La lettre juridique n°773 du 21 février 2019

La lettre juridique - Édition n°773

Éditorial

[A la une] La philosophie dans le boudoir : Sade et le droit

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N7720BX9

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par Fabien Girard, Directeur de la publication

Le 20 Février 2019

1 - « Éloignez de vous ce sentiment pusillanime ; toutes nos actions, et surtout celles du libertinage, nous étant inspirées par la nature, il n’en est aucune, de quel qu’espèce que vous puissiez la supposer, dont nous devions concevoir de la honte ; allons, Eugénie, faites acte de putanisme avec ce jeune homme ; songez que toute provocation, faite par une fille à un garçon, est une offrande à la nature, et que votre sexe ne la sert jamais mieux, que quand il se prostitue au nôtre ; que c’est en un mot, pour être foutue, que vous êtes née et que celle qui se refuse à cette intention de la nature sur elle, ne mérite pas de voir le jour. Rabaissez vous-même la culotte de ce jeune homme jusqu’au bas de ses belles cuisses ; roulez sa chemise sous sa veste ; que le devant… et le derrière qu’il a, par parenthèse, fort beau ; se trouve à votre disposition… Qu’une de vos mains s’empare maintenant de cet ample morceau de chair qui bientôt, je le vois, va vous effrayer par sa forme et que l’autre se promène sur les fesses, et chatouille, ainsi, l’orifice du cul… oui, de cette manière, (pour faire voir à Eugénie ce dont il s’agit, il socratise Augustin lui-même), décalotez bien cette tête rubiconde ; ne la recouvrez jamais en polluant, tenez-la nue… tendez le filet, au point de le rompre… Eh bien ! voyez-vous déjà les effets de mes leçons… Eh toi, mon enfant, je t’en conjure, ne reste pas ainsi les mains jointes, il n’y a-t-il donc pas là de quoi les occuper ; promène-les sur ce beau sein, sur ces belles fesses ».

 

Une énième histoire de fesse prétexte à intellectualisation ? Sade, c’est déjà de la dynamite, La philosophie dans le boudoir c’est de la philosophie nucléaire… et vous ne croyez pas si bien dire… écoutez plutôt :

« Je conviens que l’on ne peut pas faire autant de lois qu’il y a d’hommes ; mais les lois peuvent être si douces, en si petit nombre, que tous les hommes, de quelque caractère qu’ils soient, puissent facilement s’y plier. Encore exigerais-je que ce petit nombre de lois fût d’espèce à pouvoir s’adapter facilement à tous les différents caractères ; l’esprit de celui qui les dirigerait serait de frapper plus ou moins, en raison de l’individu qu’il faudrait atteindre. Il est démontré qu’il y a telle vertu dont la pratique est impossible à certains hommes, comme il y a tel remède qui ne saurait convenir à tel tempérament. Or, quel sera le comble de votre injustice si vous frappez de la loi celui auquel il est impossible de se plier à la loi ! »

 

Et voilà Sade jeter les bases de notre droit actuel… non pas celui né de la philosophie des lumières, non pas celui de Tronchet et de Portalis ; non Sade a vaincu Kant et l’insociable sociabilité ; il a placardisé Rousseau et son contrat social ; il s’est vengé des cachots de Napoléon, en refondant les droits de l’Homme… nouveau… ce n’est pas moi qui le dit, c’est François Ost, c’est Bernard Edelman… «Voltaire s'en prend à la religion, Jean-Jacques (Rousseau) à la société, Diderot à la morale. Et Sade à tout à la fois ».

2 - Mais n’allons pas trop vite en besogne…  Commençons par une traditionnelle fiche de lecture…

 

La Philosophie dans le boudoir ou Les Instituteurs immoraux est un ouvrage du marquis de Sade, publié en 1795. Le sous-titre en est Dialogues destinés à l'éducation des jeunes demoiselles.

L’ouvrage se présente comme une série de dialogues retraçant l’éducation érotique et sexuelle d’une jeune fille de 15 ans, Eugénie de Mistival, naïve mais cherchant à ne plus l’être, voulant échapper à l’emprise de sa mère prude et revêche. Sa haine de sa mère donne le ton à tous ses actes, et elle pourra finalement y donner libre cours à l’arrivée de celle-ci sur la scène.

La jeune fille est initiée à travers les plaisirs de la chaire à la vraie liberté, selon l’auteur, par Mme de Saint-Ange, assistée en cela par son frère (le chevalier de Mirvel), un ami de son frère (Dolmancé) et par son jardinier (Augustin).

 

La force de l’œuvre, à tout le moins sa portée, n’est ni pornographique, ni même érotique, encore que la langue avec laquelle s’exprime nos protagonistes en plein acte licencieux relève d’une verve et d’un français toujours plaisant à lire ou à écouter. On y parle de « foutre, de sodomie, de vit » à qui mieux mieux… Moins pour exciter les sens que pour exciter l’esprit et appliquer la transgression morale sans cesse haranguée par l’auteur à tous les niveaux.

 

Non l’intérêt, et d’autant plus pour notre rendez-vous, c’est l’alternance entre dissertation philosophique et application concrète des préceptes évoqués par Sade, autour de l’égalité, de la liberté, de la condition féminine, de la loi et finalement sa vision du droit. Ici, la théorie alterne avec la pratique.

 

Et l’opuscule « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » inséré à la fin du quatrième dialogue, synthétise toute la pensée politique de Sade au-delà du simple sadisme où on l’a confiné.

Avec Sade, la nature affronte la loi qui encadre la société et comme rien ne peut dépasser la nature, à quoi sert d’encadrer la liberté et finalement l’homme lui-même ?

 

3 - Mais qui est-il ce divin marquis au juste ?

 

Donatien Alphonse François de Sade, né le 2 juin 1740 à Paris à l’hôtel de Condé, de Jean Baptiste, comte de Sade, héritier de la maison de Sade, l'une des plus anciennes maisons de Provence, seigneur de Saumane et de Lacoste, coseigneur de Mazan, et de Marie Éléonore de Maillé, parente et « dame d’accompagnement » de la princesse de Condé.

Donatien passe les trois premières années de sa vie à l’hôtel de Condé éloigné de ses parents. Élevé avec la conviction d’appartenir à une espèce supérieure, sa nature despotique et violente se révèle très tôt.

 

Ecoutons le plutôt :

« Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire ».

Pour faire simple, la vie de Sade alterne entre libertinage, écriture et prétoires…

 

En 1763, il est arrêté dans sa garçonnière rue Mouffetard pour « débauche outrée » et est enfermé au donjon de Vincennes sur ordre du roi à la suite d'une plainte déposée par une prostituée occasionnelle, Jeanne Testard, qui n'a pas apprécié les petits jeux sadiques et blasphématoires du marquis. « Petite maison louée, meubles pris à crédit, débauche outrée qu’on allait y faire froidement, tout seul, impiété horrible dont les filles ont cru être obligées de faire leur déposition », écrit le comte de Sade à son frère l’abbé en novembre 1763. Son intervention et celle des Montreuil le font libérer et assigner à résidence jusqu’en septembre 1764 au château d’Échauffour en Normandie chez ses beaux-parents.

 

En 1768, « Un certain Comte de Sade, neveu de l'Abbé, auteur de Pétrarque, rencontra, le mardi de Pâques, une femme grande et bien faite, âgée de trente ans, qui lui demanda l'aumône ; il lui fit beaucoup de questions, lui marqua de l'intérêt, lui proposa de la tirer de sa misère, et de la faire concierge d'une petite maison qu'il a auprès de Paris. Cette femme l'accepta ; il lui dit d'y venir le lendemain matin l'y trouver ; elle y fut ; il la conduisit d'abord dans toutes les chambres de la maison, dans tous les coins et recoins, et puis il la mena dans le grenier ; arrivés là, il s'enferma avec elle, lui ordonna de se mettre toute nue ; elle résista à cette proposition, se jeta à ses pieds, lui dit qu'elle était une honnête femme ; il lui montra un pistolet qu'il tira de sa poche, et lui dit d'obéir, ce qu'elle fit sur-le-champ ; alors, il lui lia les mains, et la fustigea cruellement.

Quand elle fut tout en sang, il tira un pot d'onguent de sa poche, en pansa ses plaies, et la laissa ; je ne sais s'il la fit boire et manger, mais il ne la revit que le lendemain matin. Il examina ses plaies, et vit que l'onguent avait fait l'effet qu'il en attendait ; alors, il prit un canif, et lui déchiqueta tout le corps : il prit ensuite le même onguent, en couvrit toutes les blessures, et s'en alla. Cette femme désespérée se démena de façon qu'elle rompit ses sens, et se jeta par la fenêtre qui donnait sur la rue. On ne dit point qu'elle se soit blessée en tombant ; tout le peuple s'attroupa autour d'elle ; le lieutenant de police a été informé de ce fait ; on a arrêté M. de Sade ; il est, dit-on, dans le château de Saumur. L'on ne sait pas ce que deviendra cette affaire, et si l'on se bornera à cette punition, ce qui pourrait bien être, parce qu'il appartient à des gens assez considérables et en crédit ; on dit que le motif de cette exécrable action était de faire l'expérience de son onguent ».

C’est du moins que ce que relate Madame du Deffand, qui tenait le salon le plus en vogue de cette fin du XVIIIème siècle, à Horace Walpole, quatrième comte d’Orford, de ses amis.

 

Un nouveau scandale éclate en juin 1772. A l’hôtel des Treize Cantons, le marquis a proposé à ses partenaires sexuelles des pastilles à la cantharide au cours d'une « soirée de Cythère » chez l'hôtesse Mariette Borely. Deux filles se croient empoisonnées, les autres sont malades. Comme en 1768, la rumeur enfle.

 

Le récit des Mémoires secrets de Bachaumont daté du 25 juillet 1772 en témoigne.

Je cite : « On écrit de Marseille que M. le comte de Sade, qui fit tant de bruit en 1768, pour les folles horreurs auxquelles il s’était porté contre une fille, vient de fournir dans cette ville un spectacle d’abord très plaisant, mais effroyable par les suites. Il a donné un bal, où il avait invité beaucoup de monde, et dans le dessert il avait glissé des pastilles au chocolat, si excellentes que quantité de gens en ont dévoré ; mais il y avait amalgamé des mouches cantharides. On connaît la vertu de ce médicament : elle s’est trouvé telle, que tous ceux qui en avaient mangé, brûlant d’une ardeur impudique, se sont livrés à tous les excès auxquels porte la fureur la plus amoureuse. Le bal a dégénéré en une de ces assemblées licencieuses réputées parmi les Romains ; les femmes les plus sages n’ont pu résister à la rage utérine qui les travaillait. C’est ainsi que M. de Sade a joui de sa belle-sœur, avec laquelle il s’est enfui, pour se soustraire au supplice qu’il mérite. Plusieurs personnes sont mortes des excès auxquelles elles se sont livrées dans leur priapisme effroyable, et d’autres sont encore très incommodées ».

 

Sade est cette fois condamné à la peine de mort pour empoisonnement et sodomie. Le 12 septembre 1772 se déroule à Aix les exécutions en simulacre des deux hommes avec des mannequins grandeur nature (tête de l'effigie de Sade tranchée et celle de son valet pendue) qui sont ensuite jetés au feu ; en effet le marquis s’est enfui en Italie avec sa jeune belle-sœur…

En janvier 77, Sade revient à Paris, mais il est arrêté le 13 février et incarcéré au donjon de Vincennes par lettre de cachet, à l’instigation de sa belle-mère, Madame de Montreuil. Cette mesure lui évite l’exécution, mais l’enferme dans une prison en attendant le bon vouloir du gouvernement et de la famille. Or la famille a maintenant peur de ses excès. Elle a soin de faire casser la condamnation à mort par le parlement de Provence (le marquis profitera de son transfert à Aix pour s’évader une nouvelle fois en juillet 1778 et se réfugier à Lacoste ; il sera repris au bout de quarante jours), mais sans faire remettre le coupable en liberté.

Sade a trente-huit ans. Il restera onze ans enfermé, d'abord au donjon de Vincennes puis à la Bastille où il est transféré le 29 février 1784, le fort de Vincennes devant être désaffecté en tant que prison d'État.

Il est relâché 10 jours avant la prise de la Bastille… Il essaie de jouer un rôle pendant la Révolution mais il est incarcéré aux Madelonnettes comme suspect le 8 décembre 1793. En janvier 1794, il est transféré aux Carmes, puis à Saint-Lazare. Le 27 mars, Constance Quesnet réussit à le faire transférer à Picpus, dans une maison de santé hébergeant de riches « suspects » incarcérés dans différentes prisons de Paris que l’on faisait passer pour malades, la maison Coignard, voisine et concurrente de la pension Belhomme, que Sade qualifie en 1794 de paradis terrestre. Le 26 juillet (8 thermidor) il est condamné à mort par Fouquier-Tinville pour intelligences et correspondances avec les ennemis de la République avec vingt-sept autres accusés. Le lendemain (9 thermidor), l’huissier du Tribunal se transporte dans les diverses maisons d’arrêt de Paris pour les saisir au corps, mais cinq d’entre eux manquent à l’appel, dont Sade. Il est sauvé par la chute de Robespierre et quitte Picpus le 15 octobre.

 

Sade prospère sous le Directoire ; c’est d’ailleurs au cours de cette période qu’il publie la Philosophie, parmi les « Incoyables » et les « Meveilleuses » du moment… mais le 6 mars 1801, une descente de police a lieu dans les bureaux de son imprimeur Nicolas Massé. Le Consulat a remplacé le Directoire. Le Premier consul Bonaparte négocie la réconciliation de la France et de la papauté et prépare la réouverture de Notre-Dame. On est plus chatouilleux sur les questions de morale. Sade est arrêté. Il va être interné 13 ans, sans jugement, de façon totalement arbitraire, à Sainte-Pélagie.

Obèse et malade, Sade meurt le 2 décembre 1814 d'un « œdème aigu du poumon d'une très probable origine cardiaque ».

 

4 - Alors pour bien comprendre Sade il faut comprendre Hobbes. Celui-ci, dans Le Léviathan (en 1651), part du principe que les hommes à l’état de nature disposent des mêmes désirs et que ces désirs portent sur les mêmes objets. Il en déduit alors qu’un état de conflit permanent entre les hommes serait inéluctable. Selon lui, la Société permettrait de contenir ce conflit par l’instauration de règles communes, les lois, et en cela, de dépasser l’état de nature. On voit tout ce que Sade doit à la réflexion de Hobbes. Il en reprend le postulat de départ mais se refuse à le dépasser. L’homme doit, selon lui, demeurer en cet état de nature puisque la Nature demeure la seule force suprême à l'œuvre dans le monde. Il est pour Sade inconcevable d’établir ce Léviathan qu’est l’État.

 

En répondant d’une façon totalement originale et inédite à la question du rapport de l’homme à la loi, Sade nous oblige à considérer cette question sous un nouveau jour – c’est cet aspect qui intéresse le plus directement, dans ce livre, le philosophe du droit et le juriste qu’est François Ost dans Sade et la loi, chez Odile Jacob, en 2005.

Je vous livre l’analyse de Dominique Demange, Maître de conférences.

 

Ce principe métaphysique premier reçoit par Sade lui-même le nom d’isolisme : tout être humain est par nature refermé sur lui-même, il trouve en lui-même sa propre complétude et satisfaction. Toute passion et toute raison trouve donc son unique fondement dans la singularité de l’individu, annulant tout principe transcendant d’universalité.

On commence à entrevoir la critique des droits de l’Homme tels que les concevaient les révolutionnaires de 1789.

 

L’être sadien est par essence complet, il trouve sa propre satisfaction en lui-même, il est sans autre. Si la logique sadienne s’emploie constamment à inverser les opposés, à confondre les contraires, jusqu’à prêter son nom à cette figure de l’ambiguïté par excellence qu’est le sado-masochisme, c’est parce qu’elle vise à nier le moment symbolique de la différence sexuelle, par lequel s’établit le discours et se tisse la relation entre les êtres.

 

Les conséquences d’une telle logique dans la sphère éthique et juridique sont radicales. Tout d’abord, l’isolisme conduit à un renversement complet de l’axiome de la Critique de la raison pratique d’Emmanuel Kant, philosophe chrétien par excellence : « Autrui ne sera jamais pour moi qu’un moyen de jouissance personnelle, et jamais ne pourra devenir en lui-même une fin. Toute liberté est illusoire, l’être humain est le jouet des lois aveugles de la nature ; la liberté de jugement est elle-même purement déterminée par la physique du corps (« toutes nos idées doivent leur origine à des causes physiques et matérielles qui nous entraînent malgré nous») ; aucune instance ne peut donc venir détourner une créature du but que la nature a fixé en elle, à savoir la jouissance. Deuxièmement, une telle logique diabolique aboutit à la négation de toute loi universelle et de tout contrat social. Pour Sade, il n’est de loi que privilège, et de droit que droit d’exception. Une loi ne consacre jamais qu’un point de vue particulier à l’encontre d’un autre point de vue particulier, ce dont atteste son extrême variabilité dans le temps et l’espace ». De là, la haine absolue de Sade envers l’État, incarnation du principe d’universalité dans l’ordre social, et son horreur envers la manifestation la plus directe et violente de l’état qu’est la peine de mort. Nous y reviendrons un peu plus tard.

 

Au moment même où Napoléon institue le Code civil, qui deviendra le fondement de notre société moderne, Sade expose une théorie du droit qui, pour excessive ou paradoxale qu’elle apparaisse, atteint à la racine les fondements de la société démocratique moderne, en tant qu’elle entend concilier l’intérêt particulier et l’intérêt général. En soutenant que l’intérêt général n’est toujours que le déguisement d’un intérêt particulier, et en soutenant que la loi, si changeante dans le temps et l’espace, n’est toujours que relative à des individus donnés, Sade se place au point aveugle, inéliminable, de toute conception juridique. Car il n’y a effectivement de société concrète que par les individus, les classes et les communautés qui la composent, lesquels peuvent à tout moment décider de se réclamer du seul intérêt particulier et nier le principe d’universalité qui fonde la loi, en la dénonçant comme institution d’un rapport de domination.

La conséquence de cette négation de l’universalité de la loi, et même de tout droit de l’Homme, c’est l’émergence d’un nouvel homme, affublé de nouveaux droits de l’Homme sanctuarisés par… la Cour européenne elle-même !!

 

5 - Pour surenchérir, voilà ce que professe Bernard Edelman, Maître de conférences lui aussi, dans Sade, le désir le droit, en 2014 :

« Le credo de Sade, sa ‘ morale ‘, c’est l’égoïsme intégral : chacun doit faire de qui lui plait, chacun n’a d’autre loi que son plaisir et autrui est là pour le satisfaire comme il doit satisfaire autrui. A telle enseigne qu’il eut pu ériger « une sorte de Déclaration des droits de l’érotisme avec pour principe fondamental, cette maxime valable aussi bien pour les femmes que pour les hommes : se donner à tous ceux qui le désirent, prendre tous ceux que l’on veut »…

« Parce que les lois ne sont pas faites pour le particulier, mais pour le général, ce qui les met dans une perpétuelle contradiction avec l’intérêt, attendu que l’intérêt personnel l’est toujours avec l’intérêt général. Mais les lois, bonnes pour la société, sont très mauvaises pour l’individu qui la compose ; car, pour une fois qu’elles le protègent ou le garantissent, elles le gênent et le captivent les trois quarts de sa vie ; aussi l’homme sage et plein de mépris pour elles les tolère-t-il, comme il fait des serpents et des vipères, qui, bien qu’ils blessent ou qu’ils empoisonnent, servent pourtant quelquefois dans la médecine ; il se garantira des lois comme il fera de ces bêtes venimeuses ; il s’en mettra à l’abri par des précautions, par des mystères, toutes choses faciles à la sagesse et à la prudence ».

 

D’abord subvertir la loi, puis subvertir les droits l’Homme telle est la conquête implacable de la philosophie hédoniste sadienne.

En lieu et place a surgi un nouvel homme, égoïste, hédoniste, à la recherche de son seul plaisir ; sa préoccupation première, essentielle, c’est l’amour de soi, l’émerveillement de soi, la satisfaction de soi et l’Etat est sommé d’y satisfaire : voilà le postulat de Sade.

 

Le pacte politique sadien est aux antipodes du pacte rousseauiste : les hommes de sont pas réunis pour que chacun soit protégé par tous, mais pour que chacun jouisse de tous et tous de chacun. C’est un pacte d’immoralité, de férocité, un pacte du désir inassouvi qui ne se satisfait que de sa perpétuelle insatisfaction, un pacte de cruauté naturelle.

Le tour de force de Sade c’est d’instituer la liberté en doit individuel, en droit subjectif : désormais, c’est le sujet lui-même qui devient cause des droits de l’Homme ; non plus le sujet dans son rapport avec autrui, mais dans son rapport avec lui-même, le sujet dans son désir…

 

Et Sade, dans La philosophie dans le boudoir, de s’attaquer à la transmission, à la généalogie par exemple. Il pousse le trait à vanter le fait que le bon républicain ne dit avoir que la patrie comme parent, finalement !!!

« Premièrement, tant que je couche avec mon mari, tant que sa semence coule au fond de ma matrice, verrais-je dix hommes en même temps que lui, rien ne pourra jamais lui prouver que l’enfant qui naîtra ne lui appartienne pas ; il peut être à lui comme n’y pas être, et dans le cas de l’incertitude il ne peut ni ne doit jamais (puisqu’il a coopéré à l’existence de cette créature) se faire aucun scrupule d’avouer cette existence. Dès qu’elle peut lui appartenir, elle lui appartient, et tout homme qui se rendra malheureux par des soupçons sur cet objet le serait de même quand sa femme serait une vestale, parce qu’il est impossible de répondre d’une femme, et que celle qui a été sage peut cesser de l’être un jour. Donc, si cet époux est soupçonneux, il le sera dans tous les cas : jamais alors il ne sera sûr que l’enfant qu’il embrasse soit véritablement le sien ».

 

Plus l’homme des droits de l’Homme était collectif, plus il était « désindividualisé » ; et plus il était « désindividualisé », plus il était universel et donc protégé, ajoute Edelman.

Aujourd’hui, un autre homme est né, étonnamment sadien, et qui n’a plus qu’une lointaine parenté avec son ancêtre. La transgression l’habite et il veut s’affranchir de toute contrainte, du corps ; sa seule crainte est d’être entravé dans sa liberté de s’expérimenter, de mener des expériences avec sa propre vie, fût-ce jusqu’à narguer la mort, comme s’il lui fallait éprouver physiquement un monde qui se dérobe symboliquement. Et la loi a changé de fonction ; elle n’est plus ce qui institue la liberté mais ce qui permet à la transgression d’exister comme liberté.

Si bien que, et Edelman poursuit, la Cour européenne se comporte comme le nouvel homme qu’elle a engendré ; elle veut parler sa langue, vivre sa vie, ressentir ce qu’il ressent ; ce qui l’indigne l’indignera, ce qui le réjouira la réjouira.

 

La Cour va elle aussi rompre brutalement avec la généalogie : c’est toute la jurisprudence sur la PMA et la GPA… elle est chargée de garantir à l’Homme de vivre comme il l’entend, même pour qu’il puisse s’adonner à toute activité perçue comme étant de nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour la personne. La cour se plie à une juxtaposition d’espace privé et n’entend plus édifier et garantir un espace public où le vivre ensemble est la clé de la paix entre les Hommes, philosophie confucéenne par excellence.

L’égalité dans le plaisir sadien suppose que les femmes se libèrent de la fatalité de la procréation ; qu’elles puissent déléguer. A cette double condition elles conquerront et la maîtrise de leur corps et la maîtrise de la transmission.

 

« Étendant la mesure de nos droits, nous avons enfin reconnu que nous étions parfaitement libres de reprendre ce que nous n’avions donné qu’à contre-cœur ou par hasard, et qu’il était impossible d’exiger d’un individu quelconque de devenir père ou mère s’il n’en a pas envie ; que cette créature de plus ou de moins sur la terre n’était pas d’ailleurs d’une bien grande conséquence, et que nous devenions, en un mot, aussi certainement les maîtres de ce morceau de chair, quelque animé qu’il fût, que nous le sommes des ongles que nous retranchons de nos doigts, des excroissances de chair que nous extirpons de nos corps, ou des digestions que nous supprimons de nos entrailles, parce que l’un et l’autre sont de nous, parce que l’un et l’autre sont à nous, et que nous sommes absolument possesseurs de ce qui émane de nous ».

 

Ou plus simplement : « Une jolie fille ne doit s'occuper que de foutre et jamais d'engendrer ».

 

Ou encore : « Ne crains point l’infanticide ; ce crime est imaginaire ; nous sommes toujours les maîtresses de ce que nous portons dans notre sein, et nous ne faisons pas plus de mal à détruire cette espèce de matière qu’à purger l’autre, par des médicaments, quand nous en éprouvons le besoin ».

 

Avec Sade comme pour la Cour européenne, le corps devient une valeur suprême : signe de l’identité et de la liberté sexuelle. La cour valide ainsi les pratiques sado-masochistes par respect de la volonté de la victime ! en 1997 par exemple. C’est la même logique qui validera l’imposition des prostituées obligées de se prostituer à nouveau pour payer leurs impôts… l’Etat n’est pas proxénète… et puis selon la Cour vendre ses charmes librement reste digne… voir en cela une décision du 11 septembre 2007.

 

En 2002, c’est le fait qu’un transsexuel à l’origine de sexe masculin, qui se fait opérer et se soumet à des traitements hormonaux pour devenir la femme qu’il voulait être, se marie avec un homme, qui est validé par la Cour européenne des droits de l’Homme.

 

Au final, on a le droit de coïncider avec soi-même, de former un tout harmonieux entre la perception de soi-même et son corps ; de plier la nature à son désir.

Irons-nous jusqu’à briser le tabou de l’inceste, à l’annonce de Sade lui-même ?

« L’absurdité au point de croire que la jouissance de sa mère, de sa sœur ou de sa fille pourrait jamais devenir criminelle ! N’est-ce pas, je vous le demande, un abominable préjugé que celui qui paraît faire un crime à un homme d’estimer plus pour sa jouissance l’objet dont le sentiment de la nature le rapproche davantage ? Il vaudrait autant dire qu’il nous est défendu d’aimer trop les individus que la nature nous enjoint d’aimer le mieux, et que plus elle nous donne de penchants pour un objet plus elle nous ordonne en même temps de nous en éloigner ! »

 

6 - Sur le plan pénal, le premier des combats du divin marquis, et le concernant on ne le serait à moins, c’est la peine de mort.

 

Dans Sade et la question pénale / L’Irascible publié dans Revue de l’Institut Rhône-Alpes de Sciences Criminelles, en 2012, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer observe que les dates du marquis correspondent exactement à une période précise de l’histoire du droit français, à savoir la réforme pénale, à l’origine de notre droit contemporain. Et l’on sait donc que Sade a précisément eu affaire à la justice pénale.

« En accordant la liberté de conscience et celle de la presse, songez, citoyens, qu’à bien peu de chose près, on doit accorder celle d’agir, et qu’excepté ce qui choque directement les bases du gouvernement, il vous reste on ne saurait moins de crimes à punir, parce que, dans le fait, il est fort peu d’actions criminelles dans une société dont la liberté et l’égalité font les bases, et qu’à bien peser et bien examiner les choses, il n’y a vraiment de criminel que ce que réprouve la loi ; car la nature, nous dictant également des vices et des vertus, en raison de notre organisation, ou plus philosophiquement encore, en raison du besoin qu’elle a de l’un ou de l’autre, ce qu’elle nous inspire deviendrait une mesure très incertaine pour régler avec précision ce qui est bien ou ce qui est mal. Mais, pour mieux développer mes idées sur un objet aussi essentiel, nous allons classer les différentes actions de la vie de l’homme que l’on était convenu jusqu’à présent de nommer criminelles, et nous les toiserons ensuite aux vrais devoirs d’un républicain ».

 

Et, voilà ce que nous livre le philosophe et juriste français dans sa thèse.

Sade, en dépit de l’apologie du meurtre à laquelle se livrent certains de ses personnages (et précisément pour cette raison), s’oppose fermement à la peine de mort et souhaite activement son abolition.

Il développe à cet égard les arguments classiques des réformateurs, à travers une approche surtout utilitariste qui n’est pas sans rappeler celle de Beccaria :

« il n’y a point de plus mauvais calcul que celui de faire mourir un homme pour en avoir tué un autre, puisqu’il résulte évidemment de ce procédé qu’au lieu d’un homme de moins, en voilà tout d’un coup deux, et qu’il n’y a que des bourreaux ou des imbéciles auxquels une telle arithmétique puisse être familière ».

L’argument principal de Sade consiste à montrer que la peine de mort est criminogène. Comment ? Précisément parce qu’en raison de son équivalence au crime qu’elle punit, l’exemple qu’elle donne, loin de dissuader, invite plutôt au meurtre.

Ceux qui défendent la peine de mort pensent qu’elle permet de sauver ceux que le meurtrier aurait sans doute tué s’il était encore en vie. Ce à quoi Sade répond que seul un législateur omniscient (autant dire seul Dieu lui-même) pourrait condamner à mort en étant certain qu’il sauve ainsi d’autres vies. Or, un tel législateur n’existe que dans les contes. La peine de mort qui détournerait de la sorte l’argument d’utilité est par conséquent illégitime, même d’un point de vue chrétien :

« vos lois ont tort parce qu’elles ne voient pas dans l’avenir, elles n’opèrent que sur des apparences et toujours par incertitude (…). Tant que vous en condamnerez à mort un seul, ignorant les décrets de la providence et ne pouvant par conséquent juger si ce qu’il a fait est bien ou mal relativement à ce qui aurait résulté de son action, vous aurez fait une cruauté gratuite, vous aurez commis un crime réel et vous vous serez peut-être rendu coupable envers la providence puisqu’il sera possible que vous ayez dérangé ses intentions… ».

 

L’argument est assez proche de celui qu’avancera Fichte : la peine de mort ne serait légitime que sous une théocratie juridique.

 

Non seulement la peine de mort est injuste dans son principe, puisqu’un crime n’en lave ni n’en répare un autre, mais encore est-elle illégitime utilitairement parlant, puisqu’elle n’est pas dissuasive :

« indépendamment de ce que vos rigueurs imbéciles n’ont jamais arrêté le crime, c’est qu’il est absurde de dire qu’un forfait en puisse acquitter un autre et que la mort d’un second homme puisse être bonne à celle d’un premier ; vous devriez, vous et les vôtres, rougir de pareils systèmes prouvant bien moins votre intégrité que votre goût dominant pour le despotisme ; on a bien raison de vous appeler les bourreaux de l’espèce humaine : vous détruisez plus d’hommes, à vous seuls, que tous les fléaux réunis de la nature ».

 

On comparera, enfin, les arguments de la critique sadienne du « meurtre judiciaire » et ceux de la critique beccarienne de « l’assassinat public » : ils sont pour l’essentiel simplement identiques. Sade, sur ce chapitre, sans doute plus encore que sur les autres, est l’héritier de Beccaria.

 

Et de conclure :

« Contrairement à ce qu’on lit souvent, Sade ne propose pas d’abolir toutes les lois et il n’y a rien de tel qu’un ‘anarchisme sadien’ ». L’anarchisme de Sade est une légende tenace. Si on lit Sade au-delà de tout préjugé, libéré de tout axiome et en résistant à l’influence des caricaturistes, on trouvera que Sade est un modéré. En l’occurrence, c’est au ver qu’il s’attaque et non à la pomme. Par quoi remplacer la prison pénale et la peine de mort ?

 

Sade évoque, dans une lettre à sa femme, une solution d’une remarquable actualité pour faire que l’emprisonnement, au lieu de rendre pire le malheureux, s’occupe de le corriger et de préparer sa réintégration :

« Il eût bien mieux valu m’envoyer ici tous les quinze jours un homme d’esprit, qui eût alternativement travaillé sur mon cœur et sur ma tête et qui les eût remis tous deux ».

 

7 - « Me voilà donc à la fois incestueuse, adultère, sodomite, et tout cela pour une fille qui n'est dépucelée que d'aujourd'hui », conclut Eugénie en fin de journée.

newsid:467720

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Accident du travail : l’incapacité à reprendre le travail doit être constatée par un certificat médical établi après l’examen physique de la salariée

Réf. : Cass. civ. 2, 14 février 2019, n° 18-10.158, F-P+B+I (N° Lexbase : A0323YXA)

Lecture: 1 min

N7703BXL

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par Laïla Bedja

Le 20 Février 2019

► Il résulte des articles L. 433-1 (N° Lexbase : L4460IRM) et R. 433-13 (N° Lexbase : L7227ADZ) du Code de la Sécurité sociale que la victime d’un accident du travail ne bénéficie des indemnités journalières qu’à la condition d’être dans l’incapacité de reprendre son travail ; cette incapacité doit être constatée par certificat médical, qui ne peut être valablement délivré, aux termes de l’article R. 4127-76 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9183GTB), qu’après examen de la victime par le praticien auteur du certificat.

 

Telle est la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 février 2019 (Cass. civ. 2, 14 février 2019, n° 18-10.158, F-P+B+I N° Lexbase : A0323YXA).

 

Dans cette affaire, une salariée a été victime, le 3 juillet 2014, d’un accident du travail pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie. La caisse ayant refusé d’indemniser l’arrêt de travail entre le 7 juillet et 6 août 2014, cette dernière a saisi d’un recours une juridiction de Sécurité sociale.

 

Pour accéder à sa demande, le jugement retient que le fait que le certificat médical de prolongation du 7 juillet 2014 ait été demandé par un agent de la caisse au médecin traitant et établi en l’absence de consultation physique à la date du 7 juillet 2014 n’exclut ni sa validité, ni la connaissance par ce praticien de l’incapacité physique de l’assurée, dès lors que cet arrêt de travail s’insérait immédiatement entre un précédent du 3 au 6 juillet 2014 et plusieurs autres postérieurs du 7 août au 10 octobre 2014, tous justifiés par l’incapacité physique de cette dernière médicalement constatée, pour chacun d’eux, au sens de l’article L. 321-1, 5° du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8788KUZ).

 

Tel n’est pas l’avis de la Haute juridiction qui, énonçant la solution précitée, casse et annule le jugement du tribunal prononcé en violation des articles susmentionnés (sur Les spécificités du paiement de l'indemnité journalière, cf. l’Ouvrage «Droit de la protection sociale» N° Lexbase : E2134ACZ).

newsid:467703

Affaires

[Brèves] Projet de la loi «PACTE» : les modifications apportées par le Sénat

Réf. : Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises adopté par le Sénat le 12 février 2019

Lecture: 4 min

N7699BXG

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par Vincent Téchené

Le 20 Février 2019

Le 29 janvier 2019, le Sénat a entamé l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la croissance et la transformation des entreprises (projet de loi «PACTE»). Le 12 février 2019, après les explications de vote des groupes, les sénateurs ont adopté, par 206 voix pour et 118 voix contre, ce projet de loi.

 

Au cours de cet examen, les sénateurs ont adopté des dispositions visant à :

 

- garantir que les conjoints qui exercent une activité professionnelle régulière au sein des exploitations ou des entreprises agricoles soient protégés et couverts par un statut (art. add. après art. 5 quater) ;

 

- mettre en place un dispositif de dates anniversaire pour la mise en œuvre des nouvelles dispositions s’imposant aux entreprises, qui pourraient être fixées au 1er janvier et au 1er juillet de chaque année (art. add. après art. 5 quater) ;

 

- appliquer la réforme des seuils à ceux issus de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (N° Lexbase : L9567LLW), en matière de formation professionnelle, c’est-à-dire porter de 50 à 100 salariés les seuils de l’ensemble du Code du travail à partir de 2021 (art. 6) ;

 

- étendre la simplification des règles de décompte des seuils d’effectifs à la contribution supplémentaire à l’apprentissage (CSA) et étendre à la CSA la règle de gel durant cinq ans, applicable en cas de franchissement de seuils proposée dans le présent projet de loi (art. 6 bis) ;

 

- adapter certaines interdictions prévues par la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 (N° Lexbase : L6488LMA) dite loi «Egalim» en matière de mise à disposition et d’usage de certains produits en plastique afin de donner aux industriels le temps de s'adapter (art. add. après art. 8) ;

 

- abroger l’interdiction de fabrication sur le territoire français de produits destinés à être commercialisés dans des pays situés hors de l’Union européenne où leur utilisation est autorisée (art. add. après art. 8) ;

 

- adapter les règles d'ouvertures dominicales en autorisant, sous conditions, l'ouverture des commerces de détail alimentaire le dimanche après-midi dans les zones commerciales et les zones touristiques (art. add. après art. 8 bis), en associant les maires aux arrêtés préfectoraux imposant la fermeture au public de points de vente le dimanche (art. add. après art. 8 bis) et en prévoyant la possibilité d'ordonner des fermetures afin de préserver le tissu commercial de centre-ville (art. add. après art. 8) ;

 

- supprimer les commissions régionales de discipline et de transférer les contentieux qu’elles traitent (discipline et contestations d’honoraires), à la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes (art. add. après art. 9 bis C) ;

 

- renforcer, en cours de vie sociale, la protection et les droits des actionnaires minoritaires en leur permettant, dès lors qu’ils représentent au moins 10 % du capital, d’obtenir la nomination d’un ou plusieurs commissaires aux comptes (art. 9) ;

 

- renforcer l’encadrement du reversement d’une assurance-vie à un bénéficiaire, à la suite du décès de l’assuré (art. 21) ;

 

- favoriser la transférabilité des contrats d'assurance-vie en prévoyant que le transfert d'un contrat d'assurance-vie vers une nouvelle entreprise d'assurance n'emporte pas les conséquences fiscales d'un dénouement (art. 21) ;

 

- prévoir une interdiction ciblée, et non totale, de publicité pour les prestataires de services sur actifs numériques n’ayant pas obtenu l’agrément optionnel de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et les émetteurs de jetons n’ayant pas reçu de visa de l’AMF (art. 26 bis B) ;

 

- harmoniser et clarifier les règles de prescription des actions en contrefaçon et d’atteinte au secret des affaires et rendre imprescriptible l’action en nullité des titres de propriété industrielle (art. add après art. 42 bis) ;

 

- supprimer l’article 44 qui prévoyait une modification du régime juridique d’Aéroports de Paris, dans la perspective de sa privatisation, l’article 45 relatif à son cahier des charges, l’article 46 relatif à la maîtrise de ses emprises foncières ainsi que l’article 49 qui prévoyait une privatisation d’ADP ;

 

- modifier la fiscalité applicable, d’une part, aux jeux de loterie et de paris sportifs commercialisés par La Française des jeux, et d’autre part, aux paris sportifs en ligne, tout en prévoyant une exonération de fiscalité pour le loto du patrimoine (art. add. après art. 51) ;

 

- renforcer la représentation des communes et de leurs groupements auprès du conseil d’administration de La Poste (art. 54) ;

 

- compléter les règles applicables à l’intéressement, de manière à permettre aux actionnaires d’une entreprise de rétrocéder, s’ils le souhaitent, aux salariés de l’entreprise une partie des plus-values réalisées sur leurs titres au moment de leur cession (art. 59) ;

 

- réserver le terme «équitable» dans les dénominations de vente aux seuls produits conformes à la définition du commerce équitable inscrit à l’article 94 de la loi sur l’ESS de 2014 (art. add. après art. 61 quarter) ;

 

- modifier les règles relatives aux intermédiaires en courtage d’assurances et en opérations de banque et services de paiement (art. add. après art. 71) ;

 

- recentrer la mission du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) sur l’indemnisation des victimes ou des ayants droit des victimes de dommages nés d’un accident de la circulation (art. add. après art. 71) ;

 

- encadrer les conditions dans lesquelles les agents de la DGCCRF et de l’Autorité de la concurrence en charge de la détection des pratiques anticoncurrentielles peuvent demander à une entité administrative indépendante unipersonnelle dénommé «contrôleur des demandes de données de connexion», l’autorisation d’accéder aux données techniques de téléphonie et de communication, à l’exclusion de celles relatives au contenu des communications (art. add. après art. 71 bis supprimé).

newsid:467699

Avocats/Accès à la profession

[Brèves] Dispense de CAPA pour les assistants parlementaires : elle ne s’applique pas aux conseillers législatifs de groupe parlementaire !

Réf. : Cass. civ. 1, 6 février 2019, n° 18-50.003, FS-P+B (N° Lexbase : A6086YWC)

Lecture: 2 min

N7612BX9

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par Marie Le Guerroué

Le 20 Février 2019

► Pour bénéficier de la dispense de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, un assistant de sénateur doit avoir secondé personnellement le parlementaire dans l’exercice de ses fonctions ; tel n’est pas le cas du conseiller législatif du groupe parlementaire.

 

Ainsi statue la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 février 2019 (Cass. civ. 1, 6 février 2019, n° 18-50.003, FS-P+B N° Lexbase : A6086YWC).

 

Pour accueillir une demande d’admission au barreau de Paris sous le bénéfice de la dispense de formation prévue à l'article 98, 4° et 7°, du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), la cour d’appel de Paris, dans sa décision du 23 novembre 2018 (CA Paris, 23 novembre 2017, n° 17/04622 N° Lexbase : A5319W3E, v., aussi N° Lexbase : N1661BXS), avait retenu que l’intéressée avait produit un contrat de travail à durée indéterminée conclu avec un sénateur en qualité de conseiller technique, qu'elle exerçait son activité au profit d’un groupe parlementaire en qualité de conseiller législatif plus spécialement chargé de la commission des lois, qu’elle versait aux débats une attestation des vice-présidents de cette commission, qui exposaient que l'emploi de conseiller législatif consiste en une prestation d'assistance juridique auprès de l'association que constitue le groupe, que son rôle était d'analyser les projets de lois, de préparer la rédaction et la justification des amendements et de rédiger des propositions de loi avec l'exposé de leurs motifs. La cour ajoute que, selon ces attestations, le conseiller législatif a vocation à donner son avis et des consultations juridiques sur tout point soulevé par l'association et ses membres lors du processus législatif, mais également sur tout problème soulevé par l'activité de l'association. Elle déduit de ces éléments que l’intéressée justifiait exercer en qualité de cadre et soit depuis plus de huit ans, une activité juridique à titre principal, et que son rattachement administratif à un groupe parlementaire plutôt qu'à un sénateur déterminé n'avait pas d'incidence sur les fonctions d'assistance juridique par elle exercées au profit du groupe et de chacun des sénateurs, membres de ce groupe, de sorte qu’elle pouvait se prévaloir de la qualité d'assistant de sénateur au sens des dispositions du 7° de l'article 98.

 

La Cour de cassation en livre, au contraire, une tout autre interprétation. Elle rappelle, qu’aux termes l’article 98, 7°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions. Elle estime qu’en raison de son caractère dérogatoire l’article doit être d’interprétation stricte.

 

Elle estime donc, qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que l’intéressée n'était pas employée, pendant la période considérée, pour seconder personnellement un sénateur dans l'exercice de ses fonctions, au sens du chapitre XXI de l'instruction générale du bureau du Sénat, de sorte qu'elle n'exerçait pas les fonctions d'assistant de sénateur, qualifiées, depuis l’entrée en vigueur de l'arrêté n° 2012-54 du même bureau du 22 février 2012, de fonctions de collaborateur de sénateur, la cour d’appel a violé le texte précité. Elle censure, par conséquent, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0312E7P).

newsid:467612

Avocats/Déontologie

[Brèves] Retrait de l'honorariat pour infraction aux règles régissant le statut de l'avocat honoraire : seul le conseil de discipline a le pouvoir de le prononcer

Réf. : Cass. civ. 1, 6 février 2019, n° 17-28.878, FS-P+B (N° Lexbase : A6099YWS)

Lecture: 1 min

N7649BXL

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par Marie Le Guerroué

Le 20 Février 2019

► Seul le conseil de discipline a le pouvoir de prononcer le retrait de l'honorariat pour infraction aux règles régissant le statut de l'avocat honoraire.

 

Tel est l’enseignement de la décision rendue par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 février 2019 (Cass. civ. 1, 6 février 2019, n° 17-28.878, FS-P+B N° Lexbase : A6099YWS).

 

Dans cette affaire, par décision d’un conseil de l'Ordre un avocat avait été admis à l'honorariat. Le conseil de l'Ordre avait, plus tard, prononcé son retrait de l'honorariat, lui reprochant d'être en infraction avec les règles régissant le statut de l'avocat honoraire. L’avocat avait formé un recours contre cette décision. Pour confirmer la décision prise par le conseil de l'Ordre, l'arrêt de la cour d'appel de d'Aix-en-Provence retenait qu'en faisant usage de la mention «avocat honoraire consultant», ce dernier a pris une qualité qui n'était plus la sienne, manquant ainsi à la probité, principe essentiel de la profession.

 

Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que le retrait de l'honorariat pour infraction aux règles régissant le statut de l'avocat honoraire constitue une peine disciplinaire que seul le conseil de discipline a le pouvoir de prononcer, au terme de la procédure appropriée, la cour d'appel a violé les articles 19 et 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), et l'article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) (cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E8628ETQ).

 

newsid:467649

Avocats/Responsabilité

[Brèves] CEDH : la condamnation d’un avocat portugais pour atteinte à l’honneur et à la réputation d’un juge était disproportionnée

Réf. : CEDH, 12 février 2019, Req. 70465/12 (N° Lexbase : A6687YWL)

Lecture: 1 min

N7637BX7

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par Marie Le Guerroué

Le 20 Février 2019

► La condamnation d’un avocat portugais pour atteinte à l’honneur et à la réputation d’un juge à des dommages et intérêts d’un montant excessif emporte violation de sa liberté d’expression.

 

Ainsi statue la Cour européenne des droits de l’Homme dans une décision du 12 février 2019 (CEDH, 12 février 2019, Req. 70465/12 N° Lexbase : A6687YWL).

 

Un avocat portugais avait adressé une lettre au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour se plaindre du manque d’impartialité d’un juge, dénonçant une «combine» et une «corruption», dans une de ses affaires. Après le classement sans suite de l’affaire par le CSM, le juge engagea une action en responsabilité civile. L’avocat fût condamné au paiement de 50 000 euros de dommages-intérêts.

 

Pour la CEDH, les motifs de condamnation par les juridictions internes apparaissent «pertinents» et «suffisants». Elle estime, toutefois, que l’indemnité de 50 000 euros à laquelle le requérant a été condamné est excessive, d’autant que les accusations n’ont pas été faites publiquement mais au moyen d’une plainte par lettre adressée au CSM. Si les déclarations litigieuses ont fait l’objet de discussions dans le milieu judiciaire, la Cour estime que le requérant ne saurait être tenu pour responsable des fuites d’une procédure censée rester confidentielle.

 

La Cour conclut que l’ingérence dans la liberté d’expression de l'avocat n’était pas «nécessaire dans une société démocratique» (cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E1682EUT).

newsid:467637

Douanes

[Brèves] Le droit de communication aux agents des douanes des données de connexion contraire à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2018-764 du 15 février 2019 (N° Lexbase : A0372YX3)

Lecture: 2 min

N7707BXQ

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par Marie-Claire Sgarra

Le 15 Février 2019

Les dispositions de l’article 65, 1°, i) du Code des douanes (N° Lexbase : L5657H9E) sont contraires à la Constitution.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 15 février 2019 (Cons. const., décision n° 2018-764 du 15 février 2019 N° Lexbase : A0372YX3).

 

Pour rappel, la Cour de cassation avait transmis au Conseil constitutionnel une QPC sur l’article 65 du Code des douanes, relatif au droit de visite domiciliaire (Cass. crim., 5 décembre 2018, n° 18-90.028, F-D N° Lexbase : A7812YPZ), dans sa version issue de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, de finances rectificative pour 2016 (N° Lexbase : L0859LCS). En application de ces dispositions, les agents des douanes disposent de la faculté d’obtenir la communication de données de connexion auprès d’opérateurs ou de prestataires relatives à des opérations intéressant leur service ; que le législateur a assorti cette procédure de garanties tenant à l’absence d’un pouvoir d’exécution forcée, d’un pouvoir général d’audition ou d’un pouvoir de perquisition, et à la possibilité de saisir les seuls éléments volontairement communiqués. La question de savoir si ces garanties étaient propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions était sérieuse.

 

Pour le Conseil constitutionnel, la communication des données de connexion est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée. Si le législateur a réservé à certains agents des douanes soumis au respect du secret professionnel le pouvoir d'obtenir ces données dans le cadre d'opérations intéressant leur service et ne leur a pas conféré un pouvoir d'exécution forcée, il n'a assorti la procédure prévue par les dispositions en cause d'aucune autre garantie. Le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions.

 

A noter que les dispositions contestées ont été abrogées par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude (N° Lexbase : L5827LMR).

newsid:467707

Entreprises en difficulté

[Brèves] Confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation versus liberté d'expression : net avantage pour le «secret» des procédures de prévention amiable !

Réf. : Cass. com., 13 février 2019, n° 17-18.049, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8600YWG)

Lecture: 3 min

N7694BXA

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par Vincent Téchené

Le 20 Février 2019

► Ne sont pas conformes à l’objectif légitime d’informer le public sur une question d’intérêt général des articles de presse ayant divulgué des données confidentielles sur les difficultés d’un débiteur et les détails des négociations menées dans le cadre d’une procédure de conciliation couverte par la confidentialité prévue par l’article L. 611-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L3164IM7), dès lors que lesdits articles n’étaient pas de nature à nourrir un débat d’intérêt général sur les difficultés de l’intéressé et ses répercussions sur l’emploi et l’économie nationale, et que leur publication risquait de causer un préjudice considérable au débiteur ainsi qu’aux parties appelées à la procédure de prévention amiable et de compromettre gravement son déroulement et son issue. Les publications litigieuses constituent donc un trouble manifestement illicite au regard du caractère confidentiel de ces informations justifiant le retrait de l’ensemble des articles. Tel est le sens d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 février 2019 (Cass. com., 13 février 2019, n° 17-18.049, FS-P+B+I N° Lexbase : A8600YWG).

 

En l’espèce, une société a été désignée mandataire ad hoc puis conciliateur des sociétés d’un groupe sur le fondement des articles L. 611-3 (N° Lexbase : L2765LBZ) et L. 611-5 du Code de commerce. L’éditrice d’un site d’informations financières en ligne, spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises et consultable par abonnement, a publié un article commentant l’ouverture de la procédure de mandat ad hoc. Par la suite, elle a diffusé divers articles rendant compte de l’évolution des procédures en cours, exposant les négociations engagées avec les créanciers des sociétés du groupe et citant des données chiffrées sur la situation financière de ces sociétés. C’est dans ces conditions que les débitrices et le conciliateur ont assigné l’éditrice du site d’information devant le juge des référés pour obtenir le retrait de l’ensemble des articles contenant des informations confidentielles les concernant, ainsi que l’interdiction de publier d’autres articles.

 

La cour d’appel (CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 20 avril 2017, n° 16/02849 N° Lexbase : A0672WA7), statuant sur renvoi après cassation (Cass. com., 15 décembre 2015, n° 14-11.500, FS-P+B+I N° Lexbase : A3643NZX ; lire N° Lexbase : N1012BWE), ayant fait droit à cette demande, l’éditrice a formé un nouveau pourvoi en cassation.

 

La Haute juridiction approuve l’arrêt d’appel.

 

La Cour de cassation relève, en premier lieu, que, après avoir vérifié que la mesure de retrait et d’interdiction demandée était prévue par la loi, qu’elle poursuivait un but légitime et qu’elle était proportionnée à ce but, la cour d’appel s’est attachée à examiner le contenu des articles litigieux pour déterminer si, au-delà de l’affirmation de principe selon laquelle les difficultés d’un grand groupe industriel relevaient d’un débat d’intérêt général au regard des répercussions économiques et sociales que ces difficultés pouvaient entraîner, le contenu des articles n’avait pas contribué à nourrir ce débat, et ce faisant, a vérifié si la mesure sollicitée était nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 10 § 2 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ).

 

En second lieu, la Cour retient qu’il résulte d’un ensemble de constatations des juridictions du fond que les articles litigieux, qui ont divulgué des données chiffrées confidentielles sur les difficultés des sociétés du groupe et les détails des négociations en cours que ces dernières menaient pour restructurer leur dette dans le cadre d’une procédure de conciliation couverte par la confidentialité prévue par l’article L. 611-15 du Code de commerce, n’étaient pas de nature à nourrir un débat d’intérêt général sur les difficultés d’un grand groupe industriel et ses répercussions sur l’emploi et l’économie nationale, mais tendaient principalement à satisfaire les intérêts de ses abonnés, public spécialisé dans l’endettement des entreprises, et que leur publication risquait de causer un préjudice considérable aux sociétés du groupe ainsi qu’aux parties appelées à la procédure de prévention amiable et de compromettre gravement son déroulement et son issue. Ainsi, les juges d’appel ont fait une juste application de l’article 10 de la CESDH (cf. l’Ouvrage «Entreprises en difficulté» N° Lexbase : E9031EP8).

newsid:467694

Internet

[Brèves] Google sanctionné pour clauses abusives dans ses conditions d’utilisation et les règles de confidentialité

Réf. : TGI Paris, 12 février 2019, n° 14/07224 (N° Lexbase : A0374YX7)

Lecture: 3 min

N7786BXN

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par Vincent Téchené

Le 20 Février 2019

Sont déclarées abusives et illicites 38 clauses dans les différentes versions (soit 209 clauses au total) dans les conditions d’utilisation et les règles de confidentialité de Google -clauses retirées depuis quelques années-. Tel est le sens d’un jugement (136 pages) du TGI de Paris le 12 février 2019 (TGI Paris, 12 février 2019, n° 14/07224 N° Lexbase : A0374YX7).

 

Comme il l’avait fait pour Twitter, le jugement contre Google vient rappeler, en premier lieu, que les services proposés ne sont pas gratuits : si Google propose aux utilisateurs des services dépourvus de contrepartie monétaire, elle commercialise à titre onéreux auprès d’entreprises partenaires, publicitaires ou marchandes des données, à caractère personnel ou non, déposées gratuitement par l’utilisateur à l’occasion de son inscription ou de ses navigations et utilisations. Dans ces conditions, en collectant des données déposées gratuitement par l’utilisateur à l'occasion de son accès à la plate-forme et en les commercialisant à titre onéreux, Google, agissant à des fins commerciales, tire profit de son activité, de sorte qu'elle est un professionnel au sens du Code de la consommation.

 

Le tribunal commence par examiner les clauses relatives aux règles de confidentialité.

 

Concernant les clauses relatives à la collecte des données, il retient notamment que l’information générale donnée par Google ne permet pas à l'utilisateur de prendre initialement conscience des finalités réelles et par conséquent de l'ampleur de la collecte des données le concernant et de la portée de son propre engagement.

 

S’agissant de la géolocalisation, le tribunal relève que la clause litigieuse ne prévoit pas l'accord de l'utilisateur sur cette incidence, ni les moyens pouvant être mobilisés à l’intention de l’utilisation pour s'opposer s'il le souhaite à ces incidences de collecte et de stockage.

 

En ce qui concerne les cookies, l'utilisateur n'est précisément pas en mesure d'exprimer son accord et les finalités afférentes à l'utilisation de ces cookies ne sont pas explicitement précisées ; de même, la clause qui a pour objet de dissuader le consommateur de s’opposer aux dépôts systématiques de cookies crée un déséquilibre significatif.

 

Le TGI censure également la clause qui permet à Google d'effectuer un recoupement général de l'ensemble des données à caractère personnel collectées auprès de ses utilisateurs dans le cadre de toutes ses différentes offres de services, en ce qu’elle postule une véritable présomption de consentement du consommateur.

 

De même, la clause relative au transfert des données est déclarée illicite car elle présume acquis par acceptation implicite le consentement de l’utilisateur au transfert vers des pays tiers, sans aucune identification possible de ces pays et sans que les garanties imposées par la loi «Informatique et Liberté» (loi n° 78-17 N° Lexbase : L8794AGS) ne soient explicitement apportées.

 

On relèvera encore que le tribunal épingle la clause qui prévoit le droit d'accès de l'utilisateur aux données qu'il communique comme une simple faculté qui serait simplement consenti par l'opérateur.

 

Il en est de même de la clause qui stipule un droit gratuit d'accès et de modification des données personnelles de l'utilisateur au profit de ce dernier, «sauf dans le cas où ce service impliquerait un effort démesuré», et de la clause qui prévoit, même avec le consentement des utilisateurs, la faculté pour le professionnel de communiquer des données à caractère personnel des utilisateurs à des catégories non désignées de tiers et destinataires.

 

Concernant le changement des règles de confidentialité, le tribunal constate que le dispositif ne distingue pas suivant qu'il s'agisse de modifications substantielles nécessitant la conclusion d'un nouveau contrat ou de modifications uniquement conjoncturelles nécessitant simplement un dispositif de notification d'informations.

 

Le TGI analyse ensuite les conditions d'utilisation de Google.

 

Tout d’abord est déclarée abusive la clause qui prévoit que l’inscription suivie de la navigation sur le site, vaut acceptation des conditions générales d’utilisation alors que l’utilisateur n’a pas pu avoir accès à celles-ci.

 

Est également déclaré illicite la clause qui stipule l’analyse automatique des contenus des utilisateurs pour proposer des fonctionnalités pertinentes en ce qu’elle ne précise pas s’appliquer seulement à la publicité ciblée.

 

Enfin, on relèvera que sont aussi épinglées la clause qui exclut systématiquement toute responsabilité de Google en cas de dysfonctionnement et celle qui exclut formellement l’application de la loi française sur la propriété intellectuelle ou sur la confiance dans l'économie numérique au profit de la loi américaine.

 

Outre l’annulation des clauses, le tribunal, constatant que ces dernières ont été retirées, condamne Google à 30 000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral. Par ailleurs, il ordonne, sous astreinte (5 000 euros par jour)  à Google de permettre la lecture de l’intégralité du jugement par le moyen d’un lien hypertexte devant figurer sur la page d’accueil de son site internet.

newsid:467786

Justice

[Le point sur...] Les moyens humains de la Justice et leur allocation

Lecture: 7 min

N7705BXN

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par Henri Paul, Président de chambre honoraire à la Cour des comptes, Avocat à la Cour of counsel UGGC Associés

Le 20 Février 2019

Mots-clefs : Notice • Cour des comptes • Enquête "Approche méthodologique des coûts de la Justice"

La commission des finances de l’Assemblée nationale a innové en demandant à la Cour des comptes, en application de l’article 58, 2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (N° Lexbase : L1295AXA), une enquête originale. Il s’agissait, sur une idée d’Eric Woerth, député de l’Oise et ancien ministre du Budget, son président, d’élaborer une méthodologie de mesure du coût/efficacité des moyens humains accordés au ministère de la Justice, pour le fonctionnement du service public de la Justice judiciaire.

 

Le rapport déposé en décembre dernier, et qui a fait l’objet d’une audition de la Cour à l’Assemblée le 29 janvier dernier, se concentre essentiellement sur la Justice judiciaire, et il est riche d’un certain nombre de constats. Il nous laisse, cependant, un peu sur notre faim quant au caractère efficace et pratique des propositions, qui apparaissent un peu timides.

 

1. Au chapitre des constats, le rapport de la Cour dresse un panorama actualisé du sujet. Il fait d’abord apparaître que le budget des juridictions (judiciaire et administrative) en France est, en pourcentage du PIB, très en dessous des pays européens comparables (0, 18 % du PIB contre 0, 29 %, qui est la médiane européenne, hors Irlande et Royaume-Uni). Le chiffre du nombre de magistrats pour 100 000 habitants est à l’unisson : 13 en France, 31 en Allemagne et dans la médiane de l’Union européenne, hors Royaume-Uni et Irlande.

En second lieu, la Cour note un effort récent de rattrapage, avec une hausse de près de 9 % du budget global de la Justice judiciaire depuis 2013, et de 13 % des crédits de fonctionnement courant. Issu des récents «chantiers de la Justice», le projet de loi de programmation 2018-2022 prévoit une hausse de 24 % du budget de la mission Justice sur la période.

 

La Cour nuance immédiatement cette observation en remarquant que cet effort (modéré) n’a eu aucune incidence sur le terrain, puisqu’entre 2013 et 2017, les effectifs de magistrats ont été quasiment stables (+ 0, 5 %), et ceux des fonctionnaires en service au ministère en légère hausse (+ 1,8 %). La Cour y voit la conséquence de la durée de la formation des magistrats, mais aussi d’une gestion des ressources humaines défaillante : forte mobilité des magistrats mal appréciée par les services gestionnaires, inégalités géographiques persistantes avec des territoires mal desservis, écart entre les prévisions de plafond d’emplois et leur exécution.

 

Un deuxième constat est tout aussi inquiétant : c’est celui de la dégradation de la performance des juridictions. Sous la réserve générale de la faiblesse et de la mauvaise qualité des indicateurs d’activité, la Cour observe quand même que, face à une diminution du nombre des affaires traitées depuis 2013 (baisse du contentieux civil entrant et de l’activité pénale), les délais de traitement ne s’améliorent pas, voire ont tendance à s’allonger : ainsi le délai moyen de traitement d’une procédure civile est passé sur la période considérée (2013-2017) de 10,5 à 11,8 mois pour les TGI et de 11, 7 à 14, 7 mois pour les cours d’appel. En matière pénale, et en dépit d’un arbitrage favorable dans la gestion des moyens nouveaux, les délais de traitement s’allongent aussi : de 37, 9 mois à 40, 3 mois pour un crime, de 11,9 mois à 12,4 mois pour un délit. Le nombre d’affaires traitées par magistrat est en légère augmentation au civil et en retrait au pénal.

 

Force est de constater qu’on manque de raisons objectives à donner à ces évolutions, qui semblent échapper au pilotage de l’administration centrale. La Cour observe enfin un dernier indice du malaise : le nombre de juridictions en grande difficulté (celles pour lesquelles le délai moyen de traitement des procédures civiles est supérieur de 15 % au délai moyen des juridictions) est en augmentation, surtout pour les TGI.

 

2. Un des apports principaux du rapport consiste à donner des exemples étrangers d’évaluation du temps de travail qui pourraient éclairer notre sujet, mais dont notre pays est fort éloigné. Il pourrait paraître étonnant, par exemple, que la France ne participe pas au groupe de travail du Conseil de l’Europe sur la pondération des affaires, qui pourrait déboucher sur de meilleurs indicateurs d’activité.

Les différents pays observés ont leurs méthodes de calcul et d’évaluation du temps de travail.

La Cour nous explique que ces systèmes d’analyse ont d’abord été construits pour permettre aux juridictions d’évaluer leur charge de travail et d’améliorer l’allocation de leurs ressources. C’est le cas en Allemagne, qui présente «un des exemples les plus anciens et les plus opérationnels du système de pondération des affaires». Ce système date des années 2000, époque à laquelle les ministres de la Justice des Länder, aidés par un cabinet de conseil, ont mis en place une commission qui a établi une liste des catégories d’affaires, et leur a affecté, sur la base d’un échantillon et d’une observation pratique, un temps moyen de traitement. Il n’est pas obligatoire, chaque ministère l’utilisant comme il veut. Il est révisé régulièrement et sert en réalité de référence aux allocations de moyens et aux discussions budgétaires. Les juridictions gardent en interne la liberté d’affecter leurs moyens, mais le système recouvre les juges du siège, les procureurs et les personnels administratifs. La principale critique qui lui est adressée est qu’il sous-estime la complexité de certains dossiers, notamment pénaux.

Un autre modèle est utilisé en Norvège. Il est lui aussi fondé sur une étude des temps de travail d’un échantillon de juridictions, mais il détermine, à l’intérieur de grandes catégories de contentieux, le temps estimé de traitement en fonction de critères de complexité (nombre de témoins, recours à des experts, etc.). En outre l’allocation de moyens est faite par une agence indépendante, qui recourt à ce logiciel, mais aussi à une négociation directe avec les cours. L’administration norvégienne considère que ce système doit être revu.

En Israël, un dispositif de pondération existe pour les juridictions traitant du contentieux du travail, qui s’appuie sur une conférence de consensus, et sur l’évaluation des différentes phases de la procédure et leur complexité, en combinant les deux approches par des coefficients par type d’affaires.

Plus généralement, l’analyse de la complexité ne semble utilisée dans le domaine judiciaire que de manière expérimentale.

 

3. Dans le cas français, la Cour constate que l’évaluation de l’activité ne repose pas sur des critères objectifs. En effet, les outils de gestion actuellement utilisés (OUTILGREF pour les fonctionnaires, PHAROS pour les magistrats) sont lacunaires. Pour PHAROS, par exemple, la Cour relève que la qualité des informations qu’il donne dépend des informations qui l’alimentent, qui sont fournies avec retard et qui sont purement déclaratives.

La Cour note que les modifications législatives et réglementaires qui affectent directement les procédures et les pratiques ne comportent que peu d’études d’impact sur la productivité ou le temps de travail, y compris lorsque les textes viennent de la Chancellerie elle-même, et que la numérisation en cours n’est pas correctement appréhendée dans ses incidences sur les méthodes de travail et la productivité.

Comme dans bien d’autres ministères, les indicateurs de performance sont insuffisants et ne rendent pas compte de la complexité de la machine judiciaire.

La Cour est particulièrement critique sur les conditions du dialogue budgétaire au sein du ministère («des services centraux insuffisamment coordonnés»), sur le manque de transparence des modalités de calcul des besoins, le manque de lisibilité des critères de répartition, et le manque d’articulation entre la discussion budgétaire et la performance.

Au fond, les besoins n’étant pas rationnellement et objectivement définis, une part très belle semble faite à la débrouillardise et aux capacités de négociation des chefs de cour ! C’est ce qui transparaît entre les lignes du rapport.

Mais ce tableau est nuancé par quelques travaux, toutefois «non aboutis» (sic), ayant pour objet l’évaluation de la charge de travail.

Des groupes de travail ont été constitués par le ministère depuis les années 1990, et plus récemment au cours des années 2010-2018, pour recenser et classifier les contentieux et collecter des données d’activité réelle (cour d’appel de Paris et de Riom), et éditer des référentiels d’activité, après un vote des membres du groupe de travail. La mise en œuvre n’a pas été menée à son terme, et aucun de ces référentiels n’a été validé par l’administration.

Il reste que, face à l’absence de référentiels nationaux, certaines cours en utilisent quand même. De multiples outils ont été déployés à l’échelle locale, qui ne sont pas homologués. Ainsi la Cour cite la cour d’appel de Rennes qui détaille l’ensemble de l’activité des magistrats du siège de son ressort, et le référentiel du parquet général de la cour d’appel de Riom, qui fait ressortir la multiplicité et l’hétérogénéité des tâches des parquetiers. 

 

4. Face à ce qu’il faut bien considérer comme une situation très peu satisfaisante, la Cour fait des recommandations de bon sens. Il s’agit d’améliorer et organiser la saisie des données d’activité, de développer l’expertise, de rénover le dialogue de gestion, de mieux faire cadrer les mouvements de personnel avec l’évaluation des moyens, de rendre plus transparents les critères de gestion et de répartition des moyens, et de créer un pilotage national, s’appuyant sur un consensus.

La recommandation phare consiste à préconiser la création dans les trois ans d’un système de pondération se fondant sur une typologie des affaires judiciaires et sur les actuels et futurs outils de gestion, un système à l’allemande. Mais la Cour manque de précision sur les moyens d’y arriver.

En réalité, ce qui manque vraiment, au moment où les initiatives locales et ponctuelles se multiplient, c’est la volonté politique de faire aboutir cette réforme, alors qu’on ne compte en France pas plus de 8 000 magistrats judiciaires environ.

 

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Procédure administrative

[Brèves] Pourvoi transmis au Conseil d'Etat par une autre juridiction administrative : possibilité de mettre en œuvre la PAPC

Réf. : CE Sect., 15 février 2019, n° 416590, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3490YXK)

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N7746BX8

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par Yann Le Foll

Le 20 Février 2019

La procédure d'admission des pourvois en cassation (PAPC), instituée par l'article L. 822-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3305ALY), est applicable à tout pourvoi en cassation dont le Conseil d'Etat est saisi, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il lui a été transmis par une autre juridiction administrative saisie à tort, devant laquelle des actes de procédure ont été accomplis. Telle est la solution d’un avis rendu par le Conseil d’Etat le 15 février 2019 (CE Sect., 15 février 2019, n° 416590, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3490YXK).

 

Signalons que par cette décision, le Conseil d’Etat revient sur une décision de 2016 dans laquelle il avait estimé que «dès lors que le Conseil d'Etat est saisi par M. B. de la contestation d'un jugement présentant le caractère d'un pourvoi en cassation, et que celui-ci a été initialement introduit devant la cour administrative d'appel de Lyon qui a commencé à l'instruire avant de le renvoyer au Conseil d'Etat en application de l'article R. 351-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2020K9P), il n'y a pas lieu de mettre en œuvre la procédure d'admission des pourvois en cassation prévue à l'article L. 822-1 du même code» (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E3776EX7).

newsid:467746

Procédure civile

[Jurisprudence] Point d’aporie lorsque l’oralité de la procédure respecte le principe du contradictoire !

Réf. : Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-28.828 (N° Lexbase : A9748YUL)

Lecture: 10 min

N7784BXL

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris - Associé Cabinet SEFJ, Vice- Président de la Commission textes et membre du Conseil national des barreaux, Expert auprès du Conseil des barreaux européens - Vice-Président National de l’ACE (Association des Avocats Conseils d’Entreprises)

Le 20 Février 2019

Par un arrêt du 31 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que les parties doivent se communiquer spontanément les pièces dont elles font état en temps utile, sans que cette communication puisse intervenir, en procédure orale, après les débats de l’affaire. Le juge, auquel il incombe de veiller au bon déroulement de l’instance et de faire observer le principe de la contradiction, dispose, en cas de réouverture des débats faute de communication de pièces, du pouvoir d’enjoindre cette communication et d’écarter des débats celles de ces pièces qui, sans motif légitime, n’ont pas été communiquées dans les délais qu’il a impartis.

Mme Z, a été victime d’une entorse du genou, alors élève dans un lycée, et fut prise en charge au titre de la législation en matière d’accident du travail. Le taux d’incapacité permanente partielle fut fixé à 10 %. Le recours amiable formé par l’étudiante devant la commission du rectorat de l’académie de Nacy-Metz fut rejeté. Elle saisit alors une juridiction de Sécurité sociale d’une demande tendant à voir reconnaître l’aggravation de son état de santé, puis a relevé appel du jugement qui, après avoir ordonné une expertise, l’a déboutée de son recours.

Mme Z interjeta appel de ce jugement mais la cour d’appel de Metz, dans son arrêt du 29 septembre 2017, écarta des débats les pièces qu’elle avait communiquées. Elle succomba donc en appel.

Mme Z régularisa un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt, excipant de l’oralité de la procédure pour justifier avoir communiqué des pièces lors de l’audience, lesquelles, selon elle, ne peuvent être rejetées que s’il est établi que la partie adverse n’a pas pu présenter utilement ses observations. Il convient de préciser que le conseiller chargé de l’instruction avait demandé à ce que cette communication soit antérieure à l’audience.

Sans surprise, le pourvoi fut rejeté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, très attachée au respect du principe du contradictoire, motivant sa décision en ces termes : «Les parties doivent se communiquer spontanément les pièces dont elles font état en temps utile, sans que cette communication puisse intervenir, en procédure orale, après les débats de l’affaire. Le juge, auquel il incombe de veiller au bon déroulement de l’instance et de faire observer le principe de la contradiction, dispose, en cas de réouverture des débats faute de communication de pièces, du pouvoir d’enjoindre cette communication et d’écarter des débats celles de ces pièces qui, sans motif légitime, n’ont pas été communiquées dans les délais qu’il a impartis ;

qu’ayant relevé que, par un arrêt du 26 février 2016, elle avait ordonné la réouverture des débats à l’audience du 2 février 2017 en faisant injonction à l’appelante de transmettre ses pièces au rectorat de l’académie de Nancy-Metz avant le 20 juin 2017 et que Mme Z avait reconnu à l’audience du 23 juin 2017 ne pas avoir procédé à cette communication, c’est à bon droit que la cour d’appel, retenant que les difficultés financières invoquées par l’appelante ne justifiaient pas une exception au principe de la contradiction, a écarté des débats les pièces de l’appelante».

 

Force est de constater la clémence dont avait déjà fait preuve la cour d’appel en cours d’instance puisque l’appelante n’avait absolument rien communiqué à son contradicteur avant l’audience pas plus d’ailleurs que lors de cette même audience. Bien que sommée par la cour de communiquer ses pièces sur réouverture des débats à date précise, l’appelante n’en fit rien.

 

Le principe du contradictoire s’impose dans toute procédure, qu’elle soit écrite ou orale. Il s’agit du corollaire de la loyauté procédurale, malheureusement mise à mal dans les procédures orales, pour lesquelles on entend trop souvent les plaideurs clamer, lorsqu’ils communiquent leurs moyens et pièces le jour de l’audience, quelques minutes avant les plaidoiries, «je vous rappelle qu’il s’agit d’une procédure orale»

 

Cet arrêt est fort bienvenu pour rappeler que même si une partie n’est ni représentée ni assistée par un avocat dans le cadre d’une procédure orale, on ne peut se dispenser d’un minimum de loyauté procédurale et du respect du principe du contradictoire.

 

I - La loyauté, gage de sécurité processuelle 

 

Les textes et jurisprudences, faisant expressément référence à la loyauté ou à la bonne foi dans les différentes branches du droit français, confirment l’existence d'un principe général en phase avec ce que le droit international privé a d’ores et déjà consacré. 

 

Incrémentée au droit processuel, la loyauté s’y est amplement étendue. Ce droit ne pouvait d’ailleurs s’en dispenser.

La procédure apparaît en effet comme l’auxiliaire du droit substantiel, puisqu’elle contient les règles destinées à mettre en œuvre la sanction des règles du droit ordinaire.

Le juriste allemand Ihering [1] écrivait «ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté».

La forme apporte effectivement la sécurité à celui qui s’y soumet et permet de garantir le respect de principes fondamentaux (droit d’accès au juge, droit de la défense, ne pas être jugé sans voir été entendu ou appelé, droit au recours, contradictoire…).

La procédure civile constitue une technique de garantie des droits fondamentaux : il s’agit d’une procéduralisation du droit traduisant un mouvement vers une démocratie procédurale [2].

En cas de besoin, le droit judiciaire privé vient prêter main forte pour que la prescription du droit substantiel ne soit pas impunément bafouée.

L’un et l’autre devaient donc se réunir autour du principe de loyauté.

Le principe de la contradiction en est l’illustration puisqu’il est l’expression d’un principe plus large, un principe directeur de «loyauté des débats», pourtant non énoncé dans le Code de procédure civile, mais consacré par la Cour de cassation [3], reprenant pour l’affirmer les termes de son article 16.

Le juge de la mise en état doit veiller au déroulement loyal de la procédure devant le tribunal de grande instance. L’article 763 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6984H7S) édicte expressément cette règle.

La loyauté doit être respectée dans la communication des pièces [4].

 

Assise comme principe transversal de droit processuel, la loyauté suit le droit au contradictoire. 

 

La question est en effet délicate lorsque la nécessité de ne pas entraver le principe général du droit au contradictoire ne doit pas en essoriller les initiatives et la flexibilité de l’action du plaideur. La limite se trouve dans la loyauté.

 

Ce principe essentiel des droits de la défense semble donc être lui-même protégé par la loyauté qui l’inspire.

 

Le nécessaire équilibre entre ces deux piliers de la procédure devait nécessairement amener la jurisprudence, faute pour le législateur de l’avoir clairement consacré, à construire un garde-fou qui n’est, ni plus ni moins, que la construction d’un régime procédural directeur de loyauté destiné à concilier l’efficacité du contradictoire et les principes de confiance et de cohérence indispensables à tout système juridique, notamment la procédure orale.

 

Sous ce prisme, le contradictoire ne peut connaître de dérogations que dans certains cas spécifiquement prévus par la loi.

 

II - La communication des pièces en temps utile 

 

Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction (C. pr. civ., art. 16 N° Lexbase : L1133H4Q).

 

Ainsi, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les moyens de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense (C. pr. civ., art. 15 N° Lexbase : L1132H4P).

 

C’est ce prix que la Cour de cassation rappelle dans son arrêt du 31 janvier 2019. Ainsi, c’est à bon droit que des difficultés financières ne justifient pas une exception au principe de la contradiction.  

 

L’article 135 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1477H4H) permet au juge d’écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile.

 

Faut-il, dans un premier temps, entendre par temps utile, avant l’audience !

 

Ainsi, communiquer des pièces la veille ou le jour de l’ordonnance de clôture, en matière de procédure écrite, a été considéré comme tardif [5]

 

L’appréciation du caractère tardif relève du pouvoir souverain des juges du fond [6].

 

La procédure orale n’est pas une exception au respect de ces principes. La réforme de la procédure orale issue du décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3) favorise le respect du contradictoire.

Les parties peuvent, dans le cadre d’une procédure orale, par souci de sécurité, opter pour les échanges par écrit (C. pr. civ., art. 446-1 N° Lexbase : L1138INH). Le juge peut organiser les échanges entre les parties comparantes et fixer, après avoir recueilli leur avis, les délais et, si elles en sont d’accord, les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces (C. pr. civ., art. 446-2 N° Lexbase : L6754LEU). Personne n’est évidemment à l‘abri d’un empêchement légitime mais il faut en justifier et il existe pour cela la procédure de réouverture des débats régie par les articles 444 (N° Lexbase : L1120INS) et suivants du Code de procédure civile. Il faut pour cela que le juge autorise la réouverture des débats et elle ne peut se dérouler par la simple volonté d’une partie qui, n’ayant pas communiqué contradictoirement avant et pendant l’audience, souhaiterait le faire une fois les débats clôturés.

Cette faculté du juge relève de son pouvoir discrétionnaire [7]. Le motif légitime trouve ici à s’appliquer et son appréciation est souveraine.

La Cour de cassation a, dans l’affaire commentée, estimé que la cour d’appel avait, à bon droit, rejeté l’argument des difficultés financières comme motif légitime, l’appelante n’ayant rien communiqué avant, pendant et après l’audience, bien que sommée de le faire.

 

 

III - L’oralité n’est-elle pas dépassée ?

 

Les dispositions particulières aux procédures applicables devant les juridictions d'exception comportent une règle qui leur est commune et qui les distingue de la procédure applicable devant le tribunal de grande instance : il s'agit de l'oralité de la procédure. La volonté d'origine fut que les parties puissent accéder au juge par une procédure simple et peu onéreuse. On considérait que les litiges portés devant les juridictions d'exception étaient des affaires simples et présentant peu d'importance. Force est de constater que depuis plusieurs années, cette considération ne correspond plus du tout à la réalité.  La complexité et l'importance des dossiers ne se retrouvent pas que devant le tribunal de grande instance, juridiction devant laquelle la procédure est écrite avec une mise en état organisée textuellement, cette mise en état étant elle-même assurée par une formation juridictionnelle spécifique : le juge de la mise en état. Une grande majorité des dossiers dévolus aux juridictions commerciales et sociales présentent indéniablement un enjeu important et appellent à l'examen de règles de droit substantiel complexes, sans oublier les règles de procédure, dont il ne faut pas négliger l'impact sur l'issue de l'instance (règles de comparution, de placement, délais, exceptions de procédure, fins de non-recevoir, etc.).

 

La procédure orale répond insuffisamment à la clarté que requiert le lien d'instance via la détermination des prétentions et des moyens présentés par les parties [8].

Les moyens offerts par le Code de procédure civile en matière de procédure orale, pour répondre à cette sécurité juridique, ne sont plus efficients.

 

En effet, les plaideurs ne peuvent plus se contenter de la règle selon laquelle les prétentions des parties ou la référence qu'elles font aux prétentions qu'elles avaient formulées par écrit sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal [9]. Le sort du procès dépendrait alors de la vigilance du greffier et du juge à noter les prétentions et les moyens qui ne font l'objet que d'un exposé oral.

 

Serait-ce réaliste et responsable, pour les praticiens qui connaissent la charge des rôles des audiences devant les juridictions concernées et la complexité de bon nombre des dossiers qui leur sont soumis, de prétendre à l'égard de leurs clients qu'il s'agirait là d'une sécurité efficiente ?

 

Le sérieux impose une réponse négative.

 

Il convient de souligner par ailleurs que la Cour de cassation fait peser sur chacune des parties la charge de prouver qu'elle a effectivement soumis au juge le contenu des prétentions et moyens dont elle se prévaut [10].

 

L'oralité des débats est-elle compatible avec l'obligation, à peine d'irrecevabilité, de communiquer par la voie électronique les actes de procédure, l'évolution vers la formalisation des écritures et la politique de concentration des prétentions, des moyens et des délais que notre droit va connaître d'ici peu, et dont la portée a vocation à toucher l'ensemble des procédures ? [11] Assurément pas.

 

Les dérives de l'oralité des débats affectant le respect du principe du contradictoire, la loyauté des débats, le contrôle du juge, et l'exercice normal des voies de recours a conduit à ce que soit proposée la création d'une mise en état effective devant les juridictions du tribunal de commerce, du Conseil des prud'hommes, du tribunal d'Instance et des juridictions de sécurité sociale, à en lire l’arrêt commenté [12]

 

Le justiciable, l’avocat et le juge doivent travailler de concert.  Le lien qui les lie se manifeste par l’écrit et la parole.

La généralisation de l’écrit dans les contentieux complexes est une voie d’optimisation de la loyauté procédurale et un moyen de mieux organiser le temps de l’instance par la fixation de calendriers.

C’est également un moyen permettant de faciliter la tâche du juge et, pour le justiciable, de mieux être entendu.

Ce n’est pas parce que certains pensent, à juste titre, que l’écrit simplifie, sécurise et renforce la loyauté processuelle, que la plaidoirie est condamnée par de telles pensées.

L’écrit va en renforcer la qualité et la pertinence de l’oralité.

 

L’exemple du règlement processuel devant le Tribunal de l’Union européenne [13] peut être cité par son efficacité : une phase écrite et une phase orale de la procédure sont strictement règlementées. L’audience de plaidoirie est régie en sa préparation puis son déroulement : quinze minutes de plaidoiries par avocat pour exposer les grandes lignes soutenues (position prise et moyens essentiels développés par écrit), puis échanges interactifs sur des points précis du dossier sujets à difficultés. Les plaidoiries sont limitées aux prétentions et moyens contenus dans les écrits, sauf évènements survenus depuis la clôture de la phase écrite de la procédure et qui n’auraient pu, de ce fait, être exposés dans les contributions écrites.

Le lien humain que crée l’audience doit être maintenu et pour cela la plaidoirie demeurer mais ce lien sera d’autant plus fort que la loyauté l’aura présidé, ce que la phase écrite préalable tend manifestement à renforcer.

 

 

 

[1] Ihering, L’esprit du droit romain, 3ème éd. Paris, 1886-88.

[2] S. Guinchard, , Cécile Chénais, Frédérique Ferrand, Procédure civile -Droit interne et droit de l’Union européenne, 30ème édition, Dalloz, n° 67 et s.

[3] Cass. civ. 1, 7 juin 2005, n° 05-60.044, FS-P+B (N° Lexbase : A6590DIW ; cf. l’Ouvrage «Procédure civile», Le principe de loyauté  N° Lexbase : E3155E4M), RTDCiv., 2006, p. 151, obs. R. Perrot.

[4] Cass. civ. 3, 6 juin 2007, n° 06-13.996, FS-P+B (N° Lexbase : A5584DWQ), D., 2007, 242 ; Cass. civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-16.451, FS-P+B (N° Lexbase : A3514DRL), Procédures, janvier 2007, n° 16.

[5] Cf. notamment Cass. civ. 2, 2 février 1977, n° 75-13.910 (N° Lexbase : A7081CEY), Bull. civ. II, n° 25 ;

[6] Cass. mixte, 3 février 2006, n° 04-30.592 (N° Lexbase : A7240DM4 ; cf. l’Ouvrage «Procédure civile» Une communication des pièces en temps utile N° Lexbase : E6892ETG)

[7] Cass. civ. 2. 14 octobre 1999, n° 96-21.701, P (N° Lexbase : A4629CHW).

[8] Le principe de sécurité juridique et les procédures orales, Procédures 2006, Etudes n°6

[9] C. pr. civ., art. 871 (tribunal de commerce) (N° Lexbase : L7745IUE) ; C. pr. civ., art. 882 (N° Lexbase : L0873H44), pour le tribunal paritaire des baux ruraux par renvoi à l'article 843 du même code (N° Lexbase : L1183IN7).

[10] Cass. civ. 1, 22 octobre 1974, n° 73-12.402 (N° Lexbase : A6034CIC), Bull. civ. I, n° 273.

[11] Cf. notamment décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW).

[12] Cf. notamment : Discours de Mr le Recteur Guinchard du 18 janvier 2008 ; Rapport Commission Magendie 2004 - Motion ACE - Commission Procédure Civile - Congrès national de Toulouse 5-6 novembre 2009.

[13] Règlement intérieur et de procédure T.U.E., Journal officiel de l’Union européenne, 18 juin 2015

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Public général

[Conclusions] Conditions de communicabilité d’une convention de prêt entre une banque et un parti politique – conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 13 février 2019, n° 420467, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9109YWB)

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par Anne Iljic, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 20 Février 2019

Dans un arrêt rendu le 13 février 2019, le Conseil d'Etat a dit pour droit qu’une convention de prêt entre une banque et un parti politique est communicable au public sous réserve de l’occultation des mentions relatives aux coordonnées bancaires de ce parti, et à la durée ainsi qu'au taux d'intérêt de ce prêt. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Anne Iljic.

Contrairement à ce qu’une certaine proximité d’acteurs et d’objet pourrait à première vue laisser penser, y compris d’ailleurs aux parties, le présent litige, qui oppose en cassation l’association Rassemblement national, successeur du Front national, à la société éditrice de Médiapart et à l’une de ses journalistes n’a, en termes juridiques, pas grand-chose à voir avec votre décision d’Assemblée du 27 mars 2015 (CE Ass., 27 mars 2015, n° 382083 N° Lexbase : A6889NEU, p. 128, concl. A Bretonneau). Vous y aviez jugé que  revêtent le caractère de documents administratifs, au sens de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal  (N° Lexbase : L6533AG3), l’ensemble des documents justifiant les écritures figurant dans le compte de campagne d’un candidat à l’élection présidentielle et qui permettent à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de s’assurer de sa régularité, tout en précisant que de tels documents ne deviennent communicables qu’après l’expiration du délai de recours contre la décision de la CNCCFP rejetant, approuvant ou réformant le compte de campagne ou jusqu’à l’intervention de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur le recours formé, le cas échéant, contre cette décision. Cette réserve d’incommunicabilité temporaire, que vous avez formulée de manière prétorienne et pour tout dire très constructive au regard de la lettre du texte, constitue la manifestation de la gêne que vous aviez éprouvée du fait de l’adhérence du litige avec l’article 6 de la Constitution (N° Lexbase : L1325A9X), qui réserve au législateur organique la détermination des modalités de l’élection du Président de la République au suffrage universel.

 

Rien de tout cela n’est en cause ici, puisque c’est sur la communicabilité d’un document reçu par la CNCCFP dans le cadre d’une autre de ses missions, tenant non pas au contrôle des comptes de campagne en matière électorale mais à celui, annuel, qu’elle exerce sur le financement des partis politiques, que s’est noué le présent litige (article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, relative à la transparence de la vie politique N° Lexbase : L8358AGN).

 

La publication sommaire, par la CNCCFP, des comptes des partis politiques pour l’année 2014 au JO du 31 décembre 2015 a en effet attisé la curiosité de la société éditrice de Médiapart et en particulier de l’une de ses journalistes, Mme X. Y était mentionnée l’importance du recours à l’emprunt dans le financement du Front national et le fait que la Commission avait demandé que lui soit transmis, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 11-7 de la loi de 1988, qui lui permet d’obtenir communication de «toutes les pièces comptables et tous les justificatifs nécessaires au bon accomplissement de sa mission de contrôle», le contrat de prêt correspondant, conclu le 11 septembre 2014, et dont elle avait estimé après en avoir pris connaissance qu’il n’appelait pas d’observation.

           

Sans attendre, l’intéressé a demandé communication de ce contrat à la CNCCFP, qui s’y est refusée, par décision du 15 mai 2016, en dépit d’un avis favorable de la CADA intervenu trois jours plus tôt (CADA, n° 20161117 N° Lexbase : X1688AQL), pour des motifs tenant à la protection du secret en matière industrielle et commerciale de l’établissement bancaire prêteur. Saisi par Mme X et par la société éditrice de Médiapart, le tribunal administratif de Paris a pour sa part annulé ce refus de communication et a enjoint à la CNCCFP de communiquer le contrat de prêt demandé, dont il a au passage indiqué qu’il avait été conclu avec la banque russe First Czech Russian Bank, dans le délai d’un mois à compter de la notification de son jugement, sous la seule réserve de l’occultation des coordonnées bancaires de l’association Front National (TA Paris, 7 mars 2018, n° 1610948/5-3 N° Lexbase : A5274YQE).

 

La CNCCFP n’est plus requérante devant vous, seule l’association Front national, entretemps rebaptisée «Rassemblement national», demandant en cassation l’annulation de ce jugement. Son intérêt à former le présent pourvoi, qui n’est d’ailleurs pas contesté, ne fait pas de doute au regard de vos décisions «Syndicat des pharmaciens du Nord» (CE, 3 juillet 2000, n° 196259 N° Lexbase : A2365B7Q, T. p. 1194) et «Harenne» (CE, Sect. 9 janvier 1959, p. 23), dès lors qu’elle était intervenante en défense en première instance et qu’elle aurait été recevable à former tierce opposition contre le jugement attaqué.

 

Les premiers moyens du pourvoi ne vous retiendront pas.

 

Il est soutenu que les premiers juges auraient insuffisamment motivé leur jugement et commis une erreur de droit en écartant la fin de non-recevoir soulevée devant eux, tirée du défaut d’intérêt pour agir de Mme X et de la société éditrice de Médiapart. Mais comme vous le savez, le droit à communication des documents administratifs n’est pas subordonné à la démonstration d’un intérêt ou d’une qualité particulière (CE, 21 juillet 1989, n° 34954 N° Lexbase : A5126ALG, T. p. 687), et c’est ce que le tribunal administratif a rappelé au point 4 de son jugement, par des motifs qui vous mettent à même d’exercer votre contrôle.

 

Il ne peut pas non plus lui être reproché d’avoir méconnu son office en omettant de se faire communiquer le contrat de prêt, la lecture du dossier témoignant de ce qu’une telle mesure d’instruction a en l’espèce bien été ordonnée, sans que la convention soit pour autant versée au contradictoire, comme le permet votre jurisprudence «Banque de France c/ Hüberschwiller» s’agissant des documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige (CE, Section, 23 décembre 1988, n° 95310 N° Lexbase : A7922AP4, p. 464, concl. S. Daël). 

 

Nous pouvons en venir à la première des deux questions qui se trouvent au cœur du litige. Elle porte sur le point de savoir si le contrat de prêt conclu entre le Front National et la First Czech Russian Bank le 11 septembre 2014 revêt bien le caractère d’un document administratif communicable sur le fondement du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), comme l’a jugé le tribunal administratif, qui a précisé en outre que l’existence dans ce contrat d’une clause de confidentialité était sans incidence sur la solution retenue.

 

Pour vous prononcer sur ces motifs, critiqués à plusieurs titres en cassation, il faut d’abord vous assurer que les documents afférents à l’exercice par la CNCCFP de sa mission de contrôle du financement des partis politiques ne sont pas soumis pas à un régime de communication spécifique.

 

Dans sa version applicable au litige, l’article 11-7 de la loi du 11 mars 1988, relative à la transparence financière de la vie politique (rédaction issue de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 N° Lexbase : L3622IYS) prévoyait seulement que les partis ou groupements politiques bénéficiaires des articles 8 à 11-4 de la même loi[1] devaient déposer leurs comptes à la CNCCFP, cette dernière étant chargée d’assurer leur publication sommaire au JO. Il n’était donc pas prévu que les contrats de prêts éventuellement souscrits par les intéressés soient transmis d’office à la CNCCFP. Cela explique que cette dernière ait dû faire usage en l’espèce de son droit de communication, prévu par le dernier alinéa de cet article 11-7, pour obtenir le contrat de prêt litigieux.

 

L’article 11-7 de la loi de 1988 a depuis été modifié à deux reprises. C’est surtout la loi n° 2017-286 du 6 mars 2017, tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats (N° Lexbase : L1686LDS), qui a apporté des modifications substantielles aux dispositions qui nous intéressent, les partis et groupements concernés devant depuis son entrée en vigueur transmettre d’eux-mêmes à la CNCCFP les «montants et conditions d’octroi des emprunts consentis ou souscrits par eux, l’identité des prêteurs ainsi que les flux financiers avec les candidats tenus d’établir un compte de campagne». Et il est désormais prévu que «lors de la publication des comptes, la commission indique les montants consolidés des emprunts souscrits répartis par catégories de prêteurs, types de prêts et par pays d'établissement ou de résidence des prêteurs, ainsi que l'identité des prêteurs personnes morales et les flux financiers nets avec les candidats». La loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017, pour la confiance dans la vie politique ((N° Lexbase : L7246LGH), n’a que très marginalement modifié ces dispositions. Mérite seulement d’être signalé qu’a été retirée du texte toute référence au pays d’établissement ou de résidence des prêteurs, ce qui doit être lu en cohérence avec la limitation, introduite à l’article 11-4, de la possibilité de consentir des prêts aux partis politiques aux seuls établissements de crédits et sociétés de financement ayant leur siège social dans un Etat de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen, dans le but d’éviter l’ingérence de puissances étrangères dans le financement des partis et groupements politiques [2] et garantir ainsi la souveraineté nationale, mentionnée à l’article 4 de la Constitution (N° Lexbase : L0830AH9) [3]. En pratique, cela signifie que l’association Rassemblement national ne pourrait plus, aujourd’hui, se financer auprès d’une banque russe [4].

 

La définition d’un tel régime de publication spécifique des comptes des partis politiques et, depuis la loi du 6 mars 2017, d’une partie des informations figurant dans les documents annexes à ces comptes, fait-il obstacle à l’application des dispositions du CRPA ? Cette piste nous semble devoir être écartée, car c’est justement celle sur laquelle vous avez refusé de vous engager par votre décision du 8 février 2012 (CE, 8 février 2012, n° 353357 N° Lexbase : A1469ALY, p. 31, concl. J. Boucher), dont il résulte que l’existence d’un régime spécifique de publication des sondages ne fait pas obstacle à ce que la communication des documents en possession de la commission des sondages, sur la base desquels ces sondages ont été publiés et diffusés, soit régie par la loi «CADA».

 

Vous devrez donc constater que la communication des documents afférents à l’exercice de la mission de contrôle du financement des partis politiques confiée à la CNCCFP est bien régie par le Code des relations entre le public et l'administration.

 

Or il est incontestable que le contrat de prêt litigieux a été reçu par la Commission dans l’exercice de cette mission de service public [5], ce qui en fait un document administratif au sens de l’article L. 300-2 de ce code (N° Lexbase : L4910LA4), qui définit comme tels, n’en déplaise à la requérante, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales, ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission.

 

Vous pourriez être tentés de préciser que les documents reçus par la CNCCFP dans le cadre de sa mission de contrôle du financement des partis politiques revêtent un caractère préparatoire, au sens de l’article L. 311-2 du code (N° Lexbase : L1866KNG), tant qu’elle n’a pas achevé cette mission. Le texte définit comme tels les documents devant servir à la prise d’une décision administrative en cours d’élaboration (voyez par exemple CE, 30 décembre 1998, n° 172761 N° Lexbase : A8672ASY, T. p. 912 ; CE, 15 avril 1991, n° 106543 N° Lexbase : A6524AR3, p. 185 ou encore CE, 9 juillet 2003, n° 243246 N° Lexbase : A2519C98, T. p. 787), afin d’assurer la sérénité de cette prise de décision. Mais nous peinons ici à identifier une véritable décision dans la publication des comptes au JORF prévue par l’article 11-7 de la loi de 1988. Vous pourriez à la rigueur vous raccrocher à celle par laquelle la CNCCFP constate un manquement aux obligations prévues à cet article, mais le terme que vous définiriez serait alors délicat à manier : même si la pratique de la CNCCFP [6] semble être de prendre position sur la conformité des comptes déposés par l’ensemble des partis et groupements politiques dans l’avis qu’elle rend public en même temps que la publication des comptes, le texte ne prévoit pas qu’une décision intervienne systématiquement, et son intervention n’est pas enserrée dans des bornes temporelles définies. Le litige ne vous impose de toute façon pas de trancher ce point, puisqu’il s’est en l’espèce noué postérieurement à la fois à la publication des comptes des partis politiques et à l’avis rendu sur la conformité du dépôt des comptes. Nous vous invitons à le réserver.

 

Reste l’objection, écartée comme inopérante par le tribunal administratif, tirée de ce que l’existence, dans le contrat conclu entre le Front National et la First Czech Russian Bank, d’une clause de confidentialité, ferait échec à l’application de ces dispositions, de même que le fait que les parties aient décidé de soumettre ce contrat à la loi russe.

 

Cette clause (art. 11.4 de la convention de prêt), telle que traduite par les requérants [7], prévoit que : «L’emprunteur et le prêteur garderont confidentielle toute information liée au sujet en question, ainsi que sur les termes et conditions de l’accord et prendront toutes dispositions pour empêcher que de telles informations soient dévoilées à un tiers à l’exception des dispositions prévues à cet effet par les lois de la Fédération de Russie».

 

Il est possible, et même probable, que la rencontre des volontés des parties n’ait en l’espèce été permise que par l’existence de cette clause de confidentialité. Mais cette dernière a pour seul effet de les lier l’une vis-à-vis de l’autre. Elle ne peut emporter de conséquences pour les tiers et surtout pas celle de déroger à la loi. Il serait au demeurant trop facile de faire usage de ce «joker» pour faire échec à l’application des dispositions du Code des relations entre le public et l'administration. 

 

Quant à la circonstance que les parties aient entendu se soumettre à la loi russe, elle nous semble indifférente dès lors que vous n’êtes pas saisis en tant que juge du contrat.

 

A la lumière des explications qui précèdent, vous pourrez écarter les moyens d’erreur de droit, de qualification juridique et de dénaturation soulevés à l’encontre des motifs du jugement ayant qualifié le contrat de prêt en cause de document administratif communicable.

 

Nous en arrivons à la seconde question qui se trouve au cœur du litige, et qui porte sur les mentions devant ou non être occultées au titre de l’atteinte que leur divulgation pourrait porter au secret en matière industrielle et commerciale [8].

 

Le moyen porte sur l’application du 1° de l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L5749LLI). Dans sa version applicable au litige -qui n’est effectivement pas celle citée par le tribunal administratif, mais cette erreur de plume peut être neutralisée-, cet article disposait que n’étaient communicables qu’à l’intéressé les documents dont la communication porterait atteinte à ce secret. Les modifications introduites par les lois n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, pour une République numérique (N° Lexbase : L4795LAT) et n° 2018-670 du 30 juillet 2018, relative à la protection du secret des affaires (1) (N° Lexbase : L5631LL7), ont précisé qu’il comprenait «le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles » et qu’il devait être apprécié « en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence». Dans son dernier état, il ne mentionne plus le secret en matière industrielle et commerciale mais le secret des affaires. La lecture des travaux préparatoires témoigne de ce que ces modifications n’ont fait que préciser l’étendue des informations couvertes par lesdits secrets en s’inspirant de la jurisprudence de la CADA [9], ce qui, bien que celle-ci ne vous lie pas, révèle en tout cas que le législateur n’a pas entendu ajouter à la loi en les adoptant.

 

Relevons à titre d’élément de contexte que l’invocation de ces dispositions par l’association requérante peut paraître surprenante : ce n’est pas de l’atteinte qui pourrait être portée à sa propre stratégie commerciale qu’il s’agit, mais de celle qui pourrait affecter l’établissement prêteur, dont il vous est indiqué en défense, sans que cela ne soit contesté, qu’il se serait vu retirer sa licence en juillet 2016 et qu’il aurait depuis fait faillite. Nous vous redirons un mot de ce point.

 

Il est d’abord soutenu, sans toutefois que le pourvoi s’y arrête vraiment, ni n’articule de moyen contre le jugement sur ce point, que devraient être occultés le nom et la nationalité de l’établissement prêteur. Mais nous ne voyons pas en quoi ces éléments porteraient atteinte au secret en matière industrielle et commerciale de ce dernier, et ces informations figurent de toute façon dans le jugement attaqué, qui mentionne le nom de la banque prêteuse et donc sa nationalité, ce qui prive d’objet toute discussion sur ce point (sur le fait que la publicité donnée à documents prive d’objet le litige relatif au refus de les communiquer, voyez par analogie CE, 9 mars 1983, n° 43501 N° Lexbase : A8459ALU, T. p. 728, jugeant sans objet une demande dirigée contre le refus de communiquer des circulaires publiées au JO).

 

La question des conditions financières du prêt est plus délicate. Le montant des emprunts souscrits par le Front National au titre de l’exercice 2014 ayant été rendu public à l’occasion de la publication sommaire de ses comptes au JO du 31 décembre 2015, le moyen ne porte que sur le taux et la durée du prêt consenti par la banque russe. 

 

Le seul argument mis en avant est tiré de ce que la communication des conditions d’octroi des prêts à la CNCCFP n’a été rendu été obligatoire qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 6 mars 2017, postérieure au litige, mais cela ne nous convainc pas dès lors que la Commission pouvait déjà se faire communiquer tout justificatif utile à son contrôle   avant cette date. Pour aller dans le sens de la requérante, vous pourriez en revanche relever que tout en procédant à ces modifications, le législateur n’a pas pour autant prévu que ces conditions d’octroi soient publiées au JO : le texte actuel prévoit seulement que «lors de la publication des comptes, la commission indique les montants consolidés des emprunts souscrits, répartis par catégories de prêteurs et types de prêts, ainsi que l'identité des prêteurs personnes morales […]». Mais vous ne pouvez rien tirer de concluant de ces évolutions postérieures du texte dès lors que vous vous refusez à faire coïncider les contours du droit à communication avec ceux des canaux de publication existant par ailleurs. C’est le sens de la jurisprudence n° 353357 (CE, 8 février 2012, n° 353357 N° Lexbase : A2024ICX, p. 31, concl. J. Boucher) que nous vous rappelions plus tôt.

 

Pour en revenir au cœur du sujet, bien que votre jurisprudence sur la question soit peu fournie, il nous semble que vous appréciez l’existence d’une atteinte au secret en matière industrielle et commerciale justifiant de faire jouer l’exception prévue à l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration en tenant compte du caractère concurrentiel, ou potentiellement concurrentiel de l’activité exercée (voyez, en matière de contrats administratifs : CE, 30 mars 2016, n° 375529 N° Lexbase : A1696RBG, p. 108, concl. E. Crépey). Cela ne fait pas obstacle à ce que ce secret soit opposé à une demande de communication relative à une entreprise en situation de monopole ou de quasi-monopole, les informations demandées pouvant précisément être utilisées pour remettre en cause cette situation (CE, 21 avril 2017, n° 394606 N° Lexbase : A3022WA8, T. p. 613, concl. E. Crépey).

 

Si l’on se réfère aux composantes du secret en matière industrielle et commerciale désormais reprises par le législateur, que nous vous invitons à vous approprier par anticipation dès lors que ce dernier ne semble avoir entendu apporter que des précisions, sans rien ajouter ou retrancher par rapport à l’état antérieur du droit [10], la question se pose ici de savoir si la divulgation du taux et de la durée d’un emprunt porte atteinte à la stratégie commerciale de la banque qui le consent.

 

Ces paramètres sont sans aucun doute des éléments clés de son offre commerciale, fruit de la négociation menée avec l’emprunteur. Leur divulgation pourrait, peut-être, donner à des banques concurrentes l’idée de faire à celui-ci une offre plus alléchante. Mais révèlent-ils réellement une stratégie commerciale ? Pour le dire autrement, les variables d’une offre de prêt isolée divulguent-t-elles à des tiers des informations suffisantes pour porter à la stratégie, c'est-à-dire à l’orientation d’ensemble des actions d’une entreprise ?

 

C’est une question de curseur, qui donne matière à hésiter. Pour tout dire nous aurions été encline à vous inviter à répondre par la négative si n’était votre jurisprudence en matière de commande publique. Vous avez en effet jugé que doivent être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public. Et vous avez précisé que dans cette mesure, «si l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau unitaire de prix de l’entreprise attributaire, en ce qu’il reflète la stratégie commerciale de l’entreprise opérant dans un secteur d’activité, n’est quant à lui, en principe, pas communicable» (CE, 30 mars 2016, n° 375529 N° Lexbase : A1696RBG, p. 108, concl. E. Crépey, précitée). Par cohérence avec ce précédent, nous vous proposons de juger que le taux et la durée d’un emprunt figurant dans un contrat de prêt, qui constituent des paramètres indissociables du coût du crédit consenti par la banque, sont eux aussi, en principe, couverts par le secret en matière industrielle et commerciale mentionné au 1° de l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration.

 

Sans doute serait-il souhaitable, dans un souci de transparence de la vie politique, que les conditions d’octroi des prêts accordés aux partis et groupements politiques soient rendues publiques au même titre que leurs montants et que l’identité des prêteurs. Mais nous pensons c’est au législateur qu’il reviendrait de modifier la loi du 11 mars 1988 sur ce point.

 

Reste que la société éditrice de Médiapart et Mme X font valoir, et faisaient déjà valoir devant le tribunal administratif sans être contredites, que la First Czech Russian Bank a fait faillite en juillet 2016 et que la gestion de ses créances a été prise en charge par l’Agence d’assurance des dépôts bancaires russes. Or, à la différence des secrets absolus protégés par l’article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L6819LAS), ceux mentionnés à l’article L. 311-6 du même code sont relatifs comme en témoigne le fait qu’ils ne sont opposables qu’aux tiers. Leur seule raison d’être est de protéger des intérêts privés ou particuliers. La disparition de la personne intéressée, au sens de ces dispositions, désactive logiquement la protection dont elle pouvait bénéficier à ce titre, sous réserve, sans doute, de l’hypothèse d’une personne morale dont l’activité serait reprise par une autre société. Ce raisonnement nous paraît a priori pouvoir valoir pour l’ensemble des secrets relatifs protégés par l’article L. 311-6.

 

Votre office de juge de l’excès de pouvoir, qui suppose d’apprécier la légalité des actes attaqués à la date de leur édiction, vous interdit cependant de tenir compte de cette circonstance en l’espèce, dès lors que la disparition de la banque russe est postérieure à la date de la décision de refus de communication de la CNCCFP. Mais rien ne ferait obstacle à ce qu’une nouvelle demande de communication soit formée, dans le cadre de laquelle les demandeurs pourraient utilement se prévaloir de cette circonstance.

 

Par ces motifs nous concluons à l’annulation de l’article 3 du jugement attaqué, à ce qu’il soit enjoint à la CNCCFP de communiquer la convention de prêt conclue le 11 septembre 2014 entre le Front National et la First Czech Russian Bank, sous réserve non seulement de l’occultation des coordonnées bancaires de l’association Front national, mais aussi des mentions relatives au taux et à la durée du prêt, au rejet du surplus des conclusions du pourvoi, à ce que Mme X et à la société éditrice de Médiapart versent à l’association requérante une somme de 1 500 euros au titre des frais de procédure, et au rejet des conclusions présentées à ce titre en défense.

 

 

 

 

 

 

[1] C'est-à-dire, en substance, des aides publiques accordées aux partis politiques.

[2] Voir le rapport n° 607 du sénateur Philippe Bas.

[3] Article 4 de la Constitution : «Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. / Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l'article 1er dans les conditions déterminées par la loi. / La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation».

[4] Réserve faite des contrats en cours.

[5] Comme elle l’écrit elle-même dans plusieurs échanges de courriers avec le Front national versés au dossier.

[6] Telle qu’elle ressort de nos recherches sur les sites publics.

[7] Le contrat étant rédigé en anglais et en russe.

[8] C’est bien le secret en matière industrielle et commerciale qui est ici en cause et non le secret bancaire, secret professionnel qui implique que la banque assure la confidentialité des données relatives à ses clients.

[9] Voir notamment le rapport n° 534 du sénateur Christophe-André Frassa, p. 47 et s..

[10] La lecture des travaux préparatoires témoigne de ce que ces modifications n’ont fait que préciser l’étendue des informations couvertes par lesdits secrets en s’inspirant de la jurisprudence de la CADA[10], ce qui, bien que celle-ci ne lie pas le juge, révèle en tout cas que le législateur n’a pas entendu ajouter à la loi en les adoptant (voyez notamment le rapport n° 534 du sénateur Christophe-André Frassa, p. 47 et s.).

newsid:467726

Public général

[Brèves] Conditions de communicabilité d’une convention de prêt entre une banque et un parti politique

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 13 février 2019, n° 420467, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9109YWB)

Lecture: 1 min

N7712BXW

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par Yann Le Foll

Le 20 Février 2019

Une convention de prêt entre une banque et un parti politique est communicable au public sous réserve de l’occultation des mentions relatives aux coordonnées bancaires de ce parti, et à la durée ainsi qu'au taux d'intérêt de ce prêt. Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 13 février 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 13 février 2019, n° 420467, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9109YWB, et lire les conclusions du Rapporteur public N° Lexbase : N7726BXG).

 

La convention de prêt entre une banque et un parti politique constitue, alors même qu'elle est soumise à la loi russe et assortie d'une clause de confidentialité opposable aux seules parties, un document administratif communicable à compter de la publication sommaire des comptes de ce parti politique au JORF.

 

En l’espèce, le tribunal administratif a ordonné à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de communiquer cette convention, en imposant seulement d'y occulter les mentions relatives aux coordonnées bancaires du compte courant détenu par le parti politique.

 

Précisant la portée de la réserve du secret en matière commerciale, la Haute juridiction estime qu’en ne déduisant pas de la nécessité d'assurer le respect du secret en matière commerciale, l'obligation d'occulter également, à l'occasion de cette communication, les mentions relatives à la durée et au taux d'intérêt de ce prêt, informations reflétant la stratégie commerciale du prêteur, le tribunal a entaché, dans cette mesure, son jugement d'erreur de droit.

newsid:467712

Rel. collectives de travail

[Brèves] Représentation équilibrée femmes-hommes aux élections professionnelles : conformité du dispositif légal aux textes européens et internationaux

Réf. : Cass. soc., 13 février 2019, n° 18-17.042, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8601YWH)

Lecture: 4 min

N7695BXB

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par Blanche Chaumet

Le 21 Février 2019

► Il résulte tant de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX), d’effet direct [1], que de l’article 23 de ladite Charte, que, dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, est interdite toute discrimination fondée sur le sexe ; que les dispositions du Code du travail relatives aux modalités d’élection des représentants du personnel mettent en oeuvre, au sens de l’article 51 de la Charte, les dispositions de la Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (N° Lexbase : L7543A8U) ;

 

► Il résulte par ailleurs de la combinaison des articles 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la CESDH que toute discrimination entre les sexes en matière de conditions de travail est prohibée ;

 

► Enfin, aux termes de l’article 1er de la Convention n° 111 de l’Organisation internationale du travail concernant la discrimination, ratifiée par la France le 28 mai 1981, toute distinction, exclusion ou préférence fondée notamment sur le sexe, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession, est interdite ;

 

► Dès lors, l’obligation faite aux organisations syndicales de présenter aux élections professionnelles des listes comportant alternativement des candidats des deux sexes à proportion de la part de femmes et d’hommes dans le collège électoral concerné répond à l’objectif légitime d’assurer une représentation des salariés qui reflète la réalité du corps électoral et de promouvoir l’égalité effective des sexes. En ce que le législateur a prévu, d’une part, non une parité abstraite, mais une proportionnalité des candidatures au nombre de salariés masculins et féminins présents dans le collège électoral considéré au sein de l’entreprise, d’autre part, une sanction limitée à l’annulation des élus surnuméraires de l’un ou l’autre sexe, et dès lors que, par application de la décision du Conseil constitutionnel du 13 juillet 2018 [2], l’organisation d’élections partielles est possible dans le cas où ces annulations conduirait à une sous-représentation trop importante au sein d’un collège, les dispositions en cause ne constituent pas une atteinte disproportionnée au principe de la liberté syndicale reconnu par les textes européens et internationaux visés et procèdent à une nécessaire et équilibrée conciliation avec le droit fondamental à l’égalité entre les sexes instauré par les dispositions de droit européen et international précitées.

 

Telles sont les règles dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 février 2019 (Cass. soc., 13 février 2019, n° 18-17.042, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8601YWH ; pour en savoir plus, voir la note explicative).

 

En l’espèce, les élections au comité d’établissement direction technique et système d’information de l’unité économique et sociale Orange se sont tenues entre les 7 et 9 novembre 2017. Le protocole préélectoral signé le 22 septembre 2017 prévoyait que le troisième collège, ingénieurs et cadres, était composé de 77 % d’hommes et 23 % de femmes. Estimant que la liste des titulaires et celle des suppléants CFE-CGC France Télécom Orange n’avait pas respecté les dispositions relatives à la représentation équilibrée des hommes et des femmes issues de la loi du 17 août 2015, en ce qu’elles comportaient cinq candidatures de femmes au lieu de quatre, la Fédération communication conseil culture F3C-CFDT a saisi le tribunal d’instance d’une demande d’annulation de l’élection de deux élues.

 

Le tribunal de grande instance ayant prononcé l’annulation de l’élection de ces deux élues en qualité, respectivement, de membre titulaire et membre suppléant du comité d’établissement direction technique et système d’information, le syndicat CFE-CGC s’est pourvu en cassation.

 

En énonçant les règles susvisées, la Haute juridiction rejette le pourvoi (sur Le respect d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9957E9N).

 

Contexte. La décision ici commentée est l’une de celles rendues dans des termes identiques dans une série d’affaires examinées par la Chambre sociale à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2018-720/721/722/723/724/725/726 QPC du 13 juillet 2018 (N° Lexbase : A8072XXA). Interrogée, d’une part, sur les conséquences sur le jugement attaqué, de cette décision d’abrogation, la Chambre sociale était d’autre part saisie de la question de la conventionnalité des dispositions du Code du travail qui, depuis la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 (N° Lexbase : L2618KG3), obligent les organisations syndicales à présenter, lors des élections professionnelles, des listes de candidats composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale (C. trav., art. L. 2314-24-1 N° Lexbase : L5407KGD et L. 2324-22-1 N° Lexbase : L5409KGG, dans leur rédaction applicable au jour du litige) et prévoient l’annulation par le tribunal d’instance de l’élection des candidats du sexe sur-représenté lorsque ces dispositions n’ont pas été respectées (C. trav., art. L. 2324-23 N° Lexbase : L5557KGW et L. 2314-25 N° Lexbase : L8485LGD).

 

 

 

[1] CJUE, 17 avril 2018, C-414/16 (N° Lexbase : A2033XLU).

[2] Cons. const., décision n° 2018-720/721/722/723/724/725/726 QPC du 13 juillet 2018 (N° Lexbase : A8072XXA).

newsid:467695

Successions - Libéralités

[Brèves] Donation-partage : l’acceptation d’un lot par au moins un enfant rend l’acte opposable aux autres

Réf. : Cass. civ. 1, 13 février 2019, n° 18-11.642, F-P+B (N° Lexbase : A3307YXR)

Lecture: 2 min

N7727BXH

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 20 Février 2019

D’une part, la donation-partage, qui peut être faite en deux temps ainsi que le prévoit l'article 1076 du Code civil (N° Lexbase : L0228HP7), ne constitue pas un partage ordinaire que les attributaires pourraient contester mais un partage fait par l'ascendant de son vivant et selon sa seule volonté ; d'autre part, le partage d'ascendant se forme dès que l'un des enfants a accepté son lot ;

► il en résulte que l’acceptation de leur lot par certains enfants rend le refus des autres sans effet sur la validité et l'opposabilité de la donation-partage.

 

Telle est la solution qui se dégage d’un arrêt rendu le 13 février 2019 (Cass. civ. 1, 13 février 2019, n° 18-11.642, F-P+B N° Lexbase : A3307YXR).

 

En l’espèce, par acte notarié du 23 décembre 2005, un père avait consenti à ses quatre enfants une donation-partage portant sur un ensemble de biens mobiliers et immobiliers, parmi lesquels 60 % des œuvres d'art figurant sur une liste annexée à l'acte ; cet acte attribuait à chacun des donataires un lot composé, notamment, de 15 % des œuvres d'art ; par un second acte notarié du 24 octobre 2011, le père avait procédé au partage des œuvres d'art dont il avait fait donation à ses enfants en 2005 ; deux d’entre eux avaient accepté leur lot respectif ; les deux autres avaient refusé de signer l'acte de partage ; l’un de ces derniers avait assigné son père et ses frère et sœurs pour qu'il soit statué sur les conditions d'exécution de l'acte de donation-partage, et l’autre avait notamment sollicité l'annulation de cet acte.

Cette dernière faisait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, soutenant que, même s'il peut être complété pour constituer une donation-partage, l'acte de donation initial constitue une convention dotée de force obligatoire ; aussi, selon la requérante, dès lors qu’elle avait expressément constaté que, dans l'acte du 23 décembre 2005 donnant à chacun des donataires 15 % indivis d'un ensemble d'œuvres listées et évaluées dans une annexe à cet acte, le donateur s'était réservé «la faculté de procéder à des attributions partielles à l'un ou à l'autre des donataires, à tout moment, et dans la limite de leurs droits tels qu'ils résultent des présentes», la cour d'appel ne pouvait refuser de vérifier, comme il le lui était demandé, si la répartition prévue à l'acte du 24 octobre 2011 respectait les limites définies à l'acte de 2005, sans violer l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause.

 

L’argument est écarté par la Haute juridiction qui approuve les juges d’appel ayant rappelé les principes énoncés ci-dessus, et qui, ayant constaté que deux des enfants avaient accepté leur lot, et n'ayant pas à procéder à un contrôle qui ne lui était pas demandé, en avaient exactement déduit que le refus de certains bénéficiaires était sans effet sur la validité et l'opposabilité de la donation-partage.

newsid:467727

Droit pénal du travail

[Panorama] Panorama de droit pénal du travail (août 2018 - janvier 2019)

Lecture: 30 min

N7642BXC

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par Emmanuel Gouesse, avocat, avec le cabinet PBA - Pech de Laclause, Bathmanabane & associés

Le 05 Avril 2019

Principale évolution législative du semestre écoulé, la loi «pour la liberté de choisir son avenir professionnel» a été adoptée et publiée au Journal officiel le 6 septembre 2018 (N° Lexbase : L9567LLW). Plusieurs dispositions du Code du travail sont modifiées touchant au détachement de salariés, simplifiant pour partie le régime -les décrets d’applications sont cependant encore attendus- tout en aggravant la répression -un nouveau cas de délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité a ainsi été inséré, sanctionnant expressément la fraude à l’établissement-. Sans surprise le sujet occupe une place importante de la jurisprudence rendue en matière de droit pénal du travail.

 


 

Sommaire

I - Procédure

Visite domiciliaire : CA Grenoble, 28 août 2018, n° 17/01630

Saisies : Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 17-86.199, F-P+B (N° Lexbase : A5513YIZ)

Preuve : Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.520, FS-P+B (N° Lexbase : A0149YKQ)

II - Imputabilité

Délégations de pouvoirs : Cass. crim., 22 août 2018, n° 17-83.966, F-D (N° Lexbase : A0243X3E)

Délégations de pouvoirs (preuve) : Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-87.566, F-D (N° Lexbase : A7887YLP)

Personne morale : Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-87.246, FS-D (N° Lexbase : A9706YSB) et n° 17-86.430, F-D (N° Lexbase : A9785YS9)

Personne morale (délégations de pouvoirs) : Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 18-80.942, F-D (N° Lexbase : A5519YE7)

III - Hygiène et sécurité

Accident du travail (complicité) : Cass. crim., 27 novembre 2018, n° 17-82.773, F-D (N° Lexbase : A9258YN9)

IV- Harcèlement

Harcèlement moral (responsabilité civile) : Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-81.398, FS-P+B (N° Lexbase : A7907YLG)

V - Travail illégal

Salarié étranger soumis à autorisation de travail : Cass. crim., 8 août 2018, n° 17-84.920, F-P+B (N° Lexbase : A8517XZH)

Détachement : Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-82.553, FS-D (N° Lexbase : A9698YSY) ; Cass. crim., 18 septembre 2018, n° 13-88.631, FS-P+B (N° Lexbase : A6578X7R), n° 13-88.632 (N° Lexbase : A6600X7L), n°15-80.735 (N° Lexbase : A6616X78) et n°15-81.316, FS-P+B (N° Lexbase : A6475X7X)

VI - Entraves

Obstacle à l’Inspection du travail : Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 17-80.908, F-D (N° Lexbase : A7183X3G)

Entrave au Comité d’entreprise : Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.260, FS-D (N° Lexbase : A0151YKS)

VII - Conformité

Lanceur d’alerte : Cass. crim., 17 octobre 2018, n° 17-80.485, F-D (N° Lexbase : A9859YGA)

 


 

I - Procédure

 

Visite domiciliaire - Recours effectif - CA Grenoble, 28 août 2018, n° 17/01630

 

Par un arrêt du 28 aout 2018, la cour d’appel de Grenoble se rattache au droit européen, et plus spécifiquement au contrôle juridictionnel effectif (v. en ce sens CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03, R. et autres c/ France N° Lexbase : A9979D4D), pour annuler des visites domiciliaires et saisies effectuées le 30 mai 2012 dans les locaux d’une entreprise de transport. Par ordonnance prise sur le fondement de l’article L. 8271-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3452IMS), l’inspection du travail et la police judiciaire avaient été habilitées à rechercher et constater des infractions au titre du travail illégal en lien avec des prestataires européens.

 

Particularité de cet article, il a été censuré près de deux ans après ces opérations par le Conseil constitutionnel, le 4 avril 2014 (Cons. const., décision n° 2014-387 QPC, du 4 avril 2014 N° Lexbase : A4069MIK). Le Conseil a reporté les effets de son abrogation au 1er janvier 2015 et précisé «que les poursuites engagées à la suite d’opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie mises en œuvre avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité». La Chambre criminelle ne déroge pas aux recommandations précitées, en ne contestant pas la régularité des mesures prises avant 2015 sur le fondement de l’article désormais abrogé (Cass. crim., 28 janvier 2014, n° 13-83.217, FS-P+B+I N° Lexbase : A4147MDX).

 

Face au refus des juges du droit de se fonder sur cette inconstitutionnalité, les prévenus ont soulevé la nullité de ces opérations en avançant l’inconventionnalité de cet article, au regard des exigences des articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Ils dénoncent notamment l’absence de recours effectif ; la cour d’appel fait droit à cet argument après avoir constaté que le contrôle était incertain car conditionné à la mise en œuvre de poursuites de la part du ministère public, effectuées trois ans plus tard, ce qui ne permettait pas de pallier les irrégularités. Quant à l’atteinte au respect du domicile, les prévenus avançaient que la seule autorisation judiciaire des opérations réalisées ne peut suffire à assurer un contrôle effectif de leur déroulement, rappelant au passage que ministère public n’est pas une autorité judiciaire au sens de la Convention (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03, M. et autres c/ France N° Lexbase : A2353EUP ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06, M. c/ France N° Lexbase : A7244GKI et Cass. crim., 15 décembre 2010, n° 10-83.674, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1815GNK). La cour d’appel les suit en se fondant sur l’absence d’un contrôle concret effectué par un magistrat indépendant et constate la violation de l’article 8 de la Convention.

 

En conséquence, la cour d'appel annule les visites domiciliaires et saisies réalisées en 2012 ainsi que la procédure subséquente, et relaxe les prévenus à défaut de pouvoir caractériser un quelconque «lien de subordination juridique».

 

Un pourvoi a été formé par le Parquet général de la cour d’appel de Grenoble à l’encontre de cet arrêt.

En l’état de la jurisprudence hostile de la Chambre criminelle, la solution n’en est que plus attendue.

 

Saisies - Contestations - Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 17-86.199, F-P+B (N° Lexbase : A5513YIZ)

 

Nemo ex delicto consequatur emolumentum [1]. Pour que le délit ne puisse profiter à celui qui en serait l’auteur, la loi du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7041IMQ) a instauré un nouveau régime juridique des saisies pénales en vue de garantir la peine de confiscation. L’arrêt du 24 octobre 2018 est la parfaite illustration du recours de plus en plus courant à ces mesures tant en droit pénal des affaires qu’en droit pénal du travail. Les délits de travail dissimulé, de marchandage et de prêt illicite de main d’œuvre en particulier peuvent tomber sous le coup de ces mesures conservatoires, avant de relever d’une éventuelle peine de confiscation (Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 18-80.027, F-D N° Lexbase : A7902YLA).

 

Protéiformes, les saisies conservatoires peuvent se faire, en nature ou en valeur, en matière mobilière ou immobilière, sur des biens corporels ou incorporels, avec ou sans dépossession, avec une affectation possible, à titre gratuit, aux services d’enquête, sans que la Cour de cassation n’y voie une atteinte disproportionnée au droit de propriété (Cass. crim., 12 septembre 2018, n° 18-81.110, F-D N° Lexbase : A5547YE8). Si les enjeux sont importants a fortiori dans le cadre d’investigations qui peuvent durer plusieurs années, les moyens de contestation sont limités avec un droit d’accès au dossier restreint (Cass. crim., 25 février 2015, n° 14-86.447, FS-P+B+I N° Lexbase : A5129NCX) et des pouvoirs de la chambre de l’instruction qui le sont tout autant (Cass. crim., 5 décembre 2018, n° 18-80.059, F-P+B N° Lexbase : A0093YNR).

 

Aux termes de cet arrêt du 24 octobre 2018 publié au Bulletin rendu dans une affaire de fausse sous-traitance réalisée avec une société roumaine, la Cour de cassation a entendu rendre les droits de la défense plus effectifs en veillant, au visa de l’article 706-154 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9507IYR), à ce que «les seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste» devant la chambre de l’instruction comprennent non seulement l’ordonnance d’autorisation de saisie pénale du juge des libertés et de la détention mais encore la requête du procureur de la République le saisissant à cette fin. Ces pièces doivent être mises à la disposition de l’appelant et de son avocat sans qu’ils aient à en formuler la demande.

 

L’intérêt d’un tel recours est à rechercher dans les 300 000 euros saisis sur les comptes bancaires des sociétés poursuivies des chefs de prêt illicite de main d'œuvre, marchandage, exercice illégal de la profession de transporteur routier sans inscription au registre des transporteurs, travail dissimulé, infraction à la réglementation des conditions de travail dans les transports routiers, recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé et recel de choses.

 

Toujours limité, le droit d’accès au dossier gagne du terrain même si le secret de l’enquête et de l’instruction garde le pas sur les droits de la personne concernée par la saisie. Les dispositions supérieures ressortant du droit au procès équitable (CESDH, art. 6) et de la Directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY) n’y sauraient rien changer. Le moyen pris sur ces fondements est rejeté, à l’instar de la demande d’accès à l’entier dossier au stade de la garde à vue (Cass. crim., 31 janvier 2017, n° 16-84.615, F-D N° Lexbase : A4280TB7).

 

A noter que dans le cadre de poursuites où plusieurs sociétés sont mises en causes, comme en l’espèce, la Cour de cassation a précisé, le même jour, dans un arrêt publié au Bulletin (Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-80.834, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5490YI8), que «lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité, soit à une partie de ceux-ci, chacun d’eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées» ce qui conduit à «rechercher, dans l’hypothèse où il serait apparu que l’intéressé n’aurait pas bénéficié du produit de l’infraction, si l’atteinte portée par la saisie au droit de propriété de l’intéressé était proportionné s’agissant de la partie du produit de l’infraction dont il n’aurait pas tiré profit» (voir déjà en ce sens, s’agissant d’une peine de confiscation : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 16-87.009, FP-P+B N° Lexbase : A5508XXB).

 

Preuve - Domaine dévolu aux constats de l’inspection du travail - Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.520, FS-P+B (N° Lexbase : A0149YKQ)

 

La publication au Bulletin de l’arrêt du 30 octobre 2018 conduit à en avoir une lecture attentive. Il porte toute l’exigence de la matière puisqu’en droit pénal du travail la défense est souvent contrainte par la force probante des constatations matérielles de l’inspection du travail. Selon l’expression consacrée, dérogatoire au droit commun (C. pr. pén., art. 430 N° Lexbase : L3253DGL), les procès-verbaux de l’inspection du travail «font foi jusqu’à preuve du contraire» (C. trav., art. L. 8113-7 N° Lexbase : L5737K7M, L. 8112-1 N° Lexbase : L7484K93 et L. 8112-2 N° Lexbase : L5734K7I). Cette règle est de principe en matière contraventionnelle et s’applique avec une particulière vigueur puisque la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoin (C. pr. pén., art. 537 N° Lexbase : L8172G7S).

 

Ce n’est pas moins de 992 contraventions à la législation sur le travail de nuit que l’inspection du travail avait au cas présent relevé à l’encontre d’une enseigne de la distribution agroalimentaire (C. trav., R. 3124-15 N° Lexbase : L3131LBL). Sans égard aux contentieux périphériques qui se nourrissent souvent de la procédure pénale, les enjeux étaient considérables pour la société puisqu’en matière contraventionnelle les peines se cumulent, de sorte que l’amende encourue affichait plus de six chiffres.

 

A la suite de pourvois formés par des salariés et une organisation syndicale, la relaxe acquise en appel -là où le tribunal de police était entré en voie de condamnation- a été remise en cause par la Cour de cassation en visant «les articles L. 8113-7 du Code du travail, dans sa version en vigueur au moment des faits, 537 et 593 du Code de procédure pénale» : devant «des lacunes, des imprécisions et des contradictions» du procès-verbal de l’inspection du travail, les juges d’appel avaient entendu en relativiser la force probante pour neutraliser la répression. C’était toutefois omettre que l’intime conviction du juge est liée par les constatations de l’inspection du travail, y compris par celles se fondant sur les documents remis ultérieurement par l’employeur.

 

C’est sur ce dernier point que se concentre le principal apport de l’arrêt puisque la Cour de cassation considère que «la valeur probante des constatations de l’inspecteur du travail s’étend à celles qui résulteraient des documents fournis par l’employeur». Un listing de pointage remis par l’employeur à la demande de l’inspection du travail permet à celle-ci de constater objectivement la présence de salariés dans l’établissement au-delà de 21 heures, ce que la cour d’appel ne pouvait écarter.

 

Il doit être rappelé qu’ainsi contraint de participer à sa propre incrimination, l’employeur ne peut résister aux demandes de communication de l’inspection du travail. Refuser serait en effet constitutif d’une infraction (C. trav., art. L. 8114-1 N° Lexbase : L5741K7R) ; s’y soumettre assoie la preuve d’une infraction d’autant plus facilement acquise lorsque l’étendue de la force probante attachée aux constations de l’inspection du travail est ainsi consacrée par la Cour de cassation.

 

II - Imputabilité

 

Délégations de pouvoirs - Pas de délégation de pouvoirs possible en cas d’interdiction de gérer - Cass. crim., 22 août 2018, n° 17-83.966, F-D (N° Lexbase : A0243X3E)

 

Problématique incontournable du droit pénal du travail (comme des affaires), les délégations de pouvoirs sont au cœur de la défense des personnes physiques pour s’exonérer de leur responsabilité pénale. Cet arrêt en est une nouvelle illustration avec une position des prévenus qui -quoique originale- n’est pas nouvelle (voir déjà en ce sens, Cass. crim., 13 juin 2012, n° 11-85.280, F-D N° Lexbase : A8150IQW).

 

Complémentaires à la vie, au travail comme au prétoire, une épouse poursuivie aux côtés de son époux pour travail dissimulé entendait se prévaloir de l’existence d’une délégation de pouvoirs au profit de ce dernier, définitivement condamné par la cour d’appel. Frappé d’une interdiction de gérer, l’époux dirigeait de fait ce qu’il ne pouvait exercer en droit. De cette qualité, l’épouse inférait l’existence d’une délégation de pouvoirs «tacite».

 

Outre qu’une délégation de pouvoirs doit être expresse -fût-elle orale- pour ressortir d’un accord de volonté, elle doit répondre à la triple exigence «de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires» (Cass. crim., 11 mars 1993, quatre arrêts, n° 92-80.773 N° Lexbase : A1552ATN, n° 91-80.958 N° Lexbase : A1524ATM, n° 91-83.655 N° Lexbase : A1523ATL, n° 90 -84.931 N° Lexbase : A3494ACE) dont doit nécessairement disposer le délégataire dans l’exercice de sa mission, à charge pour le délégant d’en justifier, a fortiori en l’absence de formalisation par écrit (voir dernièrement, sur la charge de la preuve : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-81.918, F-D N° Lexbase : A5827XUD).

 

C’est toutefois sans compter la déchéance résultant de l’interdiction de gérer au terme de laquelle l’époux «ne peut, ni statutairement ni par délégation de pouvoirs, accomplir des actes de gestion d’une société». Ce rappel de la Cour de cassation pointant l’échec fait aux conditions de validité de ladite délégation s’imposait ; il rendait inutile le raisonnement suivi par la cour d’appel, selon lequel «une telle délégation ne peut être faite qu’au profit d’un salarié de la société», s’appuyant ainsi sur le critère de l’autorité du délégataire prétendu -lequel dans l’hypothèse d’un dirigeant de fait pouvait ne pas être le plus pertinent-. Le bon sens précède l’évidence, d’autant qu’il en va de l’économie même de la délégation de pouvoirs.

 

Délégations de pouvoirs - Preuve d’une délégation de pouvoirs - Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-87.566, F-D (N° Lexbase : A7887YLP)

 

Le droit pénal du travail concentre la responsabilité pénale sur la tête du chef d’entreprise. La position est traditionnelle selon laquelle en particulier, «il appartient au chef d'entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante application des dispositions édictées par le Code du travail en vue d'assurer l'hygiène et la sécurité des travailleurs» (Cass. crim., 17 février 1897, D. 1900, jur., n° 1240, note Pic).

 

L’article L. 4741-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5704K7E) est le siège des obligations particulières de sécurité ou de prudence applicables au chef d’entreprise en matière d’hygiène et de sécurité au travail. Pénalement sanctionnées, ces obligations fondent aussi la matérialité des infractions de blessures ou homicides involontaires lorsqu’un accident du travail se réalise, conformément à l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY). En pareille hypothèse, ainsi que l’illustre l’arrêt du 13 novembre 2018, il est particulièrement difficile pour le chef d’entreprise de se départir de sa responsabilité pénale personnelle, sauf à se prévaloir de l’existence d’une délégation de pouvoirs dont il faut alors démonter l’existence.

 

Après avoir été condamné devant le tribunal correctionnel, celui-ci a entendu en faire état devant la cour d’appel, ce que les juges du fond ne manqueront pas de relever en soulignant la tardiveté de ce moyen de défense. S’il n’en était pas moins recevable, l’argument était fragilisé pour n’avoir jamais été évoqué ni durant l’enquête ni dans le cadre des premiers débats devant le tribunal. La force de l’argument ne dépend donc pas uniquement de sa pertinence mais aussi du moment où il sera soulevé pour servir au mieux la défense.

 

Seconde difficulté, arguant d’une exonération de sa responsabilité, la charge de la preuve incombe au prévenu de sorte qu’en l’absence de formalisation écrite de la délégation de pouvoirs au profit de deux salariés qu’il visait, la tâche n’en sera que plus ardue (voir dernièrement, sur la charge de la preuve : Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-81.918, précité). Les juges du fond ont en réponse notamment relevé que si ces derniers pouvaient disposer de la compétence nécessaire au vu de leur qualification, le chef d’entreprise ne justifiait ni des moyens ni de l’autorité conférés dans l’exercice des pouvoirs prétendument délégués. La preuve doit être complète. Les juges du fond avaient donc écarté l’existence d’une délégation de pouvoirs et sont approuvés par la Cour de cassation. La mise en place de délégation de pouvoirs écrite demeure ainsi le moyen le plus efficace de déterminer -avant toute crise- les responsabilités individuelles.

 

Personne morale - Identification du représentant - Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-87.246, FS-D (N° Lexbase : A9706YSB) et n° 17-86.430, F-D (N° Lexbase : A9785YS9)

 

Deux arrêts rendus le mêmes jour ont eu le mérite de rappeler qu’il ne faut pas confondre le «représentant légal» au sens de l’article 706-43 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4117AZI) avec l’«organe ou le représentant» au sens de l’article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY ; voir déjà en ce sens, Cass. crim., 17 octobre 2017, n° 16-87.249 N° Lexbase : A4460WW4).

 

Les responsabilités pénales de la personne morale et de la personne physique étant cumulatives, ces dernières peuvent être poursuivies ensemble devant le tribunal correctionnel sans qu’une identité entre celui qui représente la personne morale à l’instant du procès et celui par le truchement duquel sa responsabilité est engagée ne soit exigée.

 

Le temps du procès pénal (et notamment la phase d’enquête) étant particulièrement long, il est fréquent que celui qui représentait la société au moment des faits reprochés ne sera plus celui qui la représentera devant les juridictions pénales. Dans ces conditions, il importe peu que l’actuel dirigeant de la société soit relaxé des infractions également reprochées à la société au motif qu’il n’était pas son représentant au moment des faits dès lors que ceux-ci ont été commis pour le compte de cette dernière, sous l’autorité du dirigeant de l’époque, par le responsable atelier coordination sécurité (ce dernier ayant signé pour la société un bon de commande, décision rendue sur un sujet de détachement -sur ce premier arrêt, voir également infra).

 

Par hypothèse encore, dans le cadre d’une délégation de pouvoirs -a fortiori si elle ressort des débats-, celui qui représentera la société devant le tribunal conformément à l’article 706-43 du Code de procédure pénale ne sera pas celui par le truchement duquel sa responsabilité pénale sera engagée conformément à l’article 121-2 du Code pénal. Aussi, saisi d’une infraction non-intentionnelle, il incombe au juge d’identifier la personne physique, délégataire de la responsabilité de l’employeur, dont la faute est imputable à la personne morale. Il importe peu que la poursuite contre la personne morale vise un autre représentant que celui qui a engagé sa responsabilité pénale, cette mention ne délimitant pas sa saisine (deuxième arrêt, rendu dans un cas d’accident du travail : le délégant fut relaxé mais la faute du délégataire emporte responsabilité de la personne morale).

 

Personne morale - Délégations de pouvoirs - Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 18-80.942, F-D (N° Lexbase : A5519YE7)

 

Aux termes d’une question audacieuse dont la solution était pressentie, l’auteur d’un pourvoi a interrogé la Cour de cassation par voie de question prioritaire de constitutionnalité en ces termes : «Les dispositions des articles L. 4741-1 du Code du travail et 121-2 du Code pénal ne sont-elles pas contraires au principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles rendent l'employeur pénalement responsable, lorsqu'il s'agit d'une personne morale, des infractions à la sécurité des travailleurs commises par un préposé titulaire d'une délégation de pouvoirs en matière de sécurité et, comme tel, investi de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement au respect des dispositions en vigueur, cependant que l'existence d'une telle délégation de pouvoirs, lorsque l'employeur est une personne physique, a pour effet d'exonérer ce dernier de la responsabilité pénale encourue à raison des mêmes infractions ?». 

 

La question met ainsi en exergue que, dans une même situation donnée en matière d’hygiène et de sécurité, une délégation de pouvoirs pourra exonérer la responsabilité pénale de la personne physique mais non celle de la personne morale (voir à titre d’exemple pour un accident du travail, Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-86.430, cité supra). Cette dernière ne peut déléguer sa responsabilité de sorte que sa responsabilité est de principe dans les conditions posées par les articles précités.

 

Sans surprise en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir dernièrement Cons. const., décision n° 2017-695 QPC, du 29 mars 2018 N° Lexbase : A0553XIC) et de la Cour de cassation (Cass. crim., 21 mars 2017, n° 17-90.003, F-P+B N° Lexbase : A7740ULA), les juges du droit rappellent que «la différence de situation entre les personnes physiques et les personnes morales, qui résulte, par la combinaison des textes contestés, de l'impossibilité où celles-ci se trouvent de déléguer leur responsabilité pénale, en ce qu'elle permet d'assurer la répression effective des fautes commises tant par les personnes physiques que par les personnes morales, est en rapport direct avec l'objet des lois qui l'établit». La ratio legis de chacun de ces fondements est encore rappelée pour justifier de cette différence de traitement.

 

Qu’il s’agisse toutefois de l’article 121-2 du Code pénal ou de l’article L. 4741-1 du Code du travail, il importe d’identifier respectivement l’organe ou le représentant (voir dernièrement, Cass. crim., 17 octobre 2017, n° 16-87.249 N° Lexbase : A4460WW4) ou l’employeur ou son délégataire (voir dernièrement, Cass. crim., 23 mai 2018, n° 17-83.315, F-D N° Lexbase : A5351XPU).

 

III - Hygiène et sécurité

 

Accident du travail - Caractérisation de la complicité - Cass. crim., 27 novembre 2018, n° 17-82.773, F-D (N° Lexbase : A9258YN9)

 

Un salarié d’une société intervenant en qualité de sous-traitant sur un chantier a fait une chute mortelle alors qu’il réalisait des travaux en hauteur, à l’aide d’une nacelle de fortune improvisée par la simple fixation d’une caisse à la fourche d’un engin de levage, lui-même situé sur un terrain meuble.

 

Condamné en première instance puis en appel, le maître d’œuvre a formé un pourvoi en cassation afin de contester la qualification du délit de complicité d’homicide involontaire. Il a estimé en substance que la complicité par instruction ne pouvait être retenue à son encontre s’agissant d'une infraction non intentionnelle, faute d’entente préalable et nécessaire entre l’auteur principal de la négligence et lui-même en qualité de complice.

 

La Chambre criminelle rejette ce moyen au motif que le maître d’œuvre dans un contexte où il manifestait une certaine autorité en donnant lui-même des instructions, était à l’origine de l’intervention concernée et avait suggéré dans son organisation l’utilisation des moyens ayant mené à l’accident.

 

Cet arrêt présente le mérite de rappeler que la responsabilité en matière d’accident du travail ne se limite pas à celle de l’employeur ou du maître d’ouvrage sur lesquels portent des obligations particulières de sécurité mais concernent tout intervenant dans le cadre de la responsabilité pénale de droit commun.

 

IV - Harcèlement

 

Harcèlement moral - Responsabilité civile du commettant - Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 17-81.398, FS-P+B (N° Lexbase : A7907YLG)

 

Mise en cause en qualité de civilement responsable pour des faits de harcèlement moral, une clinique a saisi la Cour de cassation en contestation de sa condamnation, en vain. La Chambre criminelle rappelle en effet le principe selon lequel la commission d’une infraction pénale par un salarié est constitutive d’une faute civile susceptible d’engager la responsabilité de la personne morale, sauf à pouvoir renverser la présomption de responsabilité civile du préposé du fait de son commettant prévue par l’article 1384, alinéa 5 du Code civil (devenu article 1242 alinéa 5 N° Lexbase : L0948KZ7), en rapportant la preuve d’un abus de fonction de ce dernier. La Haute juridiction souligne en complément que la faute pénale du préposé, génératrice de la responsabilité civile de la personne morale, ne peut plus être contestée par le commettant quand une décision définitive est intervenue -en l’occurrence du fait de la déchéance du pourvoi du responsable des ressources humaines de la clinique qui était également mis en cause-.

 

Autrement dit, si la clinique disposait de la possibilité d’invoquer une clause d’exonération de sa responsabilité en établissant que son responsable des ressources humaines s’était placé en dehors de ses fonctions, elle n’était en revanche plus en mesure de contester l’existence de la faute pénale commise par ce dernier, une fois qu’il a été définitivement condamné.

 

On relèvera que le directeur de la clinique, également poursuivi, contestait sa condamnation en faisant valoir que le délit de harcèlement moral ne devait pas être confondu avec l’exercice, même autoritaire, du pouvoir hiérarchique : la Cour de cassation n’a pas été sensible à cette argumentation du directeur général, en renvoyant à l’appréciation souveraine des juges du fond.

 

V - Travail illégal

 

Salarié étranger soumis à autorisation de travail - Elément intentionnel - Cass. crim., 8 août 2018, n° 17-84.920, F-P+B (N° Lexbase : A8517XZH) et Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-84.724, F-D (N° Lexbase : A0163YKA)

 

Les différents délits participant à la répression du travail illégal ne devraient pas faire abstraction d’une démonstration de l’élément intentionnel, en application de l’article 121-3, alinéa 1, du Code pénal. Toutefois, il a depuis longtemps été constaté par certains auteurs qu’en la matière «l’intention se réduit à peu de chose : ne pas vérifier. Autant dire qu'elle se résume à une imprudence, alors que l'on aurait dû faire» (B. Bouloc, Revue de Sciences Criminelles, 1998, p.535). L’intention coupable se déduit de l’irrespect de normes de contrôle et de vérification que l’employeur est censé connaître.

 

Le délit d’emploi d’étrangers non autorisés à travailler, prévu par l’article L. 8256-2 du Code de travail (N° Lexbase : L9230K4M) ne fait pas exception. Par un arrêt du 8 août 2018, la Cour de cassation rappelle que l’employeur s’abstenant de vérifier si le travailleur étranger qu’il envisageait de recruter était autorisé à exercer une activité salariée sur le territoire français, a sciemment commis le délit qui lui est reproché. La cour d’appel a en l’occurrence relevé qu’il s’était abstenu de solliciter la production de l’original de la pièce d’identité qui lui était présentée, outre qu’il s’est abstenu de vérifier la situation dudit salarié. Il doit être rappelé que l’article L. 8256-2, alinéa 4, du Code du travail prévoit en effet une exonération de l’employeur qui, n’ayant pas l’intention de participer à la fraude et sans connaissance de celle-ci, a procédé à une déclaration unique d’embauche mais également à une vérification auprès des administrations compétentes du titre autorisant un étranger à exercer une activité salariée en France.

 

Leçon complémentaire dressée par la Chambre criminelle dans un arrêt du 30 octobre 2018 : il ne suffit pas à cet égard d’évoquer le fait que les salariés concernés auraient été ressortissants de l’Union européenne. Le fait que le salarié se prévale de cette qualité ne dispense en effet pas l’employeur de son obligation de vérifier la nationalité invoquée par le salarié qu’il s’apprête à embaucher, en exigeant la production de l’original du document qui lui est présenté et, s’il s’agit alors d’un étranger soumis à autorisation, de s’assurer de la détention d’un titre approprié, la preuve de l’accomplissement de ces diligences reposant sur l’employeur.

 

Autrement dit, l’employeur s’apprêtant à embaucher un salarié étranger doit vérifier l’original de la pièce d’identité qui lui est présentée afin de s’assurer de la nationalité de celui-ci et, en conséquence doit alors s’assurer -en original- de la détention d’une autorisation de travail dont il vérifiera ensuite la véracité auprès de l’administration territoriale compétente. A défaut, le simple fait d’avoir procédé à une déclaration unique d’embauche si elle permet de s’exonérer d’une poursuite pour travail dissimulé par dissimulation de salariés ne suffit pas à démontrer l’absence d’élément intentionnel permettant la caractérisation du délit d’emploi de salariés étrangers sans autorisation de travail.

 

Détachement - Démonstration des fraudes - Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-87.246, FS-D (N° Lexbase : A9706YSB) ; Cass. crim., 18 septembre 2018, n° 13-88.631, FS-P+B (N° Lexbase : A6578X7R), n° 13-88.632 (N° Lexbase : A6600X7L), n°15-80.735 (N° Lexbase : A6616X78) et n°15-81.316, FS-P+B (N° Lexbase : A6475X7X) ; Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-82.553, FS-D (N° Lexbase : A9698YSY)

 

La volonté de réprimer les fraudes au détachement continue à occuper les juridictions pénales, utilisant à cette fin tous les outils du Code du travail réprimant le travail illégal, sans que le caractère international de la prestation et l’application des règles européennes en la matière n’interfèrent, parfois, dans le raisonnement des magistrats. Un arrêt du 8 janvier 2019 (n° 17-47.246) en constitue l’illustration, qui permet de condamner une société ayant eu recours à des salariés d’un prestataire polonais : l’entreprise est condamnée pour prêt illicite de main d’œuvre dès lors qu’existait un faisceau d’indices démontrant la constitution de l’infraction (absence de savoir-faire particulier, absence d’autonomie dans l’exécution des travaux confiés, instructions reçues directement des représentants de la société cliente, absence de chef d’équipe pour les encadrer, utilisation du matériel du client, planification et encadrement de leur travail par ce dernier, fixation des horaires et des jours travaillés, contrôle de conformité du travail et situation de dépendance entre les deux sociétés concernées). L’analyse aurait été identique pour une relation de sous-traitance entre sociétés françaises ; le détachement est ainsi réprimé sans avoir à réfuter l’application du principe de libre prestation de services. Mieux, le caractère international de la prestation n’est invoqué que pour relever le caractère lucratif du prêt de main d’œuvre, le recours à ces salariés étant considéré comme étant voulu afin de ne pas supporter le montant des charges sociales pertinentes.

 

Les infractions de marchandage et de travail dissimulé sont par ailleurs également confirmées à l’encontre de la société prévenue en raison des droits dont les salariés polonais ont été privés (salaires inférieurs à ceux de la société cliente, heures supplémentaires non rémunérées, non application de la convention collective, non-participation aux instances représentatives du personnel ou comité d’entreprise), outre le fait que celle-ci était devenue de fait l’employeur des salariés polonais. Pour la Chambre criminelle, les faits ne procèdent pas de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable : le principe ne bis in idem ne fait pas obstacle à la condamnation de la société prévenue pour chacun de ces trois délits. La solution peut paraître étonnante dès lors que s’agissant à tout le moins du prêt de main d’œuvre d’une part et de la caractérisation de l’employeur de fait des salariés d’autre part, c’est la même situation et le même faisceau d’indices qui permettent de caractériser l’élément matériel de chaque infraction.

 

Un élément important n’apparaît cependant pas dans la motivation soumise à la critique de la Cour de cassation : celle de savoir de si les salariés polonais étaient rattachés à la sécurité sociale de leur pays d’envoi -ce qui paraît probable- et s’ils disposaient à cet égard d’une attestation A1 permettant de le démontrer. Cette attestation (anciennement certificat E101) indique pour chaque travailleur concerné qu’il relève des règles spéciales relatives aux travailleurs détachés jusqu’à une date fixée et détermine ainsi la législation de Sécurité sociale applicable à son détenteur. Est ainsi exclue l’application concurrente de la législation de sécurité sociale de tout autre Etat membre de l’Union européenne. L’attestation A1 ne peut être annulée par les juridictions nationales de l’Etat d’accueil où le salarié accomplit la prestation de son employeur

 

Dans un revirement de jurisprudence notable, la Chambre criminelle a en effet, par quatre décisions du 18 septembre 2018, repris la position de la Cour de justice de l’Union européenne affirmée dans ses décisions «A-ROSA» du 27 avril 2017 et «ALTUN» du 6 février 2018 et admis que de tels certificats ou attestations ne peuvent effectivement être écartés d’autorité par une juridiction nationale, y compris en matière pénale. Ce n’est que sous de strictes conditions de procédure et de fond qu’une fraude peut être caractérisée et de tels certificats perdre leur force probante. Cette obligation n’est pas sans conséquence en matière de requalification -et donc de travail dissimulé par dissimulation de salariés- la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation ayant ainsi par un arrêt du 20 décembre 2018 (n° 17-21.706) et malgré une condamnation pénale antérieure, censuré un arrêt ayant validé un redressement mené par l’URSSAF pour dissimulation d’emplois salariés, motif pris que les salariés détachés étaient dans un lien de subordination à l’égard de la société française pour le compte de laquelle ils intervenaient, alors que ceux-ci bénéficiaient d’attestations A1 non retirées par leur institution d’origine.

 

Au centre du raisonnement devant s’imposer en matière de détachements, aux fins notamment d’éviter une double imposition de charges sociales des salariés détachés ainsi que de permettre à ceux-ci de bénéficier d’un régime cohérent en matière de sécurité sociale, les formulaires A1 ont pour effet de rappeler la primauté du droit communautaire et modifient ainsi la marge d’appréciation des juridictions pénales. Aussi, la tentation existe de limiter les conséquences découlant des arrêts du 18 septembre 2018, lesquelles sont inexistantes si ces attestations A1 ne sont pas évoquées -ce qui paraît être le cas dans l’arrêt du 8 janvier 2019-. La question est également ouverte de savoir si les juridictions nationales pourraient passer outre dès lors qu’elles limiteraient leur raisonnement répressif au seul droit du travail, sans interférer avec le droit social : la Chambre criminelle a saisi en ce sens par un arrêt du même jour la CJUE d’une question préjudicielle afin de déterminer si lesdites attestations A1 lient «les juridictions de l’Etat membre dans lequel le travail est effectué pour déterminer la législation applicable, non seulement au régime de sécurité sociale, mais aussi au droit du travail, lorsque cette législation définit les obligations des employeurs et les droits des salariés» (Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-82.553).

 

VI - Entraves

 

Obstacle à l’Inspection du travail - Caractérisation du délit - Cass. crim., 4 septembre 2018, n° 17-80.908, F-D (N° Lexbase : A7183X3G)

 

Si la procédure se pose comme un préalable à l’application des dispositions de droit pénal, il arrive que celles-ci veillent en retour à son bon déroulement. Deux infractions assurent notamment le respect des missions des agents de l’inspection du travail : le délit d’obstacle et la contravention de refus de communication de documents obligatoires respectivement prévus et sanctionnés aux articles L. 8114-1 et R. 8114-2 du Code du travail. Ces infractions viennent souvent en cacher d’autres.

 

En l’occurrence, la résistance d’un gérant aux sollicitations de l’inspection du travail avait manifestement pour objet de dissimuler les infractions de prêt illicite de main d’œuvre, de marchandage et de travail dissimulé - retenus par la suite en première instance comme en cause d’appel par les juges du fond. Un tel comportement a conduit à une condamnation du chef du délit d’obstacle à l’exercice des fonctions d’un inspecteur ou contrôleur du travail.

 

Entérinant la décision des juges du fond, la Cour de cassation a considéré que «le défaut de réponse aux courriers de l’inspection du travail, la stratégie de fuite adoptée par l’un des gérants qui a empêché les fonctionnaires de l’inspection du travail de prendre connaissance des documents obligatoires concernant le personnel, le refus d’explication sur des documents manifestement erronés mais présentés comme probants caractérise le délit obstacle reproché au gérant».

 

La Cour de cassation n’a toutefois pas entendu répondre expressément au moyen du pourvoi soutenant que le comportement décrit relève d’une simple abstention exclusive de la positivité de la matérialité du délit (Cass. crim., 13 mai 1986, n° 85-95.694).

 

L’argument est souvent repris en défense même si la jurisprudence a une acception extensive des termes du délit conduisant moins à rechercher la nature des agissements reprochés que les effets escomptés. Aussi, lorsqu‘un auteur avance que la jurisprudence a pu reconnaître le principe d’une abstention coupable de l’employeur (Cass. crim., 31 janvier 2012, n° 11-85.226, F-P+B N° Lexbase : A8580ICR), c’est aussitôt pour rappeler l’importance de l’élément intentionnel (voir F. Grégoire, directeur adjoint du travail).

 

L’élément intentionnel est discriminant entre le délit d’obstacle et la contravention de refus de communication de documents obligatoires. En se détachant toutefois de l’exigence d’une matérialité positivement démontrée, il est plus difficile d’appréhender l’intentionnalité de l’auteur. Le risque est alors de verser dans la correctionnalisation d’un comportement purement contraventionnel, réprimé alors d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende décuplée par l’ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 (N° Lexbase : L5257K7T), passant de 3 750 euros à 37 500 euros.

 

C’est au demeurant sur le terrain de la pénalité que le pourvoi a prospéré au visa notamment des articles 132-1 (N° Lexbase : L9834I3M) et 132-20, alinéa 2 (N° Lexbase : L5004K8T), du Code pénal et 485 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9916IQC) conduisant à la cassation de l’arrêt des juges du fond qui ont prononcé des peines d’emprisonnement avec sursis et d’amende sans tenir compte «des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle». Cette motivation fait écho à la dernière évolution de la Chambre criminelle en la matière (Cass. crim., 1er février 2017, 3 arrêts, n° 15-83.984, FP-P+B+I N° Lexbase : A7002TAL, n° 15-85.199 N° Lexbase : A7004TAN et n° 15-84.511 N° Lexbase : A7003TAM).

 

Entrave au Comité d’entreprise - Application de la loi dans le temps - Cass. crim., 30 octobre 2018, n° 17-87.260, FS-D (N° Lexbase : A0151YKS)

 

L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7628LGM) a modifié le fonctionnement des instances représentatives du personnel : à échéance du 1er janvier 2020 au plus tard, un Comité social et économique (CSE) doit remplacer les Comités d’entreprise, CHSCT et délégués du personnel. La modification des textes qui en résulte a été vue comme une opportunité par un directeur d’établissement condamné pour entrave au fonctionnement d’un Comité d’entreprise, motif pris que ladite ordonnance avait abrogé au 1er janvier 2018 l’article L. 2328-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2102KGX), lequel constitue le texte d’incrimination. A l’en suivre, l’entrave au fonctionnement du Comité d’entreprise n’entre pas en outre dans les prévisions du nouveau délit d'entrave au fonctionnement du Comité social et économique, incriminé par le nouvel article L. 2317-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8434LGH).

 

Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui ne contredit pas cette analyse mais justifie la condamnation par le fait que des mesures transitoires ont été prévues, incluant parmi elles l'article L. 2328-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2102KGX) : ces dispositions demeurent applicables pendant la durée des mandats en cours, tant que le CSE n'a pas été élu. Cette décision implique à l’inverse que l’abrogation du délit d’entrave à une instance représentative du personnel pourra être pertinemment soulevée pour toute entreprise qui aura mis en place son CSE.

 

VII - Conformité

 

Lanceur d’alerte - Application de la loi dans le temps - Cass. crim., 17 octobre 2018, n° 17-80.485, F-D (N° Lexbase : A9859YGA) ; v. aussi, J.-Y. Maréchal, Lexbase Pénal, novembre 2018 (N° Lexbase : N6365BXZ)

 

La protection qu’offre la loi dite «Sapin II» du 9 décembre 2016 (N° Lexbase : L6482LBP) au lanceur d’alerte peut-elle bénéficier rétroactivement à une inspectrice du travail ?

 

Cette question se pose à la suite de l’arrêt de la Chambre criminelle rendu le 17 octobre 2018 dans l’affaire «Tefal», concernant une inspectrice du travail condamnée en appel du chef de recel de violation du secret professionnel ; celle-ci revendiquait le fait justificatif introduit à l’article 122-9 du Code pénal (N° Lexbase : L7395LBI) au bénéfice des lanceurs d’alerte par la loi «Sapin II».

 

Rappelons que l’inspectrice du travail qui prétendait avoir subi des pressions de sa hiérarchie visant à entraver sa mission de contrôle, avait obtenu la preuve de ces faits au moyen de documents transmis par un tiers avant de les révéler aux organisations syndicales puis à la presse. La cour d’appel de renvoi devra analyser d’une part, si cette personne a révélé ou signalé des faits de manière désintéressée et de bonne foi et d’autre part, s’il s’agit de faits dont elle a eu personnellement connaissance, selon la définition du lanceur d’alerte. Enfin pour bénéficier du régime protecteur afférant, la cour d’appel devra rechercher si la divulgation était nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et si elle est intervenue dans le respect des procédures graduées de signalement définies par la loi.

 

Si un consensus existe sur l’application de cet article aux faits de l’espèce eu égard au principe de la rétroactivité in mitius de la loi pénale plus douce -ce qu’a jugé la Chambre criminelle- la réflexion de la Cour de renvoi devra être menée au regard du statut général de lanceur d’alerte et de la protection associée, participant ainsi nécessairement à la construction de ce statut protecteur.

 

[1] Nul ne doit tirer profit de son délit

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