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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
J'ai la rate qui se dilate, j'ai le foie qu'est pas droit...
J'ai beau essayer de le confiner dans un recoin de ma mémoire, mais cet arrêt ressort toujours inquisiteur, là devant moi...
Alors, j'ai le ventre qui se rentre, j'ai le pylore qui se colore...
C'est qu'en cinq ans, je lui ai demandé de doubler le nombre des revues publiées chaque semaine ; un hebdo en social, un en fiscal et un en privé, c'est bien ; mais pour satisfaire notre lectorat, j'ai ajouté un hebdo en droit public, un en droit des affaires et un sur les professions du droit ; c'était indispensable... non ?
J'ai le gésier anémié, l'estomac bien trop bas...
Puis, j'ai souhaité que l'on traite toute l'actualité juridique avec la meilleure réactivité qui puisse être... Et hop, J+7, internet et numérisation obligent, dit-on !
Et les côtes bien trop hautes, j'ai les hanches qui se démanchent...
Il faut dire que nous n'avions pas vraiment le choix (Monsieur le juge), compte tenu de l'inflation législative et jurisprudentielle, et des exigences légitimes de professionnels au besoin informationnel et doctrinal toujours croissant...
L'épigastre qui s'encastre, l'abdomen qui se démène...
Bon, je reconnais qu'en doublant l'information quotidienne et en multipliant les vecteurs de communication (Lettre juridique, Lexflash, Lexmag), j'ai obligé ma rédaction à se plier à un rythme que l'on peut qualifier pudiquement de soutenu...
Le thorax qui se désaxe, la poitrine qui se débine...
Que pouvais-je y faire ? Avec toute cette "nouvelle matière", originale, pertinente, désormais indispensable à l'élaboration d'un bonne consultation juridique ; tous ces arrêts d'appel désormais accessibles en moins d'une semaine, qui n'attendaient qu'à être sélectionnés, décortiqués, analysés, puis commentés...
Les épaules qui se frôlent, j'ai les reins bien trop fins...
Et puis, la Doctrine, c'est indispensable à la bonne tenue d'une revue juridique ; et un tête à tête avec un avocat sur un sujet qu'il maîtrise ou qui lui tient à coeur, sur lequel il peut s'exprimer avec toute la verve et la simplicité de l'analyse directe et pertinente, c'est nouveau, c'est une manière de rappeler la vivacité d'une Profession créatrice de droit, elle-même...
Les boyaux bien trop gros, j'ai le sternum qui se dégomme...
10... 14... Bientôt 18 encyclopédies juridiques, avec l'arrivée sur les fonts baptismaux d'une base de procédure civile, d'une encyclopédie sur le droit du divorce, d'une base sur le droit de la copropriété et d'une autre sur les régimes matrimoniaux... N'en jetez plus... Si, je vous le concède, encore des nouveautés pour 2012 à prévoir...
Et le sacrum, c'est tout comme, j'ai le nombril tout en vrille
Avec cela, elle doit gérer près d'une centaine d'auteurs à la plume régulière et au verbe parfait, certes, mais tout de même... c'est un orchestre philharmonique qu'il faut mener à la baguette, chaque semaine, avec le même tempo sanctionné par le métronome de la réactivité pour la meilleure information qui soit, au service d'une sécurité juridique indispensable...
Et le coccyx qui se dévisse...
Ah! Bon Dieu ! que c'est embêtant d'être toujours patraque,
Ah Bon Dieu ! que c'est embêtant je ne suis pas bien portant.
Que dit-il, déjà, cet arrêt du 30 juin 2011 rendu par la 12ème chambre du 6ème pôle de la cour d'appel de Paris ?
"Considérant qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il appartient à la victime invoquant la faute inexcusable de l'employeur de prouver que celui-ci, qui avait ou devait avoir conscience du danger auquel elle était exposée, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver [...]".
J'ai les genoux qui sont mous, j'ai le fémur qu'est trop dur...
"Considérant cependant que s'il appartient à l'employeur, dans le cadre de sa mission de bonne gérance de son entreprise, de veiller à la maîtrise permanente des coûts en procédant aux ajustements nécessaires tant sur le plan matériel qu'au niveau du personnel, il lui importe tout autant de contrôler la mise en application de ces dispositions en tenant compte du respect dû aux personnes concernées par ces choix et, de manière générale, de s'assurer que la politique de gestion des ressources humaines est à la hauteur de l'enjeu contenu dans ces termes [...]".
J'ai les cuisses qui se raidissent, les guibolles qui flageolent...
Et le couperet tombe : "Considérant que l'employeur ne peut ignorer ou s'affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et ses conséquences parfois dramatiques pour les salariés qui en sont victimes, pas plus que ne devraient être négligés les aspects positifs d'un travail assumé dans des conditions valorisantes [...]".
J'ai les chevilles qui se tortillent, les rotules qui ondulent...
Bon d'accord, dans cette affaire, le rédacteur en chef d'une société d'édition et de presse, hospitalisé pour un infarctus du myocarde, reconnu comme accident du travail, a été licencié pour inaptitude. Il saisit la justice afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Il estime, en effet, que son accident est lié à une surcharge de travail, la politique générale de réduction des coûts ayant entraîné la suppression d'un poste de pigiste. Et, le constat d'huissier indiquait, tout de même, une augmentation de 41,3 % de la production du salarié sur les six derniers numéros mensuels !!! Je suis certain qu'on n'en est pas encore là... Elle est rompue à tous les sacrifices et à toutes les exigences du métier, non ? Et nous sommes tellement encouragés par nos nouveaux lecteurs...
"Anne-Laure ! On va peut-être reporter la sortie de la base encyclopédique de droit pénal et procédure pénale, non ? Disons... Juin 2012 !"
* Mes remerciements à Gaston Ouvrard et Géo Koger, pour ce large emprunt aux paroles de la chanson Je ne suis pas bien portant, écrites en 1932
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Le 15 Septembre 2011
L'une des règles les plus emblématiques de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR) posait en principe l'extinction de la créance non déclarée dans les délais. Rapidement, la question s'était posée de savoir si le cautionnement pouvait survivre à la disparition de la dette principale. Certains avaient répondu par l'affirmative en considérant que l'extinction de la créance était purement personnelle au débiteur, et non inhérente à la dette (1). De la sorte, se trouvait écartée l'une des règles essentielles du cautionnement : la règle de l'accessoire. La Cour de cassation n'a pas suivi l'analyse en posant l'équation fort connue de tous selon laquelle à créance principale éteinte correspondait un cautionnement éteint (2). Et l'on ne pouvait que souscrire à l'analyse : quoi de plus inhérent à la dette que son existence même (3) ?
L'une des innovations majeures de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150GHT) est d'avoir supprimé la règle de l'extinction de la créance non déclarée. Suivant en cela une doctrine nombreuse (4), la Cour de cassation a estimé, en statuant sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, que la créance non déclarée était inopposable à la procédure collective (5). L'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), anticipant sur la solution qu'allait adopter la Cour de cassation, a elle-même considéré que la créance non déclarée était inopposable. Mais la rédaction du texte est doublement maladroite, en ce que, d'une part, la règle n'a été explicitement posée qu'en phase d'exécution des plans et, d'autre part, vise une chimérique inopposabilité au débiteur. La défectuosité incontestable du texte justifierait sans doute une retouche, afin que le législateur retraduise plus fidèlement sa pensée, qui a priori a été de prévoir une inopposabilité de la créance non déclarée le temps de la procédure, c'est-à-dire en période d'observation et en liquidation judiciaire, relayée par une interdiction des poursuites pendant l'exécution des plans et même après leur complète exécution.
Sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, il faut observer le mutisme du législateur relativement à l'effet de l'absence de déclaration de créance régulière dans les délais, à l'égard des garants du débiteur.
Aucune difficulté ne peut se présenter si les garants ne sont pas accessoires, par exemple des codébiteurs ou des garants autonomes. Sous réserve des restrictions au droit de poursuite à l'encontre des personnes physiques, codébiteurs et garants autonomes, pendant la période d'observation, leur poursuite s'avère possible, indépendamment d'une déclaration de créance au passif du débiteur sous procédure collective.
Mais que décider pour des garants accessoires, telles les cautions ? Telle était la question posée à la Cour de cassation dans l'arrêt du 12 juillet 2011. Cette dernière y répond de la manière la plus nette, dans une décision appelée à la plus large publicité (P+B+I+R) : la sanction de l'inopposabilité à la procédure collective de la créance non déclarée, qui "prive son titulaire des répartitions et dividendes, ne constitue pas une exception inhérente à la dette, susceptible d'être opposée par la caution pour se soustraire à son engagement".
La solution avait déjà été clairement annoncée dans les travaux préparatoires de la loi de sauvegarde. La créance non déclarée régulièrement dans les délais n'étant plus éteinte, il sera possible de poursuivre la caution (6). La solution avait également été largement préconisée en doctrine, de sorte que l'affirmation de la Cour de cassation ne surprendra personne. Ainsi, le principe est-il clair : puisque la créance non déclarée est seulement inopposable à la procédure collective, rien ne s'oppose à ce qu'elle puisse être opposée à une caution, personne morale ou personne physique.
Cela ne signifie pas pour autant que la liberté des poursuites, par le créancier non déclarant, soit totale. Le créancier non déclarant n'aura pas plus de droits que le créancier qui a déclaré sa créance, voire qui a été admis au passif, pour poursuivre une caution personne physique. Or il importe de rappeler que le créancier ne peut, pendant la période d'observation, entamer ou poursuivre une action en paiement contre une caution personne physique. Faute de distinction du texte, qui serait au demeurant illogique, l'interdiction vaut que le créancier ait ou non déclaré sa créance. En revanche, pendant cette même période d'observation, le créancier est en droit de pratiquer des mesures conservatoires contre la caution personne physique. La mesure conservatoire pourra être convertie en mesure définitive, lorsque le créancier aura obtenu la condamnation du débiteur après la période d'observation. Aucune difficulté ne se présente si le débiteur a, à l'issue de la période d'observation, obtenu un plan de redressement ou a été placé en liquidation judiciaire. En revanche, une difficulté sérieuse se présente si le débiteur obtient un plan de sauvegarde : en effet, le garant bénéficie des dispositions du plan, et notamment des délais. Comment le créancier pourra-t-il faire condamner la caution, alors que la dette n'est pas exigible contre elle, du fait des délais du plan ? Tout au plus, la condamnation ne pourra porter que sur la fraction de la dette devenue exigible par l'écoulement du temps, après adoption du plan de sauvegarde, c'est-à-dire le ou les dividendes impayés du plan. En outre, avant même l'adoption du plan de sauvegarde, c'est-à-dire pendant la période d'observation de la sauvegarde, le juge de l'exécution, ou le président du tribunal de commerce en présence d'une créance commerciale, pourrait avoir quelques scrupules à autoriser de pratiquer une mesure conservatoire. La créance est-elle en péril alors que le débiteur principal n'est pas, par hypothèse, en état de cessation des paiements ? Ces problématiques n'avaient pas été aperçues au lendemain de la loi de sauvegarde. Elles deviennent aujourd'hui source de sérieuses interrogations.
Si, sous réserve des règles de protection applicables aux cautions personnes physiques, pendant la période d'observation, le principe demeure celui de la liberté de poursuite de la caution, en dépit de l'absence de déclaration régulière de la créance au passif, cela signifie-t-il, pour autant, que la caution soit totalement désarmée ? Ne peut-elle tenter d'opposer quelques arguments pour sa défense ?
La caution est en droit de bénéficier des dispositions de l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP ; anciennement C. civ., art. 2037 N° Lexbase : L2282AB7), qui prévoit une possibilité de décharge lorsque la subrogation de la caution aux droits préférentiels du créancier ne peut plus s'opérer par le fait de ce dernier. Pour qu'il en soit ainsi, il faut que le créancier se trouve dans une situation différente de celle d'un simple créancier chirographaire, qu'il dispose, sinon d'une sûreté lui accordant un droit de préférence, du moins d'une garantie lui permettant d'obtenir plus sûrement son paiement que s'il était simple créancier chirographaire. Cette solution, que nous avions préconisée, a été adoptée par la Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, qui juge que la décharge de la caution "ne se produit que si cette dernière avait pu tirer un avantage effectif du droit d'être admise dans les répartitions et dividendes, susceptible de lui être transmis par subrogation", ce qui n'est pas le cas lorsque les créanciers chirographaires, au rang desquels figure le créancier cautionné, n'avaient pas été réglés.
Sous l'empire de l'ordonnance du 18 décembre 2008, les solutions ne sont pas purement et simplement reconductibles.
Le projet d'ordonnance, y compris dans sa version avant passage en Conseil d'Etat, ne prévoyait pas de disposition relative au sort de la créance non déclarée dans les rapports du créancier et des garants. Le Conseil d'Etat a introduit dans l'ordonnance de réforme (ordonnance n° 2008-1345, art. 34), en insérant ainsi un alinéa 2 dans l'article L. 622-26 du Code de commerce (N° Lexbase : L2534IEL), la précision selon laquelle "les créances non déclarées sont inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie".
Cette précision met clairement en échec l'interprétation qui avait été développée par la communauté des spécialistes du droit des entreprises en difficulté et du droit des sûretés, au lendemain de la loi de sauvegarde et qui est aujourd'hui celle de la Cour de cassation. L'inopposabilité de la créance à la procédure collective est strictement limitée aux rapports entre le créancier et le débiteur ou la procédure collective.
Désormais, l'article L. 622-26, alinéa 2, du Code de commerce prévoit que l'inopposabilité de la créance s'étend à toutes les personnes physiques codébiteurs ou ayant consenti une sûreté personnelle. Cette dernière formule vise les cautions, les garants autonomes, mais aussi les personnes ayant donné une promesse de porte-fort sûreté. Le législateur fait encore bénéficier de l'inopposabilité de la créance non déclarée les personnes ayant affecté ou cédé un bien en garantie. Il s'agit donc, d'une part, de ce que l'on appelait par le passé les cautions réelles -affectation d'un bien à la garantie de la dette d'un autre- et, d'autre part, des constituants de fiducie-sûreté pour autrui -cession d'un bien en garantie-.
L'inopposabilité de la créance non déclarée ne concerne toutefois que les seuls garants personnes physiques. En conséquence, les solutions développées au lendemain de la loi de sauvegarde continueront à valoir pour les garants personnes morales, qui pourront donc être poursuivis.
L'inopposabilité de la créance non déclarée à l'égard des garants personnes physiques n'a, d'abord, pas besoin d'être posée pendant la période d'observation, du fait de l'interdiction de poursuivre ces personnes, en cette phase, tant en sauvegarde, qu'en redressement judiciaire.
Cette inopposabilité n'existe pas à l'égard des garants en cas de liquidation judiciaire du débiteur. Ils pourront donc, en cette phase, être poursuivis.
L'inopposabilité de la créance aux garants personnes physiques est, en revanche, expressément édictée pendant la période d'exécution du plan de sauvegarde (C. com., art. L. 622-26, al. 2 ; ordonnance n° 2008-1345, art. 34), mais non pendant celle d'exécution du plan de redressement (ordonnance n° 2008-1345, art. 80).
Toutefois, elle ne se prolonge pas après la complète exécution du plan de sauvegarde (C. com., art. L. 622-26, al. 2 ; ordonnance n° 2008-1345, art. 34), contrairement à la solution posée dans les rapports intéressant le créancier avec son débiteur (ordonnance n° 2008-1345, art. 80). Il sera donc possible de poursuivre un garant personne physique, même si le débiteur exécute correctement son plan de sauvegarde ou de redressement, sous réserve qu'après cette complète exécution, moment sans doute éloigné de l'ouverture de la procédure collective, le créancier n'ait pas encouru la prescription. La question est ici, à notre sens, autrement plus compliquée que lorsqu'il s'agit de raisonner sur les rapports entre le créancier et le débiteur, du fait d'interdictions du droit d'agir contre les garants personnes physiques, à certaines phases de la procédure collective.
Cette règle est sans aucun doute une disposition extrêmement incitative pour la sauvegarde, et conduit le débiteur à formuler le voeu d'erreur ou d'omission de la part des créanciers. La discrimination positive à l'égard de la sauvegarde apparaît ici d'une manière extrêmement patente. Elle conduit à traiter beaucoup plus durement des cautions dans la procédure de redressement judiciaire que des garants autonomes dans la procédure de sauvegarde. La finalisation du régime des garanties atteint ici son paroxysme, la règle de droit commun étant complètement déformée pour pénaliser le débiteur qui n'utilise pas la sauvegarde et avantager, au contraire, celui qui y a recours.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Le créancier antérieur à l'ouverture de la procédure collective qui n'a pas déclaré sa créance dans le délai qui lui est imparti tombe sous le coup de la forclusion. Sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985, une seule échappatoire était mise à sa disposition. Il pouvait être relevé de forclusion à condition de démontrer que sa défaillance à déclarer dans les délais n'était pas due à son fait. Cette démonstration était particulièrement difficile à rapporter, surtout lorsque le créancier était considéré comme "institutionnel". En effet, en tant que tel, il est censé se tenir parfaitement informé des ouvertures de procédures collectives par une lecture assidue du BODACC. La loi de sauvegarde des entreprises a ouvert une deuxième issue de secours aux créanciers retardataires. Ainsi, résulte-t-il des dispositions de l'article L. 622-26 du Code de commerce que les créanciers qui n'ont pas déclaré leur créance dans le délai prévu à l'article L. 622-24 (N° Lexbase : L3455ICX) peuvent également être relevés de la forclusion encourue s'ils établissent que leur défaillance est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste de ses créanciers. Cette liste, réglementée par les articles L. 622-6, alinéa 2 (N° Lexbase : L8846INX), et R. 622-5 (N° Lexbase : L0877HZI) du Code de commerce, doit être remise dans les huit jours du jugement d'ouverture à l'administrateur judiciaire et au mandataire judiciaire et déposée au greffe par le mandataire judiciaire (C. com., art. R. 622-5, al. 2) (7). En liquidation judiciaire, la liste est remise au liquidateur, qui la dépose au greffe (C. com., art. R. 641-14 N° Lexbase : L9326ICE). Le mandataire judiciaire ou le liquidateur, dans le délai de 15 jours à compter du jugement d'ouverture, avertit alors, par lettre simple (8), les créanciers connus -c'est-à-dire, en pratique, ceux figurant sur cette liste- d'avoir à lui déclarer leurs créances (C. com., art. R. 622-21, al. 1er N° Lexbase : L9260ICX).
Le nouveau cas de relevé de forclusion, que constitue l'omission volontaire, est autonome (9), de sorte qu'il peut désormais y avoir place à relevé de forclusion indépendamment de la question de savoir si la défaillance est ou non due au fait du créancier (10). Il reste que le créancier qui souhaite se prévaloir de cette omission volontaire supporte la charge de cette preuve. Or, la preuve qu'une omission est volontaire semble, a priori, malaisée à rapporter. Un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 12 juillet 2011 a trait, précisément, à cette question de la démonstration du caractère volontaire de l'omission.
En l'espèce, arguant du fait qu'il ne figurait pas sur la liste établie par le débiteur en application de l'article L. 622-6 du Code de commerce, un créancier retardataire avait présenté une demande en relevé de forclusion à laquelle les juges du fond avaient fait droit. Le débiteur s'était pourvu en cassation et reprochait à la cour d'appel d'avoir considéré que le défaut de mention dans la liste établie par le débiteur de la créance dont il connaissait parfaitement l'existence était nécessairement constitutif d'une omission volontaire justifiant le relevé de forclusion. Il était alors reproché aux juges du fond d'avoir ainsi édicté une présomption d'omission volontaire née de l'absence de déclaration d'une créance dans cette liste sans caractériser en quoi le débiteur se serait rendu coupable d'une omission frauduleuse. L'argumentation ne convainc pas la Chambre commerciale qui rejette le pourvoi en considérant qu'après avoir retenu qu'un jugement de condamnation avait été signifié au débiteur quelques jours avant l'établissement de la liste des créances, la cour d'appel avait "retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le débiteur ne pouvait ignorer l'existence de sa dette et qu'il a, de mauvaise foi, omis de la déclarer au mandataire judiciaire".
Deux points doivent être soulignés à la lecture de cet arrêt.
Premièrement, la démonstration du caractère volontaire de l'omission du débiteur est une question de fait et, partant, relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (11).
Deuxièmement, le caractère volontaire de l'omission se caractérise par une abstention empreinte de mauvaise foi, la mauvaise foi se définissant comme un "comportement incorrect qui participe, à des degrés divers, de l'insincérité, voire de la déloyauté" (12). Il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à exiger une fraude de la part du débiteur, c'est-à-dire une "action révélant chez son auteur la volonté de nuire à autrui" (13) comme l'évoquait le pourvoi. Même si, a priori, il semble difficile d'apporter la démonstration du caractère volontaire d'une omission, cette démonstration pourra s'avérer plus aisée qu'il n'y paraît. En effet, puisque l'omission volontaire est un fait juridique (14), tout moyen permettra de l'établir, de sorte que tous éléments ou faisceaux d'indices convergents seront susceptibles d'emporter la conviction des juges du fond.
Devrait ainsi conduire au relevé de forclusion pour cause d'omission volontaire du créancier :
- le fait que le débiteur omette de la liste une créance d'un montant important (15) au regard de la constitution globale de son passif, celle de son principal fournisseur, celle de son unique banquier ou encore celle de son bailleur de locaux professionnels ;
- le fait, pour un débiteur personne physique, d'omettre la créance d'un prêteur immobilier ;
- le fait que le débiteur omette la créance des organismes sociaux auxquels il est affilié (16) ;
le fait que le débiteur omette une créance pour laquelle il a été relancé -par quelque moyen que ce soit, dès lors que le créancier pourra en apporter la preuve-, quelques jours avant l'ouverture de la procédure collective, et ce, même si le débiteur ne se reconnaît pas débiteur du créancier qui se présente à lui comme tel (17) ;
- le fait pour le débiteur d'avoir sollicité un moratoire auprès de son créancier peu de temps avant l'ouverture de la procédure ;
- le fait pour le dirigeant de l'entreprise débitrice d'omettre de la liste la créance pour laquelle il a été mis en demeure ou poursuivi en sa qualité de caution.
Il en est de même lorsque, comme en l'espèce, un jugement de condamnation a été rendu à l'encontre du débiteur, qu'au cours de l'instance ce dernier a sollicité des délais de paiement et que le jugement lui a été signifié quelques jours avant l'établissement de la liste.
Dans toutes ces hypothèses, il semble peu concevable qu'un débiteur qui n'est pas frappé de sénilité oublie de faire mention de la créance en question.
En définitive, l'omission volontaire pourrait être définie comme une omission dont il n'est pas concevable qu'elle ait pu exister si le débiteur avait établi la liste de ses créanciers avec le minimum de sérieux que l'on est en droit d'exiger de lui.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
(1) F. Derrida, P. Godé. et J.-P. Sortais, avec la collab. d'A. Honorat, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, Dalloz, 3ème éd., 1991, n° 542.
(2) Cass. com., 17 juillet 1990, deux arrêts, n° 88-15.630, publié (N° Lexbase : A4359ACG) et n° 89-13.439, publié (N° Lexbase : A4168AGH), Bull. civ. IV, n° 214 ; Cass. com., 17 juillet 1990, n° 89-13.138, publié (N° Lexbase : A4515AC9) Bull. civ. IV, n° 215, Gaz. Pal., 1990, II, 678, note A. Piedelièvre, RD banc. et bourse, 1990, 246, obs. M. J. Campana et Calendini, JCP éd. E, 1991, II, 101, note G. Amlon, RTDCom., 1990, 642, n° 2, obs. A. Martin-Serf, D., 1990, 494, note A. Honorat, Rev. proc. coll., 1991, 110, n° 2, obs. Ph. Delebecque, D., 1991, somm. 12, obs. F. Derrida ; Cass. com., 23 octobre 1990, n° 88-19.257, publié (N° Lexbase : A4141AGH), Bull. civ. IV, n° 244 ; Cass. com., 30 mars 1993, n° 91-15.351, publié (N° Lexbase : A5728ABR), Bull. civ. IV, n° 124 ; Cass. com., 6 juillet 1993, n° 90-21.443, inédit (N° Lexbase : A6333CNU), Rev. huissiers, 1994, 93, note D. Vidal ; Cass. com., 12 juillet 1994, n° 92-14.483, publié (N° Lexbase : A6955AB9), Bull. civ. IV, n° 260 ; Cass. com. 22 octobre 1996, n° 94-16.687, inédit (N° Lexbase : A7746CYK), Rev. sociétés, 1997, 596, note P. Didier ; Cass. civ. 1, 7 octobre 1998, n° 96-18.093, publié (N° Lexbase : A8646AHP) Bull. civ. I, n° 283, Rev. proc. coll., 2000, 56, n° 4, obs. E. Kerckhove ; Cass. com., 10 décembre 2002, n° 01-02.486, inédit (N° Lexbase : A4186A4S), Rev. proc. coll., 2003, p. 331, n° 12, obs. Ch. Léguevaques ; Cass. com., 16 mai 2006, n° 05-12.570, F-D (N° Lexbase : A6766DPB) ; CA Paris, 15ème ch., sect. B, 15 novembre 2007, n° 06/01968 (N° Lexbase : A8437DZI).
(3) Sur l'affirmation, v. ainsi, CA Paris, 5ème ch., sect. A, 18 mai 2005, n° 2003/19003 (N° Lexbase : A4775DIP).
(4) Réf. cit. in P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 6ème éd., 2012/2013, à paraître octobre 2011, n° 665.75.
(5) Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-70.312, FS-P+B (N° Lexbase : A5651GDN), D., 2010, AJ 2645, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté 7 et 8 janv. 2011, n° 7 et 8, note E. Le Corre-Broly ; JCP éd. E, 2011, chron. 1030, n° 10, obs. M. Cabrillac ; Rev. Sociétés, 2011, p. 194, note crit. Ph. Roussel Galle ; Gaz. Pal., 25 et 26 février 2011, p. 45, note S. Reifegerste ; nos obs in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Novembre 2010, Lexbase Hebdo n° 228 du 18 novembre 2010 - édition affaires (N° Lexbase : N5745BQT).
(6) Rapport de J.-J. Hyest, n° 335, p. 221.
(7) Ce texte est applicable en redressement judiciaire (C. com., art. R. 631-18 N° Lexbase : L9325ICD, anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 187 N° Lexbase : L3297HET).
(8) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 7 avril 2006, n° 05/12965 (N° Lexbase : A1942DQY) ; J.-CL. COM., J. Vallansan, fasc. 2352, [Déclaration et admission des créances], éd. 2007, n° 137. L'avertissement par courrier recommandé est en revanche imposé pour l'avertissement des créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou d'un contrat publié (C. com, art. R. 622-21, al. 3 N° Lexbase : L9260ICX).
(9) V. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 665.53 ; rapport J.-J. Hyest, no 335, préc., p. 53 et p. 218 ; A. Lienhard, Procédures collectives, 4ème éd., Delmas, 2011, n° 1109 ; J.-CL. COM., J. Vallansan, fasc. 2352, [Déclaration et admission des créances], éd. 2007, n° 136 et n° 158. V. sol. impl., CA Paris, 3ème ch., sect. B, 8 novembre 2007, n° 07/02567 (N° Lexbase : A5520D3T), RTDCom., 2008, 194, n° 2, obs. A. Martin-Serf.
(10) Cass. com., 16 mars 2010, n° 09-13.511, F-D (N° Lexbase : A8238ETB), Gaz. Pal. éd. spéc. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 34, nos obs ; RTDCom.. 2010, 606, n° 1, obs. A. Martin-Serf.
(11) V. égal., Cass. com., 16 mars 2010, n° 09-13.511, F-D, préc. et les obs. préc..
(12) Lexique des termes juridiques, Dalloz, 15ème éd., v° "mauvaise foi".
(13) Ibid., v° " fraude ".
(14) Sur ce point V. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 665.53.
(15) Dans une espèce où la créance était importante et ancienne : Cass. com., 16 mars 2010, n° 09-13.511, F-D, préc. et les obs. préc..
(16) Pour une application, Cass. com., 16 mars 2010, n° 09-13.511, F-D, préc. et les obs. préc..
(17) Cass. com., 12 janvier 2010, n° 09-12.133, F-P+B (N° Lexbase : A3121EQN), D., 2010, AJ 264, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2010/5, n° 69, note O. Staes ; RTDCom., 2010, 606, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; Defrénois, 2010, chron. 39138, p. 1480, note D. Gibirila ; nos obs.in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Février 2010, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition privée (N° Lexbase : N2390BNT).
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par Anne-Lise Lonné Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
Le 15 Septembre 2011
Chantal Jamet-Elzière : Le droit collaboratif et la médiation ont en commun les mêmes principes : confidentialité, consensualisme, volontarisme, respect mutuel, bonne foi, confiance, respect de l'ordre public, une véritable formation à ces processus, et l'absence de pouvoir décisionnel lequel revient aux clients.
Le droit collaboratif est un processus volontaire et confidentiel de règlement des conflits par la négociation (1).
La médiation est "un processus structuré reposant sur la responsabilité et l'autonomie des participants qui, volontairement, avec l'aide d'un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, favorise, par des entretiens confidentiels, l'établissement et/ou le rétablissement des liens, la prévention, le règlement des conflits" (2).
Ces processus répondent tous deux à des règles déontologiques strictes établies respectivement dans des charte et Code de déontologie (3).
A la différence de l'arbitrage, du procès judiciaire ou de la conciliation, où intervient un tiers qui rend une décision, il n'y a pas une obligation d'application du principe du contradictoire.
A la différence de la procédure participative, il y a une obligation de formation, à la fois initiale et continue, de l'avocat et du médiateur.
Le procédé du droit collaboratif est très proche de la négociation, puisqu'il emprunte à la négociation dite "Harvard" (4) alors que la médiation pourra s'achever par une négociation au moment de finaliser un accord ; cependant, la médiation n'est pas, elle-même, de la négociation.
Lexbase : Quels sont les domaines d'application privilégiés du droit collaboratif ?
Chantal Jamet-Elzière : Il n'y a pas de domaine privilégié à la médiation ou au droit collaboratif ; c'est à l'avocat de choisir, au cas par cas, celui de ses dossiers qui se prêtera prioritairement à la médiation ou au droit collaboratif.
Toutes les matières trouvent en ces processus une aide à la résolution amiable des différends, litiges, conflits ou, tout simplement, aux choix de stratégie, de projets en entreprise, une aide aux directions des ressources humaines, etc..
Ce sont tous deux des "processus" ; ils ne sont ni des panacées, ni des remèdes miracles. Certains dossiers ou clients ne pourront y trouver d'aide à la résolution de leur conflit et devront passer par le procès ou l'arbitrage, c'est-à-dire par l'intervention d'un juge.
Le droit collaboratif s'adresse plutôt aux dossiers qui ont un aspect financier important. Avec la méthode "Harvard", il tend à évincer l'aspect affectif du dossier (qui peut mettre certains praticiens mal à l'aise).
La médiation peut être utilisée du simple différend au litige, en passant par le conflit, le choix de stratégie ou d'un projet en entreprise, aux difficultés entre membres du personnel ou entre membres du personnel et la direction, entre l'entreprise et un client, aux conflits collectifs du travail, etc..
La médiation "modèle Harvard" servira dans les domaines économique, financier, de stratégie d'entreprise (elle est fondée sur la négociation raisonnée dite "Harvard", tout comme l'est le droit collaboratif).
La médiation "modèle Fiutak" (5) sera recherchée pour les litiges où il y a un fort potentiel émotionnel (famille, travail, succession, "voisinage" local, national, international...).
En fait, un médiateur se servira des deux modèles en fonction des difficultés rencontrées lors de l'avancement de la médiation entres les médieurs.
Les étapes de ces processus sont à peu près les mêmes. La grande différence est qu'avec la médiation, l'aspect émotionnel du dossier est souvent l'élément nécessaire pour circonscrire le litige (qui, quoi, quand, où, pourquoi, comment ?) et qu'avec le droit collaboratif, l'axe principal est l'aspect matériel (quoi, quand, où, combien, comment ?).
Lexbase : Quels sont les principaux avantages du droit collaboratif par rapport à la médiation ?
Chantal Jamet-Elzière : La médiation et le droit collaboratif sont complémentaires et le second peut rarement se concevoir sans la première au regard des échanges que nous avons eus entre avocats et médiateurs. Il est rare qu'un litige se résolve grâce au seul processus collaboratif, la médiation y joue souvent son rôle. Dans les deux processus, l'accord est trouvé par les clients eux-mêmes.
Le droit collaboratif est un travail d'équipe entre l'avocat et son client ; l'avocat aidera son client à trouver l'accord qui surgira des négociations.
Le médiateur doit rester neutre, impartial vis-à-vis des médieurs. Par le processus, il aide les médieurs à trouver eux-mêmes leur accord. Les qualités d'un médiateur sont outre son indépendance, sa tolérance et bien sûr l'exigence d'un casier judiciaire vierge. Comme en droit collaboratif, sont exigées une solide formation (150 à 250 heures de formation auprès d'organismes reconnus) et une expérience professionnelle de plusieurs années (pour notre centre "Alternative de médiateurs indépendants" (AMI), 8 ans minimum), outre une formation continue de 20 heures par an.
Ces processus valent par les personnes qui les utilisent. Seule une véritable formation faite de droit, de psychologie, d'études et mise en pratique des modèles, de partage d'expériences, le permet.
Le droit collaboratif revêt une qualité essentielle qui peut malheureusement devenir un défaut : en cas d'échec du processus, les avocats doivent se départir du dossier. Certains avocats, désireux de garder leur client, pourraient s'entendre pour trouver un protocole "a minima" qui s'avérerait au final une source d'échec de l'"accord" car ce ne serait pas un accord trouvé par les parties. Ce n'est certes pas le cas des avocats spécifiquement formés et signataires de la charte du droit collaboratif.
Avec la médiation, les avocats ne courent pas ce risque puisqu'ils accompagnent leur clients (à tout le moins, au début du processus et lors de la finalisation, avec la rédaction de l'accord).
Le médiateur est en effet le garant du processus et l'avocat est le garant du protocole d'accord.
Lexbase : Quelles sont les perspectives d'évolution de cet outil en France ?
Chantal Jamet-Elzière : Ces méthodes de résolution amiable des conflits sont l'avenir de la Justice, d'une justice plus soucieuse de l'être humain, pacificatrice et "ravaudeuse" du tissu social. Grâce à ces processus, nous pouvons aider à la pacification de conflits de tous ordres.
Ces modes de règlement des litiges et conflits deviendront incontournables comme plus rapides, moins onéreux et plus efficaces car les solutions trouvées sont par les parties elles-mêmes. Et ce même en France, car dans le monde en général, notamment, les Etats-Unis d'Amérique, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, la Suède, l'Australie, le Japon, etc., ces modes sont déjà largement utilisés (aux USA, sur 100 procès, seuls 10 % arrivent devant le juge).
Il ne s'agit pas là d'une justice "douce" (loin s'en faut !). C'est d'une réforme complète de notre conception de la Justice qu'il s'agit et de la place de l'avocat qui ne doit plus s'appréhender comme simple défenseur.
Rien ne peut évoluer sans l'avocat, quoi qu'on en dise. Ce sont toujours eux (cf. USA) qui sont à l'origine de la création ou de la "mise au goût du jour" de ces modes de règlement amiable (alternatif) des conflits.
Il faut simplement que le plus grand nombre le comprenne à temps avant que les "marchands du temple" ne prennent ce qui est, par nature, leur place.
Ce sont en fait les avocats et leurs formateurs qui amèneront la population vers les processus amiables de résolutions des conflits. Ils sont en cela aidés par les gouvernements qui y voient une solution à l'engorgement des tribunaux et un allègement des coûts de la justice.
Les magistrats ont souvent compris très tôt l'intérêt d'une justice plus rapide et moins coûteuse, plus proche du justiciable ; ce, d'autant qu'ils ne sont (pas plus que les avocats) aucunement dessaisis par ces processus qui ne viennent qu'alléger leur tâche et leur permettre de rendre des décisions auxquelles les parties auront volontairement participé.
(1) Le droit collaboratif : la diversification de la pratique, Conférence prononcée par Maîtres Martha Shea et Suzanne Clairmont, le 10 novembre 2006.
(2) Code national de déontologie du médiateur.
(3) Code national de déontologie du médiateur ; Charte de droit collaboratif, Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles.
(4) Méthode "Harvard" comme ayant été découverte et mise au point notamment par Roger Fischer, Avocat et professeur enseignant le Droit et la Négociation à la Harvard Law School, Université privée du Massachusetts (USA).
(5) Le médiateur dans l'arène, Réflexions sur l'art de la médiation, de Thomas Fiutak, Collection Trajets, Ed. Eres, 2009.
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Réf. : Cass. crim., 15 juin 2011, n° 09-87.135, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6181HT4)
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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 22 Septembre 2011
On sait que des règles spéciales sont édictées en matière de terrorisme, marquées par leur grande sévérité dans le but de renforcer l'efficacité de la lutte contre ce type de criminalité (2). Ainsi, outre les infractions spécifiquement terroristes (3), le droit de la garde à vue subit-il d'importantes entorses, atténuées il est vrai par la récente réforme de la matière. La loi nouvelle prend en effet acte de la méthode imposée par la Cour européenne à propos du régime des gardes à vue dérogatoires (4), qui décide qu'une "restriction systématique" du droit pour le gardé à vue d'être assisté par un avocat fondé, non sur des "des raisons impérieuses résultant des circonstances de l'espèce" mais sur des catégories abstraites d'infractions identifiées d'après leur gravité, "suffit à conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention" (5). Conformément à ces préceptes, la loi nouvelle prévoit donc que le procureur de la République ne peut autoriser le report de la présence de l'avocat lors des auditions qu'à titre exceptionnel, "si cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête" (6). De même, c'est une cour d'assises spéciale, exclusivement composée de magistrats professionnels, qui est compétente pour juger de la culpabilité, en première instance comme en appel des accusés d'un crime terroriste (7). Destinée à prévenir d'éventuelles pressions sur les jurés, cette composition spéciale vise également à renforcer la sévérité, ainsi qu'en témoignent les règles de vote concernant les décisions défavorables à l'accusé (8).
Pour autant, cette nécessaire efficacité de la lutte contre le terrorisme ne saurait justifier une violation systématique des droits de l'Homme. Ainsi, la Cour européenne a-t-elle pu décider que l'article 3 de la Convention (N° Lexbase : L4764AQI), qui prohibe les traitements inhumains et dégradants, ne souffre nulle dérogation ou restriction même en cas de danger public menaçant la vie de la nation, comme le terrorisme (9). Cette nécessaire efficacité ne saurait davantage justifier, plus spécifiquement, une violation des droits de la défense, comme en témoigne l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 juin 2011. Il faut noter qu'en l'espèce la Haute juridiction prend un soin tout particulier à répondre de manière détaillée à l'ensemble des moyens soulevés par le pourvoi. Cette application de la Haute juridiction peut s'expliquer non seulement par la volonté de se montrer particulièrement vigilante quant au respect des droits de la défense dans une matière aussi sensible que celle du terrorisme, mais encore, sur un plan juridique, par la volonté de ne pas exposer cette procédure à une condamnation de la Cour européenne qui sera, sans nul doute, saisie dans cette affaire. L'invocation en l'espèce de cette foule de griefs est, en effet, destinée à permettre une saisine future de la Cour de Strasbourg qui décide que tous les griefs invoqués devant elle doivent au préalable avoir été soulevés devant les juridictions nationales, faute de quoi la requête individuelle est jugée irrecevable à défaut d'épuisement des voies de recours internes.
Toutefois, seuls seront ici étudiés les griefs les plus pertinents qui, tous fondés sur la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, c'est-à-dire sur le droit à un procès équitable, tiennent à l'obligation de motivation des arrêts d'assises (I), à la présomption d'innocence, à l'impartialité et à l'indépendance des magistrats (II) et enfin à la violation de la règle non bis in idem (III).
I - Obligation de motivation des arrêts de cour d'assises et droit à un procès équitable
L'un des moyens au pourvoi faisait valoir que les questions posées à la cour d'assises doivent être rédigées en énonçant, fut-ce de façon résumée, les faits figurant dans le dispositif de l'acte d'accusation faute de quoi l'arrêt de condamnation ne saurait être considéré comme suffisamment motivé. C'était là poser la question du défaut de motivation des arrêts de cour d'assises et de sa compatibilité avec le droit à un procès équitable. L'argument est rejeté par la Cour de cassation au motif que "sont reprises dans l'arrêt de condamnation les réponses qu'en leur intime conviction, les magistrats composant la cour d'assises d'appel spécialement composée, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité, ont données aux questions sur la culpabilité posées conformément aux dispositifs des décisions de renvoi et soumises à la discussion des parties". En conséquence, et "dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, il a été satisfait aux exigences conventionnelles".
Pour n'être pas nouvelle (10), la solution n'en mérite pas moins d'être remarquée en ce qu'elle est la première à se prononcer sur la question de la motivation des arrêts d'assises postérieurement à l'important arrêt "Taxquet" du 16 novembre 2010 (11), rendu par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Avant cet arrêt en Grande chambre, la Belgique avait au préalable été condamnée par la Cour européenne dans un premier arrêt "Taxquet" du 13 janvier 2009 (12) pour violation du droit à un procès équitable. La Cour avait en effet estimé que les "réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale ont pu donner au requérant l'impression d'une justice arbitraire et peu transparente. Sans au moins résumer les principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant, celui-ci n'était pas à même de comprendre -et donc d'accepter- la décision de la juridiction". Une telle exigence de motivation des arrêts de cour d'assises avait pu être interprétée comme sonnant le glas des arrêts d'assises fondés sur la seule intime conviction des jurés. Toutefois, à la suite d'une demande du gouvernement belge, la Grande chambre de la Cour fut saisie conformément à l'article 43 de la Convention (N° Lexbase : L4779AQ3), demande à laquelle se sont joints les gouvernements français, britannique et irlandais, ce qui permet de mesurer l'importance de la question dans nombre d'Etats signataires de la Convention.
Dans son arrêt, la Grande chambre commença par rappeler solennellement qu'il ne saurait être question de remettre en cause l'institution du jury populaire. Ainsi, prenant acte des particularités de la procédure devant la cour d'assises, la Cour admet d'emblée que la Convention ne requiert pas nécessairement que le verdict soit motivé, dès lors toutefois que certaines garanties, destinées à compenser le défaut de motivation, sont présentes. Ces garanties tiennent pour l'essentiel à la précision de l'acte d'accusation, à l'existence de voie de recours, au rôle assuré par le président de la cour d'assises et enfin au nombre et à la précision des questions posées au jury, lesquelles doivent être de nature à former "une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l'absence de motivation". Dans l'espèce considérée, la Cour concluait toutefois que ces garanties étaient insuffisantes dès lors que l'acte d'accusation n'était pas assez précis quant à l'implication de l'accusé, que les questions posées étaient laconiques et ne se référaient à aucune circonstance concrète qui auraient permis à l'accusé de comprendre le verdict, éléments d'autant plus importants que le jury ne tranche pas sur les éléments du dossier mais sur les seuls débats à l'audience. En définitive, c'est donc la précision des questions qui constitue l'élément décisif permettant de compenser le défaut de motivation des arrêts d'assises. Ainsi peut s'expliquer l'absence de condamnation de la France dans l'affaire "Papon" dans laquelle pas moins de 768 questions avaient été posées au jury qui se référaient tant aux faits concrets de l'espèce qu'aux articles du Code pénal dont il était fait application (13).
Cet arrêt, fort attendu, est extrêmement important car, comportant des exigences moindres que le premier arrêt "Taxquet", il ne remet pas fondamentalement en cause l'institution du jury populaire et la procédure devant la cour d'assises. En effet, alors que l'arrêt de 2009 exigeait une motivation directe du verdict, supposant "au moins un résumé des principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant", la Grande chambre se contente pour sa part d'une simple motivation indirecte résultant de la précision de l'acte d'accusation et des questions posées au jury. Selon la Cour européenne, cette motivation, même indirecte, poursuit un triple objectif. Tout d'abord, le public, et en premier lieu l'accusé, doivent être en mesure de comprendre le verdict et les raisons de la condamnation, ce qui non seulement constitue une garantie contre l'arbitraire mais instaure encore la confiance de l'opinion publique dans une justice objective et transparente (14). On peut toutefois rester circonspect quant à cette justification dès lors que l'on perçoit mal comment l'accusé pourrait comprendre les raisons du verdict au vu des seules réponses exprimées par un "oui" ou un "non", quand bien même ces questions seraient précises, nombreuses et concrètes. Ensuite, la motivation démontre aux parties qu'elles ont été entendues, ce qui contribue à une meilleure acceptation de la décision. Enfin, la motivation oblige les juges à fonder leur raisonnement sur des arguments juridiques, ce qui constitue, là encore, une garantie contre l'arbitraire. Ainsi conçue, l'obligation de motivation apparaît essentiellement comme une question de légitimité et de confiance en la justice.
Le droit interne semble, quant à lui, retenir une toute autre conception de l'exigence de motivation. En effet, le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité qui soutenait que les articles 349 (N° Lexbase : L3749AZU), 350 (N° Lexbase : L4370AZU), 353 (N° Lexbase : L3752AZY) et 357 (N° Lexbase : L3756AZ7) du Code de procédure étaient contraires à la Constitution en ce qu'ils ne permettent pas de motiver et d'expliquer les raisons de la décision de déclaration de culpabilité autrement que par des réponses affirmatives à des questions posées de manière abstraite. Dans une décision du 1er avril 2011 (15), le Conseil constitutionnel décida, certes, que l'obligation de motivation constitue une garantie légale contre l'arbitraire du procès pénal mais n'en admet pas moins que l'absence de motivation peut être justifiée "à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l'arbitraire". Or, le Conseil estime que ces garanties sont suffisantes en droit français, dès lors, d'une part, que les jurés ne forgent leur intime conviction que sur les seuls éléments de preuve contradictoirement débattus et, d'autre part, que les questions posées sont claires, précises et individualisées.
Le Conseil constitutionnel place donc le débat sur le terrain des droits de la défense en considérant que le défaut de motivation des arrêts d'assises n'est admissible qu'à la condition que les preuves aient été l'objet d'un débat contradictoire. Cette impression se renforce s'il est observé que le Conseil ne reconnaît l'obligation de motivation des décisions pénales que pour les seuls jugements et arrêts de condamnation, de sorte que ce sont les droits de la défense, et non l'exigence de transparence de la justice, qui fondent l'obligation de motivation (16). Or, la Chambre criminelle adopte une conception strictement identique dans son arrêt du 15 juin 2011 puisqu'elle décide que les exigences tenant au droit à un procès équitable sont satisfaites "dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats".
La cause paraît donc désormais entendue tant en droit européen qu'en droit interne : la motivation indirecte, résultant de la précision tant de l'acte d'accusation que des questions posées au jury, suffit à satisfaire à l'exigence du droit à un procès équitable. La position de la Chambre criminelle n'a pour sa part jamais varié puisque, alors même que la motivation des arrêts d'assises était menacée par le premier arrêt "Taxquet", la chambre n'en a pas moins toujours décidé que la procédure était conforme à l'article 6 § 1 de la Convention en posant le principe repris mot pour mot par l'arrêt ici commenté (17).
Plus profondément, la question de la motivation des arrêts d'assises pose en premier lieu celle de sa compatibilité avec le principe de l'intime conviction qui fonde la décision du jury d'assises (18). Si la notion d'intime conviction est difficile à cerner (19), elle peut toutefois être définie, dans une première approche, comme l'impression laissée aux jurés par les éléments du débat, comme l'addition de sentiments diffus leur permettant de parvenir à la décision. Or, ainsi comprise, l'intime conviction semble radicalement incompatible avec l'exigence de motivation. Mais le droit français semble retenir une autre conception du principe de l'intime conviction, compris comme le corollaire du système de preuve morale qui laisse au juge la liberté d'apprécier les éléments de preuve qui lui sont soumis (20), par opposition au système de preuve légale qui prévalait sous l'ancien régime (21). Or, dès l'instant que le juge correctionnel se décide lui aussi d'après son intime conviction et que, pour autant, il n'en est pas moins soumis à une obligation de motivation, il en résulte qu'obligation de motivation et intime conviction ne sont pas nécessairement exclusives l'une de l'autre (22). A fortiori, l'intime conviction n'est-elle pas incompatible avec l'exigence d'une motivation indirecte, jugée suffisante.
La question de la motivation des arrêts d'assises pose encore celle, en second lieu, de la nécessaire professionnalisation des cours d'assises. Dès lors que le jury ne dispose pas de la formation et des compétences nécessaires pour formuler les motifs juridiques de la décision, l'exigence de motivation implique fatalement une certaine professionnalisation de la cour d'assises, en confiant le soin de la motivation au président de la cour. On notera, d'ailleurs, que l'arrêt de la Grande chambre insiste sur le rôle essentiel du président de la cour pour garantir le droit à un procès équitable. Ainsi pourrait se trouver sauvée des foudres de la Cour européenne la récente création des tribunaux correctionnels dans leur forme dite citoyenne (23), dans la mesure où la motivation de la décision relèvera sans nul doute de la tâche des magistrats professionnels, non de celle des citoyens.
II - Présomption d'innocence, indépendance et impartialité du tribunal
L'accusé faisait état dans son pourvoi de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et préliminaire du Code de procédure pénale en ce que la cour d'assises avait rejeté l'exception d'irrecevabilité des poursuites en raison de l'atteinte irréparable portée à la présomption d'innocence du fait des propos tenus Garde des Sceaux en exercice à l'époque des faits. Celui-ci avait, en effet, nommément désigné l'accusé comme ayant "manifestement joué un rôle central dans un ensemble d'attentats commis en France", propos qui, selon le pourvoi, attribuaient à cet individu une culpabilité certaine relativement à des faits de nature criminelle en violation de la présomption d'innocence.
Mais en l'espèce, et quoi que le pourvoi ait sollicité l'irrecevabilité des poursuites sur ce fondement, l'invocation de la présomption d'innocence n'était pas une fin en soi, mais un simple moyen de prouver le défaut d'indépendance et d'impartialité de la cour d'assises spéciale. Le pourvoi établissait en effet un lien de corrélation entre l'atteinte à la présomption d'innocence, d'une part, et le défaut d'impartialité ou d'indépendance de la juridiction, d'autre part : dès lors que les propos considérés comme attentatoires à la présomption d'innocence ont été tenus par le Garde des Sceaux dont relève directement le ministère public, lequel, ayant participé à l'enquête, est partie intégrante et nécessaire des juridictions répressives, l'impartialité et l'indépendance de la juridiction ne saurait être considérées comme garanties. Reprenant à cet égard la motivation de la cour d'appel, la Chambre criminelle balaye cependant cet argument en décidant que les expressions d'opinion invoquées par le demandeur n'étaient pas de nature à porter atteinte à l'indépendance des magistrats composant la cour ou à remettre en cause leur impartialité.
La solution paraît a priori logique. Selon la Cour européenne des droits de l'Homme, l'exigence d'impartialité s'apprécie objectivement et implique que le justiciable puisse nourrir des doutes objectivement justifiés sur l'impartialité du juge, de nature à ébranler la confiance légitime que tout tribunal doit inspirer au justiciable (24). Il s'agit alors de rechercher si le tribunal offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime (25). Or, en l'espèce, aucun doute objectif ne semblait pouvoir être émis à l'encontre des magistrats du siège. Tout d'abord, il n'était nullement démontré que le juge avait un parti pris en son for intérieur, qu'il avait favorisé ou défavorisé l'accusé, au regard de ses convictions ou de son comportement personnels -impartialité subjective-. Ensuite, un défaut d'impartialité objective ou fonctionnelle, qui "consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier" (26), telle une atteinte au principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement, ne pouvait davantage être relevé. Enfin, aucun défaut d'indépendance des magistrats du siège, définie comme l'absence de liens entre le juge et les parties, et le pouvoir législatif ou exécutif (27), n'était susceptible d'être démontré dès lors que le statut des magistrats professionnels -qui composaient en l'espèce la cour d'assises spéciale- est précisément conçu pour garantir leur indépendance, notamment à l'égard du pouvoir exécutif.
Toutefois, malgré l'apparente logique de la décision, il faut noter que la Cour de cassation ne répond pas véritablement à la question soulevée par le pourvoi en ce qu'elle se prononce sur l'indépendance et l'impartialité des magistrats du siège, là où le pourvoi mettait en cause, plus largement, l'indépendance de la juridiction dans son ensemble, ministère public inclus : "il ne suffit pas pour que l'impartialité et l'indépendance de la juridiction soient garanties que les magistrats du siège, compte tenu de leur statut, ne puissent pas personnellement être suspectés de manque d'impartialité et d'indépendance" (nous soulignons). Il s'agissait là en réalité pour le pourvoi de mettre en cause le rôle du ministère public au sein de la cour d'assises, en se faisant l'écho de la jurisprudence de la Cour européenne qui a jugé, dans les fameux arrêts "Medvedyev" et "Moulin" (28), que le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 1 et 3 (N° Lexbase : L4786AQC) de la Convention dès lors qu'il lui manque non seulement l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif (29), mais encore l'impartialité du fait des prérogatives de poursuites qui lui sont conférées (30). La Cour de cassation botte ainsi en touche car, s'il est certain que les principes d'impartialité et d'indépendance des tribunaux s'appliquent tant aux magistrats de jugement qu'à ceux chargés de l'instruction (31), la question du défaut d'indépendance et d'impartialité du ministère public, qui rejaillirait mécaniquement sur la juridiction de jugement dans son ensemble, n'a semble-t-il jamais été posée. En poussant le raisonnement du pourvoi, la seule présence du ministère public, partie intégrante et nécessaire des juridictions répressives, ferait ainsi en soi échec à l'exigence d'indépendance et d'impartialité de la juridiction, même en l'absence d'atteinte à la présomption d'innocence.
Une telle analyse serait toutefois excessive. Sans doute, le fait de confier le contrôle de la garde à vue au ministère public, système reconduit par la réforme de la garde à vue, peut-il être contesté au regard de la jurisprudence européenne (32). Sans doute encore le transfert au ministère public des pouvoirs d'enquête traditionnellement attribués au juge d'instruction, un temps annoncé, serait-il encore plus contestable (33). Mais, l'indépendance et l'impartialité de la juridiction de jugement ne saurait être remise en cause du seul fait de l'intervention du ministère public dans l'enquête, dès lors que celui-ci, simple autorité de poursuite et d'accusation, ne participe pas à la fonction de juger.
Il reste toutefois que les atteintes à la présomption d'innocence commises par le pouvoir exécutif sont parfois bien réelles. Insusceptibles d'être sanctionnées par l'exception d'irrecevabilité des poursuites, comme le rappelle ici la Haute juridiction, il reste alors la voie civile, ouverte par l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ), qui pose en principe que chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, et qui permet tant la réparation du dommage subi que le prononcé de toutes mesures destinées à la cessation de l'illicite.
III - La règle non bis in idem
L'accusé faisait valoir dans son pourvoi la violation de la règle non bis in idem, garantie par les articles 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qui interdit qu'une même faute soit l'objet d'une double poursuite et d'une double condamnation. Or, selon le pourvoi, ce principe aurait été méconnu en l'espèce dans la mesure où, antérieurement à la présente condamnation par la cour d'assises spéciale sur le fondement de la complicité d'assassinats, de tentatives d'assassinats, de destructions et de dégradations de biens appartenant à autrui par l'effet d'une substance explosive ayant causés divers dommages pour autrui, l'accusé avait déjà été poursuivi et condamné en 2006 sur le fondement du délit d'association de malfaiteurs, réprimé par l'article 450-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1964AMP).
Le pourvoi est toutefois rejeté par la Cour de cassation au motif que "l'association de malfaiteurs constitue un délit distinct tant des crimes préparés ou commis par ses membres que des infractions caractérisées par certains faits qui la concrétisent". En d'autres termes, les faits sur le fondement desquels l'accusé était renvoyé devant la cour d'assises étaient différents de ceux ayant justifié la condamnation antérieure au titre de l'association de malfaiteurs, de sorte que la double poursuite invoquée ne tombait pas sous le coup de la prohibition de la règle qui veut qu'un même fait autrement qualifié ne puisse donner lieu à une double déclaration de culpabilité. La solution paraît pleinement justifiée dès lors que les deux qualifications, d'association de malfaiteurs et de complicité des infractions sur le fondement desquelles l'accusé était renvoyé devant la cour d'assises, apparaissent comme des qualifications alternatives qui se distinguent par leurs éléments constitutifs, de sorte qu'il n'existe pas de situation de concours entre elles.
Les deux qualifications se distinguent, d'abord, par l'acte matériel qui les constitue. En effet, alors que la cour d'assises était saisie, en l'espèce, de complicité par fourniture de moyens ayant facilité des atteintes délibérées à la vie humaine ou à l'intégrité physique de l'individu, la condamnation antérieure avait statué quant à elle sur la participation à un "groupement formé [...] en vue de la préparation" de crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, c'est-à-dire sur des éléments de fait de nature à caractériser l'implication de l'accusé au sein d'un tel groupement. Les deux qualifications entraient d'autant moins en concours en l'espèce que, comme le précise la cour d'assises, les actes de complicité étaient dirigés en l'espèce vers la réalisation d'objectifs précisément déterminés, là où le groupement constitutif de l'association de malfaiteurs avait un objet indéterminé "dont le but consistait à organiser, développer et pérenniser un mouvement déterminé à imposer sa cause". Cette analyse se traduit d'ailleurs logiquement au plan de l'élément moral des deux qualifications : tandis que la répression de la complicité suppose une volonté de s'associer à une infraction déterminée, l'association de malfaiteurs suppose simplement que l'agent ait eu la volonté de participer au groupement, en ayant connaissance de ses buts délictueux (34).
Ensuite et surtout, les deux qualifications de complicité et d'association de malfaiteurs se distinguent quant à leur résultat. En effet, il suffit, pour que l'association de malfaiteurs soit constituée, que le groupement formé ait été concrétisé par un ou plusieurs actes préparatoires, de sorte que l'infraction est punissable avant même la mise en exécution du projet (35). A l'inverse, la répression de la complicité suppose un fait principal punissable, c'est-à-dire une infraction consommée ou au moins tentée, si bien que la complicité non suivie d'effet -situation parfois qualifiée improprement de tentative de complicité- n'est pas punissable. En conséquence, l'association de malfaiteurs est une infraction formelle, autonome à l'égard des infractions commises par les membres du groupement (36), ce que vient opportunément rappeler la Chambre criminelle en l'espèce : "l'association de malfaiteurs constitue un délit distinct des crimes préparés ou commis par ses membres".
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III
Le 12 Octobre 2011
La société requérante a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité pour les exercices clos en 1993 et en 1994. Pour ce faire, l'administration a préalablement adressé à l'entreprise des avis de vérifications en date des 7 avril et 11 mai 1995.
Une notification de redressements, aujourd'hui dénommée proposition de rectification, datée du 15 septembre 1995, a mis, à la charge de l'entreprise, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de TVA, au titre des exercices vérifiés. Les pénalités ont été appliquées sur le fondement des articles 1729 et 1763 A du CGI, repris actuellement aux articles 1754 (N° Lexbase : L9525IQT) et 1759 (N° Lexbase : L1751HN8) du code précité.
D'une part, la société n'avait pas souscrit de déclaration de résultats au titre de l'exercice clos en 1994, situation qui n'avait pas été révélée par la vérification de comptabilité. En conséquence, le contribuable a été placé en position d'être taxé d'office, conformément aux dispositions de l'article L. 66 du LPF (N° Lexbase : L8954IQP), dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition au litige. Il est de jurisprudence constante, selon laquelle il appartient au contribuable d'apporter la preuve que sa déclaration a été déposée en temps utile (CE, 1975, n° 83243, Droit fiscal, 1975, comm. 383, concl. Dominique Latournerie). A cet égard, une société encourt une taxation d'office dès lors qu'elle n'est ni liquidée ni dissoute, même si elle n'a pas exercé d'activité durant l'année en cause, ou que le défaut de déclaration serait imputable à une négligence de son comptable (CE, 2 octobre 1985, n° 40696, RJF, 1985, 11, comm. 1475).
Lorsque les obligations déclaratives n'ont pas été remplies, le contribuable supporte la charge de la preuve (LPF, art. L. 193 N° Lexbase : L8356AE9), et l'administration doit établir l'existence de la procédure d'office en faisant valoir, par exemple, le détail des mises en demeure qu'elle a adressées.
D'autre part, le vérificateur a écarté comme non probante la comptabilité de l'entreprise et a reconstitué les recettes à partir des factures émises et payées en 1994, en tenant compte des charges justifiées par des factures acquittées au cours de la même période.
La doctrine administrative retient que la proposition de rectification doit préciser les motifs de droit et de fait sur lesquels se fonde la procédure. Cette obligation consiste, notamment, à donner toutes les indications quant à la détermination de la base d'imposition, le droit accordé à l'administration de fixer d'office la base d'imposition ne lui conférant pas un pouvoir discrétionnaire (BOI 13 L-5-86, instruction du 10 octobre 1986).
Le Conseil d'Etat avait tiré pour conséquence que la notification des bases imposées d'office par l'administration devait expliciter les modalités de calcul pour la détermination de la base imposable (CE 16 février 2000, n° 180643, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0367AU7, RJF, 2000, 4, comm. 530).
En l'espèce, le contribuable conteste la méthode retenue, la considérant comme sommaire.
Le Conseil d'Etat a une appréciation différente des choses. La société étant dans l'impossibilité de fournir les contrats afférents à son activité, la méthode suivie par l'administration n'est pas excessivement sommaire, même si l'administration a retenu pour charges que quelques règlements de factures en écartant, semble-t-il, certains frais non exposés par l'entreprise.
La reconstitution de recettes a des exigences et une rigueur dont le Conseil d'Etat se montre le gardien vigilant. Par exemple, il a été jugé que la reconstitution des recettes doit se faire d'après les données propres à l'entreprise, et non en utilisant des monographies professionnelles (CE 9° et 7° s-s-r., 22 janvier 1992, n° 80001, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5173ARZ, RJF, 1992, 3, comm. 386). Quand celle-ci se fait à partir de sondages sur la marge brute, ils doivent être suffisamment exhaustifs pour que la méthode administrative ne soit pas jugée trop sommaire, ce qui interdit, par exemple, une reconstitution effectuée à partir d'articles choisis au hasard (CE 8° et 9° s-s-r., 10 février 1993, n° 61706 N° Lexbase : A8313AMT et n° 61707 N° Lexbase : A8314AMU, inédits au recueil Lebon, RJF, 1993, 4, comm. 579). La reconstitution doit également tenir compte de la spécificité des exercices, et éviter toutes extrapolations abusives (CE 9° et 8° s-s-r., 9 novembre 1994, n° 126361, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3560ASN, RJF, 1995, 1, comm. 64). Enfin et aussi, la reconstitution ne doit pas manquer de vraisemblance (CE 8° et 9° s-s-r., 30 janvier 1991, n° 78716, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9015AQX, RJF, 1991, 3, comm. 350).
Dans l'affaire qui nous occupe, le pourvoi de la société a été rejeté.
Rappelons que, lorsque la comptabilité n'existe pas ou comporte de graves irrégularités, et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la charge de la preuve incombe au contribuable (LPF, art. L. 192 N° Lexbase : L8724G8M), étant observé que la preuve du caractère irrégulier, ou non probant, de la comptabilité, est toujours supportée par l'administration. Lorsque la commission n'a pas été saisie, ou lorsque l'administration n'a pas suivi l'avis émis par la commission, la charge de la preuve pèse sur l'administration.
A quoi peut donc servir la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, prévue par l'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L4149ICN), destinée aux contribuables faisant l'objet d'un contrôle fiscal externe ?
L'article L. 10, alinéa 4, du LPF précise que les dispositions contenues dans celle-ci sont opposables à l'administration. Elle est remise obligatoirement au contribuable avant l'engagement du contrôle et doit être jointe à l'avis de vérification de comptabilité ou d'examen de situation fiscale personnelle.
Le défaut d'envoi de ce document prive le contribuable d'une garantie substantielle et vicie la procédure de contrôle.
La faculté ouverte à un contribuable de faire appel à l'inspecteur départemental ou principal, puis à l'interlocuteur départemental au cours et à la conclusion du contrôle, figure en bonne place dans la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié.
Précisons que la mise en oeuvre de cette garantie est régulière dès lors que l'administration informe le contribuable, par la mention sur l'avis de vérification, de l'identité et des fonctions des personnes auprès desquelles les recours pourront être exercés ; qu'elle donne suite à une demande de saisine, si celle-ci est recevable, avant la mise en recouvrement des impositions en litige. Les recours sont offerts successivement : la saisine de l'interlocuteur est subordonnée à la saisine préalable du premier niveau de recours.
Dans cette affaire, nul ne conteste que la Charte ait été adressée au contribuable en même temps que l'avis de vérification, le 16 novembre 2001. Dans une version alors en vigueur, le paragraphe 5 du chapitre III de la Charte précisait que le contribuable peut saisir l'inspecteur divisionnaire ou principal pour obtenir des éclaircissements supplémentaires, dans l'hypothèse où le vérificateur maintient totalement ou partiellement les rehaussements envisagés. Si, après ces entretiens, des divergences subsistent, il peut faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur et dont dépend le vérificateur. Les choses doivent se faire dans cet ordre (CE 9° s-s., 27 octobre 2004, n° 264493, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5808D7A, RJF, 2005, 1, comm. 50). Autrement dit, un contribuable qui n'a pas saisi régulièrement l'inspecteur principal d'une demande d'entretien ne peut utilement se prévaloir de la garantie tenant à la faculté de saisir l'interlocuteur départemental. Il appartient au contribuable d'apporter, autrement que par la production d'un courrier simple, la preuve qu'il a demandé la saisine de l'interlocuteur (CE 8° et 3° s-s-r., 20 octobre 2000, n° 204814, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9594AHS, RJF, 1, 2001, comm. 58).
Comme le fait observer le Conseil d'Etat, s'il est vrai que des versions différentes de la Charte ont été édictées, il n'en reste pas moins qu'elles n'ont aucune incidence sur les motifs et le dispositif de l'arrêt attaqué. Il n'est pas rare que la Charte soit modifiée par des additifs qui résultent de l'intégration de diverses dispositions incluses dans des lois de finances impactant le texte. Il a été jugé que la circonstance que la Charte ne comporte pas la mention des dispositions nouvelles issues de la dernière loi de finances n'a pas pour effet de vicier la procédure d'imposition, dès lors que ces lacunes ne sont pas de nature à priver le contribuable d'une garantie essentielle (CE 20 octobre 2000, n° 204814, précité, Droit fiscal, 2001, comm. 437, concl. Emmanuelle Mignon).
Au cas particulier, les représentants de la société ont été reçus, le 16 septembre 2002, par l'inspecteur principal, qui a fait savoir qu'il ferait connaître sa position ultérieurement. Celle-ci n'a pas été exposée à l'entreprise avant la notification, soit le 12 novembre 2002. La Charte n'impose pas que l'interlocuteur départemental informe le contribuable des résultats de sa démarche (CE 7° et 8° s-s-r., 21 juin 2002, n° 29313, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9457ALT, RJF, 2002, 10, comm. 1138).
La mise en recouvrement des impositions est intervenue dès le lendemain, le 13 novembre 2002. Une cour administrative d'appel a jugé que l'administration qui a interrompu la procédure de recouvrement dès qu'elle a eu connaissance du souhait du contribuable d'être reçu par l'interlocuteur, doit être regardée comme ayant régulièrement satisfait cette demande et respecté les dispositions de la Charte, lorsque l'avis de mise en recouvrement a été rendu exécutoire après réception du contribuable (CAA Bordeaux, 4ème ch., 17 mars 2005, n° 01BX00945, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8062DH3, RJF, 2005, 10, comm. 1058). L'administration ne peut mettre en recouvrement des impositions sans que l'interlocuteur départemental, ou régional, ait, au préalable, reçu le contribuable qui demande à le rencontrer (CAA Lyon, 7 juin 2000, n° 96LY01141, inédit au recueil Lebon, RJF, 2000, 11, comm. 1200).
Dans ces conditions, le Conseil d'Etat a estimé, à bon droit, que le délai était trop bref pour permettre la saisine de l'interlocuteur départemental. Si la suspension de la mise en recouvrement était matériellement impossible, l'administration avait toujours la possibilité de dégrever les impositions litigieuses, pour permettre cette saisine.
En qualité d'associé d'une société civile immobilière, le contribuable a reçu, le 2 novembre 1999, une notification de redressements mentionnant l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée, la contribution pour le remboursement de la dette sociale, et le prélèvement social de 2 %, parmi les impositions rectifiées au titre des années 1996, 1997 et 1998.
La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 3 novembre 2009, a prononcé la décharge des compléments de cotisations sociales et de prélèvement social, mais aussi des pénalités correspondantes, au titre des trois années susvisées, ainsi que les pénalités de mauvaise foi mises à la charge du contribuable au titre de l'impôt sur le revenu de l'année 1997 (CAA Marseille, 4ème ch., 3 novembre 2009, n° 07MA01086, inédit au recueil Lebon [LXB=]).
Le ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat s'est pourvu en cassation contre cet arrêt.
Il est un principe qui s'impose à l'administration : quand celle-ci adresse une proposition de rectification au contribuable (notification de redressements), celle-ci doit être motivée de telle sorte que le contribuable soit en mesure de formuler des observations, ou de faire connaître son acceptation (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4).
Il est de jurisprudence constante que la motivation d'une proposition de rectification vaut pour chacun des chefs de redressements (CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 183659, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2097AII, RJF, 2001, 3, comm. 382) et, lorsqu'un chef de redressement est fondé sur plusieurs éléments qui ont fait l'objet d'une justification, d'une évaluation et d'une prise en compte distincte dans la notification adressée au contribuable, le caractère suffisant de la motivation de ce chef de redressement pouvant s'apprécier séparément pour chacun de ces éléments (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 313577, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1331E43, Droit fiscal, 2010, 44, comm. 544, concl. Laurent Olléon). Par conséquent, il est tout à fait possible qu'une proposition de rectification soit régulière au regard de certains chefs de redressements suffisamment motivés, et irrégulière pour ceux qui sont insuffisamment motivés (CE 7° et 8° s-s-r., 1er juillet 1987, n° 52983, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2932APB, Droit fiscal, 1987, comm. 1096, concl. Olivier Fouquet).
Il est fait observer que la contribution sociale généralisée, la contribution pour le remboursement de la dette sociale et le prélèvement social de 2 % sont des impositions distinctes de l'impôt sur le revenu, quand bien même elles sont assises, contrôlées et recouvrées selon les mêmes règles.
En l'espèce, l'administration a motivé, en droit et en fait, les rehaussements relatifs à l'impôt sur le revenu, à indiquer les redressements pour les autres impositions et sans préciser le fondement juridique de chacune d'elles.
La cour administrative d'appel a tiré pour conséquence que l'administration avait insuffisamment motivé les redressements concernant les impositions autres que l'impôt sur le revenu.
Le Conseil d'Etat ne l'a pas suivi dans cette voie, ce qui peut paraître surprenant au regard de sa jurisprudence. En effet, la Haute assemblée a jugé que les indications figurant sur une notification de redressements et relatives aux contributions additionnelles et temporaires à l'impôt sur les sociétés applicables aux exercices clos au cours des années de l'imposition en litige, peuvent se limiter à la mention de leur montant, sans reprendre les éléments de base déjà indiqués pour l'impôt sur les sociétés, ce qui était suffisant au regard des exigences de l'article L. 57 du LPF (CE 9° et 10° s-s-r., 2 juin 2010, n° 322663, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2054EYQ, RJF, 2010, 8-9, comm. 775).
Il est un fait que le prélèvement social et la contribution sociale généralisée constituent des impositions distinctes de l'impôt sur le revenu, même si le législateur a renvoyé, pour les règles relatives à leur établissement, leur recouvrement et leur contentieux à celles qui régissent l'impôt sur le revenu. Le Conseil d'Etat, dans un avis rendu le 10 novembre 2004, considère que le législateur ne s'est pas borné à majorer un impôt existant mais a créé des contributions distinctes de l'impôt sur le revenu (CE avis, 3° et 8° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 268852, n° 268854 et n° 269199, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9067DD8, RJF, 2005, 2, comm. 163). La conséquence qu'il convient de retenir est que ces contributions doivent faire l'objet d'une mention spécifique dans la proposition de rectification. Si ce principe n'est pas respecté, cette dernière ne peut pas servir de fondement à l'établissement d'un complément d'imposition de ces prélèvements et n'interrompt pas la prescription (CE 3 et 8° s-s-r., 5 octobre 1985, n° 270341, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6972DKG, RJF, 2005, 12, comm. 1438).
Le contribuable, qui doit être mesure de se défendre, et l'administration, qui propose des rectifications, ont tout à gagner à ce que chaque chef de redressement soit motivé, en fait comme en droit.
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Réf. : Décrets n° 2011-916 (N° Lexbase : L8773IQY) et n° 2011-934 (N° Lexbase : L8999IQD) du 1er août 2011
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)
Le 16 Septembre 2011
Le bénéfice d'une pension de retraite à taux plein suppose la réunion de deux conditions : une condition d'âge et une durée d'assurance minimale (2). On sait que la loi du 9 novembre 2010 (3) a fait évoluer la condition d'âge en la faisant passer de 60 à 62 ans (4), avec toutefois une entrée en vigueur progressive comme le met en évidence le tableau ci-dessous (5).
Né avant le 1er juillet 1951 | 60 ans |
Né entre le 1er juillet et le 31 décembre 1951 | 60 ans et 4 mois |
Né entre le 1er janvier et le 31 décembre 1952 | 60 ans et 8 mois |
Né entre le 1er janvier et le 31 décembre 1953 | 61 ans |
Né entre le 1er janvier et le 31 décembre 1954 | 61 ans et 4 mois |
Né entre le 1er janvier et le 31 décembre 1955 | 61 ans et 8 mois |
Né à compter du 1er janvier 1956 | 62 ans |
La condition de durée d'assurance a elle aussi connu des évolutions depuis la loi "Fillon" de 2003 (6) qui a porté la durée d'assurance nécessaire pour liquider une pension de retraite à taux plein à 164 trimestres à compter de 2012 (soit 41 annuités). Un décret du 1er août 2011 vient allonger la durée requise pour les assurés nés en 1955 tandis qu'un autre, pris le même jour, assouplit les conditions de validation des périodes de chômage non indemnisé.
Allongement de la durée d'assurance pour la génération née en 1955. C'est la loi de 2003 qui a posé le principe de l'ajustement de la durée d'assurance en tant que besoin, l'objectif affiché étant de respecter un rapport constant de deux tiers/un tiers entre la durée d'assurance et la durée moyenne de retraite (art. 5-III). La réforme de 2010 ne revient pas sur le principe mais procède à une simplification de la procédure conduisant à envisager cet ajustement, l'avis de la Commission de garantie des retraites étant notamment supprimé. En application de son article 17, un décret du 30 décembre 2010 a porté la durée d'assurance requise à 165 trimestres pour les assurés nés en 1953 et 1954 (soit 41 ans et 1 trimestre) (7).
Pour les générations nées à compter du 1er janvier 1955, la loi du 9 novembre 2010 précise que la durée d'assurance exigée devra être connue de ces assurés l'année de leurs 56 ans. C'est en application de cette disposition qu'est paru en août dernier un décret fixant à 166 trimestres la durée nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein pour les assurés nés en 1955 (soit 41 ans et 2 trimestres) (8). Est ainsi respectée l'exigence légale que la durée d'assurance soit fixée au plus tard au 31 décembre de l'année au cours de laquelle les assurés atteignent l'âge de 60 ans minoré de 4 ans (9).
Par conséquent, un assuré né en 1955 pourra prétendre à une pension de retraite à taux plein à partir de 61 ans et 8 mois (10) sous réserve d'avoir validé 166 trimestres d'assurance, le décret du 1er août 2011 ayant allongé d'un trimestre la durée d'assurance pour cette génération. Le relèvement de cette durée contribuera quasi mécaniquement à ce que nombre d'assurés nés en 1955 diffèrent leur demande de liquidation au-delà de 61 ans et 8 mois faute de pouvoir justifier de 41,5 annuités. Cette situation est susceptible de se présenter spécialement pour les personnes entrées tard dans la vie active. Tel sera par exemple le cas d'assurés ayant poursuivi des études longues ou ayant connu des difficultés d'accès au marché de l'emploi. Pour ces derniers, la question de la validation des primo périodes de chômage devient importante. Elle a donné lieu à une évolution réglementaire cet été (v. ci-dessous).
Calcul de la durée d'assurance : validation de la première période de chômage non indemnisée. Le mode de calcul de la durée d'assurance n'a été modifié ni par la réforme des retraites de 2003 ni par celle du 9 novembre 2010. Il est attribué autant de trimestres que le salaire correspondant aux retenues subies par l'assuré sur sa rémunération représente de fois le montant du SMIC en vigueur au 1er janvier de l'année considérée (calculé sur la base de 200 heures), avec un maximum de 4 trimestres par année civile. Cela traduit la logique contributive du système de retraite (CSS, art. L. 351-2 N° Lexbase : L2940ICU).
La loi assimile toutefois certaines périodes d'interruption de travail ou de "non travail" à des périodes de cotisations, ce qui permet de valider des trimestres d'assurance sans que pour autant ces trimestres correspondent à des périodes d'activité professionnelle. Il en va ainsi des périodes pendant lesquelles l'assuré a bénéficié des prestations maladie, maternité, invalidité, accident du travail (CSS, art. L. 351-3, 1° N° Lexbase : L8819IQP). L'article L. 351-3 vise, également, les périodes de chômage indemnisé qui sont assimilées à des périodes d'assurance à raison d'un trimestre pour 50 jours d'indemnisation chômage (dans la limite de 4 trimestres validés par an).
Les textes font également place aux périodes de chômage non indemnisé (CSS, art. R. 351-12, 4° d N° Lexbase : L9156IQ8). Ainsi, lorsqu'un chômeur a cessé d'être indemnisé, chaque période ultérieure de chômage non indemnisé est prise en compte à condition qu'elle succède sans solution de continuité à une période de chômage indemnisé. La validation peut alors s'effectuer en principe dans la limite d'un an ; cette limite est toutefois portée à 5 ans pour les assurés d'au moins 55 ans justifiant d'une durée de cotisation d'au moins 20 ans.
Mais la réglementation porte également sur la première période -continue ou non- de chômage non indemnisé. Cela permet de ne pas occulter les débuts de carrière difficiles et la situation des primo demandeurs d'emploi. Jusqu'à présent, il était possible de tenir compte de cette première période dans la limite d'un an et de valider au plus 4 trimestres d'assurance. Par réalisme, un décret du 1er août 2011 (12) améliore le mécanisme d'assimilation. Pour les périodes de chômage postérieures au 31 décembre 2010, la première période de chômage non indemnisé peut désormais être prise en compte dans la limite d'un an et demi sans que plus de 6 trimestres d'assurance puissent être comptés à ce titre.
Il est à noter que ce même texte réglementaire adopte une mesure administrative qui va dans le sens de la simplification pour les assurés et contribue à "fiabiliser la validation de ces périodes par l'assurance vieillesse" (extrait de la notice jointe au décret). Pour les périodes de chômage non indemnisé postérieures au 30 juin 2012, il appartiendra aux organismes en charge de l'indemnisation chômage de transmettre aux caisses de l'assurance vieillesse les informations relatives à ces périodes afin de validation éventuelle... tout comme ils doivent déjà le faire pour les périodes de chômage indemnisé (CSS, art. R. 351-13). Il est ainsi mis fin à la complexité administrative antérieure qui faisait peser sur l'assuré la charge de demander la prise en compte des périodes non indemnisées (13). Dans un souci d'effectivité des droits, la modification doit être saluée.
II - Dispositions spéciales en matière de retraite : d'utiles précisions administratives
Dans deux circulaires diffusées au mois d'août, la CNAV apporte d'utiles précisions sur deux situations particulières de retraite : celle des travailleurs handicapés et celle des allocataires de l'allocation "amiante".
Retraite anticipée des travailleurs handicapés. Sous réserve de remplir certaines conditions de durée d'assurance (durée totale et durée cotisée) (14), les assurés handicapés peuvent prétendre au bénéfice d'un dispositif de retraite dérogatoire à un double titre : d'une part, la condition d'âge exigée pour pouvoir faire valoir leurs droits à retraite est abaissée à 55 ans (d'où une retraite anticipée) ; d'autre part, leur pension fait l'objet d'une majoration en fonction de la durée ayant donné lieu à cotisations (CSS, art. L. 351-1-3 N° Lexbase : L3199INS).
La loi du 9 novembre 2010 n'a pas modifié les caractéristiques du régime de retraite anticipée des assurés handicapés mais elle en a élargi très substantiellement le champ d'application. En effet, jusqu'à cette réforme, seuls les assurés atteints d'une incapacité d'au moins 80 % pouvaient prétendre à ce régime aménagé de retraite. L'article 97 de la loi ouvre cette possibilité aux assurés bénéficiant "de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé mentionné à l'article L. 5213-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2448H9K)". Afin d'accompagner cette modification du champ des bénéficiaires, la CNAV a diffusé aux caisses une circulaire (circulaire CNAV n° 2011-21 du 7 mars 2011 N° Lexbase : L4951IP3). Manifestement, ces instructions n'ont pas répondu à toutes les questions que le réseau de l'assurance vieillesse se pose. Pour l'essentiel, c'est la qualité de travailleur handicapé qui a suscité des interrogations conduisant la CNAV à diffuser une seconde circulaire afin de lever les incertitudes sur le champ d'application du texte (circulaire CNAV n° 2011-63 du 23 août 2011 N° Lexbase : L9818IQP).
Les difficultés trouvent leur origine dans l'évolution législative relative au handicap intervenue en 2005 (15). Ce texte modifie, en effet, les modalités de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Il est notamment mis un terme à l'ancienne classification conduisant à classer les travailleurs handicapés dans trois catégories : catégorie A en cas de handicap léger ou temporaire, catégorie B pour un handicap modéré et durable, catégorie C pour une situation de handicap grave et définitif. Cependant, le ministère en charge de la Sécurité sociale avait décidé que les personnes ayant été antérieurement classées dans la catégorie C devaient être assimilées à des personnes handicapées pour l'application des règles relatives à la retraite anticipée (16). Ces règles ont ensuite été modifiées puisque la réforme du 9 novembre 2010 prévoit désormais expressément que les travailleurs handicapés peuvent, es qualité et à certaines conditions, demander le bénéfice de la retraite anticipée "handicapé". Or, manifestement, le réseau de l'assurance vieillesse n'a pas tiré toutes les conséquences de cet élargissement du champ d'application personnel de l'article L. 351-1-3 du Code de la Sécurité sociale. Par sa circulaire du 23 août dernier, la CNAV procède à un "rappel à l'ordre" des caisses en soulignant que la loi du 9 novembre 2010, dans ses dispositions relatives à la retraite anticipée "handicapé", fait renvoi à la notion de travailleur handicapé telle que définie strictement à l'article L. 5213-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2448H9K) ("toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique"). La CNAV donne donc instruction aux organismes gestionnaires de ne plus se référer à l'ancienne classification.
La circulaire rappelle de façon très explicite que "le droit à la retraite anticipée est désormais ouvert au profit de l'ensemble des travailleurs handicapé". Pour la mise en oeuvre de l'article L. 351-1-3 du Code de la Sécurité sociale, elle enjoint aux organismes gestionnaires de ne tenir compte ni de la date de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ni de la catégorie dans laquelle le demandeur avait été classé. Par conséquent, sont recevables les justificatifs attestant de la qualité de travailleur handicapé délivrés par les différentes instances ayant ou ayant eu compétence pour procéder à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Cela renvoie aux décisions des Commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), mais également à celles délivrées par les institutions ayant précédé les CDAPH : les COTOREP (Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel) et avant elles les Commissions départementales d'orientation des infirmes.
De façon implicite, la circulaire appelle les caisses à un traitement administratif "intelligent" en cohérence avec l'élargissement du champ d'application de la retraite anticipée "handicapé". Autrement dit, les demandeurs ne doivent pas être pénalisés par l'évolution des modalités de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. A titre d'exemple, la circulaire précise que, pour être recevable, il n'est pas nécessaire que l'attestation fournie fasse suivre la mention de la qualité de travailleur handicapé de la référence au Code du travail.
Passage à la retraite des bénéficiaires de l'allocation "amiante". On sait que, depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, a été institué un dispositif, progressivement élargi, dit de préretraite amiante au bénéfice de certains salariés ayant été exposés à l'aimante (17). La mise en oeuvre de ce dispositif prend la forme du versement d'une allocation de cessation anticipée d'activité (ATA).
La réforme sur les retraites ne modifie par le dispositif de l'ATA. En revanche, elle modifie les modalités de passage à la retraite des titulaires de l'ATA. Jusqu'alors, le Code de la Sécurité sociale prévoyait que le "basculement" s'opérait lorsque l'allocataire remplissait les conditions requises pour bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein : à 60 ans pour une durée d'assurance complète ou, à défaut, à 65 ans. Avec la loi du 9 novembre 2010, est abandonnée la référence à l'âge auquel une pension de retraite à taux plein peut être obtenue. En effet, l'article 87 maintient les bornes de 60 et 65 ans pour le passage de l'ATA à une pension de retraite. Contrairement aux autres assurés nés à compter du 1er juillet 1951 (v. tableau ci-dessus), les bénéficiaires de l'ATA ne subissent donc pas le relèvement des limites d'âge en matière de retraite. En d'autres termes, il en résulte un nouveau cas de retraite anticipée, la liquidation d'une retraite à taux plein s'effectuant par dérogation aux dispositions de l'article L. 161-17-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3079IND).
Par la circulaire n° 2011-56 du 2 août 2011 (N° Lexbase : L8896IQK), la CNAV fait le point sur les différentes conséquences de la loi du 9 novembre 2010 sur le passage à la retraite des titulaires de l'ATA. Est ainsi mise en évidence la neutralisation du relèvement des bornes d'âge. Ainsi, pour les allocataires nés à compter du 1er juillet 1951, deux situations de principe peuvent se présenter : un passage à la retraite à taux plein à partir 60 ans (au lieu de 62) s'ils justifient de la durée d'assurance requise, un passage à la retraite à taux plein au plus tard à 65 ans (au lieu de 67) quelle que soit leur durée d'assurance (18).
(1) On peut également signaler la circulaire CNAV n° 2011-59 du 8 août 2011 (N° Lexbase : L9814IQK), qui aborde les conséquences du recul de l'âge légal et de l'âge du taux plein sur l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ou encore les prestations vieillesse non contributives (spécialement l'allocation de solidarité aux personnes âgées).
(2) Pour les pensions des fonctionnaires, l'expression "durée de services" est substituée à durée d'assurance.
(3) Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9).
(4) Voir les obs. de Ch. Willmann, La réforme des retraites en deux chiffres : 62 et 67 ans, Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : L3048IN9).
(5) Le plein effet de la mesure ne se produira qu'à compter de 2018 pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1956. Autrement dit, il y a une entrée en vigueur progressive pour les pensions liquidées à compter du 1er juillet 2011 à raison de 4 mois supplémentaires par an pour les assurés nés entre 1951 et 1955.
(6) Loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM).
(7) Décret n° 2010-1734 du 30 décembre 2010 (N° Lexbase : L0072IPD).
(8) Décret n° 2011-916 du 1er août 2011 (N° Lexbase : L8773IQY). Conformément à l'article 17 de la loi du 9 novembre 2010, le décret a été pris après avis technique rendu par le Conseil d'orientation des retraites (COR) le 6 juillet 2011. Le texte concerne également les assurés nés en 1955 et susceptibles de bénéficier du pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire.
(9) La durée d'assurance s'appliquant à une génération est celle qui correspond à l'année où les assurés atteignent leurs 60 ans. Concrètement, la durée de 166 trimestres prévue par le décret est la durée d'assurance en 2015. En revanche, la fixation de cette durée doit intervenir au moins 4 ans avant l'année au cours de laquelle ladite génération atteint 60 ans.
(10) C'est-à-dire à compter du 1er septembre 2016 pour un assuré né le 1er janvier 1955.
(11) Condition d'âge vérifiée au moment où l'assuré cesse de bénéficier de l'indemnisation.
(12) Décret n° 2011-934 du 1er août 2011 (N° Lexbase : L8999IQD).
(13) Jusqu'à présent, il devait produire, à l'appui de sa demande, une déclaration sur l'honneur signalant qu'il a été en état de chômage involontaire et qu'il n'a pas bénéficié d'un revenu de remplacement.
(14) La durée totale d'assurance et la durée d'assurance cotisée exigées sont variables en fonction de l'âge de l'assuré lors de la prise d'effet de sa pension.
(15) Loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (N° Lexbase : L5228G7R).
(16) Lettre ministérielle du 20 février 2006 et circulaire CNAV n° 2006-50 du 21 août 2006 (N° Lexbase : L6789HKN).
(17) Loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (art. 41) (N° Lexbase : L5411AS9).
(18) La circulaire est une sorte de catalogue des articulations pouvant exister entre le dispositif de l'ATA et les dispositions en matière de retraite. On y trouve notamment des précisions sur le non cumul de l'ATA avec une pension de vieillesse pour les allocataires susceptibles de prétendre au bénéfice de dispositions spéciales de retraite (en raison d'une carrière longue ou encore de la reconnaissance de la qualité d'assuré ou de travailleur handicapé ou au titre de la retraite "pénibilité").
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Réf. : Cass. crim., 15 juin 2011, n° 09-87.135, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6181HT4)
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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 22 Septembre 2011
On sait que des règles spéciales sont édictées en matière de terrorisme, marquées par leur grande sévérité dans le but de renforcer l'efficacité de la lutte contre ce type de criminalité (2). Ainsi, outre les infractions spécifiquement terroristes (3), le droit de la garde à vue subit-il d'importantes entorses, atténuées il est vrai par la récente réforme de la matière. La loi nouvelle prend en effet acte de la méthode imposée par la Cour européenne à propos du régime des gardes à vue dérogatoires (4), qui décide qu'une "restriction systématique" du droit pour le gardé à vue d'être assisté par un avocat fondé, non sur des "des raisons impérieuses résultant des circonstances de l'espèce" mais sur des catégories abstraites d'infractions identifiées d'après leur gravité, "suffit à conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention" (5). Conformément à ces préceptes, la loi nouvelle prévoit donc que le procureur de la République ne peut autoriser le report de la présence de l'avocat lors des auditions qu'à titre exceptionnel, "si cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête" (6). De même, c'est une cour d'assises spéciale, exclusivement composée de magistrats professionnels, qui est compétente pour juger de la culpabilité, en première instance comme en appel des accusés d'un crime terroriste (7). Destinée à prévenir d'éventuelles pressions sur les jurés, cette composition spéciale vise également à renforcer la sévérité, ainsi qu'en témoignent les règles de vote concernant les décisions défavorables à l'accusé (8).
Pour autant, cette nécessaire efficacité de la lutte contre le terrorisme ne saurait justifier une violation systématique des droits de l'Homme. Ainsi, la Cour européenne a-t-elle pu décider que l'article 3 de la Convention (N° Lexbase : L4764AQI), qui prohibe les traitements inhumains et dégradants, ne souffre nulle dérogation ou restriction même en cas de danger public menaçant la vie de la nation, comme le terrorisme (9). Cette nécessaire efficacité ne saurait davantage justifier, plus spécifiquement, une violation des droits de la défense, comme en témoigne l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 juin 2011. Il faut noter qu'en l'espèce la Haute juridiction prend un soin tout particulier à répondre de manière détaillée à l'ensemble des moyens soulevés par le pourvoi. Cette application de la Haute juridiction peut s'expliquer non seulement par la volonté de se montrer particulièrement vigilante quant au respect des droits de la défense dans une matière aussi sensible que celle du terrorisme, mais encore, sur un plan juridique, par la volonté de ne pas exposer cette procédure à une condamnation de la Cour européenne qui sera, sans nul doute, saisie dans cette affaire. L'invocation en l'espèce de cette foule de griefs est, en effet, destinée à permettre une saisine future de la Cour de Strasbourg qui décide que tous les griefs invoqués devant elle doivent au préalable avoir été soulevés devant les juridictions nationales, faute de quoi la requête individuelle est jugée irrecevable à défaut d'épuisement des voies de recours internes.
Toutefois, seuls seront ici étudiés les griefs les plus pertinents qui, tous fondés sur la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, c'est-à-dire sur le droit à un procès équitable, tiennent à l'obligation de motivation des arrêts d'assises (I), à la présomption d'innocence, à l'impartialité et à l'indépendance des magistrats (II) et enfin à la violation de la règle non bis in idem (III).
I - Obligation de motivation des arrêts de cour d'assises et droit à un procès équitable
L'un des moyens au pourvoi faisait valoir que les questions posées à la cour d'assises doivent être rédigées en énonçant, fut-ce de façon résumée, les faits figurant dans le dispositif de l'acte d'accusation faute de quoi l'arrêt de condamnation ne saurait être considéré comme suffisamment motivé. C'était là poser la question du défaut de motivation des arrêts de cour d'assises et de sa compatibilité avec le droit à un procès équitable. L'argument est rejeté par la Cour de cassation au motif que "sont reprises dans l'arrêt de condamnation les réponses qu'en leur intime conviction, les magistrats composant la cour d'assises d'appel spécialement composée, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité, ont données aux questions sur la culpabilité posées conformément aux dispositifs des décisions de renvoi et soumises à la discussion des parties". En conséquence, et "dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, il a été satisfait aux exigences conventionnelles".
Pour n'être pas nouvelle (10), la solution n'en mérite pas moins d'être remarquée en ce qu'elle est la première à se prononcer sur la question de la motivation des arrêts d'assises postérieurement à l'important arrêt "Taxquet" du 16 novembre 2010 (11), rendu par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Avant cet arrêt en Grande chambre, la Belgique avait au préalable été condamnée par la Cour européenne dans un premier arrêt "Taxquet" du 13 janvier 2009 (12) pour violation du droit à un procès équitable. La Cour avait en effet estimé que les "réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale ont pu donner au requérant l'impression d'une justice arbitraire et peu transparente. Sans au moins résumer les principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant, celui-ci n'était pas à même de comprendre -et donc d'accepter- la décision de la juridiction". Une telle exigence de motivation des arrêts de cour d'assises avait pu être interprétée comme sonnant le glas des arrêts d'assises fondés sur la seule intime conviction des jurés. Toutefois, à la suite d'une demande du gouvernement belge, la Grande chambre de la Cour fut saisie conformément à l'article 43 de la Convention (N° Lexbase : L4779AQ3), demande à laquelle se sont joints les gouvernements français, britannique et irlandais, ce qui permet de mesurer l'importance de la question dans nombre d'Etats signataires de la Convention.
Dans son arrêt, la Grande chambre commença par rappeler solennellement qu'il ne saurait être question de remettre en cause l'institution du jury populaire. Ainsi, prenant acte des particularités de la procédure devant la cour d'assises, la Cour admet d'emblée que la Convention ne requiert pas nécessairement que le verdict soit motivé, dès lors toutefois que certaines garanties, destinées à compenser le défaut de motivation, sont présentes. Ces garanties tiennent pour l'essentiel à la précision de l'acte d'accusation, à l'existence de voie de recours, au rôle assuré par le président de la cour d'assises et enfin au nombre et à la précision des questions posées au jury, lesquelles doivent être de nature à former "une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l'absence de motivation". Dans l'espèce considérée, la Cour concluait toutefois que ces garanties étaient insuffisantes dès lors que l'acte d'accusation n'était pas assez précis quant à l'implication de l'accusé, que les questions posées étaient laconiques et ne se référaient à aucune circonstance concrète qui auraient permis à l'accusé de comprendre le verdict, éléments d'autant plus importants que le jury ne tranche pas sur les éléments du dossier mais sur les seuls débats à l'audience. En définitive, c'est donc la précision des questions qui constitue l'élément décisif permettant de compenser le défaut de motivation des arrêts d'assises. Ainsi peut s'expliquer l'absence de condamnation de la France dans l'affaire "Papon" dans laquelle pas moins de 768 questions avaient été posées au jury qui se référaient tant aux faits concrets de l'espèce qu'aux articles du Code pénal dont il était fait application (13).
Cet arrêt, fort attendu, est extrêmement important car, comportant des exigences moindres que le premier arrêt "Taxquet", il ne remet pas fondamentalement en cause l'institution du jury populaire et la procédure devant la cour d'assises. En effet, alors que l'arrêt de 2009 exigeait une motivation directe du verdict, supposant "au moins un résumé des principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant", la Grande chambre se contente pour sa part d'une simple motivation indirecte résultant de la précision de l'acte d'accusation et des questions posées au jury. Selon la Cour européenne, cette motivation, même indirecte, poursuit un triple objectif. Tout d'abord, le public, et en premier lieu l'accusé, doivent être en mesure de comprendre le verdict et les raisons de la condamnation, ce qui non seulement constitue une garantie contre l'arbitraire mais instaure encore la confiance de l'opinion publique dans une justice objective et transparente (14). On peut toutefois rester circonspect quant à cette justification dès lors que l'on perçoit mal comment l'accusé pourrait comprendre les raisons du verdict au vu des seules réponses exprimées par un "oui" ou un "non", quand bien même ces questions seraient précises, nombreuses et concrètes. Ensuite, la motivation démontre aux parties qu'elles ont été entendues, ce qui contribue à une meilleure acceptation de la décision. Enfin, la motivation oblige les juges à fonder leur raisonnement sur des arguments juridiques, ce qui constitue, là encore, une garantie contre l'arbitraire. Ainsi conçue, l'obligation de motivation apparaît essentiellement comme une question de légitimité et de confiance en la justice.
Le droit interne semble, quant à lui, retenir une toute autre conception de l'exigence de motivation. En effet, le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité qui soutenait que les articles 349 (N° Lexbase : L3749AZU), 350 (N° Lexbase : L4370AZU), 353 (N° Lexbase : L3752AZY) et 357 (N° Lexbase : L3756AZ7) du Code de procédure étaient contraires à la Constitution en ce qu'ils ne permettent pas de motiver et d'expliquer les raisons de la décision de déclaration de culpabilité autrement que par des réponses affirmatives à des questions posées de manière abstraite. Dans une décision du 1er avril 2011 (15), le Conseil constitutionnel décida, certes, que l'obligation de motivation constitue une garantie légale contre l'arbitraire du procès pénal mais n'en admet pas moins que l'absence de motivation peut être justifiée "à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l'arbitraire". Or, le Conseil estime que ces garanties sont suffisantes en droit français, dès lors, d'une part, que les jurés ne forgent leur intime conviction que sur les seuls éléments de preuve contradictoirement débattus et, d'autre part, que les questions posées sont claires, précises et individualisées.
Le Conseil constitutionnel place donc le débat sur le terrain des droits de la défense en considérant que le défaut de motivation des arrêts d'assises n'est admissible qu'à la condition que les preuves aient été l'objet d'un débat contradictoire. Cette impression se renforce s'il est observé que le Conseil ne reconnaît l'obligation de motivation des décisions pénales que pour les seuls jugements et arrêts de condamnation, de sorte que ce sont les droits de la défense, et non l'exigence de transparence de la justice, qui fondent l'obligation de motivation (16). Or, la Chambre criminelle adopte une conception strictement identique dans son arrêt du 15 juin 2011 puisqu'elle décide que les exigences tenant au droit à un procès équitable sont satisfaites "dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats".
La cause paraît donc désormais entendue tant en droit européen qu'en droit interne : la motivation indirecte, résultant de la précision tant de l'acte d'accusation que des questions posées au jury, suffit à satisfaire à l'exigence du droit à un procès équitable. La position de la Chambre criminelle n'a pour sa part jamais varié puisque, alors même que la motivation des arrêts d'assises était menacée par le premier arrêt "Taxquet", la chambre n'en a pas moins toujours décidé que la procédure était conforme à l'article 6 § 1 de la Convention en posant le principe repris mot pour mot par l'arrêt ici commenté (17).
Plus profondément, la question de la motivation des arrêts d'assises pose en premier lieu celle de sa compatibilité avec le principe de l'intime conviction qui fonde la décision du jury d'assises (18). Si la notion d'intime conviction est difficile à cerner (19), elle peut toutefois être définie, dans une première approche, comme l'impression laissée aux jurés par les éléments du débat, comme l'addition de sentiments diffus leur permettant de parvenir à la décision. Or, ainsi comprise, l'intime conviction semble radicalement incompatible avec l'exigence de motivation. Mais le droit français semble retenir une autre conception du principe de l'intime conviction, compris comme le corollaire du système de preuve morale qui laisse au juge la liberté d'apprécier les éléments de preuve qui lui sont soumis (20), par opposition au système de preuve légale qui prévalait sous l'ancien régime (21). Or, dès l'instant que le juge correctionnel se décide lui aussi d'après son intime conviction et que, pour autant, il n'en est pas moins soumis à une obligation de motivation, il en résulte qu'obligation de motivation et intime conviction ne sont pas nécessairement exclusives l'une de l'autre (22). A fortiori, l'intime conviction n'est-elle pas incompatible avec l'exigence d'une motivation indirecte, jugée suffisante.
La question de la motivation des arrêts d'assises pose encore celle, en second lieu, de la nécessaire professionnalisation des cours d'assises. Dès lors que le jury ne dispose pas de la formation et des compétences nécessaires pour formuler les motifs juridiques de la décision, l'exigence de motivation implique fatalement une certaine professionnalisation de la cour d'assises, en confiant le soin de la motivation au président de la cour. On notera, d'ailleurs, que l'arrêt de la Grande chambre insiste sur le rôle essentiel du président de la cour pour garantir le droit à un procès équitable. Ainsi pourrait se trouver sauvée des foudres de la Cour européenne la récente création des tribunaux correctionnels dans leur forme dite citoyenne (23), dans la mesure où la motivation de la décision relèvera sans nul doute de la tâche des magistrats professionnels, non de celle des citoyens.
II - Présomption d'innocence, indépendance et impartialité du tribunal
L'accusé faisait état dans son pourvoi de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et préliminaire du Code de procédure pénale en ce que la cour d'assises avait rejeté l'exception d'irrecevabilité des poursuites en raison de l'atteinte irréparable portée à la présomption d'innocence du fait des propos tenus Garde des Sceaux en exercice à l'époque des faits. Celui-ci avait, en effet, nommément désigné l'accusé comme ayant "manifestement joué un rôle central dans un ensemble d'attentats commis en France", propos qui, selon le pourvoi, attribuaient à cet individu une culpabilité certaine relativement à des faits de nature criminelle en violation de la présomption d'innocence.
Mais en l'espèce, et quoi que le pourvoi ait sollicité l'irrecevabilité des poursuites sur ce fondement, l'invocation de la présomption d'innocence n'était pas une fin en soi, mais un simple moyen de prouver le défaut d'indépendance et d'impartialité de la cour d'assises spéciale. Le pourvoi établissait en effet un lien de corrélation entre l'atteinte à la présomption d'innocence, d'une part, et le défaut d'impartialité ou d'indépendance de la juridiction, d'autre part : dès lors que les propos considérés comme attentatoires à la présomption d'innocence ont été tenus par le Garde des Sceaux dont relève directement le ministère public, lequel, ayant participé à l'enquête, est partie intégrante et nécessaire des juridictions répressives, l'impartialité et l'indépendance de la juridiction ne saurait être considérées comme garanties. Reprenant à cet égard la motivation de la cour d'appel, la Chambre criminelle balaye cependant cet argument en décidant que les expressions d'opinion invoquées par le demandeur n'étaient pas de nature à porter atteinte à l'indépendance des magistrats composant la cour ou à remettre en cause leur impartialité.
La solution paraît a priori logique. Selon la Cour européenne des droits de l'Homme, l'exigence d'impartialité s'apprécie objectivement et implique que le justiciable puisse nourrir des doutes objectivement justifiés sur l'impartialité du juge, de nature à ébranler la confiance légitime que tout tribunal doit inspirer au justiciable (24). Il s'agit alors de rechercher si le tribunal offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime (25). Or, en l'espèce, aucun doute objectif ne semblait pouvoir être émis à l'encontre des magistrats du siège. Tout d'abord, il n'était nullement démontré que le juge avait un parti pris en son for intérieur, qu'il avait favorisé ou défavorisé l'accusé, au regard de ses convictions ou de son comportement personnels -impartialité subjective-. Ensuite, un défaut d'impartialité objective ou fonctionnelle, qui "consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier" (26), telle une atteinte au principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement, ne pouvait davantage être relevé. Enfin, aucun défaut d'indépendance des magistrats du siège, définie comme l'absence de liens entre le juge et les parties, et le pouvoir législatif ou exécutif (27), n'était susceptible d'être démontré dès lors que le statut des magistrats professionnels -qui composaient en l'espèce la cour d'assises spéciale- est précisément conçu pour garantir leur indépendance, notamment à l'égard du pouvoir exécutif.
Toutefois, malgré l'apparente logique de la décision, il faut noter que la Cour de cassation ne répond pas véritablement à la question soulevée par le pourvoi en ce qu'elle se prononce sur l'indépendance et l'impartialité des magistrats du siège, là où le pourvoi mettait en cause, plus largement, l'indépendance de la juridiction dans son ensemble, ministère public inclus : "il ne suffit pas pour que l'impartialité et l'indépendance de la juridiction soient garanties que les magistrats du siège, compte tenu de leur statut, ne puissent pas personnellement être suspectés de manque d'impartialité et d'indépendance" (nous soulignons). Il s'agissait là en réalité pour le pourvoi de mettre en cause le rôle du ministère public au sein de la cour d'assises, en se faisant l'écho de la jurisprudence de la Cour européenne qui a jugé, dans les fameux arrêts "Medvedyev" et "Moulin" (28), que le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 1 et 3 (N° Lexbase : L4786AQC) de la Convention dès lors qu'il lui manque non seulement l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif (29), mais encore l'impartialité du fait des prérogatives de poursuites qui lui sont conférées (30). La Cour de cassation botte ainsi en touche car, s'il est certain que les principes d'impartialité et d'indépendance des tribunaux s'appliquent tant aux magistrats de jugement qu'à ceux chargés de l'instruction (31), la question du défaut d'indépendance et d'impartialité du ministère public, qui rejaillirait mécaniquement sur la juridiction de jugement dans son ensemble, n'a semble-t-il jamais été posée. En poussant le raisonnement du pourvoi, la seule présence du ministère public, partie intégrante et nécessaire des juridictions répressives, ferait ainsi en soi échec à l'exigence d'indépendance et d'impartialité de la juridiction, même en l'absence d'atteinte à la présomption d'innocence.
Une telle analyse serait toutefois excessive. Sans doute, le fait de confier le contrôle de la garde à vue au ministère public, système reconduit par la réforme de la garde à vue, peut-il être contesté au regard de la jurisprudence européenne (32). Sans doute encore le transfert au ministère public des pouvoirs d'enquête traditionnellement attribués au juge d'instruction, un temps annoncé, serait-il encore plus contestable (33). Mais, l'indépendance et l'impartialité de la juridiction de jugement ne saurait être remise en cause du seul fait de l'intervention du ministère public dans l'enquête, dès lors que celui-ci, simple autorité de poursuite et d'accusation, ne participe pas à la fonction de juger.
Il reste toutefois que les atteintes à la présomption d'innocence commises par le pouvoir exécutif sont parfois bien réelles. Insusceptibles d'être sanctionnées par l'exception d'irrecevabilité des poursuites, comme le rappelle ici la Haute juridiction, il reste alors la voie civile, ouverte par l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ), qui pose en principe que chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, et qui permet tant la réparation du dommage subi que le prononcé de toutes mesures destinées à la cessation de l'illicite.
III - La règle non bis in idem
L'accusé faisait valoir dans son pourvoi la violation de la règle non bis in idem, garantie par les articles 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qui interdit qu'une même faute soit l'objet d'une double poursuite et d'une double condamnation. Or, selon le pourvoi, ce principe aurait été méconnu en l'espèce dans la mesure où, antérieurement à la présente condamnation par la cour d'assises spéciale sur le fondement de la complicité d'assassinats, de tentatives d'assassinats, de destructions et de dégradations de biens appartenant à autrui par l'effet d'une substance explosive ayant causés divers dommages pour autrui, l'accusé avait déjà été poursuivi et condamné en 2006 sur le fondement du délit d'association de malfaiteurs, réprimé par l'article 450-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1964AMP).
Le pourvoi est toutefois rejeté par la Cour de cassation au motif que "l'association de malfaiteurs constitue un délit distinct tant des crimes préparés ou commis par ses membres que des infractions caractérisées par certains faits qui la concrétisent". En d'autres termes, les faits sur le fondement desquels l'accusé était renvoyé devant la cour d'assises étaient différents de ceux ayant justifié la condamnation antérieure au titre de l'association de malfaiteurs, de sorte que la double poursuite invoquée ne tombait pas sous le coup de la prohibition de la règle qui veut qu'un même fait autrement qualifié ne puisse donner lieu à une double déclaration de culpabilité. La solution paraît pleinement justifiée dès lors que les deux qualifications, d'association de malfaiteurs et de complicité des infractions sur le fondement desquelles l'accusé était renvoyé devant la cour d'assises, apparaissent comme des qualifications alternatives qui se distinguent par leurs éléments constitutifs, de sorte qu'il n'existe pas de situation de concours entre elles.
Les deux qualifications se distinguent, d'abord, par l'acte matériel qui les constitue. En effet, alors que la cour d'assises était saisie, en l'espèce, de complicité par fourniture de moyens ayant facilité des atteintes délibérées à la vie humaine ou à l'intégrité physique de l'individu, la condamnation antérieure avait statué quant à elle sur la participation à un "groupement formé [...] en vue de la préparation" de crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, c'est-à-dire sur des éléments de fait de nature à caractériser l'implication de l'accusé au sein d'un tel groupement. Les deux qualifications entraient d'autant moins en concours en l'espèce que, comme le précise la cour d'assises, les actes de complicité étaient dirigés en l'espèce vers la réalisation d'objectifs précisément déterminés, là où le groupement constitutif de l'association de malfaiteurs avait un objet indéterminé "dont le but consistait à organiser, développer et pérenniser un mouvement déterminé à imposer sa cause". Cette analyse se traduit d'ailleurs logiquement au plan de l'élément moral des deux qualifications : tandis que la répression de la complicité suppose une volonté de s'associer à une infraction déterminée, l'association de malfaiteurs suppose simplement que l'agent ait eu la volonté de participer au groupement, en ayant connaissance de ses buts délictueux (34).
Ensuite et surtout, les deux qualifications de complicité et d'association de malfaiteurs se distinguent quant à leur résultat. En effet, il suffit, pour que l'association de malfaiteurs soit constituée, que le groupement formé ait été concrétisé par un ou plusieurs actes préparatoires, de sorte que l'infraction est punissable avant même la mise en exécution du projet (35). A l'inverse, la répression de la complicité suppose un fait principal punissable, c'est-à-dire une infraction consommée ou au moins tentée, si bien que la complicité non suivie d'effet -situation parfois qualifiée improprement de tentative de complicité- n'est pas punissable. En conséquence, l'association de malfaiteurs est une infraction formelle, autonome à l'égard des infractions commises par les membres du groupement (36), ce que vient opportunément rappeler la Chambre criminelle en l'espèce : "l'association de malfaiteurs constitue un délit distinct des crimes préparés ou commis par ses membres".
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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen
Le 20 Octobre 2011
La décision d'exercer le droit de préemption urbain est probablement l'une des décisions administratives locales qui donne lieu au plus grand nombre de cafouillages, tant de la part des titulaires du droit de préemption, que de la part des notaires. C'est d'autant plus surprenant que la procédure est, dans son principe, d'une étonnante simplicité.
L'objet du droit étant de permettre à une collectivité de se substituer à l'acquéreur d'un immeuble situé sur son territoire, le vendeur a donc l'obligation d'informer la collectivité titulaire du droit de préemption de son projet de cession. Cette information prend la forme d'une déclaration d'intention d'aliéner (DIA) établie par le notaire qui mentionne le prix convenu et les conditions de la cession. La collectivité dispose de deux mois pour se prononcer sur une éventuelle préemption, le silence conservé dans ce délai étant assimilé à une renonciation à préempter. Les difficultés relatives au prix de cession se règlent devant le juge de l'expropriation. L'ensemble de la procédure est décrit aux articles L. 210-1 (N° Lexbase : L1271IDG) et R. 213-4 (N° Lexbase : L8045ACX) et suivants du Code de l'urbanisme. Un arrêt du 26 juillet 2011 apporte de nouvelles précisions sur cette procédure qui a donné lieu à un contentieux abondant.
1- La motivation du droit de préemption
L'exercice du droit de préemption urbain doit poursuivre l'un des objectifs prévus à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4059ICC). Ces objectifs sont formulés de manière suffisamment générale pour laisser une certaine marge d'appréciation aux collectivités. Il peut s'agir de la mise en oeuvre d'un projet urbain tel que la rénovation des rues d'un quartier ou de la mise en oeuvre d'une politique locale de l'habitat destinée à maintenir la population sur place. Le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques constitue un objectif fréquemment invoqué : la création d'un pôle d'attraction industriel et commercial peut justifier l'exercice du droit de préemption (1).
Le développement du loisir et du tourisme et la création d'équipements collectifs figurent, également, au nombre des objectifs de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme. La construction de logements sociaux et d'un immeuble de bureau destiné à abriter des locaux administratifs peuvent, ainsi, justifier une décision de préemption (2).
Le droit de préemption ne peut, cependant, être mis en oeuvre que sous la seule condition de respecter ces objectifs généraux. Le projet qui justifie la décision de préemption doit préexister à la transmission de la DIA. La décision de préemption doit s'intégrer dans la mise en oeuvre d'un projet préexistant. Toutefois, le principe même de la préemption suppose une certaine proportion d'opportunisme car l'autorité n'est pas nécessairement au courant de l'ensemble des projets de cession avant la transmission de la DIA. Le mécanisme lui permet donc de profiter d'une cession, éventuellement non prévue, pour faire avancer son projet.
La difficulté de l'exercice réside, dès lors, dans la motivation de la décision de préemption. Le rôle du juge est ici essentiel. S'il exige une motivation rigoureuse et complète, il réduit de manière drastique le champ d'application de la procédure. Dans ce cas, la préemption constitue la première phase de la concrétisation d'un projet antérieur entièrement finalisé. A l'inverse, l'exigence d'une motivation peu rigoureuse ouvre un champ d'action trop large au droit de préemption et n'exclut pas son utilisation à des fins étrangères à son objet : les objectifs de l'article L. 300-1 sont, en effet, suffisamment larges pour permettre de justifier théoriquement un grand nombre de décisions.
La jurisprudence du Conseil d'Etat oscille entre ces deux écueils. Les deux situations extrêmes sont exclues. D'un côté, elle n'exige pas que la collectivité soit en mesure de présenter, à l'appui de sa décision de préemption, un projet parfaitement élaboré et abouti. De l'autre, elle censure les motivations jugées insuffisantes parce qu'elles ne traduisent pas l'existence d'un projet. Les préemptions censurées dans cette hypothèse se limitent souvent à reprendre, de manière assez vague, les objectifs de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme.
Ont, ainsi, été censurées des décisions de préemption qui se bornent à invoquer la réalisation d'un équipement public sans autres précisions (3), ou la relance de l'activité économique (4). La seule référence aux objectifs de l'article L 300-1 est donc insuffisante : la décision doit établir que l'acquisition du bien est nécessaire à la réalisation de l'un de ses objectifs (5).
Entre ces deux extrêmes, le Conseil d'Etat a fait évoluer sa position vers une plus grande souplesse au profit des collectivités. Initialement, le projet d'action ou d'opération d'aménagement devait présenter un caractère suffisamment précis pour que la préemption soit légalement motivée (6). Depuis 2008, l'exercice du droit de préemption est légal à condition de justifier de la réalité d'un projet au jour de la préemption et d'indiquer la nature de ce projet de manière suffisamment précise dans la décision de préemption (7). En revanche, le juge n'exige pas que les caractéristiques précises du projet soient définies à cette date.
L'arrêt du 26 juillet 2011 réaffirme cette double exigence. Il reprend la formulation de la décision de 2008 en affirmant "que les collectivités titulaires du droit de préemption peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme, alors même que ces caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption".
Cette solution garantit, d'un côté, que la préemption ne sera pas motivée par la pure opportunité ouverte par la notification de la DIA. L'on notera, et c'est assez rare pour ne pas se priver de le souligner, que le contrôle des décisions de préemption est l'un des rares domaines du contentieux administratif dans lequel la censure du détournement de pouvoir est sérieusement effectuée. Un projet suffisamment élaboré doit donc préexister à la décision de préemption.
D'un autre côté, il n'est pas nécessaire que ce projet soit trop finalisé puisque la décision n'a pas l'obligation de définir ses caractéristiques précises. La référence à une délibération définissant les orientations générales du plan local de l'habitat suffit, ainsi, à motiver la préemption (8).
En l'espèce, le Conseil d'Etat estime que la motivation de la décision attaquée est suffisante : une étude de faisabilité portant sur le regroupement des services communaux attestait de la réalité du projet qui répond bien à l'un des objectifs de l'article L. 300-1. On voit, au travers des dates, qu'un certain temps peut s'écouler entre la première formalisation du projet et la décision de préemption. En l'occurrence, une étude datant de 2002 justifie une décision de préemption datant de 2004.
2- De quelques incidents du droit de préemption
L'exercice du droit de préemption donne assez souvent lieu à des scénarii assez originaux qui peuvent compliquer à l'excès la mise en oeuvre de la procédure. En l'occurrence, deux incidents sont apparus.
En premier lieu, le Conseil d'Etat est conduit à rappeler que le délai de deux mois, ouvert par l'article L. 213-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L0733IHM) pour exercer le droit de préemption, ne court qu'à compter de la réception de la DIA. Le rappel de la disposition n'apporte rien en lui-même. En revanche, le Conseil admet, implicitement mais certainement, que le délai ne court qu'à compter de la réception d'une DIA exempte d'erreur. En l'espèce, une première déclaration avait été reçue le 18 novembre 2003 par la mairie. Toutefois, le notaire, réalisant l'erreur matérielle portant sur le prix de cession (419 000 euros au lieu de 149 000 euros), avait adressé, le 2 décembre suivant, une seconde DIA, portant le prix de 149 000 euros. La seconde déclaration spécifiait qu'elle annulait et remplaçait la première.
L'arrêt précise donc que l'exercice du droit de préemption n'a pas été tardif puisqu'il est intervenu le 13 janvier 2004, soit dans le délai de deux mois à compter du 2 décembre 2003. Le notaire peut donc rectifier une erreur contenue dans une DIA. Il ne s'agit pas seulement d'une possibilité mais d'une obligation découlant de l'alinéa 1er de l'article L. 213-2 du Code de l'urbanisme. En effet, une mention erronée, et tout particulièrement une mention relative au prix, est de nature à influer sur la décision de la collectivité qui doit statuer sur des informations exactes. Dès lors, tant que la collectivité n'a pas décidé de préempter, l'on peut estimer que la rectification d'une DIA erronée est possible à tout moment, y compris après l'expiration du délai de deux mois suivant une première déclaration. Dans cette hypothèse, la décision de la collectivité est prise sur la base d'une appréciation entachée d'erreur de fait. En conséquence, elle peut revenir sur sa décision à l'occasion de la réception d'une nouvelle DIA qui ouvrira un nouveau délai de deux mois.
En second lieu, une erreur en appelant une autre, le Conseil d'Etat renvoie les notaires à leur responsabilité lorsque le prix stipulé dans la promesse de vente s'avère n'être pas celui figurant dans la seconde DIA. En l'occurrence le juge relève que, dans cette seconde déclaration, le prix figurait en chiffres et en lettres. Le maire était donc en droit de considérer comme exacts les termes de la seconde. Le fait que le prix de 149 000 euros ne soit pas celui stipulé dans la promesse de vente ne peut emporter l'illégalité de la décision de préemption.
Cette solution ne peut qu'être approuvée : la légalité de la décision ne peut être appréciée qu'au regard du Code de l'urbanisme, et non au regard d'un acte de droit privé. Une telle solution est redoutable pour le notaire dont l'erreur a provoqué la cession du bien à un prix différent de celui que le vendeur pouvait attendre. En effet, l'article R. 213-10 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8051AC8) permet au propriétaire du bien de renoncer à la vente lorsque le titulaire du droit de préemption propose un prix différent de celui mentionné par la DIA. En revanche, lorsque la collectivité accepte le prix figurant sur la déclaration, cette possibilité de renonciation disparaît : la vente est, dès lors, parfaite (9). Le vendeur est donc contraint de céder le bien à ce dernier prix. L'hypothèse d'une discordance sur le prix entre la promesse de vente et la DIA ne lui permet pas de saisir le juge de l'expropriation. Dès lors, il n'a d'autre choix que d'engager la responsabilité du notaire responsable des mentions de la DIA.
La rectification d'une DIA n'est donc possible que lorsqu'elle joue en faveur de la collectivité. Si un prix excessif et erroné a dissuadé la collectivité de préempter, et conduit à l'établissement d'une nouvelle DIA, cette possibilité disparaît lorsque la collectivité, trompée par une mention erronée, a préempté pour un prix inférieur à celui stipulé dans le compromis.
L'arrêt du 28 juillet 2011 énonce les obligations auxquelles sont soumises les communes dans la mise en oeuvre d'un programme d'aménagement d'ensemble (PAE). Un PAE traduit un projet d'urbanisme de la part d'une commune et inclut les prévisions de celle-ci sur les constructions qui seront réalisées par les particuliers sur les terrains inclus ans le programme. Malgré sa dénomination, un PAE ne constitue, cependant, pas une opération d'aménagement, mais une programmation d'équipements publics accompagnée d'un mécanisme de financement. Le PAE, qui est toujours réalisé dans un secteur géographique déterminé de la commune, peut être mis en oeuvre que la commune soit ou non dotée d'un POS ou d'un PLU. Avant d'évoquer la décision du 28 juillet 2011, il n'est pas inutile de rappeler quelques éléments essentiels à propos de ces programmes qui, aux termes de l'article 28 de la loi de finances rectificative pour 2010 (loi n° 2010-1658 N° Lexbase : L9902IN3), ne pourront plus être institués après le 1er mars 2012.
1- Le PAE est un projet d'urbanisme
Le programme d'aménagement d'ensemble, évoqué par l'article L. 332-9 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7540ACA), n'est pas défini en tant que notion autonome par le code. La raison d'être de ce mécanisme est, en effet, de permettre aux communes d'exiger légalement le versement d'une participation financière de la part des constructeurs. Créé par la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 (N° Lexbase : L1060IRP), il permet d'éviter la création, particulièrement lourde, d'une zone d'aménagement concertée qui nécessite, le plus souvent, l'acquisition préalable des terrains concernés.
Un programme doit donc permettre de conduire, à l'occasion d'un projet d'urbanisme, dans un (ou plusieurs) secteur(s) du territoire communal, la réalisation, dans un délai et pour un coût déterminés, d'un ensemble d'équipements publics dont tout ou partie des dépenses peuvent être mises à la charge des constructeurs. Ces équipements doivent correspondre aux besoins des habitants du secteur et à ceux qui résulteront d'une ou plusieurs opérations de construction, sans que ces équipements soient uniquement liés à une opération de construction isolée (10). Un PAE peut, ainsi, consister dans l'élargissement et la mise en conformité d'une rue avec les exigences du POS, la mise en place de l'alimentation en eau et des dessertes d'assainissement, d'électricité et de lignes téléphoniques sur un ensemble de cinq parcelles (11).
Le PAE est institué par une délibération du conseil municipal. L'article L. 332-9 prévoit que le coût des équipements publics réalisés pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans le secteur concerné peut être mis à la charge des constructeurs. Il impose, également, au conseil municipal de déterminer le secteur d'aménagement, la nature, le coût et le délai prévus pour la réalisation du programme d'équipements publics. La délibération instituant le programme doit aussi fixer la part des dépenses de réalisation de ce programme qui est à la charge des constructeurs, ainsi que les critères de répartition de celle-ci entre les différentes catégories de constructions. Il faut, également, noter que la réalisation d'un PAE par tranches est autorisée. Dans ce cas, la répartition du coût de cet équipement entre différentes opérations peut être prévue, dès la première, à l'initiative de l'autorité publique qui approuve l'opération.
La seule superficie du terrain à construire ne peut être le critère unique permettant de déterminer les contributions dues au titre d'un PAE. Il convient, en effet, de prendre en compte, au moins à titre principal, la consistance des terrains, ce qui recouvre leur nature, leur destination, et, en tout état de cause, leurs dimensions. Le conseil municipal ne peut donc se limiter à prendre en considération la superficie du terrain sans faire aucune référence à l'importance des constructions effectivement autorisées (12).
2- Un renforcement du contrôle juridictionnel
Le juge administratif exerce traditionnellement un contrôle restreint sur les sommes mises à la charge des constructeurs. La part du coût des sommes pouvant être légalement mise à leur charge est, en effet, soumise à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (13).
L'article L. 332-9 fixe les éléments qui doivent figurer dans la délibération. Toutefois, il n'apporte pas de véritable précision quant aux dispositions de la délibération relatives aux équipements publics. La jurisprudence était plutôt laconique sur ce point, le juge pouvant, ainsi, estimer, sans plus de précisions, qu'une délibération "édicte avec une précision suffisante toutes les précisions qui devaient y figurer en vertu des prescriptions de l'article L. 332-9 du Code de l'urbanisme" (14).
L'arrêt du 28 juillet 2011 renforce de manière sensible le contrôle du juge administratif sur le contenu de la délibération qui instaure le PAE. Dans le mouvement général de remise en ordre des participations d'urbanisme prévu par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010, cet arrêt instaure un contrôle beaucoup plus poussé sur la délibération instituant le PAE.
Le Conseil d'Etat impose à la délibération instituant un plan d'aménagement d'ensemble "d'identifier avec précision les aménagements prévus, ainsi que leur coût prévisionnel et déterminer la part de ce coût mise à la charge des constructeurs, afin de permettre le contrôle du bien-fondé du montant de la participation mise à la charge de chaque constructeur". Cette exigence de précision n'est pas anodine. L'arrêt ne porte pas directement sur le contrôle du juge opéré sur la part globale mise à la charge des constructeurs par la délibération instituant le PAE. En revanche, il est certain que l'application de cette part à chaque opération, considérée isolément, fait l'objet d'un contrôle normal.
L'arrêt précise, également, que la répartition entre les constructeurs dépend de la surface revenant à chacun d'eux. Les dispositions de l'article L. 332-9 "impliquent, également, afin de permettre la répartition de la participation entre les constructeurs, que la délibération procède à une estimation quantitative des surfaces dont la construction est projetée à la date de la délibération et qui serviront de base à cette répartition". Le Conseil confirme implicitement que la seule superficie du terrain ne peut suffire pour déterminer le montant de la participation.
Poursuivant cet objectif de précision, la Haute juridiction impose, également, une exacte adéquation entre les participations effectivement payées et celles qui sont demandées initialement. Le coût final de la taxe doit impérativement reposer sur les constructions et les équipements effectivement réalisés. Le conseil municipal est, ainsi, dans l'obligation "de modifier en tant que de besoin les critères de calcul de la participation des constructeurs pour tenir compte d'éventuels écarts constatés entre les programmes d'équipements publics et leur réalisation effective, ainsi qu'entre les prévisions de constructions privées et leur réalisation effective".
C'est donc un contrôle particulièrement poussé que le Conseil d'Etat instaure sur les PAE qui ne peuvent donc plus conduire à la perception de taxes calculées de manière plus ou moins approximative. L'arrêt est important et ses conséquences pourraient ne pas être négligeables. En effet, la délibération instituant un PAE est un acte réglementaire susceptible de faire l'objet d'une exception d'illégalité permanente. La légalité des délibérations qui ne répondent pas aux exigences de l'arrêt du 28 juillet 2011 peut donc être remise en cause à l'occasion de la délivrance des permis de construire donnant lieu au versement de la participation.
En l'occurrence, le juge estime que les conditions d'une annulation sont remplies : d'une part, les termes des délibérations ne permettaient pas de connaître la nature et le nombre des aménagements paysagers à réaliser et des salles de sport à construire et, d'autre part, ces délibérations ne procédaient pas à une estimation quantitative de la surface des immeubles dont la construction était envisagée.
Le juge de cassation confirme donc la solution des juges du fond, les délibérations en cause ne permettant pas de vérifier le bien-fondé des conditions de répartition des dépenses d'aménagement entre les constructeurs. Les dispositions du permis de construire mettant à la charge du requérant une participation aux dépenses d'aménagement, ainsi que le titre exécutoire émis pour le recouvrement de cette participation sont annulés.
Un important arrêt du 26 juillet 2011 apporte plusieurs contributions au régime juridique des zones d'aménagement concertées (ZAC). La loi "SRU" du 13 décembre 2000 (loi n° 2000-1208, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY) a profondément modifié les procédures d'aménagement, faisant des ZAC le droit commun de l'aménagement urbain. La loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005, relative aux concessions d'aménagement (N° Lexbase : L8409G9C), a procédé à une refonte importante du régime des modes de réalisation des ZAC, en fusionnant le régime des conventions d'aménagement. Les ZAC constituent donc une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme. Elles permettent aux collectivités de mettre en oeuvre une politique d'urbanisme en assurant l'aménagement et l'équipement de terrains bâtis ou non. Elles sont particulièrement utilisées pour la construction de logements, d'équipements collectifs ou le développement des activités industrielles et commerciales.
1- L'étude d'impact est systématiquement obligatoire lors de la création de la ZAC
La création d'une ZAC impose la mise en oeuvre d'une procédure assez lourde et complexe. Le dossier de création de la zone comprend un rapport de présentation, un plan de situation, un plan de délimitation, ainsi que l'étude d'impact prévue par le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 (N° Lexbase : L8893IQG), pris pour l'application de l'article 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature (N° Lexbase : L4214HKB).
Pour justifier de l'insuffisance de l'étude d'impact, cette insuffisance pouvant être assimilée à son absence, la cour administrative d'appel (15) avait fait application des dispositions combinées de l'ancien article L. 311-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L6023C8L) et des annexes II et III du décret de 1977. Le cumul de ces dispositions dispensait d'étude d'impact la création d'une ZAC lorsque l'acte de création de zone décidait de maintenir les dispositions du POS rendu public ou approuvé.
Le Conseil d'Etat censure cette analyse pour erreur de droit. Il relève, en effet, que l'article R. 311-2 (N° Lexbase : L2451HPH) impose, sans prévoir la moindre exception possible, la présence dans le dossier de création de la ZAC de l'étude d'impact prévue à l'article R. 122-3 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L4799HBD) qui a codifié l'article 2 du décret de 1977. Dès lors que les exceptions prévues dans les annexes à l'article 3 de ce même décret n'ont pas été reprises dans la codification ultérieure, il en conclut très logiquement qu'elles ont été abrogées. L'étude d'impact est donc indispensable à la création de la ZAC.
2 - Les relations entre le document d'urbanisme et l'acte de création de la ZAC sont clarifiées
Avant la loi "SRU", l'alinéa 2 de l'article L. 311-1 (N° Lexbase : L7403AC8) établissait un lien implicite mais certain entre l'acte de création de la ZAC et le POS. Les ZAC ne pouvaient, en effet, être créées qu'à l'intérieur des zones urbaines ou des zones d'urbanisation futures, ce qui revenait à soumettre l'acte de création de la ZAC à certaines des dispositions du POS. La légalité de cet acte pouvait donc être appréciée au regard du POS. La loi "SRU" a supprimé cette disposition, faisant, ainsi, disparaître ce rapport de compatibilité.
Les dispositions législatives et réglementaires en vigueur n'imposent donc plus de respecter le POS/PLU dans la création de la ZAC. Le caractère contraignant du document d'urbanisme ne réapparaît, et il ne saurait en être autrement, que dans la mise en oeuvre de la zone : l'article R. 311-6 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8886HZ7) précise que l'aménagement et l'équipement de la ZAC sont réalisées dans le respect des règles d'urbanisme applicables. Le Conseil d'Etat peut, ainsi, conclure que, "si les équipements et aménagements d'une zone d'aménagement concertée doivent être réalisés dans le respect des dispositions du règlement du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols applicables au moment de leur réalisation, ces mêmes règles ne s'imposent pas, en revanche, à l'acte de création de la zone".
Cette solution ne va pas sans poser quelques difficultés. En particulier, le zonage du PLU/POS n'étant pas opposable à la ZAC, celle-ci peut être créée dans n'importe quelle partie de la commune, y compris en zone naturelle. Seuls le document d'orientation générale et le document graphique d'un schéma de cohérence territoriale demeurent opposables à l'acte de création de la ZAC, selon les termes des articles R. 122-1 (N° Lexbase : L3515HW4) et R. 122-5 (N° Lexbase : L7833AC4) du Code de l'urbanisme (l'on notera, cependant, que ces deux derniers articles font référence de manière erronée à l'article L. 122-1 N° Lexbase : L6934IEK qui n'existe plus, en lieu et place de l'article L. 122-1-15 N° Lexbase : L9331IMK). La création d'une ZAC en zone naturelle impose donc la modification, voire, plus probablement, la révision du PLU à l'occasion de la réalisation de la zone.
Tirant les conséquences de son analyse, le Conseil d'Etat estime que l'acte de création de la ZAC ne pouvait être déclaré illégal sur le fondement de sa contrariété avec l'article 1NA5 du POS.
3 - L'information entourant la création de la ZAC doit être conforme aux exigences légales
Il s'agit, en premier lieu, de l'information des conseillers municipaux. L'on sait que l'article L. 2121-12 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8561AAC) impose au maire d'adresser aux conseillers municipaux des communes de plus de 3 500 habitants une notice explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération du conseil. Il s'agit de formaliser le droit à l'information des conseillers prévu à l'article L. 2121-13 (N° Lexbase : L8562AAD).
Le juge administratif applique cette obligation avec rigueur et souplesse. La rigueur réside dans le fait, rappelé ici, qu'on ne peut méconnaître le droit à l'information des conseillers municipaux qui est un droit quasiment consubstantiel à leur statut. Le Conseil relève, ainsi, très classiquement, que la violation de l'obligation d'information entache d'illégalité la délibération.
La souplesse réside dans le véhicule de l'information. Si le texte exige une notice explicative de synthèse, il n'en définit pas, cependant, le contenu avec précision. Aussi bien, l'information des conseillers municipaux est-elle conforme à la loi lorsque le maire adresse aux conseillers des "documents leur permettant de disposer d'une information équivalente". Cette équivalence doit être appréciée au regard de la taille de la commune. En l'espèce, le Conseil d'Etat estime qu'un projet de délibération rappelant les objectifs de la ZAC et les principales lignes du projet constitue un vecteur d'information suffisant. L'on notera, également, que l'obligation n'est respectée que si l'envoi de ces documents est concomitant à celui de la convocation, le droit à l'information n'ayant de sens que si le délai légal de convocation est respecté.
Le droit à l'information des conseillers municipaux n'est, cependant, pas absolu et doit s'exercer dans le cadre du Code général des collectivités territoriales. Saisi d'une demande de communication d'un document administratif, le maire doit apprécier son caractère communicable au regard des dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (N° Lexbase : L6533AG3). L'arrêt précise, en effet, que le refus de transmettre la copie du dossier de création de la ZAC à un conseiller municipal prétendant agir au nom d'une association ne constitue pas une violation du droit à l'information des conseillers municipaux.
L'information du public doit, en second lieu, être respectée. La création d'une ZAC constitue une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme. Elle doit donc être précédée d'une consultation publique comme l'exige l'article L. 300-2 (N° Lexbase : L1934DKT). Ce dernier ne précise pas, cependant, les modalités de la concertation, qui sont laissées à la libre appréciation des collectivités. En l'espèce, le Conseil d'Etat relève que l'opération a donné lieu à la diffusion d'une plaquette, à la tenues de plusieurs réunions d'un groupe de travail auquel participait des associations locales, à la réunion de la commission d'urbanisme, ainsi qu'à une exposition publique d'une durée de six mois permettant au public de présenter ses observations par le biais d'un registre. Le juge de cassation confirme le caractère satisfaisant de cette concertation au regard des exigences de l'article L. 300-2.
Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public à l'Université de Caen
(1) CE 2° et 10° s-s-r., 31 mars 1989, n° 88113, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1918AQ4).
(2) CAA Paris, 17 février 1995, n° 93PA014169.
(3) CE 3° et 5° s-s-r., 19 février 1993, n° 95104, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8563AM4).
(4) CE 1° et 4° s-s-r., 30 juillet 1997, n° 157313, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0814AEU).
(5) Rép. min. n° 2088, JOANQ, 5 juin 1987, p. 2557.
(6) CE 2° et 6° s-s-r., 25 juillet 1986, n° 62539, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4793AMH).
(7) CE 1° et 6° s-s-r., 7 mars 2008, n° 288371, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3807D77).
(8) CE 1° et 6° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 316694, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1105EK7).
(9) QE n° 1522 de M. Demange Jean-Marie, JOANQ, 8 août 1988, p. 2306, réponse publ. 24 octobre 1988, p. 3009, 9ème législature (N° Lexbase : L1064IRT).
(10) CE 3° et 8° s-s-r., 27 janvier 2010, n° 308614, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7554EQT).
(11) CAA Nancy, 1ère ch., 31 mai 2000, n° 97NC00028, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9374BGB).
(12) CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 292947, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1230EKR).
(13) CE, 4 novembre 1994, n° 129531, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3600AS7), Rec. CE, p. 485.
(14) CE, 4 novembre 1994, n° 129531, publié au recueil Lebon, préc..
(15) CAA Paris, 8 juillet 2008, n° 07PA03281 (N° Lexbase : A3618EAA).
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