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N5102BRE
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
D'abord, un Etat membre peut, dans certaines conditions, interdire la retransmission exclusive de l'ensemble des matchs du championnat du monde ou d'Europe de football sur une télévision payante, en vue d'assurer la possibilité pour son public de suivre ces évènements sur une télévision à accès libre. En effet, lorsque ces compétitions sont, dans leur intégralité, d'une importance majeure pour la société, cette restriction de la liberté de prestation des services et d'établissement est justifiée par le droit à l'information et par la nécessité d'assurer un large accès du public aux retransmissions télévisées de ces événements. L'analyse des juges communautaires est empreinte d'un froid réalisme quant à la place du football dans les sociétés occidentales et européennes en particulier. Est-il utile de rappeler qu'avec les jeux olympiques, les coupes du monde ou européenne de football sont les évènements quasi-planétaires les plus suivis par l'humanité. Quelques 40 milliards de téléspectateurs cumulés pour la coupe du monde de football de 1998, près de 43 milliards pour celle de 2002 ; et le nombre va, bien entendu, croissant. Par conséquent, l'administration de la preuve de l'intérêt général que constitue la retransmission des matchs de football des compétitions internationales les plus prestigieuses est assez aisée. Quant à l'importance majeure de ces évènements sportifs, elle est démontrée, chaque jour, par l'engouement des cinq continents pour le sport en lui-même -le football est le sport regroupant le plus de licenciés au monde-, et par l'impact économique et social du "ballon rond" dans la promotion de l'image d'un pays -l'Afrique du Sud pour ce qui est de la dernière coupe du monde en date-, de son savoir faire -l'élaboration des infrastructures modernes fut un enjeu majeur pour la France à la veille de sa coupe du monde de 1998-, de l'intégration sociale -de la France "black-blanc-beur", aux favelas de Rio-. Et, c'est bien parce que le football est aussi répandu que la religion sur terre, que le Politique, administrateur de la cité, ne pouvait que se préoccuper de la manière dont les masses pouvaient avoir accès à ce spectacle hautement populaire, à cet autre opium des peuples. Aussi, lorsque l'Union européenne valide la législation de plusieurs Etats membres qui, pour deux d'entre eux (l'Allemagne et la Grande Bretagne), sont deux grandes Nations du football, et pour le dernier (la Belgique) est à la recherche d'un divertissement populaire capable de reléguer sa crise gouvernementale sans précédent au second plan, elle permet l'ouverture de la retransmission des matchs d'importance au plus grand nombre de spectateurs, et les technocrates européens, si souvent taxés d'éloignement, se rapprochent, à cette occasion, significativement des peuples ainsi administrés.
Ensuite, ces décisions du 17 février 2011 marquent, certainement, une nouvelle étape de tension entre les instances du football et les chaînes de télévision. Cette tension est inhérente au couple footballo-télévisuel, tant, à vrai dire, les relations ne furent que rarement au beau fixe. Ernest Chamond ne s'était pas trompé, lorsqu'en 1927, il prévoyait que le football serait le plus grand spectacle télévisé -rappelons que la télévision n'est véritablement née qu'en 1932-. Et, si la première retransmission sportive n'est pas un match de football, mais les jeux olympiques de Berlin, en 1936, de triste mémoire, le ballon rond a immédiatement emboîté le pas en novembre 1936, par une rencontre Allemagne-Italie. Et, tant que Wembley regroupait 100 000 spectateurs, pour une finale de FA challenge cup, contre 10 000 téléspectateurs, en 1938, la question des droits de retransmission n'était pas vraiment à l'ordre du jour. Ce n'est qu'au milieu des années 50 que les clubs prennent alors conscience de l'attrait des téléspectateurs pour le football et y voient, dans un premier temps, une concurrence à la billetterie des stades. Résultat impensable de nos jours : les stades sont fermés aux caméras, les chaînes de télévisions font le blocus de l'information footballistique, jusqu'à ce que les chaînes de télévision acceptent... de dédommager les clubs. Et, le système, avec des hauts et des bas, perdurera jusqu'au début des années 80 et l'apparition... des télévisions payantes. Ces chaînes ont à leur tête des dirigeants qui comprennent que pour engranger rapidement des abonnés, il leur faut une plus-value télévisuelle d'importance et fédérative : le football réunit ses attraits, alors que, dans le même temps, les clubs sont à la recherche de financements de plus en plus importants, dans une course effrénée à l'acquisition des meilleurs joueurs mondiaux. Il s'agissait, dès lors, pour les chaînes payantes d'emporter les droits de retransmission, si possible exclusifs, des plus belles compétitions, des meilleurs championnats. Et, si en 1990, les droits télévisuels de la coupe du monde s'élèvent à 90 millions de francs suisses, ceux de 2006 se sont élevés à 1,5 milliards de francs suisses (la FIFA, organisme collecteur, étant basée à Zurich). En brisant les ailes de l'exclusivité de la retransmission des matchs des plus importantes compétitions, l'Union européenne autorise les Etats membres à assurer un "service public" de l'accès au football à leurs populations, et pourrait bien tempérer l'envolée progressive du montant des droits. En effet, quelle chaîne de télévision payante ferait de la surenchère pour acquérir des droits de retransmission non exclusifs, au risque que les matchs soient suivis majoritairement sur une chaîne en accès libre -à l'exemple de la finale de la coupe du monde de 1998, vue par 21 millions de téléspectateurs sur TF1 et 3 millions sur Canal+- ? A l'heure où la principale chaîne payante française promet, déjà, une baisse de son offre pour l'acquisition des droits de retransmission, certes du championnat français, la dernière jurisprudence européenne donne ainsi de l'eau à son moulin...
Enfin, la deuxième salve ne devrait pas tarder à être tirée : la Cour de justice pourrait bien interdire l'exclusivité de la retransmission des matchs dans un pays et autoriser, en l'espèce, cette tenancière d'un pub anglais à proposer, à ses habitués de la pinte, de regarder le championnat anglais via une chaîne de télévision... grecque. En effet, les ligues de football ont pris l'habitude de ne pas céder les droits de retransmission au même tarif suivant la nationalité des chaînes de télévision se portant acquéreuses -l'intérêt des téléspectateurs et les annonceurs publicitaires n'étant évidemment pas homogène-. Il s'ensuit, naturellement, un coût, pour le spectateur final des chaînes de télévision ainsi avantagées, moindre. Et, à l'heure de la télévision par satellite, il est étonnant que les instances footballistiques et les chaînes de télévision n'aient pas pris le problème en amont. La réponse de l'Union européenne, au nom de la libre prestation de service, pourrait bien être cinglante et entraîner, progressivement, l'effondrement du business si savamment orchestré par les fédérations sportives. Une baisse des droits de retransmission devrait, également, découler d'une telle atteinte à l'exclusivité de la retransmission des matchs dans un pays.
Reste, alors, à la FIFA, à l'UEFA comme à chaque fédération nationale de repenser le financement et de tempérer les dépenses des clubs à l'horizon d'une baisse structurelle du montant de la redistribution des droits cédés. Et, c'est toute une économie qu'il convient de restructurer à l'approche de nouveaux médias intéressés, eux aussi, par le ballon rond. Dernièrement, on apprenait ainsi que Youtube, filiale de Google, pourrait bien retransmettre, en direct, des matchs de football, après s'être essayé, avec succès, au cricket. Or, la fixation du montant des droits afférents pourrait s'avérer être casse tête pour les protagonistes, sans référent aucun concernant les recettes publicitaires susceptibles d'être engrangées pour amortir l'opération. Par ailleurs, à l'heure du streaming, la diffusion gratuite de vidéos sans possibilité d'enregistrement, "l'industrie" du football pourrait bien être confrontée aux mêmes affres que l'industrie du disque et celle du cinéma... En septembre 1957, Matt Busby résumait la situation en réclamant pour ses joueurs les mêmes égards qu'ont les vedettes de cinéma : "Les footballeurs doivent être payé sur leur valeur. Pas de rétribution, pas de télévision". Et, la boucle serait ainsi bouclée, mais pas dans sens que le célèbre entraîneur de Manchester United l'avait imaginé...
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N5145BRY
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
Le 03 Mars 2011
Bernard Morand : J'ai un parcours somme toute assez simple. J'ai passé une maîtrise de droit à Poitiers, et je me suis orienté vers le droit de la construction et le droit social, domaines pour lesquels j'ai obtenu la spécialisation en 1992. Aujourd'hui, je continue de travailler dans ces deux matières de façon assez équivalente. Concernant mon investissement pour la profession, il a commencé auprès de la CARPA de Nantes, dont j'ai assuré la vice-présidence pendant près de vingt ans.
Il m'a semblé que c'était, dès lors, le bon moment et la suite logique de mon engagement, pour me présenter au bâtonnat. Je vais pouvoir donner pendant ces deux années un investissement important pour mon barreau et, surtout, j'avais envie de découvrir autre chose.
Lexbase : Quelle est la cartographie du barreau de Nantes ?
Bernard Morand : Le barreau de Nantes compte à ce jour 733 avocats en exercice et 37 honoraires. A la différence de beaucoup d'autres barreaux, il est réparti en un nombre équivalent, à un près, entre les hommes et les femmes (367 hommes et 366 femmes). C'est un barreau jeune et dynamique, la moyenne d'âge avoisinant les 40 ans. Nos avocats sont en majorité regroupés en sociétés pour l'exercice de leurs professions (264 avocats exercent dans des SELARL, SELAFA, SELAL, ou SCP), nombreux sont ceux aussi qui exercent en cabinet groupés (194). En revanche, peu on choisit l'option du salariat, puisqu'ils sont seulement 95 aujourd'hui.
Lexbase : Au cours de votre mandat de Bâtonnier, qu'envisagez-vous de mettre en place pour le barreau ?
Bernard Morand : Pendant mon mandat je souhaite atteindre quatre objectifs.
Le premier, qui me semble primordial, est la mise en place du RPVA. Seulement 35 % de nos avocats y ont recours et ce n'est absolument pas suffisant.
Le deuxième objectif concerne la formation de mes confrères. J'envisage d'améliorer et de développer cette formation. A cet égard, en parallèle avec les formations proposées par l'école de droit des avocats du grand ouest, je voudrai mettre en place des colloques et formations destinés au jeune barreau.
Dans la continuité de cette action, mon troisième objectif est d'instaurer des conférences débats sur des sujets d'actualités concernant la profession. Et cela m'amènera à mon quatrième objectif qui est de faire en sorte que mes confrères se connaissent mieux les uns les autres même s'ils oeuvrent dans des domaines du droit complètement différents.
Lexbase : La cinquième Convention nationale des avocats se déroulera à Nantes du 19 au 22 octobre 2011. Comment se déroulent les préparatifs ? Quelles thématiques seront abordées à cette occasion ?
Bernard Morand : Nous préparons cet évènement en étroite collaboration avec le Conseil national des barreaux et ses partenaires. Le rôle du barreau de Nantes est d'être le relais local notamment pour aider dans la préparation de cette opération. A ce jour nous avons bien avancé. Tout ce qui concerne les réservations hôtelières est entériné, le programme est en cours de finalisation et nous comptons déjà près de 100 inscriptions pour le barreau de Nantes. Ce n'est qu'un début bien entendu !
Plus précisément sur le programme, et comme vous le savez, le thème de cette cinquième Convention nationale porte sur la confiance et la sécurité et les nouveaux besoins de droits. Des états généraux sont prévus (collectivités territoriales, droit de la famille, etc.). Il y aura deux grandes tables rondes consacrées aux sujets phares du moment : l'avocat et l'entreprise et la réforme de la procédure pénale. De nombreux ateliers sont par ailleurs en train d'être préparés : gouvernance, acte d'avocat, droits des mineurs, etc..
Cela va être un bel évènement, riche d'enseignements et d'échanges.
Lexbase : La ville de Nantes est, en ce moment, au coeur d'une vive polémique entre le Chef de l'Etat et les magistrats. Par un communiqué de presse en date du 4 février 2011, vous vous êtes déclarés solidaire de ces derniers et avez amorcé un mouvement de grève. Quelles sont vos attentes ? Pensez-vous que cela fasse fléchir le Gouvernement sur les questions de la garde à vue et du budget de l'AJ ?
Bernard Morand : Il y a deux choses à différencier. En effet, avant le mouvement des magistrats, nous avions décidé d'une action à mettre en place pour obtenir des modifications du projet de loi sur la garde à vue et sur la prise en charge de l'aide juridictionnelle. Le conseil de l'Ordre avait voté en ce sens le 1er février dernier. Or, face à la médiatisation d'un fait divers dramatique, le 4 février, nous avons décidé de nous associer au mouvement des magistrats. Et c'est ainsi que les avocats du barreau ont participé, le 10 février, à une manifestation de protestation aux côtés de tous les acteurs de la justice. La visite du Garde des Sceaux le 23 février dernier m'a laissé une impression assez pessimiste de ce qui nous attend.
Sur le projet de loi relatif à la garde à vue, j'émets deux réserves fondamentales sur deux points du texte : d'une part, le fait que le procureur puisse différer de 12 heures l'intervention de l'avocat ; d'autre part, le fait que l'avocat ne puisse pas véritablement avoir accès au dossier, mais seulement au PV d'audition et qu'il ne puisse solliciter aucune mesure.
Sur le financement de l'aide juridictionnelle, je reste inflexible et je demande que l'Etat tienne ses promesses de 2000 et que soit enfin envisagée une rémunération de l'avocat et non plus une indemnisation qui est, à ce jour, loin de couvrir son investissement.
Nous envisagerons certainement dans les semaines à venir d'autres mouvements de protestation car c'est seulement sous la pression que les choses pourront évoluer un peu.
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Réf. : Loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel (N° Lexbase : L2387IP4)
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N5089BRW
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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut Rochelais de Formation Juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 03 Mars 2011
Jusqu'à la loi du 25 janvier 2011, la règle veut donc qu'en matière civile, la nouvelle profession d'avocat détient le monopole de la postulation et de la plaidoirie en première instance, tandis que celle d'avoué détient ce même monopole en appel. Cela dit, cette affirmation ne vaut que pour les procédures avec représentation obligatoire. En effet, pour les procédures sans représentation obligatoire, l'article 931 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1003H4W) prévoit que les parties, se défendant elles-mêmes, peuvent se faire assister ou représenter selon les règles applicables devant la juridiction dont émane le jugement ainsi que par un avoué. Il peut notamment s'agir de l'appel de certaines décisions rendues par les conseils de prud'hommes, les juridictions contentieuses de Sécurité sociale, les tribunaux paritaires de baux ruraux, les tribunaux en matière criminelle ou correctionnelle. Aujourd'hui, ces considérations sont teintées d'anachronisme si l'on considère que la suppression des avoués est programmée pour le 1er janvier 2012.
Le projet de loi de fusion des professions d'avocat et d'avoué près les cours d'appel a été délibéré en Conseil des ministres le 3 juin 2009. Il a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 6 octobre 2009. Devenu "projet de loi de réforme de la représentation devant les cours d'appel", il a ensuite été adopté par le Sénat le 8 décembre 2009. Adopté en seconde lecture par l'Assemblée nationale le 13 octobre 2010, il a été repris en termes conformes par le Sénat le 21 décembre 2010. Une fois voté, le texte a été déféré au Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs. Les requérants faisaient grief à l'article 13 de la loi relatif à l'indemnisation des avoués, d'une part, d'avoir été adopté selon une procédure contraire à la Constitution et, d'autre part, sur le fond, d'être contraire à celle-ci en tant qu'il ne comportait pas les précisions nécessaires à l'affirmation du caractère préalable de l'indemnisation et à la définition de son régime fiscal. Cependant, dans sa décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011 (N° Lexbase : A1518GQB), le Conseil constitutionnel a rejeté l'ensemble de ces griefs. Il a, en revanche, soulevé d'office la question de la compatibilité de l'article 13 de la loi au principe d'égalité devant les charges publiques et a, sur ce fondement, censuré une partie de cet article.
Dans ces conditions, il convient de revenir sur les deux aspects essentiels de la réforme, à savoir la suppression (I) et l'indemnisation des avoués (II).
I - La suppression des avoués
Depuis l'annonce de la suppression des avoués par la Garde des Sceaux de l'époque, le 9 juin 2008, la doctrine a proposé une alternative : la création d'une "profession d'avocat d'appel", à l'image du fonctionnement des cours d'appel d'Alsace et de Moselle. Toutefois, cette option n'a pas été retenue par le Gouvernement puisqu'elle obligeait à indemniser les avoués tout en nécessitant le recours à un second professionnel en cas d'appel. La suppression des avoués a donc été entérinée. Il convient d'en étudier la raison d'être (A) et les modalités (B).
A - La nécessité d'une suppression
La modernisation de la justice. La réforme poursuit principalement un objectif de modernisation de la justice, il s'agit, selon l'exposé des motifs du projet de loi, de "simplifier la démarche du justiciable et de réduire le coût du procès en appel". A la suite des rapports "Attali" et "Darrois", il est avancé que : "Aujourd'hui, la dualité d'intervention qui existe en pratique est difficilement compréhensible pour le justiciable. A l'issue de la réforme, celui-ci pourra s'adresser à un professionnel unique, habilité à le conseiller, à la représenter en justice et à plaider son dossier devant les deux degrés de juridiction".
Le respect par la France de ses engagements européens. En outre, la transposition de la Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), rend cette réforme nécessaire. Ce texte ne permet pas de maintenir en l'état le statut des avoués, titulaires d'un office, nommés par le Garde des Sceaux et soumis à un tarif, les entraves à la libre circulation des services ne pouvant être justifiées que pour les activités participant à l'exercice de l'autorité publique. En particulier, la liberté d'établissement est incompatible avec le régime des offices ministériels.
Or, les avoués exercent une fonction qui, en première instance, est remplie par les avocats et ne sont délégataires d'aucune autorité publique qui permettrait de les exclure du champ de la Directive.
B - Les modalités de la suppression
L'intégration des avoués dans la profession d'avocat. L'article 1er de la loi intègre les avoués dans la profession d'avocat en les inscrivant au tableau de l'Ordre du barreau près le TGI dans le ressort duquel leur office est situé (ou pour tous les TGI dans le ressort de la cour d'appel de Paris). Une spécialisation en procédure d'appel, dont les avoués bénéficient de plein droit, est créée. L'article 26 de la loi permet, par ailleurs, aux avoués de renoncer à entrer dans la profession d'avocat ou de choisir un autre barreau que celui du ressort dans lequel sont établis leurs offices. En conséquence, l'article 2 pose le principe de la suppression des offices d'avoués près les cours d'appel. Il modifie l'article 2 de la loi du 31 décembre 1971 pour procéder exactement comme pour la suppression des offices d'avoués près les TGI.
L'adaptation des structures en vue de l'exercice de la profession d'avocat. De manière inexorable, la réforme entraînera l'adaptation des structures en vue de l'exercice de la profession d'avocat. A titre indicatif, un avocat emploie en moyenne 0,8 salarié alors qu'un avoué en emploie en moyenne 4,5. Les perspectives de reclassement des salariés licenciés dans les cabinets d'avocat sont donc limitées. Il y a donc fort à parier que de nombreuses études d'avoués seront conduites à licencier une grande partie de leurs 1 850 salariés. C'est pourquoi des mesures particulières sont prévues en faveur de ces derniers. Le montant des indemnités de licenciement est fixé au double des indemnités légales, telles que les prévoit l'article L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK) du Code du travail. Un accompagnement social individualisé, organisé dans le ressort de chaque cour d'appel, sera mis en oeuvre, en application d'une convention de reclassement en cours de négociation. La part non prise en charge par le Fonds national pour l'emploi, normalement prise en charge par les employeurs, le sera par l'Etat. En outre, les collaborateurs des avoués, qui disposent d'une qualification juridique importante, bénéficieront de facilités pour devenir avocats ou officier public ou ministériel.
La préservation du fonctionnement des cours d'appel. Enfin, il est prévu que le fonctionnement des cours d'appel ne soit pas trop affecté par l'extension à tous les avocats de leur ressort de la faculté de s'adresser à elles. Dans cette perspective, l'introduction de l'instance par voie électronique devant ces juridictions sera rendue obligatoire par voie réglementaire, généralisant ainsi les expérimentations actuellement conduites. La réforme intervient, en effet, à un moment où les techniques de communication ouvrent la voie à la dématérialisation des actes de procédure, de même qu'à la possibilité, dans certaines circonstances, de tenir des audiences à distance.
En revanche, la loi ne règle pas la question de la gestion et de la transmission des dossiers des avoués. Dans une réponse ministérielle (2), le Garde des Sceaux se montre particulièrement évasif. Plusieurs situations sont envisagées : si l'avoué choisit d'entrer dans la profession d'avocat, il conserve la suite de la procédure, et par conséquent, le dossier afférant ; s'il renonce à devenir avocat, il en informera la partie concernée qui choisira alors un avocat habilité à se constituer devant la cour d'appel et l'avoué sera rémunéré pour les actes accomplis avant. Il reste que le financement de la transmission du dossier n'est pas précisé.
Ce silence de la Chancellerie nous amène à nous interroger sur les moyens alloués à cette réforme et, corrélativement, sur son opportunité en période de crise économique. Selon une réponse ministérielle du Garde des Sceaux (3), la loi du 25 janvier 2011 simplifie l'accès à la justice en appel, en diminue le coût et, assure le respect de la Directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Cependant, le coût global de la réforme est passé sous silence. Selon les estimations du Gouvernement, il serait de 201,8 millions d'euros, dont 166,1 millions alloués à l'indemnisation des avoués. Ces coûts seront normalement assumés par un fonds d'indemnisation, créé par la loi de 2011, et alimenté par une taxe de 85 euros par affaire civile et des emprunts et avances consentis par la Caisse des dépôts et consignations. La taxe, qui sera assise sur les affaires civiles avec représentation obligatoire devant les tribunaux de grande instance, les cours d'appel et la Cour de cassation, sera instituée par la loi de finances. Il n'est pas certain que ce dispositif satisfasse les détracteurs de la réforme en cette période de restrictions budgétaires.
II - L'indemnisation des avoués
Les débats entourant la réforme sur la représentation devant les cours d'appel révèlent que la question de l'indemnisation est le principal cheval de bataille des avoués. Ces derniers ont obtenu -non sans mal- un assouplissement du régime d'indemnisation (A), régime partiellement censuré par le Conseil constitutionnel (B).
A - Un régime d'indemnisation profondément remanié
La fixation du montant de l'indemnisation. Le régime d'indemnisation des avoués est prévu au chapitre II de la loi du 25 janvier 2011, qui comprend les articles 13 à 20. A dire vrai, l'article 13 a, à lui seul, cristallisé les passions de sorte que son contenu a été profondément modifié aux cours des débats parlementaires. En effet, le texte du projet de loi initial fixait l'indemnité due aux avoués aux deux tiers de la valeur de l'office. La valeur de l'office était très classiquement calculée en prenant pour base la méthode utilisée lors de l'instruction des dossiers de cession des offices par la Chancellerie. Cette valeur est obtenue en ajoutant à la valeur des immobilisations la moyenne entre les recettes nettes des cinq derniers exercices comptables et trois fois le bénéfice net fiscal des mêmes exercices. Par ailleurs, le Gouvernement avait prévu un minimum, bénéficiant surtout aux jeunes avoués, l'indemnité ne pouvant être inférieure au montant de l'apport personnel ayant financé l'acquisition de l'office ou des parts de la société, majoré, le cas échéant, du montant du capital restant dû au titre de prêt contracté pour le financement de cette acquisition, à la date du 1er janvier 2010.
En première lecture, l'Assemblée nationale a porté à 100 % de la valeur de l'office l'indemnité due aux avoués. Le Sénat a retenu un dispositif doublement différent. D'une part, il a considéré que devaient également être indemnisés d'autres préjudices : carrière, économique, moral... D'autre part, il a renvoyé au juge de l'expropriation de Paris la fixation de l'indemnité. Les raisons qui ont présidé à ce choix sont nombreuses. La référence au juge de l'expropriation est adaptée s'agissant de la perte complète du droit de présentation, qui se distingue de la perte seulement partielle qu'ont connue les commissaires-priseurs lors de la suppression de leur monopole en matière de ventes volontaires intervenue en 2000. En outre, le juge de l'expropriation doit apprécier concrètement le préjudice subi, ce qui permet, d'une part, de distinguer suivant les différents chefs de préjudice, et, d'autre part, de moduler le montant de l'indemnité versée, en raison de la situation spécifique de certains professionnels.
L'Assemblée nationale a confirmé le dispositif retenu par le Sénat. Son rapporteur a notamment fait valoir que la fixation de l'indemnité par le juge de l'expropriation permettrait de réparer l'intégralité du préjudice subi par les avoués et que l'application "mécanique" d'un dispositif d'indemnisation forfaitaire, tel que le projet de loi le prévoyait initialement, ne présente pas les mêmes garanties que le recours au juge, cette dernière mesure lui apparaissant "raisonnable".
La création d'une commission tripartite. L'article 16 de la loi du 25 janvier 2011 met en place une commission présidée par un magistrat hors hiérarchie de l'ordre judiciaire. D'une part, cette commission est chargée de statuer sur les demandes d'indemnisation des personnels des avoués (présentées en application des articles 14 et 15). D'autre part, elle propose à l'avoué une offre d'indemnisation (article 13) sur laquelle le juge de l'expropriation de Paris statuera en cas de désaccord. En outre, l'article 17 reconnaît à chaque avoué le droit de demander au président de cette commission un acompte sur les indemnités qui lui sont dues, dans la limite de 50 % de la dernière recette nette réalisée. L'acompte est versé dans les trois mois de sa demande. Il s'impute sur le montant de l'indemnité liée à la valeur de l'office.
Le traitement fiscal des indemnités. De manière assez surprenante, la loi du 25 janvier 2011 ne comporte aucune disposition en matière de taxation des plus-values et laisse par conséquent s'appliquer les règles de droit commun. En effet, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté deux amendements du Gouvernement supprimant les exonérations fiscales et sociales prévues par le Sénat. Cette suppression rend compte de la volonté du Gouvernement de régler l'ensemble des difficultés soulevées par la suppression de la profession d'avoué en restant, comme c'est le cas avec le juge de l'expropriation, dans le cadre du droit commun. Néanmoins, le silence de la loi suscite une grande inquiétude chez les représentants de la profession d'avoués. Et cette inquiétude se double d'une incertitude sur le traitement fiscal des différentes indemnités que percevront les avoués. Il faut dire que le traitement fiscal des indemnités versées aux avoués est une question cruciale : pour l'avoué qui a acheté les parts d'un office créé depuis plusieurs années, calculer la plus-value réalisée à partir de la date de création plutôt que de la date d'achat des parts n'est pas neutre. De la même manière, il n'est pas indifférent pour l'intéressé que l'acompte qui lui sera versé soit fiscalement rattaché à l'indemnité versée pour la perte du droit de présentation et donc soumis à la fiscalité de la plus-value, ou qu'il soit conçu comme une facilité de trésorerie, soumis à la fiscalité sur le revenu.
Face à ces inquiétudes, il a été rétorqué que des dispositifs d'exonérations de charges sociales existaient déjà, dispositifs qui pourront bénéficier, dans les conditions du droit commun, aux avoués qui prolongeront leur activité professionnelle. Pareillement, les avoués qui prendront leur retraite pourront bénéficier des mêmes avantages fiscaux que les entrepreneurs placés dans la même situation, ceux qui continueront leur activité étant soumis aux mêmes règles que les entrepreneurs en activité. Là aussi, il n'est pas sûr que ces réponses du garde des Sceaux suffisent à apaiser les tensions...
B - Un régime d'indemnisation partiellement censuré
Dans sa décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011, le Conseil constitutionnel a opéré un contrôle de l'indemnisation des avoués prévus à l'article 13 de la loi au regard de l'égalité devant les charges publiques. Cet article 13 distinguait différents chefs de préjudice.
Les préjudices indemnisés. S'agissant de la réparation du préjudice résultant de la perte du droit de présentation, elle est non seulement en adéquation avec le préjudice patrimonial causé par la loi, mais elle constitue une exigence du principe d'égalité devant les charges publiques. Le Conseil a donc rappelé que la réparation intégrale de ce préjudice était conforme à la Constitution, en précisant qu'il appartiendrait à la commission prévue par l'article 16 de la loi ou, le cas échéant, au juge de l'expropriation de fixer le montant de l'indemnité correspondante dans la limite de la valeur de l'office. En tout état de cause, il ne s'agit pas d'une cession d'office de sorte que la valeur des immobilisations, qui restent en possession des professionnels, sera retirée du calcul de l'indemnisation de la perte du droit de présenter son successeur.
S'agissant du "préjudice de carrière", introduit à l'article 13 de la loi, le Conseil l'a jugé sans lien avec les fonctions d'officier ministériel supprimées. En effet, un officier ministériel ne fait, par définition, pas carrière. Il ne progresse pas dans une hiérarchie qui lui donnerait vocation à une meilleure situation. Indépendamment de la question du caractère certain ou non de ce préjudice, le Conseil a donc estimé que l'allocation d'indemnités pour ce motif était contraire à la Constitution.
Les préjudices écartés. La loi a prévu la réparation du "préjudice économique" et des "préjudices accessoires toutes causes confondues". Cependant ces préjudices sont purement éventuels. En effet, les anciens avoués pourront exercer l'ensemble des attributions réservées aux avocats. Dès lors, le Conseil a jugé que ces dispositions de l'article 13 de la loi déférée méconnaissaient l'exigence de bon emploi des deniers publics et créaient une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il les a censurées.
En définitive, le Conseil constitutionnel a jugé que l'allocation d'indemnités en réparation des préjudices de carrière, économique ou annexes créaient une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques et méconnaissaient le principe de bon emploi des deniers publics. Il a donc censuré l'allocation d'indemnités pour ces préjudices en ne laissant que la réparation du préjudice pour perte du droit de présentation.
Il va sans dire que cette solution a fait l'effet d'une bombe chez les avoués qui ne s'y attendaient pas. Monsieur François Grandsard, Président de la Chambre nationale des avoués, a d'ores et déjà annoncé qu'une requête serait prochainement déposée devant la CEDH. Autant dire que les débats sur la représentation en appel sont loin d'être clos...
(1) Au-delà de leur activité monopolistique, les avoués peuvent ainsi plaider devant la cour d'appel, donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé.
(2) QE n° 57777 de M. François Vannson, JOANQ 1er septembre 2009 p. 8352, réponse publ. 14 septembre 2010 p. 10062, 13ème législature (N° Lexbase : L4156IPM).
(3) QE n° 60865 de M. Yvan Lachaud, JOANQ 13 octobre 2009 p. 9638, réponse publ. 14 septembre 2010 p. 10063, 13ème législature (N° Lexbase : L4157IPN).
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Le 03 Mars 2011
- Le 17 septembre 2010, la Commission européenne a adopté deux documents relatifs à l'espace ferroviaire unique européen : une proposition de Directive, qui a vocation à regrouper et à refondre pour partie l'ensemble des trois paquets ferroviaires aujourd'hui en vigueur, et une communication, dont l'objet est de présenter les orientations de la Commission pour les cinq prochaines années.
- CJUE, 17 juin 2010, aff. C-413/08 P (N° Lexbase : A1920E3I).
- CJUE, 29 juin 2010, aff. C-441/07 P (N° Lexbase : A3897E3Q).
- CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97).
- TPIUE, 25 juin 2010, aff. T-66/01 (N° Lexbase : A2811E3I).
- TPIUE, 1er juillet 2010, aff. T-321/05 (N° Lexbase : A5676E3M).
- TPIUE, 8 septembre 2010, aff. T-29/05 (N° Lexbase : A6366E8B).
- TPIUE, 13 septembre 2010, deux arrêts, aff. T-279/04 (N° Lexbase : A0965E9M) et aff. T-452/04 (N° Lexbase : A0972E9U).
- TPIUE, 9 septembre 2010, aff. T-155/06 (N° Lexbase : A8735E8Z).
- Décision de la Commission européenne du 17 juin 2010 aff. COMP/M.5655 (texte uniquement en anglais).
- Décision de la Commission européenne du 20 juillet 2010 (communiqué de presse IP/10/985 du 20 juillet 201).
- loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services, art. 41 et 42 (N° Lexbase : L8265IM3).
- Cass. crim., 2 juin 2010, n° 08-87.326, F-P+F (N° Lexbase : A2225E48).
- Cass. com., 15 juin 2010, n° 09-15.816, F-D (N° Lexbase : A1019E37).
- Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-67.439, FS-P+B (N° Lexbase : A6869E48).
- Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-15.304, FS-P+B (N° Lexbase : A6783E4Y).
- CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 1er juin 2010, n° 2008/21057 (N° Lexbase : A9646EXK).
- CA Paris, 17 juin 2010, 7 ordonnances, n° 2009/12774, n° 2009/12781, n° 2009/12788, n° 2009/12808, n° 2009/12809, n° 2009/12813 et n° 2009/12814.
- CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 23 septembre 2010, n° 2010/00163 (N° Lexbase : A2631GAP).
- Autorité de la concurrence, avis n° 10-A-13 du 14 juin 2010, relatif à l'utilisation croisée des bases de clientèle (N° Lexbase : X7328AGI).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-DCC-66 du 28 juin 2010, relative à la transformation de RAGT Semences en entreprise commune contrôlée par RAGT et CAF Grains (groupe InVivo) (N° Lexbase : X7878AGU).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-20 du 25 juin 2010, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des coupons de réduction (N° Lexbase : X7359AGN).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-MC-01 du 30 juin 2010, relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx (N° Lexbase : X7365AGU).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-27 du 15 septembre 2010, relative à des pratiques mises en oeuvre par les sociétés Manufacture française des pneumatiques Michelin et Pneumatiques Kléber (N° Lexbase : X7656AGN).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement (N° Lexbase : X7792AGP).
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
Le 03 Mars 2011
Lexbase : Tout d'abord, le dispositif réglementaire adopté permet-il de satisfaire à l'obligation de garantie de l'identité du destinataire ?
Isabelle Renard : L'article 1369-8 du Code civil prévoit, en effet, que le courrier recommandé électronique doit être acheminé par un tiers selon un procédé permettant, notamment, "de garantir l'identité du destinataire".
Avant tout, on peut s'interroger sur la signification des termes "garantir l'identité du destinataire" qui, selon moi, ne revêtent aucun sens, sachant que seul l'Etat peut garantir l'identité d'une personne, dans le cadre de son pouvoir régalien. Sans doute l'idée était-elle d'introduire, comme dans la lettre recommandée postale, une notion de vérification de l'identité du destinataire lors de la remise.
Pour assurer que, dans le cadre d'un courrier envoyé par voie électronique, la personne réceptionnant le courrier électronique corresponde bien au destinataire visé, on pourrait imaginer l'établissement d'une liste d'adresses email, qui serait l'équivalent de l'annuaire postal, et dans le cadre de laquelle on aurait vérifié préalablement l'identité des personnes associées à chaque adresse. Concrètement, il s'agirait d'une sorte d'annuaire régalien, c'est-à-dire recensant les emails "officiels" ; je ne sais si c'est très réaliste, mais l'idée est intéressante.
Dans la même idée, l'intégration d'une signature électronique dans la future carte d'identité permettrait d'assurer cette vérification de façon équivalente à celle du recommandé postal. En pratique, il sera difficile d'assurer avec le recommandé envoyé par voie électronique une vérification d'identité équivalente à celle du recommandé postal tant que la signature électronique ne sera pas largement répandue et banalisée, ce qui est loin d'être le cas.
Lexbase : Le texte distingue la situation du destinataire professionnel et non professionnel, ce dernier étant libre d'accepter ou de refuser, préalablement, la modalité du recommandé électronique, sans toutefois définir le "professionnel". Comment pensez-vous que cette notion doit être délimitée ?
Isabelle Renard : J'ai effectivement pu lire dans différents commentaires, que l'absence de définition du "professionnel" était une autre source de problèmes. Le professionnel est généralement entendu aujourd'hui comme "celui qui agit dans le cadre d'une activité professionnelle", et je ne suis pas persuadée que ce soit ce sujet qui provoque le plus de litige dans le cadre de la mise en oeuvre de ces dispositions.
Lexbase : S'agissant de la preuve de la date de réception du courrier électronique, quelles sont les carences du texte ?
Isabelle Renard : L'article 1369-8, alinéa 3, du Code civil prévoit que "lorsque l'apposition de la date d'expédition ou de réception résulte d'un procédé électronique, la fiabilité de celui-ci est présumée, jusqu'à preuve contraire, s'il satisfait à des exigences fixées par un décret en Conseil d'Etat".
Le décret publié le 4 février dernier ne prévoit rien concernant l'horodatage, ce qui constitue le véritable obstacle pour l'application du dispositif prévu par l'article 1369-8 du Code civil.
L'absence de présomption de fiabilité de la date de réception rend le dispositif prévu par l'article 1369-8 du Code civil sans intérêt en pratique pour les applications qui revêtent des enjeux importants liés à la date. Par exemple, en matière de copropriété, la date de réception du procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires est excessivement importante, puisqu'elle détermine l'application d'un délai de deux mois ou de dix ans pour s'opposer à la décision. On voit mal les grands syndics de copropriété prendre le risque de recourir au recommandé électronique si la date de réception du courrier ne dispose d'aucune présomption de fiabilité.
Lexbase : Quels sont les moyens d'action pour obtenir la publication de ce texte ?
Isabelle Renard : Le décret pris le 2 février 2011 est intervenu à la suite d'une décision du Conseil d'Etat en date du 22 octobre 2010, ayant fait injonction au Premier ministre de prendre, dans un délai de six mois, le décret en Conseil d'Etat nécessaire à l'application de l'article 1369-8 du Code civil (CE 1° et 6° s-s-r., 22 octobre 2010, n° 330216 N° Lexbase : A4536GCY). Le Haut conseil a, en effet, considéré que "si l'absence de mesures réglementaires ne fait pas obstacle à la faculté, prévue par l'article 1369-8 du Code civil, d'employer un procédé électronique afin d'envoyer un courrier recommandé avec accusé de réception relatif à un contrat, elle ne permet toutefois pas de satisfaire à la présomption instituée par le législateur ; qu'en dépit des difficultés techniques éventuellement rencontrées par l'administration dans l'élaboration des textes dont l'article précité prévoit l'intervention, son abstention à les prendre à la date de la décision attaquée s'[était] prolongée au-delà d'un délai raisonnable".
Dans la mesure où le décret en date du 2 février ne permet toujours pas de satisfaire à la présomption de fiabilité de la date de réception, si un second décret n'intervient pas avant l'expiration de ce délai de six mois, soit d'ici le mois d'avril, une nouvelle action devra être intentée afin de faire condamner l'Etat à prendre un deuxième décret. Mais si l'on devait en arriver là, soit deux actions devant le Conseil d'Etat pour obtenir la publication du texte, il me semble que ce ne serait pas glorieux pour un pays qui se targue d'être à l'heure de l'économie numérique !
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Réf. : Cass. soc., 16 février 2011, deux arrêts, n° 10-10.465, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1625GXH) et n° 09-72.061, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1575GXM)
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N6302BRT
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"
Le 03 Mars 2011
Résumé
Si des dispositions réglementaires autorisant, à certaines conditions, la mise à la retraite d'un salarié à un âge donné peuvent ne pas constituer, par elles-mêmes, une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6053IAG), il n'en résulte pas que la décision de l'employeur de faire usage de la faculté de mettre à la retraite un salarié déterminé est nécessairement dépourvue de caractère discriminatoire. Après avoir rappelé que, par arrêt du 19 mai 2006 (CE 1° et 6° s-s-r., 19 mai 2006, n° 274692 N° Lexbase : A6525DPD), le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 (N° Lexbase : L4230IPD) qui autorisent la SNCF à mettre un agent à la retraite d'office à l'âge de 55 ans ne constituent pas en elles-mêmes une discrimination interdite, la cour d'appel de Paris a, à juste titre, entrepris de vérifier si la décision de la SNCF de mettre à la retraite d'office Mme X répondait aux conditions posées par l'article L. 1133-1 (N° Lexbase : L0682H97), interprété au regard de la Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, qui consacre un principe général du droit communautaire. Selon la Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, les différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, et lorsque les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. En l'espèce, la généralité des motifs invoqués ne permettait pas de considérer la mise à retraite de Mme X comme étant justifiée par un objectif légitime.
En application de l'article 6 § 1 de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. A tort, les juges du fond n'ont pas recherché si, pour la catégorie d'emploi de ce salarié, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et si les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires. |
Commentaire
I - Les discriminations sont autorisées, si elles reposent sur des "justifications objectives et raisonnables"
A - Les "justifications objectives et raisonnables" comme condition de licéité des discriminations, en droit interne
1 - Notion de "justifications objectives et raisonnables" en droit interne
Le régime de l'interdiction de toute discrimination dans les rapports de travail trouve son siège dans l'article L. 1132-1 du Code du travail selon lequel aucun salarié ne peut être licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (4), telle que définie par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 (art. 1) en raison de son âge. La sanction est fixée par l'article L. 1132-4 (N° Lexbase : L0680H93) : toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions précédentes est nul.
La loi n° 2008-496 n'a pas réécrit l'article L. 1132-1, reprenant mot pour mot l'article L. 122-45, mais a comblé une importante lacune de la loi, puisque le législateur n'avait pas défini la discrimination, alors même qu'il en interdisait les manifestations. Désormais, la loi définit la discrimination, l'article L. 1132-1 renvoyant à la loi n° 2008-496.
En son article 1er, la loi n° 2008-496 précise que constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son âge, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. Constitue une discrimination indirecte, une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. La discrimination inclut tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés (supra) et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé.
L'exception au principe de discrimination a été aménagée (de manière cosmétique) par la loi de modernisation sociale n° 2002-73 du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9). Le législateur a prévu une exception à l'interdiction générale de toute discrimination, dans le domaine précis de l'âge. En effet, l'article L. 122-45-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1152AWL), devenu l'article L. 1133-1 (5), prévoit que les différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, notamment par des objectifs de politique de l'emploi, et lorsque les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Ces différences peuvent, notamment, consister en l'interdiction de l'accès à l'emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d'assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés, la fixation d'un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite.
L'article L. 1133-2 (N° Lexbase : L6055IAI) a repris, mot pour mot, les conditions de licéité de la discrimination. Mais il a donné des illustrations du but légitime poursuivi par une mesure instaurant une différence de traitement fondée sur l'âge : préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, favoriser leur insertion professionnelle, assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d'emploi. L'ancien article L. 122-45-3 évoquait, de manière générale et assez vague, des objectifs de "politique de l'emploi", comme justification de différences de traitement fondées sur l'âge.
2 - Premières illustrations jurisprudentielles
En novembre 2010 (6), la Cour de cassation a rappelé que l'article L. 1133-1 du Code du travail, interprété à la lumière de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 (art. 6), autorise des différences de traitement en considération de l'âge des salariés, dès lors qu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime et que les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. En l'espèce, la cour d'appel a retenu que le choix de l'âge de 57 ans comme critère de plafonnement des indemnités accordées aux salariés ne pouvant être reclassés mais bénéficiant d'une retraite à taux plein à l'âge de 60 ans reposait sur la prise en compte du régime d'indemnisation du chômage plus favorable alors applicable aux salariés licenciés remplissant ces conditions, qui limitait la perte de revenus consécutive au licenciement. De plus, la limitation du montant des indemnités prévue dans le plan à l'intention de ces salariés était destinée à favoriser le maintien dans l'emploi de cette catégorie de salariés, en les incitant à envisager une réinsertion professionnelle. Enfin, Mme X avait exprimé la volonté de cesser toute activité professionnelle.
Bref, les juges du fond ont pu en déduire que cette mesure était, à son égard, objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime de maintien de l'emploi et d'équilibre entre les catégories de salariés qui ne bénéficiaient pas des mêmes avantages après la perte de leur emploi, et que les moyens employés pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires.
En octobre 2010, la Cour de cassation (7) a rendu une décision écartant, une fois de plus, le grief d'atteinte au principe de non-discrimination. La cour d'appel a pu décider que la discrimination invoquée liée à l'âge n'était pas caractérisée dès lors qu'elle a constaté que la distinction entre la catégorie des seniors et celle des juniors reposait sur la seule prise en compte de l'expérience professionnelle des salariés, sans que les salariés plus âgés soient désavantagés dans la mise en oeuvre de l'ordre des licenciements du fait de l'attribution d'un plus grand nombre de points liés à l'âge.
En l'espèce (n° 10-10.465), Mme X, engagée par la SNCF en qualité d'auxiliaire en 1973, a, par application du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954, été mise à la retraite le 19 avril 2005, date de son 55ème anniversaire. La cour d'appel de Paris a estimé que cette admission à la retraite prononcée d'office à compter du 19 avril 2005 constitue une mesure individuelle discriminatoire contraire à l'article L. 1132-1 du Code du travail, et à ce titre, nulle et de nul effet. La SNCF a contesté cette décision, mais la Cour de cassation a confirmé la solution retenue par les juges du fond.
La question de la justification à la mise à la retraite, par hypothèse discriminatoire, revêt ici une dimension tout à fait intéressante, parce que l'employeur invoquait une exception d'ordre légale, en quelque sorte. La SNCF mettait ainsi en avant le décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 (art. 2), qui lui ouvre la possibilité de mettre d'office à la retraite tout agent âgé d'au moins 55 ans et qui remplit les conditions de durée de services valables définies par le règlement de retraites.
La Cour de cassation se rallie à l'argument de l'employeur, qui avançait que l'exercice de la faculté de mise à la retraite d'office, prévue par un texte jugé non discriminatoire, ne peut, à lui seul, être considéré comme discriminatoire : la Cour de cassation admet que des dispositions réglementaires autorisant, à certaines conditions, la mise à la retraite d'un salarié à un âge donné peuvent ne pas constituer, par elles-mêmes, une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du Code du travail. Le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 19 mai 2006, n° 274692, préc.) a jugé que les dispositions du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954, qui autorisent la SNCF à mettre un agent à la retraite d'office à l'âge de 55 ans, ne constituent pas en elles-mêmes une discrimination interdite.
Mais la Cour de cassation poursuit l'analyse : il n'en résulte pas que la décision de l'employeur de faire usage de la faculté de mettre à la retraite un salarié déterminé est nécessairement dépourvue de caractère discriminatoire. La Cour rappelle, à cet effet, l'exigence posée par l'article L. 1133-1 du Code du travail. A juste titre, les juges du fond ont vérifié si la décision de la SNCF de mettre à la retraite d'office Mme X répondait aux conditions posées par l'article L. 1133-1, interprété au regard de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, qui consacre un principe général du droit communautaire : les différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, et lorsque les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Or, l'employeur s'était contenté d'invoquer la nécessité dans laquelle il se trouvait, au titre de sa mission de service public, d'adapter ses effectifs à l'évolution du contexte dans lequel il se situe et de bénéficier d'une souplesse durable dans la gestion de ces effectifs en fonction de l'évolution de son organisation et de son activité. La cour d'appel a retenu que la généralité des motifs invoqués ne permettait pas de considérer la mise à retraite de Mme X comme étant justifiée par un objectif légitime.
La seconde espèce retient la même solution (n° 09-72061). M. X a été engagé le 24 avril 1978 par EDF en qualité de technicien en formation, et son contrat de travail s'est poursuivi, à compter du 1er septembre 2005 au sein de la société RTE EDF transport, société gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (loi n° 2004-803 du 9 août 2004, art. 7 N° Lexbase : L0813GTB). A l'âge de 60 ans, son employeur lui a notifié sa mise à la retraite à compter du 30 juin 2007, en application des dispositions du décret n° 54-50 du 16 janvier 1954 et de l'annexe 3 du statut du personnel des industries électriques et gazières. M. X fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le visa de l'article 6 § 1 de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 (admettant que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination, dans la mesure où elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires), la Cour de cassation casse l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux, laquelle avait retenu que la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 ne fait pas obstacle à l'application des dispositions nationales en application desquelles le salarié a été mis à la retraite à l'âge de 60 ans.
Mais la Cour de cassation décide, au contraire, que les juges du fond devaient vérifier si, pour la catégorie d'emploi de ce salarié, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires. La solution est en ligne avec celle retenue le même jour par la Cour de cassation (n° 10-10.465).
La Cour de cassation ne s'est pas non plus arrêtée à l'argument de l'employeur, selon lequel les salariés d'entreprises dotées d'un statut particulier qui réglementent leur mise à la retraite ne peuvent pas prétendre à l'application des dispositions de droit commun (C. trav., art. L. 1237-4 N° Lexbase : L1394H9I et L.1237-9 N° Lexbase : L1407H9Y). La Cour ne s'est pas référée à ses décisions rendues :
- le 21 juin 1995 (8), par laquelle elle décidait que la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 (N° Lexbase : L2996AIS) n'est pas applicable aux agents de la SNCF dont la rupture du contrat de travail pour mise à la retraite est régie par le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel élaboré conformément au décret n° 50-637 du 1er juin 1950, et prononcée dans les conditions prévues par le décret n° 54-60 du 9 janvier 1954 pris pour l'application du décret n° 53-711 du 9 août 1953, relatif au régime des personnels de l'Etat et des services publics, intervenu pour l'application des lois n° 53-611 du 11 juillet 1953, portant redressement économique et financier (N° Lexbase : L9446ICT), et du 21 juillet 1909 relative aux conditions de retraite des personnels des grands réseaux de chemins de fer d'intérêt général ;
- le 22 octobre 1996 (9), la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 n'est pas applicable aux agents SNCF dont la rupture du contrat pour mise à la retraite est régie par le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, élaboré conformément au décret n° 50-637 du 1er juin 1950 et prononcé dans les conditions prévues par le décret n° 54-60 du 9 janvier 1954 pris pour l'application du décret n° 53-711 du 9 août 1953, relatif au régime des personnels de l'Etat et des services publics, lequel est intervenu pour l'application des lois du 11 juillet 1953, portant redressement économique et financier, et du 21 juillet 1909, relative aux conditions de retraite des personnels des grands réseaux de chemins de fer d'intérêt général ;
- le 29 octobre 1996 (10), la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 n'est pas applicable aux agents de la RATP dont la rupture du contrat pour mise à la retraite est réglementée par le statut de la régie des transports de voyageurs de la région parisienne et le règlement des retraites élaborés conformément aux décrets n° 59-157 du 7 janvier 1959, n° 59-1091 du 23 septembre 1959, et n° 60-1362 du 19 décembre 1960, pris pour l'application de l'ordonnance n° 59-151 du 7 janvier 1959 (N° Lexbase : L9699HXI) ;
- le 22 février 2000 (11), les dispositions des articles L. 122-14-12 (N° Lexbase : L5576ACI), devenu l'article L. 1237-4 (N° Lexbase : L1394H9I), et L. 122-14-13 (N° Lexbase : L4477H9P), devenu L. 1237-5 et suivants (N° Lexbase : L2959ICL), du Code du travail ne sont pas applicables aux salariés de la compagnie Air France qui sont seulement soumis au statut du personnel élaboré par le conseil d'administration, sous contrôle des autorités de tutelle, en application des articles L. 341-1 (N° Lexbase : L4464AWA), L. 342-1 (N° Lexbase : L4485AWZ) et R. 342-13 (N° Lexbase : L4504AWQ) du Code de l'aviation civile. Les dispositions de l'article 57 du règlement du personnel navigant commercial fixent à 55 ans la date de cessation obligatoire de l'activité professionnelle de ces agents.
B - Les justifications objectives et raisonnables comme condition de licéité des discriminations, en droit communautaire
La Directive 2000/78/CE (art. 6 § 1, alinéa 1er) admet que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime (notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle), pour autant que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
En 2010, la Cour de justice de l'Union européenne (12) a relevé que la Directive 2000/78/CE (art. 6 § 1) ne s'oppose pas à une législation nationale qui prévoit la mise à la retraite d'office des professeurs d'université lorsqu'ils atteignent l'âge de 68 ans et la poursuite de leur activité par ces derniers au-delà de 65 ans uniquement au moyen de contrats à durée déterminée de un an renouvelables au maximum deux fois, pour autant que cette législation poursuit un objectif légitime lié notamment à la politique de l'emploi et du marché du travail, tel que la mise en place d'un enseignement de qualité et la répartition optimale des postes de professeurs entre les générations, et qu'elle permet d'atteindre cet objectif par des moyens appropriés et nécessaires. Il appartient au juge national de vérifier si ces conditions sont remplies.
Toujours en 2010, la Cour de justice de l'Union européenne (13) a décidé que n'est pas contraire à la Directive 2000/78/CE, la loi générale sur l'égalité de traitement allemande (en son article 10, point 5), en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de cessation automatique des contrats de travail en raison du fait que le salarié a atteint l'âge de départ à la retraite, dans la mesure où cette disposition est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime relatif à la politique de l'emploi et du marché du travail et parce que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. La Directive 2000/78/CE doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à une mesure telle que la clause de cessation automatique des contrats de travail des salariés ayant atteint l'âge de départ à la retraite fixé à 65 ans, prévue à l'article 19, point 8, de la Convention collective d'application générale aux travailleurs salariés dans le secteur du nettoyage industriel.
La Cour de justice de l'Union européenne a précisé en 2009 (14) que l'article 6 § 1 de la Directive 2000/78/CE n'impose pas aux Etats membres d'établir, dans leurs mesures de transposition, une liste spécifique des différences de traitement pouvant être justifiées par un objectif légitime. Les objectifs légitimes et les différences de traitement qui y sont visés n'ont qu'une valeur indicative, ainsi qu'en atteste le recours, par le législateur communautaire, à l'adverbe "notamment".
Enfin, par son arrêt "Palacio" (préc., points 68 et 69) la Cour de justice de l'Union européenne avait déjà énoncé que les Etats membres ainsi que les partenaires sociaux au niveau national disposent d'une large marge d'appréciation dans le choix de la poursuite d'un objectif déterminé parmi d'autres en matière de politique sociale et de l'emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (15). Tel est notamment le cas en ce qui concerne le choix que peuvent être amenées à effectuer les autorités nationales, en fonction de considérations d'ordre politique, économique, social, démographique et/ou budgétaire et eu égard à la situation telle qu'elle se présente concrètement sur le marché du travail d'un Etat membre déterminé, d'allonger la durée de la vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir le départ à la retraite plus précoce de ces derniers.
II - Les moyens pour réaliser cet objectif doivent être appropriés et nécessaires
La Directive 2000/78/CE (art. 6 § 1, alinéa 1er) admet que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsque, premièrement, elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime (supra) et deuxièmement, pour autant que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (A). Le droit interne s'aligne sur cette exigence, au titre de l'article L. 1133-2 (B).
A - Jurisprudence communautaire
La question a été posée, il y a peu, à propos du droit bulgare. Celui-ci prévoyait la mise à la retraite d'office des professeurs d'université ayant atteint l'âge de 68 ans. Pour la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 18 novembre 2010, aff. C-250/09 et aff. C-268/09, cons. 31 à 34, préc.), ces personnes étaient traitées moins favorablement que d'autres personnes exerçant la même profession au motif qu'elles ont dépassé l'âge de 68 ans. Si l'on admet que les différences de traitement fondées sur l'âge sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime (supra), encore faut-il vérifier que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
1 - Moyens mis en oeuvre pour réaliser un objectif de politique de l'emploi
La question de la fixation d'une limite d'âge de 68 ans a été tranchée par la Cour de justice de l'Union européenne, en 2010 (point 70 de l'arrêt "Petersen", CJCE, 12 janvier 2010, aff. C-341/08 N° Lexbase : A2386EQG) : selon l'évolution de la situation de l'emploi dans le secteur concerné (dentaire), l'application d'une limite d'âge (laquelle conduit à la sortie du marché des praticiens les plus âgés) peut permettre de favoriser l'emploi des professionnels plus jeunes.
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 18 novembre 2010, aff. C-250/09 et aff. C-268/09, préc.) conclut qu'un Etat membre peut estimer approprié de fixer une limite d'âge pour atteindre des objectifs de politique de l'emploi. La fixation d'une telle limite d'âge pour la cessation du contrat de travail n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre des objectifs de politique de l'emploi, pour autant que la législation nationale réponde à ces objectifs de manière cohérente et systématique.
2 - Moyens appropriés et nécessaires
Le régime bulgare apparaît susceptible d'être justifié au sens de la Directive 2000/78/CE (CJUE, 18 novembre 2010, aff. C-250/09 et aff. C-268/09, préc., cons. 60). Les professeurs auxquels il est proposé un contrat à durée déterminée peuvent choisir soit de partir en retraite avec une pension, soit de continuer à travailler au-delà de l'âge de 65 ans. De plus, les contrats à durée déterminée bulgares sont limités à une durée de un an et renouvelables au maximum deux fois. Il répondait ainsi aux exigences (énoncées à la clause 5, point 1) de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée aux fins de prévenir des abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs. Au final, le droit bulgare, prévoyant la conclusion de CDD, permet concilier tant les besoins des professeurs concernés que ceux des universités et peut constituer un moyen approprié et nécessaire aux fins d'atteindre les objectifs de politique de l'emploi, si cette législation répond à ces objectifs de manière cohérente et systématique.
B - Jurisprudence interne
En mai 2010, la Cour de cassation s'est prononcée sur la demande tendant à l'annulation de son licenciement et au paiement de dommages-intérêts d'un salarié, pilote de ligne (16). La cour d'appel a relevé que la limite d'âge a été retenue en raison de sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant le transport aérien de passagers. La fixation d'une telle limite d'âge est donc légitime au sens de la Directive européenne en ce qu'elle répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, de façon raisonnable et proportionnée au regard de la spécificité de l'activité et du métier de pilote. Mais pour la Cour de cassation, si ces objectifs étaient légitimes, il appartenait aux juges du fond de rechercher si la cessation des fonctions de pilote à l'âge de 60 ans était nécessaire à leur réalisation.
Par un autre arrêt rendu le même jour (17), la Cour de cassation a retenu la même solution. Mme X a été employée à compter du 26 mai 1986 par l'Opéra national de Paris en qualité de régisseur de production, puis de chef du service patrimoine. Par lettre du 27 janvier 2005, l'employeur lui a notifié sa mise à la retraite, à l'âge de 60 ans, conformément aux dispositions de l'article 6 du décret n° 68-382 du 5 avril 1968, modifié le 16 octobre 1980, portant statut de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris. Soutenant qu'en vertu de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 (N° Lexbase : L9595CAM) (primant sur ce décret), sa mise à la retraite n'était possible, en l'absence de dérogation prévue par un accord collectif, que si elle avait atteint l'âge de 65 ans et que cette mesure constituait une discrimination à raison de l'âge, s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la salariée a saisi la juridiction prud'homale. Les juges du fond ont débouté Mme X... de sa demande, parce que sa mise à la retraite était régie exclusivement par l'article 6 du décret n° 68-382 du 5 avril 1968 et l'intéressée remplissait les conditions d'âge et d'ancienneté requises.
Mais la Cour de cassation a cassé cet arrêt : il appartenait aux juges du fond de vérifier si, pour la catégorie d'emploi de cette salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires. La cour d'appel devait appliquer la directive communautaire consacrant un principe général du droit de l'Union.
(1) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, FS-P+B (N° Lexbase : A2061ENN), et voir les obs. de Ch. Radé, L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4664BMP). Pour la Cour, l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés. Sont de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination, le ralentissement de la carrière de la salariée et les difficultés auxquelles elle a été confrontée, dès après sa participation à un mouvement de grève.
(2) Directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 (N° Lexbase : L8030AUX) ; Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4) ; Directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 76/207/CEE du 9 février 1976 (N° Lexbase : L9630A4G) ; Directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004 (N° Lexbase : L5024GUM) ; Directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 (N° Lexbase : L4210HK7). Sur la discrimination selon l'âge, V. C. Caresche et G. Geoffroy, Rapport d'information sur la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle (COM [2008] 426 final/n° E 3918), Assemblée nationale n° 1653, 6 mai 2009 ; Code annoté européen du travail, Groupe revue fiduciaire, 2010 ; F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen de la protection sociale, Groupe revue fiduciaire, 2010 ; D. Martin, L'arrêt "Mangold" - Vers une hiérarchie inversée du droit à l'égalité en droit communautaire ?, Journal des tribunaux du travail (Bruxelles), 2006, p. 109 ; S. Henion-Moreau, M. Le Barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF 2010, coll. Thémis, p. 319 ; Mémento pratique F. Lefebvre, Union européenne 2010/2011, juridique, fiscal, social, novembre 2009, spec. n° 19183 à 19191 ; L. Potvins-Solis (dir.), Sur le principe de non-discrimination face aux inégalités de traitement entre les personnes dans l'Union européen (7ème journée d'étude du pôle européen J. Monet), Bruylant 2010 ; P. Rodière, Traité de droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2008, n° 169 à 169-3 ; J.-M. Servais, Droit social de l'Union européenne, Bruylant 2008 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, coll. Manuel, 3ème édition n° 613.
(3) I. Vasseur, Rapport Assemblée nationale, n° 695 ; M. Dini, Rapport Sénat n° 253 (2007-2008) ; C. Hummel, Rapport d'information, Sénat n° 252 (2007-2008) ; I. Vasseur, Rapport Assemblée nationale n° 882 ; M. Dini, Rapport Sénat, n° 324 (2007-2008).
(4) Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.945, FS-P+B (N° Lexbase : A6457EGA), Voir nos obs., Discrimination selon l'âge et indemnité de licenciement conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 350 du 14 mai 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0723BKY).
(5) Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9), art. 164, qui se contente d'insérer, dans le chapitre II du titre II du livre Ier du Code du travail, avant l'article L. 122-45, une division et un intitulé ainsi rédigés : "Section 7. Discriminations".
(6) Cass. soc., 17 novembre 2010, n° 09-42.071, F-D (N° Lexbase : A5830GK7). V. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2589ET3).
(7) Cass. soc., 19 octobre 2010, n° 08-45.254, F-D (N° Lexbase : A4158GCY).
(8) Cass. soc., 21 juin 1995, n° 93-46.193 (N° Lexbase : A4051AAB), Bull. civ. V, n° 205.
(9) Cass. soc., 22 octobre 1996, n° 94-43.319 (N° Lexbase : A7793CYB).
(10) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-42.046 (N° Lexbase : A2474AGQ).
(11) Cass. soc., 22 février 2000, n° 98-45.702 (N° Lexbase : A5583AWP).
(12) CJUE, 18 novembre 2010, jonction, aff. C-250/09 et C-268/09 (N° Lexbase : A5491GI9), voir nos obs., La volonté du salarié de continuer de travailler après l'âge de la retraite face à la mise à la retraite d'office, Lexbase Hebdo n° 420 du 9 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8308BQR).
(13) CJUE, 12 octobre 2010, deux arrêts, aff. C-45/09 (N° Lexbase : A4807GBN) et aff. C-499/08 (N° Lexbase : A4808GBP) et voir nos obs., Comment la CJUE caractérise une discrimination fondée sur l'âge et apprécie la justification d'une différence de traitement, Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4314BQT).
(14) CJCE, 16 octobre 2007, aff. C-411/05, Palacios de la Villa (N° Lexbase : A7508DYQ), Rec. p. I-8531, point 50, Recueil 2007, p. I-08531, E. Broussy, F. Donnat, C. Lambert, Chronique de jurisprudence communautaire. Egalité de traitement - discrimination liée à l'âge, AJDA, 2007, p. 2249 ; L. Idot, Clauses de mise à la retraite d'office et égalité de traitement, Europe, décembre 2007, comm. n° 338 p. 25 ; H. Tissandier, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2008, p. 97 ; J. Cavallini, Mise à la retraite d'office et non-discrimination fondée sur l'âge, JCP éd. S, 2008, n° 1152 p. 29 ; F. Donnat, Chronique annuelle 2007 de jurisprudence communautaire, Revue juridique de l'Economie publique, 2008, n° 655 p. 17 ; C. Canazza, Arrêt "Palacios" : la Cour tempère l'interdiction des discriminations fondées sur l'âge, Journal des tribunaux / droit européen, 2008, n° 147 p. 79 et v. nos obs., La mise à la retraite d'office n'est pas nécessairement discriminatoire au nom des politiques de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 284 du 31 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3667BD8).
(15) CJCE, 22 novembre 2005, "Mangold", aff. C-144/04, préc., point 63.
(16) Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-45.307, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT).
(17) Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-43.681 (N° Lexbase : A1605EXQ), Bull. civ. V, n° 105, Liaisons Sociales Europe, n° 253 du 27 mai 2010, note J.-P. Lhernould.
Décisions
Cass. soc., 16 février 2011, n° 10-10.465, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1625GXH) CA Paris, Pôle 6, ch. 1, 10 décembre 2009 Cass. soc., 16 février 2011, n° 09-72.061, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1575GXM) CA Bordeaux, sect. A, 13 octobre 2009, n° 08/03963 (N° Lexbase : A9482EW4) Textes concernés : Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4) Mots-clés : mise à la retraite, condition de validité, non-discrimination, discrimination selon l'âge, appréciation, critères d'appréciation, contrôle du juge. Liens base : (N° Lexbase : E9722ESU) |
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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
Le 03 Mars 2011
La prestation compensatoire est l'un des points les plus débattus lors d'un divorce. Le 12 janvier dernier, la Cour de cassation a eu à répondre à la question suivante : les juges peuvent-ils tenir compte, lors de la fixation du montant de la prestation compensatoire, du concubinage antérieur au mariage ?
Une femme, à présent âgée de 63 ans, s'était mariée en 2004 à l'âge de 57 ans. A l'époque, elle exerçait la profession de secrétaire administrative et était déjà divorcée. Elle avait eu une enfant avec le défendeur, en 1986, alors qu'ils vivaient en concubinage. Elle reprochait à la cour d'appel de lui avoir attribué une prestation compensatoire sous la forme d'un capital dont le montant était fixé à seulement à 20 000 euros. Elle avançait, à l'appui de son pourvoi, qu'elle avait travaillé à temps partiel à compter de la naissance de sa fille, jusqu'en 2003, soit quelques mois avant le mariage, afin d'élever son enfant et de consacrer plus de temps à sa famille. Mais la Cour de cassation a rejeté son pourvoi. D'une part, elle a indiqué que les juges du fond n'avaient pas à tenir compte de la vie commune antérieure au mariage pour déterminer les besoins et les ressources des époux en vue de la fixation de la prestation compensatoire. D'autre part, elle a rappelé que la fixation du montant et des modalités de versement de la prestation compensatoire relevait du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Il n'appartient pas à la Cour de cassation, chargée de juger en droit et non en fait, de rechercher si, et dans quelle mesure, la rupture du mariage crée, dans les conditions de vie des époux, une disparité qu'il convient de compenser par l'attribution à l'un d'eux d'une prestation compensatoire. Cette mission incombe aux juges du fond et la Cour de cassation vérifie seulement s'ils l'ont bien remplie.
Le divorce met fin au devoir de secours entre époux prévu par l'article 212 du Code civil (N° Lexbase : L1362HIB) (C. civ., art. 270, al. 1er N° Lexbase : L2837DZ4). Toutefois, "l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation compensatoire" (al. 2). L'objectif n'est pas de réduire l'inégalité de fortune, des conditions de vie ou des talents existant entre les époux, ou de remédier aux inconvénients du régime matrimonial librement choisi en commun. La prestation compensatoire est "destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives" des époux (al. 2). Elle peut être allouée même si celui qui la réclame n'est pas dans le besoin. Il suffit, en principe, que le juge constate un déséquilibre financier créé par le divorce. Exceptionnellement, ce dernier peut refuser l'attribution d'une prestation compensatoire si l'équité le commande, et ce même s'il constate que le divorce crée une disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Ce refus doit être motivé, soit en considération des éléments cités par l'article 271 du Code civil (N° Lexbase : L3212INB) pour la fixation du montant de la prestation, soit par les circonstances particulières de la rupture si celui qui demande la prestation compensatoire est exclusivement fautif (al. 3).
Aux termes de l'article 271 du Code civil, le juge prend en considération, pour fixer le montant de la prestation compensatoire, les besoins de l'époux auquel elle est versée et les ressources de l'autre. Il doit tenir compte "de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible" en prenant "en considération notamment" :
- "la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa".
La question s'est rapidement posée de savoir si la liste posée par l'article 271 du Code civil était limitative. En choisissant d'utiliser l'adverbe "notamment", avant d'énoncer les éléments pouvant être pris en considération, le législateur avait-il envisagé cette liste comme non exhaustive ? Dans un arrêt rendu le 14 mars 2006, appliquant les dispositions de la législation antérieure, la Cour de cassation a énoncé que "l'énumération de l'article 272 du Code civil (dont les dispositions ont été reprises à l'article 271) n'étant pas limitative, la cour d'appel pouvait aussi tenir compte, dans la détermination des besoins et des ressources des époux, d'éléments d'appréciation non prévus par ce texte" (1). Or, dans cette affaire, la cour d'appel avait pris en compte, pour fixer la prestation compensatoire, la durée de la vie commune et non la durée du mariage.
Quelle est la différence entre "vie commune" et "mariage" ? La première est "plus large" que le second. Elle peut viser le mariage, certes, mais aussi le concubinage et le PACS. Certains ont alors pensé que, lors de la fixation du montant de la prestation compensatoire, le concubinage, situation souvent antérieure au mariage, pouvait être pris en compte dans le calcul de la durée de la vie commune et, par ricochet, dans l'appréciation de la disparité que le divorce crée dans les conditions de vie des époux.
Que nenni ! La Cour de cassation a précisé, en 2008, dans deux arrêts rendus le même jour, dans quelle mesure la durée de la "vie commune" pouvait être prise en considération. Dans la première affaire, elle a énoncé que "dans la détermination des besoins et des ressources en vue de la fixation de la prestation compensatoire, le juge peut prendre en considération la durée de la vie commune postérieure à la célébration du mariage" (2). En l'espèce, le couple s'était marié en 1993, s'était séparé en 1999, une ordonnance de non-conciliation avait été rendue en 2001 et un jugement avait prononcé le divorce aux torts du mari en 2005. Dans la seconde affaire, la Cour de cassation a indiqué, comme dans l'arrêt du 12 janvier dernier, que "les juges du fond n'ont pas à tenir compte de la vie commune antérieure au mariage pour déterminer les besoins et les ressources des époux en vue de la fixation de la prestation compensatoire" (3). Le couple, cette fois, avait vécu en concubinage à partir de 1978, s'était marié en 1999 et un jugement avait prononcé leur divorce en 2004.
A première vue, ces décisions sont critiquables. Les juges peuvent tenir compte de la vie commune postérieure au mariage, donc d'une séparation de fait ou de droit, ce qui en pratique n'est pas très fréquent et dure souvent peu avant qu'un divorce soit prononcé ; mais pas de la vie commune antérieure au mariage, c'est à dire le concubinage ou le PACS, ce qui, dans les faits, existe souvent, plus ou moins longuement. Si une union dure vingt ans, avec un mariage la première année et une séparation de fait les dix-neuf suivantes, l'époux qui réclame une prestation compensatoire peut se prévaloir de vingt ans de vie commune. Au contraire, si une union dure vingt ans avec dix neuf ans de concubinage et, in fine, un an de mariage, l'époux qui réclame une prestation compensatoire ne peut se prévaloir que d'une année de vie commune. Or, il est fort probable que le divorce crée plus de disparités dans les conditions de vie des époux dans le second cas (les époux ayant généralement eu des logements, des comptes... communs pendant vingt ans) que dans le premier (les époux ayant généralement eu des logements, des comptes... séparés depuis dix-neuf ans). Le concubinage précédant le mariage contribue, souvent autant, voire plus, que ce dernier selon sa durée, à créer une situation que le divorce bouleverse.
Après examen, toutefois, ces critiques ne sont pas méritées et ces solutions doivent être approuvées. Les concubins ne peuvent pas choisir un mode d'union dit "libre", se soustraire à la solidarité pour les dettes du ménage (C. civ., art. 220 N° Lexbase : L2389AB4) (4), à la contribution aux charges du mariage (C. civ., art. 214 N° Lexbase : L2382ABT) (5), y compris si la période de concubinage est suivie par un mariage (6)... et demander, lorsqu'ils se séparent, l'application des dispositions relatives à la dissolution du mariage. La rupture du concubinage ne peut justifier le versement d'une prestation compensatoire. Par conséquent, la période de concubinage, fût-elle suivie d'un mariage, ne doit pas pouvoir être prise en compte pour la fixation d'une prestation compensatoire. Inversement, même s'ils sont séparés de fait ou de droit, les conjoints sont toujours mariés. La durée du mariage, premier élément que les juges doivent apprécier selon l'article 271 du Code civil, inclus la durée de la séparation. Néanmoins, en pratique, la Cour de cassation rappelle régulièrement que la disparité dans les conditions de vie des époux doit résulter de la rupture du mariage. Par conséquent, si celle-ci préexistait et si le divorce n'a eu aucune incidence, parce que les époux vivaient séparément avec leurs propres revenus depuis plusieurs années par exemple, la prestation compensatoire n'est pas attribuée.
Depuis le 1er janvier 2005, date d'entrée en vigueur de la réforme du 26 mai 2004 (loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, relative au divorce N° Lexbase : L2150DYB), les causes et les conséquences du divorce sont dissociées. L'époux "fautif" n'est plus accablé et l'époux "innocent" est moins facilement indemnisé. Cela se ressent, notamment, pour l'attribution d'une prestation compensatoire et de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil (N° Lexbase : L2833DZX).
Dans une affaire jugée le 26 janvier dernier, un divorce a été prononcé aux torts exclusifs du mari, après quarante ans de mariage, et l'épouse n'a obtenu ni une prestation compensatoire sous la forme qu'elle voulait, ni des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil. Les Hauts magistrats ont estimé, dans les deux cas, que les conditions d'attribution fixées par le législateur n'étaient pas remplies.
1. La prestation compensatoire sous forme d'usufruit
En principe, la prestation compensatoire doit être fixée sous la forme d'un capital. Ce dernier peut consister : soit en un versement d'une somme d'argent, soit en l'attribution de biens en propriété ou d'un droit temporaire ou viager d'usage, d'habitation ou d'usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier.
En l'espèce, l'épouse, âgée de 70 ans, ne percevait que 822 euros de retraite alors que l'époux, âgé de 64 ans, disposait d'une retraite de 2 500 euros environ. Le couple était propriétaire d'une maison, ayant constitué le domicile conjugal, alors occupée par l'épouse. Tandis que Madame souhaitait l'usufruit de la part revenant à l'époux sur cette villa, Monsieur demandait la confirmation de la décision octroyant à l'épouse la somme de 80 000 euros à titre de prestation compensatoire.
Certes, l'existence d'une disparité au détriment de l'épouse n'était ni contestable ni contestée. Le mari, d'ailleurs, ne refusait pas de lui verser une prestation compensatoire. Certes encore, dans ses conclusions d'appel, l'épouse avait indiqué la valeur de la maison, ce qui rendait déterminable le montant de la demande de prestation compensatoire sous forme d'usufruit. Cependant elle n'avait pas chiffré sa demande. La cour d'appel (7) a donc jugé que celle-ci ne pouvait pas être accueillie et a confirmé la décision déférée, allouant une prestation compensatoire de 80 000 euros. La Cour de cassation l'a approuvée. Elle a estimé que, ayant constaté que l'épouse n'avait pas évalué le droit d'usufruit dont elle sollicitait l'attribution, la cour d'appel n'avait, en écartant cette prétention, fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 275 du Code civil (N° Lexbase : L2841DZA). Le moyen n'était donc pas fondé.
Cette solution n'est pas nouvelle et doit être approuvée.
En 2005, la Cour de cassation a cassé l'arrêt qui avait attribué à une épouse, à titre de prestation compensatoire, l'usufruit d'un immeuble commun, sans en fixer le montant (8) et rejeté le pourvoi contre la décision qui avait jugé que la demande de prestation compensatoire en usufruit dont la valeur n'était pas chiffrée devait être écartée (9).
L'attribution de la prestation compensatoire sous la forme de biens soulève la question de leur valeur exacte. En effet, cette détermination est essentielle pour deux raisons. D'abord, selon l'article 271 du Code civil, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre". La détermination du montant du capital permet donc de vérifier la bonne motivation de la décision, quant à l'équilibre entre les ressources et les besoins des parties. Ensuite, l'article 1080 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1512H4R) dispose : "Lorsque des biens ou des droits sont attribués à titre de prestation compensatoire en application du 2° de l'article 274 du Code civil (N° Lexbase : L2840DZ9), la convention homologuée ou la décision qui prononce le divorce précise leur valeur. Lorsque ces biens ou droits sont soumis à la publicité foncière, elle précise en outre les mentions nécessaires à la publication du titre de propriété dans les formes prévues par le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière (N° Lexbase : L9182AZ4)". Par conséquent, si les prestations sous la forme de transfert d'un bien en usufruit, usage ou propriété donnent lieu à la perception d'une taxe proportionnelle de publicité foncière quand le bien s'y trouve soumis, il est normal que la décision de divorce qui attribuent des biens de ce type en indiquent leur valeur.
2. Les dommages et intérêts pour "conséquences d'une particulière gravité"
Avant la réforme du 26 mai 2004, l'article 266 du Code civil indiquait que l'époux exclusivement fautif pouvait "être condamné à des dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel ou moral que la dissolution du mariage fait subir à son conjoint". Depuis le 1er janvier 2005, ce texte dispose que, "sans préjudice de l'application de l'article 270, des dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage soit lorsqu'il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu'il n'avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint". Pour pouvoir accorder des dommages et intérêts sur le fondement de ce texte, les juges ne doivent plus rechercher si le conjoint non fautif subit un dommage moral ou matériel mais en quoi la dissolution du mariage constitue un préjudice d'une particulière gravité. Et l'exceptionnelle gravité doit s'entendre, selon la cour d'appel de Paris, des conséquences qui excèdent celles habituelles affectant toute personne se trouvant dans la même situation (10).
La jurisprudence, bien que casuistique, semble marquer le changement de termes de l'article 266 du Code civil. Il a par exemple été jugé, sous l'empire de l'ancienne rédaction de ce texte, qu'en relevant que la dissolution du mariage était intervenue "après une longue période de vie commune", les juges du fond avaient fait ressortir que le préjudice subi par l'épouse était un préjudice moral et avait pu lui accorder 20 000 euros de dommages et intérêts (11). Plus récemment, au contraire, il a été décidé en application de la nouvelle version de l'article 266 du Code civil, que n'avait pas caractérisé des conséquences d'une particulière gravité, justifiant la condamnation de l'ex-époux à verser 15 000 euros de dommages et intérêts, le fait que celui-ci ait quitté son épouse après 39 ans de mariage, dans des conditions difficiles et en recherchant une nouvelle compagne (12).
Dans l'affaire commentée, l'épouse sollicitait la confirmation de la décision de première instance lui allouant 5 000 euros de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 266 du Code civil, eu égard à la durée du mariage et l'âge des époux. Elle faisait valoir que l'inconduite de son époux, qui l'avait abandonnée après quarante deux ans de mariage, alors qu'elle était âgée de 70 ans, en la laissant seule et désemparée, entraînait pour elle des conséquences d'une particulière gravité. Certes, les juges ont relevé que la séparation du couple, après tant d'années de mariage, constituait probablement une épreuve difficile. Néanmoins, la preuve des conséquences d'une particulière gravité subies du fait de la dissolution du mariage n'était pas établie. La demande de dommages-intérêts n'apparaissait pas suffisamment fondée. Le pourvoi fut rejeté.
D'un point de vue juridique, la décision de la Cour de cassation n'est pas surprenante. La cour d'appel ayant souverainement estimé que l'épouse ne prouvait pas avoir subi des conséquences d'une particulière gravité du fait de la dissolution du mariage, la Cour de cassation, jugeant en droit et non en fait, ne pouvait que rejeter le pourvoi.
D'un point de vue pratique, la décision peut, en revanche, paraître sévère. Il est fort probable que le divorce prononcé après quarante ans de mariage, aux torts exclusifs de l'époux, entraine pour l'épouse, si ce ne sont des conséquences d'une particulière gravité, au moins un préjudice, matériel ou moral. C'est d'ailleurs certainement ce à quoi les juges ont pensé en qualifiant cette séparation "d'épreuve difficile". Cependant, comme l'article 266 du Code civil ne vise plus "un préjudice moral ou matériel" mais "des conséquences d'une particulière gravité", l'épouse aurait dû fonder sa demande sur l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), droit commun de la responsabilité civile en invoquant, par exemple, un préjudice résultant d'un abandon moral et financier. En effet, il est admis qu'indépendamment du divorce et de ses sanctions propres, l'époux qui invoque un préjudice étranger à celui résultant de la rupture du lien conjugal peut demander réparation à son conjoint dans les conditions de droit commun. Dans une affaire où les juges du fond avaient accordé 11 000 euros de dommages et intérêts sans indiquer s'ils s'étaient fondés sur l'article 266 ou 1382 du Code civil, la Cour de cassation a énoncé qu'"ayant réparé le préjudice causé par le comportement fautif invoqué par Mme X, résultant de son abandon moral et financier après 15 ans de mariage par son mari, parti s'installer avec une autre femme, la cour d'appel a nécessairement statué sur le fondement de l'article 1382 du Code civil" (13).
(1) Cass. civ. 1, 14 mars 2006, n° 04-20.352, F-P (N° Lexbase : A6106DNH), Bull. civ. I, n° 155.
(2) Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-17.652 (N° Lexbase : A9369D77) Bull. civ. I, n° 111.
(3) Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-12.814, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9364D7X), Bull. civ. I, n° 112. Voir aussi Cass. civ. 1, 1er juillet 2009, n° 08-18.147, F-D (N° Lexbase : A5903EIH).
(4) Cass. civ. 1, 27 avril 2004, n° 02-16.291, F-P+B (N° Lexbase : A0080DCX), Bull. civ. I, n° 113.
(5) Cass. civ. 1, 28 novembre 2006, n° 04-15.480, F-P+B (N° Lexbase : A7694DSR), Bull. civ. I, n° 517.
(6) Cass. civ. 1, 9 janvier 1979, n° 77-12.991 (N° Lexbase : A7107CGC), Bull. civ. I, n° 11.
(7) CA Montpellier, 12 janvier 2010, n° 09/00051(N° Lexbase : A7836GLS).
(8) Cass. civ. 1, 22 mars 2005, n° 02-18.648, FS-P+B (N° Lexbase : A4079DHK), Bull. civ. I, n° 145.
(9) Cass. civ. 1, 19 avril 2005, n° 03-19.691, F-P+B (N° Lexbase : A9622DHT), Bull. civ. I, n° 191.
(10) CA Paris, 24ème ch., sect. C, 15 janvier 2009, n° 07/21971 (N° Lexbase : A2018ED4), D., 2010, Pan. 1243.
(11) Cass. civ. 2, 27 janvier 2000, n° 96-11410 (N° Lexbase : A1541CKB), Bull. civ. II, n° 17.
(12) Cass. civ. 1, 1er juillet 2009, n° 08-17.825, FS-P+B (N° Lexbase : A5897EIA), Bull. civ. I, n° 145.
(13) Cass. civ. 1, 23 janvier 2007, n° 06-11.502, F-D (N° Lexbase : A6948DTI).
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par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise
Le 03 Mars 2011
A - Inventaire du procès-verbal de clôture des opérations
Il ressort de l'article L. 16 B IV (N° Lexbase : L0549IHS ; tel qu'il ressort de la réforme opérée par l'article 164 de la loi n° 2008-776, du 4 août 2008, de modernisation de l'économie, dite "LME" N° Lexbase : L7358IAR) qu'"un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l'administration des impôts. Un inventaire des pièces et documents saisis lui est annexé s'il y a lieu. Le procès-verbal et l'inventaire sont signés par les agents de l'administration des impôts et par l'officier de police judiciaire ainsi que par les personnes mentionnées au premier alinéa du III ; en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal".
L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 janvier 2011 confirme que l'article L. 16 B du LPF n'impose pas que l'on puisse vérifier, par une simple lecture de l'inventaire, que les pièces saisies entrent dans le cadre de l'autorisation donnée. E, revanche, il appartient au premier président de la cour d'appel, en cas de contestation du caractère saisissable de certains documents, de rapprocher l'ordonnance d'autorisation des pièces saisies. Ainsi, l'ordonnance qui relèverait que l'inventaire, faisant état de pièces, qui, malgré leur compostage comportant numérotation, ne seraient pas décrites ni regroupées en fonction de leur contenant ou sur un intitulé général, ne permet pas au juge de contrôler que lesdites pièces saisies rentrent bien dans le cadre de l'ordonnance d'autorisation et doit être entachée d'irrégularité. Cette décision confirme une position préalablement prise par la Haute juridiction (Cass. com., 9 novembre 2010, n° 09-17.210, F-P+B N° Lexbase : A9009GGR ; nos obs., Chronique droit pénal fiscal, Lexbase Hebdo n° 426 édition fiscale du 2 février 2011 N° Lexbase : N3380BRM).
Au regard de cet inventaire, il est intéressant de noter la jurisprudence relative à la saisie de disques durs. Il a été jugé que les saisies ne sont pas irrégulières, dès lors que les enquêteurs ont procédé à la prise en copie de documents à partir des fichiers figurant dans le disque dur de l'ordinateur portable de l'occupant des lieux. Dans ce cas, les fichiers copiés doivent être tous identifiables par un préfixe laissant supposer qu'il s'agit de documents concernant l'intéressé et ses activités d'affaires, et que, celui-ci étant apparu, à la faveur des renseignements recueillis, comme le dirigeant de la société recherchée, de tels fichiers, susceptibles de contenir des documents administratifs et bancaires, demeuraient dans les limites de l'autorisation délivrée (Cass. com., 12 octobre 2010, n° 09-70.591, F-D N° Lexbase : A8726GBS). Dans cette affaire, le contribuable dénonçait l'absence de distinction entre les documents privés et ceux d'une éventuelle activité professionnelle. La Cour de cassation transpose à la procédure des visites domiciliaires en matière fiscale, le principe qu'elle avait déjà adopté pour la procédure des visites domiciliaires prévue par l'article L. 450-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2208IEI) en matière de concurrence (Cass. crim., 17 juin 2009, n° 07-88.354, F-D N° Lexbase : A9381EIB). Les saisies de données informatiques sont possibles, dès lors que les fichiers concernés sont identifiables. De manière générale, l'identification des documents permettant le rapprochement avec le bien-fondé de l'ordonnance d'autorisation apparaît comme l'élément majeur du contrôle du juge.
Le Conseil d'Etat a eu l'occasion, par deux arrêts récents, d'apporter des précisions sur les transferts de fonds de l'étranger vers la France. Il s'agissait, dans un premier temps, de répondre à une double question importante relative aux transferts de fonds et de savoir si une personne domiciliée fiscalement hors de France entrant sur le territoire national avec des sommes d'origine étrangère, était imposable en France sur ces sommes ? Cette situation serait-elle identique en cas de transfert en cours d'année de son domicile fiscal en France ? La Haute juridiction s'est prononcée ensuite sur la compatibilité de l'article 1649 A aux articles 63 (N° Lexbase : L2713IP8) et 65 (N° Lexbase : L2715IPA) du TFUE (ex articles 56 et 58 du Traité CE) relatifs à la libre circulation des capitaux et des paiements.
Il convient de rappeler, tout d'abord, que la levée du contrôle des changes, depuis le 1er janvier 1990, se traduit par la possibilité de transférer librement des capitaux à l'étranger et d'y détenir des avoirs. L'obligation de déclarer les transferts de fonds n'est pas uniquement une obligation fiscale. Elle est également, et avant tout, une obligation douanière prévue par l'article L. 152-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4710IE8 auquel renvoie l'article 1649 A du CGI). La non-déclaration des sommes transférées entraîne l'application d'une amende égale au quart de la somme en cause, voire la confiscation des sommes concernées en cas d'infraction au Code des douanes (C. mon. et fin., art. L. 152-4 N° Lexbase : L2304INN). Il en résulte que les personnes fiscalement domiciliées hors de France restent tenues de déclarer les transferts de sommes qu'elles effectuent, même si ces sommes ne sont pas imposables en France.
C'est pour éviter certaines formes d'évasion fiscale, que l'article 98 de la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989, modifiée en 1990 et 2004 (N° Lexbase : L8249AU3) a institué deux obligations de déclaration : la première concerne les transferts de fonds vers l'étranger ou en provenance de l'étranger, la seconde est relative aux détentions de comptes à l'étranger. Signalons qu'a été également instituée une obligation de communication de renseignements à l'administration fiscale, sur les transferts de fonds à l'étranger, à la charge des organismes financiers. La preuve de la réalité du transfert de sommes vers ou en provenance de l'étranger doit être apportée par l'administration lorsqu'elle soutient que le contribuable n'a pas respecté son obligation de déclaration du transfert, en contravention avec les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI (N° Lexbase : L4680ICC) (CAA Bordeaux, 3ème ch., 21 février 2006, n° 02BX2622, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6601DNS).
Il ressort en effet de l'article 1649 quater A du CGI que les personnes physiques qui transfèrent, vers un Etat membre de l'Union européenne, ou en provenance de celui-ci, des sommes, titres ou valeurs, sans l'intermédiaire d'un organisme financier (banques, Banque de France, Caisse des dépôts et consignations...), sont tenues de déclarer à l'administration des douanes chaque transfert d'un montant égal ou supérieur à 10 000 euros. De même, les personnes physiques entrant ou sortant de la Communauté, avec au moins 10 000 euros en argent liquide, doivent déclarer la somme transportée aux autorités douanières de l'Etat par lequel elles entrent ou sortent de la Communauté (Règlement n° CE/1889/2005 du 26 octobre 2005 N° Lexbase : L3412HE4). Par ailleurs, les personnes physiques, les associations et les sociétés, n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, doivent déclarer, en même temps que leurs déclarations de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos par elles à l'étranger. Chaque compte doit faire l'objet d'une déclaration distincte (établie sur un imprimé n° 3916 ou sur papier libre reprenant les mentions de l'imprimé). A ce stade, signalons que l'arrêt commenté du 17 décembre 2010 a jugé que l'obligation faite aux personnes physiques, associations et sociétés non commerciales établies en France de déclarer les comptes dont elles sont titulaires à l'étranger ne porte pas une atteinte injustifiée au principe de la libre circulation des capitaux. Elle n'est donc pas incompatible avec le droit de l'Union européenne.
Dans l'arrêt du 1er juillet 2010, le Conseil d'Etat rappelle, dans un premier temps, qu'aux termes de l'article 4 A du CGI (N° Lexbase : L1009HLX), les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent être imposées en France que sur leurs revenus de source française et non pour les sommes qu'elles transfèrent en France depuis l'étranger ou de France vers l'étranger. Ainsi, si ces personnes procèdent à des transferts de fonds depuis l'étranger vers la France, la présomption de revenus imposables en France, prévue par l'article 1649 quater A du CGI, ne s'applique pas. De même, en vertu de l'article 4 A du CGI et de l'article 166 du même code (N° Lexbase : L2843HLU), si un contribuable transfère en cours d'année son domicile fiscal en France, il n'est soumis à une obligation fiscale illimitée en France qu'à compter de cette date. Par conséquent, l'administration fiscale ne pourra pas faire application de la présomption de revenus imposables en France à raison des sommes dont l'intéressé était en possession lors de son entrée sur le territoire national, s'il a transféré son domicile fiscal en France le mois suivant son entrée sur le territoire national. Le service des impôts ne peut donc pas imposer ces sommes sauf à démontrer que les sommes visées se rattachent à des revenus de source française acquis préalablement au transfert du domicile fiscal en France.
C'est donc en se fondant sur les règles de territorialité fixées par l'article 4 A, que le Conseil d'Etat souligne que la présomption de l'article 1649 quater A n'est pas applicable aux transferts de fonds, opérés de l'étranger vers la France, par des personnes non fiscalement domiciliées en France. Il souligne également que cette règle ne peut pas être remise en cause par le fait que le contribuable a, peu de temps après, transféré son domicile fiscal en France. En effet, le contribuable n'est soumis à une obligation fiscale illimitée qu'à partir du moment où il décide de transférer son domicile en France. Les transferts de fonds opérés antérieurement ne sont imposables en France que s'ils peuvent être rattachés à des revenus de source française réalisés avant la date du transfert de domicile.
Avec la décision du 17 décembre 2010 est visé le dispositif instaurant l'obligation de déclaration à l'administration des comptes bancaires ouverts à l'étranger dont le défaut entraîne l'imposition des sommes déposées avec une majoration de 40 %. Il est instauré une obligation déclarative avec une présomption de revenu susceptible d'être renversée en apportant la preuve contraire.
Cette obligation s'inscrit dans l'arsenal juridique mis en place pour lutter contre la fraude fiscale internationale s'inscrivant parmi les mesures nécessaires "visées par le b du 1 de l'article [65 TFUE], que les Etats membres sont susceptibles de prendre pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements en matière fiscale et n'institue pas une discrimination arbitraire" (arrêt du 17 décembre 2010 précité). Il y est précisé que ce dispositif ne peut comporter, eu égard à son économie, de procédure de mise en demeure préalable. Il est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'il poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre, de sorte qu'il doit être regardé comme respectant le principe de proportionnalité et que, par conséquent, il ne porte pas une atteinte injustifiée à la liberté de circulation des capitaux.
II - Sanction
Le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d'Etat, vient de déclarer conforme à la Constitution l'article 235 bis, I du CGI (N° Lexbase : L5148IMM) qui prévoit le versement d'une cotisation de 2 % par les employeurs qui n'ont pas suffisamment investi au cours d'une année donnée.
Les dispositions contestées portent, selon la dénomination actuelle, sur l'"Action Logement" instituée lors des textes mis en oeuvre en 1953 afin de lutter contre la crise du logement du début des années 1950. Les entreprises employant au minimum vingt salariés sont soumises à l'obligation d'investir dans la construction de logements, à titre de participation à l'effort de construction, une contribution annuelle. Celle-ci est plus connue sous le nom de "1 % logement". Il s'agit d'une participation à l'effort de construction calculée sur le montant des rémunérations qu'ils ont payées au cours de l'année précédente. Conformément à l'article 235 bis du CGI, les employeurs qui ne rempliraient pas leur obligation de participation à l'effort de construction sont redevables d'une cotisation égale à 2 % du montant de ces mêmes rémunérations. Ainsi, la cotisation, calculée au taux de 2 % des salaires payés, n'est due que si le montant des investissements réalisés dans les conditions prévues par la réglementation est inférieur au minimum légal. Les textes applicables à la participation-construction sont codifiés sous les articles L. 313-1 (N° Lexbase : L9280ID3) et suivants et R. 313-1 (N° Lexbase : L8229ABE) et suivants du Code de la construction et de l'habitation, ainsi que sous l'article 235 bis du CGI. Cette participation a été initialement instituée pour les seuls employeurs exerçant une activité industrielle ou commerciale dont l'effectif était au minimum de dix salariés. Cette obligation a résulté des décrets n° 53-701 du 9 août 1953 (N° Lexbase : L9447ICU) et n° 53-1184 du 2 décembre 1953, pris sur habilitation de l'article 7 de la loi n° 53-611 du 11 juillet 1953 (N° Lexbase : L9446ICT). Cette réglementation a, par la suite, été étendue par la loi n° 63-613 du 28 juin 1963 à tous les employeurs satisfaisant à la condition d'effectif minimum, à l'exception de l'Etat, des collectivités locales, de leurs établissements publics administratifs et des employeurs agricoles, puis a été modifiée à de nombreuses reprises. Signalons, parmi les dernières modifications, l'article 74, B de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 (N° Lexbase : L1042AWI), qui traite des règles de recouvrement de la cotisation de 2 % due en cas d'insuffisance d'investissement et le relèvement du seuil d'assujettissement des employeurs de dix à vingt salariés par l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-895 du 2 août 2005 (N° Lexbase : L0753HBI). Par ailleurs, l'article 29 de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 (N° Lexbase : L6672HET) a soumis à la participation construction les employeurs occupant au minimum cinquante salariés agricoles. Enfin, l'article 8 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 (N° Lexbase : L0743IDU) a procédé à une réécriture des dispositions du CCH qui définissent les obligations des entreprises en matière de participation à l'effort de construction.
Selon la décision de renvoi du Conseil d'Etat devant le Conseil constitutionnel, il est précisé que la cotisation "est ainsi susceptible d'être regardée comme une sanction ayant pour objet de réprimer le non-respect par l'employeur de ses obligations". Les sociétés requérantes avançaient que l'article 235 bis du CGI ne respectait pas le principe de nécessité des peines et de proportionnalité des sanctions ainsi que l'article 8 de la DDHC (N° Lexbase : L6813BHS) garantissant le respect des droits de la défense. Selon les termes mêmes de cet article, "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".
Le Conseil constitutionnel applique aux sanctions administratives, et notamment aux sanctions fiscales, non seulement le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines et le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère qui découlent de l'article 8 précité de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, mais aussi le principe du respect des droits de la défense qui est plutôt de l'ordre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Le Conseil constitutionnel estime que "ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire" (Cons. const., 29 décembre 1989, n° 89-268 DC N° Lexbase : A8205ACU ; Cons. const., 28 décembre 1990, n° 90-285 DC N° Lexbase : A8228ACQ). L'ensemble de ces principes n'est susceptible de s'appliquer qu'aux peines et aux sanctions ayant le caractère de punition. La cour administrative d'appel de Douai avait eu l'occasion de préciser que la cotisation de 2 % ne constituait pas une sanction et avait rejeté la qualification retenue par le tribunal administratif (CAA Douai, 2ème ch., 26 juillet 2001, n° 98DA01709, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0294AZW). La position du Conseil constitutionnel a toujours été très rigoureuse sur la notion de sanction ayant le caractère de punition, adoptant une interprétation téléologique. C'est en effet la finalité répressive poursuivie qui importe. Ainsi, concernant l'article L. 321-13 du Code de travail (abrogé N° Lexbase : L6080H93), le Conseil constitutionnel a-t-il eu l'occasion de considérer que ne constituait ni une peine, ni une sanction, la majoration du montant de la contribution due par l'employeur au profit du régime de l'assurance chômage en cas de licenciement d'un salarié âgé (Cons. const., 29 juillet 1992, n° 92-311 DC, loi portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle N° Lexbase : A8266AC7). De même, dans le cadre d'un dispositif quasiment similaire de contribution facultative, dans un premier temps suivi d'une imposition dans le domaine de la lutte contre la pollution, il a été décidé que le second volet de taxation, en l'occurrence une taxe générale sur les activités polluantes, ne constituait pas une sanction (Cons. const., 29 décembre 2003, n° 2003-488 DC, loi de finances rectificative pour 2003 N° Lexbase : A6498DAW).
Au regard de son interprétation stricte de la notion de sanction nécessitant un caractère répressif empêchant toute réitération des agissements réprimés, le Conseil constitutionnel a donc jugé que la cotisation de 2 % ne présente pas les caractéristiques d'une sanction ayant le caractère de punition. Il convient, d'ailleurs, de souligner qu'une telle cotisation est admise en charge déductible du résultat imposable et qu'elle n'est donc pas au nombre des sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants et non admises, en vertu de l'article 39-2 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), en déduction des bénéfices imposables.
Le Conseil constitutionnel en a donc conclu que la cotisation de 2 % ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789.
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 26 janvier 2011, n° 314000, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7464GQI)
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N5078BRI
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes
Le 03 Mars 2011
Les faits dans cette affaire sont les suivants : M. T. était gérant et unique associé de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Hardbody, et parallèlement associé de la société anonyme (SA) Gestwill. A la date du 31 décembre 1992, le compte courant ouvert au nom de l'EURL Hardbody, associée de la SA Gestwill, dans les comptes de cette société présentait un solde débiteur de 1 528 980,80 francs (233 091,62 euros). Sur le fondement des dispositions du a de l'article 111 du CGI, cette somme a été regardée par l'administration comme un revenu distribué indirectement mis à la disposition de M. T.
Le Conseil d'Etat apporte, à cette occasion, d'utiles précisions sur la notion de mise à disposition d'avances, de prêts ou d'acomptes consentis à l'associé par une personne interposée. En l'espèce, c'est l'EURL qui était titulaire du compte courant dans les écritures de la SA et non l'associé unique de l'EURL (par ailleurs associé de la SA) pris personnellement. La circonstance que les bénéfices sociaux de l'EURL soient entièrement imposables entre les mains de l'associé unique ne suffit pas à le faire regarder comme ayant personnellement disposé des avances en compte courant. En effet, il appartient à l'administration d'établir que l'EURL doit être considérée comme un simple tiers interposé entre la société distributrice et le bénéficiaire réel des distributions. Ce faisant, le Conseil d'Etat apporte une nouvelle pierre à sa construction jurisprudentielle concernant la distribution par personne interposée et prolonge notamment une jurisprudence du 20 octobre 1995 (CE 9° et 8° s-s-r., 20 octobre 1995, n° 136115, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6096AN4) à propos du solde débiteur du compte client d'une entreprise individuelle ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une entreprise individuelle dont l'exploitant était en même temps associé de la société.
I - Alors même que les bénéfices sociaux d'une EURL sont imposables entre les mains de l'associé unique, son patrimoine demeure distinct de celui de l'associé
Le solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une EURL dont l'associé unique est en même temps associé de la SA ne constitue pas nécessairement pour l'associé unique un revenu distribué.
A - La présomption de distribution de l'article 111 du CGI ne peut ignorer la personnalité juridique de l'EURL qui possède un patrimoine distinct de celui de son associé unique
Les dispositions de l'article 111-a du CGI prévoient que sont notamment considérées comme revenus distribués, sauf preuve contraire, les sommes mises à disposition des associés, directement ou par personne interposée. Selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, à laquelle s'est ralliée la doctrine administrative, l'administration doit, avant toute imposition fondée sur l'article 111-a du CGI, établir la réalité de la mise à la disposition de l'associé des sommes litigieuses et, en cas d'interposition d'une tierce personne, que cette dernière n'est qu'une personne interposée entre l'associé et la société. Ce sont ces principes dont le Conseil d'Etat fait application dans son arrêt du 26 janvier 2011, mais dans le cas particulier où un compte courant a été ouvert au nom de l'EURL associée de la SA dans les comptes de cette société, compte courant présentant un solde débiteur d'un montant de 1 528 980,80 francs (233 091,62 euros). En l'espèce, l'associé (personne physique) était à la fois associé de la SA mais aussi associé unique de l'EURL. Toutefois, le solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures de la SA était celui de l'EURL. Or, l'entreprise unipersonnelle possédait un patrimoine distinct de celui de son associé unique. Sa personnalité juridique faisait donc écran entre la SA dont l'EURL était associée et l'associé unique de l'EURL.
Toutefois, l'administration avait regardé les sommes constitutives du solde débiteur du compte courant, comme appréhendées directement par l'associé unique de l'EURL. La qualification de revenus distribués avait été faite par le service au motif que les bénéfices sociaux d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée sont entièrement imposables entre les mains de son associé unique. Ce faisant, le service avait ignoré l'écran constitué par la personne juridique de l'EURL, dotée d'un patrimoine propre et distinct de celui de son associé. La personnalité juridique de l'EURL qui faisait écran entre la société distributrice et l'associé s'opposait donc à la qualification de revenus distribués, sauf à démontrer le caractère fictif de l'EURL interposée entre la SA distributrice et l'associé de celle-ci, par ailleurs associé unique de l'EURL.
B - Il appartient à l'administration d'établir que l'EURL est un simple tiers interposé entre la société distributrice et le bénéficiaire des distributions
Le solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures d'une SA ne constitue un revenu distribué qu'à la condition d'établir que l'entreprise unipersonnelle n'a fait que s'interposer entre la SA et le bénéficiaire réel de la distribution. Il convient donc de démontrer le caractère fictif du tiers interposé entre la SA et l'associé qui est le maître de l'affaire. Le Conseil d'Etat retient ce critère de la maîtrise d'affaire lorsque les associés sont passés outre la personnalité juridique de la société, qui est alors regardée comme étant interposée.
Ainsi, lorsque l'administration soutient que le contribuable bénéficie du solde du compte client par entreprise interposée, elle peut l'établir en démontrant, par exemple, la confusion des patrimoines de l'entreprise individuelle et de son dirigeant. Le Conseil d'Etat, sous l'arrêt du 20 octobre 1995 précité, avait déjà eu l'occasion de préciser, mais s'agissant d'une entreprise individuelle, que le solde débiteur du compte client ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une entreprise individuelle, dont l'exploitant est en même temps associé de la société, ne constitue pas, pour l'intéressé, un revenu distribué, sauf à l'administration de prouver que ce dernier, sous couvert du compte client de son entreprise, en a profité personnellement. Toutefois, dans ce précédent, une personne juridique n'était pas interposée entre la société distributrice et l'associé. Reste que, dans ce précédent, le Conseil d'Etat avait posé une limite à la présomption de distribution de l'article 111-a du CGI, et qu'une SA peut, en effet, être amenée à consentir un crédit fournisseur à une entreprise individuelle cliente dont l'exploitant a été associé de la société. La Haute juridiction, par un arrêt du 16 octobre 1989 (CE 7° et 9° s-s-r., 16 octobre 1989, n° 46397, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1386AQE), avait jugé qu'en l'espèce les avances consenties dans le cadre des relations professionnelles n'entraient pas dans le champ de l'article 111-a du CGI.
L'EURL, dotée d'un patrimoine distinct de celui de son associé unique, fait écran entre la SA distributrice et l'associé de la SA et de l'EURL et s'oppose à la qualification du solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures de la SA de revenus distribués, sauf pour le service à démontrer la nature de personne interposée de ladite société ; cette notion de "personne interposée" a alors été progressivement précisée par la jurisprudence.
II - La notion de distribution par personne interposée ne va pas sans quelques difficultés d'application et doit être maniée avec précaution
La notion de personne ou de société interposée vise à prévenir les dissimulations d'avances à des sociétés effectuées sous couvert de versements à des tiers.
A - La notion de distribution par personne interposée a été consacrée par la jurisprudence de manière large
La qualité de personne interposée a été progressivement construite par le juge. Bien que définie par la jurisprudence, de façon à prévenir utilement la tentation, à laquelle les entreprises peuvent se trouvaient exposées, de dissimuler des avantages consentis aux associés, elle ne peut être mise en oeuvre en ignorant la réalité de la personnalité juridique de la structure interposée entre une société et l'associé et impose donc à l'administration de démontrer le caractère de simple tiers interposé que recouvre la société interposée. Une jurisprudence assez fournie dont nous ne rappellerons que quelques exemples est venue préciser la notion de personne interposée.
Ainsi, les avances consenties par une société à l'épouse, même séparée de biens, de l'un des associés, ont été considérées comme des sommes mises à la disposition de ce dernier par personne interposée, dès lors que la bénéficiaire vivait avec son mari (CE 9° s-s, 13 juillet 1962, n° 53164). Le Conseil d'Etat a aussi jugé, dans un arrêt du 10 mai 1989 (CE 8° et 9° s-s-r., 10 mai 1989, n° 38546, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1117AQG), que la situation débitrice du compte courant devait être regardée comme correspondant à des sommes mises à la disposition de l'associé, directement ou par personne interposée, au sens des dispositions de l'article 111 du CGI, sauf preuve contraire, qui n'était pas apportée en l'espèce.
Cette même qualité de personne interposée a parfois été refusée par le juge. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que le service des impôts ne peut regarder comme des revenus distribués au profit d'un contribuable associé d'une SA, la somme résultant de la compensation entre le solde débiteur du compte client de son entreprise individuelle dans les écritures de la SA et le solde créditeur de son compte courant d'associé de celle-ci, que s'il est établit par l'administration que le contribuable a bénéficié personnellement des sommes en cause (CE 7° et 8° s-s-r., 7 janvier 1985, n° 42202, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2906AML confirmé par CE 7° et 9° s-s-r., 24 juillet 1987, n° 64092, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2961APD).
B - L'interposition par personne ou par société ne doit être admise que lorsque la fraude est établie
En l'espèce, dans l'arrêt commenté du Conseil d'Etat du 26 janvier 2011, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de ce que l'EURL était un simple tiers, interposé entre la SA et l'associé personne physique. Il est vrai qu'en l'espèce la solution ne faisait guère de doute : l'administration soutenait, sans être sérieusement contredite, que l'EURL Hardbody n'avait aucune activité et n'avait jamais déposé de déclaration de TVA. Elle n'avait pas non plus établi de bilan au cours de son existence. L'EURL était donc une coquille vide et la personne juridique interposée était fictive.
Certes, l'associé soutenait que la référence au compte 455 procédait en l'espèce d'une erreur comptable et que le compte courant d'associé en cause était utilisé pour centraliser les écritures d'achats et de ventes, ainsi que les règlements, encaissements et avances entre deux sociétés, sans qu'aucun avantage n'ait été consenti à l'associé en propre. Mais s'il est exact que les relations consenties dans le cadre de relations professionnelles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 111-a du CGI, l'associé ne produisait, en l'espèce, à l'appui de cette allégation, aucun élément de preuve. Il convenait donc de regarder la SA comme ayant mis, sous couvert de relations professionnelles, par le biais de l'EURL, les sommes placées en compte courant à la disposition personnelle de l'associé unique de l'EURL.
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 03 Mars 2011
Didier Reins : Il faut distinguer deux situations bien différentes, à savoir : lorsque le conducteur vient de commettre l'infraction ; et lorsqu'il est informé du retrait d'un certain nombre de points sur son permis de conduire. Lorsque le conducteur commet une infraction, il en est avisé par les forces de police ou de gendarmerie, soit au moment même de la commission de cette infraction lorsqu'il est interpellé sur place, soit quelques jours plus tard lorsqu'il a été flashé par radar et qu'il reçoit l'avis de contravention à son domicile. Dans l'un ou l'autre cas, les forces de police ou de gendarmerie doivent respecter à la lettre les dispositions de l'article L. 223-3 du Code de la route (N° Lexbase : L2660DKQ) qui leur impose d'informer l'automobiliste du nombre maximum de points qui peut être retiré pour chaque type d'infraction, et de l'existence d'un traitement automatisé des points auquel l'automobiliste peut accéder pour vérifier le nombre de points qui lui reste sur son permis de conduire. Le retrait de points sera opéré quelques semaines ou mois plus tard, selon les préfectures, et l'automobiliste devra en être avisé selon trois modes distincts.
- premier mode (le plus classique) : chaque fois qu'un automobiliste perd un ou plusieurs points, le ministère de l'Intérieur lui écrit par lettre simple pour l'en informer. On appelle cela le "formulaire 48".
- deuxième mode : lorsque l'automobiliste a perdu plus de la moitié de ses points, que ce soit en une ou plusieurs fois, le ministère de l'Intérieur lui écrit en recommandé avec accusé de réception pour l'en informer. Il est évident qu'à ce stade, l'automobiliste a tout intérêt à réagir et à effectuer un stage de reconstitution de points qui lui permettra de rajouter quatre points supplémentaires sur son permis de conduire.
- troisième mode (le plus sévère) : lorsque l'automobiliste a perdu la totalité de ses points, le ministère de l'Intérieur lui écrit en recommandé avec accusé de réception pour l'informer de l'invalidation de son permis de conduire et l'inviter à restituer celui-ci auprès des services de la préfecture dans un délai de 10 jours. A ce moment-là, l'automobiliste n'a plus le droit de conduire pour quelque motif que ce soit. On appelle cela le "formulaire 48SI"
La légalité d'un retrait de points est conditionnée par ces éléments d'information qui doivent être apportés à l'automobiliste préalablement, c'est-à-dire avant que le ministre ne prononce ledit retrait de points. Si l'automobiliste n'a pas reçu ces informations préalablement au retrait de points, ou si l'administration n'est pas en mesure de prouver qu'il lui a apporté cette information de manière certaine, alors le retrait de points sera illégal et l'automobiliste pourra demander au tribunal administratif d'ordonner au ministre de l'Intérieur de lui restituer les points illégalement retirés.
Lexbase : Comment l'administration peut-elle prouver qu'elle a bien apporté au conducteur flashé l'information préalable obligatoire ? Quelle est la position de la jurisprudence sur ce point ?
Didier Reins : Lorsqu'un automobiliste se fait flasher, il reçoit quelques jours plus tard un avis de contravention dans sa boîte aux lettres. Ces avis de contravention sont des formulaires types qui contiennent en général les informations préalables obligatoires prévues par le Code de la route. En revanche, il arrive fréquemment que ces avis de contravention ne parviennent pas au domicile du conducteur (lorsque celui-ci a déménagé, par exemple) et que ce dernier ne les règle donc pas. Dans ce cas, l'administration majorera ces amendes à l'aide d'un autre formulaire type et procédera très souvent au recouvrement de l'amende majorée par le biais d'un avis à tiers détenteur qui est une procédure spécifique utilisée par le Trésor public pour le recouvrement de certaines taxes.
Or, il faut savoir que le recouvrement des amendes par le biais de l'avis à tiers détenteur est totalement illégal. Pour autant, les formulaires utilisés par l'administration pour majorer des amendes et recourir au recouvrement forcé de leur montant ne contiennent jamais les informations préalables requises par le Code de la route. Dans ces conditions, le recouvrement de l'amende majorée, qu'il résulte d'un paiement volontaire du conducteur ou d'un recouvrement forcé, et suivi d'un retrait de points, sera entaché d'illégalité car le ministre de l'Intérieur ne pourra pas prouver qu'il a apporté au conducteur les informations préalables requises. En effet, rien n'indique que le conducteur a bel et bien reçu l'avis de contravention envoyé quelques jours après la commission de l'infraction. Par ailleurs, l'administration ne pourra contester le fait que les autres formulaires utilisés pour la majoration des amendes et leur recouvrement forcé ne contiennent pas les informations requises par le Code de la route.
De manière générale, celle-ci est souvent incapable de démontrer qu'elle a apporté au conducteur les informations préalables imposées par la loi. Or, il pèse sur le ministre de l'Intérieur une charge essentielle qui est celle de la preuve : cela signifie que si celui-ci ne peut pas prouver de manière irréfutable que ses services ont respecté à la lettre les dispositions du Code de la route, il sera considéré comme n'ayant pas respecté la procédure de retrait de points. La jurisprudence est très ferme et n'hésite pas à annuler les retraits de points prononcés. Ainsi, dans une décision du 19 janvier 2010 (1), la cour administrative d'appel de Marseille énonce que "M. X soutient que les informations prévues par les dispositions des articles L. 223-3 et R. 223-3 (N° Lexbase : L2072IBD) [...] du Code de la route, figurant au verso de la quittance de paiement, ne lui ont été accessibles qu'après le règlement de l'amende à l'agent verbalisateur [...] l'intéressé doit, ainsi, être regardé comme ayant été placé dans l'impossibilité de faire le choix, en connaissance de cause, d'acquitter ou non l'amende forfaitaire [...] [il] n'a pas bénéficié de l'information préalable exigée par les dispositions précitées du Code de la route alors qu'une telle information présente un caractère substantiel". En outre, dans un arrêt rendu le 18 juin 2009 (2), les juges versaillais soulignent que "la circonstance que M. X a réglé l'amende forfaitaire ne saurait suffire à établir qu'il a effectivement reçu lesdites informations préalablement au règlement de l'amende [...] par suite, la décision de retrait de quatre points du capital de points du permis de conduire de M. X est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière et encourt, pour ce motif, l'annulation".
Lexbase : Un arrêt rendu le 22 juin 2010 par la cour administrative d'appel de Bordeaux (3) semble défavorable aux autorités publiques. Pouvez-vous nous détailler le contenu et la portée de cette décision ?
Didier Reins : En fait, cette décision s'intègre dans un corps jurisprudentiel beaucoup plus large qui impose à l'administration, d'une part, de respecter à la lettre le Code de la route lorsqu'elle procède à un retrait de points, et, d'autre part, de se ménager des éléments probatoires irréfutables pour pouvoir apporter au juge administratif la preuve qu'elle a bien informé le conducteur de l'ensemble de ses droits avant de lui retirer ses points. La motivation de cette décision est, d'ailleurs, sans ambiguïté : "[...] pour les infractions constatées par radar automatique les 11 octobre 2005, 9 novembre 2005, 18 janvier 2006 et 12 février 2006, le ministre de l'Intérieur a produit la copie des avis de contravention adressés à Mlle X et des attestations établies par la trésorerie du contrôle automatisé de Rennes certifiant le recouvrement des amendes forfaitaires majorées [...] toutefois, ces documents ne permettent pas de regarder l'administration comme apportant la preuve que Mlle X ait reçu l'information prévue par les dispositions précitées [...]"
Il n'existe pas de doctrine unique qui permettrait de dire la même chose ou de développer le même argument à chaque fois que des points sont retirés du permis de conduire d'un conducteur. Mais l'esprit de la jurisprudence reste le même : avant de se voir retirer des points, le conducteur doit être informé des conséquences de ces retraits afin de pouvoir appréhender en toute connaissance de cause la situation exacte de son permis de conduire et d'envisager de passer un stage de reconstitution de points. En conséquence, il faut, pour chaque infraction, analyser les circonstances dans lesquelles celle-ci s'est produite, et principalement les modalités selon lesquelles le conducteur a été informé de la constitution de l'infraction. En effet, les choses ne se passent pas de la même façon selon que le conducteur est arrêté sur place ou selon qu'il reçoive quelques jours plus tard un avis de contravention.
Après avoir analysé ces circonstances, il faut mettre celles-ci en avant pour démontrer qu'elles n'ont pas permis aux forces de police ou de gendarmerie d'apporter au conducteur les informations préalables requises, ou que les formulaires types envoyés par l'administration à ce dernier ne contenaient pas les mentions obligatoires. La cour administrative d'appel de Bordeaux est, comme tous les autres tribunaux administratifs et toutes les autres cours administratives d'appel, ainsi que le Conseil d'Etat, très exigeante envers l'administration dont elle est le principal censeur, et lui rappelle donc constamment les obligations légales qui pèsent sur elle, ainsi que la charge de la preuve qu'elle doit supporter.
Lexbase : En l'état actuel du droit, comment peut répliquer efficacement l'administration en cas de contestation d'un excès de vitesse enregistré par un radar ?
Didier Reins : Il faut là aussi distinguer entre deux situations très différentes : soit l'automobiliste conteste l'existence même de l'excès de vitesse, soit il conteste avoir conduit le véhicule à propos duquel une infraction a été relevée. Si l'automobiliste conteste l'existence même de l'excès de vitesse, il faut savoir que cette question fait l'objet d'un débat très vif devant les tribunaux judiciaires, dans la mesure où il a été démontré que les radars utilisés pour enregistrer la vitesse d'un conducteur sont souvent défaillants ou mal positionnés. En effet, ces radars doivent faire l'objet de contrôles fréquents pour vérifier leur efficacité.
Par ailleurs, la loi réglemente de manière très précise la façon dont ces radars doivent être positionnés le long de la route en respectant certains angles de calcul. Là encore, l'administration doit être en mesure de rapporter la preuve qu'elle a satisfait à l'ensemble de ses obligations en la matière. Tout est fonction des circonstances, mais l'automobiliste a le libre choix des armes en matière de preuve : il peut donc rapporter la preuve de son innocence par tout moyen, ce qui lui laisse une assez grande liberté. Si l'automobiliste conteste avoir été au volant de son véhicule lorsque l'infraction a été relevée, cela signifie donc qu'une autre personne conduisait ce véhicule à ce moment-là. Contrairement à une affirmation trop souvent entendue, l'automobiliste n'a aucune obligation de dénonciation : il n'est donc pas tenu de donner l'identité de la personne qui conduisait son véhicule au moment où l'infraction a été commise. Il appartient donc au titulaire de la carte grise de demander la photographie du véhicule lorsque celui-ci a été flashé.
A partir de là, soit le véhicule est photographié par l'avant et, dans ce cas, on voit très bien qui conduisait ce véhicule. A moins d'être méconnaissable si la photo est floue, et si le conducteur se reconnaît, l'administration pourra en tirer avantage et procéder au retrait des points. Soit le véhicule est photographié par l'arrière et, par définition, il est impossible de savoir qui le conduisait. Comme le propriétaire du véhicule n'a pas l'obligation de dénoncer la personne à qui il avait prêté son véhicule, il appartient à l'administration de donner l'identité du conducteur au moment où l'infraction a été commise, ce qui sera impossible. Dans ce cas, le propriétaire du véhicule sera tenu au paiement de l'amende, en sa qualité de titulaire de la carte grise, mais il ne perdra pas ses points car ceux-ci ne peuvent être retirés qu'à l'encontre d'un conducteur clairement identifié. Là encore, et très souvent, l'administration se heurte à un problème de preuve qui la conduit à renoncer à retirer des points ou à se voir ordonnée de restituer les points illégalement retirés lorsque le juge est saisi de cette question.
Lexbase : Quelles évolutions juridiques pourraient permettre de trouver un juste équilibre entre défense de la sécurité routière et protection des droits de l'automobiliste ?
Didier Reins : Tout d'abord, il faut rappeler que la sécurité routière est un impératif pour chacun et que les règles qui visent à la garantir sont donc légitimes. Notre arsenal législatif souffre aujourd'hui d'un problème évident qui résulte d'un manque de communication entre l'administration et le justiciable. Très souvent, ce dernier n'est pas informé des retraits de points opérés sur son permis de conduire, et cela d'autant plus que les conducteurs n'informent jamais la préfecture de leur changement de résidence. La mauvaise surprise arrive alors comme une douche froide : le conducteur apprend que son permis de conduire a été invalidé au motif qu'il a perdu la totalité de ses points, alors que si d'autres efforts avaient été faits pour l'informer de l'état de son permis de conduire, celui-ci aurait pu, d'une part, adopter certaines règles de prudence jusque-là non observées et, d'autre part, participer à des stages de sensibilisation aux règles de la sécurité routière permettant de récupérer un nombre de quatre points.
Si l'administration voulait être irréprochable, elle enverrait tous ces courriers en lettre recommandée avec accusé de réception, et principalement les "formulaires 48". Mais cela aurait, bien évidemment, un impact très lourd sur le budget de l'Etat qui ne peut supporter un tel coût. Dans ces conditions, et dans la mesure où l'Etat est autorisé à envoyer les "formulaires 48" en lettre simple, il ne pourra jamais satisfaire à la charge probatoire qui pèse sur lui. En réalité, le système de défalcation des points est très mal calibré dans la mesure où il s'abat principalement sur des conducteurs pris en infraction au moment même où ils se rendent à leur travail, et cela pour de petits excès de vitesse. C'est d'ailleurs comme cela que la majorité des points se perdent en France.
Il conviendrait, alors, d'envisager un autre système où des points seraient retirés uniquement pour les infractions les plus graves mais où la réitération des infractions entraînerait une majoration de l'amende de façon exponentielle. Il s'agit là de l'unique moyen de faire réfléchir les automobilistes en visant ce qui touche le plus au coeur les contribuables, à savoir le volet financier. Si le montant des amendes était augmenté de façon exponentielle en fonction du nombre d'infractions commises par l'automobiliste, ce qui suppose, d'ailleurs, un traitement individualisé de la sanction qui n'existe pas à l'heure actuelle, nous assisterions à un regain de prudence de la part de tous les conducteurs.
Rappelons, en effet, que la perte du permis de conduire n'empêche pas bon nombre des automobilistes de rouler malgré tout, ce qui entraîne bien d'autres problèmes. La recherche d'un équilibre entre sécurité routière et droits de l'automobiliste est donc un exercice particulièrement périlleux. Pour autant, la perte d'un point pour un petit dépassement de vitesse n'a jamais incité les conducteurs à lever le pied. Il s'agit là d'une réalité que même les statistiques plus ou moins arrangées ne parviennent pas à renverser. L'évolution juridique que l'on nous annonce actuellement ne favorisera certainement pas cet équilibre, car si l'Etat songe à augmenter le montant des amendes, il n'envisage, cependant, pas de réformer le système des retraits de points. Cela est tellement vrai que l'on nous annonce plusieurs milliers de radars supplémentaires pour l'année 2012.
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Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 2 février 2011, n° 327760, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2618GRE)
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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat
Le 10 Mars 2011
La décision du 2 février 2011 marque d'abord un assouplissement des conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat en cas d'illégalité de la décision de suspension du permis de conduire prise par le préfet sur le fondement de l'article L. 224-2 ou de l'article L. 224-7 (N° Lexbase : L2654DKI) du Code de la route. Selon cette décision, en effet, l'engagement de la responsabilité de l'Etat est subordonné non plus à la commission d'une faute lourde, mais à celle d'une faute simple.
A - La jurisprudence relative à l'ancien article L. 18 du Code de la route
L'article L. 18 de l'ancien Code de la route, repris aujourd'hui au deuxième alinéa de l'article L. 224-9 du nouveau code (N° Lexbase : L9032AMH), prévoyait que les mesures administratives de suspension du permis de conduire "seront comme non avenues en cas d'ordonnance de non-lieu ou de jugement de relaxe ou si la juridiction ne prononce pas effectivement de mesure restrictive du droit de conduire". La jurisprudence a interprété ces dispositions comme ayant pour effet de faire disparaître pour l'avenir la mesure de suspension : il est de jurisprudence ancienne et constante que les décisions de suspension du permis de conduire sont considérées comme dépourvues de base légale, et donc fautives, lorsque le juge pénal a, ultérieurement à la suspension, relaxé le conducteur des fins de la poursuite (1). La faute résultant de cette illégalité peut engager la responsabilité de l'Etat, dans des conditions différentes selon la procédure suivie. La jurisprudence élaborée à partir de l'ancien Code de la route distingue entre procédure "normale" et procédure d'urgence.
L'article L. 18 de l'ancien Code de la route, également codifié à l'article L. 224-7 du nouveau code, prévoyait, en effet, que le préfet, saisi d'un procès-verbal constatant une infraction, pouvait soit procéder au classement, soit prononcer provisoirement, dans l'attente de la décision du juge pénal, un avertissement ou une suspension du permis de conduire pour une durée n'excédant pas six mois. La suspension ne pouvait être prononcée qu'après avis d'une commission devant laquelle le conducteur pouvait présenter sa défense. En cas d'utilisation de cette procédure, le Conseil d'Etat a jugé que l'illégalité de la mesure de suspension du fait d'un jugement de relaxe suffisait à engager la responsabilité de l'Etat (2). L'article L. 18 prévoyait, également, une procédure d'urgence, qui fut reprise à l'article L. 224-8 du nouveau Code de la route (N° Lexbase : L7531G73), permettant au préfet de prononcer la suspension du permis pour une durée maximale de deux mois, après avis non plus de la commission précédente, mais d'un délégué de celle-ci. En ce cas, l'engagement de la responsabilité de l'Etat était subordonné à une faute lourde, selon une décision du 7 juillet 1971 (3).
Enfin, l'article L. 18-1 de l'ancien Code de la route prévoyait une autre procédure de suspension en cas de conduite en état d'ivresse, les officiers et agents de police judiciaire pouvant retirer le permis à titre conservatoire, et le préfet disposant ensuite de 72 heures pour suspendre le permis pour une durée maximale de six mois. L'avis préalable de la commission ou de l'un de ses délégués n'était pas obligatoire, mais l'intéressé pouvait être entendu, à sa demande, par cette commission. Ces dispositions ont, ensuite, été reprises aux articles L. 224-1 (N° Lexbase : L2658DKN) et L. 224-2 du nouveau Code de la route, et ont été étendues au cas des dépassements de plus de 40 kilomètres/heure de la vitesse maximale autorisée, lorsque le conducteur a été intercepté. C'est la procédure qui a été appliquée en l'espèce à M. X. Son permis a été retenu par la gendarmerie nationale le 5 octobre 2002, alors qu'il circulait à 112 kilomètres/heure sur une voie où la vitesse était limitée à 50 kilomètres/heures.
Le 7 octobre 2002, le préfet a suspendu le permis de l'intéressé pour une durée de quatre mois, en application de l'article L. 224-2 précité. Le conducteur a ensuite comparu devant le tribunal de police, qui l'a relaxé par un jugement du 20 novembre 2002. Or, le deuxième alinéa de l'article L. 224-9 du Code de la route prévoit qu'une mesure de suspension est considérée comme non avenue en cas de jugement de relaxe. M. X a, alors, demandé à la juridiction administrative d'annuler l'arrêté préfectoral ayant suspendu son permis et de condamner l'Etat à réparer le préjudice qu'il estimait avoir subi du fait de cette suspension. Sa requête ayant été rejetée par le tribunal administratif, il a, ensuite, saisi la cour administrative d'appel (4) qui a annulé l'arrêté préfectoral mais a confirmé le rejet des conclusions indemnitaires, jugeant que l'administration n'avait pas commis de faute lourde.
B - L'abandon de la faute lourde
Jusqu'à la décision du 2 février 2011, le Conseil d'Etat n'avait jamais eu à se prononcer sur le cas d'un conducteur ayant fait l'objet d'une mesure de suspension en application de l'article L. 224-2 du Code de la route, puis d'une relaxe du juge pénal. Les juridictions du fond ayant eu à connaître de cette situation avaient, dans une très large majorité, choisi de transposer aux suspensions sur le fondement de l'article L. 18-1 de l'ancien Code de la route (aujourd'hui L. 224-2 du nouveau code) la jurisprudence sur la suspension en urgence prononcée sur le fondement de l'article L. 18. Autrement dit, lorsqu'un jugement de relaxe était prononcé après une suspension du permis prise sur le fondement de l'article L. 18-1 (aujourd'hui L. 224-8), les juges du fond estimaient qu'il fallait une faute lourde pour engager la responsabilité de l'Etat (5). Les juges du fond avaient adopté la même solution après la substitution de l'article L. 224-2 du nouveau Code de la route à l'ancien article L. 18-1 (6). Deux juges du fond avaient, cependant, adopté une solution inverse, considérant que l'illégalité de la décision de suspension du permis de conduire prise sur le fondement de l'article L. 18-1 ou L. 224-2 du Code de la route constituait une faute qui pouvait engager la responsabilité de l'Etat, bien qu'elle ne fût pas une faute lourde (7).
Dans ses conclusions sous la présente décision, le Rapporteur public Sophie-Justine Lieber estimait que plusieurs arguments militaient pour subordonner à l'existence d'une faute lourde l'engagement de la responsabilité de l'Etat en cas d'illégalité de la décision de suspension du permis de conduire. Elle relevait, ainsi, que le préfet doit agir dans un délai restreint de 72 heures pour prononcer la suspension, sans avoir le temps de procéder à des vérifications approfondies ou de demander un avis, et que la procédure est très similaire à celle de la procédure d'urgence de l'ancien article L. 18 du Code de la route. Elle proposait, en conséquence, de maintenir un régime de faute lourde, principalement en raison du court délai de 72 heures dont dispose le préfet pour réagir et exercer son pouvoir de police. Or, l'on sait qu'en matière de police administrative, la jurisprudence tient compte des conditions concrètes d'exercice de cette activité : en matière de suspension du permis de conduire, le caractère peu discutable de la réalité de l'infraction justifie que le préfet puisse agir immédiatement, sans consultation préalable obligatoire, afin d'empêcher que des conducteurs dangereux ne reprennent la route.
Le Conseil d'Etat a, toutefois, décidé de subordonner l'engagement de la responsabilité de l'Etat en cas d'illégalité de la décision de suspension du permis de conduire à la seule existence d'une faute (simple). L'on peut penser que les éléments suivants ont justifié cette évolution et cet assouplissement favorable aux conducteurs. En premier lieu, la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), a supprimé la consultation préalable de la commission spéciale de suspension des permis de conduire, et du même coup, la procédure d'urgence, les suspensions prononcées sur le fondement des articles L. 224-7 et L. 224-8 du nouveau code relevant, dorénavant, d'un régime de faute simple, puisque seule la procédure "normale" subsiste. Retenir un régime de faute lourde pour la procédure prévue par l'article L. 224-2 aurait recréé une "asymétrie" dans le régime de responsabilité (asymétrie qui existait dans le régime précédent de l'article L. 18).
En deuxième lieu, le dernier alinéa de l'article L. 224-2 prévoit que le préfet peut suspendre le permis de conduire lorsque l'état alcoolique ou le dépassement de 40 kilomètres/heure ou plus de la vitesse maximale autorisée sont établis au moyen d'appareils homologués. Autrement dit, c'est seulement après la constatation d'éléments objectifs, relevés par des appareils de mesure, que le préfet peut ordonner la suspension. Il n'a donc quasiment pas de marge pour apprécier la réalité de l'infraction. Dès lors que la constatation de l'infraction ne comporte pas de difficultés particulières, l'exigence d'une faute lourde était difficilement justifiable puisque la difficulté d'exercice d'une mission constitue, en général, un élément important dans le choix du maintien d'un régime de faute lourde.
En dernier lieu, l'évolution générale de la jurisprudence du Conseil d'Etat, depuis les années 1997 et 1998, va plutôt dans le sens de l'abandon de la faute lourde, y compris dans des situations où le facteur d'urgence est en cause. Dans une décision de Section du 20 juin 1997 (8), le Conseil a jugé que la responsabilité d'un établissement hospitalier pouvait être engagée pour toute faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service d'aide médicale d'urgence. Dans une autre décision de Section du 13 mars 1998 (9), il a retenu, également, un régime de faute simple pour le service chargé de la conduite des opérations de secours et de sauvetage en mer. Enfin, dans une décision du 29 avril 1998 (10), le Conseil d'Etat a admis qu'une faute simple dans l'organisation ou le fonctionnement du service départemental d'incendie et de secours peut engager la responsabilité d'une commune.
II - L'absence d'illégalité automatique de la mesure administrative en l'absence de suspension du permis
Le second apport de la décision du 2 février 2011 réside dans la volonté du Conseil d'Etat de ne plus retenir l'illégalité automatique de la mesure administrative de suspension du permis de conduire lorsque le juge répressif ne prononce pas la suspension. Alors que l'abandon de la faute lourde est de nature à faciliter l'engagement de la responsabilité de l'Etat, ce refus de tout automatisme est de nature à le rendre plus difficile, puisque la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée en l'absence d'illégalité de la décision de suspension du permis.
A - Le caractère non avenu de la décision de suspension n'implique pas nécessairement son illégalité
Le Conseil a abandonné la jurisprudence issue de la décision du 7 juillet 1971 précitée (11), selon laquelle la relaxe, même au bénéfice du doute, emportait l'illégalité de la mesure fondée sur l'existence même d'une infraction, mesure qui se trouvait alors privée de base légale. Une décision du 14 décembre 1984 (12) avait, ainsi, jugé que l'arrêté préfectoral de suspension du permis pour excès de vitesse s'était trouvé privé de base légale à la suite d'une relaxe prononcée par le tribunal d'instance en raison des mêmes faits. La jurisprudence issue de la décision du 7 juillet 1971 tirait une conséquence mécanique de la disposition prévoyant que la suspension est regardée comme non avenue en cas de jugement, notamment, de relaxe. Elle en déduisait que le juge administratif saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision préfectorale de suspension devait annuler cette décision (sans, d'ailleurs, passer par l'affirmation qu'elle est illégale).
C'est avec cet automatisme que rompt l'arrêt d'espèce en considérant que le fait que la décision de suspension soit regardée comme non avenue n'implique pas nécessairement qu'elle soit illégale. Relevons, à cet égard, que le Code de la route prévoit que la suspension est "non avenue" non seulement lorsque le juge relaxe le conducteur, mais aussi lorsqu'il s'abstient de prononcer la peine de suspension du permis (C. route, art. L. 224-9, alinéa 2).
Dans le cas où la loi subordonne la légalité de la mesure administrative à la qualification pénale, le juge administratif est, en principe, conduit à annuler cette mesure toutes les fois où le juge pénal ne retient pas l'existence d'une infraction (13). La présente décision vient apporter un tempérament à ce principe en précisant que l'automatisme (et la contrainte) d'annulation ne joue pas lorsque l'intéressé a été relaxé au bénéfice du doute : dans cette hypothèse, la chose jugée au pénal n'oblige pas le juge administratif à annuler la décision de suspension du permis. Selon la décision d'espèce, en effet : "dans le cas où l'intéressé a été relaxé non au bénéfice du doute, mais au motif qu'il n'a pas commis l'infraction, l'autorité de la chose jugée par la juridiction répressive impose au juge administratif d'en tirer les conséquences quant à l'absence de valeur probante des éléments retenus par le préfet". La compétence liée du juge administratif pour annuler la mesure administrative de suspension suppose donc l'existence d'une décision positive du juge pénal sur l'absence d'infraction. Le seul doute du juge pénal face à la réalité de l'infraction ne suffit pas à justifier l'annulation de la mesure de suspension du permis.
B - Un raisonnement fondé sur la portée de la notion de "décision non avenue" en droit pénal
En principe, la notion de décision "non avenue" n'a pas la même portée en droit administratif, où elle désigne une décision qui doit être considérée comme n'ayant jamais existé, et en procédure pénale, où elle désigne une décision caduque qui n'est donc pas rétroactivement privée de base légale (14). Néanmoins, un avis de la Section de l'intérieur du Conseil d'Etat du 30 octobre 1975 (15) avait indiqué qu'en matière de mesures de suspension du permis de conduire, il y avait lieu de retenir la même interprétation de "décision non avenue" que celle faite par le juge judiciaire. Selon cet avis, les mots "non avenus" devaient s'entendre dans le sens qu'ils avaient dans le Code de procédure pénale, c'est-à-dire en ce que ces mesures deviennent sans effet pour l'avenir et qu'il ne doit plus en être fait mention. Ainsi, l'application du cinquième alinéa de l'article L. 18 n'impliquait ni que les mesures administratives dussent être rétroactivement annulées, ni que leurs effets antérieurs à la date à laquelle elles étaient comme non avenues dussent disparaître. Cette transposition dans le contentieux administratif des mesures de suspension du permis de conduire de la notion pénale de "décision non avenue" a été consacrée par une décision du 29 mai 1987 (16). Ce n'est que lorsque le juge pénal a prononcé la relaxe au motif que l'infraction n'était pas constituée que le juge administratif, lié par les motifs de fait du jugement, doit constater que la décision administrative se trouve privée de base légale (17).
Dans l'espèce ayant donné lieu à la présente décision, pour l'interprétation de l'article L. 224-9, qui traite la question des effets d'une décision du juge pénal, a été retenu le sens de l'expression en procédure pénale plutôt qu'en droit administratif : une décision administrative non avenue peut néanmoins être légale, en dehors du cas où l'intéressé est relaxé au motif qu'il n'a pas commis l'infraction. Selon cette décision : "la circonstance que la mesure de suspension doive être regardée comme non avenue, par application du deuxième alinéa de l'article L. 224-9, eu égard à la décision rendue par le juge pénal, est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de cette mesure et, par suite, sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat".
Dans l'hypothèse, en revanche, où il a relaxé l'intéressé au motif qu'il n'a pas commis l'infraction, le juge pénal a nécessairement jugé que le document au vu duquel le préfet avait suspendu le permis n'était pas probant : dans ce cas, l'autorité de la chose jugée au pénal impose de considérer que la condition légale de la suspension n'était pas remplie et doit conduire le juge administratif à annuler cette suspension. Les faits constitutifs de l'infraction et à l'origine de la suspension ont, en effet, en raison de la décision du juge pénal constatant leur absence, disparu rétroactivement et doivent être réputés n'avoir jamais existé, de sorte que la mesure administrative de suspension qui était fondée sur eux doit aussi disparaître rétroactivement, c'est-à-dire être annulée.
(1) CE, 11 mai 1960, Recueil, p. 318 ; CE 2° et 4° s-s-r., 31 janvier 1969, n° 70855 (N° Lexbase : A1154B9M), Tables, p. 956.
(2) CE Contentieux, 15 avril 1970, n° 77112 (N° Lexbase : A0568B8K), Recueil, p. 249 ; CE Contentieux, 14 décembre 1984, n° 51424 (N° Lexbase : A5245ALT), Tables, p. 733.
(3) CE 2° et 4° s-s-r., 7 juillet 1971, n° 77693 (N° Lexbase : A5125B7X), Recueil, p. 513.
(4) CAA Lyon, 2ème ch., 26 février 2009, n° 07LY01545 (N° Lexbase : A1257EEB).
(5) CAA Bordeaux, 25 février 1992, n° 90BX00751 (N° Lexbase : A1681A8R) ; CAA Nantes, 2ème ch., 19 avril 1994, n° 92NT00225, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3605BHY), Tables, p. 1177.
(6) TA Paris, 11 décembre 2009, n° 0617499 ; TA Marseille, 7 juillet 2010, n° 0808389.
(7) CAA Bordeaux, 2ème ch., 11 octobre 1991, n° 96BX01572 (N° Lexbase : A1931BEA) : l'illégalité dont est entachée la décision de suspension du permis "constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat" ; TA Pau, 19 février 2008, n° 0600610 : illégalité de la décision de suspension du permis en raison de l'annulation de la procédure d'infraction par la cour d'appel de Pau, cette illégalité constituant "une faute, dont il n'est pas exigé qu'elle soit une faute lourde, de nature à engager la responsabilité de l'Etat".
(8) CE Contentieux, 20 juin 1997, n° 139495 (N° Lexbase : A0095AEA), Recueil, p. 253.
(9) CE Contentieux, 13 mars 1998, n° 89370 (N° Lexbase : A6928ASE).
(10) CE Contentieux, 29 avril 1998, n° 164012 (N° Lexbase : A7279ASE).
(11) Pour une application plus récente, cf. CE Contentieux, 20 novembre 1996, n° 144238 (N° Lexbase : A1583APC).
(12) CE Contentieux, 14 décembre 1984, n° 51424, précité.
(13) C'est le sens de la jurisprudence "Desamis" pour les fermetures de débits de boisson : CE Contentieux, 8 janvier 1971, n° 77800 (N° Lexbase : A5389B7Q), Recueil, p. 19.
(14) Cass. crim, 4 novembre 1988, n° 87-81.697, publié au bulletin (N° Lexbase : A1033CGD), Bull. crim. n° 371, p. 986 : "la décision de relaxe qui peut intervenir sur la prévention d'infraction aux règles de la circulation routière n'a pas pour effet de rendre illégale la décision administrative de suspension prise conformément à la loi et aux règlements d'application mais seulement, comme l'a justement relevé la cour d'appel, de la priver d'effet pour l'avenir".
(15) CE Avis, 30 octobre 1975.
(16) CE Contentieux, 29 mai 1987, n° 58630 (N° Lexbase : A3329APY).
(17) Cf. CE Contentieux, 14 décembre 1984, n° 51424, précitée : le juge judiciaire ayant reconnu l'existence d'une infraction mais n'ayant pas prononcé de mesure restrictive du droit de conduire, la suspension du permis est non avenue à compter de l'intervention de l'arrêt, mais n'est pas pour autant privée de base légale.
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Le 03 Mars 2011
- La question prioritaire de constitutionnalité : aspects historiques et théoriques
- La question prioritaire de constitutionnalité confrontée à la défense pénale
- La question prioritaire de constitutionnalité et le droit de propriété
- La question prioritaire de constitutionnalité et le droit de l'urbanisme
- Le Code général des impôts au crible de la question prioritaire de constitutionnalité
- La question prioritaire de constitutionnalité en droit fiscal : retour sur expérience
Marc Sztulman, Doctorant en droit public à l'Université de Toulouse I
Denis Boucharinc, avocat à la cour
Jean-Gabriel Sorbara, Professeur de droit public à l'Université de Toulouse I
Stéphane Montazeau, avocat à la cour
Vincent Dussart, Professeur de droit public à l'Université de Toulouse I
Thierry Gasquet, avocat à la cour
Jeudi 10 mars 2011
16h00-19h00
Salle de conférence de l'Ecole des avocats de Toulouse
13, rue des fleurs
31 000 Toulouse
30 euros pour les professionnels
Gratuit pour les étudiants
Tél. : 05-61-53-06-99
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 03 Mars 2011
Philippe Clément : Il n'y avait dans ces dossiers aucun débat sur la qualification du temps de pause. Les différentes sociétés en cause reconnaissent expressément que le temps de pause n'était pas du temps de travail effectif et que les salariés n'étaient pas à la disposition de l'employeur pendant lesdites pauses. La Convention collective de branche du commerce de détail et de gros à caractère alimentaire ne fait pas état d'un forfait pause, mais prévoit qu'"une pause payée est attribuée à raison de 5 % du temps de travail effectif".
La Cour de cassation, dans ses arrêts du 15 février 2011, considère, pour la première fois, en cassant l'arrêt de la cour d'appel de Lyon (CA Lyon, 9ème ch., 1er juin 2010, n° 09/00192 N° Lexbase : A3089E3S) et en revoyant devant la cour d'appel de Dijon, que le critère qui doit être retenu pour répondre à la question qui lui a été soumise, est celui du temps de travail effectif.
Selon la Cour de cassation, un élément de salaire ne rémunérant pas un temps de travail effectif, ne peut pas être pris en considération pour apprécier le respect du Smic.
Tant la Chambre criminelle que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'avaient pas, jusqu'à cette date, retenu le temps de travail effectif comme critère exclusif d'appréciation.
Ainsi, par exemple, des primes de treizième mois, de fin d'année, de vacances, qui, par nature, ne peuvent en aucun cas correspondre à du travail effectif, ont toujours été prises en compte dans l'assiette du Smic pour le mois au cours duquel elles étaient versées (2).
L'article D. 3231-6 du Code du travail (N° Lexbase : L9056H9B) est vidé de tout sens, si seule la rémunération du travail effectif est prise en considération dans l'appréciation du respect du SMIC. L'analyse textuelle de cet article permet, à mon sens, d'affirmer que, par nature, la rémunération à prendre en considération n'est pas constituée exclusivement du salaire correspondant au temps de travail effectif. En effet, une telle interprétation reviendrait à dire que le salaire ne pourrait en aucun cas être "complété" comme le prévoit l'alinéa 1er dudit article. Il n'y aurait donc à ce stade plus de place pour les notions de complément et de majoration de salaire.
Myriam Laguillon : Le temps de pause n'est pas, par nature, du temps de travail effectif. En effet, et comme le relève très légitimement la Cour de cassation, dans ses arrêts, les salariés concernés ne sont pas à la disposition de l'employeur pendant les pauses.
La question s'est posée de savoir si le fait que ces temps de pause étaient rémunérés par Carrefour permettait de les rattacher à une notion de temps de travail effectif. En réalité, cette question était d'ores et déjà tranchée par la Convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire dont relèvent les salariés de Carrefour. Ainsi, si l'article 5-4 de celle-ci précise qu'"une pause payée est attribuée à raison de 5 % du temps de travail effectif", l'article 5-5 tranche définitivement la question de savoir si le fait que ces pauses soient rémunérées par un forfait leur conférerait le caractère de temps de travail effectif. En effet, cet article indique très clairement que "la durée du travail [...] ne comprend donc pas l'ensemble des pauses (ou coupures), qu'elles soient ou non rémunérées, notamment celles fixées à l'article 5-4 ci-dessus".
En conséquence, il est incontestable que le forfait pause ne rémunère pas du travail effectif.
En outre, le fait que les partenaires sociaux aient décidé de rémunérer ce temps de pause ne lui enlève pas pour autant son caractère de temps de repos exclusif de tout travail effectif.
La disposition de la Convention collective concernée est une simple application de l'article L. 3122-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3950IBW) qui dispose que : "[...] même s'ils ne sont pas reconnus comme un temps de travail effectif, ces temps peuvent faire l'objet d'une rémunération prévue par une convention ou un accord collectif de travail ou par le contrat de travail".
Il résulte de ce qui précède que le forfait pause :
C'est très exactement en ce sens que s'est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en indiquant que "[...] les salariés n'étaient pas à la disposition de l'employeur pendant les pauses, et qu'il en résultait que la prime rémunérant celles-ci, non reconnues comme du temps de travail effectif, était exclu du salaire devant être comparait au SMIC [...]".
Lexbase : Le forfait a, cependant, été considéré comme un avantage supplémentaire, ne pouvant être inclus dans la rémunération. Cette solution n'était-elle pas logique au regard de la qualification juridique du temps de pause qui ne peut être assimilé à du temps de travail effectif ?
Myriam Laguillon : En réalité, il s'agit ici de la seconde interrogation relative au texte de l'article D. 3231-6 du Code du travail, selon lequel : "le salaire à prendre en considération est celui qui correspond à une heure de travail effectif, compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire".
Toute l'argumentation de Carrefour était d'indiquer que cet article devait être interprété comme permettant de considérer la pause rémunérée comme un "complément de salaire" à comptabiliser pour vérifier le respect du Smic. C'est d'ailleurs en ce sens que Carrefour critique les arrêts de la Chambre criminelle, considérant que ce serait la première fois que le temps de travail effectif serait retenu comme critère exclusif d'appréciation, et que, de ce fait, la Haute juridiction viderait soi-disant de tout sens l'article D. 3231-6 du Code du travail. Pour autant, ceci me semble inexact dans la mesure où le contenu de la notion "ayant le caractère de fait d'un complément de salaire" a été précisé au fil du temps par la jurisprudence sur le fondement du principe suivant.
La Cour de cassation retient la distinction entre les sommes versées en contrepartie ou à l'occasion du travail et qui sont à prendre en compte, et celles qui n'étant pas la contrepartie du travail fourni sont à exclure. C'est d'ailleurs pourquoi entrent, dans l'assiette du Smic, notamment, les primes de vacances ou de treizième mois, mais à la condition qu'elles aient la même périodicité que la paie (ce qui renvoie à la notion de contrepartie directement liée à l'exécution par le salarié de sa prestation de travail).
Le même raisonnement a conduit la Chambre sociale à exclure les primes qui ne rémunèrent pas directement le travail effectué, mais d'autres éléments, telle que l'ancienneté par exemple, ou encore les primes de résultat collectif.
Ainsi, la Cour de cassation s'attache à l'origine du versement de la prime, et c'est très exactement ce qu'a fait la Chambre criminelle dans ses arrêts du 15 février 2011. Elle rappelle systématiquement aux juges du fond qu'il leur appartient de rechercher si la prime est perçue en contre partie ou à l'occasion du travail, "ce qui est une condition nécessaire pour qu'elle soit prise en compte afin de vérifier si le Smic avait bien été versé".
Dans un arrêt du 2 juillet 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà tranché dans ce sens là, dans une affaire relative au paiement des temps de pause et du non respect du Smic (Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 06-45.987, F-D N° Lexbase : A4836D9Y).La position de la Cour de cassation ne souffrait alors aucune contestation, celle-ci indiquant très clairement que "[...] les pauses n'étaient pas considérées comme du temps de travail effectif, et que les primes de pause étaient payées sans contre partie d'un travail supplémentaire, a exactement décidé que le paiement des temps de pause ne doit pas être considéré comme un élément de salaire pour le calcul du salaire minimum conventionnel applicable aux salariés".
En l'espèce, la problématique visait le respect du salaire minimum conventionnel mais c'est le même raisonnement qui a été appliqué par la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour le respect du Smic.
Cette solution est logique car le contraire conduirait à une incohérence consistant à exclure le forfait pause pour le calcul du salaire minimum conventionnel et non pour le Smic. Il résulte de ce qui précède que les arrêts de la Chambre criminelle s'inscrivent dans le mouvement jurisprudentiel initié par la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis plusieurs années.
Philippe Clément : Toute cette problématique s'est développée, à la suite de la publication, le 5 juin 2007, d'une fiche de travail par la DGT intitulée "Les pauses conventionnelles rémunérées doivent-elles être intégrées dans l'assiette du Smic ?". Dans cette note, la DGT s'appuyait sur un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 1er février 1989 (Cass. soc., 1er février 1989 n° 86-15.766 N° Lexbase : A8636AA4) et affirmait : "pour la vérification du respect de l'assiette minimale des cotisations de sécurité sociale, la rémunération à comparer au salaire minimum de croissance doit être calculée sur la base du nombre d'heures de travail effectif, à l'exclusion des temps de pause".
A la lecture de cet arrêt et de celui de la chambre sociale de la cour d'appel de Nancy du 3 juin 1986, cassé par la Cour de cassation, il apparaît très clairement que la conclusion tirée par la DGT était erronée.
En effet, les juridictions traitent non pas des éléments de salaire à prendre en considération, mais exclusivement du dénominateur, à savoir le nombre d'heures de travail qu'il convenait de retenir, afin de réaliser la division et obtenir le taux horaire.
La Cour de cassation confirmait, sans ambiguïté, que pour calculer le taux horaire à comparer avec le salaire minimum de croissance, il convenait de ne retenir au niveau du dénominateur exclusivement le nombre d'heures de travail effectif. La Chambre sociale de la Cour de cassation n'affirmait absolument pas dans cette décision que la rémunération des temps de pause devait être exclue du numérateur !
Il est, à mon sens, impossible d'affirmer que la solution que vous évoquez est logique. Il m'apparaît qu'il est possible de soutenir que la rémunération non aléatoire et périodique de la pause (payée chaque mois en proportion de la durée de travail effectif) apparaît comme un élément de la contrepartie rémunératoire de la relation de travail et constitue dès lors un complément de salaire qui peut être intégré à l'assiette du salaire pour vérifier si le taux du Smic horaire est respecté.
Plusieurs cours d'appel, notamment Pau (CA Pau, 25 octobre 2010, n° 09/03263 N° Lexbase : A6741GCN et Montpellier (CA Montpellier, 6 octobre 2010, n° 09/08707 N° Lexbase : A9377GNM), ont retenu cette analyse en octobre 2010. De même, de nombreux conseils de prud'hommes et tribunaux de police, en novembre et décembre 2010, ont expressément considéré que la rémunération du temps de pause devait être prise en considération dans le cadre de l'appréciation du Smic.
Lexbase : Le forfait était prévu par une convention collective étendu. La solution dégagée par la Chambre criminelle aurait-elle été semblable si ce forfait était prévu dans le contrat de travail ?
Philippe Clément : La cour d'appel de Pau, dans son arrêt du 25 octobre 2010, retient une définition particulièrement précise de la notion de complément de salaire dans le cadre de l'appréciation du Smic : "ont une nature salariale caractérisant un complément de salaire, les sommes qui font l'objet d'un versement périodique, dont les modalités sont connues, qui sont la contrepartie nécessaire de la relation de travail, soit en ce qu'elles tiennent compte des conditions de travail générales ou des sujétions professionnelles générales, quand bien même elles ne seraient pas la contrepartie d'un travail effectif (telles que par exemple, la prime de treizième mois ou de fin d'année), soit en ce qu'elles sont relatives aux fonctions exercées par le salarié et ont pour cause le travail du salarié (par exemple la prime de rendement), sans être dépendante des qualités inhérentes à sa personne et sans dépendre de facteurs sur lesquels il n'aurait aucune influence (par exemple, la prime d'ancienneté ou de résultat collectif)".
Si l'on s'en tient à une lecture stricte des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 février 2011, il apparaîtrait que la rémunération de la pause, qu'elle soit prévue par une convention collective ou par le contrat de travail, ne pourrait en aucun cas rentrer dans le cadre de l'assiette de comparaison avec le Smic.
Ces décisions soulèvent à ce titre de nombreuses questions. Par exemple, que serait aujourd'hui un complément ou une majoration de salaire qui exigerait une contrepartie de travail effectif ?
Myriam Laguillon : Le texte des arrêts de la Chambre criminelle du 15 février 2011 pose l'exclusion de la pause rémunérée comme un principe fondamental d'ordre public.
Dès lors, il ne semble pas possible de pouvoir y déroger, que ce soit dans le cadre d'un accord collectif ou d'un contrat de travail.
Lexbase : Carrefour avait renoncé depuis 2009 à cette pratique mais sans effet rétroactif ? Cette solution était-elle donc attendue par la société ?
Philippe Clément : Au début de l'année 2009, Carrefour a souhaité renforcer le pouvoir d'achat de ses salariés et a mis en place de nouvelles modalités, en accord avec les partenaires sociaux. Cette décision ne remettait nullement en cause sa position sur la rémunération globale. A ce stade, il convient de relever, afin d'éviter toute ambiguïté, que le salaire minimum au sein du Groupe Carrefour est supérieur, sur douze mois, par exemple pour une hôtesse de caisse, de 18 % au Smic. A cela s'ajoutent bien évidemment l'intéressement, la participation, la complémentaire santé, la prévoyance et la remise sur achats...
Je ne pense pas que Carrefour pouvait s'attendre en 2009 à ce qui est aujourd'hui présenté comme un revirement de jurisprudence.
Myriam Laguillon : Effectivement, le groupe Carrefour conscient du caractère illicite de son système de rémunération a décidé par décision unilatérale du 20 novembre 2008 "d'assurer à chaque salarié, à compter du 1er janvier 2009, un salaire mensuel brut global, hors forfait pause, au niveau du Smic".
Il est bien évident que, ce faisant, Carrefour avait l'intention de limiter les actions qui se multipliaient aussi bien devant les juridictions pénales que devant les juridictions civiles, en cessant d'enfreindre la loi. Le discours consistant à dire que cette décision aurait été prise simplement pour "renforcer le pouvoir d'achat de ses salariés" n'a leurré personne, et encore moins les magistrats.
Il s'agissait simplement de mettre un terme à une pratique au titre de laquelle Carrefour savait qu'il allait être inévitablement sanctionné. Pour autant, Carrefour s'est bien gardé de rétablir les salariés dans leurs droits pour toutes les années précédentes, puisqu'il n'a en effet opéré aucun rappel de salaire.
Ceci justifie pleinement l'action des salariés devant le conseil de prud'hommes pour réclamer un rappel de salaire sur cinq ans, outre les dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de la violation de la législation sur le Smic.
Lexbase : Quelles sont les incidences de cette solution sur les affaires portées actuellement devant les juridictions du fond ?
Myriam Laguillon : Des actions pénales sont en cours, et d'autres vont être intentées, dans la mesure où des procès-verbaux ont été dressés par les inspections du travail pour non-respect du Smic, qui rappelons-le est une infraction pénale.
Il est d'ailleurs, sur ce point, regrettable que les arrêts de la Chambre criminelle aient permis à Carrefour de ne pas s'acquitter de l'amende cumulée de 1,287 millions d'euros qui lui avait été infligée en première instance par le tribunal de police de Lyon, puis annulée en appel.
En effet, pour le faire, il aurait fallu que le Parquet se pourvoit en cassation, ce qui curieusement n'a pas été le cas...
Quoi qu'il en soit, il s'agit là d'une victoire incontestable reconnaissant la légitimité et le bien fondé de notre position.
Quant à la Chambre sociale, celle-ci devrait être amenée à se prononcer dans les prochains mois, et dans un sens identique à la Chambre criminelle, mettant ainsi fin à une bataille juridique qui aura duré quatre ans.
Philippe Clément : Le débat va se poursuivre devant les juridictions du fond et notamment, devant la cour d'appel de Dijon.
Il est impossible aujourd'hui d'affirmer que ce débat est clos sachant que, non seulement la Chambre sociale de la Cour de cassation et la Chambre criminelle ne partagent pas une analyse identique, d'une part, mais que de nombreuses juridictions du fond ont retenu une solution différente de celle de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, sur la base d'une interprétation stricte des dispositions légales et réglementaires, d'autre part. Ceci est d'autant plus vrai que le tribunal de police de Chambéry vient, dans un jugement du 24 février 2011, de relaxer la société Carrefour dans un dossier identique.
Enfin, le recours exclusif à la notion de contrepartie d'un temps de travail effectif pour déterminer les éléments à prendre en considération dans le cadre de l'assiette du Smic, risque de créer une confusion extrême et de nouveau une multitude de contentieux, au regard des pratiques et des dispositions conventionnelles, tous secteurs d'activité confondus.
(1) Cass. crim., deux arrêts, 15 février 2011, n° 10-87.019, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1733GXH) et 10-83.988, P+B+I (N° Lexbase : A1718GXW). Lire les obs. de S. Tournaux, Prime de pause et Smic : confirmation...et variation ?, Lexbase Hebdo n° 430 du 3 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N5103BRG).
(2) Sur l'intégration des primes de vacances et des primes de fin d'année. Cass. soc., 2 mars 1994, n° 89-45.881 (N° Lexbase : A0409ABR). Plus généralement, sur cette question, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E0877ETN).
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Le 03 Mars 2011
8h45 - Café d'accueil
9h15 Mot d'accueil
Myriam Picot, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Lyon
Jacques Vital-Durand, avocat, Président de la commission droit de la santé du barreau de Lyon
9h30 - 12h30
Première table-ronde : la recherche en santé
Responsable scientifique et animateur : Thomas Roche, avocat au barreau de Lyon
- La création d'un socle commun pour les recherches impliquant la personne humaine, les principaux apports de la proposition de loi "Jardé", Claire Pichon, avocat au barreau de Lyon
- Les impacts de la réforme de financement de la recherche dans les établissements de santé, Florence Agostino-Etchetto, Directrice adjointe de la DRCI des HCL
- Point de vue du CENGEPS : la loi peut-elle être un outil d'attractivité du territoire français ? Vincent Diebolt, Directeur du GIP CENGEPS
Deuxième table-ronde : l'accès au marché des produits de santé
Responsable scientifique et animateur : François Musset, avocat au barreau de Lyon
- Actualité de la distinction Marquage CE/AMM pour l'accès au marché des produits frontière, Jean-Claude Ghislain, Directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux, AFSSAPS et Corinne Delorme ou Thierry Thomas, LNE/G-MED
- Quelles relations entre le statut juridique du produit frontière et sa protection par la propriété intellectuelle ? Olivier Moussa, avocat au barreau de Lyon
- Quelle vigilance sur le marché pour les produits de santé à risque ? Denis Vital-Durand, Professeur de Thérapeutique à la Faculté de Médecine de Lyon
12h30 - Déjeuner
14h00 - 17h00
Troisième table-ronde : promotion et distribution des produits de santé
Responsable scientifique et animateur : Jean-Bernard Prouvez, avocat au barreau de Lyon
- Une nouvelle souplesse pour les entreprises : la simplification administrative de la loi "anti-cadeaux", Xavier Langlois, avocat au barreau de Lyon et Géraldine Menin, Responsable service affaires réglementaires France, Sanofi-Pasteur MSD
- La vente de médicaments par internet : le droit français face au droit européen, Henri Gallat, avocat au barreau de Lyon et Gilles Bonnefond, Président délégué de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine
- La procédure d'achat dans les grands établissements de santé : l'impact de la réforme hospitalière, responsable achat d'un établissement public de santé
Quatrième table-ronde : les produits défaillants - responsabilité du fait des produits défectueux
Responsable scientifique et animateur : Jacques Vital-Durand, avocat au barreau de Lyon
- Panorama de la responsabilité des produits de santé, Annie Velle, avocat au barreau de Lyon
- Assurances et responsabilité du fait des produits de santé, Nicolas Gombault, Directeur général du Sou Médical, Groupe MACSF
- Synthèse : éviter ou optimiser un contentieux, Philippe Choulet et Basile Perron, avocats au barreau de Lyon
17h00 - Clôture
Nora Berra, Secrétaire d'Etat auprès du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, chargée de la Santé
Jeudi 7 avril 2011
Musée des Beaux-arts de Lyon,
Amphithéâtre Henri-Focillon,
20 place des Terreaux
69001 Lyon
Frais d'inscription : 100 euros
Déjeuner (optionnel) : 30 euros
Attention places limitées
Geneviève Dufour : 04 72 60 60 14
E-mail : genevieve.dufour@barreaulyon.com
Formation validante au titre de la formation continue des avocats pour sept heures
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Le 03 Mars 2011
- Etat des lieux et retour d'expérience de grands acteurs de l'économie sur la dématérialisation.
- Des procédures adaptées pour les PME ?
- Quelles évolutions souhaiter, quels sont les changements à venir pour faciliter la gestion de l'impôt ?
- Ce colloque est animé par :
- Gwenaëlle Bernier, avocate, membre de l'APTE
- Jean-Paul Ouaksel, avocat, membre de l'APTE
- Les intervenants suivants seront présents :
- Marc Bouzigues, Peugeot, membre de l'APTE
- Nathalie Dorléans, Renault, membre de l'APTE
- Antoine Rosnet, EDF, membre de l'APTE
- Jean-Marc Valès, sous-directeur des professionnels et de l'action en recouvrement à la Direction générale des Finances publiques
- Un dirigeant de PME
Lundi 21 mars 2011
14h00 - 18h00
CCIP
27, avenue de Friedland
75008 Paris.
150 euros.
Chambre de commerce et d'industrie de Paris
DGAEPI - Département Valorisation des Etudes
27, avenue de Friedland
75382 Paris cedex 08
Fax : 01.55.65.72.82
Mail : dve@ccip.fr
Ce colloque est validé pour la formation continue des avocats pour le concours de l'EFB.
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