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N6004BS8
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Le dispositif de la Chambre commerciale est des plus cohérents et paraît, dès lors, imparable. D'abord, aux termes de l'article L. 5121-1, 5° du Code de la santé publique, la spécialité du générique d'une spécialité de référence est celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par les études de biodisponibilité appropriées. Aussi, le générique étant substituable au princeps et constituant son équivalent, il n'imitait pas le princeps et la disposition de l'article L. 121-9, alinéa 4, du Code de la consommation visant la reproduction devait être différenciée de la notion de bioéquivalence qui caractérise le générique, la qualification d'imitation ou de reproduction doit être écartée. Ensuite, la société éditrice du générique ne commet pas d'actes de contrefaçon en reproduisant et en faisant usage de la marque commercialisant le princeps.
Seulement voilà : comme le répétait Socrate à qui voulait l'entendre, "la perversion de la cité commence par la fraude des mots". Toute l'analyse de la Cour de cassation repose, ainsi, sur une équivalence entre le générique et le princeps ; or, l'équivalence concerne, légalement, uniquement le principe actif et non la présentation et les excipients du médicament. Un générique pourra revêtir la forme d'un comprimé et non celle d'une gélule comme celle du princeps ; plus dirimant, un générique pourra entraîner des effets secondaires différents du ceux constatés lors de la prise du princeps. Mieux, un générique bénéficiera d'une autorisation de mise sur le marché alors que la loi, elle-même, tolère une variation de concentration du principe actif dans le corps de - 20 % à + 25 % ; d'où il suit que l'expression "même composition qualitative et quantitative en principe actif" semble, dès lors, quelque peu abusive. Et, l'on se retrouve donc avec un médicament générique semblable, mais pas tout à fait le même que le médicament original. D'autant qu'il existe trois sortes de médicament générique : la copie-copie (même substance active, même quantité, même forme galénique, mêmes excipients) ; le médicament essentiellement similaire (l'excipient change mais pas la substance active, ni sa quantité, ni la forme galénique) ; le médicament assimilable (modifications minimes de la forme galénique ou de la forme chimique de la substance active). L'écart de similarité est donc intrinsèque au générique lui-même.
Au final, l'on s'y perd aisément, béotiens comme professionnels ; pour cause, la bible médicale, le Vidal, ne recense que les princeps. Aucun recueil n'établit ni la liste, ni la composition des 3 000 médicaments génériques inondant le marché français. C'est pourquoi l'information sur la qualité du médicament (princeps ou générique) revêt tout son sens, et la publicité comparative est nécessairement un sujet sensible et litigieux. Non que les médecins et pharmaciens soient incapables de séparer le bon grain de l'ivraie, mais il leur est difficile, dans leur fauteuil en cuir ou au fond de leur échoppe, d'apprécier in concreto les potentiels effets d'un médicament, non véritablement testé, sur leurs patients : d'où il suit que l'information validée par une autorisation de mise sur le marché aura valeur d'argument d'autorité, comme Aristote dictait son éthique au monde antique.
En effet, il est à noter, tout de même, que les génériques, qui ne sont pas tout à fait de la même composition que les princeps, n'ont pas à subir la batterie d'examens préalables nécessaires à une mise sur le marché. Le médicament générique n'est jamais évalué sur de vrais patients... puisque le fabricant reprend le mode de fabrication du princeps, avec un principe actif identique... CQFD ! Tout au plus, ordonnerons-nous, au préalable, la prise d'un générique après celle d'un princeps, afin d'évaluer la "bioéquivalence" des médicaments, c'est-à-dire que, sous le sceau d'une seule prise, les effets du générique doivent être sensiblement -là est la nuance- les mêmes que ceux du médicament original.
C'est donc sur la base d'un axiome, principe présenté comme vrai, mais pourtant démontrable, que la Cour de cassation, suivant à la lettre la fraude linguistique de la loi, elle-même, écarte l'imitation, la reproduction et la contrefaçon de médicament. La "fraude des mots" est telle, que le juge suprême américain, dans le même temps, prescrivait que le générique devait avoir les mêmes avertissements que le princeps ; les fabricants de générique ne sont pas tenus de mentionner les autres effets secondaires de leur médicament, mais seulement ceux connus du médicament original...
Sans cette tolérance législative et jurisprudentielle, ce serait toute l'économie générale de l'industrie du médicament générique qui s'en trouverait ébranlée, alors que ce dernier peine, justement, à s'imposer sur le marché français. Représentant 13,5 % en valeur du marché total des médicaments vendus en pharmacie et 26 % seulement du marché remboursable, d'aucuns apprécieront le coup de pouce commercial donné par les juges de cassation aux "génériqueurs". Mais, c'est un peu comme si le contrefacteur d'un célèbre sac de luxe était autorisé à informer ses clients, en citant la marque de bagagerie mondialement connue et imitée : chacun constatera que ni le cuir, ni l'impression des motifs ne sont de même qualité ; et, pourtant, le sac contrefait est à 80 % de sa composition de même nature que le bagage original, et surtout, il a la même finalité et la même efficacité : transporter des effets personnels... D'autant que les sacs contrefaits comme les génériques sont fabriqués, étrangement, dans les mêmes pays : Chine, Inde et Pakistan...
Reste que les enjeux sont, étrangement, diamétralement inversés. Là où la protection de l'industrie du luxe française est une nécessité absolue, la recherche d'économie budgétaire structurelle en matière de santé est une nécessité vitale pour le régime de solidarité sanitaire. Avec le générique, présentant un coût inférieur de 40 à 60 % par rapport au princeps, en moyenne 160 millions d'euros supplémentaires sont économisés, chaque année, par le budget de l'assurance maladie. Et, chaque ministre de la Santé d'espérer, un jour, revêtir les habits de Yves Bolduc, leur homologue québécois, qui vient d'annoncer une diminution de 6,1 % des cotisations au régime public d'assurance médicaments, conséquence directe de la croissance de la part des génériques sur le marché pharmaceutique des rives du Saint-Laurent...
Qu'à cela ne tienne, "les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu, à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne savent rien" écrivait Voltaire, alors qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse... du résultat budgétaire.
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 07 Juillet 2011
C'est, par conséquent, somme toute de manière cohérente que le décret du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 N° Lexbase : L6025IGA), soit le plus disert en la matière, énonçant, à son article 7, une somme d'interdictions de pratiques caractérisant, pour chacune d'elles, un conflit d'intérêts patent (notons que les dispositions en cause figuraient, toutefois, au sein du décret n° 91-1197, auparavant). Par ailleurs, l'article 9 de ce même décret emporte la même obligation d'indépendance au regard de la rédaction d'acte. Mais, on notera, tout de même, l'absence de définition réglementaire. Les pouvoirs publics ont, en effet, laissé, aux instances représentatives de la profession, le soin de définir, plus généralement, la notion, à l'article 4.2 du RIN.
Enfin, le juge administratif ou judiciaire n'est pas en reste dans la prévention contre les conflits d'intérêts, sanctionnant tout conflit ou risque de conflit. L'une des dernières "batailles judiciaires" en cause voyait le Conseil d'Etat rejeter les requêtes visant à l'annulation des articles relatifs au secret professionnel, au conflit d'intérêts, aux règles de publicité et au Code de déontologie des avocats de l'Union européenne, inscrits au RIN (CE 1° et 6° s-s-r., 17 novembre 2004, n° 268075 N° Lexbase : A9249DDW). Le Haut conseil précise, d'une part, que les articles en cause n'ajoutent pas de règles nouvelles ni ne donnent une interprétation qui serait contraire aux dispositions réglementaires qu'elles explicitent ou à une norme juridique supérieure et, d'autre part, que la circonstance que le Conseil national des barreaux ne pouvait légalement intégrer au RIN le Code de déontologie des avocats de l'Union européenne, élaboré par le Conseil des barreaux de l'Union européenne, au motif que ce code comporte des règles relatives à la déontologie, n'est pas de nature à affecter la légalité du règlement. D'où il apparaît que la question déontologique et, plus particulièrement, des conflits d'intérêts relève d'une vive intensité, comme le soulignait, dernièrement, Daniel Landry (JCP éd. G, n° 20, 16 mai 2011, p. 1012). L'annulation, par la décision précitée du Conseil d'Etat, de l'article 16, relatif aux réseaux pluridisciplinaires, pour défaut de compétence, et la réécriture de ce même article aux fins d'interdire la "fourniture de prestations complémentaires à une clientèle développée en commun", en est un exemple topique.
Quoi qu'il en soit, les faits susceptibles de révéler l'existence d'un conflit d'intérêts sont seulement de nature à constituer une faute disciplinaire dont l'appréciation du bien-fondé ressortit à la compétence du conseil de discipline des avocats et n'entrent pas dans le domaine d'application de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). La cour d'appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 12 février 2009, retient, ainsi, qu'il ne peut être soutenu que la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du RIN relatives aux conflits d'intérêts entraîne l'annulation de la procédure comme ne respectant pas les règles du procès équitable prévues par l'article 6 § 1 de la CESDH (CA Rennes, 1ère ch., 12 février 2009, n° 08/04872 N° Lexbase : A9205ET4).
I - L'avocat, représentant ou défenseur de plus d'un client dans une même affaire
L'alinéa premier de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, ainsi, que "l'avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s'il existe un risque sérieux d'un tel conflit". Et, l'article 4.2 du RIN de préciser qu'il y a conflit d'intérêts dans la fonction de conseil, lorsque, au jour de sa saisine, l'avocat qui a l'obligation de donner une information complète, loyale et sans réserve à ses clients ne peut mener sa mission sans compromettre, soit par l'analyse de la situation présentée, soit par l'utilisation des moyens juridiques préconisés, soit par la concrétisation du résultat recherché, les intérêts d'une ou plusieurs parties. Dans le même sens, il y a conflit d'intérêts dans la fonction de représentation et de défense, lorsque, au jour de sa saisine, l'assistance de plusieurs parties conduirait l'avocat à présenter une défense différente, notamment dans son développement, son argumentation et sa finalité, de celle qu'il aurait choisie si lui avaient été confiés les intérêts d'une seule partie.
Dès lors, un avocat pourra être poursuivi disciplinairement pour avoir assuré la défense d'un prévenu devant le tribunal correctionnel, en dépit de l'existence d'un conflit d'intérêts résultant du fait qu'il était également l'avocat de la victime, ainsi que d'un témoin (Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 05-15.160, F-D N° Lexbase : A7832DWY). Pour condamner l'intéressé à la peine du blâme, après avoir exclu l'existence d'un conflit d'intérêts au titre d'un cumul de missions de conseil ou de défense, l'arrêt attaqué constate que l'avocat avait, dans un passé récent, entretenu une relation d'amitié avec la victime des agissements de son client et retient que cette circonstance caractérisait un conflit d'intérêts et une perte d'indépendance de l'avocat au détriment du justiciable dont il avait accepté d'assurer la défense.
De même, pour retenir contre M. X un manquement à la délicatesse portant atteinte à l'honneur et à la dignité de sa profession, la cour d'appel a relevé, à bon droit, l'attitude ambiguë de cet avocat qui, en rédigeant et signant une requête conjointe en divorce portant seulement son nom et celui de l'avocat postulant, avait faussement "laissé croire" au tribunal qu'il se présentait au nom des deux époux et qui avait entretenu le mari dans la même erreur par la correspondance qu'il lui avait adressée, tandis que, contrairement à ses affirmations, il était déjà l'amant de l'épouse dont il défendait les intérêts et qu'il ne pouvait ignorer les dispositions de l'article 246 du Code civil (N° Lexbase : L2799DZP) (Cass. civ. 1, 17 juillet 1996, n° 94-11.450 N° Lexbase : A9632ABD).
Par ailleurs, en retenant que M. X, dès lors qu'il avait été le conseil commun des époux Y dans une procédure de divorce par requête conjointe, devait refuser d'être ensuite le conseil de Mme Z dans une autre procédure de divorce pour faute puisque les intérêts pécuniaires des deux époux étaient en opposition, l'accord allégué de M. Y étant sans portée, en l'espèce, sur le devoir de prudence qui s'imposait à l'avocat, la cour d'appel a pu estimer que M. X avait manqué à la délicatesse qui s'imposait à lui (Cass. civ. 1, 20 janvier 1993, n° 91-15.548 N° Lexbase : A5952AHW).
Ainsi, cette prohibition n'exige pas pour son application l'identité des affaires, mais la seule existence d'intérêts opposés ; le fait, pour un avocat, d'accepter d'assister ou de représenter une partie contre laquelle il exerce une poursuite pour le compte d'un tiers, compromet, par l'opposition que cette double mission rend possible entre les intérêts dont il se propose d'assurer simultanément la défense, sa propre indépendance et la confiance que les parties doivent garder entière dans leur défenseur (Cass. civ. 1, 30 juin 1981, n° 80-15.557 N° Lexbase : A5684CKQ).
Moins emblématique, mais tout aussi sujet à contestation est la question des enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants. L'on sait que l'article 12-1 du RIN dispose que l'avocat ne peut porter d'enchères pour des personnes qui sont en conflit d'intérêts. Il ne peut notamment porter d'enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants. Et, lorsqu'un avocat s'est rendu adjudicataire pour le compte d'une personne, il ne peut accepter de former une surenchère au nom d'une autre personne sur cette adjudication, à défaut d'accord écrit de l'adjudicataire initial. Le juge judiciaire a eu, ainsi, l'occasion de préciser qu'en restreignant le nombre de mandats au cas où existe par nature un risque de conflit d'intérêts, le conseil de l'Ordre n'a pas appliqué de manière erronée le principe général contenu dans l'article 155 du décret du 27 novembre 1991 -dont les dispositions ont été transférées sous l'article 7 du décret du 12 juillet 2005-, et qu'il n'a pas été commis d'erreur sur l'exactitude matérielle des faits ou de leur qualification juridique, les droits des enchérisseurs étant en eux mêmes concurrents, tandis que le cas de l'avocat poursuivant demeure réservé par le règlement intérieur compte tenu de la rédaction de l'article 12-2 pris dans son ensemble, dès lors que celui-ci ne peut être assimilé au "porteur d'enchères" après l'ouverture de celle-ci et n'a précisément le bénéfice de l'adjudication qu'en l'absence d'enchère. En l'espèce, une cour d'appel en a déduit à bon droit que les dispositions critiquées ne recelaient pas d'abus de pouvoir ni d'illégalité (Cass. civ. 1, 26 novembre 2002, n° 00-18.971, FS-P+B N° Lexbase : A1144A47). Et, le juge administratif d'ajouter que ces dispositions relatives à des règles et usages des barreaux, qui se bornent à prévenir les conflits d'intérêt susceptibles de se produire à l'occasion de ventes aux enchères et à organiser, le cas échéant, l'information du syndic de copropriété de la vente d'un lot en copropriété, ne mettent en cause ni la liberté d'exercice de la profession d'avocat ni les règles essentielles qui la régissent (CE Contentieux, 5 octobre 2007, n° 282321 N° Lexbase : A6685DYA).
Toutefois, si les dispositions du Code de procédure civile concernant les ventes judiciaires ne font pas obstacle à ce que les barreaux réglementent les conditions dans lesquelles leurs membres exerceront les attributions qui leur sont conférées par ces textes, cette réglementation ne doit pas être de nature à nuire au bon déroulement des procédures et le nombre des membres du barreau doit permettre, sans gêne pour les parties et pour les acquéreurs éventuels, de faire obligation aux avocats de refuser, à l'occasion d'une même vente, de prêter simultanément leur concours (Cass. civ. 1, 15 février 1983, n° 82-11.888 N° Lexbase : A7428A4U ; Cass. civ. 1, 16 juillet 1987, n° 85-15.092 N° Lexbase : A1267AHE).
En revanche, le juge judiciaire a pu décider qu'un avocat était compétent, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société pour agir, d'un côté, en recouvrement du prix de cession de l'entreprise et, de l'autre, pour exercer une action en paiement des marchandises livrées au cessionnaire après le jugement arrêtant le plan de cession, excluant ainsi l'existence d'un conflit d'intérêts au sens de l'article 55 de la loi du 31 décembre 1971 (Cass. com., 26 novembre 2002, n° 99-12.155, F-D N° Lexbase : A1309A4A).
II - L'avocat face au risque de violation du secret professionnel ou d'atteinte à son indépendance
Le deuxième alinéa de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, ensuite, que "sauf accord écrit des parties, il s'abstient de s'occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d'intérêt, lorsque le secret professionnel risque d'être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière".
Toutefois, le RIN ne rend pas incompatible certaines missions dévolues à l'audit avec certaines activités de l'avocat. Le juge judiciaire retient qu'il convient, pour caractériser un conflit d'intérêt, de produire des éléments permettant de soutenir que l'avocat ne disposait pas de la liberté et de l'indépendance nécessaires pour mener à bien les missions qui lui étaient confiées par son "employeur", alors qu'un membre du même réseau exerçait les fonctions de commissaire aux comptes (CA Toulouse, 14 décembre 2006, n° 06/00219 N° Lexbase : A7760GY3). Et, de préciser que la mise en place d'un système de partage des connaissances, l'organisation et le fonctionnement de cet outil de partage informatique ne caractérisent, compte tenu des critères retenus et des sécurités prévues, aucun manquement grave et avéré à l'obligation de confidentialité.
III - L'avocat et son ancien client
Le troisième alinéa de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, en outre, que l'avocat "ne peut accepter l'affaire d'un nouveau client si le secret des informations données par un ancien client risque d'être violé ou lorsque la connaissance par l'avocat des affaires de l'ancien client favoriserait le nouveau client".
On comprendra, dès lors, que l'avocat d'une personne morale et de l'un des ses représentants qui a été son interlocuteur pendant un laps de temps significatif pour le traitement de plusieurs dossiers même différents ne peut se charger des intérêts d'une autre personne morale contre son ancien interlocuteur ou contre une personne morale qu'il a eu à assister (CA Rennes, 14 juin 2011, n° 10/05773 N° Lexbase : A3865HUP).
En revanche, au détour d'un récent arrêt d'appel, on notera que la commission de déontologie de l'Ordre des avocats de Paris a rejeté la plainte déposée auprès du Bâtonnier et qui était motivée par le fait qu'un avocat d'assurance, ayant antérieurement défendu les intérêts de deux médecins anesthésistes mis en examen dans la même affaire, aurait dû refuser d'assurer la défense du plaignant (CA Paris, Pôle 2, 6 ch. , 2 mars 2010, n° 09/00148 N° Lexbase : A3805E4P).
Enfin, le juge judiciaire a pu écarter tout conflit d'intérêts à l'égard d'un avocat ayant défendu les intérêts d'un client à l'encontre de ceux d'un ancien client. L'avocat en cause a démontré que l'ensemble des informations qu'il avait obtenu pour les besoins de l'exécution des décisions de justice dont il était chargée, la plupart comme postulant d'un avocat parisien, l'ont été en s'adressant aux services de l'Etat compétents à ce titre, ainsi des services de l'état civil pour obtenir la situation matrimoniale de son ancien client, plaignant, ou de la conservation des hypothèques pour connaître la consistance de ses biens et de ceux de son épouse, ces services étant des services publics fournissant des renseignement publics, ou encore en obtenant du président du tribunal de grande instance qu'il commette un huissier pour se faire remettre la liste des immeubles et des locataires des membres de la famille de cet ancien client. Le moyen selon lequel ce comportement n'est pas conforme à ses obligations déontologiques et constitue un conflit d'intérêts qui aurait dû le conduire à s'abstenir alors que, tout au contraire, l'avocat a poursuivit la vente de ses biens immobiliers personnels ou indivis, est donc écarté (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch. , 14 décembre 2010, n° 09/22216 N° Lexbase : A3235GN7).
IV - L'avocat exerçant au sein d'un groupement d'exercice
Le quatrième alinéa de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, enfin, que, "lorsque des avocats sont membres d'un groupement d'exercice, les dispositions des alinéas qui précèdent sont applicables à ce groupement dans son ensemble et à tous ses membres. Elles s'appliquent également aux avocats qui exercent leur profession en mettant en commun des moyens, dès lors qu'il existe un risque de violation du secret professionnel".
Ainsi, de manière assez classique, le juge judiciaire interdit à des avocats, membres d'une même société civile professionnelle, de représenter dans une affaire deux parties en conflit d'intérêts ; cette disposition s'imposant aussi bien à l'avocat du demandeur qu'à celui du défendeur (Cass. civ. 1, 14 mars 2000, n° 97-15.636 N° Lexbase : A0310CTN).
Par ailleurs, dans un arrêt en date du 1er décembre 2009, la cour d'appel de Paris a apporté des précisions intéressantes s'agissant de la caractérisation du conflit d'intérêts (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 1er décembre 2009, n° 08/03039 N° Lexbase : A1522EQG). En l'espèce, la requérante ne contestait pas avoir défendu une personne poursuivie et condamnée pour avoir recelé un chèque au préjudice d'une société cliente de son associé de SCM. Elle estimait, en revanche, n'avoir fait courir à celui-ci aucun risque de violation du secret professionnel et que, compte tenu de ces circonstances, le conflit d'intérêts n'existait pas. Après avoir rappelé les dispositions de l'article 4-1 du RIN, les juges parisiens précisaient que ces règles, qui sont également intégrées dans le Code de déontologie des avocats de l'Union européenne, sont impératives et que, contrairement à ce que la requérante soutenait, il y avait lieu de s'attacher, non pas au fait que la violation du secret professionnel ne se soit pas réalisée, mais à l'existence d'un risque de violation de ce secret. En conséquence, pour les juges, les dispositions de l'article 4-1 du RIN interdisent à un associé, même au sein d'une SCM, de plaider contre un client d'un des autres associés, fût-ce, comme en l'espèce, dans une affaire dont cet associé n'a pas eu à connaître dès lors qu'il existait un risque de violation du secret professionnel. L'on comprend donc ici que tout réside dans l'existence d'un risque et que la notion de conflit d'intérêts est finalement attachée au principe de délicatesse, comme le relèvent les juges parisiens. L'issue du litige est donc, par conséquent, sans influence sur la caractérisation du conflit d'intérêts. En l'espèce, peu importait donc que la société cliente ait obtenu le plein de sa réclamation, l'absence de préjudice ainsi révélé ne remet pas en cause la caractérisation du conflit d'intérêts.
En revanche, si, lorsque des avocats sont membres d'un groupement d'exercice, les dispositions relatives au comportement à tenir en cas de conflit d'intérêts ou de risque de conflit d'intérêts s'appliquent à ce groupement dans son ensemble et à tous ses membres, il ne peut être reproché à un avocat une faute constitutive d'un manquement à la loyauté ou à la délicatesse pour des faits commis par l'un de ses associés. La faute disciplinaire ne peut consister qu'en un fait personnel reprochable à son auteur (CA Versailles, 23 juin 2011, n° 10/09859 N° Lexbase : A5086HUW). En l'espèce, lors de la constitution de la nouvelle structure d'exercice professionnel, maître J. s'était engagé devant le conseil de l'Ordre à veiller scrupuleusement à ne pas créer de conflits d'intérêts avec la SELARL avec laquelle il collaborait précédemment, lors des transferts de dossiers. Par lettre du 30 septembre 2008, le Bâtonnier lui avait rappelé son engagement de se déporter dans l'hypothèse d'un conflit d'intérêts. Il était fait grief à maître J. d'avoir manqué à son obligation de loyauté et de délicatesse en omettant de se déporter dans une affaire et d'avoir défendu les intérêts de son client contre son prédécesseur en méconnaissance de l'interdiction édictée par l'article 9.3 du RIN. Or, maître J. n'était jamais intervenu dans le dossier en cause. Au demeurant, la SELARL n'avait pas fait l'objet de poursuites disciplinaires en même temps que les associés qui exercent en son sein. En conséquence, aucun manquement à l'obligation de loyauté et de délicatesse ne pouvait être retenu à l'encontre de maître J. pour ne pas s'être déporté dans le dossier litigieux.
Plus problématique fut la question des réseaux pluridisciplinaires, comme évoqué plus haut. L'article 16.5 du RIN dispose, désormais -à la suite de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ)-, que "l'avocat membre d'un réseau pluridisciplinaire doit veiller à ne pas créer de confusion dans l'esprit du public entre sa pratique professionnelle et celle des autres professionnels intervenant dans le réseau. L'avocat membre d'un groupement d'exercice qui participe à un réseau reste soumis aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'usage de la dénomination ou la raison sociale de ce groupement. Afin d'assurer une parfaite information du public, sa dénomination ou raison sociale sera différente du nom de son réseau et il devra distinctement faire mention de son appartenance à celui-ci".
Il faut dire que la première chambre civile avait dû rappeler que, si les dispositions de l'article 16-5, quel qu'en soit le mérite, font interdiction à un avocat membre d'un réseau de prêter son concours à son client, même avec l'accord de celui-ci, si un autre membre du réseau contrôle ou certifie les comptes dudit client, notamment en qualité de commissaire aux comptes, la cour d'appel, qui avait ainsi reconnu à un conseil de l'Ordre le pouvoir de créer une incompatibilité non prévue par une disposition légale ou réglementaire, avait violé la loi (Cass. civ. 1, 21 janvier 2003, n° 00-22.553, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7378A4Z). La Haute juridiction reconnaissait, toutefois, que ce texte était justifié par le fait que deux membres d'un réseau ne peuvent concilier d'assister le même client, l'un avocat, tenu de façon absolue au secret professionnel et l'autre, commissaire aux comptes, tenu de révéler des faits délictueux, et ne crée, aucune incompatibilité, ce terme étant entendu par référence à un statut, une fonction, mais permet à l'avocat, dans la situation visée par le texte litigieux, d'avoir une attitude conforme au principe déontologique qui s'impose à lui lorsque surgit un conflit d'intérêts, lorsque le secret professionnel risque d'être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière.
Au final, s'agissant des conflits d'intérêts, l'avocat doit éviter de se trouver dans une situation où les missions qui lui ont été conférées risquent de ne pas être compatibles entre elles. Il existe en outre des règles d'incompatibilité garantissant son indépendance. Toutes ces règles s'appliquent non seulement à l'avocat, mais aussi à la structure au sein de laquelle il exerce : on ne peut pas les contourner en transmettant le dossier à un associé ou à un collaborateur. Si un avocat se trouve dans une situation de conflit d'intérêts, l'ensemble du cabinet doit se déporter. De même, les règles d'indépendance s'appliquent à l'échelle de la structure, quelle que soit sa taille. C'est pourquoi les grandes structures nationales ou internationales ont mis en place des systèmes de surveillance du conflit d'intérêts, comme le rappelait Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux, lors de son audition face auprès groupe de travail sur la prévention des conflits d'intérêts de l'Assemblée nationale, le 20 janvier 2011.
V - L'avocat rédacteur d'acte
L'article 9 du décret du 12 juillet 2005 dispose que "l'avocat seul rédacteur d'un acte veille à l'équilibre des intérêts des parties. Lorsqu'il a été saisi par une seule des parties, il informe l'autre partie de la possibilité qu'elle a d'être conseillée et de se faire assister par un autre avocat. S'il est intervenu comme rédacteur unique en qualité de conseil de toutes les parties, il ne peut agir ou défendre sur la validité, l'exécution ou l'interprétation de l'acte qu'il a rédigé, sauf si la contestation émane d'un tiers. S'il est intervenu en qualité de rédacteur unique sans être le conseil de toutes les parties, ou s'il a participé à sa rédaction sans être le rédacteur unique, il peut agir ou défendre sur l'exécution ou l'interprétation de l'acte dont il a été le rédacteur ou à la rédaction duquel il a participé. Il peut également défendre sur la validité de l'acte".
Ce faisant le décret précité, dont les dispositions ont été reprises à l'article 7 du RIN, applique les principes généraux gouvernant l'interdiction des conflits d'intérêts et le principe de loyauté au domaine particulier de la rédaction d'acte. Ces dispositions n'en trouveront que plus d'écho, encore, avec l'essor du récent "acte d'avocat" ou contreseing d'avocat, issu des dernière dispositions de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI), et venant parachever le rôle de conseil et de rédacteur d'acte de l'avocat.
VI - Les conséquences d'un conflit d'intérêts
D'abord, la caractérisation d'un conflit d'intérêts n'intervient pas à un moment unique d'appréciation de la situation de fait. Il y a conflit d'intérêts lorsqu'une modification ou une évolution de la situation qui lui a été initialement soumise révèle à l'avocat une des difficultés visées ci-dessus. Et, il existe un risque sérieux de conflits d'intérêts, lorsqu'une modification ou une évolution prévisible de la situation qui lui a été initialement soumise fait craindre à l'avocat une des difficultés visées ci-dessus (RIN, art. 4.2).
Ensuite, lorsque l'avocat suppose l'existence d'un conflit d'intérêts, il se doit de s'abstenir de concourir à la représentation et à la défense du client concerné, et de se déporter au bénéfice d'un confrère. En effet, comme le souligne Pierre Berger, président de la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux, lors de son audition auprès du groupe de travail sur la prévention des conflits d'intérêts de l'Assemblée nationale, le 20 janvier 2011, "s'agissant du conflit d'intérêts, si le principe est le même pour le contentieux et le conseil, les pratiques peuvent différer. Il existe en effet en France une disposition originale en Europe, qui permet à un avocat de se maintenir dans une situation de conflit d'intérêts s'il estime qu'il peut se maintenir et s'il a l'accord de ses clients. Dans les activités de contentieux, cette hypothèse est purement théorique -sauf pour certains contentieux marginaux comme les divorces par consentement mutuel-. En revanche, pour une négociation ou une rédaction d'actes, cela peut se concevoir dès lors que l'indépendance de l'avocat apparaît garantie à chacune des parties. Le principe est le même mais les déclinaisons pratiques de ce principe se distinguent.
Dans les grandes structures, il existe des procédures destinées à éviter en amont tout risque de conflit d'intérêts. Au reste, si une telle situation se présentait, elle serait immédiatement repérée, puisque les parties se proposant par exemple de contracter arriveraient avec le même papier à en-tête ! La question est plus délicate dans d'autres types de structures, lorsqu'il existe des accords de réseau peu transparents ; le conflit d'intérêts peut alors devenir toxique.
Le conflit d'intérêts, lorsqu'il est apparent, se règle naturellement, soit par le déport, soit en considérant que le professionnel qu'est l'avocat est capable de faire face à la situation".
Au chapitre procédural, l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 ne confère pas au Bâtonnier le pouvoir de donner injonction à un avocat de se dessaisir d'un dossier ; aussi, en infligeant une peine disciplinaire à un avocat au seul motif qu'il n'avait pas obtempéré à une telle injonction, la cour d'appel a violé le texte susvisé (Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 95-22.242 N° Lexbase : A2066ACI).
En revanche, dès lors qu'elle a relevé que le Bâtonnier de l'Ordre des avocats, saisi de la difficulté soulevée par maître X, avait rendu un avis qui n'avait pas été suivi d'effet et qu'aucune poursuite disciplinaire ne s'en était suivie, l'arrêt attaqué a exactement déduit, en l'état de cette carence, que le juge compétent pour statuer sur le conflit d'intérêts qui lui était soumis ne pouvait être que le juge des référés eu égard aux dispositions de l'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K) (Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 98-16.508, FS-P+B+R N° Lexbase : A1113ATE).
Enfin, dans le cadre d'un conflit d'intérêts, en l'absence d'abstention et de déport, l'avocat encourt une sanction disciplinaire (avertissement ou blâme) ordonnée par le conseil de l'Ordre, sous le contrôle du juge judiciaire.
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Réf. : TA Toulouse, 9 mars 2011, n° 1100792 (N° Lexbase : A7114HP8)
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par Colette de Marguerye, avocat au barreau de Paris et médiateur, société d'avocat Marguerye
Le 08 Juillet 2011
Le CNRS, établissement public administratif à caractère scientifique et technologique, lance le 20 octobre 2010 une procédure d'appel d'offres ouvert pour "assistance à gestion de projets". Une société de conseils en "organisation et en systèmes d'information" spécialisée en pilotages de projets répond dans les délais par voie électronique, soit avant le 2 décembre 2010. Par courrier du 9 décembre, le CNRS, après ouverture des plis, rejette l'offre comme "irrégulière" pour "défaut de signature de chacune des pièces de la candidature et de l'offre pour lesquelles cela était requis", se fondant sur l'article 4-2-3 du Règlement de consultation (1), ainsi que sur l'article 1316-4 du Code civil (N° Lexbase : L0630ANN) (2).
Le 14 décembre 2010, le candidat conteste la décision du CNRS, affirmant que "les documents papiers ont été signés et scannés et les enveloppes zippées, pour optimiser les volumes d'envoi, ont été signées par clé numérique". Le 22 décembre 2010, le CNRS maintient sa position. Il s'appuie sur l'article 56-II du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2773ICP) autorisant le pouvoir adjudicateur à imposer la transmission des documents du candidat par voie électronique, et rendant celle-ci obligatoire pour les achats de services informatiques d'un montant supérieur à 90 000 euros HT. Le CNRS, citant un chat de la Direction des affaires juridiques du ministère de l'Economie, compare : "signer le fichier 'zip' est comme sceller une enveloppe papier : cela peut être utile pour en garantir l'intégrité, mais le cachet sur l'enveloppe ne remplace pas la signature des documents qu'elle contient... scanner des signatures manuscrites ne donne pas valeur d'original au document scanné".
Le CNRS s'appuie aussi sur l'arrêté du 28 août 2006 (N° Lexbase : L6698HKB), d'application de l'article 48-1 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2698ICW), disposant que, lors des procédures de passation dématérialisée des marchés publics, les candidatures et actes d'engagement sont signés par signature électronique qui garantit, notamment, l'identification du candidat.
II - La décision du tribunal administratif
Par ordonnance du 9 mars 2011, le tribunal administratif de Toulouse, après avoir rappelé les pouvoirs du juge des référés, s'appuie sur un raisonnement rigoureux pour rejeter la requête de la société.
1 - Après avoir rappelé ses pouvoirs lorsqu'il est saisi durant la période pré-contractuelle de passation de contrats de marchés publics, le juge toulousain, visant l'article L. 551-4 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1601IEZ) relatif aux obligations du pouvoir adjudicateur de surseoir à la signature finale du contrat jusqu'à ce que le juge ait statué, en déduit que la demande de la société est irrecevable. Ainsi, la question de la garantie de l'égalité de traitement des entreprises répondant à appel d'offres selon une procédure de passation de contrat dématérialisée ne reçoit pas de réponse dans cette espèce.
Cette question mérite, cependant, d'être examinée par les magistrats de l'ordre administratif qu'il s'agisse des moments des échanges signés et transmis qui précèdent l'accord final éventuel, ou de l'examen des différentes fonctions de la signature, et des objectifs de développement des échanges fixés par la Directive (CE) 1999/93 du 13 décembre 1999, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques (N° Lexbase : L0093AWD).
Enfin, l'on peut penser que les magistrats auront à se prononcer sur leur devoir d'appréciation et d'évaluation des irrégularités lors de la passation des contrats de marchés publics par signature électronique sécurisée, à l'instar des magistrats de l'ordre judiciaire qui examineront les conditions de passation des contrats commerciaux de même nature dans le secteur privé.
Malheureusement, le lecteur reste sur sa faim : certes, le juge rappelle les articles L. 551-1 (N° Lexbase : L1591IEN) à L. 551-4 du Code de justice administrative aux termes desquels "il incombe au juge des référé précontractuels de rechercher si, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auxquels ils se rapportent, les manquements allégués aux obligations de publicité et de mise en concurrence sont susceptibles de léser la société requérante ou risquent, fût-ce de manière indirecte, de la léser en favorisant une autre entreprise".
Toutefois, ce rôle, comme le rappelle la jurisprudence, a une finalité et une fonction :
- le juge a un devoir d'appréciation du manquement par le pouvoir adjudicateur à ses obligations de mise en concurrence "eu égard à la portée desdites obligations et au stade de la procédure auquel il se rapporte", étant précisé qu'il s'agit d'un "contrôle de pleine juridiction", le juge n'ayant pas à "rechercher si les irrégularités ont, en fait, porté préjudice à la société demanderesse" ;
- il évalue aussi l'irrégularité conformément à sa mission de contrôle de pleine juridiction, notamment en matière de signature, comme dans cette affaire où "le défaut de signature antérieure à la soumission au marché constitue une irrégularité substantielle dès lors qu'il n'y a pas été remédié avant la date limite du dépôt des offres par le gérant, ou par un mandataire dûment habilité" (3).
Il y a fort à parier que le juge administratif, statuant sur les conditions de passation de procédure dématérialisée, se devra d'apprécier les manquements et d'évaluer le caractère des irrégularités substantielles ou "bénignes". Apparemment, le juge a entendu, malgré son pouvoir de contrôle de pleine juridiction, examiner les circonstances du rejet de l'offre invoquées comme motif par le CNRS, en ayant davantage pour objectif d'apprécier la sécurité des échanges dématérialisés qu'en se fixant sur la question de savoir si l'irrégularité était substantielle, plus particulièrement au stade de la procédure où il entendait la relever.
2 - Le juge a donc examiné l'irrégularité due aux circonstances de la procédure dématérialisée relevant une absence de signature électronique de chacune des pièces de la candidature, ainsi qu'une absence de signature électronique de l'offre. Le raisonnement du juge est d'une logique implacable :
a) depuis le 1er janvier 2010, les documents du candidat répondant à un appel d'offres d'un montant supérieur à 90 000 euros HT sont transmis par voie électronique ;
b) les candidatures et actes d'engagement transmis par voie électronique sont revêtus d'une signature sécurisée par certificat électronique ;
c) la transmission électronique implique la signature électronique de la candidature et de l'acte d'engagement ;
d) le dernier point est repris par le règlement de la consultation de l'appel d'offres, ce qui n'est pas contraire à l'article 1316-4 du Code civil, et n'interdit donc pas au CNRS d'exiger une signature de document sous forme électronique ;
e) la signature des fichiers de transmission "zip" ne peut pallier l'absence de signature électronique de chaque document.
f) enfin, la signature manuscrite de l'acte d'engagement sur support papier puis scannée avant transmission électronique ne saurait suffire pour répondre aux exigences de signature électronique requises.
C'est ainsi que le juge, par un raccourci logique mais, à notre sens, critiquable, et après appréciation essentiellement technique, conclut que le rejet de l'offre du candidat pour "irrégularité" par le pouvoir adjudicateur n'est pas contraire aux obligations de ce dernier en matière de publicité et de mise en concurrence. L'on peut penser que cette décision, qui qualifie l'irrégularité, est considérée comme substantielle.
III - L'apport du droit commun de la signature électronique au développement économique
Il s'agit d'aboutir à une transmission répondant aux exigences du lien "SE/ICS/DNA/MUDD" ("Signature Electronique/ Identification et Contrôle de celle-ci par le Signataire/ Données Non Altérables/ Modification Ultérieure des Données Détectable").
1 - La Directive européenne du 13 décembre 1999, afin de sécuriser les échanges sur internet, s'est fixée pour tâche de faciliter les signatures électroniques en contribuant à leur reconnaissance juridique, d'instituer des services de certification, de définir les critères de la signature électronique, et de poser le principe de non-discrimination entre la signature électronique et manuscrite (art. 5). L'article 2 de la Directive, distinguant la "signature électronique" de la "signature électronique avancée", fait ressortir la notion de lien, consubstantielle au monde électronique et à ses exigences. La signature doit donc être liée uniquement au signataire, permettre de l'identifier, être sous son contrôle exclusif, et être liée aux données auxquelles elle se rapporte, de sorte que toute modification ultérieure des données soit détectable. Ce moyen technique de signature est fondé sur des systèmes de cryptage : une signature électronique se signe au moyen d'une clé de chiffrement, dite "privée" sous contrôle de celui qui l'utilise. La "clé publique", copie restreinte de la clé privée, qui fonctionne par paire avec la clé privée, permet de déchiffrer le message de l'expéditeur, de garantir l'authentification de l'expéditeur, ainsi que la non-altération du message.
Le champ d'application de la Directive est très large. Il est prévu que les prestataires de services de certification (PSC) décrits dans la Directive pourront fournir aussi d'autres services : horodatage, archivage, services de publications, de consultations, etc.. Grâce à l'Europe, le législateur français qui hésitait à libéraliser l'usage de la communication électronique pour les échanges sécurisés, sensible aux applications de cryptologie, relevait le 17 mars 1999, la taille des clés de cryptage de 40 bits à 128 bits, ceci afin de garantir la confidentialité des messages.
2 - La loi de transposition française du 13 mars 2000, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique (loi n° 2000-230 N° Lexbase : L0274AIY) fût votée à l'unanimité au Sénat le 8 février 2000 et adoptée sans modification à l'Assemblée nationale le 29 février 2000. Codifiée au sein du Code civil, il s'agit d'un texte fondateur destiné à assurer un cadre sécure aux transactions. Après avoir redéfini la preuve littérale (C. civ., art. 1316 N° Lexbase : L1427ABH), le législateur admet, ainsi, la force probante de l'écrit électronique et lui confère une force probante de "même force" que l'écrit sur support papier (C. civ., art. 1316-1 et 1316-3 N° Lexbase : L0629ANM).
Deux conditions sont exigées par le législateur pour atteindre la même force probante : une possibilité d'identification de celui dont émane l'acte écrit, et une conservation dans des conditions pouvant en garantir l'intégrité. L'on peut rappeler que les trois fonctions de la signature, à savoir l'identification, l'adhésion du signataire au contenu, et la garantie de l'intégrité du document signé, doivent être respectées dans le monde numérique :
a) l'identification certaine par signature numérique repose sur un système de clés asymétrique. S'il s'agit d'une signature électronique, elle a aussi pour finalité de régir des relations sur des réseaux ouverts par l'intermédiaire desquels les parties nouent des relations contractuelles ;
b) la signature électronique exprime le consentement du signataire et établit le lien entre celui-ci et le contenu du document ;
c) quant au maintien de l'intégrité d'un document signé de manière manuscrite, il est assuré par l'absence de rature ou de correction sur le document signé. Le maintien de l'intégrité est assuré par la fonction dite de "hachage irréversible". Cette fonction va appliquer au document une opération mathématique de manière à produire un condensé numérique du message. Ce résumé est codé à l'aide de la clé privée : le résultat est alors numérique. Cette signature est envoyée en accompagnement du fichier principal au destinataire. A la réception, la signature sera lue à l'aide de la "clé publique" qui lui correspond. En appliquant l'opération mathématique inverse, la fonction de hachage reconstitue le fichier condensé, qui pourra être comparé au fichier principal. Dès lors, toutes atteintes à son intégrité seront décelables.
Le mécanisme de transmission par fichier "zip" a pour fonction : l'assemblage de documents en vue d'une transmission combinant en un seul objet binaire les documents assemblés et la sécurité lors de la transmission de l'intégrité de leurs contenus ; la compression par paquets des documents à transmettre, le document principal renvoyant aux documents compactés et liés à celui ci, créant ainsi une application de compression "zip" (il restera à lier l'expéditeur du paquet de documents compactés par une signature électronique spécifique ajoutée aux documents signés et aux pièces jointes éventuelles) ; l'identification de l'expéditeur de nature à permettre au destinataire de détecter les altérations éventuelles non autorisées en cours de transmission.
IV - L'enjeu économique de la position du pouvoir adjudicateur en l'espèce
L'argument du CNRS pour rejeter l'offre après ouverture des plis est relatif à la signature du fichier de transmission "zip" : le fichier "zip" contenant les documents, dont l'acte d'engagement, est "attaché à l'enveloppe et non au contenu". Le CNRS semble retenir un parallélisme des formes, puisqu'il indique dans son argumentation que, "dans une procédure dématérialisée [doivent être signés] électroniquement tous les documents qui doivent recueillir une signature manuscrite dans une procédure papier. La signature électronique doit être apposée directement sur chaque fichier constituant un document à signer". Il pose une exigence technique ajoutant à celles du législateur. Selon cette exigence supplémentaire à celle de la loi, chaque document doit être signé selon la voie électronique. Ceci a des conséquences juridiques essentielles.
Le CNRS met, ainsi, en question la valeur de la signature manuscrite de l'acte d'engagement inclus dans l'enveloppe présentée par voie dématérialisée. Pourtant, l'acte d'engagement a été signé et scanné. Cette signature est, selon la loi, valable en soi. Certes, l'acte d'engagement ne comporte pas de certificat électronique dédié, mais, selon la loi, il est valablement signé. En droit pur, reste donc à examiner les conditions dans lesquelles l'acte d'engagement, document essentiel du dossier de candidature, sera transmis. Il importe, en effet, que l'acte d'engagement reste un document intègre et ne subisse pas d'altération lors de la transmission, ceci afin que la validité de sa signature puisse être contrôlée.
Les exigences du CNRS ont, a priori, pour effet de rompre l'égalité de principe des candidats mis en concurrence, égalité voulue par le législateur, gardien des règles visant à éviter des dommages à l'économie, et d'ignorer le principe de non-discrimination des signatures manuscrites et électroniques voulu par le législateur européen. Ainsi, le contrôle du juge s'impose pour plusieurs motifs : soit le pouvoir adjudicateur est privé d'une candidature, soit le candidat est privé d'une chance d'emporter le marché, soit le marché est faussé, ou encore un dommage à l'économie peut en résulter. La société concernée, qui avait un "intérêt manifeste", comme le relève le juge, à conclure le marché, engageait un référé pré-contractuel, invoquant les règles de publicité et de mise en concurrence que doivent respecter les acheteurs publics.
D'autres développements sont nécessaires, notamment au regard du droit des contrats passés sous forme électronique, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé. Comme l'écrit Roland Richer "par leur objet, les marchés publics sont semblables aux contrats que concluent entre eux les particuliers. Il s'agit, en effet, de contrats par lesquels l'administration se procure des fournitures ou des services et fait réaliser des travaux moyennant un prix. Ces contrats sont identiques aux contrats de vente, de location de service du droit privé". Doivent aussi être pris en compte la volonté affirmée par le législateur européen de susciter la confiance des opérateurs économiques et des pouvoirs adjudicateurs dans le développement exponentiel de l'économie numérique (Directive européenne du 13 décembre 1999, précitée) et la mission du juge des référés pré-contractuel, à travers l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3).
V - La question de la transmission des documents et de la candidature
L'absence de signature électronique de chaque pièce et de l'offre parvenue avant l'ouverture des plis dans le cadre de la procédure dématérialisée nuit-elle à la sécurité de la signature, est-elle contraire au droit qui affirme l'égalité de force probante des signatures manuscrite et juridique ? Si oui, cette irrégularité était-elle de nature à exempter le pouvoir adjudicateur de ses obligations de mise ne concurrence à l'égard de la société candidate ou le pouvoir adjudicateur devait-il demander au candidat de remédier à l'irrégularité supposée ?
Bien que le tribunal, dans sa décision, fasse référence au Code civil, il se fonde principalement sur les textes du Code des marchés publics tant sur l'exigence de signature que sur les conditions de transmission des offres. L'article 11 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L7083IGG) affirme que l'acte d'engagement, pièce constitutive du dossier, doit être signé par le candidat puis par le pouvoir adjudicateur. Quant aux modalités de la transmission des offres par voie électronique, l'article 11 prévoit qu'il sera précisé par un arrêté du ministre de l'Economie. L'article 48 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2698ICW) précise que "les offres sont transmises en une seule fois". L'article 56 du même code (N° Lexbase : L2773ICP) réaffirme pour le pouvoir adjudicateur, dans les cas où la transmission électronique des offres est obligatoire, une obligation d'assurer la confidentialité et la sécurité des transactions sur un réseau informatique accessible de façon non discriminatoire, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l'Economie. Quant aux dispositions des articles 5 à 7 de l'arrêté du 28 août 2006, pris en application du point I des articles 48 et 56 du même code, elles ne traitent pas du mode de transmission par voie électronique des candidatures et actes d'engagement, signés au moyen d'un certificat de signature électronique conforme au référentiel intersectoriel de sécurité, mais de la signature.
S'agissant des appels d'offres ouverts, les articles 57 (N° Lexbase : L7061IEA) à 59 du Code des marchés publics reprennent les garanties de confidentialité et de sécurité. Par ailleurs, il est indiqué que l'ouverture des plis n'est pas publique mais qu'avant de procéder à l'examen des candidatures, le pouvoir adjudicateur peut demander aux candidats de compléter leur dossier de l'enveloppe de candidature. L'article 56-IV du même code, s'il traite des garanties que le pouvoir adjudicateur doit aux candidats, ne traite pas du mode de transmission électronique des offres.
Autrement dit, si la fonction de la signature est prévue par les textes du Code des marchés publics, les conditions de la transmission garantissant le lien entre la signature et la sécurité de sa transmission ne sont pas traitées par les textes. Dans un louable mais inutile souci de sécurité, le règlement de consultation du CNRS exige une signature électronique de chaque document transmis. Ce souci résulte d'une comparaison entre la sécurité de transmission d'une enveloppe contenant des documents papier et d'une enveloppe "zip" qui mérite d'être reprise :
a) dans le cas où l'on transmet une lettre recommandée avec avis de réception "papier" contenant des documents non signés, falsifiés ou sans documents, il ne sera pas possible au destinataire de prouver que les documents supposés envoyés précisément dans cette enveloppe ne correspondent pas aux documents censés s'y trouver. Il restera avec son accusé de réception, certes, mais le lien entre la réception et le contenu de l'envoi n'est pas sécurisé et n'est pas prouvable ;
b) si l'on transmet une enveloppe "zip" ne contenant pas de documents ou contenant des documents différents ou non signés, la situation sera différente. La transmission "zip" fonctionne paire par paire, ce qui garantit l'intégrité des données : compression et décompression ne sont possibles que si les deux clés de compression et de décompression fonctionnent ensemble et sont compatibles. En l'espèce, la signature manuscrite est incorporée au document puisque le document et la signature sont "liés logiquement". Le fichier "zip" serait donc rejeté par la clé de compression au cas où les documents inclus y seraient falsifiés ou non signés.
L'on ne saurait donc exciper du caractère distinct du fichier "zip" et des documents qu'il contient pour en déduire que la signature peut ne pas être identifiable. Ainsi, au cas où la signature manuscrite sous l'acte d'engagement transmise par le "zip" émanerait d'un tiers non autorisé à signer, ceci serait inévitablement prouvable.
Le transfert de fichier "zip" garantit l'intégrité des données transmises. Compression et décompression ne sont possibles que si les deux clés fonctionnent ensemble et sont compatibles. Le fichier "zip" aurait été rejeté par la clé de compression au cas où la signature manuscrite incorporée au document joint n'aurait pas rempli les fonctions que le droit assigne à la signature électronique transmise dans les conditions du fonctionnement par paire. En effet, le document et la signature sont liés logiquement. Comme le note le tribunal, ajouter à l'article 1316-4 du Code civil n'est certes pas interdit.
Toutefois, ajouter aux conditions établies par le droit européen, codifiées dans le droit commun semble inutile quand bien même ce souci de sécurité à 100 % est de nature à rassurer le pouvoir adjudicateur et à influencer le juge de façon fort compréhensible. Oublier les circonstances dans lesquelles la réforme de 2000 a été mise en application semble constituer une barrière dangereuse à un développent économique non seulement souhaité et voulu par le législateur européen. Ce dernier a clairement exprimé sa volonté d'établir la confiance dans l'établissement de contrats dans le monde numérique, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé.
Ajouter au droit positif, ne serait-ce pas aller à l'encontre de l'objectif du législateur ? Il serait dommage que les juges à l'avenir se penchent davantage sur les questions de sécurité, et recherchent un "100 % sécurité" lorsqu'ils examinent les conditions de passation des contrats dans le monde numérique.
(1) L'article 4-2-3 du règlement de consultation énonce que "la signature électronique des candidatures et des offres se fera via l'utilisation de certificats électroniques valides [...] les catégories de certificats de signature reconnues par la plateforme sont celles qui sont reconnues par le référentiel intersectoriel de sécurité et par la liste publiée à l'adresse suivante : www.telecom.gouv.fr
L'attention des candidats est attirée sur le fait que des certificats de signature devront être utilisés à deux étapes de la procédure de dépôt :
- 1) Lors de la signature des documents : [...] Ce certificat devra être utilisé pour signer numériquement chacun des documents pour lesquels cela est requis [...] Cette signature est l'équivalent dématérialisé de la signature manuscrite [...] sur des documents papier.
- 2) Lors du dépôt du dossier de candidature : le certificat, utilisé pour chiffrer le dossier sur la plateforme, devra seulement répondre aux impératifs des deux premiers alinéas du présent paragraphe [...] Ce chiffrement est l'équivalent dématérialisé du scellement d'une enveloppe contenant une offre physique. Pour pouvoir faire une réponse électronique, l'opérateur doit s'assurer de répondre aux pré-requis techniques de la plateforme.
- 3) La notification de l'accord-cadre se fera par voie papier. Pour ce faire, l'acte d'engagement sera rematérialisé par le CNRS et sera transmis à l'attributaire pour signature.
(2) L'article 1316-4 du Code civil énonce que "la signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie celui qui l'appose. Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte [...] lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat".
(3) CE, Sect., 3 octobre 2008, n° 305420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5971EAE) ; CE 2° et 7° s-s-r., 20 mai 2009, n° 318871, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1829EH9) ; CE 2° et 7° s-s-r., 28 avril 2006, n° 286443, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2025DPP) ; CE 7° et 5° s-s-r., 16 octobre 2000, n° 213958, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1398B8B) ; CE, 10 décembre 1993, n° 124529, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1536AN9).
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Réf. : Cass. civ. 1, 12 mai 2011, n° 10-15.667, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1191HRK)
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par Sophie Deville, Maître de Conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole
Le 07 Juillet 2011
Un pourvoi est formé par les ayants-droit du défunt qui reprochent à la cour d'appel, à titre principal, d'avoir méconnu l'article L. 121-9, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3354ADL) issu de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957, mais directement applicable aux époux mariés avant la date d'entrée en vigueur du texte (11 mars 1958). Ce dernier prévoit que "sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées au contrat de mariage, le droit de divulguer l'oeuvre, de fixer les conditions de son exploitation et d'en défendre l'intégrité reste propre à l'époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis". La mise en oeuvre des dispositions légales supposant uniquement que les oeuvres conçues n'aient pas été divulguées avant le 11 mars 1958, les magistrats auraient dû rechercher si cette divulgation avait eu lieu pour conclure à la nature propre ou commune des droits de propriété littéraire et artistique sur l'oeuvre. Par suite, et toujours selon les arguments du pourvoi, la qualification des supports des oeuvres d'art étant indéfectiblement liée à celle des droits sur la création, la Cour ne pouvait conclure à leur caractère commun sans avoir auparavant traité des prérogatives morale et pécuniaires sur l'oeuvre. On l'aura compris, le litige se concentre en son entier sur la détermination de la nature des toiles, support des oeuvres du peintre dont l'ex-mari avait hérité en même temps que des droits d'exploitation. La solution retenue aura des incidences importantes, étant entendu que les créations scripturales entretiennent des relations très étroites avec la matière dans laquelle elles se matérialisent, et lui confèrent souvent une valeur considérable.
Le raisonnement initié par le pourvoi ne convainc pas la Cour de cassation qui adhère à l'argumentation des juges d'appel. Elle refuse, avec ces derniers, tout lien d'interdépendance entre les droits de propriété littéraire et artistique et le support matériel abritant les oeuvres, de sorte que la nature des premiers est sans effets sur le second. Dès lors, et en l'absence de dispositions particulières visant le support, il convient d'appliquer les règles du statut matrimonial des époux, à savoir l'article 1401 du Code civil. Ce dernier prévoit l'entrée en communauté de tous les biens meubles perçus à titre gratuit pendant le mariage. A cet égard, la divulgation de l'oeuvre est un élément totalement indifférent à la qualification. Si, à notre sens, le rappel du principe d'indépendance des droits est à l'abri de toute critique (I), ainsi d'ailleurs que la mise en oeuvre des règles matrimoniales, la qualification sur le fondement de l'article 1401 du Code civil, qui se situe dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour, peut susciter certaines réserves (II).
I. Le rappel du principe d'indépendance des droits d'auteur et de la propriété corporelle
L'argumentation des héritiers de l'ayant-droit du peintre, destinée à défendre la qualification des tableaux en biens propres, reposait toute entière sur une idée centrale : l'interdépendance des droits sur l'oeuvre et du support dans lequel la création est contenue. Le postulat selon lequel les devenirs des droits de propriété littéraire et artistique et de la matière doivent être associés est un moyen commode qui permet de déduire de la nature, propre ou commune, de l'un, celle de l'autre. C'est à ce stade qu'intervient l'article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3354ADL), qui énonce, en son premier alinéa, le caractère propre des droits de divulgation et d'exploitation, ainsi que de la défense de l'intégrité de l'oeuvre. Ceci étant, la mise en oeuvre de ce texte est rendue complexe par l'existence d'une difficulté de droit transitoire ; en effet, l'article est issu de la loi du 11 mars 1957, dont la date d'entrée en vigueur a été fixée au 11 mars 1958. Or, par interprétation a contrario de l'alinéa 3, l'alinéa 1er serait immédiatement applicable aux époux mariés avant cette date, sans pour autant que lui soit accordé un effet rétroactif (2). La dernière précision a imposé de distinguer le cas des oeuvres divulguées avant le 11 mars 1958, le monopole d'exploitation restant alors soumis au droit antérieur, de celles divulguées après cette date, qui bénéficient des dispositions nouvelles (3). En l'espèce, les époux s'étaient mariés en 1955 ; la recherche de la divulgation des oeuvres par l'auteur lui-même avant son décès, voire par son héritier, était donc nécessaire à la détermination de la nature des droits d'exploitation, aux termes de l'article 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, mais également à celle des toiles en raison du lien d'interdépendance avancé par le pourvoi. Dès lors, en ne s'intéressant pas à la divulgation éventuelle des oeuvres litigieuses, il était impossible, pour les juges, de statuer sur la qualification propre ou commune des tableaux, directement tributaire de la détermination du statut des droits d'auteur dépendant de l'article 121-9, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle.
Le postulat de l'interdépendance est intéressant parce qu'il vise une catégorie particulière de créations, à savoir les oeuvres d'art, ou scripturales. Or, il est acquis que ces dernières entretiennent des liens très étroits avec la matière qui les abrite. La valeur pécuniaire des toiles constitue une preuve remarquable de ces relations, et à ce titre, l'auteur du pourvoi ne manque pas d'indiquer que la vente des tableaux figure parmi les principaux actes d'exploitation de l'oeuvre. Il est vrai qu'à la différence des autres types de créations, telles les compositions musicales par exemple, le droit de reproduction sur la création scripturale n'a que peu d'intérêt, l'oeuvre s'extériorisant dans un support matériel unique. La cession de la matière est à son égard tout à fait importante, d'autant qu'il existe un droit de suite qui permet à l'auteur, puis à ses héritiers, d'être associé aux produits de chaque cession du support matériel de l'oeuvre (C. prop. intell., art. L. 122-8 N° Lexbase : L2843HPY). En bref, les arguments du pourvoi n'étaient pas dénués de pertinence au regard de la catégorie d'oeuvres sur laquelle se concentrait le litige.
Pour autant, les Hauts magistrats n'ont pas, à bon droit, adhéré à la proposition. Ils lui ont préféré le principe, classique en la matière, d'indépendance des droits. Pour bien en saisir la teneur, quelques précisions s'imposent quant à la notion d'oeuvre et aux droits que la création artistique est susceptible de générer. L'oeuvre constitue l'objet immatériel que tend à protéger l'ensemble de la réglementation de la propriété littéraire et artistique (4). C'est naturellement par le biais de la personne qu'est l'auteur en tout premier lieu, puis ses héritiers ou ayants-droit par la suite, que la protection offerte par la loi est rendue opérationnelle. L'oeuvre n'est pas définie par le Code de la propriété intellectuelle qui opère par énumération, non exhaustive, à l'article L. 122-2 (N° Lexbase : L3356ADN) (5). Elle est, tout au plus, par référence aux catégories juridiques classiques, un meuble incorporel par détermination de la loi (C. civ., art. 529 N° Lexbase : L3103ABK).
La doctrine s'est concentrée sur une délimitation des contours de la notion. Elle serait le fruit d'une activité humaine intellectuelle consciente par laquelle le sujet à la volonté de modifier la réalité et d'enrichir le patrimoine culturel (6). Mais la loi conditionne l'accès à la qualification au respect de certains caractères ; c'est ainsi que l'oeuvre doit s'exprimer dans une forme et révéler son originalité (7). Toute autre considération est en principe indifférente, aux termes de l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3333ADS). La forme est nécessaire à la destinée de la création puisqu'elle révèle son existence par l'usage d'un procédé la rendant perceptible à autrui. L'oeuvre doit s'exprimer à travers une forme tangible pour les sens d'une personne humaine. A ce titre, le support matériel constitue un mode envisageable de formalisation, et il occupe une place prépondérante pour certaines catégories de créations (oeuvres d'art, ouvrages architecturaux, croquis, sculptures et gravures...), à la différence d'autres dont la matérialisation passe par des procédés distincts (oeuvres musicales, fragrances, créations culinaires originales...). Lorsqu'il existe, le support matériel doit susciter une attention toute particulière, car il préside à la naissance d'une pluralité d'objets de droits. En effet, la formalisation provoque la naissance de deux entités, l'oeuvre, qui demeure un bien immatériel, et la matière, bien corporel qui peut aussi bien être de nature mobilière qu'immobilière. L'avènement d'une oeuvre est concomitant de celui de droits sur la création, prérogatives comportant une dimension pécuniaire et morale, dont le Code de la propriété intellectuelle organise le régime.
On le voit, la situation à laquelle donne lieu l'extériorisation dans un support matériel est quelque peu complexe, d'autant que la création, dès qu'elle existe, se voit protégée par les droits de propriété littéraire et artistique. En matière d'oeuvres d'art, l'artiste devient dans le même temps titulaire des droits sur sa création et de prérogatives de propriétaire sur le tableau qui abrite son oeuvre. La pluralité d'objets -oeuvre et matière- donne naissance à une pluralité de droits. Inévitablement, se pose à ce stade la question du devenir de ces droits, de leurs relations. On sait que les enfants du défunt revendiquaient, dans le pourvoi, une interdépendance des droits. Une telle argumentation allait à l'encontre d'un principe qui dispose d'assises confortables en la matière, la règle d'indépendance, que la Cour de cassation n'hésite pas à rappeler pour neutraliser le moyen.
L'indépendance de la propriété corporelle du support et des droits d'auteur est le fruit d'une évolution. A l'origine, la difficulté à conceptualiser la notion d'oeuvre avait pu conduire à une confusion avec le support matériel. Puis, au XIXème siècle, des litiges se sont concentrés sur le point de savoir si la cession des supports emportait celle des droits pécuniaires, de reproduction notamment. Malgré l'opposition de certains auteurs (8), la jurisprudence optait pour l'affirmative, dans le silence du contrat (9). Si la dualité était perçue, les deux entités suivaient la même destinée. C'est finalement le législateur qui a mis fin à la difficulté en consacrant de manière progressive un principe d'indépendance ; la loi du 9 avril 1910 l'a d'abord admis pour le droit de reproduction, et la règle a été généralisée par la loi du 11 mars 1957, à l'article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3330ADP). Le texte énonce clairement : "La propriété définie par l'article L. 111-1 (N° Lexbase : L2838HPS) est indépendante de la propriété de l'objet matériel". La jurisprudence en fait désormais une application rigoureuse.
Les incidences de la règle ne sont pas négligeables en pratique. Il convient, d'abord, d'admettre que le transfert des droits de propriété littéraire qui protègent l'oeuvre, essentiellement le monopole d'exploitation (10), n'emporte pas transfert du support matériel au bénéficiaire de l'acte, et vice versa. L'auteur ou ses ayants-droit peuvent en ce sens vendre, donner, léguer le support matériel et ils demeureront titulaires des droits d'auteur (11). A contrario, la cession des droits d'exploitation n'emporte pas celle du support qui abrite la création (12). De même, est-il loisible à l'auteur de céder des droits de nature différente sur les deux objets ; il peut tout à fait consentir un usufruit sur le monopole et procéder à la vente de la pleine propriété du support. L'indépendance vise tous les actes juridiques, quelle que soit leur nature.
Au vu de la force du principe, de sa généralité et de l'écho qu'il trouve en jurisprudence, le rejet de l'argument du pourvoi était inévitable. Si, de l'indépendance des droits d'auteur et des prérogatives sur le support doit être déduite celle des aliénations, il convient de conclure à l'impossibilité d'appliquer aux toiles la qualification matrimoniale des droits sur l'oeuvre, proposée par l'article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle. La nature juridique des tableaux au regard du régime des époux doit, de ce fait, être recherchée sur un autre terrain.
La solution retenue par les juges sur ce point apparaît tout à fait justifiée, bien que puisse être déploré le raisonnement tenu pour y parvenir. En effet, la cour d'appel, suivie en cela par la Haute juridiction, opère en se fondant sur une disposition testamentaire par laquelle l'ex-époux aurait légué à sa fille le droit moral et les prérogatives pécuniaires sur l'oeuvre qu'il détenait, pour en déduire que les tableaux eux-mêmes, non visés par l'acte, devaient suivre un sort différent car ils obéiraient à une qualification distincte. A notre sens, la référence à l'objet de la libéralité n'était pas nécessaire, et l'énoncé de l'article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle aurait à lui seul suffi à justifier un traitement indépendant du monopole d'exploitation et des toiles. Ce, d'autant que la détermination de la nature de propre ou d'acquêt préexiste nécessairement à l'ouverture de la succession, laquelle consomme une dissolution de la communauté.
Quoi qu'il en soit, sur le fond, l'éviction du postulat d'interdépendance proposé par le pourvoi était indiscutable, quand bien même le support et les droits sur l'oeuvre seraient étroitement liés en matière d'oeuvres d'art. Il semble utile de rappeler que la règle d'indépendance a pour but de protéger l'auteur ou ses ayants-droit en lui offrant une plus grande liberté, latitude quant à sa création. Il n'est pas souhaitable d'associer, comme une même entité, la matière et le monopole parce que cela contraindrait l'artiste à céder l'ensemble sans conserver aucune prérogative sur l'oeuvre immatérielle. L'intérêt de la règle est tout à fait considérable, quel que soit le type de création de l'esprit. Il est vrai que l'issue du litige et la qualification d'acquêt proposée par la Cour de cassation peuvent sembler inéquitables car elles créent une inégalité de traitement entre les auteurs d'oeuvres d'art, qui se matérialisent dans un support unique de valeur considérable, et les autres pour lesquels l'essentiel des profits est généré par l'exploitation, les supports n'ayant en la matière qu'une faible valeur (exemplaires de romans, CD reproduits en grand nombre). Mais il faut bien comprendre que l'issue n'est en rien conditionnée par le principe de l'article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle : les deux entités, droits sur l'oeuvre et support, peuvent tout à fait avoir la même nature au regard du régime matrimonial, malgré leur indépendance. En bref, c'était bien davantage sur le choix d'appliquer l'ancien article 1401 du Code civil qu'il fallait concentrer la discussion.
II. L'application du régime matrimonial des époux à la qualification des tableaux
Le respect des dispositions de l'article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle interdit, comme le soulignent les juges, d'avoir recours à l'article L. 121-9 du même code pour déterminer la nature, propre ou commune, des tableaux litigieux. Il est impossible de se fonder, par déduction, sur la qualification conférée aux droits d'exploitation de l'oeuvre. Le réflexe naturel du juriste est alors de rechercher, dans le Code de la propriété intellectuelle, un texte traitant du support des créations et de leur sort au cas de mariage de l'auteur, voire de son ayant-droit. Or, l'entreprise se révèle rapidement vaine ; si le législateur a pris soin de traiter le sort délicat des droits d'auteur ainsi que des produits pécuniaires nés de son exploitation, le support n'est à aucun moment abordé sous l'angle de son statut matrimonial (13).
Faute de dispositions spéciales, il n'y a pas d'autre choix que de se tourner vers le droit commun des règles matrimoniales. Bien entendu, la question ne se pose réellement qu'en présence de régimes à vocation communautaire, les principes innervant la séparation de biens permettant rapidement de résoudre la difficulté. A vrai dire, le statut des époux pourrait être à lui seul, un guide efficace des qualifications. Certes, l'oeuvre est une entité particulière, mais les principes déterminant la nature des biens sont relativement souples et susceptibles de s'adapter à des hypothèses plus complexes. En ce sens, certains auteurs rappellent qu'outre l'article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, les termes de l'article 1404 du Code civil (N° Lexbase : L1535ABH) sont à même de conférer aux droits de propriété littéraire et artistique la nature de biens propres (14). Sont appréhendés comme propres les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. Il semble que les prérogatives issues de la naissance d'une oeuvre de l'esprit, résultat de l'effort intellectuel et créatif de l'auteur, trouvent sans peine à s'intégrer parmi les droits qui entretiennent des relations très étroites avec la personne d'un époux.
Pareillement, il est permis de penser que les textes du Code civil peuvent présider à la détermination de la nature des supports, ici les toiles du Maître. Au surplus, pour défendre cette idée, peut-on ajouter que la matière qui abrite l'oeuvre est un bien qui relève des classifications classiques, à quelques nuances près. C'est donc de la mise en oeuvre du régime matrimonial des époux que doit résulter la qualification des toiles. En l'espèce, les conjoints s'étaient mariés sans contrat en 1955, soit à l'époque où le régime matrimonial légal était encore la communauté de meubles et acquêts. Les juges font, à bon droit, référence à l'ancien article 1401 du Code civil, aujourd'hui posé à l'article 1498 du Code civil (N° Lexbase : L1630ABY), la communauté de meubles et acquêts étant devenue un régime conventionnel avec la loi du 13 juillet 1965.
Les magistrats se fondent sur la règle selon laquelle tombent dans la masse commune l'ensemble des meubles, et notamment ceux qui ont été acquis pendant le mariage par succession ou libéralité, à moins que le disposant n'en ait décidé autrement. Les toiles constituant des biens mobiliers, la soumission à l'article 1401 du Code civil, alinéa 1er, imposait leur nature commune. La Cour va jusqu'à souligner la corporalité des tableaux (peut-être dans le dessein de stigmatiser à nouveau la dualité d'objets création immatérielle - support matériel ?), alors même qu'elle ne précise pas leur caractère mobilier, pourtant acquis.
La Haute juridiction vient par là même confirmer la position déjà tenue dans deux anciennes affaires. Il était là aussi question de déterminer le statut matrimonial de supports d'oeuvres d'art dans des espèces antérieures aux lois du 11 mars 1957 et 13 juillet 1965. La seule différence résidait dans le fait que la situation étudiée était celle des artistes eux-mêmes, non de leur héritier. Dans un premier arrêt du 4 décembre 1956, la Cour de cassation censure la cour de Paris en énonçant que tous les supports matériels abritant une oeuvre doivent tomber en communauté sans considération de leur degré d'achèvement sous la réserve, pour l'auteur, d'exercer son droit moral qui lui permet de modifier la création, l'achever, voire la supprimer (15). La cour d'appel de renvoi résistera néanmoins en opérant une distinction entre l'oeuvre divulguée qui obéit au droit commun et la création non divulguée qui serait "inséparable de la personne de son auteur", et, de ce fait, par nature hors du commerce (16).
Dans la seconde affaire, il est à nouveau question de la nature des tableaux émanant d'un artiste marié sous le régime légal antérieur à la loi de 1965. Les juges du fond reprennent, avec quelques nuances, l'argumentation de la Cour d'Orléans en refusant aux oeuvres non divulguées la qualification d'acquêt au motif qu'elles seraient des choses hors du commerce. La première chambre civile vient une nouvelle fois censurer cette argumentation sur le fondement de l'article 1401 du Code civil (17). Tous les supports, peu importe que les oeuvres aient été divulguées, sont des acquêts dès lors que l'artiste n'a pas manifesté sa volonté de les modifier ou de les détruire. Si les biens tombent en communauté sans distinction, la Cour laisse néanmoins le soin à l'auteur d'exercer son droit moral en procédant à des modifications, voire à la destruction du support. La cour d'appel de renvoi finira par s'incliner en appliquant la solution délivrée (18).
La présente décision se situe dans le droit fil des précédentes, d'autant que l'espèce relevait également des lois antérieures à 1957 et 1965. Les juges de cassation maintiennent fermement leur position en soulignant que la divulgation est indifférente à la qualification. On remarquera également qu'aucune référence n'est faite à la volonté éventuelle de modifier ou détruire l'oeuvre. Ceci peut sans doute s'expliquer par le fait que l'époux concerné n'est pas l'auteur lui-même mais son ayant-droit, mais il semble possible d'avancer que l'arrêt ne revient pas sur cette faculté que possède l'artiste.
Le choix d'appliquer aux tableaux le principe général de l'article 1401 du Code civil ne peut pas, au plan de la technique juridique, être contesté. L'opportunité de la qualification retenue est davantage discutable. Principalement, sur le terrain de ses effets ; on ne peut nier que la nature commune des supports entrave dans une certaine mesure la liberté de gestion de l'artiste, ici de son héritier. C'est ainsi que le consentement de l'autre époux sera nécessaire pour procéder à une donation au profit d'un musée, par exemple (19). En cas de crise conjugale, il faudra parfois faire appel au juge pour pouvoir disposer du bien (C. civ., art. 217 N° Lexbase : L2386ABY). Au-delà, la nature commune des toiles doit tenter de se concilier avec le monopole d'exploitation qui est lui-même propre par application immédiate de l'article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, ce qui peut ne pas être toujours évident. Enfin, le grief essentiel qui peut être reproché à la solution est qu'elle est porteuse d'inégalités entre les auteurs. Les artistes subissent, du fait de l'importance du support de la création, un traitement plus sévère que les autres.
Peut-être, une autre qualification est-elle souhaitable (20). La distinction proposée en son temps par les juges du fond et la nature hors du commerce de l'oeuvre non divulguée ne nous semble pas opportune en raison de sa complexité, mais surtout de la trop forte attraction du droit moral sur le support qu'elle suppose. L'article 1404 du Code civil serait, bien davantage et à notre sens, un fondement à exploiter (21). La notion de bien à caractère personnel permettrait de considérer les tableaux comme des propres par nature, en raison de la relation particulière qui les unit à l'artiste créateur, voire à son ayant-droit qui est en principe tenu de faire respecter la mémoire de l'auteur, laquelle s'exprime dans ses oeuvres. Ce lien serait déterminant dès la qualification, à la différence de la solution actuelle dans laquelle il permet un retrait ou une modification de l'oeuvre qualifiée d'acquêt.
Finalement, le support serait, à côté mais indépendamment du monopole, un propre soumis à la règle de libre gestion (C. civ., art. 225 N° Lexbase : L2396ABD, et art. 1428 N° Lexbase : L1557ABB). Chacune des entités suivant une existence distincte, le titulaire de droits pourrait de la sorte protéger au mieux ses intérêts. Quant à l'éventuelle critique tenant à la nature, propre par subrogation, du prix de vente des toiles (22), elle est, selon nous, contrebalancée par le fait que les produits "classiques" d'exploitation acquis pendant le mariage, notamment ceux issus du droit de représentation, tombent en communauté (C. prop. intell., art. L. 121-9, alinéa 2, qui renvoie au droit commun des régimes matrimoniaux). Pour conclure, c'est sur le terrain des dispositions matrimoniales que les héritiers auraient dû, en l'espèce, se concentrer ; un pourvoi fondé sur une remise en cause du principe d'indépendance des droits n'avait aucune chance d'aboutir.
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Réf. : Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-24.869, F-P+B (N° Lexbase : A8716HSM)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Le 07 Juillet 2011
I - Le rejet de la réparation en nature retenue par la cour d'appel
Le censure, dans l'espèce considérée (A), des modalités de la réparation décidée par la cour d'appel repose sur deux attendus distincts (B) qui peuvent, selon que l'on estime que leur logique est liée ou, au contraire, totalement distincte, donner lieu à une interprétation différente.
A - La transgression du pacte
En 1992, le capital de la société anonyme Traitement des Résidus Urbains (TRU) est divisé en trois blocs : deux blocs de 44,69 % du capital détenus par la Compagnie Générale des Eaux (CGE) et la Lyonnaise des Eaux ainsi qu'un un bloc minoritaire de 10,62 % dont les titres sont détenus, essentiellement, par M. O., à hauteur de 7,19 % (les actions O.).
Le 27 août 1992, les sociétés Lyonnaise des Eaux et CGE promettent à M. O. de lui racheter, par parts égales entre elles, à première demande de sa part ou de ses ayants droit, la totalité de ses actions TRU. Le 23 juillet 1999, cet engagement est réitéré par les sociétés SITA, venue aux droits de la Lyonnaise des Eaux, et CGEA, venue aux droits de la CGE. La réitération de cet engagement stipule que sauf accord express préalable, chacune d'entre elles s'interdit : "d'acquérir seule, directement ou indirectement, les actions TRU objets de la promesse consentie à [M. O.]", sous peine de nullité de la cession et d'éventuels dommages-intérêts.
A la suite de différentes opérations, l'un des blocs de 44,69 % du capital en vient à être détenu par la société Véolia Propreté (Véolia). Cette dernière augmente progressivement sa participation dans TRU (devenue, entre temps, Esterra), en acquérant 1 008 actions auprès de minoritaires, puis 3 090 actions auprès de M. O., et ce, entre le entre le 22 juin 2007 et le 8 avril 2009. Elle obtient, à l'issue de ces acquisitions, 54,21 % du capital d'Esterra.
Le 18 décembre 2000, la société SITA cède à la société SITA France, sa filiale, toutes ses actions de la société Esterra (2), sauf une. SITA France assigne ensuite Véolia, à l'occasion de la découverte des cessions d'actions litigieuses, demandant la cession forcée, à son profit, de la moitié des 4 098 actions acquises par cette dernière pour violation des engagements pris dans l'avenant du 23 juillet 1999. La cour d'appel de Versailles ayant condamné Véolia à céder les 2 049 actions demandées, cette dernière forme un pourvoi en cassation.
Nous n'évoquerons, que pour mémoire, les premier et deuxième moyens de ce pourvoi -qui portaient sur des questions de recevabilité- car ils ne participent pas du problème juridique posé. En tout état de cause, la réponse de la Cour de cassation n'appelle pas de remarques particulières en tant qu'elle confirme les décisions des premiers juges. Il est d'ailleurs, à ce titre, possible de se reporter aux propos de Messieurs Cavalié et Hontebeyrie dans ces colonnes (3).
B - Une cassation, décomposée en deux attendus
Le premier motif de cassation repose, en revanche sur le troisième moyen, soutenu par Véolia, et fondé, dans sa première branche, sur une interprétation stricte du pacte. La société y prétendait que la cour d'appel avait violé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), car l'avenant du 23 juillet 1999 ne nécessitait aucune interprétation en tant qu'il établissait clairement la stipulation suivante : "les parties réitèrent l'engagement d'acheter à parts égales entre elles les actions TRU détenues par [M. O.] ou ses ayants droit et objets de la promesse du 27 août 1992".
En effet, le juge d'appel avait estimé que cette stipulation n'était pas claire parce que le préambule dudit avenant prévoyait, lui, que : "les sociétés Sita et CGEA étaient actionnaires 'à parité' à concurrence de 45 % chacune et que le restant des actions, soit 10 %, est détenu par [M. O.], ce qui est [était] inexact puisque ce dernier ne disposait en réalité que de 7,19 % du capital". En raison de cette "incertitude" affirmée par la cour de Versailles, cette dernière s'interrogeait sur l'étendue du périmètre d'interdiction d'acquisition des actions, savoir, en l'espèce, si ce dernier portait sur les 7,19 % détenus par M. O. ou sur les 10 % des minoritaires. Face à l'ambiguïté ainsi constatée, le juge du fait avait pu décider d'interpréter le texte à la lumière de la commune intention des parties.
Sur ce point, la position de la Cour de cassation est, elle, dépourvue d'ambiguïté : elle décide, en effet : "qu'en statuant ainsi, alors que la stipulation litigieuse, claire et précise, ne nécessitait aucune interprétation" la cour d'appel avait violé l'article 1134 du Code civil.
Ceci établi, la Chambre commerciale examine également le quatrième moyen du pourvoi. La société Véolia y soutenait, en l'espèce, que la cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations en imposant la cession forcée des actions. En effet, elle relevait, dans son arrêt, que "la violation par la société Véolia Propreté de son engagement contractuel autorise la société Sita France à obtenir, sous la forme de réparation en nature, 'le rétablissement de la situation dans laquelle elle se serait trouvée si sa cocontractante avait respecté les stipulations dudit avenant'". Pour réparer, en revanche, elle n'avait pas remis les parties dans la situation antérieure, puisqu'elle avait accru la participation de Sita France dans le capital de la société, en violation, ensemble, du principe de la réparation intégrale du préjudice et de l'article 1143 du Code civil.
Le juge du droit répondra favorablement à ce moyen, à l'appui d'un attendu plus complexe, dans sa formulation, que le précédent. Reprenant les arguments avancés, il établit : "qu'en statuant ainsi, alors que la cession d'actions imposée à la société Véolia à titre de réparation de l'inexécution de son obligation de ne pas faire se traduisait par une majoration de la participation de la société Sita France dans le capital de la société Esterra, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le principe et le texte susvisés".
A lire attentivement l'arrêt, la rédaction de ce dernier attendu n'est pas si évidente, quant aux solutions que la cour de renvoi devra adopter. Le juge du fond devra-t-il imposer un retour au niveau de participation antérieur aux acquisitions de Véolia ou devra-t-il décider, en application du pacte du partage des actions O. ? Il s'agit là de choisir entre analyse rigoureuse de l'article 1143 et l'application stricte de l'article 1134 du Code civil.
II - La question de l'étendue de la réparation en nature
L'interprétation, éventuelle, de la solution donnée par la Cour de cassation peut reposer sur un raisonnement assez simple. Soit l'attendu sur la réparation n'est que la suite logique de celui qui le précède qui impose l'exécution de la convention (A) ; soit les deux attendus doivent être lus de façon indépendante et le dernier emporte, alors, interprétation littérale des dispositions de l'article 1143 du Code civil (B). La seconde interprétation devra être retenue, selon nous, car plus conforme aux termes choisis par le juge dans son dernier attendu.
A - L'hypothèse d'une réparation en nature par l'application des stipulations du pacte
L'interprétation en faveur de la liaison entre les deux attendus pourrait reposer sur l'argumentation suivante : le pacte étant clair, le périmètre d'interdiction d'acquisition ne portait que sur les actions O.. Par suite, en restituant la moitié des actions irrégulièrement détenues par Véolia (soit 5 % environ) au lieu de la moitié des anciennes actions O. (3, 595 %, c'est-à-dire la moitié de 7,19 %), il n'y a pas eu réparation intégrale du préjudice mais réparation excessive.
Le principe de la répartition égalitaire des actions entre les deux actionnaires au titre de la réparation prévue par l'article 1143 devrait, ainsi, s'analyser comme issu exclusivement du pacte, thèse contractuelle, s'il en est, de l'analyse des droits des actionnaires, position qui peut aisément ressortir de l'examen de la jurisprudence.
Sur le fond, en effet, le principe de la réparation en matière d'obligation de ne pas faire est posé par l'article 1142 du Code civil qui tend à une exécution par équivalent, c'est-à-dire par le paiement de dommages et intérêts, le débiteur ne pouvant pas être contraint, matériellement, de faire ou ne pas faire quelque chose. Toutefois, ce mécanisme de réparation ne saurait qu'être analysé au regard du principe, autrement plus vivace, de la force obligatoire des contrats. L'article 1142 du Code civil a donc été rapidement interprété comme n'interdisant pas nécessairement au juge d'ordonner une exécution en nature. A l'appui de cette interprétation de l'article 1142, les dispositions de l'article 1143, ont, ici, apporté un soutien considérable à l'analyse doctrinale. Ces dernières établissent, en effet, que "le créancier [de l'obligation inexécutée] a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l'engagement, soit détruit". L'équilibre entre les deux articles serait ainsi le suivant : nul ne peut obliger à faire lorsque l'exécution pourrait constituer une contrainte morale, physique, ou une atteinte à une liberté essentielle du débiteur. En revanche, lorsque la réparation en nature est possible, c'est-à-dire, en référence à l'article 1143, elle doit être ordonnée.
Le juge du droit a ainsi établi en 2007, à l'appui d'un attendu de principe, que "la partie envers laquelle un engagement contractuel n'a point été exécuté a la faculté de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsque celle-ci est possible" (Cass. civ. 1, 16 janvier 2007, n° 06-13.983, F-P+B N° Lexbase : A6303DTM, Bull. civ. I, n° 19). Cette solution, au demeurant, avait déjà été dégagée par la cour d'appel de Paris à l'occasion de la condamnation à l'exécution forcée d'un pacte d'actionnaire (CA Paris, 25ème ch., sect. A, 21 décembre 2001, n° 2001/09384 N° Lexbase : A6171DHZ). Le juge d'appel, dans cette affaire, avait pu décider que l'exécution forcée était possible, lorsque "aucune impossibilité matérielle, juridique, ni morale, ne lui fait obstacle". Il s'agissait, ici, comme dans le cas de l'arrêt commenté, du transfert d'actions, ordonné par le juge, en réparation d'un préjudice résultant du non-respect d'un pacte d'actionnaires, ledit transfert constituant la mesure d'exécution forcée du pacte.
Ainsi éclairée, la solution donnée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 24 mai 2011 ne serait que la confirmation d'une partie de la solution dégagée par la cour d'appel de Paris : d'une part, l'exécution forcée était possible dans la limite du pacte (c'est-à-dire, en l'espèce, la cession forcée de 3,595 % des actions irrégulièrement cédées) mais l'arrêt devait être cassé en tant qu'il accordait la restitution sur 5 % des titres litigieux. Un argument de forme pourrait, au surplus, venir en soutien à cette interprétation : en faisant figurer au visa du dernier attendu la mention "ensemble" pour lier l'article 1143 et le principe de la réparation intégrale du préjudice, la Chambre commerciale aurait entendu souligner 1) que la réparation en nature était possible mais, 2) que le juge d'appel avait excédé la réparation intégrale du préjudice en attribuant davantage de titres à Sita France que n'en imposait la réparation de l'entier dommage.
B - L'hypothèse d'une réparation en nature par la remise des choses en l'état
L'argument textuel est, toutefois, à double tranchant puisque la structure de l'arrêt vient contredire cette première interprétation. En effet, l'analyse précédente suppose la simple interdépendance des deux derniers attendus, l'un imposant l'application stricte des termes du pacte, l'autre les conséquences de cette application. Or, le juge du droit a choisi de distinguer, par la rédaction de deux attendus séparés, le traitement des points de droit soulevés. Il convient, donc, de s'interroger sur la réalité du lien entre les deux séries d'arguments puisque la possibilité, offerte à la Cour, de répondre dans un seul attendu aux deux branches des troisième et quatrième moyens, n'a pas été utilisée.
Dans le cadre d'une interprétation penchant pour l'indépendance des deux attendus, l'analyse stricte des termes de l'article 1143 et de ses principales applications jurisprudentielles pourrait laisser entendre que la réparation en nature ne laisse, en matière d'inexécution de l'obligation de ne pas faire, qu'une seule possibilité : la remise en l'état antérieur. Cet article, lorsqu'il envisage la matérialité de la réparation permet, que "ce qui aurait été fait par contravention à l'engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à détruire aux dépens du débiteur" (nous soulignons). Le libellé, de la sorte, renvoie, stricto sensu, à l'anéantissement d'un ouvrage, solution que retient systématiquement la jurisprudence pour la violation des obligations non aedificandi, en matière de lotissement, (par ex. : Cass. civ. 3, 10 mai 2011, n° 10-18.663, F-D N° Lexbase : A1103HRB) ou de non respect des règles d'urbanisme (par ex. : Cass. civ. 3, 7 juin 1979, n° 78-10427, publié N° Lexbase : A4705CGD, Bull. civ. III, n° 124).
En ce sens, il convient de souligner que la réparation en nature, en relation avec les principes dégagés ci-dessus par la jurisprudence n'est aucunement remise en question. Ce n'est que la mise en oeuvre de cette réparation qui suscite des interrogations. Peut-on, en pratique, conclure que l'égalité prévue dans le protocole, doit être restaurée en attribuant la moitié des actions O., ou que la participation égalitaire dans le capital impose le retour à la situation antérieure ?
La lecture du dernier attendu ne nous offre qu'un faible éclairage sur ce point. En établissant, simplement, pour censurer la cour d'appel, que "la cession d'actions imposée [...] se traduisait par une majoration de la participation de la société Sita France", le juge du droit nous indiquerait -c'est du moins le sens que nous retiendrons- que l'augmentation de la participation est, en tant que telle, un motif de cassation, même au cas où elle résulterait de l'application de la convention.
Ceci étant posé, les conséquences potentielles de la seconde interprétation risquent d'avoir des effets funestes dans l'espèce considérée. Si, comme nous le pensons, le retour au statu quo ante devra être la solution de l'affaire, il faudra que Véolia cède à un tiers ses actions O. ou, pis encore, que la cession soit frappée de nullité, si l'on en croit les stipulations de l'avenant au protocole du 23 juillet 1999 qui prévoyait que "tout manquement à cette interdiction serait sanctionné à titre principal par la nullité de la cession ainsi réalisée". Cette conclusion ne plaiderait, alors, pas nécessairement pour l'hypothèse du renforcement du pacte d'actionnaire, dont les stipulations auraient été autrement mieux respectées si les actions O. avaient dû être partagées.
(1) Sur cet arrêt, cf. Quand la cour d'appel de Versailles renforce l'efficacité des pactes d'actionnaires - Questions à Maître Bruno Cavalié, Avocat associé, Cabinet Racine, et Antoine Hontebeyrie, Avocat associé, Cabinet Racine, Professeur agrégé des facultés de droit, Lexbase Hebdo n° 414 du 28 octobre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4362BQM)
(2) SITA est ensuite absorbée par la société Suez Environnement (Suez).
(3) Interview préc., note 1.
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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
Le 07 Juillet 2011
La décision commentée peut paraître anecdotique. Elle porte, en effet, sur la question de savoir si l'activité de tatoueur sur le corps humain peut être assimilée à la production d'oeuvre d'art et ainsi bénéficier du taux réduit de TVA fixé à 5,5 %. Cependant, on ne peut que remarquer que cette activité a connu un développement important, la réponse apportée au présent litige intéressant, dès lors, un nombre accru de contribuables.
Dans un jugement en date du 30 juin 2010, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande du contribuable tendant à la restitution d'un montant dû au titre de la TVA pour la période du 1er janvier au 30 novembre 2005. Selon le demandeur, son activité de tatoueur sur corps humain devait lui permettre de bénéficier du taux réduit de TVA en application de l'article 278 septies du CGI ([LXB=L545HLM]). En effet, les tatouages effectués devaient être considérés comme des oeuvres d'art au sens de l'article 98 A II de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L2271HM3). A l'appui de sa demande, il affirme que "le corps humain peut être légitimement utilisé comme support d'une oeuvre d'art". De plus, la distinction entre les activités soumises au taux de droit commun et celles soumises au taux réduit, car comprises comme des oeuvres d'art, ne peut être basée sur un critère artistique.
Par un arrêt du 8 octobre 1998, la cour administrative d'appel de Paris, sur ce même point de droit, avait répondu négativement et refusé au demandeur le bénéfice du taux réduit de TVA (CAA Paris, 5ème ch., 8 octobre 1998, n° 97PA00085, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8893BHT). Pour fonder leur décision, les juges d'appel avaient considéré "que même [si] les tatouages [...] [peuvent] être regardés comme des oeuvres de l'esprit, ils ne figurent pas au nombre des oeuvres énumérées" par l'article 98 A II de l'annexe III au CGI. Cette décision était contraire aux conclusions de son commissaire du Gouvernement (2), qui prenait en considération des cas d'application large des articles 278 septies du CGI et 98 A II de l'annexe III au CGI. En effet, les juges d'appel s'en sont tenus à interprétation stricte, au motif qu'il s'agissait d'un texte dérogatoire.
Le taux normal de TVA frappe tous les produits et services (CGI, art. 278). Seuls ceux qui sont limitativement énumérés par les articles 278 bis (N° Lexbase : L0685IP3) et suivants du CGI peuvent bénéficier du taux réduit de TVA. La question qui se pose n'est pas de savoir si le tatouage est ou non une oeuvre d'art en tant que telle dotée d'une valeur esthétique, mais s'il est compris dans la liste limitative des oeuvres d'art de l'article 98 A II de l'annexe III au CGI. Cette solution avait été aussi reprise et cette décision citée dans une réponse ministérielle (3).
Dans l'affaire commentée, les juges d'appel s'appuient aussi sur le principe d'application stricte des dérogations au droit commun. Par ailleurs, cette décision vient préciser un second élément sur la nature de l'activité de tatoueur sur corps humain. Selon cet arrêt "le corps humain ne constitue pas un support susceptible de donner lieu à une livraison de biens ; [...] par suite, la réalisation de tatouage constitue non pas une livraison' d'oeuvre d'art mais une prestation de services relevant du taux normal de la TVA". On peut en déduire, a contrario, que l'oeuvre d'art ne peut être qu'une livraison de bien, indépendamment de tout critère artistique quant à la nature de l'oeuvre ou la qualité de l'artiste. A l'appui de cette motivation, il faut noter que la liste limitative de l'article 98 A II de l'annexe III au CGI ne comprend que des biens meubles corporels.
Selon une définition couramment admise, la société holding a "pour objet de prendre des participations et d'assurer le contrôle et la direction des sociétés dont elle détient toute ou partie des actions" (4). De manière classique, il est d'usage de distinguer les holdings dites "pures", qui gèrent exclusivement un portefeuille de titres de participations, des holdings dites "mixtes" qui, non seulement ont une activité de gestion de leurs participations, mais aussi une activité industrielle ou commerciale leur procurant des revenus différents de ceux émanant de la gestion de leurs participations (5).
S'agissant de la première catégorie, aux termes de l'arrêt "Polysar Investments Netherlands BV" de la CJCE du 20 juin 1991 (6) (CJCE, 20 juin 1991, aff. C-60/90 N° Lexbase : A7267AHM), "la simple acquisition et la simple détention de parts sociales [n'est pas] considérée comme une activité économique au sens de la 6ème Directive-TVA [Directive (CE) 77/388 du Conseil du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9], conférant à son auteur la qualité d'assujetti" (7). Cette solution est fondée sur l'absence de lien entre le montant des dividendes qui résulte de la propriété du bien et d'une activité économique. En revanche, quant à la seconde catégorie, cette même décision a énoncé "qu'il en va différemment lorsque la participation est accompagnée d'une immixtion directe ou indirecte dans la gestion des sociétés où s'est opérée la prise de participation" (8) ; l'immixtion d'une société holding dans la gestion de ses filiales constituant donc une activité économique.
Ce bref rappel de la situation jurisprudentielle actuelle permet d'inscrire la décision commentée dans une perspective plus large. En l'espèce, la société intégrante du groupe de sociétés ayant opté pour l'intégration fiscale a conclu, avec l'ensemble de ses filiales, "dans lesquelles elle détient des participations à l'essentiel à 100 %, des conventions de gestion, d'assistance administrative, technique et comptable". Dans un jugement du 27 novembre 2009, le tribunal administratif de Paris avait rejeté la demande de la société visant à obtenir la réduction de rappels de TVA pour l'année 2002.
La décision rendue en appel est venue infirmer la position des juges du tribunal administratif. Dans son premier considérant, l'arrêt reprend la définition de l'activité économique imposable à la TVA au sens des paragraphes 1 et 2 de l'article 4 de la 6ème Directive-TVA du 17 mai 1977, dans le cas de l'immixtion directe ou indirecte. Si l'arrêt "Polysar Investments Netherlands BV" avait distingué le cas de la simple gestion de prise de participations de celui de l'immixtion par la société holdings dans les filiales, néanmoins les juges communautaires n'avaient pas, pour autant, défini en quoi consistait l'immixtion (9).
Des précisions ont été apportées, d'une part par une ordonnance de la CJCE/CJUE du 12 juillet 2001 (CJCE, 12 juillet 2001, aff. C-102/00 N° Lexbase : A2995AUH), selon cette décision "l'immixtion d'une holding dans la gestion de ses filiales constitue une activité économique au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la 6ème Directive-TVA uniquement dans la mesure où elle implique la mise en oeuvre de transactions soumises à la TVA en vertu de l'article 2 de cette Directive" (10). D'autre part, dans la décision "Floridienne SA et Berginvest SA" (CJCE, 14 novembre 2000, aff. C-142/99 N° Lexbase : A2001AIX), tout en confirmant la jurisprudence "Polysar", les juges de la CJUE ont estimé que l'immixtion est une activité économique au sens de la 6ème Directive-TVA "dans la mesure où elle implique la mise en oeuvre de transactions soumises à la TVA, telles que la fourniture de services administratifs, comptables et informatiques" (11).
Or, précisément, dans le troisième considérant de la décision commentée, la cour administrative d'appel rappelle que la société intégrante a conclu avec ses filiales des "des conventions de gestion, d'assistance administrative, techniques et comptables à l'origine des prestations de services soumises à la TVA". En conséquence, sa décision peut être comprise comme une application de la solution jurisprudentielle dégagée par la CJCE/CJUE dans les arrêts précédemment cités. Selon la 1ère Directive-TVA du 11 avril 1967 (12) "un système de TVA atteint sa plus grande simplicité et sa plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue d'une manière aussi générale que possible". Néanmoins, toute activité n'est pas nécessairement économique, elle doit être effectuée en fonction d'un "objectif d'entreprise" (13). L'immixtion d'une société tête de groupe dans la gestion de ses filiales par le biais d'opérations soumises à la TVA entraîne l'imposition de ces dernières et l'application du droit à déduction qui en résulte. Cette solution est conforme à l'objectif assigné à la TVA de frapper le plus grand nombre d'opérations en vue d'atteindre une neutralité certaine.
La notion même de "TVA non perçue récupérable" (14) peu paraître paradoxale, n'ayant pas été perçue, on peut s'interroger sur la récupération de ladite TVA. Cette possibilité n'est réservée qu'aux contribuables des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. Ce mécanisme consiste à autoriser l'importateur de certains biens à déduire une TVA qu'il n'a pas acquittée grâce à l'application de mesures d'exonération. Ce système est analogue à celui applicable à l'exportateur qui peut bénéficier du droit à déduction pour des opérations exonérées : les exportations.
Ce système dérogatoire a pour objectif de réduire les surcoûts liés à l'éloignement et à la petite taille des marchés, en minorant le prix de vente au consommateur final. Pour donner plein effet à cet avantage fiscal, les entreprises assujetties à la TVA sont autorisées à déduire la TVA non payée ou "non perçue récupérable" sur les achats exonérés qu'elles transforment ou immobilisent (investissements). Cette disposition fonctionne comme une subvention de l'Etat aux entreprises, à charge pour celles-ci de répercuter cet avantage sur leurs clients, au moyen d'une réduction du prix de vente (15).
Ce régime dérogatoire résulte d'un décret du 13 février 1952 (16) qui exonérait certains produits importés dans les départements d'outre-mer (DOM). Dans une décision ministérielle du 2 novembre 1953 (17), il était énoncé que la taxe non acquittée devait cependant être considérée comme payée et pouvait être déduite des taxes sur le chiffre d'affaires dont l'agent économique était redevable. Cette dérogation a perduré avec la mise en oeuvre de la TVA grâce à différentes prises de position de l'administration (18). On a pu se poser la question de la valeur juridique de ce mécanisme qui n'était pas issu de la loi (19). Cependant, depuis la loi pour le développement économique des outre-mer (20), l'article 30 de ce texte (21) a procédé à la légalisation et à l'aménagement du système de "TVA non perçue récupérable" (22), à compter du 1er juin 2009.
Cette décision présente deux aspects très intéressants. D'un point de vue pratique, le nombre de litiges relatif au point de droit abordé est conséquent, une vingtaine d'affaires ont été jugées. Au plan juridique, il faut noter la rareté de la jurisprudence relative à la "TVA non perçue récupérable" car ce mécanisme, très favorable aux contribuables, n'est peu ou pas l'objet de contestations.
En l'espèce, une société avait acquis, le 30 octobre 2006, un véhicule automobile dont les caractéristiques permettaient de déterminer qu'il relevait de la catégorie des véhicules à usage mixte. Ce véhicule était destiné à la location. Sur la facture d'acquisition était mentionnée que la TVA est "non perçue récupérable", cependant le prix HT était identique au prix TTC ce qui impliquait que ce prix n'avait pas été majoré de la TVA.
Antérieurement, par une ordonnance en date du 18 février 2010, rendue sur le fondement de l'article R. 222-1-7 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2818HWB), le président du tribunal administratif de Fort-de-France avait rejeté la demande de la société afin de se voir rembourser la "TVA non perçue récupérable" figurant sur la facture d'acquisition du véhicule. Pour faire appel, la société se fonde sur deux arguments. D'une part, selon elle, le délai de recours de l'article R. 199-1 du LPF (N° Lexbase : L6054AEX) n'était pas terminé à la date à laquelle a été enregistrée sa demande devant le tribunal administratif. En conséquence, la condition de l'expiration du délai de recours contentieux énoncée à l'article R. 222-1-7 du CJA n'était pas remplie. D'autre part, et c'est l'argument principal, le paiement de la TVA ne constitue pas une condition de sa déductibilité, dès lors que la mention "TVA non perçue récupérable" apparaît sur la facture d'acquisition du bien. Alors que, pour l'administration fiscale, la société ne peut se prévaloir de l'exonération de TVA telle qu'elle découle des articles 295-1-5 du CGI (N° Lexbase : L5252IMH) et de l'article 50 duodecies de l'annexe IV au même code (N° Lexbase : L8907HK4). Par ailleurs, la seule mention de la "TVA non perçue récupérable" ne suffit pas à lui ouvrir le droit à déduction.
La cour administrative d'appel de Bordeaux n'a accueilli aucun des arguments de la société. Sur la régularité de l'ordonnance, les juges d'appel constatent que la société avait connaissance de la décision de rejet de sa réclamation, et, ainsi, expirait le délai du recours contentieux de l'article R. 199-1 du LPF (N° Lexbase : L6054AEX). Dès lors, la condition de l'expiration du délai de recours, requise pour l'application de l'article R. 222-1-7 du CJA était remplie. Quant au problème de droit relatif à la "TVA non perçue récupérable", la seule mention de cette TVA n'a pas pour effet de permettre l'application de l'article 271 du CGI (N° Lexbase : L3203HZN). Par ailleurs, aux termes de l'article 237 de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L0913HN7) (23), les véhicules à usage mixte n'ouvrent pas droit à déduction. Cette exclusion du droit à déduction ne s'applique pas en application de l'article 242 de la même annexe (N° Lexbase : L0924HNK) (24), dans l'hypothèse où le bien est donné en location, à condition que cette location soit soumise à TVA. La cour administrative d'appel en déduit que "la loi fiscale ne permet pas d'imputer une taxe d'amont décomptée fictivement sur le prix d'une opération, quand bien même cette imputation est faite par un assujetti au titre de ses opérations imposables et que la mention de la taxe fictive est portée sur la facture dont il est le destinataire".
Le mécanisme de la "TVA non perçue récupérable" est complexe. Jusqu'au 1er juin 2009, il était, par ailleurs, dépourvu de réelle base légale, le CGI ne contenant aucun dispositif relatif à la TVA fictive (25). Cependant, cette légalisation ne rendra pas le régime plus simple. L'affaire commentée permet de mettre en lumière les difficultés de la mise en oeuvre de ce système dérogatoire.
(1) Arnaud Moraine, TVA fictive : quel avenir pour un OVNI fiscal ? DF, 2008, n° 19, comm. 311, pp. 6-10.
(2) V. Haïm, Conclusions sous CAA, 8 octobre 1998, n° 97PA00085 (N° Lexbase : A8893BHT) et 97PA00086 (N° Lexbase : A8894BHU), inédits au recueil Lebon, DF, 1999, n° 13, comm. 267.
(3) QE n° 31596 de M. Marlin Franck, JOANQ 13 janvier 2004 p. 208, réponse publ. 23 mars 2004, p. 2315, 12ème législature (N° Lexbase : L4318DPM).
(4) Sous la direction de Gérard Cornu, Dictionnaire juridique, PUF, Collection Quadrige, 8ème édition, 986 pages, p. 458.
(5) Maurice-Christian Bergerès et Michel Guichard, Les holdings mixtes et la TVA, DF, 2003, n° 5, p. 203 à 210.
(6) Recueil CJCE, I, p. 3133 ; DF, 1991, n° 41, comm. 1911, note Emmanuel Kornprobst ; RJF, 1991, n° 1324.
(7) CJCE, 20 juin 1991, aff. C-60/90, point 13.
(8) CJCE, 20 juin 1991, aff. C-60/90, point 14.
(9) Alexandre Daniel-Thezard, TVA : du nouveau à propos de la notion d'activité économique, DF, 2001, n° 19-20, pp. 781-785, § 25.
(10) CJCE, 12 juillet 2001, aff. C-102/00, point 18.
(11) CJCE, 14 novembre 2000, aff. C-142/99, point 19, DF, 2001, n° 3, comm. 21, note Philippe Derouin.
(12) Directive (CE) 67/227 du Conseil du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (N° Lexbase : L7913AUM).
(13) CJCE, 14 novembre 2000, aff. C-142/99, op. cit..
(14) Elle est aussi appelée "TVA fictive".
(15) Inspection générale de l'administration - rapport d'activité 2007.
(16) Décret n° 52-152 du 13 février 1952, pris en exécution de l'article 6 de la loi 551506 du 31 décembre 1951, arrêtant les dispositions financières transitoires applicables à l'exercice 1952 (N° Lexbase : L6941IQ7), JO 14 février 1952, p. 1901.
(17) Citée par Mireille Marteau-Petit, Une spécificité fiscale de la Réunion, la TVA non perçue, DF, 2002, n° 49, p. 1618-1624.
(18) Mireille Marteau-Petit, op. cit., p. 1619.
(19) Mireille Marteau-Petit, op. cit., p. 1619.
(20) Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, pour le développement économique des outre-mer (N° Lexbase : L2921IEW) ; DF, 2009, n° 36, comm. 436 et suivants.
(21) Codifié sous l'article 295 A du CGI (N° Lexbase : L3018IEI).
(22) DF, 2009, n° 36, comm. 443.
(23) Abrogé depuis le 1er janvier 2008, il faut à présent se référer à l'article 206 de cette même annexe (N° Lexbase : L4430IQ7).
(24) Abrogé depuis le 1er janvier 2008.
(25) Arnaud Moraine, op. cit., p. 7.
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Réf. : Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5499HU9)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
Le 07 Juillet 2011
Résumé
Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles. Les Etats membres de l'Union européenne ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. |
Commentaire
I - Forfaits-jours : contrôle des garanties conventionnelles renforcé
La convention de forfait "est l'accord par lequel un employeur et un salarié conviennent d'une rémunération globale pour l'ensemble des heures de travail à effectuer, sans distinguer heures normales et heures supplémentaires" (2). Créées par la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 N° Lexbase : L0988AH3) et remodelées par la loi du 20 août 2008 (3), les conventions de forfait-jours sur l'année constituent un mode très particulier d'aménagement du temps de travail dont on a longtemps enseigné qu'il abolissait la quasi-totalité des limites relatives au temps de travail comptabilisé en heures (4). Le salarié qui accepte un forfait en jours s'engage, en effet, à travailler un certain nombre de jours par année, nombre qui ne doit pas excéder une limite fixée par accord collectif et qui ne peut en principe dépasser le seuil de 218 jours par an imposé par l'article L. 3121-44 du Code du travail (N° Lexbase : L3857IBH) (5).
Le principe et les modalités de conclusion des conventions de forfait-jours avec les salariés de l'entreprise doivent être établis par voie d'accord collectif (6) d'entreprise ou, à défaut, par accord collectif de branche (7). Seuls peuvent conclure une convention de forfait-jours sur l'année, "les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés" ou "les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées" (8).
Qui connaît, dans son entourage, des salariés au forfait-jours peut en témoigner : ces salariés travaillent beaucoup. S'agissant le plus souvent de salariés dont les responsabilités et l'autonomie dans l'entreprise sont réellement importantes, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils travaillent davantage que la majorité des autres salariés de l'entreprise. Cependant, les limites horaires déduites, par la négative, des temps de repos obligatoires, peuvent mener ces salariés à travailler 13 heures par jour et 78 heures par semaine. A un tel stade, les risques d'altération de la santé du salarié sont importants, à tel point que plusieurs fois déjà, le système du forfait-jours a fait l'objet de contestations devant différentes instances.
C'est, d'abord, le Comité européen des droits sociaux, organe du Conseil de l'Europe, qui fut saisi de la question des conventions de forfait-jours sur l'année. Dès 2001, une requête fut introduite contre le régime établi par la loi "Aubry II" sur le fondement de l'article 2 § 1 de la Charte sociale européenne révisée (9). Constatant que le salarié pouvait être amené à travailler 78 heures par semaine, le comité jugea "qu'une telle durée est manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable au sens de l'article 2 paragraphe 1 de la Charte sociale révisée" (10). Cette position fut plusieurs fois réitérée par le comité sans que la France ne tienne compte de ces décisions et ne modifie les règles des conventions de forfait-jours à l'année (11).
Ce fut encore le cas, en 2005, à l'occasion d'une loi qui étendait la faculté de conclure des forfaits-jours avec des salariés non-cadres (12). Ce texte fit l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel sur le fondement, notamment, de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L1356A94) (13). Le Conseil jugea qu'il était loisible au législateur d'étendre à des salariés non cadres le régime du forfait en jours "sous réserve de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives au droit à la santé et au droit au repos de ces salariés" et conclut à la conformité du texte à la Constitution.
En revanche, la Cour de justice de l'Union européenne n'a jamais eu l'occasion de se prononcer sur la conformité du système des forfait-jours aux Directives relatives à l'aménagement du temps de travail et, en particulier, à la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM). L'article 17 § 1 de cette Directive ouvre, il est vrai, la faculté pour les Etats membres de déroger aux durées maximales qu'elle établit lorsque "la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l'activité exercée, n'est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes, et notamment lorsqu'il s'agit de cadres dirigeants ou d'autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome". En parallèle, l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) dispose cependant que le "travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu'à une période annuelle de congés payés", règle qui semble s'opposer à la validité de convention de forfait-jours imposant des durées de travail trop élevées.
Un salarié avait été engagé en 2001 en qualité de cadre autonome comme responsable commercial sur une zone internationale. Son contrat de travail comportait une convention de forfait en jours telle que prévue à l'accord sur l'organisation du travail du 28 juillet 1998 conclu dans la branche de la métallurgie. Après avoir démissionné, le salarié saisit la juridiction prud'homale en invoquant des insuffisances de l'employeur quant au contrôle du nombre de jours travaillés ou de suivi de son organisation et de sa charge de travail, en conséquence desquelles il estimait ne pas avoir perçu toutes les sommes auxquelles il pouvait prétendre au titre de l'exécution de son contrat de travail.
La cour d'appel de Caen débouta le salarié de ses demandes portant sur le paiement d'heures supplémentaires et sur la qualification de travail dissimulé. Le raisonnement des juges du fond était relativement simple : le salarié, cadre jouissant d'une large autonomie dans la gestion et l'organisation de son temps de travail, avait accepté une convention de forfait conforme à l'accord collectif applicable à l'entreprise en matière d'aménagement du temps de travail ; or, la conclusion d'un forfait en jours exclut la rémunération de toute heure supplémentaire. Par conséquent, la référence dans les bulletins de paie à un horaire de 151,67 heures de travail par mois et les insuffisances de l'employeur en matière de contrôle du nombre de jours travaillés ou en suivi de l'organisation et de la charge de travail, à les supposer établies, n'étaient pas de nature à remettre en cause la convention de forfait fixé en jours. Les juges concluaient que "cette convention exclut les dispositions sur la durée légale du travail, les heures supplémentaires et des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail et donc un décompte de la durée du travail en heures".
Cette décision est cassée par un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 juin 2011 (14). L'arrêt est paré de tous les atours qui font les grandes décisions. Il fait l'objet d'une publicité maximale puisqu'il s'agit d'un arrêt P+B+R+I accompagné d'un communiqué de presse sur le site de la Cour de cassation. Le visa est très impressionnant, par sa taille comme par sa consistance. Outre l'article L. 3121-45 du Code du travail (N° Lexbase : L0340H9H) dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 et interprété à la lumière de deux Directives de l'Union européenne et d'un article de la Charte des droits fondamentaux de l'Union (15), sont également visés l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L3625IEY) et, enfin, l'article 14 de l'accord du 28 juillet 1998 étendu sur l'organisation du travail dans la métallurgie.
L'arrêt comporte pas moins de quatre chapeaux de tête ! La Chambre sociale énonce, d'abord, "que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles". Elle continue, ensuite, en disposant "qu'il résulte des articles susvisés des Directives de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur". La Haute juridiction poursuit en énonçant "que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires". Elle reprend, enfin, par un dernier chapeau, les dispositions de l'article 14 de l'accord du 28 juillet 1998 étendu sur l'organisation du travail dans la métallurgie aux termes duquel "le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés, afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises", "l'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail", lequel document "peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur". Elle relève, encore, que l'accord précise "que le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail", que "le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité" et, surtout, "que cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé". Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Chambre sociale ne s'est pas imposée d'imperatoria brevitas comme elle a pourtant l'habitude de le faire !
En définitive, la Chambre sociale conclut "que les stipulations de l'accord collectif du 28 juillet 1998 dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours n'avaient pas été observées par l'employeur, ce dont elle aurait dû déduire que la convention de forfait en jours était privée d'effet et que le salarié pouvait prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont elle devait vérifier l'existence et le nombre, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
II - Forfaits-jours : un compromis entre validité de principe et inefficacité à titre particulier
Le raisonnement de la Chambre sociale, repris par le communiqué de presse, est limpide. Les conventions de forfait-jours doivent garantir le droit au repos des salariés. C'est à l'accord collectif de travail de traduire concrètement cette exigence de protection de la santé du salarié. Or, l'accord collectif du 28 juillet 1998 comportait des dispositions suffisamment protectrices, en conséquence de quoi les conventions de forfait conclues par application de cet accord sont valables. Cependant, si l'employeur ne respecte pas les obligations imposées par l'accord, la sauvegarde de la santé du salarié n'est pas garantie et, dans ce cas, la convention de forfait est privée d'effets, si bien que l'employeur est tenu de rémunérer les horaires effectués par le salarié selon un mode de calcul classique, sans tenir compte donc de la convention de forfait. En revanche, comme l'explique le communiqué de presse, la décision "ne remet pas en cause la validité du système du forfait-jours" comme, pourtant, certains auteurs l'avaient envisagé (16).
Tous les éléments semblaient, en effet, réunis pour que la Chambre sociale juge le régime français des conventions de forfait-jours contraire à la Charte sociale européenne révisée. Par une décision très remarquée, la Cour de cassation avait confronté la réforme de la représentativité syndicale issue de la loi du 20 août 2008 à différents textes internationaux parmi lesquels figuraient les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée (17). Quoiqu'il ne s'agissait pas d'une décision de censure, l'applicabilité directe de ce Traité international semblait avérée, même si l'on sait que la Haute juridiction réserve parfois un sort différent aux diverses dispositions d'une Convention internationale selon leur faculté à être ou non applicables directement.
Il semble qu'aucun moyen tiré de la conformité du dispositif à la Charte sociale européenne n'ait été soulevé (18). Cependant, si d'aventure la Cour de cassation avait souhaité faire application de ce texte et juger les conventions de forfait-jours non conformes à ses dispositions, divers instruments lui étaient offerts tels que le moyen soulevé d'office (19) ou le recours à un obiter dictum (20). A nouveau, le communiqué de presse en atteste, la Chambre sociale n'avait nullement l'intention d'écarter de manière générale les dispositions légales relatives aux conventions de forfait (21).
L'arrêt marque finalement un choix très clair entre respect du droit de l'Union européenne et conformité à la Charte sociale européenne révisée. L'invocation de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union et des différentes Directives relatives à l'aménagement du temps de travail marquent un choix sans ambiguïté. Il existait, en effet, un conflit latent entre droit de l'Union, d'une part, et droit européen, d'autre part. Le Comité européen des droits sociaux avait tenté, tant bien que mal, de concilier les positions du droit de l'Union et les dispositions de la Charte (22). La Chambre sociale ne s'embarrasse donc pas de cette conciliation et fait application des règles du droit de l'Union dont, pour l'essentiel, la faculté d'opt-out valide le principe des conventions de forfait en jours.
L'arrêt comporte cependant une avancée qui constitue un revirement de jurisprudence, revirement lui aussi souligné par le communiqué de presse. La violation par l'employeur des obligations conventionnelles rend inefficace la convention de forfait. La Haute juridiction ne se contente donc plus de prévoir une indemnisation pour le salarié victime (23) et va beaucoup plus loin puisque les heures effectuées au-delà de la durée légale seront rémunérées comme des heures supplémentaires lorsque l'employeur ne respectera pas les obligations prévues par l'accord collectif encadrant les conventions de forfait en jours.
Dit autrement, si la Chambre sociale refuse de censurer le système des forfait-jours de manière générale, elle ne rechigne plus à invalider de manière particulière une convention non conforme aux règles légales et, surtout, aux règles conventionnelles.
La décision commentée tente donc, tout en nuance, de trouver un compromis entre validité de principe des conventions de forfait-jours et interprétation finalement restrictive des conditions de leur validité et, surtout, des conséquences de leur irrégularité. Bien sûr, on ne pourra pas s'empêcher de penser qu'il s'agit d'une décision opportuniste, au moins pour deux raisons. D'abord, parce que la Chambre sociale fait logiquement le choix d'appliquer les textes internationaux dont la normativité est mieux assurée. Si la Charte sociale européenne a la valeur d'un Traité au même titre que les Traités de l'Union, les décisions du CEDS sont, en revanche, d'une faible coercitivité. La décision est opportuniste, ensuite, car la censure automatique des conventions de forfait aurait certainement eu des effets ravageurs sur le budget des entreprises concernées.
Reste finalement à se demander si la conformité des conventions de forfait en jours pourra encore être remise en cause. Ni le législateur français, ni la Cour de cassation ne semblent décidés à se plier aux (faibles) injonctions du Comité européen des droits sociaux. Pour autant, d'autres évolutions pourraient survenir du côté, cette fois, du droit de l'Union européenne.
D'abord que parce nul ne peut prédire quelle position adopterait la Cour de justice de l'Union européenne sur ce sujet puisqu'elle estime que la limite maximale de 48 heures prévue par la Directive 2003/88 "constitue une règle de droit social communautaire revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale destinée à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé" (24). Ensuite, et surtout, parce que le processus de révision de la Directive 2003/88 est toujours en cours et que le Parlement européen a clairement exprimé sa volonté de voir disparaître les clauses d'opt-out. Si une telle issue devait survenir, plus rien ne permettrait à la Chambre sociale de maintenir les conventions de forfait-jours...
(1) Elle a d'ailleurs été remarquée par les quotidiens nationaux, v. par ex. Le monde.
(2) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 25ème édition, 2010, p. 801.
(3) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail et nos obs., Articles 18 et 19 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : les heures supplémentaires et les conventions de forfait, Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1808BHG).
(4) Seules les exigences d'un repos quotidien de onze heures consécutives et de repos hebdomadaire de trente-cinq heures consécutives s'imposent, v. A. Teissier, Le droit de la durée du travail des cadres au forfait en jours, JCP éd. E, 2002, 1684. Comme le relèvent certains auteurs, ces limites peuvent mener le salarié au forfait-jours à l'année à travailler treize heures par jours et 78 heures par semaine... J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, préc., p. 804, note 2.
(5) En réalité, cette limite peut être portée à 235 jours puisque les salariés peuvent renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de leur salaire, v. C. trav., art. L. 3121-45 (N° Lexbase : L3952IBY).
(6) L'article L. 3121-39 du Code du travail (N° Lexbase : L3942IBM) impose la conclusion d'un accord collectif préalable pour la mise en place de conventions de forfait en jours ou en heures sur l'année.
(7) La Chambre sociale opère un contrôle autoritaire et strict sur le contenu de ces accords collectifs, v. Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.876, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2447DZN) et les obs. de G. Auzero, Le forfait jours sous la surveillance de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 281 du 15 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0155BD4). Adde. H. Gosselin, Le contrôle du juge sur le forfait-jours, SSL, 2007, n° 1327 ; D., 2007, AJ, p. 2876, obs. L. Perrin ; RDT, 2008, p. 110, obs. M. Véricel.
(8) C. trav., art. L. 31231-43 (N° Lexbase : L3869IBW]. Là encore, le contrôle de la Chambre sociale est très étroit, v. Cass. soc., 26 mars 2008, n° 06-45.990, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6062D7N) et les obs. de G. Auzero, Les conventions individuelles de forfait dans le collimateur de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 300 du 10 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6557BEL).
(9) Lequel article dispose que les Etats parties s'engagent "à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l'augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent".
(10) CEDS, 16 novembre 2001, RJS, 2002, p. 513, obs. J.-Ph. Lhernould ; Gaz. pal., 1er août 2002, p. 5 s., note Ch. Pettiti.
(11) CEDS, 12 octobre 2004, RJS, 2005, p. 512, obs. J.-Ph. Lhernould ; CEDS, 23 juin 2010, Réclamation n° 55/2009. Pour un bilan de la question, v. J.-F. Akandji-Kombé, Réflexions sur l'efficacité de la Charte sociale européenne : à propos de la décision du Comité européen des droits sociaux du 23 juin 2010, RDT, 2011, p. 233 ; S. Laulome, L'enchevêtrement des sources internationales du droit du travail : à propos des décisions du Comité européen des droits sociaux du 23 juin 2010, RDT, 2011 p. 298 ; M. Miné, Le droit du temps de travail à la lumière de la Charte sociale européenne, SSL, 2011, n° 1475, p. 7.
(12) Loi n° 2005-882, 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises, art. 95 (N° Lexbase : L7582HEK).
(13) Cons. const., décision n° 2005-523 DC, du 29 juillet 2005, Loi en faveur des petites et moyennes entreprise, cons. 6 (N° Lexbase : A1644DK4).
(14) Outre une question de recevabilité du pourvoi formé par le MEDEF, la Chambre sociale statue sur deux moyens. Seul le premier sera étudié, le second moyen relatif à la modification de la rémunération du salarié paraissant plus anodin.
(15) Art. 17 § 1 et § 4 de la Directive 1993/104 CE du Conseil du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : L7793AU8) ; art. 17 §1 et art. 19 de la Directive 2003/88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM) ; art. 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
(16) V. notamment S. Laulome, préc. ; J.- F. Akandji-Kombé, préc..
(17) Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9) et les obs. de G. Auzero, La réforme du droit de la représentativité déclarée conforme au droit international, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mai 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0570BPS).
(18) V. les moyens annexés à l'arrêt.
(19) Technique dont elle avait déjà fait usage pour contrôler les accords collectifs encadrant les forfait-jours, cf. supra, note 7.
(20) Sur cette technique, v. L'obiter dictum de la Cour de cassation, RTD civ., 2011, p. 45.
(21) La même posture avait déjà été adoptée par certaines juridictions du fond, v. par ex. CA Versailles, 5ème ch., 20 mai 2010, n° 09/01765 (N° Lexbase : A0650EYQ).
(22) Pour un exposé d'une grande clarté, v. S. Laulom, préc..
(23) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-43.201, FS-P+B (N° Lexbase : A3058EQC) ; Cass. soc., 7 décembre 2010, n° 09-40.750, FS-D (N° Lexbase : A9089GML).
(24) CJCE, 5 octobre 2004, aff. C-397/01 (N° Lexbase : A5431DDI), spéc. pt. 100.
Décision
Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5499HU9) Cassation, CA Caen, 18 septembre 2009 Textes visés : C. proc. civ., art. 327 (N° Lexbase : L1999H4S) et art. 330 (N° Lexbase : L2007H44) ; Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, al. 11 (N° Lexbase : L6821BH4) ; Traité sur le fonctionnement de l'UE (N° Lexbase : L3625IEY) ; C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et art. L. 3121-45 (N° Lexbase : L0340H9H) dans rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993/104 CE du Conseil du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : L7793AU8), des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la Directive 2003/88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM)) et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L3625IEY). Mots-clés : conventions de forfait, forfait en jours, droit à la santé, droit au repos, garanties conventionnelles, Inefficacité de la convention de forfait Liens Base : (N° Lexbase : E0542ETA) |
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