out vient supplanter celle, traditionnelle, du recueil a priori du consentement de l’auteur : on assiste à un véritable «déplacement du centre de gravité de la matière» [16]. Le législateur tente de contrebalancer cette rupture paradigmatique en exigeant que cet opt out se réaliser facilement. Ainsi, il est prévu que «tous les titulaires de droits peuvent à tout moment, facilement et de manière effective, exclure leurs œuvres ou autres objets protégés du mécanisme d’octroi de licences [...]ou de l’application de l’exception ou de la limitation [...]» (art. 8.4). La disposition ne concerne à l’évidence que les titulaires de droits non-membres de la gestion collective, puisque ce sont eux qui sont concernés par les mécanismes des articles 8.1 et 8.2 : les membres de la société de gestion collective restent liés à elle sur un fondement contractuel.
L’effectivité de la possibilité de sortie à tout moment est étroitement dépendante de l’ampleur des mesures de publicité : non informé effectivement de l’exploitation réalisée sans son consentement exprès, l’auteur ne peut exercer son retrait. Le balancement se situe alors au niveau des mesures de publicité (étudiées supra), et il faut souhaiter que la faculté d’ajouter des mesures de publicité supplémentaires appropriées soit largement utilisée : la seule existence de la base de données administrée par le OUEPI paraît bien insuffisante à une possibilité effective d’opt out. Il conviendra également que ces mesures soient correctement ciblées pour être portées à l’attention des titulaires de droits : une campagne de publicité dans la presse grand public, comme cela avait été réalisé à propos de ReLIRE, apparaîtrait bien dérisoire, en plus d’être extrêmement coûteuse.
Par ailleurs, il nous semble que la question de la prohibition des formalités, issue de la Convention de Berne, risque de demeurer problématique. A tout le moins, il est permis de rester dubitatif sur le principe même du mécanisme d’opt out, qui exigera toujours une condition formelle consistant en une expression de l’opposition et nécessitant la justification de l’identité de la personne faisant cette demande.
II - Licences collectives étendues
L’article 12 permet l’«octroi de licence collective ayant un effet étendu». Ce dispositif, issu du Conseil européen, a été ajouté le 30 octobre 2017 [17] et ne figurait pas dans la proposition de la Commission européenne, ce qui fait qu’il a été largement ignoré des commentateurs. Selon toute vraisemblance, il a été ajouté à la demande de pays scandinaves, qui pratiquent ce système et qui étaient, à juste titre, inquiets de la conformité de leurs législations au droit d’auteur européen à la suite de la décision «Soulier et Doke». En tout état de cause, il est apparu nécessaire au législateur européen en raison de «coûts de transaction [...] prohibitifs» (cons. 45).
Le système est facultatif, et il est vraisemblable (et souhaitable) que la France ne le transpose pas. Il apparaît difficile de songer à l’utiliser pour sauver le système ReLIRE, puisque les licences délivrées dans le cadre de cette réglementation reposent sur le statut d’indisponibilité des œuvres, ce qui renvoie à l’application des articles 8 et suivants (cons. 43).
L’instauration des mécanismes de licences collectives étendues (A) doit présenter un certain nombre de garanties (B).
A - Mécanismes de licences étendues
Les Etats membres ont la possibilité qu’un organisme de gestion collective, lorsqu’il conclut une licence d’exploitation de droit d’auteur, puisse étendre cet accord aux droits des titulaires non membres de cet organisme (art. 9.1, a). Il est précisé que «l'organisme dispose d’un mandat légal ou est présumé représenter les titulaires de droits qui ne l’ont pas autorisé à agir de la sorte» (art. 9.1, b). La portée du mécanisme sera limitée au territoire de l'Etat membre (cons. 46).
Cette possibilité est conditionnée au fait que l’extension de la licence se réalise «dans des domaines d’utilisation bien définis, lorsque l’obtention d’autorisations auprès des titulaires de droits sur une base individuelle s’avère habituellement onéreuse et difficile à mettre en œuvre dans une mesure qui rend improbable la transaction nécessaire à l’octroi d’une licence, en raison de la nature de l’utilisation ou des types d’œuvres ou d’autres objets protégés concernés [...]» (art. 9.2 ; v. aussi cons. 47). Ainsi, le législateur européen se veut attentif au fait que l’objet et le champ d’application des licences « soient toujours soigneusement et clairement définis dans la législation (cons. 49).
Bien entendu, ce mécanisme n’est pas destiné à se substituer à d’autres licences collectives préexistantes prévues par le droit de l’Union (art. 12.4).
B - Garanties nécessaires
Quatre garanties sont exigées du législateur national qui souhaiterait mettre en place un tel système. L’organisme doit être «suffisamment représentatif» des titulaires de droits, à la fois pour le type d’œuvre concernée et pour le type de droits objets de la licence (art. 12.3, a). Il convient de garantir une «égalité de traitement» aux titulaires de droits, c’est-à-dire que les mêmes conditions de la licence sont appliquées à tous (art. 12.3, b). Les titulaires de droits extérieurs à la licence au départ doivent être en mesure d’exclure leurs œuvres de cette licence «à tout moment, facilement et de manière effective» (art. 12.3, c). Enfin, des «mesures de publicité appropriées» doivent être prises, et ce antérieurement au début de l’exploitation, précision faite qu’il n’est pas nécessaire d’informer chaque titulaire de droit individuellement (art.12.3, d). Les informations concernant les licences seront par ailleurs publiées par la Commission européenne (art. 12.5), qui devra par ailleurs publier régulièrement des informations sur l’utilisation de ces licences étendues (cons. 50) ainsi qu’un rapport complet avant le 10 avril 2021 (art. 12.6).
***
Le troisième titre de la Directive «DAMU» est celui du recul de l’exclusivité au sein du droit d’auteur, au profit de la gestion collective qui pourra désormais opérer sans consentement ni information individuelle de l’auteur, ce qui va dans le sens d’un mouvement contraire à la tradition propriétariste et humaniste du droit d’auteur. Cela étant, le paradigme est malmené, mais, d’un point de vue de politique juridique, la Directive n’est peut-être pas si déséquilibrée au détriment de l’auteur, puisque d’autres dispositions vont dans le sens d’une juste rémunération dans le cadre des relations contractuelles avec les exploitants (art. 18 à 23).
[1] Publiée au JOUE, n° L 130 du 7 mai : JCP éd. G, 2019, 693, aperçu rapide par V.-L. Benabou ; JCP éd. E, 2019, 1343, étude par E. Treppoz.
[2] Arrêté du 25 janvier 2019, portant extension de l'accord pour le réaménagement de la chronologie des médias du 6 septembre 2018 ensemble son avenant du 21 décembre 2018, NOR: MICK1903343A (N° Lexbase : Z11939RD).
[3] CJUE, 16 novembre 2016, aff. C-301/15 ([LXB=]) ; Dalloz IP/IT, 2017, p. 108, note V.-L. Benabou ; LEPI, 2017, n° 1, p. 2, obs. C. Bernault ; Propr. intell., 2017, n° 62, p. 30, note J.-M. Bruguière ; Comm. com. électr., 2015, repère 6, Ch. Caron. M. Guillemain, Le consentement de l'auteur dans l'exploitation numérique des livres indisponibles, JCP éd. G, 2017, 1128. Nos obs., «Soulier» et la résurgence de l'auteur, D, 2017, p. 84.
[4] Ce sera à chaque Etat de le déterminer : cons. 38.
[5] Directive 2012/28/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines ([LXB=L3508IUH]), JOUE n° L 299 du 27 octobre 2012 ; RTDCom., 2012, p. 783, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTDCom., 2012, p. 557, obs. P. Gaudrat. V. son art. 3.1.
[6] Nos obs., Œuvres orphelines et œuvres indisponibles, J.-CL. PLA, fasc. 1380, 2018, n° 34.
[7] La commission culture du Parlement européen allait dans ce sens : cf. avis de la Commission de la culture et de l'éducation à l'intention de la commission des affaires juridiques sur la proposition de Directive du Parlement européen, 2016/0280 (COD), 4 septembre 2017, amendement 21.
[8] La Directive ne cite, en réalité, que la promotion de la diversité culturelle (cons. 2), même s’il est fait plus loin référence à la «diffusion de contenu culturel» (cons. 50) à propos des licences collectives étendues.
[9] Le «livre» était indisponible lorsqu’il «ne fait plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur» (C. prop.intell., art. L. 134-1 N° Lexbase : L3107ISU). Pour une critique de cet état de fait : nos obs., L’exploitation numérique des livres indisponibles : que reste-t-il du droit d’auteur ?, Dalloz, 2012, 12, chron., p. 749.
[10] Sur ce mécanisme, v. S. Nérisson, La gestion collective des droits des auteurs en France et en Allemagne : quelle légitimité ?, IRJS éditions, 2013, n° 601.
[11] L’Allemagne a instauré un système analogue en 2015 pour les œuvres écrites publiées avant 1966 (Verwertungsgesellschaftengesetz - VGG, chap. 5, sect. 51) : v. S. von Lewinski, Chronique d'Allemagne (première partie) : évolutions législatives en Allemagne entre 2011 et fin 2017, RIDA, n° 255, 4/2018.
[12] V. notre franche critique : L’exploitation numérique des livres indisponibles : que reste-t-il du droit d’auteur ?, art. préc..
[13] Convention de Berne, art. 9.2
[14] Règlement (UE) n° 386/2012 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2012, confiant à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) des tâches liées au respect des droits de propriété intellectuelle, notamment la réunion de représentants des secteurs public et privé au sein d'un Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L1891IT9), JOUE n° L 129 du 16 mai 2012, p. 1.
[15] CJUE, 16 novembre 2016, aff. C-301/15, préc..
[16] E. Treppoz, art. préc..
[17] Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on copyright in the Digital Single Market - Consolidated Presidency compromise proposal, ST 13842 2017 INIT - 2016/0280 (COD).
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Réf. : Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-13.853, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7570ZHT)
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par Manon Rouanne
Le 10 Juillet 2019
► L’allocation de dommages et intérêts, en réparation du préjudice résultant de l’infraction pénale de blessures involontaires, prononcée par les juridictions administratives en faveur de la victime directe et des victimes par ricochet, ne fait pas obstacle à la recevabilité des demandes en indemnisation, portant sur les mêmes chefs, présentées devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) consacrant un régime d’indemnisation autonome fondé sur des règles qui lui sont propres.
Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 4 juillet 2019 (Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-13.853, FS-P+B+I N° Lexbase : A7570ZHT).
En l’espèce, du fait de plusieurs erreurs commises à l’hôpital à la suite de complications pendant l’accouchement, un nouveau-né a été victime de graves blessures ayant entraîné des lésions cérébrales irréversibles. Pour obtenir réparation des dommages causés, les parents de l’enfant, en tant que représentant légaux de leur fils victime et en tant que victimes par ricochet, ont saisi les différents degrés de juridictions administratives d’une requête indemnitaire par laquelle ils ont demandé la réparation intégrale de tous les postes de préjudices allégués. Ces dernières ont, successivement, retenu la responsabilité de l’hôpital et statué sur les demandes d’indemnisation. Parallèlement, la victime de l’infraction, par l’intermédiaire de ses représentants légaux ainsi que ces derniers, en tant que victimes par ricochet, ont également saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions afin de voir ordonner une expertise médicale et d’obtenir réparation des préjudices subis.
La cour d’appel a déclaré irrecevables les demandes formées devant la CIVI au motif que, bien que les atteintes subies par la victime soient constitutives de l’infraction pénale de blessures involontaires dont l’hôpital est responsable, les demandeurs ont obtenu, à l’exception de la perte de chance professionnelle, de la juridiction administrative, dont la compétence est exclusive pour statuer tant sur la responsabilité d’une personne morale de droit public que sur le montant alloué en indemnisation, une réparation intégrale de tous les postes de préjudices.
Se fondant sur le principe d’autonomie de la CIVI, commission instituant, en faveur des victimes d’infractions, un régime d’indemnisation indépendant répondant à des règles spécifiques propres, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par les juges du fond considérant que la CIVI doit fixer le montant de l’indemnité allouée en fonction des éléments de la cause sans être tenue par la décision de la juridiction déjà saisie.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2019-796 QPC, du 5 juillet 2019 (N° Lexbase : A8973ZHS)
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N9778BXG
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par Laïla Bedja
Le 10 Juillet 2019
► L'article L. 133-4-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0460LCZ), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, de financement de la Sécurité sociale pour 2013 (N° Lexbase : L6715IUA), relatif notamment à l’annulation des réductions ou exonérations des cotisations et contributions sociales des donneurs d'ordre en cas de travail dissimulé est conforme à la Constitution.
Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 5 juillet 2019 (Cons. const., décision n° 2019-796 QPC, du 5 juillet 2019 N° Lexbase : A8973ZHS).
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 mai 2019 par le Conseil d'Etat (CE 1° et 4° ch.-r., 15 mai 2019, n° 428206, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4713ZB8), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : A3193EPX), d'une question prioritaire de constitutionnalité. La société requérante soutient, en premier lieu, que ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines. En effet, elles privent le donneur d'ordre des exonérations et réductions de cotisations sociales dont il a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés dès lors qu'il n'a pas respecté ses obligations de vigilance et de diligence à l'égard de son cocontractant, qui s'est rendu coupable d'un travail dissimulé. Ce faisant, le législateur aurait institué une sanction fondée sur une assiette dépourvue de lien avec le comportement sanctionné. La disproportion de cette sanction résulterait également de l'absence de caractère intentionnel du comportement réprimé. La société requérante se prévaut, en second lieu, du principe d'égalité devant la loi, alléguant une différence de traitement non justifiée entre donneurs d'ordre, selon leur nombre de salariés, alors, pourtant, que leur cocontractant a commis dans les mêmes proportions l'infraction de travail dissimulé.
Enonçant la solution précitée, le Conseil constitutionnel juge l’article L. 133-4-5 du Code de la Sécurité sociale, conforme à la Constitution.
Sur la prétendue méconnaissance du principe de proportionnalité des peines, les Sages énoncent, d’abord, que les dispositions contestées répriment des manquements par un donneur d'ordre à ses obligations de vigilance ou de diligence dont l'effet est de faciliter la réalisation du travail dissimulé par son cocontractant ou de contribuer à celle-ci. En prévoyant que le donneur d'ordre est, dans cette hypothèse, privé des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont il a pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés, le législateur a entendu lutter contre le travail dissimulé tout en responsabilisant spécifiquement les donneurs d'ordre bénéficiant de telles réductions ou exonérations. Il a entendu tenir compte des liens économiques entre les cocontractants résultant du recours à la sous-traitance. Ensuite, le Conseil ajoute que la sanction contestée est plafonnée à un montant de 15 000 euros pour une personne physique et de 75 000 euros pour une personne morale, quel que soit le montant des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dues aux organismes de Sécurité sociale obtenues par le donneur d'ordre. Enfin, l’article en cause prévoit l’annulation des réductions et exonérations à due proportion en leur appliquant un coefficient égal au rapport entre les rémunérations dues ou versées en contrepartie du travail dissimulé et la rémunération mensuelle minimale ; cette annulation ne s’appliquant que pour chacun des mois au cours desquels le cocontractant a exercé un travail dissimulé. Il en résulte que le législateur a retenu une sanction en adéquation avec l’objectif poursuivi et qui n’est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction.
Le Conseil constitutionnel juge, ensuite, qu’il n’a pas de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. En effet, les dispositions en cause prévoient une sanction identique, dans son principe, pour tout donneur d'ordre ayant manqué à ses obligations de diligence et de vigilance en matière de travail dissimulé à l'égard de son cocontractant, sans distinguer entre les donneurs d'ordre selon le montant des réductions ou exonérations dont ils ont bénéficié pour l'emploi de leurs salariés ; aucune différence de traitement n’est donc instituée.
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