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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
"La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation" commande, impérieux, l'article 6 de la Déclaration de 1789. Aussi, "que toute loi soit claire, uniforme et précise : l'interpréter, c'est presque toujours la corrompre", nous conseille Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique.
Le remède contemporain à la "malfaçon" de la loi ? La "légistique". Le terme peut paraître barbare aux tenants de la souveraineté populaire absolue ; mais, n'en déplaise à Montaigne, de l'obscur ne naît pas nécessairement le profond. "Ne faire que des textes nécessaires, bien conçus, clairement écrits et juridiquement solides, telle doit être l'ambition des administrateurs et des légistes" chantent en choeur l'ancien vice-président du Conseil d'Etat Renaud Denoix de Saint-Marc et l'ancien secrétaire général du Gouvernement Jean-Marc Sauvé (in Guide pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires, Premier Ministre/Secrétariat général du Gouvernement - Conseil d'Etat, 2ème édition, p. 6).
Le concept, qui fêtera bientôt ses quarante ans (cf. le Traité de légistique de Peter Noll, publié en 1973), eut, pourtant, quelque mal à s'imposer dans cette France aux axiomes si impertinents et effrontés. D'abord, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la loi française est monolingue, donc rien de commun avec les particularismes de la Suisse, du Canada et de la Belgique, à la pointe de la "science de la législation", pour des raisons nécessaires et pratiques évidentes. Ensuite, la France connaît une tradition multiséculaire de codification, dont l'une des vertus est assurément de recueillir de manière uniforme et absolue les lois consolidées de la République, dans un effort d'ordonnancement et d'intelligibilité indéniable. Enfin, si la France n'est pas la Chine impériale, son administration par trop mandarine fut marquée par un néfaste besoin de s'affirmer les unes par rapport aux autres, dans un jeu de pouvoir byzantin à travers lequel la clarté, la lisibilité, l'intelligibilité et l'accès même -jusqu'aux années récentes- n'avaient rien à y gagner. Tout au plus s'agissaient-ils de postulats bien commodes à l'éviction de la "légistique" de nos habitudes de législation.
Force est de constater que les circulaires du Premier ministre du 31 juillet 1974, relative à l'élaboration des projets de loi et des textes publiés au Journal officiel, et du 26 juillet 1995, relative à la préparation et à la mise en oeuvre de la réforme de l'Etat et des services publics, n'y ont, pour ainsi dire, rien changé. Et, c'est sous l'impulsion du Professeur Chevallier (L'évaluation législative : un enjeu politique, in Delcamp A. et al., Contrôle parlementaire et évaluation, Paris, 1995, p. 15), définissant la "légistique" comme "une science' (science appliquée) de la législation, qui cherche à déterminer les meilleures modalités d'élaboration, de rédaction, d'édiction et d'application des normes", que les caciques de la législation, ministères, Secrétariat général du Gouvernement et Conseil d'Etat en tête, plus que le législateur lui-même -à l'exception du notable rapport "Warsmann" sur la qualité et la simplification du droit, de décembre 2008-, reconnurent leurs errements et prirent le taureau par les cornes, soumettant "le Prince" à des règles statutaires aux fins de bien normer. Le Guide pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires et le système d'organisation en ligne des opérations normatives (dit "SOLON"), en sont les traductions les plus efficientes. Mais, est-ce à dire efficaces ?
Le premier, sous la houlette du Haut fonctionnaire à la qualité de la réglementation, tente d'améliorer la qualité des textes et, partant, la sécurité et l'intelligibilité de la règle de droit, à partir d'exemples concrets de conception et de rédaction des textes (ce Guide est en ligne sur le site de Légifrance). Le second est un logiciel interministériel permettant de dématérialiser, étape par étape, entre chacun des intervenants, le processus d'élaboration d'un texte normatif, de sa rédaction à sa publication au Journal officiel. Ces deux instruments, à la lumière d'une doctrine universitaire récente -la première thèse universitaire consacrée à ce sujet est l'oeuvre de Karine Guilbert et date de... 2007-, doctrine qui, pourtant, fut de tout temps intéressée par la question de l'intelligibilité de la norme, concourent, sans nul doute, à l'objectif de valeur constitutionnelle qu'est le principe de l'intelligibilité et de l'accessibilité de la loi (cf. décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999). Les lois dites de simplification du droit, abrogeant les corpus obsolètes ou inutiles, complètent, bien que d'une complexité frisant parfois la contradiction, l'arsenal pour la lisibilité et l'intelligibilité de la norme. C'est ainsi que l'on sait, depuis une circulaire du 20 octobre 2000, qu'il a été mis fin à la "querelle des alinéas", et qu'il y a un nouvel alinéa chaque fois que l'on va à la ligne, comme le soutenaient les services du Parlement et non en cas de retour à la ligne à la fin d'une phrase complète, donc après un point, comme le pensaient le Conseil d'Etat et le Gouvernement. Et, Rémi Bouchez, Conseiller d'Etat, de relater une nouvelle controverse au sujet, désormais, des paragraphes au sein des lois et articles de lois (Vers une légistique unifiée : l'exemple des alinéas et des paragraphes, dans Courrier juridique des finances et de l'industrie, juin 2008, p. 31). Enfin, la "légistique" n'est pas synonyme de simplicité intrinsèque : le Guide légistique pour l'établissement du texte de la commission, édité par le Sénat, s'attache à une légistique plus formelle que matérielle qui confine assurément à l'abscons.
Notre propos est un brin réducteur, nous l'accordons. Et, nul doute que, sans cette prise de conscience administrative, gouvernementale et parlementaire, la "légistique" serait restée à l'état embryonnaire de concept, aux pages 285 et 286 de la Revue internationale de droit comparé (1986, volume 38, n° 1) in L'évaluation législative. Pour une analyse empirique des effets de la législation, sous la plume de Luzius Mader. On ne peut que saluer, une nouvelle fois, la volonté affichée du Gouvernement de promouvoir la qualité du droit : dernier opus en date, une circulaire du 7 juillet 2011 qui rappelle qu'à la qualité de la règle de droit s'attachent des enjeux déterminants pour l'attractivité du système juridique français et pour la compétitivité économique de la Nation. Le Premier ministre y précise que la sécurité juridique, la prévisibilité du droit et la simplification de règles inadaptées ou dépassées sont des attentes régulièrement exprimées tant par les particuliers que par les entreprises. Si des progrès dans le domaine de la réglementation et de son suivi ont été effectués, le Premier ministre demande néanmoins à ce que l'effort soit poursuivi sur deux axes. D'une part, le pilotage de la production normative doit se perfectionner, de manière à mieux assurer l'application des lois et la mise en oeuvre des réformes. D'autre part, l'intervention de règles de droit nouvelles doit être plus systématiquement subordonnée à l'examen de critères tirés des principes de proportionnalité et de cohérence de l'ordonnancement juridique.
Mais, si mieux légiférer est une exigence constitutionnelle, simplifier le droit dans une société éminemment complexe est un objectif paradoxal. Cet objectif s'apparente volontiers au mythe de Sisyphe ; et, faute de pierre qui roule, c'est Boileau qui commande "l'art légistique" : "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sans cesse et le repolissez ; ajoutez quelquefois, et souvent effacez".
Aussi, bien que nécessaire à l'élaboration de nos normes, la "légistique" n'est pas suffisante pour concourir à l'objectif consacré d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Elle ne doit pas occulter l'essence même et la finalité du texte suprême. Il faut revenir à la conception thomiste de la loi, comme ordination de la raison dirigeant vers le bien commun, sous l'impulsion du Prince, la communauté des citoyens à qui elle est promulguée, pour établir les causes formelle, finale, efficiente et matérielle de la loi (cf. Patrick de Laubier commentant Les lois de Saint Thomas d'Aquin, Pierre Téqui éditeur). Il faut sortir la loi de la sphère spéculative pour l'ancrer dans la raison pratique pour régler l'action humaine. Et, pour ce faire, pour que la loi vise surtout l'ordre qui regarde la béatitude et la félicité communes, la raison de n'importe qui ne peut faire la loi. Reconnaissant que la loi humaine doit être changée de quelque façon pour que la raison humaine parvienne de l'imparfait au parfait et parce que le changement des conditions humaines commande de modifier la loi, et reconnaissant qu'il faut toujours changer la loi humaine, si quelque chose de meilleur se présente, nous appellerons de nos voeux, non une réforme du droit, mais une réforme de la loi elle-même, sous la conduite de légistes, au sens propre du terme, qui sauront raison garder, pour le bien commun que seules l'intelligibilité et l'accessibilité des lois (justes) peuvent offrir, parce que ces légistes auront été formés sur les bancs universitaires à la "légistique", tout en se réclamant, sans cesse, de l'esprit des lois. Un "permis de légiférer", voilà qui porte atteinte à la souveraineté du Peuple, mais qui, pourtant, est la seule planche de salut de son émancipation dans une société de plus en plus complexe, dont les lois ne doivent plus être le reflet, mais le cadre synthétique de l'action humaine, n'en déplaise à Portalis, dans son Discours préliminaire au premier projet de Code civil, pour qui "un grand Etat comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres divers d'industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d'une société pauvre ou plus réduite". Des lois simples régissant une société complexe : tel est le challenge de nos légistes actuels sous le contrôle, bien ordonné, de nos Parlementaires législateurs.
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Réf. : Cass. civ. 3, 29 juin 2011, n° 10-19.975, FS-P+B (N° Lexbase : A6478HUH)
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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
Le 04 Avril 2012
Aux termes de l'article 1722 du Code civil, "si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement".
Ce texte distingue en conséquence la destruction totale par cas fortuit, qui entraîne la résiliation du bail de "plein droit", et la destruction partielle qui ouvre une option au preneur, à savoir, solliciter une diminution du prix ou la résiliation du bail. Dans les deux cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.
Dans l'arrêt rapporté, le bailleur, pour échapper au règlement de l'indemnité d'éviction, soutenait que la chose louée avait été détruite en totalité. Aucune discussion, à tout le moins devant la Cour de cassation, n'avait porté sur la question de savoir si le bien loué avait été détruit en totalité au sens de l'article 1722 du Code civil. Cette qualification ne semblait en effet pas contestable, l'immeuble ayant été détruit en totalité par un incendie. Il existe toutefois des hypothèses où cette qualification peut susciter des interrogations.
La Cour de cassation a été amenée à préciser la notion de "chose louée détruite en totalité" en assimilant à la destruction totale de la chose louée, l'impossibilité absolue et définitive d'user de cette dernière conformément à sa destination ou la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède la valeur de cette chose (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 02-14.642, FP-P+B N° Lexbase : A0383C93 ; Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-17.483, FS-P+B N° Lexbase : A4396EPI). Lorsque les lieux ont été détruits en totalité, il n'est pas nécessaire, en revanche, de rechercher si les frais de remise en état des locaux litigieux constituent pour le bailleur une dépense excessive, même s'il a perçu, pour cette remise en état, une indemnité d'assurance substantielle (Cass. civ. 3, 1er mars 1995, n° 93-14.275 N° Lexbase : A7727ABS).
En outre, et pour que la résiliation du bail de plein droit puisse intervenir, il faut que la chose louée ait été détruite en totalité par un cas fortuit. S'il a été jugé que la vétusté peut s'assimiler à un cas fortuit (Cass. civ. 3, 7 juin 2000, n° 98-20.379 N° Lexbase : A9365ATZ), c'est à la condition qu'il n'y ait pas une faute ou de défaut d'entretien imputable au bailleur (Cass. civ. 3, 3 octobre 1978, n° 77-11.120 N° Lexbase : A7299AGG), la preuve du manquement du bailleur à ses obligations à cet égard incombant au preneur (Cass. civ. 3, 3 avril 2001, n° 99-17.939 N° Lexbase : A1748ATW). L'existence d'un cas fortuit n'a pas non plus suscité de discussion devant la Haute cour dans l'arrêt commenté. Les juges du fond, selon le moyen annexé au pourvoi, avaient relevé que la destruction totale du bien avait une origine indéterminée.
II - Sur les conséquences de la destruction de la chose louée par cas fortuit
L'article 1722 du Code civil prévoit que la destruction totale de la chose louée entraîne la résiliation de plein droit du bail sans dédommagement.
Le preneur ne pourra obtenir la réparation du préjudice subi du fait de la destruction de la chose louée, la résiliation intervenant sans dédommagement (Cass. civ. 3, 1er juin 1988, n° 87-11.306 N° Lexbase : A8256AGU ; Cass. civ. 3, 13 juillet 1994, n° 91-10.568, inédit N° Lexbase : A6280CSE). Il s'agit ici de l'un des effets attachés à la survenance d'un cas de force majeure, l'article 1148 du Code civil (N° Lexbase : L1249ABU) énonçant du reste, de manière générale, que "il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit".
La résiliation du bail étant de plein droit, elle intervient dès la destruction de la chose en application de l'article 1722 du Code civil et aucun loyer n'est en conséquence dû après cette date (Cass. civ. 3, 20 février 2007, n° 06-14.338, F-D N° Lexbase : A3078DUK). Il s'agit ici, concernant les effets de la destruction totale de la chose louée quant aux obligations du preneur, de l'application de l'adage res perit debitori : le débiteur de l'obligation impossible à exécuter (le bailleur) doit supporter l'inexécution. En réalité, et compte tenu de l'affranchissement du bailleur de ses obligations à l'égard du preneur, les risques sont partagés.
Le preneur, qui a réglé par avance des sommes au titre des loyers, verra son obligation au règlement de ces derniers limitée à la période précédant la survenance du sinistre. Il pourra obtenir la restitution des sommes versées en trop, cette demande ne constituant pas une demande de réparation d'un préjudice (Cass. civ. 3, 1er avril 1998, n° 96-10.399 N° Lexbase : A2607ACK).
Une autre conséquence de la résiliation du bail sur le fondement de l'article 1722 du Code civil consiste en l'absence d'obligation du bailleur de régler au preneur une indemnité d'éviction. La question s'est posée dans des hypothèses où, comme dans l'arrêt rapporté, la destruction de la chose louée intervient alors qu'il a été mis fin au bail par un congé ou une demande de renouvellement et que le preneur se maintient dans les lieux loués dans l'attente du paiement d'une indemnité d'éviction (C. com., art. L. 145-28 N° Lexbase : L5756AIZ).
La Cour de cassation a affirmé que le preneur ne pouvait prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction dès lors que le bail se trouvait résilié en raison de la destruction totale de la chose louée (Cass. civ. 3, 29 septembre 1999, n° 98-10.237 N° Lexbase : A8161AGD ; Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE ; Cass. civ. 3, 1er avril 2008, n° 06-20.067, F-D N° Lexbase : A7652D7K). Cette solution peut paraître curieuse puisqu'elle aboutit à admettre qu'un bail qui a cessé peut être résilié. Elle peut se justifier par le fait que le maintien dans les lieux du preneur s'effectue aux clauses et conditions du bail expiré (C. com., art. L. 145-28), comme le rappelle la Cour de cassation dans ses arrêtés précités des 29 septembre 1999 et 29 septembre 2004. Ainsi, il est admis que le bailleur puisse se prévaloir à l'encontre du preneur, pendant son maintien dans les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction, de la clause résolutoire du bail (Cass. civ. 3, 1er mars 1995, n° 93-10.172 N° Lexbase : A7501ABG).
L'arrêt rapporté est plus précis sur ce point puisqu'il vise la résiliation du bail par l'effet de la destruction de la chose louée, mais également "la perte par le preneur de ses droits contractuels et statutaires", perte qui constituerait ainsi le "pendant" de la résiliation du bail durant la phase de maintien dans les lieux au cours de laquelle, bien qu'ayant cessé, le bail continue de produire certains effets.
La Cour de cassation, rappelant la motivation des juges du fond, relève également que le preneur ne pouvait prétendre au versement de l'indemnité d'éviction qui ne lui était pas définitivement acquise au jour du sinistre. A contrario, il semblerait que le bailleur reste tenu de régler l'indemnité d'éviction, même en cas de destruction de la chose louée, si cette indemnité se trouvait définitivement acquise au preneur au jour du sinistre. Il pourra s'agir, par exemple, du cas dans lequel une décision judiciaire condamnant le bailleur à régler cette indemnité serait devenue définitive avant le sinistre. Un accord des parties sur le montant de cette indemnité et l'engagement du bailleur à la régler pourrait également constituer un droit définitivement acquis à son versement.
III - Sur la conformité aux normes supra-législatives de la perte du droit au paiement de l'indemnité d'éviction en cas de destruction totale de la chose loué
Enfin, cet arrêt du 29 juin 2011 se prononce également sur la conformité de la solution qu'il rappelle aux normes supra-législatives.
La Cour de cassation précise, en effet, que la perte du droit au paiement de l'indemnité d'éviction en cas de destruction de la chose louée n'est contraire ni à l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ni à l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Haute cour ne justifie pas les raisons pour lesquelles cette solution ne serait pas contraire à ces normes qui protègent le droit de propriété. Le droit à l'indemnité aurait pourtant vocation à être protégé, notamment par l'article 1er du premier protocole additionnel, cette indemnité pouvant vraisemblablement être qualifiée de "bien" au sens de ce texte. La Cour européenne des droits de l'Homme, dans une affaire "Tre Traktörer Aktiebolag" (CEDH, 7 juillet 1989, Req. 4/1988/148/202 N° Lexbase : A6485AW4) a ainsi consacré une conception extensive de la notion de "bien" en y incluant "les intérêts économiques" liés à la gestion d'un commerce.
La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'affirmer que le fait, pour un bailleur, de dénier le bénéfice du droit au renouvellement à deux époux séparés de biens sur le fondement du défaut d'immatriculation d'un seul d'entre eux à la date de leur demande de renouvellement ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit à la "propriété commerciale" reconnu aux locataires au regard des dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dès lors que les dispositions du Code de commerce relatives au renouvellement du bail commercial réalisent un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de la personne (Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.349, FS-P+B+I N° Lexbase : A3028DIY ; nos obs., La propriété commerciale est-elle protégée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?, Rev. Loyers, 2005/859, n° 164).
Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la Cour de cassation avait également précédemment déjà refusé le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la constitutionnalité des dispositions de l'article 1722 du Code civil, au motif qu'en excluant tout dédommagement lorsque le bail est résilié de plein droit par suite de la disparition fortuite de la chose louée, ce texte ne faisait que tirer la conséquence nécessaire de la disparition de l'objet même de la convention que les parties avaient conclu et poursuivait un objectif d'intérêt général en assurant, lors de l'anéantissement de leurs relations contractuelles dû à une cause qui leur est étrangère, un équilibre objectif entre leurs intérêts respectifs (Cass. civ. 3, 4 janvier 2011, n° 10-19.975, F-D).
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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis
Le 20 Octobre 2011
Rendu au sujet d'un contentieux ancien, né à l'occasion de la préparation de l'organisation de la coupe du monde de football en France en 1998, l'arrêt n° 339409 rendu le 11 juillet 2011 par la Section du contentieux du Conseil d'Etat est intéressant à un double titre. Il vient, en effet, rappeler qu'il n'est, en principe, pas possible pour un tiers d'invoquer la violation des clauses contractuelles d'un contrat administratif. Par ailleurs, il invite le Tribunal des conflits à se prononcer sur le maintien et le bien-fondé de la jurisprudence "Société des steeple-chases" de 1956 (1), par laquelle il avait jugé qu'un contrat conclu entre deux personnes privées peut être administratif dès lors qu'il emporte occupation du domaine public et que l'une d'entre elles possède la qualité de concessionnaire de service public, et pas simplement de concessionnaire de voirie.
Par convention du 27 août 1990, modifiée par un avenant du 28 avril 1994, la ville de Paris avait confié la gestion du Parc des Princes et de ses abords à la société X, laquelle avait ensuite conclu, le 26 janvier 1994, un contrat autorisant la société Y à installer dans le stade et à ses abords des points de vente de produits dérivés des manifestations sportives. Seulement, la ville de Paris et la société X, d'une part, et le Comité français d'organisation de la coupe du monde de 1998, d'autre part, ont ensuite conclu, en 1997, une convention mettant à la disposition de ce dernier le stade du Parc des Princes pour l'organisation de la compétition, ce qui a conduit la société X à mettre fin au premier contrat la liant à la société Y. Par l'intermédiaire de sa gérante, cette dernière a alors saisi le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel de Paris, qui a rejeté sa demande indemnitaire relative au préjudice que lui aurait causé la perte de ses points de vente avant le terme de son contrat (2).
La question de la qualification juridique de la convention litigieuse, c'est-à-dire la convention principale liant la ville de Paris à la société X, ne posait guère de difficultés au regard de la solution récemment adoptée par la Section du contentieux du Conseil d'Etat dans l'affaire dite "du stade Jean Bouin" (3). Ledit contrat n'emportait aucunement dévolution de la gestion d'une mission de service public, dès lors que la présence de clubs de football professionnels n'imposait pas d'autres contraintes que celles découlant de la mise à disposition de l'équipement sportif. Par ailleurs, les conditions d'utilisation du Parc des Princes par des fédérations sportives, qui sont, par ailleurs, délégataires d'un service public national, étaient étrangères aux missions de service public relevant de la compétence de la ville. Plus délicate était la question de savoir si la société Y était fondée à se prévaloir d'une inexécution du contrat principal dans le cadre d'une action en responsabilité quasi-délictuelle tendant à obtenir réparation du préjudice causé par la perte des points de vente. L'on sait que la jurisprudence judiciaire admet cette possibilité depuis 2006 en déduisant l'existence d'une faute délictuelle d'une faute contractuelle.
En effet, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation considère, depuis un arrêt du 6 octobre 2006, que "le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage" (4). Dans la présente espèce, il ne faisait aucun doute que le fait à l'origine du dommage trouvait sa source dans la résiliation anticipée du contrat principal. Cependant, le Conseil d'Etat s'est refusé à suivre la voie tracée par la Cour de cassation et s'est contenté de rappeler que l'impossibilité pour un tiers d'invoquer les clauses d'un contrat administratif ne tombe que lorsque les clauses sont de nature réglementaire. Cette dernière solution a été posée en 1906 dans l'arrêt "Syndicat des contribuables du quartier de Croix de Seguey-Tivoli" (5) et logiquement, bien que tardivement, prolongée par l'arrêt "Cayzeele" en 1996 (6) avec l'admission de la possibilité pour les tiers d'exercer un recours pour excès de pouvoir contre les clauses (que le Conseil d'Etat qualifie d'ailleurs le plus souvent de "dispositions") réglementaires. Même si l'arrêt ne le précise pas, l'on imagine que des raisons très fortes ont incité le Conseil d'Etat à se démarquer de la Cour de cassation.
Parmi celles-ci figure sans doute la solution selon laquelle la résiliation d'un contrat administratif pour motif d'intérêt général (ce qui était probablement le cas en l'espèce) n'est aucunement constitutive d'une faute contractuelle. Elle est, au contraire, une cause d'engagement de la responsabilité sans faute de l'administration, qui doit alors indemniser intégralement le préjudice subi par son cocontractant (aussi bien les pertes effectives que le manque à gagner). Dans ces conditions, l'on comprend bien qu'il était pour le moins difficile d'affirmer que la résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général n'est pas une faute contractuelle (ou n'est pas un "manquement contractuel" selon la terminologie de la Cour de cassation) mais était, néanmoins, susceptible d'engager la responsabilité quasi-délictuelle de la personne publique à l'égard des tiers. Une telle solution aurait alors nécessité d'affirmer que la résiliation unilatérale n'est pas une faute contractuelle à l'égard du cocontractant de l'administration mais constitue une faute délictuelle à l'égard du tiers qui est, en réalité, un sous-occupant domanial.
C'est précisément sur cette notion de sous-occupant domanial que l'arrêt rendu le 11 juillet 2011 est également intéressant. Selon la jurisprudence "Société des steeple-chases de France" du Tribunal des conflits de 1956, un contrat conclu entre deux personnes privées peut être administratif si deux conditions cumulatives sont réunies. Il faut, tout d'abord, que le contrat porte sur l'occupation du domaine public et, ensuite, que l'un des cocontractants privés ait la qualité de concessionnaire de "service public". Cette dernière condition est le fruit d'une pure exigence prétorienne car ni le décret-loi du 17 juin 1938, autrefois, ni l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L2125INZ), aujourd'hui, n'imposent que le cocontractant soit concessionnaire de service public. L'article L. 2331-1 dispose en effet, sans autre exigence, que, "sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs [...] aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordes ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires [...]". A s'en tenir à la lettre du Code général de la propriété des personnes publiques, il suffit, par exemple, que le contractant soit concessionnaire de voirie, c'est-à-dire un simple occupant domanial non délégataire d'une mission de service public pour que le contrat qu'il passe avec un sous-occupant domanial tombe dans l'escarcelle du juge administratif.
Malgré cela, la jurisprudence a continué à appliquer la jurisprudence de 1956 et n'a donc admis la compétence administrative que dans les hypothèses où le concessionnaire n'était pas seulement un concessionnaire de voirie mais possédait, également, la qualifié de concessionnaire ou de délégataire de service public (7). Mais parce qu'il était devenu difficile de maintenir une telle jurisprudence, notamment au regard de l'adoption récente du Code général de la propriété des personnes publiques, le Conseil d'Etat saisit l'occasion que lui offre cette affaire pour permettre au Tribunal des conflits de l'amender et de donner un fondement plus solide à la compétence administrative.
Après l'arrêt "Société grand port maritime du Havre" du 19 janvier 2011 (8) qui avait nettement circonscrit les pouvoirs du juge du référé contractuel, l'arrêt du 1er juin 2011 ici commenté vient à nouveau préciser l'office de ce juge du contrat tout en ne manquant pas d'apporter d'utiles indications quant à la mise en oeuvre des règles d'allotissement posées par l'article 10 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2670HPL) et du délai de standstill dont le régime juridique est déterminé par l'article 80 du même code.
En l'espèce, un office public de l'habitat avait conclu un marché de maintenance d'ascenseurs avec la société X. Ce dernier comportait trois lots distincts. La société Y a remis une offre pour les lots n° 2 et n° 3 et a été informée du rejet de son offre au motif que le règlement de consultation imposait aux candidats de répondre à l'ensemble des lots. Cette dernière a alors introduit un référé précontractuel qui a été jugé irrecevable au motif que le contrat litigieux avait été signé avant même que le juge du référé précontractuel n'ait été saisi. La société Y a alors modifié son angle d'attaque, ainsi que le lui permet la jurisprudence "France Agrimer" (9), en présentant des conclusions de référé contractuel dans son mémoire en réplique. Ce référé contractuel a, cependant, été rejeté au motif que le manquement aux obligations de mise en concurrence, qui découlait du fait qu'il était impossible d'allotir le marché et d'exiger des candidats qu'ils présentent des offres pour tous les lots, n'avait pas privé la société Y de toute chance d'obtenir le marché.
Le premier apport de l'arrêt du 1er juin 2011 tient aux précisions relatives à la mise en oeuvre du délai de standstill. L'article 80 du Code des marchés publics dispose, en son I, que, pour les marchés passés selon une procédure formalisée, ce qui était le cas en l'espèce (appel d'offres), le pouvoir adjudicateur, "dès qu'il a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats le rejet de leur candidature ou de leur offre, en leur indiquant les motifs de ce rejet. Cette notification précise le nom de l'attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre aux candidats ayant soumis une offre et à ceux n'ayant pas encore eu communication du rejet de leur candidature. Un délai d'au moins seize jours est respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux alinéas précédents et la date de conclusion du marché. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de la notification à l'ensemble des candidats intéressés". En l'espèce, la société Y a été informée le 1er décembre 2010 du rejet de son offre et le marché a été signé dès le 8 décembre, soit avant l'expiration du délai de standstill de seize jours (ou de onze jours en cas de transmission électronique). Se posait donc la question de savoir si l'office avait légalement pu conclure le marché. L'établissement public invoquait à son secours les dispositions de l'article 80-I-2° du Code des marchés publics, selon lesquelles le respect des délais précités n'est pas exigé "[...] lorsque le marché est attribué au seul candidat ayant présenté une offre répondant aux exigences indiquées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation".
L'office considérait donc qu'il n'était pas tenu de respecter le délai de suspension car seule la société X avait respecté le règlement de consultation. Cette argumentation était apparemment imparable, à un détail près toutefois, puisque la société Y soutenait que son offre avait été rejetée sur la base d'un règlement de consultation irrégulier. Le Conseil d'Etat la suit sur ce point, en jugeant qu'en imposant aux candidats de répondre obligatoirement aux trois lots objet de la consultation à peine de rejet de leur offre, l'office a méconnu les dispositions de l'article 10 du Code des marchés publics et l'objectif qu'elles poursuivent de susciter la plus large concurrence. Le Conseil d'Etat juge que l'exception prévue par l'article 80-I-2 du Code des marchés publics est contraire au droit communautaire au motif "qu'en prévoyant [...] une dispense de respect du délai de suspension lorsque, en l'absence de candidats concernés, le marché a été attribué au seul soumissionnaire concerné, les dispositions des articles 2 bis et 2 ter de la Directive du 21 décembre 1989 [Directive (CE) 89/665 (N° Lexbase : L9939AUN)] résultant de la Directive du 11 décembre 2007 [Directive (CE) 2007/66 (N° Lexbase : L7337H37)] n'ont pas entendu permettre au pouvoir adjudicateur de s'affranchir du respect de ce délai de suspension dans d'autres cas, notamment dans celui où le contrat a été attribué au seul candidat s'étant conformé aux documents de la consultation, en faisant échec à l'annulation du contrat par le juge du référé contractuel". Pour la Haute juridiction administrative, les dispositions du a) du 2°) du I de l'article 80 du Code des marchés publics méconnaissent les objectifs des articles 2 bis et 2 ter de la Directive du 21 décembre 1989.
Il restait alors à déterminer les conséquences de l'irrégularité ainsi commise par le pouvoir adjudicateur et consistant donc en une méconnaissance du délai de standstill. Il résulte des termes de l'article L. 551-18 (N° Lexbase : L1598IEW) et suivants du Code de justice administrative, tels qu'éclairés par l'arrêt "Grand port maritime du Havre" du 19 janvier 2011, que le juge du référé contractuel ne peut être saisi que de trois catégories de manquements. Est, d'abord, concernée l'absence de toute mesure de publicité lorsque celle-ci est exigée ou l'absence d'une publication au JOUE dans le cas où une telle publication est prescrite. Est, également, visée l'hypothèse d'une méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou sur un système d'acquisition dynamique. Enfin, le juge du référé contractuel peut être saisi en cas de signature du contrat avant l'expiration du délai de standstill ou pendant la phase de suspension liée à la saisine du juge du référé précontractuel. C'est bien évidemment cette dernière hypothèse qui était ici en cause et le Conseil d'Etat a considéré qu'aucune raison impérieuse d'intérêt général ne justifiait le prononcé de l'une des mesures alternatives à l'annulation prévues par l'article L. 551-19 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6357IQI) (résiliation, réduction de la durée du contrat, imposer une pénalité financière). En revanche, parce qu'il lui est apparu nécessaire de préserver la continuité des prestations de dépannage et d'entretien des ascenseurs durant le délai nécessaire au lancement d'une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence et à l'attribution des nouveaux marchés, il a différé l'annulation des deux marchés de quatre mois à compter de l'intervention de sa décision.
L'arrêt rendu le 24 juin 2011 par le Conseil d'Etat vient utilement prolonger les jurisprudences "France Agrimer" du 10 novembre 2010 et "Société Koné" du 1er juin 2011 (10). L'arrêt "France Agrimer" avait précisé qu'un candidat évincé pouvait parfaitement exercer un référé précontractuel puis un référé contractuel lorsqu'il avait été informé, en cours d'instance, que le contrat avait finalement été conclu. L'arrêt "Société Koné" a, quant à lui, ajouté que la circonstance que le candidat évincé ait introduit, dans le délai de standstill, un référé précontractuel qui s'est ensuite révélé irrecevable au motif que le pouvoir adjudicateur avait manqué à ses obligations, ne rendait pas irrecevable son référé contractuel. L'arrêt du 24 juin 2011 complète ce dispositif en ajoutant que n'est pas irrecevable le référé contractuel du concurrent évincé ayant antérieurement présenté un recours précontractuel qui, bien qu'informé du rejet de son offre par le pouvoir adjudicateur, ne l'a pas été, contrairement à ce qu'exige le dernier alinéa du 1° du I de l'article 80 du Code des marchés publics, du délai de suspension que ce dernier s'imposait entre la date d'envoi de la notification du rejet de l'offre et la conclusion du marché.
Les faits de l'espèce suffisent à expliquer l'importance de cette obligation d'information qui pèse sur le pouvoir adjudicateur. Un office public de l'habitat interdépartemental avait passé un marché de prestation de services, selon une procédure formalisée, avec la société X. La société Y avait été informée, par une lettre datée du 29 novembre 2010, du rejet de son offre. Seulement, celle-ci ne précisait pas le délai à l'expiration duquel le contrat serait signé (délai de droit commun d'au moins seize jours ou délai raccourci d'au moins onze jours en cas de transmission électronique). La signature du marché litigieux est alors intervenue le 15 décembre 2010, et la société X a engagé un référé précontractuel le 23 décembre dont elle s'est finalement désistée lorsqu'elle a appris que le contrat avait finalement été signé antérieurement à la saisine du juge. Se posait donc la question de savoir si l'exercice de ce référé précontractuel la privait, alors, de la possibilité d'exercer un référé contractuel, étant entendu que la succession des deux recours est par principe interdite. Le Conseil d'Etat valide le raisonnement du juge des référés du tribunal administratif de Versailles. Il considère que ce dernier a pu valablement jugé que l'absence d'indication du délai dans lequel la signature du marché interviendrait avait privé la société évincée de son droit d'exercer un recours en référé précontractuel. De la même façon, il a validé l'annulation du contrat au motif qu'elle répondait aux conditions posées par l'article L. 551-18 du Code de justice administrative.
François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique
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par Frédéric Subra, Avocat associé et Mathieu le Tacon, Avocat of counsel, au sein du cabinet Delsol Avocats
Le 02 Septembre 2011
A - Suppression du bouclier fiscal
Il s'agit, sans doute, de la mesure la plus symbolique de la réforme : le célèbre bouclier fiscal est officiellement supprimé à compter des revenus perçus en 2011 ce qui, eu égard aux règles de fonctionnement de ce dispositif, entraîne une suppression effective du bouclier à compter du 1er janvier 2013.
Ainsi, s'agissant des revenus perçus en 2010, le bouclier fiscal reste applicable et les contribuables concernés pourront donc faire valoir en 2012 leur droit à remboursement de l'excédent d'impôt versé.
En revanche, les modalités de remboursement de la créance d'impôt sont substantiellement modifiées, et ce tant pour le remboursement de la créance de bouclier 2011 que celui de la future créance de bouclier 2012.
La procédure "classique" de demande de remboursement par voie de réclamation contentieuse est, en effet, supprimée. A l'inverse, est généralisée la procédure dite "d'autoliquidation", qui consistera désormais exclusivement à imputer la créance de bouclier sur l'ISF dû au titre de l'année et, le cas échéant, des années suivantes.
En pratique, les titulaires d'une créance de bouclier fiscal 2010 et qui n'en auraient pas encore demandé le remboursement auront jusqu'au 29 septembre 2011 pour le faire.
Au-delà, seule une imputation sur l'ISF 2011, à régler le 30 septembre 2011 au plus tard, sera possible.
S'agissant de la créance de bouclier fiscal 2012, elle ne pourra donc être imputée que sur le montant de l'ISF 2012 et, le cas échéant, des années suivantes.
Le législateur a toutefois prévu trois hypothèses limitativement énumérées, dans lesquelles le contribuable peut demander le remboursement de sa créance de bouclier et ce, avant le 31 décembre de l'année de réalisation (2) de l'un des évènements suivants :
- le contribuable cesse d'être redevable à l'ISF (par exemple à l'occasion d'une donation) ;
- les membres du foyer fiscal titulaire de la créance de bouclier font l'objet d'une imposition distincte à l'ISF (par exemple consécutivement à une séparation ou un divorce) ;
- l'un des membres du foyer fiscal titulaire de la créance de bouclier décède.
Rappelons enfin que, pour compenser les effets négatifs de la suppression du bouclier pour les ménages à revenus modestes, est mis en place un mécanisme de plafonnement, à 50 % du revenu, de la taxe foncière afférente à l'habitation principale (hors TEOM).
Ce mécanisme sera réservé aux ménages dont les revenus n'excèdent pas le revenu fiscal de référence visé à l'article 1417 II du CGI (N° Lexbase : L4875IQM) et qui, par ailleurs, ne sont pas soumis à l'ISF.
B - Allègement de l'ISF
Comme prévu, l'ISF ne concerne plus que les titulaires de patrimoines supérieurs à 1,3 million d'euros (contre 800 000 euros en dernier lieu) et ce, dès 2011 afin que la réforme puisse être "lisible" avant les prochaines échéances présidentielles de mai 2012.
A compter de l'ISF 2012, le barème sera nettement allégé, puisqu'il n'existera plus que deux tranches, respectivement taxées à 0,25 % et 0,5 % selon que le patrimoine excède ou non 3 millions d'euros (avec un mécanisme de lissage des effets de seuil).
Le débat parlementaire, quoique riche (et malgré, par exemple, une tentative d'inclure les oeuvres d'art dans l'assiette imposable) n'aura fait évoluer la réforme de l'ISF qu'à la marge.
Rappelons également que les obligations déclaratives seront, à compter de 2012, largement simplifiées pour les titulaires de patrimoine inférieurs à 3 millions d'euros.
Par ailleurs, les deux aménagements techniques de l'ISF voulus par le Gouvernement, en faveur des exonérations visant les entreprises, ont été validés par le Parlement :
- la notion de biens professionnels susceptibles d'être exonérés est élargie, puisque les redevables exerçant plusieurs activités pourront, désormais, être exonérés d'ISF au titre des biens professionnels, sans que soit exigé un lien de similitude ou de complémentarité entre les différentes activités ;
- le régime des "Pactes Dutreil" (3) est assoupli (4), notamment pour permettre à de nouveaux associés d'adhérer à des pactes déjà conclus.
D'autres aménagements techniques ont, par ailleurs, été votés par le Parlement :
- le seuil minimal de détention de 25 %, conditionnant l'exonération des titres de sociétés soumises à l'IS, sera désormais apprécié par rapport aux seuls droits de vote (et non plus en fonction des droits de vote et des droits financiers) ;
- le seuil minimal ne sera pas exigé, sous réserve de remplir trois conditions cumulatives, avoir respecté le seuil de 25 % pendant 5 ans, détenir au moins 12,5 % des droits de vote à la suite de l'augmentation de capital "diluant" le contribuable, et avoir conclu un pacte avec d'autres associés représentant au moins 25 % des droits de vote et exerçant un pouvoir d'orientation sur la société ;
- plusieurs modifications sont, à nouveau, apportées aux dispositifs de réduction "ISF-PME". A titre d'exemple, la condition tenant à ce que la société compte au moins deux salariés devra désormais être remplie au plus tard à la clôture de l'exercice suivant la souscription ayant ouvert droit à la réduction. Par ailleurs, la cession forcée par un associé minoritaire contraint de céder ses titres en application d'un pacte d'associés n'entraîne plus, sous réserve de certaines conditions, la remise en cause de la réduction d'impôt.
Une autre évolution, relativement modeste, du texte concernant l'ISF, a doublé le montant de la réduction pour personne à charge (de 150 à 300 euros), tout en élargissant quelque peu son champ d'application.
Au final, la suppression du bouclier fiscal et la réforme de l'ISF sont globalement tout à fait conformes à ce qui avait été en dernier lieu été arrêté par l'exécutif et inséré dans le projet de loi initial.
D'un point de vue théorique tout au moins, le chiffrage présenté par le Gouvernement pour le coût annuel de ces deux mesures devrait donc être conforme à la réalité, soit un coût net de 1 564 millions d'euros en 2012.
Il en va de même, à quelques exceptions près, des mesures destinées à financer le coût de l'allègement de l'ISF, puisque celui-ci n'est que partiellement compensé par la suppression du bouclier (soit, en 2012, une économie liée au bouclier de 297 millions d'euros mais une perte de recettes d'ISF de 1 958 millions d'euros).
II - Plusieurs mesures destinées à financer la réforme
Pour financer la réforme, une série de mesures a été adoptée.
A - Le durcissement des droits de donation et succession
La première consiste à durcir la fiscalité en matière de donations et successions, essentiellement (mais pas uniquement) pour les contribuables fortunés :
- les deux dernières tranches du barème des droits de mutation à titre gratuit sont passées, respectivement, de 30 à 35 % et de 40 à 45 % ;
- le dispositif de réduction des droits dus en fonction de l'âge du donateur a été purement et simplement supprimé. L'amendement de l'Assemblée nationale, prévoyant le maintien de la réduction de droits de 50 %, lorsque le donateur a moins de 70 ans et consent une donation en pleine-propriété dans le cadre d'un "Pacte Dutreil", a toutefois été adopté ;
- le délai de rappel des donations est de nouveau fixé à 10 ans, au lieu de 6 ans depuis la loi "TEPA" de 2007 (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8) (avec toutefois un dispositif d'entrée en vigueur progressive élaboré par le Parlement pour atténuer les effets de la mesure).
Notons toutefois que de nombreux contribuables ont anticipé l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions (5), en réalisant ces dernières semaines des opérations de donation sous le bénéfice des règles antérieures encore en vigueur.
Dans ces conditions, le chiffrage initial du Gouvernement sur ce point (soit 925 millions d'euros par an à compter de 2012) reste à confirmer.
De plus, il convient de tenir compte d'une autre mesure, fruit du débat parlementaire et qui pourrait alourdir quelque peu le coût de la réforme : le texte de la loi adoptée le 6 juillet dernier (article 10) indique que la limite d'âge du donateur, conditionnant le bénéfice de l'exonération des dons familiaux de somme d'argent, est relevée de 65 à 80 ans pour les dons à un enfant, un neveu ou une nièce. Par ailleurs, le plafond (aujourd'hui fixé à 31 865 euros en 2011) est désormais renouvelable tous les dix ans alors qu'il ne pouvait jusqu'à présent s'appliquer qu'une seule fois.
B - Taxation des non résidents
Deux mesures, à forte dimension politique, étaient initialement prévues dans l'objectif très clair de faire contribuer au financement de la réforme, et plus largement au budget national, les non résidents, actuels ou futurs.
Dans ce cadre a, tout d'abord, été adoptée, conformément à la volonté du Gouvernement, la mise en place d'une "exit tax", destinée à taxer certaines plus-values latentes des contribuables transférant leur domicile à l'étranger.
Cette mesure a été adoptée sans modification notable par rapport au projet initial du Gouvernement (6).
En revanche, la seconde mesure initialement prévue, consistant à taxer les résidences secondaires des non résidents, a été finalement abandonnée. Si, d'un point de vue technique, ce retrait résulte d'un vote du Sénat, il résulte en réalité d'un arbitrage du Président de la république qui, in fine, se serait laissé convaincre par les arguments du groupe des sénateurs représentant les français de l'étranger.
C - L'imposition des biens ou droits composant un trust
Une autre mesure importante pour le financement de la réforme consiste à mieux définir et appréhender, dans notre droit interne, la notion de trust, et ce dans le but, d'une part, de soumettre aux droits de mutations les transmissions à titre gratuit (donations ou successions) réalisées à partir d'un trust et, d'autre part, de préciser les règles d'imposition à l'ISF du constituant sur les avoirs placés au sein d'un trust (7).
D - Augmentation du droit de partage de 1,1 à 2,5 %
Députés et sénateurs ont décidé, d'abord pour financer la progressivité du passage de 6 à 10 ans de la règle du rapport fiscal, mais aussi pour financer la suppression de la taxe sur les immeubles des non résidents, de faire plus que doubler le droit de partage.
Rappelons que ce droit est dû, notamment, à l'occasion d'une sortie d'indivision (par exemple après une succession, un divorce ou une donation-partage) sur, le plus souvent, la valeur nette de l'actif partagé.
Cette mesure s'appliquera aux partages intervenant à compter du 1er janvier 2012.
E - Alourdissement, dans certaines hypothèses, de la fiscalité de l'assurance-vie
Ainsi que le souhaitait le Gouvernement, l'assurance vie est, dans l'ensemble, très épargnée par la réforme de la fiscalité du patrimoine.
Les parlementaires ont toutefois adopté plusieurs mesures la visant.
Il est ainsi mis fin à l'exonération des contrats souscrits par un résident fiscal étranger au moment de la souscription. Le prélèvement sur les capitaux décès s'appliquera, dorénavant, dès lors que le bénéficiaire a son domicile fiscal en France au moment du décès et qu'il l'a eu pendant au moins six années au cours de dix années précédant le décès, ou dès lors que l'assuré a, au moment du décès, son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY).
Par ailleurs, en cas de démembrement de la clause bénéficiaire, le nu-propriétaire et l'usufruitier seront considérés, pour l'application du prélèvement prévu à l'article 990 I du CGI (N° Lexbase : L0534IHA), comme bénéficiaires au prorata de la part leur revenant dans les sommes, rentes ou valeurs versées par l'organisme d'assurance, déterminée selon le barème prévu à l'article 669 du CGI (N° Lexbase : L7730HLU). Jusqu'à présent, seul l'usufruitier était taxé sur la part lui revenant.
Enfin, a été adopté l'amendement du Sénat visant à porter de 20 à 25 % le taux de taxation des sommes figurant sur un contrat d'assurance-vie en cas de décès (CGI, art. 990 I), lorsque l'assuré a effectué des versements avant l'âge de 70 ans.
(1) A l'exception notable de la taxe sur les résidences secondaires des non résidents qui a été purement et simplement supprimée, cf. infra.
(2) Ce qui pourrait être très court si l'évènement survient en fin d'année.
(3) La mesure concerne également les "Pactes Dutreil" donation/succession.
(4) S'agissant des détails, cf. notre précédente chronique.
(5) En effet, à défaut de dispositions spécifiques la hausse du barème, la suppression de la réduction de droits liés à l'âge du donateur n'est applicable qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi.
(6) Nos lecteurs en trouveront le détail dans notre précédente chronique.
(7) Le détail de cette mesure est commenté dans notre précédente chronique.
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Le 17 Novembre 2011
A la faveur de notre dernière chronique dans le cadre de cette Revue, l'occasion nous était donnée de rappeler l'existence de limites au devoir du notaire d'assurer l'efficacité et la validité des actes, obligation dont on sait bien, depuis l'arrêt "Boiteux" de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 avril 1981, qu'elle constitue l'instrument permettant la réalisation (1). Ainsi, en dehors même du fait que le devoir de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous (2) ou, inversement, qui sont ignorés de tous, rendant du même coup l'erreur invincible (3), un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 12 mai 2011 (4) était venu confirmer que le professionnel n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties, du moins dans les hypothèses dans lesquelles aucun élément ne permettait de douter de leur exactitude (5). Il reste cependant qu'il ne faut pas exagérer l'importance de ces limites, qui renvoient tout de même en pratique à des hypothèses sinon marginales, du moins assez particulières. La jurisprudence, appréciée globalement, atteste d'ailleurs, au contraire, de la vigueur des obligations qui pèsent sur le notaire, et de la relative sévérité dont font preuve les tribunaux dans le contrôle de leur exécution. Un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 14 juin 2011 en constitue, au demeurant, un nouvel exemple.
En l'espèce, des époux, ayant acquis une maison d'habitation et appris du propriétaire de la villa voisine, postérieurement à la vente, qu'il était le bénéficiaire d'une servitude de vue sur le fonds, avaient entendu rechercher la responsabilité du notaire qui les avait assisté dans la réalisation de l'opération et qui avait découvert l'existence de la servitude après la signature du compromis de vente, au motif qu'il aurait commis un faute consistant dans le fait de ne pas avoir attiré leur attention, lors de la signature de l'acte authentique, sur les conséquences de ladite servitude. Le notaire cherchait bien à se libérer, en faisant valoir qu'il avait rempli son devoir d'information et de conseil puisque l'acte authentique, qui fait foi jusqu'à inscription de faux, mentionnait que l'acquéreur déclarait connaître le bien et qu'à l'acte étaient annexés des extraits d'actes signés par l'acquéreur faisant apparaître l'existence de servitudes, dissimulées, il est vrai, par le vendeur.
Mais la cour d'appel approuve les premiers juges d'avoir considéré que le notaire avait commis une faute, étant relevé "qu'il lui appartenait [...] d'être particulièrement vigilant sur ce point et d'attirer l'attention [des acquéreurs] non seulement sur la discordance existant entre l'acte sous seing privé et l'acte qu'[il s'apprêtait] à authentifier, mais également sur les conséquences des servitudes conventionnelles grevant le fonds dès lors qu'[il savait], d'une part, que, par leur nature, les servitudes diminuaient la constructibilité du terrain et, d'autre part, que l'acquéreur avait l'intention d'agrandir les constructions existantes".
L'arrêt appelle trois séries d'observations.
D'abord, il confirme que le notaire doit, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (6), en même temps qu'il doit éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'il authentifie (7). Par où l'on voit bien que son obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. On n'ignore pas, sous cet aspect, que le notaire, tenu de s'assurer, en sa qualité de rédacteur de l'acte, de l'efficacité de celui-ci, doit vérifier la situation de l'immeuble au regard des exigences administratives (8) ou procéder à des recherches sur la situation des biens et, plus particulièrement, vérifier les origines de propriété de l'immeuble vendu (9), si bien que sa responsabilité se trouve engagée s'il s'est borné à reprendre d'un acte antérieur une origine de propriété qui s'est finalement révélée erronée (10). Ou bien encore, le notaire qui établit un acte de garantie hypothécaire doit s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (11). Rien d'étonnant, donc, à ce que, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 juin dernier, les magistrats parisiens aient considéré que le notaire avait commis une faute en n'éclairant pas les parties sur les conséquences des servitudes conventionnelles grevant le fonds dès lors qu'il savait que, par leur nature, les servitudes diminuaient la constructibilité du terrain, ce qui naturellement préjudiciait à l'acquéreur qui avait fait part au notaire de son intention d'agrandir les constructions existantes. La solution est parfaitement logique : l'efficacité d'un acte dépend souvent de l'absence de charges, de servitudes ou d'hypothèques grevant les droits que l'on se propose d'acquérir ou de transmettre, si bien qu'il est cohérent que la jurisprudence impose au notaire de les rechercher et de les découvrir (12).
Ensuite, l'arrêt rappelle, sur le terrain de la charge de la preuve, que c'est au notaire qu'il appartient de démontrer qu'il a correctement exécuté son obligation d'information et de conseil. La solution est bien connue, et ne justifie pas que l'on s'y attarde : on sait bien, en effet, que c'est au débiteur de l'obligation d'information de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation (13).
Enfin, en relevant que, à raison de sa faute, et du préjudice causé à son client, la responsabilité du notaire est engagée sur le fondement des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil, l'arrêt s'inscrit ainsi dans la tendance du droit positif à presque systématiquement affirmer la nature délictuelle de la responsabilité notariale. Sans doute, classiquement, enseignait-on que la responsabilité du notaire était, du point de vue de sa nature, double : tantôt délictuelle ou quasi délictuelle lorsque le notaire enfreint une obligation tenant à sa seule qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, tantôt contractuelle lorsqu'il se charge, pour le compte de ses clients, de missions plus larges que celles auxquelles il est contraint par la loi car il agit alors non plus en qualité d'officier public, mais en qualité de mandataire ou de gérant d'affaires. Mais cette présentation paraît, depuis quelques années déjà, dépassée. L'extension du champ de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle en la matière s'explique probablement par le fait que la jurisprudence, plus ou moins explicitement, rattache le plus souvent la responsabilité du notaire à son devoir de conseil, ce qui n'est pas anodin si l'on veut bien relever que, quel que soit le rôle assumé par le notaire, elle relie toujours le devoir de conseil à la qualité de notaire et à ses obligations strictement professionnelles, sans la relier au contrat qui l'unirait à son client.
Tenu, en tant que rédacteur d'acte, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (14), il incombe à l'avocat d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (15). Et l'avocat est, bien entendu, également soumis à un devoir de conseil lorsqu'il intervient non plus simplement en tant que rédacteur d'actes, mais également en tant qu'il est investi d'une mission d'assistance et de représentation, soit en vertu d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général obligeant l'avocat, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, soit d'un mandat ad negotia, c'est-à-dire d'un mandat qui peut n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire ou bien être l'accessoire ou une extension du mandat ad litem. Les hypothèses dans lesquelles la responsabilité de l'avocat est ainsi susceptible d'être engagée sont dès lors nombreuses, d'autant que le devoir de conseil est plus étendu que la simple obligation d'information et implique aussi que l'avocat soit tenu de donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires (16). Il lui incombe encore, à ce titre, d'informer son client de l'existence de voies de recours, des modalités de leur exercice et de lui faire connaître son avis motivé sur l'opportunité de former une voie de recours. Ce à quoi il faut ajouter, naturellement, que la responsabilité de l'avocat peut encore être recherchée en cas de faute consistant, plus généralement, dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client (17) : chargé de représenter son client en justice en vertu du mandat qu'il a accepté, il doit, dans le cadre de l'activité judiciaire, accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, étant entendu que la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié (18). Précisément, un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 21 juin 2011 engage la responsabilité d'un avocat qui, dans le cadre de sa mission consistant dans le recouvrement de la créance de son client, commet une faute en n'omettant de déclarer la créance au passif du débiteur.
En l'espèce, l'associé d'une société avait consenti à celle-ci un prêt, dont le remboursement était garanti par l'engagement de cautions solidaires et indivisibles avec renonciation à leur bénéfice de division et de discussion. La société débitrice n'ayant pas remboursé le prêt malgré un commandement de payer, le prêteur avait mandaté pour recouvrer sa créance un avocat spécialisé en droit des sociétés, droit commercial et droit économique, lequel avait engagé dans l'intérêt de son client une première instance à l'encontre de la société et des cautions devant le juge des référés, donnant lieu à une ordonnance constatant l'existence d'une contestation sérieuse, puis avait assigné les défendeurs afin d'obtenir leur condamnation solidaire à lui rembourser le prêt. L'année suivante, une procédure de redressement judiciaire avait été ouverte à l'encontre de la société. Et après un jugement statuant pour partie avant dire droit, suivi d'un arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre avait débouté le prêteur de ses demandes, pour absence de déclaration de sa créance au passif de la débitrice principale placée en redressement judiciaire, jugement que la cour d'appel de Saint-Denis avait ensuite confirmé. C'est dans ce contexte que le prêteur malheureux a reproché à son avocat en charge de ses intérêts d'avoir commis une faute dans l'exercice de sa mission en s'abstenant de déclarer en temps utile cette créance, alors qu'il avait été informé de la situation financière préoccupante de la société débitrice, omission dont il estime qu'elle lui a fait perdre sa créance puisque le tribunal a constaté l'extinction de sa créance tant à l'égard de la débitrice principale qu'à l'égard des cautions. La cour d'appel de Paris, par l'arrêt du 21 juin 2011, fait droit à cette demande : relevant en effet que, au titre de son devoir d'information et de conseil, l'avocat avait l'obligation d'effectuer tous les actes nécessaires à la défense des intérêts de son client, la cour décide qu'il a commis une faute en ne déclarant pas au passif de la société débitrice la créance de son client, alors qu'il avait l'obligation de le faire, même sans instruction particulière de celui-ci, dès lors qu'il avait clairement été mandaté pour recouvrer sa créance.
L'arrêt conduit à rappeler que la caractérisation d'un éventuel manquement de l'avocat à ses obligations suppose naturellement de déterminer l'étendue de la mission qui lui a été confiée et qui ressort, précisément, de son mandat : la responsabilité de l'avocat ne peut valablement s'apprécier qu'au regard du mandat (19). La solution vaut, à vrai dire, non seulement lorsque l'avocat agit en vertu d'un mandat, qu'il s'agisse d'ailleurs d'un mandat ad litem ou d'un mandat ad negotia, mais aussi dans toutes les hypothèses dans lesquelles il intervient en tant que conseil, et ce en dehors de tout mécanisme de représentation propre au mandat. Ce qui est déterminant dans l'appréciation de la responsabilité de l'avocat tient en effet moins à la qualification juridique de son intervention (mandat ou autre) qu'à la détermination de la mission qu'il accepte d'assumer, le mandat n'étant en réalité qu'un instrument permettant de déterminer le contenu de cette mission. Au demeurant, la jurisprudence décide, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la théorie du mandat, que l'exécution par l'avocat de son obligation d'information et de conseil s'apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée, jugeant ainsi que "le devoir de conseil et d'information du conseil juridique qui s'exerçait préalablement à la conclusion de l'acte pour assurer son efficacité ne s'étend pas, sauf mission particulière confiée à celui-ci [...] à la réalisation de formalités extrinsèques à l'acte qui ne relevaient que de la seule initiative des parties" (20). Tout cela est parfaitement entendu et ne posait, au cas présent, pas réellement de difficulté dans la mesure où il ressortait des circonstances de fait à l'origine du litige que l'avocat avait clairement été mandaté pour recouvrer la créance de son client. Il ne faisait dès lors aucun doute que le manquement qui lui était reproché ayant fait perdre au client la chance d'obtenir effectivement le recouvrement de sa créance constituait une faute.
Au reste, la solution est classique en jurisprudence : l'avocat doit s'assurer de l'existence et de la permanence de la créance principale de son client, si bien que, en s'en abstenant, il commet une faute dont il doit répondre des conséquences dommageables (21). Il est évident que, chargé par son client du recouvrement d'une créance, il commet une faute en n'omettant de procéder à la déclaration de ladite créance au passif du débiteur puisque, ce faisant, il manque à son obligation d'accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client (22). La faute était, en l'espèce, d'autant plus caractérisée qu'elle avait, en outre, fait perdre au créancier le bénéfice des garanties attachées à sa créance puisque l'extinction de celle-ci avait, en outre, libéré les cautions de leurs engagements (23).
David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
(1) Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(2) Cass. civ. 3, 20 novembre 1991, n° 90-10.286 (N° Lexbase : A2944ABN), Bull. civ. III, n° 284. Comp. Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-18.737 (N° Lexbase : A3478AUD), Bull. civ. I, n° 101, jugeant que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir rappelé à une autre partie des obligations relevant de l'obligation de bonne foi qui s'impose en matière contractuelle, ou les conséquences de leur transgression.
(3) Cass. civ. 1, 21 novembre 2000, n° 98-13.860 (N° Lexbase : A9344AHK), Bull. civ. I, n° 300 (usucapion ignoré de tous et ultérieurement constaté dans une décision judiciaire).
(4) Cass. civ. 1, 12 mai 2011, n° 10-17.602 (N° Lexbase : A1228HRW).
(5) Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-12.294, F-P+B+I (N° Lexbase : A1345EUD), énonçant que "le devoir de conseil auquel est tenu le rédacteur d'actes s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque, dans ce dernier cas, le praticien du droit en a été informé ; que si le professionnel doit veiller, dans ses activités de conseil et de rédaction d'actes, à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, il n'est, en revanche, pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties en l'absence d'éléments de nature à éveiller ses soupçons quant à la véracité des renseignements donnés".
(6) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(7) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(8) Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758, FS-P+B (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (en l'espèce vérification de la commercialité de l'immeuble compte tenu de l'exigence d'un périmètre de protection autour) ; Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B (N° Lexbase : A3375ELL), Bull. civ. III, n° 201.
(9) Cass. civ. 1, 12 décembre 1995, n° 93-18.753 (N° Lexbase : A7976ABZ), Bull. civ. I, n° 459.
(10) Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 99-11.106 (N° Lexbase : A9928AXY), Bull. civ. I, n° 54.
(11) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-145.45, publié (N° Lexbase : A2322CG4). Voir déjà, auparavant, Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737 (N° Lexbase : A1369AH8). Comp. Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9) décidant que le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé.
(12) Cass. civ. 1, 15 avril 1980, n° 79-10.141 (N° Lexbase : A5523CHZ), Bull. civ. I, n° 112 ; Cass. civ. 1, 12 juin 1990, n° 88-15.020 (N° Lexbase : A3662AH4), Bull. civ. I, n° 160.
(13) Voir déjà, en matière médicale, Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685 (N° Lexbase : A0061ACA), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, Dalloz, 2000, t. 2, n° 13, et les références citées. Et pour une application de la solution au notaire, v. Cass. civ. 1, 3 février 1998, n° 96-13.201 (N° Lexbase : A2233ACP), Bull. civ. I, n° 44 ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2006, n° 04-14.487 (N° Lexbase : A0806DTZ), Bull. civ. I, n° 556.
(14) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(15) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267, jugeant que l'avocat, unique rédacteur d'un acte sous seing privé, est tenu de veiller à assurer l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et de prendre l'initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d'autre, peu important le fait que l'acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d'un seul des contractants.
(16) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-12.974 (N° Lexbase : A1188CYN).
(17) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 86-16.268 (N° Lexbase : A8645AAG), Bull. civ. I, n° 17.
(18) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(19) Voir not. Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(20) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n° 01-03.903, F-D (N° Lexbase : A6177DBE).
(21) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 5 février 2008, n° 06/18025 (N° Lexbase : A8050D4W).
(22) Sur cette obligation, voir not. Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899 (N° Lexbase : A9822EGU), Bull. civ. I, n° 92.
(23) Conformément à la règle de l'article de l'article L. 621-46 du Code de commerce applicable à l'époque des faits du litige (N° Lexbase : L6898AIC), suivant laquelle "les créances qui n'ont pas été déclarées et n'ont pas donné lieu à relevé de forclusion sont éteintes", et aux solutions admises par la jurisprudence admettant la libération de la caution pour défaut de déclaration de la créance : Cass. com., 19 juin 1984, n° 83-12.932 (N° Lexbase : A0911AAY), Bull. civ. IV, n° 198. Comp., différemment, depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT) pour les procédures collectives ouvertes à compter du 15 février 2009, le nouvel article L. 631-14, alinéa 6, du Code de commerce (N° Lexbase : L2453IEL) en cas de redressement judiciaire. V. not. Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Précis Dalloz, 4ème éd., n° 244.
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Le 27 Mars 2014
8h45 Accueil des participants - service du petit-déjeuner
9h15 - 10h30 Plénière
Ouverture par Jean-Charles Savouré, Président de l'AFJE
Table ronde : Juriste d'entreprise : un métier en pleine mutation - Cerner les évolutions récentes de la profession de juriste d'entreprise, depuis son positionnement et sa valeur dans l'entreprise, passant par la création possible d'un statut d'"avocat en entreprise", jusqu'à la gestion des carrières et de la formation. Intervenants : Joël Moret Bailly, Marc Bartel, Philippe Coen, William Feugère, Laurent Vallée
10h30 Pause, échanges et networking
11h00 - 12h30 Atelier au choix
- Sécuriser vos négociations : pourparlers, avant-contrats, accords de confidentialité et pactes de préférence. Intervenant : Jean-Louis Fourgoux
- Articuler contrats de distribution et bail commercial. Intervenant : Françoise Auque
- Les nouveaux outils de rupture du contrat de travail : risques et opportunités. Intervenant : Françoise Favennec Héry
- Actualité du droit boursier : satisfaire aux obligations et prévenir les risques. Intervenant : Nicolas Rontchevsky
- Dématérialisation des documents : des exigences légales aux solutions technologiques. Intervenants : Véronique Dumond et Etienne Plouvier
12h30 Pause déjeuner, échanges, networking
14h00 - 16h00 Atelier au choix
- Les outils de la finance pour le responsable juridique. Intervenant : Frédéric Parrat
- La rupture des relations commerciales établies : nouvelles pratiques et dernières évolutions. Intervenants : Didier Ferrier et Dominique Ferré
- Délégations de pouvoirs et responsabilité des dirigeants. Intervenant : Luc Athlan
- Répondre aux nouvelles obligations de documentation des prix de transfert et contrats intra groupes. Intervenants : Franck Berger et François Gadel
- Négocier vos contrats internationaux en anglais : meilleures pratiques et retour d'expérience. Intervenant : Philippe-Edouard Lamy
16h00 Pause, échanges et networking
16h30 - 18h30 Atelier au choix
- Sanctions en concurrence : anticiper par la mise en place de programmes de conformité, réagir par la construction d'une stratégie crédible. Intervenants : Thierry Dahan et Jean-Yves Trochon
- Acquérir et gérer un portefeuille de marques : les étapes essentielles. Intervenant : le Cabinet Beau de Loménie
- Repérer et gérer le risque environnemental dans les principaux actes juridiques de l'entreprise. Intervenant : Christian Huglo
- Le nouveau droit de l'arbitrage interne et international depuis la réforme de janvier 2011. Intervenant : Thomas Clay
-Valoriser la fonction juridique : s'affirmer, affirmer sa posture de conseil dans l'entreprise. Intervenant : Nathalie Estellat Guilhot
18h30 Cocktail
Vendredi 14 octobre 2011
8h45 - 18h30
Eurosites George V
28, avenue George V
75008 Paris
590 euros HT, pour les adhérents de l'AFJE
890 euros HT, pour les non-adhérents
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Le 28 Juillet 2011
En plus de préciser certaines mentions nécessaires ou autorisées pour la validité des arrêts rendus par les cours d'assises, la décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 juin 2011 démontre à quel point il est plus difficile, pour cette dernière juridiction, de se conformer aux attentes européennes en matière de motivation des décisions de justice -en l'occurrence d'un arrêt rendu par une cour d'assises spéciale-, que lorsqu'il s'agit de renforcer les droits du gardé à vue. Précédemment, ladite Cour avait d'ailleurs déjà refusé de transmettre plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l'insuffisance de motivation des arrêts de cours d'assises, pour finalement céder par deux arrêts du 19 janvier 2011 (1).
Il faut dire que l'annulation d'un arrêt d'assises, pour insuffisance de motivation par exemple, emporte une lourde conséquence : la tenue d'un nouveau procès. Surtout, contrairement aux décisions concernant la garde à vue, la jurisprudence européenne favorable à une motivation réelle des décisions de justice ne bénéficie pas du renfort interne du Conseil constitutionnel sur ce point. En effet, ce dernier a estimé le 1er avril 2011 que le système actuel de questions qui tient lieu de motivation des arrêts d'assises, ne méconnaissait pas les exigences constitutionnelles (2). En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité concernait un arrêt rendu par une cour d'assises de droit commun, mais la solution s'étend à ceux rendus par les cours d'assises spéciales, le système des questions étant identique.
La défense du système actuel est pourtant intenable, les réponses aux questions ne permettant pas de connaître les raisons de la condamnation ou de l'acquittement d'un accusé et ne pouvant donc être considérées comme des motifs véritables. Ces réponses éclairent uniquement sur le résultat final de la réflexion des juges, étant cependant acquis qu'à la lecture de l'ordonnance de mise en accusation et à l'écoute du réquisitoire de l'avocat général, l'accusé dispose des arguments principaux militant en faveur de sa condamnation.
La Cour de cassation, par l'arrêt du 15 juin 2011, maintient assez logiquement sa position en rejetant toute critique liée à l'insuffisance de motivation d'une décision pourtant justifiée par la seule réponse "oui, à la majorité" aux questions posées. Selon elle, "dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l'arrêt satisfait aux exigences conventionnelles et légales invoquées", c'est-à-dire à l'article 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC) et à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).
La Cour européenne a pourtant été claire lorsqu'elle a condamné la Belgique -dont le système de motivation des arrêts d'assises était alors similaire au nôtre- pour violation de ce même article 6 : au minimum, la Grande chambre juge que les questions doivent être précises et individualisées (3) ; au mieux, même si c'était dans une composition moins solennelle et antérieurement à l'arrêt de Grande chambre, on ne peut négliger que la Cour européenne a considéré que l'on pouvait en attendre davantage, l'intime conviction n'empêchant nullement une véritable motivation (4).
C'est finalement dans ce dernier sens que se dirige le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs actuellement soumis à l'examen du Conseil constitutionnel prévoyant, dans un nouvel article 365-1 du Code de procédure pénale que (N° Lexbase : L4374AZZ) "Le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l'arrêt". L'alinéa suivant précise qu'"en cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356, préalablement aux votes sur les questions".
La Cour de cassation devra donc bien admettre, sans attendre une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme, que les exigences du procès équitable imposent qu'une personne jugée pour les infractions les plus graves ait connaissance des éléments qui ont emporté la conviction de la juridiction de jugement, garantie élémentaire offerte par le droit interne pour le jugement des affaires moins graves.
Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)
II. La nature juridique des mesures alternatives aux poursuites
Une fois de plus, l'emprise exercée par le Ministère public sur l'action à fin répressive que la loi lui a confiée interroge : quelle est la nature exacte de leur relation et, conséquemment, que peut légitimement faire celui-là de celle-ci (5) ?
En l'espèce, il s'agissait pour la Cour de cassation de se prononcer sur la possibilité, pour le procureur de la République, de citer une personne devant le tribunal correctionnel pour des faits de violence alors que préalablement, relativement à ces mêmes faits, il avait prôné un rappel à la loi qui avait été exécuté et qui, semble-t-il, avait eu un impact positif. Autrement dit, le procureur pouvait-il engager des poursuites après avoir mis en oeuvre une procédure alternative aux poursuites, plus précisément un rappel à la loi ? Formulé encore autrement, quelle est l'autorité d'un rappel à la loi sur l'action publique ?
Dans un premier temps, la réponse formulée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation n'étonne guère : il résulte, selon elle, de l'article 41-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7207IMU) "que le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, prescrire l'une des obligations prévues par ledit article, sans que l'exécution de cette obligation éteigne l'action publique". Cela signifie que, à l'exception de la composition pénale, pour laquelle cela est expressément précisé par la loi (6), l'exécution d'une mesure alternative aux poursuites n'éteint pas l'action publique.
Et pour cause : à travers le recours à une "alternative", le choix qui a été fait par le ministère public n'a pas été de poursuivre ou de ne pas poursuivre, option inéluctable avant la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 (N° Lexbase : L2004ATE), mais de partir sur une "troisième voie" qui, par là même, ne présage rien des deux premières. L'action publique, nullement touchée par l'intervention du Parquet, n'est alors susceptible de s'éteindre qu'en vertu des causes exposées par l'article 6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7017A4N) et, en attendant, reste à la "disposition" de son titulaire.
Il est également possible d'expliquer cette solution par la teneur du choix fait par le ministère public : à l'instar d'un classement sans suite, une telle décision -dite parfois "classement sans suite personnalisé"- est de nature administrative, n'exerçant de la sorte aucune forme d'autorité sur tous ceux qui auront à se prononcer relativement à l'action publique (7). La solution est d'ailleurs la même en matière d'action civile (8). Seules les poursuites, qui constituent la saisine d'un juge, semblent, en la matière, se particulariser.
Dans un second temps, cependant, il est permis de se demander quelle peut bien être l'utilité d'une alternative aux poursuites qui, bien qu'effective, conduit malgré tout à engager ces poursuites. Il faut alors revenir sur l'article 40-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0951DYU). Celui-ci pose, en effet, que "le procureur de la République territorialement compétent décide s'il est opportun : soit d'engager des poursuites ; soit de mettre en oeuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1 ou 41-2 ; soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient". De plus, l'article 41-1 précise quant à lui, in fine, qu'"en cas de non-exécution de la mesure en raison du comportement de l'auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, met en oeuvre une composition pénale ou engage des poursuites". Dès lors, ne peut-on pas considérer que, en vertu du premier texte, un choix doit être fait par le ministère public et que, en vertu du second, par une interprétation a contrario, les poursuites doivent être engagées uniquement en cas de non-exécution de la mesure ?
C'est précisément le raisonnement mené par les juges du fond, que la Cour de cassation censure en l'espèce. Cette dernière préfère promouvoir le début de l'article 41-1 qui, en posant que "le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique", recourir à une mesure alternative, paraît situer le choix de poursuivre ou pas après l'exécution de ladite mesure.
Regrettable pour la plupart des mesures alternatives aux poursuites, qu'un attendu de principe dépourvu de toute nuance n'engage pas à mettre en oeuvre, cette solution a toutefois le mérite de souligner les failles du rappel à la loi : mesure paradoxale que celle qui se donne pour objet de rappeler ce que nul n'est par ailleurs censé ignorer ! Cela dépend sans nul doute des cas, mais gageons sans trop de risque que tout un chacun est en mesure de savoir que les violences sont prohibées par la loi.
Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford
III. L'encadrement juridique de la restitution des prélèvements humains
L'affaire ayant donné lieu à cet arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme est des plus complexes et des plus dramatiques : s'inquiétant de la disparition suspecte de leur fille, un couple sollicite à de nombreuses reprises et de différentes façons l'intervention des autorités françaises pour procéder à une enquête. Ces dernières ne s'empressant pas de répondre à leur appel de détresse, les parents de la jeune femme disparue finissent par procéder eux-mêmes à des investigations qui aboutissent à la révélation d'une terrible réalité : leur fille a été assassinée.
Durant le long processus qui conduit à la condamnation du coupable, des prélèvements sont effectués sur le corps de la fille lorsque celui-ci est retrouvé. Les parents demandent alors leur restitution, ce qu'ils ne parviennent à obtenir que presque un an après leur demande, et cinq ans après que les premiers prélèvements ont été effectués. Par suite, ils saisissent la Cour de Strasbourg, notamment afin que celle-ci dise que le délai mis par les autorités pour restituer les prélèvements effectués sur le corps de leur fille a porté atteinte au droit au respect de leur vie privée et familiale. Après une appréciation concrète, la juridiction européenne leur donne raison, précisant qu'"eu égard aux circonstances dramatiques de la présente affaire et au souhait des requérants, après une longue et douloureuse attente, de donner au plus vite une sépulture définitive aux restes de leur fille, [...] les autorités françaises n'ont pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale et le but légitime visé", à savoir la prévention des infractions pénales (9).
Le problème de la restitution des prélèvements humains opérés durant une procédure pénale a déjà été posé plusieurs fois à la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui, pour le moment, a toujours justifié le refus des autorités compétentes de les rétrocéder à la famille des victimes. Le motif avancé était toujours le même : il ne s'agirait pas d'"objets susceptibles de restitution" au sens des articles 41-4 (N° Lexbase : L1875H3T) (10) et 99 (N° Lexbase : L7171A4D) du Code de procédure pénale (11), seuls textes internes ayant vocation à régir les restitutions de biens placés sous main de justice.
A l'occasion du dernier arrêt rendu par la Cour de cassation en la matière, le 3 février 2010 (12), les requérants avaient fait valoir -sans succès- que le défaut de restitution constituait une ingérence disproportionnée dans leur droit au respect de la vie privée et familiale, tel que celui-ci est garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). Ils se fondaient, plus précisément, sur la solution dégagée par la Cour européenne quelques années plus tôt, dans l'arrêt "Pannullo et Forte c/ France", rendu le 30 octobre 2001 (13). Dans cette affaire, la Cour de Strasbourg avait, en effet, considéré qu'un délai de plus de sept mois mis par les autorités pour restituer aux requérants le corps de leur enfant décédé à l'hôpital constituait un manquement aux exigences de l'article 8.
Revenant à l'arrêt du 30 juin 2011, on ne peut alors que constater que la Cour européenne se désolidarise de l'interprétation des dispositions internes en matière de restitution faite par la Cour de cassation : d'une part, même si elle ne se prononce pas directement sur ce point, la Cour de Strasbourg ne semble pas convenir qu'il soit impossible de restituer un prélèvement humain et, préalablement à cela, qu'un tel prélèvement ne constitue pas un objet susceptible de restitution. A cet égard, comment ne pas souligner que, comme la restitution du corps avait été autorisée -en France- dans l'affaire "Pannullo et Forte", celle des prélèvements avait, en l'espèce, été ordonnée par la cour d'assises du Val-de-Marne ? A telle enseigne que, dans les deux cas, le litige portait sur le délai de la restitution, et non sur son objet.
D'autre part, la Cour européenne des droits de l'Homme incite à recentrer le débat sur l'aspect familial de l'affaire -le droit pour des parents de donner à leur fille une sépulture-, refusant les propositions françaises de focaliser sur le caractère patrimonial ou pas des prélèvements (14). C'est en cela et seulement en cela, peut-être, que l'on est en droit de considérer que la procédure française de restitutions, bâtie comme tout le reste sur le moule de la propriété, est inadaptée lorsqu'il s'agit de s'interroger sur ce qui supporte mal d'être approprié. Mais il ne s'agit déjà plus de procédure pénale...
Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford
(1) Voir les obs. de G. Beaussonie in Chronique de procédure pénale - Mars 2011, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7686BR4).
(2) Cons. const., décision n° 2011-113/115 QPC, du 1er avril 2011 (N° Lexbase : A1897HM9) ; C. Tahri, La constitutionnalité de la motivation "à la française" des arrêts d'assises, Lexbase Hebdo n° 435 du 7 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N9597BRU).
(3) CEDH, Grande chambre, 16 novembre 2010, Req. 926/05 (N° Lexbase : A0241GHE) ; voir C. Tahri, La motivation des arrêts d'assises, Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N8197BQN).
(4) CEDH, 13 janvier 2009, Req. 926/05, §§ 43 et 44 (N° Lexbase : A9609ELH) ; dans le même sens, voir notre thèse : Contribution à l'étude de la preuve pénale, Toulouse I - Capitole, 2010, spéc. n° 389 et s.
(5) Ces interrogations confirment la très large méconnaissance de l'action publique, déjà plusieurs fois soulignée dans le cadre de cette chronique : voir surtout nos obs. in Chronique de procédure pénale - Février 2011, Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2011 - édition privée (N° Lexbase : N3516BRN).
(6) C. proc. pén., art. 41-2, al. 9 : "L'exécution de la composition pénale éteint l'action publique".
(7) Voir A. Botton, Contribution à l'étude de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, coll. Bibl. sc. crim., t. 49, LGDJ, 2010, n° 292-293.
(8) Voir Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-44.948, FS-P+B (N° Lexbase : A7034D8Z) ; JCP éd. G, 2008, II, 10135, note S. Détraz : pas d'autorité d'un rappel à la loi notifié à un employé sur l'instance prud'homale qui l'oppose à son employeur.
(9) Voir § 110.
(10) Qui régit la restitution d'un objet placé sous main de justice par le Ministère public : Cass. crim., 3 février 2010, n° 09-83.468, FS-P+F (N° Lexbase : A0688ESB).
(11) Qui régit la restitution d'un objet placé sous main de justice par le juge d'instruction : Cass. crim., 3 avril 2002, n° 01-81.592, FS-P+F (N° Lexbase : A4923AYY).
(12) Précité, note 10.
(13) CEDH, 30 octobre 2001, Req. 37794/97 (N° Lexbase : A3165AXI).
(14) §§ 97 et s. Voir déjà Cass. crim., 3 février 2010, précité.
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Réf. : Cons. const., 22 juillet 2011, n° 2011-148/154 QPC (N° Lexbase : A0627HW7)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo, édition sociale
Le 28 Juillet 2011
Résumé
L'allongement de la durée légale du travail, tendant à la satisfaction de l'objectif social poursuivi par la loi, est destiné à produire un effet équivalent à la suppression d'un jour férié chômé. Il était loisible au législateur, à qui il appartient de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat et de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, de faire spécialement appel à l'effort des salariés du secteur privé et du secteur public bénéficiant d'un régime de rémunération assorti d'une limitation de la durée légale du temps de travail. La différence de traitement qui en résulte avec les retraités et les personnes exerçant leur activité de façon indépendante est en rapport direct avec l'objet de la loi. Le Conseil constitutionnel, qui n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé. Eu égard à la neutralité économique recherchée, il lui était loisible d'instituer, à la charge des employeurs un impôt assis sur la masse salariale, sans y assujettir ni les retraités ni les personnes exerçant leur activité de façon indépendante qui n'emploient aucun salarié. En retenant l'avantage tiré de l'allongement de la durée légale du travail comme critère de la capacité contributive des contribuables le législateur n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation. Par l'effet des mesures en cause, la durée légale annuelle du travail a été portée de 1 600 heures à un maximum de 1 607 heures et la contribution corrélative des employeurs fixée à 0,3 % de la masse salariale. Dans ces limites, l'instauration d'une journée de solidarité en vue d'assurer le financement des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées n'est pas constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. |
Commentaire
I - La validation du dispositif "journée de solidarité"
QPC transmises. Les 4 et 24 mai 2011, la Conseil d'Etat et la Cour de cassation avaient transmis au Conseil constitutionnel deux QPC contestant la conformité aux droits et libertés que garantit la Constitution du dispositif issu de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 (N° Lexbase : L5185DZ3) connu sous le nom de "journée de solidarité" (1). Dans les deux hypothèses, l'argument soulevé était le même : en limitant "le champ d'application du dispositif de la journée de solidarité aux employeurs publics et privés ainsi qu'à leurs agents et salariés et en [exonérant] ainsi, notamment, les travailleurs indépendants et les professions libérales n'employant pas de salariés", la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 (article 2) porterait "atteinte au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques résultant des articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 13 (N° Lexbase : L1360A9A) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789" (Conseil d'Etat), le législateur n'ayant "pas demandé un effort de solidarité équivalent à d'autres catégories socio-professionnelles" (Cour de cassation). Alors que de sérieux doutes pouvaient exister sur la conformité du dispositif au principe d'égalité (2), le Conseil constitutionnel a choisi, fidèle à son habitude, de laisser au Parlement la plus grande liberté pour mettre en oeuvre le principe constitutionnel d'égalité.
Egalité devant la loi. S'agissant de la conformité du dispositif au principe d'égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel raisonne en deux temps : il commence par admettre que "la différence de traitement qui en résulte avec les retraités et les personnes exerçant leur activité de façon indépendante est en rapport direct avec l'objet de la loi" (cons. 21) puis "qu'en retenant l'avantage tiré de l'allongement de la durée légale du travail comme critère de la capacité contributive des contribuables le législateur n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation" (cons. 22).
Egalité devant les charges publiques. S'agissant plus particulièrement de la conformité au principe d'égalité devant les charges publiques, le Conseil a considéré que "par l'effet des mesures en cause, la durée légale annuelle du travail a été portée de 1 600 heures à un maximum de 1 607 heures et la contribution corrélative des employeurs fixée à 0,3 % de la masse salariale ; que, dans ces limites, l'instauration d'une journée de solidarité en vue d'assurer le financement des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées n'est pas constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques".
II - Le déni de contrôle du respect par le Parlement du principe d'égalité
Une solution conforme à la doctrine du Conseil constitutionnel. Le moins que l'on puisse dire est que le Conseil constitutionnel entend demeurer fidèle à la ligne qui a été la sienne depuis plus de vingt ans, et qu'il prend bien soin de rappeler d'ailleurs comme pour devancer les critiques qui ne manqueront pas d'être formulées après cette décision ; s'agissant du respect du principe d'égalité devant la loi, le Conseil rappelle, en effet, que "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (cons. 18) (3), et pour le principe d'égalité devant les charges publiques qu'"il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que, pour l'application du principe d'égalité devant l'impôt, la situation des redevables s'apprécie au regard de chaque imposition prise isolément ; que, dans chaque cas, le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité devant les charges publiques, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques" (cons. 19) (4).
Pour le Conseil, le choix de faire peser l'effort contributif particulièrement sur les salariés et les fonctionnaires, à l'exclusion des retraités et aux professionnels, relève de la compétence que le législateur tire de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) dans la mesure où l'allongement de la durée légale de travail équivalait à la suppression d'un jour férié chômé ; il s'agit donc d'une garantie fondamentale accordée aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat et d'un principe fondamental du droit du travail qui doivent être mis en oeuvre. Pour le Conseil constitutionnel, le législateur pouvait donc "faire spécialement appel à l'effort des salariés du secteur privé et du secteur public bénéficiant d'un régime de rémunération assorti d'une limitation de la durée légale du temps de travail" et "la différence de traitement qui en résulte avec les retraités et les personnes exerçant leur activité de façon indépendante est en rapport direct avec l'objet de la loi" (cons. 21).
La modestie du contrôle en matière économique et sociale. Mais le coeur de la décision réside dans l'autre volet de la nature du contrôle qu'exerce le Conseil sur le Parlement s'agissant des atteintes au principe d'égalité en matière économique et sociale, et dont on sait depuis longtemps déjà qu'il est extrêmement modeste (5). Comme le rappelle le Conseil dans cette décision, "le Conseil constitutionnel n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement" (cons. 22) (6). Dès lors, "il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé". Et poursuivant son constat, le Conseil constitutionnel considère "qu'eu égard à la neutralité économique recherchée, il lui était loisible d'instituer, à la charge des employeurs un impôt assis sur la masse salariale, sans y assujettir ni les retraités ni les personnes exerçant leur activité de façon indépendante qui n'emploient aucun salarié ; qu'en retenant l'avantage tiré de l'allongement de la durée légale du travail comme critère de la capacité contributive des contribuables le législateur n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation".
Une justification de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation... manifestement insuffisante. A s'en tenir aux propres critères de contrôle exercé par le Conseil, on peut ne pas être convaincu par la solution dans la mesure où, à aucun moment, le Conseil n'établit de lien entre les dépenses de la caisse de solidarité pour l'autonomie, qui profitent à une population cible qui dépasse très largement les seuls salariés en activité, et son mode de financement assuré en grande partie par la contribution solidarité autonomie payée précisément par ces derniers. Certes, le système de financement instauré est intrinsèquement cohérent puisque seuls les salariés et fonctionnaires sont susceptibles de rendre neutre la contribution proportionnelle à l'allongement de la durée du travail payée par leurs employeurs. Mais le problème n'est pas là et c'est bien la cohérence extrinsèque du dispositif qui est en cause et la raison pour laquelle seuls certains actifs financent un régime de solidarité nationale. Or, le Conseil affirme que ces mesures injustes pour les salariés ne sont pas "manifestement inappropriées" et que le "le législateur n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation" (cons. 22) , sans qu'aucune justification sérieuse ne soit fournie. En d'autres termes, il appartient au Parlement de déterminer qui finance quoi, et de continuer de traiter les salariés et les fonctionnaires comme des vaches à lait, épargnant, comme c'est malheureusement bien souvent le cas, d'autres actifs et plus largement d'autres revenus comme ceux de la finance ou du capital ; tout cela ne serait donc qu'une question politique et pas juridique...
L'office du juge constitutionnel inchangé après la QPC. Le moins que l'on puisse dire est que le Conseil constitutionnel n'entend donc pas, même dans le cadre du bouleversement institutionnel opéré par l'introduction de la procédure de QPC, dévier d'un millimètre de la ligne de conduite qu'il s'est tracée depuis vingt ans s'agissant de la marge de manoeuvre laissée au Parlement en matière économique et sociale, au risque de se faire déborder par les juridictions judiciaires et administratives qui pourraient bien aller chercher ailleurs que dans le bloc de constitutionnalité (entendre, bien entendu, dans les instruments internationaux dont elles sont directement chargées d'assurer le respect) les moyens d'écarter les lois les moins respectueuses du principe d'égalité.
Il est d'ailleurs assez symptomatique que le Conseil constitutionnel ait expressément assimilé le dispositif d'allongement de la durée du travail à la suppression d'un jour férié chômé, pour se rattacher à la jurisprudence qui est la sienne depuis 1983 en matière de durée du travail où il laisse au Parlement le soin de déterminer quasi souverainement quelle est la "bonne" durée légale (7), comme si le fait que le Conseil demeure fidèle à sa propre jurisprudence était suffisant à rendre celle-ci juste...
Compte tenu de l'attention portée par le Conseil constitutionnel au principe de non-discrimination, singulièrement lorsqu'est en cause la nationalité des personnes (8), et au respect des libertés individuelles de première génération (droit à la sûreté, présomption d'innocence, principe du contradictoire, principe de légalité), le Conseil donne très nettement l'impression d'un contrôle à deux vitesses et, au travers cette variation très sensible dans l'intensité du contrôle, de droits et libertés d'importance inégale selon qu'il s'agit de libertés civiles et politiques ou de libertés "simplement" économiques.
Une hiérarchisation implicite des droits et libertés problématique. Et c'est sans doute cette hiérarchisation implicite au sein des droits et libertés que la Constitution garantit qui fait le plus difficulté car le respect par le Parlement de ces droits et libertés économiques nous semble aussi nécessaire que celui des droits et libertés "classiques", le pacte social moderne, tel qu'il a été renégocié aux lendemains de la seconde guerre mondiale, ne pouvant se réduire au noyau dur hérité de la révolution française. A moins que le Conseil constitutionnel ne cherche avant tout à protéger son propre confort en refusant d'entrer dans une logique de contrôle étendu qui menacerait d'entraîner sa submersion par des recours trop nombreux ?
(1) CE 1° et 6° s-s-r., 4 mai 2011, 4 mai 2011, n° 346648 (N° Lexbase : A0978HQB) et Cass. QPC, 24 mai 2011, n° 11-40.007, FS-D (N° Lexbase : A4386HSA), et voir nos obs., La journée de solidarité sur la sellette constitutionnelle, Lexbase Hebdo n° 443 du 8 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4207BSM).
(2) En ce sens voir nos obs., préc..
(3) Cons. const., 7 janvier 1988, n° 87-232 DC, cons. 10 (N° Lexbase : A8176ACS).
(4) S'agissant du principe d'appréciation imposition par imposition : Cons. const., 28 décembre 1990, n° 90-285 DC (N° Lexbase : A8228ACQ). Principes rappelés notamment dans la décision : Cons. const., 17 septembre 2010, n° 2010-28 QPC, cons. 4 (N° Lexbase : A4759E97).
(5) Voir en ce sens le commentaire aux cahiers de la décision : Cons. const., 6 août 2009, n° 2009-588 DC (N° Lexbase : A2113EKH).
(6) Cons. const., 10 juin 1998, n° 98-401 DC, cons. 27 (N° Lexbase : A8747ACX).
(7) Cons. const., 28 mai 1983, n° 83-156 DC (N° Lexbase : A8070ACU) et Cons. const., 16 janvier 1986, n° 85-200 DC, cons. 4 (N° Lexbase : A8131AC7).
(8) Ainsi les censures intervenues dans les différents régimes de retraite : Cons. const., 28 mai 2010, n° 2010-1 QPC (N° Lexbase : A6283EXY) ; Cons. const., 23 juillet 2010, n° 2010-18 QPC (N° Lexbase : A9195E4C) ; Cons. const., 4 février 2011, n° 2010-93 QPC (N° Lexbase : A1688GRX).
Décision
Cons. const., 22 juillet 2011, n° 2011-148/154 QPC (N° Lexbase : A0627HW7) Décisions de renvoi : CE 1° et 6° s-s-r., 4 mai 2011, 4 mai 2011, n° 346648 (N° Lexbase : A0978HQB) et Cass. QPC, 24 mai 2011, n° 11-40.007, FS-D (N° Lexbase : A4386HSA) Textes visés : art. 2, 3, 4, 5 et 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (N° Lexbase : L5185DZ3), C. trav., art., L. 3133-7 (N° Lexbase : L0502H9H), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-351 du 16 avril 2008, relative à la journée de solidarité (N° Lexbase : L8717H3A), art. L. 3133-8 (N° Lexbase : L3951IBX), art. L. 3133-10 (N° Lexbase : L3968IBL), art. L. 3133-11 (N° Lexbase : L3836IBP), art. L. 3133-12 (N° Lexbase : L3943IBN), dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), art. L. 3123-1 (N° Lexbase : L0404H9T), dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 (N° Lexbase : L6603HU4), C. rur., L. 713-19 (N° Lexbase : L3848IB7), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 précitée, art. 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010, relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L6618IM3). Mots-clés : journée de solidarité, principe d'égalité, question prioritaire de constitutionnalité. Liens Base : (N° Lexbase : E0430ET4) |
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