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par Talfi Idrissa Bachir, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à la FSJP, Université Abdou Moumouni de Niamey
Le 24 Octobre 2018
OHADA - Arbitrage - Investissements
Tel l’Univers en perpétuelle expansion, le champ de l’OHADA ne cesse de connaître, quant à lui, une irrépressible extension. Aussi, le champ matériel de l’OHADA est celui qui connaît l’extension la plus rapide, relativement au champ géographique ou territorial dont la croissance n’est pas aussi rapide [1].
Le champ matériel de l’OHADA a été défini à l’article 2 du Traité (N° Lexbase : L3251LGI). Ainsi cette disposition, dont la rédaction, qui contient une double définition du champ matériel, permet à l’OHADA de scruter de nouveaux horizons, de nouveaux champs de pratique. En effet, si l’article 2 énonce clairement le champ matériel de l’OHADA dans un premier temps, en citant les matières [2] qui entrent dans «domaine du droit des affaires», dans un second temps, l’article 2 précise qu’entre dans ce domaine, «toute autre matière que le conseil des Ministres déciderait d’y inclure conformément à l’objet du Traité». De cette matière, le domaine matériel de l’OHADA n’a de limite que les décisions du conseil des Ministres, elles-mêmes limitées par l’objet du Traité.
C’est ainsi que l’OHADA s’est lancée dans une vaste opération de conquête de nouveaux champs alors même que dans le même temps s’opérait une autre opération de toilettage des anciens Actes uniformes.
Ainsi, s’agissant des nouveaux champs explorés par l’OHADA et non expressément cités par l’article 2 du Traité, et ayant fait l’objet d’avant-projets de textes, on peut citer le droit des contrats [3], de la consommation [4]. Quant aux nouveaux champs non prévus et n’ayant fait l’objet d’aucun avant-projet de textes, mais dont les Etudes ont été commanditées par le Secrétariat permanent de l’OHADA, ils sont au nombre de sept. Il s’agit de : l’affacturage, le Crédit-bail, la médiation commerciale, la sous-traitance, la franchise, le droit des conflits et de la circulation des actes publics et enfin le contrat de partenariat public-privé.
S’agissant du toilettage des anciens Actes uniformes, là également le mouvement enclenché depuis près de huit ans, continue. C’est ainsi que sur les huit premiers Actes uniformes adoptés, six ont déjà fait l’objet de reprise. Il s’agit de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (N° Lexbase : L3037LGL) et au droit des sûretés (N° Lexbase : L9023LGB) (en 2010), l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (en 2014) (N° Lexbase : L0647LG3), de l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives et à l’apurement du passif (en 2015) (N° Lexbase : L0547LGD), de l’Acte uniforme portant harmonisation et harmonisation des comptabilités des entreprises (N° Lexbase : L3767LHY) qui a été repris avec modification de son appellation, il devient désormais Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière (en 2017) (N° Lexbase : L2911LGW). Et enfin, de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (en 2017) (N° Lexbase : L1333LGH). A noter que dans le même temps, avec les révisions des Actes uniformes s’opéraient aussi l’adoption de nouveaux Actes uniformes. C’est ainsi qu’a été adopté en 2010 l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (N° Lexbase : L1886LGX) et en novembre 2017 était adopté l’Acte uniforme relatif à la médiation (N° Lexbase : L4676LHN).
C’est au cours de cette dernière réforme d’il y a à peine un peu plus de onze mois que de nouveaux Actes uniformes OHADA ainsi qu’un nouveau règlement d’arbitrage de la CCJA (N° Lexbase : L4675LHM) ont été adoptés, mettant ainsi l’OHADA de plain-pied dans le droit des MARC. En effet, le 23 novembre 2017, le conseil des ministres de l’OHADA a adopté le nouvel Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA), dont l’ancien datait déjà du 11 mars 1999, le nouveau Règlement d’arbitrage (RA), dont l’ancien datait aussi du 11 mars 1999 et enfin, un tout nouvel Acte uniforme sur la médiation (AUM) qui n’existait pas auparavant. Il s’agissait là, en réalité pour l’OHADA, de se doter d’outils de modes alternatifs de règlement des conflits (MARC). L’objectif étant de développer davantage les MARC mais aussi et surtout d’accompagner le développement économique et les investissements dans la zone géographique couverte par l’OHADA.
C’est dans cette optique que, dans le nouvel Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA), il a été expressément inséré des dispositions sur l’arbitrage d’investissement.
En effet, le nouvel Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA) consacre formellement l’arbitrage d’investissement [5]. A ce titre, on peut dire qu’il s’agit là pour l’OHADA d’un nouveau champ de pratique, quoique l’arbitrage d’investissement ne soit pas nouveau en soi. De même que l’arbitrage d’investissement ne soit pas non plus nouveau dans l’espace OHADA, car bien que non consacré formellement par l’AUA de l’OHADA, il était pratiqué et le centre d’arbitrage de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA) a dû trancher des affaires d’investissements. Mais, avec le nouvel Acte uniforme, l’OHADA passe un cran au-dessus pour prévoir ce type d’arbitrage de façon très solennelle. C’est peut-être dans le souci de se hisser aux standards des autres centres internationaux en la matière.
Cependant, avant d’aller plus en avant, et pour mieux planter le décor, il faut, avant tout, s’entendre sur ce que l’on entend par arbitrage d’investissement. Nous ne reviendrons ni sur la définition de l’arbitrage qui, curieusement d’ailleurs, n’est pas dans l’AUA [6], ni même sur celle de l’investissement [7].
Quant à l’arbitrage d’investissement, il n’a pas été non plus défini par la doctrine ohadienne et même par la doctrine récente [8]. La raison en est toute simple. L’OHADA n’avait jusque-là pas fait de distinction entre l’arbitrage interne et l’arbitrage international ou de commerce international [9]. Un auteur a bien vu que c’est bien parce que le droit de l’arbitrage de l’OHADA est pétri du droit matériel de l’arbitrage interne et de règles matérielles de l’arbitrage international [10].
Pour trouver une définition de l’arbitrage d’investissement, faisons nôtre celle donnée par Walid Ben Hamida [11] pour qui «l’arbitrage relatif à l’investissement peut être défini comme tout arbitrage opposant des entités publiques à des personnes privées étrangères et portant sur une opération d’investissement (construction et exploitation d’autoroute, concession, exploitation d’une licence de téléphone, usine, BOT)» [12].
Deux critères se dégagent ainsi de cette définition. Le critère des personnes et le critère de l’objet. Les personnes doivent être des personnes publiques et des personnes privées et quant à l’objet, ce doit être une opération d’investissement.
Toujours selon cet auteur, «il s’agit d’une variante de l’arbitrage mixte ou transnational qui oppose les personnes publiques et les personnes privées étrangères. La personne publique est souvent l’Etat, mais peut être une entité infra-étatique (collectivité territoriale ou entreprise d’Etat). La personne privée est souvent une société étrangère, mais parfois une simple personne physique».
Si l’on retient cette définition de l’arbitrage d’investissement, on peut se demander alors quelle en est la source juridique ?
A l’origine de l’arbitrage d’investissement, se trouve la Convention du Centre international de Règlement des Différends relatifs aux Investissement (CIRDI) conclue en 1965, entrée en vigueur en 1966. Pourquoi l’arbitrage d’investissement ? Selon G. Kaufmann-Kohler, «l’arbitrage d’investissement trouve son origine dans le fait que dans les années d’après la seconde guerre mondiale, pour favoriser le développement des pays non industrialisés, il s’est avéré nécessaire de créer des conditions-cadre afin que les capitaux étrangers affluent. Pour cela, il fallait promouvoir les investissements et il fallait aussi donner confiance aux investisseurs et sécuriser leurs apports» [13]. C’est ainsi que le recours aux tribunaux étatiques n’étant pas satisfaisant, on s’est alors tout naturellement tourné vers l’arbitrage international dans un lieu neutre, dont la législation régirait l’arbitrage détaché de tout droit national comme de toute juridiction nationale. C’est cette idée d’un arbitrage réellement international qui a inspiré la Convention CIRDI [14], conclue en 1965, entrée en vigueur en 1966 [15].
En quoi consiste l’arbitrage d’investissement ? Cet arbitrage était jusqu’au début des années 1990 purement contractuel. C’est-à-dire subordonné à l’existence d’une clause d’arbitrage prévue dans un contrat d’Etat ou un compromis conclus entre la personne publique et la personne privée. Mais, le 27 juin 1990, dans l’affaire «AAPL c/ Sri Lanka» [16], un tribunal arbitral a admis pour la première fois (notons que parmi les membres de ce tribunal, il y a un Ghanéen M. Samuel Assante) qu’une personne privée pouvait se fonder sur un Traité international d’investissement pour engager une procédure arbitrale contre un Etat en l’absence d’une clause compromissoire ou d’un compromis. Deux ans avant cette date, le 14 avril 1988, dans l’affaire «SPP c/ Egypte» [17], un autre tribunal s’est déclaré compétent pour trancher le litige opposant la société SPP à l’Egypte sur le seul fondement de la loi égyptienne sur les investissements qui renvoyait à l’arbitrage. Ces deux tribunaux ont admis ainsi que le consentement des parties à l’arbitrage pouvait être dissocié ou décalé. La personne publique exprime un consentement abstrait à l’arbitrage dans un instrument normatif interne (loi interne) ou international (convention internationale). La personne privée accepte cette «offre publique d’arbitrage» en introduisant sa requête arbitrale. Ce type d’arbitrage se développe très rapidement. Le phénomène a été qualifié d’«arbitrage transnational unilatéral» [18], car «l’instance arbitrale ne peut être engagée que par la personne privée, à l’exclusion de la personne publique» [19].
Cependant, l’arbitrage, selon la Convention CIRDI, n’est pas le seul type d’arbitrage international d’investissement. Il y en a d’autres. Il en est ainsi, notamment, de l’arbitrage selon le mécanisme supplémentaire du CIRDI qui permet de recourir à la procédure du Centre, alors même que les conditions contraignantes de compétence tenant à la nationalité qu’impose la Convention, ne sont pas remplies. Ce qui permet de signaler que, bien avant le CIRDI, il existait, en Europe, la Cour d’arbitrage international de Londres créée en 1891, qui occupe une grande place mais également la chambre de commerce internationale de Paris fondée en 1923 qui jouit, elle aussi, d’une grande notoriété en matière d’arbitrage international. Toutefois, l’arbitrage CIRDI est celui qui occupe le haut du pavé en matière d’arbitrage international.
Par ailleurs, certains contrats d’investissements comprennent des clauses d’arbitrage classiques, notamment des clauses d’arbitrage selon le Règlement CCI de la Chambre de Commerce internationale de Paris (CCI) ou selon le Règlement d’arbitrage de la Conférence des Nations unies pour le Développement du Commerce International (CNUDCI).
S’agissant du droit OHADA, c’est l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage qui est la première source d’arbitrage d’investissement. Mais, là encore, il a fallu attendre la réforme de 2017 pour que de façon expresse le législateur OHADA introduise la notion même d’arbitrage d’investissement. En effet, le nouvel AUA du 23 novembre 2017 dispose en son article 3 que «l’arbitrage peut être fondé sur une convention d’arbitrage ou sur un instrument relatif aux investissements, notamment un Code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements». En nous fondant sur cette disposition, nous pouvons alors dire que l’arbitrage d’investissement est formellement consacré.
Quant au Règlement d’arbitrage de la Cour commune de justice et d’arbitrage (RA) du 23 novembre 2017, il dispose aussi en son article 2.1, alinéa 2 que «la Cour peut également administrer des procédures arbitrales fondées sur un instrument relatif aux investissements, notamment un code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements».
L’introduction de l’arbitrage d’investissement de façon expresse dans l’AUA et dans le Règlement d’arbitrage est assurément un tournant dans le droit OHADA.
C’est une question nouvelle qu’aura donc à traiter aussi bien le droit OHADA dans son ensemble (institutions, doctrine, jurisprudence) que les droits internes des pays membres de l’organisation.
On peut légitimement se poser la question de savoir pourquoi cette référence expresse à l’arbitrage d’investissement aujourd’hui ? Est-ce une volonté des Etats de l’OHADA de s’emparer de la question et de proposer aux Etats membres un centre d’arbitrage d’investissement ? Ou, l’arbitrage d’investissement constitue-t-il une opportunité pour l’OHADA dans son ensemble et pour les Etats membres de l’organisation ?
C’est sous cet angle que sera abordée la question en discutant successivement de la consécration textuelle de l’arbitrage d’investissement comme une opportunité pour l’OHADA (II) et en se posant la question de savoir quelles opportunités pour les Etats parties (II)?
I - La consécration textuelle de l’arbitrage d’investissement : une opportunité pour l’OHADA
L’arbitrage d’investissement serait une opportunité pour l’OHADA à un double titre : il est nouveau en droit OHADA (A) et il répond à un désir de positionner la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) en centre d’arbitrage des investissements (B).
A - L’arbitrage d’investissement : une nouveauté en droit OHADA
L’arbitrage d’investissement est une question nouvelle expressément introduite dans le droit OHADA avec la révision de l’AUA et du RA pour sa consécration textuelle. En effet, avant la réforme de novembre 2017, aucune disposition, ni du Règlement d’arbitrage ni de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ne faisait référence à l’arbitrage d’investissement. C’est donc réellement l’article 3 de l’AUA et l’article 2.1 du RA qui consacrent l’arbitrage d’investissement dans le droit OHADA. Il est donc indéniable que cela représente une nouveauté pour le droit OHADA.
Néanmoins cette nouveauté, si elle est textuelle, elle ne l’est pas du point de vue de la pratique.
En effet, il faut bien préciser que si «textuellement» c’est une consécration, l’arbitrage d’investissement n’est pas une question totalement nouvelle dans l’espace OHADA. Non seulement, La CCJA a eu à connaitre de cas d’arbitrage international, mais les Etats membres de l’OHADA étaient déjà parties à des arbitrages d’investissement lors même que leurs lois internes le prévoyaient.
Nombreux sont les cas d’arbitrage d’investissement connus par la CCJA. Ces affaires mettant aux prises les Etats et les investisseurs étrangers. Toutefois, bien avant de connaitre de ces affaires, se fondant sur le dispositif tant réglementaire qu’institutionnel de l’OHADA en la matière, certains auteurs ont vu dans le dispositif OHADA un arbitrage international [20] et surtout «l’émergence d’un centre d’arbitrage international» [21].
Il n’y a pas non plus de doute qu’ils sont parties à des traités d’investissement bilatéraux (TBI [22]), multilatéraux ou régionaux.
Par contre, ces Traités, et lois internes font, quasiment tous, référence à l’arbitrage CIRDI et non à l’arbitrage devant la CCJA. Rares sont ceux qui font état de l’arbitrage CCJA pour le règlement des différends liés aux investissements [23].
L’explication la plus simple c’est que, pour la plupart, ces traités et textes normatifs sont antérieurs à l’OHADA [24].
Toutefois, même pour les plus récents (notamment, loi n° 2014-09 du 16 avril 2014 portant Code des investissements en République du Niger), la référence à l’arbitrage CIRDI s’explique aussi par le fait que l’OHADA n’a pas expressément prévu l’arbitrage d’investissement, puisque celui-ci n’est intervenu que récemment avec la réforme de l’AUA et du RA de l’OHADA.
En dépit de tout ce qui précède, c’est donc, désormais, une nouvelle dimension de l’arbitrage qui s’additionne à l’arbitrage traditionnel OHADA qui vient s’ajouter au dispositif OHADA de l’arbitrage. Cette nouvelle dimension, traduit le désir des Etats parties, à travers l’organe législatif qu’est le Conseil des Ministres, de positionner résolument la CCJA en centre d’arbitrage des investissements, comme si le dispositif existant ne le faisait pas suffisamment.
B - Le désir de se positionner la CCJA en Centre d’arbitrage des investissements
Le principal reproche à faire au dispositif réglementaire de l’OHADA est l’absence de publication de ce que l’on peut appeler «les débats parlementaires». Il n’y a certes pas de parlement OHADA, mais avant l’adoption des Actes uniformes il y a tout un processus permettant de discuter les dispositions des avant-projets et des projets d’Actes uniformes, jusqu’aux discussions des «réunions d’experts» et l’avis de la CCJA sur les avant-projets d’Actes uniformes permettant de comprendre l’esprit dans lequel les dispositions définitives des Actes uniformes ont été adoptés. Aucune publication des travaux préparatoires (notamment les rapports de présentation des avant-projets ou les rapports de discussions des réunions des experts sur les projets d’Actes uniformes encore moins les rapports de présentation des experts ayant eu la charge de préparer les avant-projets d’Actes uniformes) n’est organisée ou prévue, seuls les Actes uniformes sont publiés au Journal officiel de l’OHADA et parfois aux Journaux officiels des Etats membres. Ce qui ne laisse donc guère pour l’observateur externe que les supputations sur ce qui a pu motiver le «législateur OHADA» à adopter telle ou telle autre mesure dans les Actes uniformes (et les Règlements). Ainsi, on peut dans ces conditions, penser que par le seul fait de prévoir expressément dans une disposition l’arbitrage d’investissements l’OHADA entend par là saisir une opportunité pour désormais capter les différends d’investissements réglés par la voie de l’arbitrage.
C’est que l’OHADA affiche ainsi son ambition de se positionner sur l’échiquier de l’arbitrage international comme un référentiel en matière d’arbitrage d’investissement et positionner la CCJA comme centre d’arbitrage d’investissements au même titre que les centres internationaux reconnus en la matière.
Cependant, si l’AUA a prévu l’arbitrage d’investissements et que le règlement d’arbitrage ait aussi prévu que la CCJA peut connaitre des différends en matière d’investissements, il se trouve qu’en dehors de ces dispositions énonçant le principe de la connaissance de ce type d’arbitrage aucune autre disposition aussi bien dans l’AUA que dans le RA ne prévoient de procédures particulières s’agissant ce type d’arbitrage. Les dispositions traditionnelles sont maintenues et tout porte à croire que ce sont ces dispositions qui vont régir les arbitrages d’investissements qui seront portés devant la CCJA. Ce qui peut être vu comme une faiblesse du dispositif, car l’arbitrage d’investissements a des contraintes procédurales et même de fond qui ne sont pas prises en compte dans le droit OHADA actuel de l’arbitrage [25]. Ce n’est pas pour autant que ce nouvel dispositif ne constitue point une opportunité pour les Etats de l’OHADA.
II - L’arbitrage d’investissement : quelles opportunités pour les Etats parties de l’OHADA ?
L’arbitrage d’investissement met en rapport des Etats ou des entités publiques avec des investisseurs privés, généralement étrangers.
Très peu de Centres d’arbitrage existent sur le territoire géographique que couvre l’OHADA. Quant à l’arbitrage d’investissement, aucun des centres nationaux n’en n’offre les prestations.
Dans ces conditions, on peut donc dire que l’érection de la CCJA en centre d’arbitrage des investissements présente des opportunités pour les Etats-parties.
On peut présenter ces opportunités sous deux angles. D’abord par la proximité du centre d’arbitrage mais aussi par rapatriement des différends sur le continent et surtout dans l’espace OHADA.
A - Opportunité dans la proximité du centre d’Arbitrage OHADA.
Consacrer de façon formelle l’arbitrage d’investissement en droit OHADA peut présenter des opportunités lorsqu’il est loisible aux Etats de s’adresser à un Centre d’arbitrage proche et ne se trouvant pas sur un autre continent.
Cette proximité du centre d’arbitrage peut être appréciée à un double titre. Une proximité géographique et une proximité intellectuelle.
1. S’agissant de la proximité géographique. L’opportunité pour les Etats membres de s’adresser désormais à la CCJA pour les arbitrages d’investissements résiderait dans le fait que le centre est géographiquement plus proche que les centres traditionnels connus. En effet, les différents centres d’arbitrage des investissements connus et reconnus sont tous en dehors du continent africain.
La proximité d’un centre sur le continent présente des avantages certains pour les Etats. Le premier serait une réduction considérable du cout de l’arbitrage dans les économies qui seraient réalisées sur pratiquement tous les points de dépenses d’un tel arbitrage (frais liés au déplacement relatifs à la procédure devant le centre, frais d’arbitrage et honoraires des arbitres).
2. S’agissant de la proximité intellectuelle. L’opportunité résiderait aussi pour les Etats de voir leurs différends tranchés selon des règles assez connus dans un système juridique connu et donc pas étranger. Ceci pourrait être une source de confiance pour les parties à l’arbitrage. Il est bien vrai que les parties à un arbitrage ont le choix du droit applicable. Cependant, le seul fait d’être en face d’un centre en dehors du territoire géographique de la zone d’influence d’un système de droit connu pourrait aussi présenter de risque de barrière intellectuelle sur le droit applicable au fond du litige. La proximité ou la présence du centre sur le territoire OHADA, rassurerait les parties, surtout les Etats. Actuellement, on peut aisément imaginer il serait moins sûr que les investisseurs internationaux soient, eux, rassurés par le droit OHADA, habitués qu’ils sont par les procédures des grands centres reconnus. Sur ce point de vue, l’OHADA devrait encore poursuivre son œuvre d’attractivité vis-à-vis de ces investisseurs. Quant aux investisseurs du continent, ceux-ci peuvent facilement se rallier à la CCJA pour l’arbitrage de leurs différends.
Un autre avantage de l’érection de la CCJA en centre d’arbitrage des investissements réside dans le fait que le règlement d’arbitrage de la CCJA ainsi que l’arsenal juridique du droit des investissements de l’espace géographique couvert par l’OHADA n’est pas inconnu des arbitres CCJA.
Enfin, le contrat d’investissement pour lequel la difficulté s’élèverait et qui donnerait lieu à l’arbitrage s’exécute sur le territoire géographique couvert par l’OHADA.
Tous ces facteurs font que la CCJA en tant que Centre d’arbitrage des investissements réalisés dans le territoire géographique couvert par l’organisation présente des opportunités non négligeables pour les Etats.
B - Opportunité dans le rapatriement des différends d’investissements
«L’arbitrage dans les pays de l’Afrique subsaharienne en matière d’investissement se développe. Par réalisme ou par nécessité, ces pays ont compris que pour attirer les investissements étrangers, le recours à l’arbitrage est primordial. Pour cette raison, ces pays signent des conventions d’arbitrage, concluent des traités d’investissement et adoptent des lois renvoyant à l’arbitrage». Tels sont les propos introductifs de la conclusion de l’article de Walid Ben Hamida sur «La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements» [26] .
Le rapport du CIRDI sur les cas d’arbitrage à la date du 30 avril 2016 fait ressortir que sur les 563 affaires enregistrées, 23 % [27] impliquent des Etats africains [28]. Sur ces 23 %, 20 % ont été introduites par des investisseurs africains et les 80 % par des investisseurs hors du continent africain [29]. Enfin, on relève que sur les 131 affaires (représentant les 23 % des 563 affaires), 46 impliquent des Etats parties de l’OHADA.
C’est donc une grosse part des affaires qui impliquent des Etats parties de l’OHADA. Il serait donc opportun pour les Etats membres de l’OHADA de rapatrier les affaires au centre de la CCJA.
Dans la perspective d’un accroissement des affaires d’investissements, c’est donc une opportunité pour les Etats parties à l’OHADA que la CCJA capte ces affaires. Ainsi fait, la CCJA se positionnerait véritablement comme un centre d’arbitrage des investissements. En effet, tout plaide pour que les différends qui s’élèveraient à l’occasion des investissements réalisés sur le continent soient arbitrés sur le continent et éviter leur exportation. Le juge Keba Mbaye avait bien dit que «L’OHADA est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance». On peut rajouter que «c’est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique et pour les africains».
Ce rapatriement des affaires ne concernera bien entendu pas les affaires courantes. Il concernera les affaires futures. Et pour ce faire, il faudrait que les TBI ou les codes des investissements des différents Etats qui contiennent des dispositions renvoyant expressément à l’arbitrage CIRDI ou CCI ou autre soient révisés pour intégrer désormais l’arbitrage CCJA. Ce ne serait pas chose facile, mais ce serait aux Etats de savoir imposer cette clause ou disposition. C’est aussi à l’OHADA de convaincre de sa capacité à gérer ces types de différends ce qui serait assurément le meilleur plaidoyer en faveur de l’érection de la CCJA en centre d’arbitrage des investissements.
En guise de conclusion
L’OHADA a pratiquement tout à gagner à s’engager dans la voie de l’arbitrage d’investissement. C’est non seulement un élargissement du champ de l’arbitrage OHADA mais c’est aussi le prolongement naturel de la philosophie de l’OHADA qui est la sécurisation des investissements par la promotion et le développement de l’arbitrage. Et on le voit, l’arbitrage d’investissement présente certaines opportunités pour l’OHADA.
Un bémol cependant. Si l’arbitrage d’investissement présente des opportunités certaines pour l’OHADA, il faut aussi relever que l’OHADA doit bien asseoir le dispositif de l’arbitrage d’investissement. Le premier pas a été franchi en introduisant expressément l’arbitrage d’investissement dans le système OHADA. Cependant, ce n’est qu’un premier pas. D’autres pas doivent être faits et le plus rapidement possible et ce dans le sens de mieux construire l’édifice du système d’arbitrage d’investissement. En effet, les deux seules dispositions de l’AUA et du RA sont insuffisantes pour faire de l’arbitrage d’investissement. On peut même se demander par quelle légèreté ces seules dispositions ont été introduites sans l’accompagnement de toutes les autres dispositions permettant d’asseoir un véritable système d’arbitrage d’investissement [30]. L’OHADA aura donc tout intérêt à compléter l’édifice juridique de l’arbitrage d’investissement mais aussi à s’adjoindre des arbitres rompus à ce type d’affaires pour rendre ainsi le centre plus attractif et ce d’autant plus que certains modes de règlements des différends d’investissements sont prospectés pour offrir d’alternative à l’arbitrage d’investissements, notamment par la CNUCED [31], car si ce n’est fait, on pourrait, comme se demandait Walid Ben Hamida «où va l’arbitrage des investissements ?», «où irait l’arbitrage d’investissement OHADA ?».
[1] Une seule adhésion depuis la création de l’organisation (celle de la RDC) alors que le Traité dispose qu’il est ouvert à tous les Etats membres de l’Union Africaine. Par contre plusieurs pays ont le statut d’observateurs, et le tout dernier à s’intéresser à l’OHADA est le Royaume du Maroc qui après la CEDEAO s’intéresse de près à l’OHADA.
[2] «[…] pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit de la vente et des transports […]».
[3] Qui a connu une mauvaise fortune avec l’élaboration d’un avant-projet, communément appelé le Projet Fontaine, qui a été rejeté (pour les raisons du rejet voir Paul Gérard Pougoué, L’avant projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats : les tribulations d’un universitaire, Ohadata D-07-41) puis un Avant-projet d’acte uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA qui n’a toujours pas encore été présenté aux Etats depuis plus d’une dizaine d’année aujourd’hui.
[4] Pour lequel un avant-projet d’Acte uniforme a été élaboré mais n’a pas dépassé le stade des observations dans les différents Etats membres.
[5] L’arbitrage d’investissement n’était jusqu’alors pas expressément prévu par les textes de l’OHADA, Voir en ce sens A. Diallo, Réflexion sur l’arbitrage dans l’espace OHADA, Thèse, Université de Perpignan, 2016, p. 246.
[6] En effet, l’arbitrage n’a pas fait l’objet de définition par le législateur OHADA. Ni dans le Traité OHADA, ni dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et encore moins dans le règlement d’arbitrage de la CCJA. Voir P. Meyer, Droit de l’arbitrage, Bruylant, Collection Droit uniforme africain, Bruxelles, 2002, p. 22, n° 39 ; le Professeur P.-G. Pougoué, en donne une définition sans en dire la source. Pour lui, «l’arbitrage est un mode conventionnel de règlement des litiges par des particuliers choisis directement ou indirectement par les parties, et investis du pouvoir de juger à la place des juridictions étatiques par une décision ayant force obligatoire et pouvant être exécutoire», «Prolégomènes : Place de l’Arbitrage dans la Stratégie de l’OHADA (380)», in : Collected Courses of the Hague Academy of International Law, Volume: 380, Hague Academy of International Law, Brill | Nijhoff, Leiden | Boston, 2015, p. 123..
[7] Sur le droit Ohada et investissement, voir J.-C. Ngnintedem, «Le juge Ohada et l’investissement International», RDAI/IBLJ, N° 1, 2015, pp. 95 à 115 et S. Manciaux, Que disent les textes OHADA en matière d'investissement ?, Revue de l’ERSUMA, n° 1, juin 2012, pp. 268 à 275.
[8] Voir par exemple, C. D. Sossa, La protection des investissements étrangers au regard du droit OHADA : d’une internationalisation rectifiée à une internationalisation consentie, in Les horizons du droit OHADA, Mélanges en honneur du Professeur Filiga Michel Sawadogo, CREDIJ, Cotonou, 2018, pp. 107 à 145.
[9] Voir article 1er de l’AUA mais aussi G. Kenfack Douajni et Ch. Imhoos, L’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dans le cadre du traité OHADA, Revue camerounaise de l’Arbitrage, 1999, n° 5, p. 3 ; Ohada.com, Ohadata D-08-78.
[10] A. Diallo, thèse précitée, pp. 12 à 13 et spéc. p. 29.
[11][11] Auteur d’une thèse sur la question : L’arbitrage transnational unilatéral. Réflexions sur une procédure réservée à l’initiative d’une personne privée contre une personne publique, Thèse, Paris II, 2003.
[12] W. Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, Les Cahiers de l’Arbitrage, 2012-3, p. 617.
[13] G. Kaufmann-Kohler, L’arbitrage d’investissement : entre contrat et traité - entre intérêts privés et intérêt public, texte d’une conférence prononcée le 24 juin 2004 au Centre libanais d’arbitrage à Beyrouth, p. 4.
[14] Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, ICSID en anglais, créé par la Convention (de Washington) pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats.
[15] G. Kaufmann-Köhler, op. cit.
[16] AAPL c/ Sri Lanka, Sentence du 21 juin 1990, Journal du Droit International, 1992, p. 217.
[17] SPP c/ Egypte, Première décision sur la compétence du 27 novembre 1985, et deuxième décision sur la compétence du 14 avril 1988, Journal du Droit International, 1994, p. 217.
[18] Voir W. Ben Hamida, L’arbitrage transnational unilatéral. Réflexions sur une procédure réservée à l’initiative d’une personne privée contre une personne publique, Thèse Université de Paris II, sous la direction de Ph. Fouchard, 2003.
[19] Walid Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, Les Cahiers de l’Arbitrage, 2012-3, p. 618.
[20] Ph. Fouchard, Le système d’arbitrage de l’OHADA : le démarrage, PA, 13 octobre 2004, n° 205, p. 52.
[21] A. Ngwanza, L’essor de l’arbitrage international en Afrique sub-saharienne : les apports de la CCJA, Revue de l’ERSUMA, n° 3, septembre 2013, p. 30.
[22] Walid Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, op. cit., p. 623. «Chacun des 48 Etats de la région est signataire d'au moins un TBI. Concernant les Etats les plus actifs dans la conclusion des TBI, on classe en première position l’Afrique du Sud avec 46 TBI. Viennent, ensuite, l’Ile Maurice avec 36 TBI, Zimbabwe avec 30 TBI, l’Ethiopie avec 29 TBI, le Soudan avec 27 TBI, Ghana avec 26 TBI, le Sénégal et le Mozambique avec 24 TBI chacun et, enfin, Nigeria avec 22 TBI signés. Les Etats les moins impliqués dans la négociation des TBI sont la République Centrafricaine, l'Erythrée, le Liberia, le Togo qui ont signé, chacun, 4 TBI. Lesotho et Sierra Leone ont signé 3 TBI, chacun. Guinée-Bissau et la Somalie sont signataires de 2 TBI, chacun. Enfin, Sao Tomé-et-Principe a signé un seul TBI».
[23] Voir A. Ngwanza, op. cit., n° 19 et ss.
[24] Voir pour un bref état des lieux sur la question A. Ngwanza, op. cit., n° 9 et ss. Et plus spécialement notes de bas de pages n° 84 et 85.
[25] Voir notamment J.-B. Momnougui, Arbitrage des investissements OHADA : évolution ou révolution ?, Actualités du Droit, Wolters Kluwer, 2018.
[26] Walid Ben Hamida, La participation des personnes publiques subsahariennes à l’arbitrage relatif aux investissements, op. cit. p. 643.
[27] Soit 131 affaires.
[28] The ICSID caseload statistics special focus - Africa (april 2016), p. 7.
[29] The ICSID caseload statistics special focus - Africa (april 2016), op. cit., p. 13.
[30] Voir notamment sur ces dispositions W. Ben Hamida, Où va l’arbitrage d’investissement ?, in F. Osman et A. C. Yildirim, (sous la dir.), Où va l’arbitrage international. De la crise au renouveau. Journées d’études méditerranéennes en l’honneur du Professeur Ali Bencheneb, Lexisnexis, Paris, 2016, pp. 395 et ss. Voir aussi pour les critiques des nouvelles dispositions de l’OHADA B. MOMNOUGUI, op. cit.
[31] Rapport sur «Différends entre investisseurs et État: prévention et modes de règlement autres que l’arbitrage», études de la CNUCED sur les politiques d’investissement international au service du développement, Nations Unies, New York et Genève, 2010, pp. 165.
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Réf. : Cass. civ. 3, 18 octobre 2018, n° 17-23.741, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6574YGL)
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N6049BXC
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 24 Octobre 2018
► Le maître d’ouvrage ne peut rechercher la garantie de l’assureur du constructeur (avec lequel il a conclu un contrat de construction de maison individuelle), sur la base d’un contrat particulier proposé par l’assureur en matière de construction de maisons individuelles, si un tel contrat n’a pas été souscrit par le constructeur (lequel a souscrit un contrat d’assurance garantissant uniquement les travaux de techniques courantes correspondant aux activités déclarées de gros oeuvre, plâtrerie - cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couverture - zinguerie, plomberie - installation sanitaire, menuiserie - PVC).
Telle est la solution que l’on peut dégager d’un arrêt rendu le 18 octobre 2018 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 18 octobre 2018, n° 17-23.741, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6574YGL).
En l’espèce, dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle, le constructeur avait abandonné le chantier courant décembre 2003 ; le maître d’ouvrage l’avait assigné en réparation des désordres et inexécutions ; un précédent jugement avait fixé la réception judiciaire de l’ouvrage au 14 juin 2005 et avait reconnu l’entière responsabilité du constructeur dans les désordres affectant l’immeuble ; se plaignant de nouveaux désordres, le maître d’ouvrage avait, après expertise, assigné l’assureur du constructeur en paiement de sommes. Il faisait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes. En vain.
La Cour suprême approuve en effet les juges d’appel qui, ayant relevé que le constructeur avait souscrit un contrat d’assurance garantissant uniquement les travaux de techniques courantes correspondant aux activités déclarées de gros oeuvre, plâtrerie - cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couverture- zinguerie, plomberie - installation sanitaire, menuiserie - PVC et que le maître d’ouvrage avait conclu avec le constructeur un contrat de construction de maison individuelle, garage, piscine, mur de clôture et restauration d’un cabanon en pierre, en avaient déduit à bon droit que, l’activité construction de maison individuelle n’ayant pas été déclarée, les demandes en garantie formées par le maître d’ouvrage devaient être rejetées.
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Réf. : Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 17-16.465, FS-P+B (N° Lexbase : A9833YGB)
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N6094BXY
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par Blanche Chaumet
Le 24 Octobre 2018
► Le règlement intérieur s'imposant aux salariés avant le transfert de plein droit de leurs contrats de travail, vers une société nouvellement créée, n'est pas transféré avec ces contrats de travail dès lors que ce règlement constitue un acte réglementaire de droit privé dont les conditions sont encadrées par la loi, l'article R. 1321-5 du même Code (N° Lexbase : L1747IAX) imposant à une telle entreprise nouvelle d'élaborer un règlement intérieur dans les trois mois de son ouverture.
Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 17 octobre 2018 (Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 17-16.465, FS-P+B N° Lexbase : A9833YGB).
En l’espèce, la société A, qui a repris l’activité et les salariés de l’une des cinq entités économiques de la société B, a appliqué le règlement intérieur qui avait été élaboré par cette dernière.
La cour d’appel ayant suspendu l’application du règlement intérieur de la société A tant que les formalités légales et réglementaires de modification ou d’adoption d’un nouveau règlement intérieur n’étaient pas accomplies et lui ayant fait interdiction de prononcer des sanctions disciplinaires en application de ce règlement intérieur, tant qu’il n’était pas régularisé, la société s’est pourvue en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage « Droit du travail» N° Lexbase : E2651ETD et N° Lexbase : E2647ET9).
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Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2018, n° 17-18.294, FS-P+B (N° Lexbase : A3251YGI)
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N6091BXU
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
Le 24 Octobre 2018
CDD successifs • délai de carence • cas de recours
Résumé
Une succession de contrats de travail à durée déterminée, sans délai de carence, n'est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l'un des motifs prévus limitativement par l'article L. 1244-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8109LGG). |
Parce que le contrat de travail à durée déterminée (CDD) est une espèce exceptionnelle de contrat de travail qui déroge à la forme normale et générale qu’est le contrat de travail à durée indéterminée (CDI), de nombreux éléments de son régime sont destinés à éviter que ces relations contractuelles s’éternisent et contournent ainsi le régime du CDI. Parmi ces règles, celles relatives à la succession des CDD avec un même salarié ou sur un même poste sont essentielles. Par principe interdite, la succession de CDD n’est admise que dans des cas exceptionnels, quoiqu’assez nombreux, lorsque les parties concluent des contrats sur le fondement de certains cas de recours et que la loi les dispense alors de respecter un délai de carence. Par un arrêt rendu le 10 octobre 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que la dérogation au délai de carence n’est admise qu’à condition que chacun des contrats successifs réponde à l’un des cas de recours dérogatoires (I). Cette règle est principalement guidée par le caractère exceptionnel du régime du CDD et de ses dérogations à l’interdiction de succession de contrats, sachant que les évolutions récentes du régime du contrat à durée déterminée ne devraient pas, selon nous, en modifier l’interprétation (II).
Commentaire
I - L’exigence d’appréciation du cas de recours à chaque contrat successif
La succession de CDD est étroitement encadrée par le Code du travail. Il convient de distinguer deux situations différentes.
Succession de contrats avec un même salarié. La première concerne la conclusion d’un second contrat de travail avec un même salarié. L’article L. 1243-11 du Code du travail (N° Lexbase : L1475H9I) prévoit, dans ce cas de figure, que si «la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée».
L’article L. 1244-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7363K9L) prévoit cependant que cette règle ne s’applique pas et qu’il est permis de conclure des CDD successifs avec un même salarié en cas de remplacement d’un salarié absent, d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu ou d’un chef d’entreprise et en cas de recours au contrat saisonnier ou au contrat d’usage.
Succession de contrats sur un même poste. La seconde intéresse la succession de CDD sur un même poste, qu’il s’agisse de recruter le même salarié ou un autre candidat. Dans cette hypothèse, l’article L. 1244-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8110LGH) dispose qu’«à l'expiration d'un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat». Depuis l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7629LGN), ce délai de carence doit être établi par accord de branche étendu, à défaut duquel l’article L. 1244-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8023LGA) établit des durées supplétives qui varient du tiers à la moitié de la durée du contrat initial, selon que celui-ci a duré plus ou moins de quatorze jours.
Des exceptions sont à nouveau prévues et permettent la conclusion de contrats successifs sans délai de carence. Etablie par accord collectif de branche depuis la même ordonnance du 22 septembre 2017, la liste des cas de recours permettant à l’employeur de se dispenser de tout délai de carence était, jusqu’alors, dressée par l’article L. 1244-4 du Code du travail et visait le remplacement d’un salarié absent, d’un salarié dont le contrat est suspendu ou d’un chef d’entreprise, l'exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité, le recrutement d’un salarié par l’un des contrats aidés envisagé par l’article L. 1242-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1432H9W), lorsque le salarié avait pris l’initiative de la rupture anticipée du premier contrat ou avait refusé son renouvellement [1].
Domaine d’application des exceptions. Les articles L. 1244-1 et L. 1244-4 du Code du travail [2] qui permettent, à titre exceptionnel, de faire se succéder deux CDD, énoncent donc très clairement les cas de recours qui permettent d’échapper à l’exigence du délai de carence.
Ils sont, en revanche, beaucoup moins explicites sur l’identification du contrat qui doit répondre à ces cas de recours exceptionnels. Doit-il s’agir du contrat initial, du second contrat ou de l’un et l’autre de ces deux engagements ? C’est à cette question que répond la Chambre sociale de la Cour de cassation dans la décision commentée.
L’affaire. Un salarié est engagé par CDD le 12 juillet 2010 pour surcroît temporaire d’activité. Après avoir été renouvelé, le contrat prend fin le 23 décembre 2010. Un nouveau contrat de travail à durée déterminée est conclu le 5 janvier 2011 pour remplacer un salarié absent et s’exécuter jusqu’au 30 novembre 2011. Le salarié saisit le juge prud’homal pour obtenir la requalification des contrats en CDI.
La cour d’appel de Paris déboute le salarié de cette demande en jugeant que le second contrat avait pour objet de pourvoir au remplacement d’un salarié permanent de l’entreprise, qu’il ne s’agissait pas d’un contrat conclu pour pourvoir un poste dont la création et l’existence résulteraient d’un surcroît d’activité qui avait justifié la conclusion du premier contrat et que, par conséquent, le délai de douze jours écoulé entre les deux contrats était suffisant au regard de l’ancienneté du salarié.
Par un arrêt rendu le 10 octobre 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1244-3 (N° Lexbase : L8110LGH) et L. 1244-4 (N° Lexbase : L8109LGG), ensemble l’article L. 1245-1 du même Code (N° Lexbase : L5747IA4), dans leur rédaction applicable aux faits de l’espèce.
La Chambre sociale juge que «l’article L. 1244-4 du Code du travail n’exclut l’application des dispositions de l’article L. 1244-3 imposant le respect d’un délai de carence avant la conclusion d’un nouveau contrat à durée déterminée que dans les situations qu’il mentionne» et «qu’il en résulte qu’une succession de contrats de travail à durée déterminée, sans délai de carence, n’est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l’un des motifs prévus limitativement par l’article L. 1244-4 du Code du travail». Le premier contrat ayant été conclu «en raison d’un accroissement temporaire d‘activité de l’entreprise, soit pour un motif non prévu à l’article L. 1244-4 du Code du travail, […] un délai de carence répondant aux exigences de l’article L. 1244-3 du même Code devait être observé avant conclusion d’un second contrat de travail à durée déterminée pour remplacement d’un salarié».
II - L’interprétation restrictive des dérogations à la prohibition des CDD successifs
Une solution classique. La solution n’est pas nouvelle. En effet, la Chambre sociale juge depuis la fin des années 1980 que la succession de contrats sans délai de carence n’est permise que «si chacun des contrats a été conclu pour l’un des motifs» énoncés par le législateur, ce que les juges du fond sont appelés à vérifier [3].
Il n’est ainsi pas autorisé de conclure, sans délai de carence, un contrat saisonnier pour succéder à un contrat pour surcroît temporaire d’activité, le premier cas de recours ne faisant pas exception au principe [4]. De la même manière, un contrat pour remplacer un salarié absent ne peut succéder immédiatement à un contrat conclu pour accroissement temporaire d’activité [5]. La règle s’applique aussi bien à la succession de contrats avec un même salarié et de contrats sur un même poste de travail.
Le manque de clarté des textes. Si la solution est constante, l’interprétation des textes du Code du travail doit être interrogée. En effet, pris à la lettre, les articles L. 1244-1 et L. 1244-4 du Code du travail suggèrent une autre lecture.
Le premier dispose que l'article L. 1243-11 ne fait «pas obstacle à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu dans l'un des cas suivants […]» [6]. Le singulier incite à penser que seul l’un des contrats successifs doit répondre aux exceptions listées par le texte. La régularité du premier contrat n’étant pas en cause lorsque l’employeur prend la décision de conclure un nouveau contrat, il semble logique que «le» contrat envisagé par le texte soit le deuxième contrat conclu.
Le second fait également usage du singulier pour exclure l’application du délai de carence. Chaque exception s’applique «lorsque le contrat […] est conclu pour […]».
Le choix d’une interprétation restrictive. Deux arguments militent toutefois en faveur de la solution classiquement retenue par la Chambre sociale.
D’abord, une circulaire ministérielle du 30 octobre 1990 [7], relative à l’interprétation de la loi n° 90-613 du 12 juillet 1990 (N° Lexbase : L7967GTA), favorisant la stabilité de l'emploi par l'adaptation du régime des contrats précaires, dont sont issues ces dispositions, envisage la question de la succession et penche pour cette interprétation.
L’article 2.6.1, in fine, de la circulaire énonce, en effet, que «la conclusion de contrats de travail à durée déterminée ou de contrats de travail temporaire successifs sur un même poste de travail n'est licite qu'à la condition que chacun des contrats en cause soit conclu pour l'un des motifs permettant une telle succession». La force de cette interprétation administrative est toutefois relativement faible. Par elle-même, puisque les circulaires ne lient aucunement l’interprétation du juge judiciaire, mais également par son contenu, puisque l’administration se réfère expressément aux décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendues à la fin des années 1980 pour appuyer son interprétation. La décision du 10 octobre 2018 reste donc la conséquence d’une interprétation prétorienne et non administrative.
Ensuite, et cela a sans doute bien davantage de poids, peut être avancé un argument de stricte logique juridique. Les exceptions doivent, en principe, être interprétées strictement. Or, le régime de la succession des CDD répond doublement à une logique exceptionnelle. Primo, le régime du CDD fait exception à la forme normale et générale d’emploi qu’est le CDI et c’est donc l’ensemble de ce régime qui doit être interprété strictement [8]. Secundo, la possibilité de faire succéder des CDD dans certains cas est exceptionnelle du principe interdisant cette succession. Les textes ne précisant pas expressément que seul le cas de recours au nouveau contrat doit être apprécié pour déterminer si un délai de carence doit être respecté, il n’y a pas lieu d’exclure l’appréciation du cas de recours du premier contrat ce qui constituerait une interprétation extensive de l’exception.
L’incidence des ordonnances du 22 septembre 2017. Le régime juridique du renouvellement et de la succession de CDD a été substantiellement réformé par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7629LGN) [9]. Le nouvel article L. 1244-4 du Code du travail dispose, en particulier, qu’«une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir les cas dans lesquels le délai de carence prévu à l'article L. 1244-3 n'est pas applicable».
L’accord collectif de branche pourra modifier la liste des cas de recours qui dispensent du respect du délai de carence, soit en la restreignant, soit en l’allongeant. Dans un cas de figure comme dans l’autre, on peut penser que l’interprétation de la Chambre sociale ne s’en trouvera pas modifiée. En effet, que la source établissant la liste de ces cas de recours soit légale ou conventionnelle ne change rien à l’affaire : le non-respect du délai de carence demeure exceptionnel.
Les partenaires sociaux des branches pourront-ils aller plus loin et ne pas se contenter d’envisager des cas de recours exceptionnels différents de ceux prévus à titre supplétif par l’article L. 1244-4-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8024LGB) ? Plus précisément, pourront-ils prévoir que seul le cas de recours du second contrat doit être examiné pour déterminer si le délai de carence est ou non applicable ? Tout sera, une nouvelle fois, question d’interprétation, selon des directives finalement très proches de celles qui viennent d’être évoquées.
Littéralement, le texte ne vise pas les «cas de recours» mais seulement les «cas» dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable. Si toutefois la Chambre sociale de la Cour de cassation maintient une interprétation restrictive des textes du Code du travail en la matière, seuls les cas de recours pourraient être aménagés par accord collectif.
Décision
Cass. soc., 10 octobre 2018, n° 17-18.294, FS-P+B (N° Lexbase : A3251YGI)
Cassation (CA Paris, Pôle 6, 10ème ch., 6 avril 2016, n° 13/00490 N° Lexbase : A4087RCD)
Textes visés : C. trav., art. L. 1244-3 (N° Lexbase : L8110LGH) et art. L. 1244-4 (N° Lexbase : L8109LGG), ensemble l’article L. 1245-1 du même Code (N° Lexbase : L5747IA4).
Lien base : (N° Lexbase : E0821GAN). |
[1] Ces exceptions légales demeurent après les ordonnances, mais deviennent supplétives de l’accord collectif de branche qui peut naturellement en restreindre la liste mais aussi l’étendre.
[2] Dans sa rédaction applicable aux faits.
[3] Cass. soc., 16 juillet 1987, n° 84-45.111, publié (N° Lexbase : A3171AB3) ; Cass. soc., 20 octobre 1988, n° 85-42.436, inédit (N° Lexbase : A9472AA3).
[4] Cass. soc., 10 mai 2006, n° 04-42.076, F-P+B (N° Lexbase : A3750DPL) ; Dr. soc., 2006, p. 1046, obs. C. Roy-Loustaunau ; JCP éd. S, 2006, p. 1692, note F. Bousez.
[5] Cass. soc., 30 septembre 2014, n° 13-18.162, FS-P+B (N° Lexbase : A7914MXE).
[6] Souligné par nous.
[7] Circulaire DRT n° 90/18 du 30 octobre 1990, relative au contrat de travail à durée déterminée et travail au temporaire (N° Lexbase : L2859AIQ), BO/TR 90/24.
[8] C. trav., art. L. 1221-2 (N° Lexbase : L8930IAY).
[9] V. notre étude, CDD, contrat de mission, contrat de chantier, Dr. soc., 2018, p. 37.
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Réf. : Cass. com., 17 octobre 2018, n° 17-21.857, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3858YGY)
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N6044BX7
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par Vincent Téchené
Le 24 Octobre 2018
► La consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération pour l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée n’est pas modifié par les stipulations qui interdisent au créancier le recours à certaines procédures d’exécution forcée. Ainsi l’impossibilité pour la banque d’appréhender le bien immobilier de la caution ne l’exclut pas du périmètre de son actif pour apprécier la proportionnalité de son engagement ;
► Par ailleurs, la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution.
Tel est le sens d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 octobre 2018 (Cass. com., 17 octobre 2018, n° 17-21.857, FS-P+B+I N° Lexbase : A3858YGY).
En l’espèce, appelée en paiement, la caution d’un prêt a opposé à la banque créancière la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus. La caution ayant été condamnée (CA Versailles, 4 mai 2017, n° 15/06550 N° Lexbase : A5420WBD), elle a formé un pourvoi en cassation. Elle reprochait, notamment, à l’arrêt d’appel d’inclure sa résidence principale dans le périmètre de son actif, alors que l’acte de prêt prévoyait que ce bien immobilier ne pouvait être appréhendé par la banque pour le remboursement de sa créance.
Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation approuve sur ce point l’arrêt d’appel mais le censure dès lors que la cour d’appel n’a pas répondu aux conclusions de la caution qui faisait valoir qu’un autre de ses créanciers lui réclamait, en sa qualité de caution, le paiement d’une certaine somme (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E2227GAQ).
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Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 15 octobre 2018, n° 417228, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3757YGA)
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N6041BXZ
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par Yann Le Foll
Le 24 Octobre 2018
► Un éditeur de service radiophonique n’a pas le pouvoir de prohiber sur son antenne toute critique des principes et des valeurs républicains. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 15 octobre 2018 (CE 5° et 6° ch.-r., 15 octobre 2018, n° 417228, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3757YGA).
Un intervenant a exprimé de manière polémique sur une antenne de radio son point de vue sur la prohibition des discriminations, telle qu'interprétée, selon lui de manière extensive, par les juridictions aux Etats-Unis et en France, auxquelles il a reproché de rendre impossible toute différence de traitement. Cette prise de parole intervenait dans le cadre d'une émission quotidienne à laquelle sont invités des chroniqueurs de différentes opinions et dont le titre même invite les auditeurs à ne la recevoir qu'en tenant compte de son caractère polémique.
Eu égard au principe précité, c’est donc à tort que le CSA a estimé pouvoir relever une méconnaissance des obligations résultant de l'article 2-4 de la convention relative au service RTL et adresser en conséquence à la société requérante une mise en demeure.
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newsid:466041
Réf. : Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 17-17.985, FS-P+B (N° Lexbase : A9932YGX)
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N6125BX7
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par Blanche Chaumet
Le 25 Octobre 2018
► Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement ; il ne lui appartient pas, en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) à L. 1152-3 du Code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail ; ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. Le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur ; il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 17 octobre 2018 (Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 17-17.985, FS-P+B N° Lexbase : A9932YGX ; voir également Cass. soc., 27 novembre 2013, n° 12-20.301, FS-P+B+R N° Lexbase : A4722KQX et Cass. soc., 11 juillet 2016, n° 14-29.870, FS-D N° Lexbase : A2028RXE).
En l’espèce, engagé le 1er juillet 2001 par une société d'expertise comptable en qualité d'assistant confirmé, un salarié a exercé les fonctions de conseiller du salarié à compter de mars 2012 et s'est présenté comme candidat aux élections des délégués du personnel en avril 2015. Suivant autorisation de l'inspecteur du travail en date du 10 octobre 2015 confirmée le 27 mai 2016 par le ministre du Travail, il a été licencié le 12 octobre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Le 17 avril 2014, il avait saisi la juridiction prud'homale en résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquement de l'employeur à diverses obligations, dont l'obligation de sécurité.
La cour d’appel (CA Nîmes, 14 mars 2017, n° 15/03392 N° Lexbase : A4559WPK) ayant considéré la juridiction prud'homale incompétente pour statuer sur la demande de résiliation judiciaire du salarié, ce dernier s’est pourvu en cassation.
En énonçant la seconde règle susvisée, la Haute juridiction rejette le premier moyen du pourvoi du salarié en ce qu'il vise la demande de résiliation judiciaire mais y fait droit en ce qu'il vise les dommages-intérêts au titre d'un licenciement abusif et l'indemnité compensatrice de préavis (sur le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre d’une altercation entre deux collègue dans le même arrêt, voir N° Lexbase : N6098BX7 (cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9578ESK).
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Réf. : CEDH, 18 octobre 2018, Req. 80018/12, T. c/ France (N° Lexbase : A6697YG7)
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N6065BXW
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par June Perot
Le 24 Octobre 2018
► L’intervention d’un président de la République en fonction dans une procédure pénale ouverte pour des faits d’escroquerie en bande organisée, n’a pas pour effet de créer un déséquilibre dans les droits des parties et le déroulement de la procédure ;
► La Cour européenne des droits de l’Homme relève que la participation d’une personnalité ayant un rôle institutionnel dans le déroulement de la carrière des juges est en effet susceptible de créer un doute légitime sur l’indépendance et l’impartialité de ceux-ci ; toutefois, elle juge qu’après examen, du mode de nomination des magistrats, de leur condition statutaire et des circonstances particulières de l’affaire en question, il n’y aucun motif permettant de constater que les juges appelés à statuer sur la cause n’étaient pas indépendants au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR).
Telle est la solution d’un arrêt de chambre rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme en date du 18 octobre 2018 (CEDH, 18 octobre 2018, Req. 80018/12, T. c/ France N° Lexbase : A6697YG7).
En septembre 2008, la banque Société générale avait déposé plainte contre X pour faux, usage de faux et escroquerie, à la suite de la contestation d’opérations bancaires par M. Nicolas S. alors président de la République en exercice.
Les trois auteurs opéraient de la façon suivante : l’un d’eux se procurait des RIB, puis, un deuxième, employé d’une entreprise sous-traitante de Canal +, se chargeait de recopier les coordonnées bancaires de certains abonnés. Ils ouvraient ensuite des abonnements dans des magasins de téléphonie, en comptant sur des vendeurs peu regardants sur la procédure d’ouverture de ligne, pour lesquelles ils étaient largement commissionnés. Ils pouvaient ainsi se procurer des téléphones haut de gamme à un coût moindre. Ils procédaient ensuite à une dissociation de la carte SIM et du téléphone, pour alimenter un marché parallèle. Au total, ils avaient ouvert près de 150 lignes. M. Nicolas S. avait, pour sa part, été victime d’un préjudice s’élevant à 176 euros, correspondant à quatre écritures bancaires.
En octobre 2008, le procureur de la République avait ouvert une information judiciaire des chefs d’escroquerie en bande organisée. Au cours de l’instruction, M. Nicolas S., alors président en exercice, s’était constitué partie civile. Le juge d’instruction avait ordonné le renvoi du requérant et de six autres individus devant le tribunal correctionnel. Il leur était reproché d’avoir obtenu l’ouverture de lignes téléphoniques, la remise de téléphones portables et le paiement des abonnements, en utilisant des références bancaires appartenant à des tiers. Devant le tribunal, le requérant souleva l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de M. Nicolas S.. En juillet 2009, le tribunal déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à un an d’emprisonnement. Il jugea la constitution de partie civile de M. Nicolas S. recevable, au nom du droit d’accès à un tribunal mais sursit à statuer sur sa demande de dommages et intérêts. En janvier 2010, la cour d’appel de Versailles réforma le jugement et condamna le requérant à huit mois d’emprisonnement. Sur l’action civile, elle condamna le requérant à indemniser M. S.. Le requérant avait alors formé un pourvoi en cassation et demandé, entre temps, à la Cour de cassation de soumettre au Conseil constitutionnel une QPC relative à la compatibilité de l’article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9908IQZ) avec le respect de la séparation des pouvoirs et des droits de la défense, ainsi que du droit à un procès équitable. En novembre 2010, la Cour de cassation décida de ne pas renvoyer la QPC au motif que la question n’était pas nouvelle et ne présentait pas un caractère sérieux en ce qu’elle soulevait, en réalité, une question qui relève de l’office du juge judiciaire (Cass. QPC, 10 novembre 2010, n° 10-85.678, F-P+B N° Lexbase : A9148GGW).
En juin 2012, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation considéra que le Président de la République, en sa qualité de victime, était recevable à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat. Elle estima que le prévenu ne démontrait pas avoir souffert d’une atteinte portée par les institutions françaises au droit au procès équitable dès lors que la seule nomination des juges par le Président de la République ne crée pas pour autant une dépendance à son égard et que chacune des parties avait pu présenter ses arguments et discuter ceux de son adversaire tout au long de l’instruction préparatoire et des débats devant le tribunal puis devant la cour d’appel (Ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, P+B+R+I N° Lexbase : A8936INB). La Cour de cassation cassa avec renvoi l’arrêt d’appel en ce qui concerne le défaut de motivation de la peine d’emprisonnement ferme prononcée à l’encontre du requérant. En janvier 2014, la cour d’appel de Versailles infirma la peine prononcée à l’encontre du requérant et le condamna à dix mois d’emprisonnement avec sursis.
Le requérant avait alors saisi la CEDH, se plaignant que la constitution de partie civile du président de la République rompait l’égalité des armes et portait atteinte au droit à un tribunal indépendant et impartial.
Enonçant la solution susvisée, la Cour juge que cette constitution de partie civile n’a pas violé le droit du requérant à un procès équitable (cf. l’Ouvrage «Procédure pénale» N° Lexbase : E1924EUS).
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Réf. : CE 10° et 9° ch.-r., 18 octobre 2018, n° 407943, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6616YG7)
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N6082BXK
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par Marie-Claire Sgarra
Le 24 Octobre 2018
►Eu égard à la sanction qui, par l'effet des dispositions de l'article L. 69 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8559AEQ), est attachée au défaut de production par le contribuable, des justifications qui lui sont demandées sur le fondement de l'article L. 16 (N° Lexbase : L0114IW7) du même livre, dans le délai assigné qui, en vertu de son article L. 16 A (N° Lexbase : L8513AEZ), ne peut être inférieur à deux mois, il appartient à l'administration, dans le cas où, avant l'expiration du délai de réponse qu'elle avait fixé, des documents utiles à cette réponse sont saisis à son domicile dans le cadre d'une visite autorisée sur le fondement de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L3180LCR), d'accorder au contribuable un délai de réponse complémentaire à compter de la restitution de ces documents, égal au moins à la durée qui restait à courir pour produire ces justifications au moment où les documents ont été saisis.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 18 octobre 2018 (CE 10° et 9° ch.-r., 18 octobre 2018, n° 407943, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6616YG7).
En l’espèce, le requérant a fait l’objet d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle qui a portée sur les années 2003 à 2005. Il a été taxé d’office, au titre de l’année 2004, dans la catégorie des revenus d’origine indéterminée. Le requérant se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative de Marseille (CAA Marseille, 20 décembre 2016, n° 14MA05082 N° Lexbase : A8876S37) qui a rejeté l’appel qu’il avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Nice qui n’avait pas intégralement fait droit à sa demande.
Il ressort de l’arrêt que l’administration a adressé au requérant une demande de justifications sur l’origine de sommes portées au crédit de ses comptes bancaires au cours de l’année 2004. Avant l’expiration du délai de réponse de deux mois qui lui avait été accordé, l’administration a, le 30 mai 2017, dans le cadre de la visite du domicile du contribuable, saisi des documents. Ne contestant pas que ces derniers étaient utiles à la réponse du requérant, l’administration lui a accordé un délai supplémentaire de sept jours courant à compter de la restitution des documents. Le Conseil d’Etat juge que la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que ce délai complémentaire respectait les garanties de procédures prévues par l’article L. 16 A du Livre des procédures fiscales (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X8700ALS).
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Réf. : CJUE, 18 octobre 2018, aff. C-149/17 (N° Lexbase : A6565YGA)
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N6072BX8
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par Vincent Téchené
Le 24 Octobre 2018
► Le détenteur d’une connexion à internet, par laquelle des atteintes aux droits d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers, ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en désignant simplement un membre de sa famille qui avait la possibilité d’accéder à cette connexion. Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la CJUE le 18 octobre 2018 (CJUE, 18 octobre 2018, aff. C-149/17 N° Lexbase : A6565YGA).
Dans cette affaire, une maison d’édition allemande demande à une personne une indemnisation pécuniaire parce qu’un livre audio sur lequel elle détient les droits d’auteur et droits voisins a été partagé, pour être téléchargé, avec un nombre illimité d’utilisateurs d’une bourse d’échanges sur internet (peer-to-peer) au moyen de la connexion à internet le défendeur est le détenteur. L’intéressé fait valoir que ses parents, qui vivent sous le même toit que lui, avaient également accès à cette connexion, sans donner toutefois davantage de précisions quant au moment où ladite connexion a été utilisée par ses parents et à la nature de cette utilisation.
Saisie d’une question préjudicielle, la CJUE répond que le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale, en vertu de laquelle le détenteur d’une connexion à internet, par laquelle des atteintes aux droits d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers, ne peut voir sa responsabilité engagée dès lors qu’il désigne un membre de sa famille, qui avait la possibilité d’accéder à cette connexion, sans donner davantage de précisions quant au moment où ladite connexion a été utilisée par le membre de sa famille et à la nature de cette utilisation.
Selon la Cour, il convient de trouver un juste équilibre entre différents droits fondamentaux, à savoir le droit à un recours effectif et le droit de propriété intellectuelle, d’une part, et le droit au respect de la vie privée et familiale, d’autre part. Un tel équilibre fait défaut lorsqu’il est accordé une protection quasi absolue aux membres de la famille du titulaire d’une connexion à internet, par laquelle des atteintes aux droits d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers. En effet, si la juridiction nationale saisie d’une action en responsabilité ne peut pas exiger, sur requête du demandeur, des preuves relatives aux membres de la famille de la partie adverse, cela revient à rendre impossible l’établissement de l’atteinte aux droits d’auteur alléguée, ainsi que l’identification de l’auteur de cette atteinte. Par voie de conséquence, cela aboutirait à porter une atteinte caractérisée au droit fondamental à un recours effectif et au droit fondamental de propriété intellectuelle, dont bénéficie le titulaire des droits d’auteur.
Il en irait toutefois différemment si, en vue d’éviter une ingérence jugée inadmissible dans la vie familiale, les titulaires des droits pouvaient disposer d’une autre forme de recours effectif, par exemple en pouvant, dans ce cas, faire établir en conséquence la responsabilité civile du titulaire de la connexion Internet en cause. En outre, il appartient au juge national de vérifier l’existence, le cas échéant, dans le droit interne concerné, d’autres moyens, procédures et voies de recours qui permettraient aux autorités judiciaires compétentes d’ordonner que soient fournis les renseignements nécessaires permettant d’établir, dans des circonstances telles que celles en cause en l’espèce, l’atteinte aux droits d’auteur ainsi que d’identifier l’auteur de cette dernière.
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Réf. : Cass. com., 10 octobre 2018, n° 16-22.215, FS-P+B (N° Lexbase : A3227YGM)
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N6151BX4
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par Bernard Saintourens, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires
Le 24 Octobre 2018
Evaluation des droits sociaux / Expertise / Ordre public / Clause compromissoire / Abitrabilité
L’arrêt prononcé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 10 octobre 2018, ne manquera pas d’être repéré par les professionnels du droit qui s’impliquent dans les cessions de droits sociaux. La Haute juridiction reprend à son compte la position retenue par la cour d’appel [1], motivant ainsi sa déclaration d’irrecevabilité du pourvoi formé contre l’arrêt d’appel, affirmant que «le caractère d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34) n’exclut pas l’arbitrabilité du litige».
Cette formule, à laquelle il ne faut pas réduire tout l’intérêt du présent arrêt, illustre bien que nous sommes ici dans une hypothèse de confrontation, d’articulation, entre le droit des sociétés et le droit de l’arbitrage, s’agissant du contentieux relatif à une cession de droits sociaux.
Pour tenter de retirer au mieux les enseignements de cette décision, il apparaît indispensable de retracer, dans ses grandes lignes, la situation qui est à l’origine de l’arrêt. Pour s’en tenir à l’essentiel, on retiendra qu’un associé d’une société civile ayant fait l’objet d’une décision d’exclusion, prise par les associés réunis en assemblée générale, contestait la valorisation de ses parts à laquelle avait procédé cette même assemblée. Dans le cadre de cette contestation de la valeur des parts qui devait lui être versée à la suite de son exclusion, il avait assigné la société aux fins de voir désigner un expert en application de l’article 1843-4 du Code civil. Devant le président du tribunal saisi, la société civile a présenté une exception d’incompétence fondée sur une clause compromissoire qui figurait dans les statuts et qui conférait au tribunal arbitral le pouvoir de connaître de tout litige qui pourrait naître à propos de ce rachat de parts sociales, en ce compris un litige relatif à la valeur du remboursement des parts.
Au regard de cette décision d’incompétence prise par le président du tribunal saisi, l’associé avait formé, devant la cour d’appel de Paris, un appel-nullité qui a également été déclaré irrecevable par la juridiction d’appel, par son arrêt du 14 juin 2018 [2]. En déclarant, à son tour, irrecevable le pourvoi formé, la Cour de cassation, en clôturant le parcours devant les juridictions judiciaires mené par l’associé exclu, renvoie vers le tribunal arbitral le soin de statuer sur le contentieux lié à l’évaluation des parts sociales qui doivent être remboursées à l’associé ayant fait l’objet de la décision collective d’exclusion.
Les termes du débat juridique tiennent à ce que l’article 1843-4 du Code civil, pris dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 (N° Lexbase : L1321I4P), prévoit qu’en cas de contestation sur la valeur des droits sociaux, celle-ci est déterminée par un expert désigné «par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible». Dès lors que le caractère d’ordre public de cette disposition est admis (sur ce point, voir infra), la question se posait légitimement de savoir si l’existence d’une convention d’arbitrage prévue en cas de litige relatif à la valorisation des parts sociales faisait obstacle à ce que l’associé concerné fasse usage des dispositions du Code civil pour obtenir la désignation d’un expert qui déterminerait leur valeur.
Pour tenter de prendre la pleine mesure de l’arrêt de la Chambre commerciale, il apparaît qu’il faut dissocier les aspects qui sont en jeu. D’une part, la Haute juridiction retient la compétence du tribunal arbitral malgré les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil (I), mais, d’autre part, l’arrêt laisse entière la question de la décision que le tribunal arbitral devra prendre au regard de ces mêmes dispositions (II).
I - La compétence du tribunal arbitral malgré l’article 1843-4 du Code civil
L’arrêt commenté peut être considéré comme s’inscrivant dans un courant visant à donner son plein effet au principe «compétence-compétence» qui figure à l’article 1448 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2275IPX). Selon les dispositions de ce texte, «lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable». L’article 1465 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2254IP8) vient au renfort de cette règle en affirmant que «le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel».
C’est bien en contemplation de ce principe que s’étaient positionnés les juges du fond et leur démarche est validée par la Cour de cassation.
En premier lieu, l’arrêt permet de fixer clairement la position selon laquelle, «le caractère d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil n’exclut pas l’arbitrabilité du litige». L’affirmation repose sur la reconnaissance, admise en jurisprudence comme en doctrine [3], que l’article 1843-4 du Code civil, avant comme après la modification de son contenu par l’effet de l’ordonnance du 31 juillet 2014, est bien une règle d’ordre public.
En second lieu, ce n’est pas parce que cette disposition est d’ordre public qu’elle emporte, par elle-même, l’incompétence du tribunal arbitral. Dans l’affaire examinée, la clause compromissoire conférait au tribunal arbitral le soin de statuer sur tout litige qui pourrait naître à propos du remboursement des parts sociales, en ce compris l’évaluation desdites parts, faisant suite à l’exclusion de l’associé. En jugeant que «la circonstance que cette clause accorde aux arbitres le pouvoir de procéder eux-mêmes à cette évaluation et de trancher le litige, contrairement au pouvoir de l’expert nommé en application de l’article 1843-4 du Code civil d’évaluer sans trancher, ne la rend pas manifestement inapplicable ou nulle», l’arrêt retient une position de nature à préserver la compétence de principe de la juridiction arbitrale. Certes, il pourrait être considéré qu’il y a une contradiction entre la stipulation de la clause compromissoire, qui confère au tribunal arbitral le pouvoir de déterminer la valeur des parts sociales alors même qu’il y aurait sur ce point une contestation entre les parties, et l’article 1843-4 qui réserve à l’expert, désigné dans les conditions prévues par ce texte, le pouvoir exclusif de déterminer cette valeur. Pour autant, cette situation n’est pas jugée comme rattachant la clause compromissoire à l’hypothèse, prévue à l’article 1448 du Code de procédure civile, d’une convention «manifestement nulle ou manifestement inapplicable».
Cette position est conforme à la jurisprudence qui ne retient la nullité manifeste qu’en présence d’atteinte évidentes au périmètre légal de l’arbitrage, notamment en matière d’état ou de la capacité des personnes ou à propos d’un contrat de travail [4], ou de violation de dispositions propres au droit de l’arbitrage, notamment si le compromis d’arbitrage ne détermine pas l’objet du litige (C. proc. civ., art. 1445 N° Lexbase : L2263IPI).
En l’espèce, si le contenu de la convention d’arbitrage en cause peut poser des difficultés d’articulation avec l’article 1843-4 du Code civil, cela n’évince pas la compétence du tribunal arbitral qui, une fois saisi du litige, devra procéder à l’examen des questions qui seront soulevées, s’agissant de son pouvoir juridictionnel, au regard des dispositions de cet article du Code civil, en ce qui concerne la détermination de la valeur des parts sociales qui doivent être remboursées à l’associé ayant fait l’objet de la décision d’exclusion.
En pratique, on pourra retenir qu’une convention d’arbitrage peut conférer au tribunal arbitral le pouvoir de connaître d’un litige portant, entre autres points, sur l’évaluation de droits sociaux, en contrariété avec l’article 1843-4 du Code civil, sans que cela conduise à retenir l’incompétence de ce tribunal.
II - La décision du tribunal arbitral au regard de l’article 1843-4 du Code civil
L’arrêt commenté comporte également, par voie de conséquence, un aspect qu’il convient, nous semble-t-il, de ne pas passer sous silence. Certes, l’existence de l’article 1843-4 du Code civil est jugée comme n’écartant pas la compétence du tribunal arbitral, mais cela ne veut pas dire que la juridiction arbitrale est pour autant débarrassée de ce texte. On pourrait considérer, pour faire image, qu’il risque bien de jouer le même rôle que le sparadrap au doigt du capitaine Haddock [5].
La Cour de cassation, s’appuyant sur la position adoptée par la juridiction d’appel, mentionne bien, en effet, que les questions liées à cet article «relevaient de l’examen par la juridiction arbitrale de sa propre compétence». En d’autres termes, la Haute juridiction, sans faire part de sa position sur ce point, confirme qu’il appartient au tribunal arbitral de statuer sur sa propre compétence s’agissant de fixer lui-même la valeur des parts sociales, ou bien de laisser place à l’application de l’article 1843-4 du Code civil et, dès lors, de laisser aux parties le soin de saisir le juge étatique compétent pour qu’il procède à la désignation de l’expert prévu par ce texte.
Sur le terrain jurisprudentiel, on pourra utilement se référer à un arrêt de la cour d’appel de Paris, en date du 21 mai 1996 [6] qui, s’appuyant sur une assimilation de l’arbitre à une juridiction retient qu’il appartient au tribunal arbitral de permettre la désignation de l’expert, sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, dès lors que l’on se situe dans son champ d’application et qu’une partie en sollicite le bénéfice.
Compte tenu de l’assimilation qui est faite entre le tribunal arbitral et une juridiction étatique, il apparaît logique que le tribunal arbitral ne puisse pas fixer lui-même la valeur des droits sociaux, dès lors qu’il y a une contestation à ce propos, comme cela a été interdit pour le juge [7]. La position stricte de la jurisprudence à ce propos conduit d’ailleurs à juger que c’est le président du tribunal qui doit nommer l’expert de l’article 1843-4 du Code civil et non point le tribunal [8].
Le tribunal arbitral est soumis, comme toute juridiction, au droit positif, et singulièrement aux dispositions d’ordre public, dès lors que, comme l’exprime l’article 1478 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2241IPP), «le tribunal arbitral tranche le litige conformément aux règles de droit». Il devrait donc se déclarer incompétent pour déterminer la valeur des parts sociales de même que pour procéder à la désignation de l’expert, tel qu’il est mentionné à l’article 1843-4 du Code civil, et, en conséquence, renvoyer la partie intéressée à saisir à cette fin le président du tribunal de grande instance ou de commerce, selon qu’il s’agit d’une société civile ou commerciale [9].
L’hypothèse d’une convention d’arbitrage qui prévoirait que les parties ont confié au tribunal arbitral «la mission de statuer en amiable compositeur», comme l’envisage l’article 1478 du Code de procédure civile précité, doit toutefois être réservée. La faculté pour le tribunal arbitral de fonder sa sentence sur l’équité pourrait laisser place à une intervention directe de sa part, s’agissant de l’évaluation des droits sociaux, et à la mise à l’écart de l’article 1843-4 du Code civil. Certes, la jurisprudence considère que les arbitres, lorsqu’ils agissent en amiables compositeurs, sont tenus de respecter les règles de fond tenant à l’ordre public fondamental concernant, par exemple, la règlementation des prix [10] ou celle des douanes [11] ou encore la législation des baux commerciaux [12], mais il n’est pas sûr que l’article 1843-4 du Code civil puisse se voir reconnaître un caractère d’ordre public d’une intensité comparable. Le tribunal arbitral, statuant en amiable composition, devra donc prendre parti sur ce point. Soit, il considèrera que sa mission lui permet de passer outre la désignation de l’expert prévue par l’article 1843-4 du Code civil et de déterminer la valeur des droits sociaux, soit il estimera que son caractère d’ordre public est tel qu’il s’impose dans l’instance arbitrale et que, si l’une des parties l’invoque, il devra y faire droit et permettre la saisine du président du tribunal compétent afin qu’un expert soit nommé.
[1] CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 14 juin 2016, n° 15/10947 (N° Lexbase : A8264RSU)
[2] CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 14 juin 2016, n° 15/10947, préc..
[3] V. not. Cass. com. 4 décembre 2012, n° 10-16.280, F-P+B (N° Lexbase : A5686IYA), Dr. Sociétés, 2013, n° 41, obs. R. Mortier ; JCP éd. E, 2013, 1000, note B. Dondéro et 115, note A. Garnier
[4] V. Cass. soc., 30 novembre 2011, FS-P+B (N° Lexbase : A4699H3G), Bull. civ. V, n° 277.
[5] L’affaire Tournesol, Hergé, éd. Casterman, 1956, p. 46.
[6] CA Paris, 1ère ch., sect. A, 21 mai 1996, n° 9/25296 (N° Lexbase : A1276DBU), Rev. Sociétés, 1996, p. 850, note Y. Guyon ; JCP éd. E, 1996, 589, n° 5, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; Dr. soc., 1996, n° 163. Sur cet arrêt, v. aussi J.-J. Daigre, Le juge et l’arbitre face aux dispositions de l’article 1843-4 du Code civil, Bull. Joly Sociétés, 1996, p. 789.
[7] V. Cass. civ. 1, 20 décembre 2007, n° 04-20.696, F-P+B (N° Lexbase : A1150D3Y), Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 214 ; Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-19.459, F-D (N° Lexbase : A0656EBW), Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 568, note F.-X. Lucas.
[8] V. Cass. civ. 3, 28 mars 2012, n° 10-26.531, FS-P+B (N° Lexbase : A9931IGW), Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 573, note F.-X. Lucas ; Rev. Sociétés, 2012, p. 363, note J. Moury ; Dr. Sociétés, 2012, n° 95, note R. Mortier
[9] V. décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, art. 17 N° Lexbase : L1376AIS).
[10] Cass. civ. 2, 20 décembre 1965, Rev. Arb. ; 1966, p. 16.
[11] Cass. com., 4 mars 1980, Rev. Arb., 1981, p. 135, note Ph. Fouchard.
[12] Cass. civ. 2, 13 décembre 1978, Rev. Arb., 1979, p. 359.
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Réf. : CA de Douai, 20 septembre 2018, n° 17/02071 (N° Lexbase : A4063X7M)
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 24 Octobre 2018
Par cette décision en date du 20 septembre 2018, la cour d’appel de Douai estime qu’une SCI ne mérite pas de recevoir la qualité d’assujettie à TVA dans la mesure où elle n’a fait qu’exercer son droit de propriété en procédant aux mutations à la source du litige.
Ce non assujettissement à la TVA s’explique par le fait que la SCP a agi à titre privé, dans le cadre de la gestion de son patrimoine. Les ventes par elle réalisées résultent ainsi de la simple propriété du bien et ne constituent pas la contrepartie d’une activité économique ; s’ensuit une absence de soumission au régime de TVA. Si la SCP a bien donné à une SCP de notaires un mandat de vente (sans exclusivité), cela ne s’est pas traduit par une «démarche active de commercialisation foncière».
L’immeuble litigieux a été acquis dans une «pure démarche patrimoniale» avec la finalité de valoriser la propriété immobilière ; de plus, n’ont aucunement été mobilisés des moyens permettant de se placer en concurrence avec les professionnels du secteur immobilier. Telle est la première idée qu’il est loisible de faire émerger de la décision de la cour d’appel de Douai. La question du non assujettissement à TVA doit être reliée à l’autre enjeu de ce contentieux, à savoir le (non) manquement fautif de la SCP de notaires ayant œuvré lors des ventes concernées.
Les requérants estimaient que la SCP avait manqué à son devoir de conseil et commis des fautes de nature à engager sa responsabilité. Plus précisément, il revenait à la SCP de notaires d’attirer l’attention de leur client quant aux conditions d’application de l’article 257 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9308LH9) et sur le risque d’application du régime de la TVA immobilière sur l’opération de rénovation immobilière entreprise. La cour d’appel écarte les griefs tirés d’un prétendu défaut d’information et de conseil de la part de la SCP de notaires, y compris en ce qui concerne le risque de voir les mutations assujetties à TVA. Le devoir d’information et de conseil «ne s’étend pas à un régime fiscal qui n’avait pas vocation à s’appliquer». Par cette décision, la cour d’appel de Douai infirme le jugement du tribunal de grande instance de Lille du 30 novembre 2016, en ce qui concerne et l’assujettissement à TVA et la responsabilité de la SCP de notaires.
Retour aux faits. Un immeuble à usage d'habitation -sinistré à cause d'un incendie passé- est acquis en 2012 par acte sous seing privé, le compromis prévoyant qu'une SCI, la SCI BBAK, se substitue aux deux acquéreurs initiaux. Cette vente a été réitérée en la forme authentique suivant acte reçu par un notaire, associé de son état. Après rénovation, l'immeuble acquis est vendu en 2013 par la SCI, et ce en deux temps ; les deux ventes voient l'intervention du même officier public, toujours notaire de son état. L'administration estime -sur le fondement de l'article 257 du Code général des impôts- que les ventes méritent soumission à la TVA immobilière, et non aux droits d'enregistrement. Pour l'administration, la vente porte sur un immeuble neuf (ou considéré comme tel) ; le prix de vente pratiqué par la SCI devait alors s'entendre toutes charges comprises, à charge pour la cédante de reverser à l'Etat la TVA collectée. Il convient de noter -et la remarque n'est pas négligeable au regard de ce qui suit- que la SCI règle la TVA collectée au titre des deux ventes (sans parler des rappels d'impôts, majorations, pénalités de recouvrement). Puis, la SCI assigne la SCP de notaires devant le tribunal de grande instance de Lille. Selon la SCI, la SCP -alors même qu'elle disposait des informations nécessaires pour envisager un risque d'application du régime de TVA immobilière en vertu de l'article 257 du Code général des impôts- n'aurait pas conseillé de manière idoine son client. En soumettant les deux mutations au régime de droit commun, la SCP aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Cette faute aurait généré un préjudice pour la SCI, préjudice constitué par la perte de chance de conserver l'immeuble pendant 5 ans ; cela lui aurait permis d'échapper -lors de la revente- à l'application du régime de la TVA immobilière.
Le tribunal de grande instance de Lille fait droit à la demande des requérants : la SCP de notaire a commis des manquements fautifs par omission d'information sur le régime fiscal applicable à l'opération immobilière conduite par la SCI. La perte de chance subie correspond -selon le juge de 1ère instance- à un taux de 50 % ; la SCP est condamnée à verser à la SCI la somme de 1000 euros (dommages et intérêts) et de 1500 euros (indemnité de procédure). La SCI interjette appel, estimant que le préjudice par elle subie mérite plus ample réparation. Eu égard à l'ampleur de la rénovation entreprise puis la revente du bien dans un délai de 5 ans, l'opération avait vocation à être soumise de plein droit à la TVA immobilière ; la faute du notaire instrumentaire pour défaut de conseil et d'information serait patente tant il n'a pas éclairé correctement son client. Pour la SCI, un tel manquement est la source -directe- du redressement fiscal : si la SCI avait été informée de manière satisfaisante, jamais -soutiennent les requérants- ils n'auraient procédé si rapidement à la revente de l'immeuble. La seule comparaison des gains prévisibles découlant de la conservation du bien et de sa revente immédiate aurait conduit à prendre une autre décision que celle retenue in fine.
La SCP de notaires rétorque n'avoir point commis de faute. La SCI n'étant pas soumise à TVA -cf. ses statuts- les ventes réalisées et reçues par le notaire n'avaient pas vocation à l'être, en l'absence d'une quelconque activité économique de marchands de biens. Selon la SCP, le raisonnement de l'administration fiscale était erroné et il incombait à la SCI de contester l'assujettissement à TVA. C'est à mauvais droit que l'administration fiscale a invoqué l'article 257 du Code général des impôts, la SCI n'étant qu'un investisseur agissant à titre privé et procédant -de manière occasionnelle- à la vente. Cette opération occasionnelle s'inscrirait dans le cadre d'une démarche uniquement patrimoniale ; quant à la dimension temporelle de l'opération -la rapidité de la revente- la SCP rappelle que cet élément ne saurait -à lui seul- caractériser une opération de marchand de biens. N'ayant pas contesté la position de l'administration fiscale, la SCI serait à l'origine du préjudice qu'elle dénonce, a fortiori précisé qu'elle n'a aucunement donné mandat à la SCP pour engager une telle contestation.
La cour d’appel de Douai infirme, on l'a vu, le jugement du tribunal de grande instance de Lille.
Elle rappelle tout d'abord que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer ses clients (cf. C. civ., art. 1240 du code civil N° Lexbase : L0950KZ9), «notamment quant aux incidences fiscales de l'acte par lequel il prête son concours». Cela emporte la conséquence suivante : le notaire engage sa responsabilité en cas de défaut d'information, qu'il s'agisse du régime fiscal que connaît l'opération ou du choix d'une qualification fiscale non appropriée. Dans l'hypothèse d'une cession d'immeuble, le notaire doit vérifier si le vendeur est -ou non- assujetti à la TVA et s'enquérir des options qu'il a exercées. A la SCI qui recherche la responsabilité délictuelle des notaires -en ce que ces derniers ont instrumenté un acte de vente sous une qualification fiscale donnant lieu à une proposition de rectification- la SCP rétorque par l'invocation de l'article 256 du Code général des impôts.
Par la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, de finances rectificatives pour 2010 (N° Lexbase : L6232IGW), le régime de TVA applicable aux opérations immobilières a été réformé. Des textes applicables, il appert (la cour d’appel utilise joliment une antique formule, «il s'évince») qu'un immeuble est regardé neuf pour l'application de la TVA lorsqu'il n'est pas achevé depuis plus de 5 ans et qu'il résulte de travaux synonymes de remise à neuf d'un immeuble existant. A lire les statuts de la SCI, son objet social consiste : en l'acquisition, l'administration et l'exploitation par bail, sous-location ou autrement de tous immeubles bâtis ou non bâtis dont la société pourrait avoir la propriété ou la jouissance... la réfection, la rénovation, la réhabilitation d'immeubles anciens, ainsi que la réalisation de tous travaux de transformation, amélioration, installations nouvelles conformément à leur disposition... et plus généralement, toutes opérations financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à cet objet et susceptibles d'en favoriser la réalisation, à condition toutefois d'en respecter le caractère civil.
Au-delà de la lecture statique des statuts, la cour d’appel se montre attentive au projet de la SCI tel que développé par l'un des associés dans une attestation de mars 2017, à l'existence d'un imprimé MO de déclaration d'immatriculation, à la souscription d'un prêt hypothécaire sur 20 ans (objet : amélioration à usage d'habitation principale du ou des emprunteurs).
Puis, le juge analyse le comportement même de la SCI : si celle-ci a bien donné mandat de mise en vente à la SCP de notaires, aucune démarche active de commercialisation foncière n'a été entreprise. La SCI a acquis l'immeuble dans une pure démarche patrimoniale, avec volonté de valoriser sa propriété immobilière. De plus, la SCI n'a aucunement mobilisé des moyens afin de se mettre en situation de concurrence avec des professionnels de l'immobilier. Nous sommes en présence d'une SCI exerçant son droit de propriété ; nous ne sommes pas en présence d'une SCI animée par un objectif d'entreprise (ce qui aurait impliqué le développement de certaines diligences pour en tirer un résultat économique). Il s'ensuit que les ventes litigieuses résultent de la simple propriété du bien, que la SCI a agi à titre privé dans le cadre de la gestion de son patrimoine. Conséquence : la SCI n'avait pas la qualité d'assujettie à la TVA agissant en tant que telle au moment des mutations sources du contentieux. En d'autres termes, ces ventes ne constituant pas la contrepartie d'une activité économique, elles n'étaient pas soumises au régime de la TVA. De tout cela, il ressort que le grief tiré d'un défaut d'information de la part de la SCP ne peut être constitué : on ne saurait reprocher aux notaires une erreur d'analyse sur la fiscalité applicable aux deux mutations concernées. Et le raisonnement vaut «y compris en termes de risque», formule qui permet à la cour d’appel de rejeter définitivement les prétentions des requérants. La cour d’appel rappelle les limites du devoir de conseil et d'information des notaires, devoir qui ne s'étend pas à un régime fiscal «qui n'avait pas vocation à s'appliquer».
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Réf. : CJUE, 17 octobre 2018, aff. C-249/17 (N° Lexbase : A3829YGW)
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N6047BXA
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par Marie-Claire Sgarra
Le 24 Octobre 2018
► Les articles 4 et 17 de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (N° Lexbase : L9279AU9), doivent être interprétés en ce sens qu’ils confèrent à une société, telle que celle en cause au principal, qui a l’intention d’acquérir la totalité des actions d’une autre société, en vue d’exercer une activité économique consistant à fournir à cette dernière des prestations de services de gestion soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, le droit de déduire, dans son intégralité, la TVA acquittée en amont afférente aux dépenses relatives à des prestations de services de conseil exposées dans le cadre d’une offre publique d’achat, même s’il s’est avéré que cette activité économique n’a pas été réalisée, pour autant que ces dépenses ont leur cause exclusive dans l’activité économique envisagée.
Telle est la solution retenue par la CJUE dans un arrêt du 17 octobre 2018 (CJUE, 17 octobre 2018, aff. C-249/17 N° Lexbase : A3829YGW).
En l’espèce, au cours de l’année 2006, une compagnie aérienne a lancé une OPA sur la totalité des actions d’une autre compagnie aérienne. Elle a, à cette occasion, exposé des dépenses afférentes aux prestations de services de conseil et autres services en lien avec l’acquisition envisagée. Toutefois, cette opération n’a pu être pleinement réalisée pour des raisons tenant au respect du droit de la concurrence, de telle sorte que la compagnie n’a pu acquérir qu’une partie du capital social de la société cible. Elle a demandé la déduction de la TVA acquittée en amont relative à ces dépenses en faisant valoir que son intention, après qu’elle a pris le contrôle de la société cible, était de s’immiscer dans la gestion de cette dernière en lui fournissant des prestations de services de gestion soumises à la TVA, ce qui lui a été refusé par l’administration fiscale irlandaise. La compagnie a formé un recours contre la décision de rejet devant la juridiction irlandaise. Par décision du 8 mai 2017, parvenue à la Cour le 12 mai 2017, la Cour suprême a sursis à statuer.
Rappelons qu’en France, la juridiction administrative (CAA Nancy, 18 mai 2018, n° 17NC01790 N° Lexbase : A7943XNI) avait admis le maintien de la déductibilité de la TVA récupérée 6 ans auparavant lors de la conclusion d’une vente en l’état futur d’achèvement, dont le contrat a été ultérieurement annulé (l’immeuble nouvellement construit était impropre à la destination pour laquelle il était prévu) (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X4660AL8).
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Réf. : Cons. const., décision n° 2018-740 QPC du 19 octobre 2018 (N° Lexbase : A6698YG8)
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par Yann Le Foll
Le 24 Octobre 2018
► La possibilité pour l'administration, avec l'accord seulement d'une majorité de propriétaires, de remettre en cause le cahier des charges d'un lotissement, n’est pas contraire à la Constitution. Ainsi statue le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 19 octobre 2018 (Cons. const., décision n° 2018-740 QPC du 19 octobre 2018 N° Lexbase : A6698YG8).
En adoptant les dispositions contestées («le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé» figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 442-10 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L9400IZ8), le législateur a entendu faciliter l'évolution, dans le respect de la politique publique d'urbanisme, des règles propres aux lotissements contenues dans leurs cahiers des charges. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
En outre, en application du deuxième alinéa de l'article L. 442-10, la modification permise par les dispositions contestées ne peut concerner l'affectation des parties communes du lotissement.
Enfin, la modification est subordonnée au recueil de l'accord soit de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie du lotissement soit des deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie et l'autorité administrative ne peut prononcer la modification que si elle est compatible avec la réglementation d'urbanisme applicable et que si elle poursuit un motif d'intérêt général en lien avec la politique publique d'urbanisme.
Il en résulte la solution précitée (cf. l’Ouvrage "Droit de l'urbanisme" N° Lexbase : E4799E7U).
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