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N1703BRI
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Les faits de l'espèce étaient des plus ordinaires ; la réaction de la société cocontractante originale et bienvenue. Lors de la livraison de merrains, le gérant de la société prestataire, après avoir salué les employés de sa cliente, avait ignoré ostensiblement un de ses salariés, d'origine maghrébine, et, s'adressant à un autre employé, lui avait demandé "alors Thierry maintenant que tu es marié vas-tu faire des enfants ?". Ce dernier ayant répondu affirmativement, le gérant avait indiqué : "tu as raison il vaut mieux que ce soit toi plutôt que les bougnoules"... "On est d'ordinaire plus médisant par vanité que par malice" nous enseigne La Rochefoucauld... par bêtise, sûrement aussi.
Le personnel de la société cliente avait, alors, quitté l'atelier et s'était plaint, au comité d'établissement qui se tenait le même jour, du comportement du gérant de la société prestataire. Par la suite, la cliente avait signifié à cette dernière sa volonté de cesser toutes relations commerciales avec elle, en raison du comportement de son gérant. Ce comportement avait, légitimement, selon les juges d'appel, soulevé un émoi au sein des salariés, puisqu'ils ont souhaité évoquer cette scène, lors du comité d'établissement de l'entreprise et le gérant de la société prestataire avait, dès lors, engagé sa société en raison de ses fonctions en son sein ; aucune circonstance ne permettait non seulement de justifier, ni même d'expliquer ces propos de nature à créer un sentiment de malaise. Et, ce manquement à l'obligation de loyauté était d'autant plus répréhensible, qu'il était imputable au gérant d'une cocontractante, avec laquelle la société entretenait des liens commerciaux depuis environ dix-sept années. En conséquence, il y avait lieu de considérer que le comportement du gérant, qui était de nature à perturber l'ambiance de travail dans l'atelier de son cocontractant, a pu justifier la volonté de ce dernier de rompre toutes relations contractuelles, sans respecter aucun préavis.
A l'heure où le racialisme intellectuel refait surface, tout propos ou acte raciste étant constitutif d'un délit, et la biogénétique jetant à nouveau le trouble sur la diversité des origines humaines, a contrario du monogénisme biblique, il est louable que certaines entreprises fassent preuve de responsabilité sociale, à la faveur de laquelle, outre le respect de normes sociales ou environnementales, outre l'instauration de chartes éthiques sur la non-discrimination, et tirent les conséquences commerciales d'un désaccord profond entre elles et leurs co-contractants, sur le plan des valeurs qui les animent.
Le discours est certes angélique, car, que se serait-il passé si les propos racistes en cause avaient été tenus non par le gérant d'une société fournisseur, mais par celui d'une société cliente ? La logique économique et commerciale aurait sans doute repris ses droits, qui n'en sont pas. Dans l'expression "relations commerciales", se niche le terme "relation" qui suppose, en droit comme en fait, un respect des parties contractantes des obligations civiles et civiques. Mais, avec cette affaire, qui aura nécessité une cassation préalable de l'arrêt de la cour d'appel qui, pour accueillir la demande du gérant, avait retenu que l'attitude et les propos reprochés n'entraient pas dans le champ contractuel, de telle sorte qu'il ne pouvait être reproché à la société prestataire une inexécution contractuelle, l'exemple vient irrémédiablement d'en bas. Il vient de la société cliente, bien entendu, mais aussi des juges du Quai de l'Horloge qui affirmaient, en 2009, à l'appui de leur cassation, qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la société prestataire, à laquelle étaient reprochées des fautes commises, lors de l'exécution de son obligation de livraison de la chose vendue, n'avait pas méconnu son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale. La cour d'appel de Bordeaux, remettant son ouvrage, ne se fit pas prier trois fois pour assimiler les propos racistes ainsi tenus au non-respect de l'obligation de loyauté.
Dans Fragments d'un discours amoureux, Roland Barthes rappelle qu'"au dire de Freud, un peu de différence mène au racisme. Mais, beaucoup de différences en éloignent irrémédiablement". De la banalisation des différences, sans tomber dans la mixophilie convulsive, sortira, sans doute, l'assainissement des relations commerciales, sur le plan du racisme et de la discrimination, au nom d'une responsabilité sociale de l'entreprise en développement. Et, "banalisation des différences" ne veut pas dire liberté absolue d'expression... Il arrive, parfois, que l'hypocrisie se cache sous la franchise du regard. Voyez Hippocrate, qui n'est pas ministre, mais auteur du célèbre serment humaniste, qui, dans Des airs, des eaux, des lieux, établissait un classement déterministe des groupes humains, définissant "des traits de caractère collectifs immuables" selon la géographie d'habitation, dans une conception induisant une hiérarchisation des peuples... Hippocrate, proto-raciste ? L'argument anti-raciste n'est pas d'autorité ; et la lutte contre le racisme ordinaire est décidemment bien l'affaire des hommes ordinaires...
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Réf. : Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.838, FS-P+B (N° Lexbase : A9810GPZ).
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N1679BRM
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 31 Janvier 2011
Résumé
Il appartient à l'employeur qui considère injustifiée la prise d'acte de la rupture par un salarié qui, étant victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat. |
Commentaire
I - Prise d'acte et obligation de sécurité : des régimes probatoires contradictoires
Malgré son particularisme, le droit du travail demeure, par principe, soumis aux règles de droit commun de la preuve, à l'exception des règles particulières établies dans certains domaines particuliers (1).
Tel est bien entendu le cas des règles gouvernant la charge de la preuve. On se souviendra qu'en droit commun, la preuve est soumise à l'adage actori incumbit probatio qui fait reposer la charge de la preuve, de manière générale, sur les épaules du demandeur (2). Cette règle générale doit s'articuler avec celles établies par le Code civil en matière contractuelle. En effet, la charge de la preuve des obligations des parties au contrat est établie selon les règles de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), qui trouve à s'appliquer au contrat de travail en raison de sa soumission "aux règles du droit commun" (3). Ainsi, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit prouver l'existence de celle-ci. Une fois la preuve de l'obligation établie, c'est celui qui prétend en être libéré qui doit le démontrer.
Les exceptions à cette règle de principe demeurent relativement fréquentes en droit du travail. A titre d'exemple, le régime de la preuve des discriminations ou du harcèlement répond à un régime totalement dérogatoire, inspiré du droit de l'Union européenne (4). De la même manière, la preuve des heures de travail du salarié s'appuie sur une articulation particulière (5). Tel est le cas, encore, en matière de preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement dont la charge incombe à la fois à l'employeur et au salarié (6).
Le régime de la charge de la preuve est essentiel dans tous les domaines du droit du travail parce que, comme cela est toujours le cas, le risque de la preuve est lié à la charge de la preuve, si bien que celui qui échoue à démontrer sa prétention doit succomber au procès.
Quelles règles de preuve doivent être retenues en matière de prise d'acte de la rupture du contrat de travail ? L'arrêt fondateur du régime juridique de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail comportait déjà, en germe, une réponse à cette question (7). En effet, il énonçait que "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission". Les faits invoqués par le salarié doivent justifier la prise d'acte. De ces deux observations pouvait aisément être déduit que le salarié supportait la charge de la preuve de la justification des faits (8).
Outre qu'elle correspond à l'application des règles de preuve de droit commun, cette interprétation a été implicitement confirmée par la Chambre sociale qui refuse d'appliquer les règles spécifiques à la preuve du licenciement en matière de prise d'acte pour exiger du salarié qu'il établisse les faits allégués contre l'employeur (9).
Les règles de preuve en matière d'obligation de sécurité de résultat ne s'écartent pas, elles non plus, des règles du droit commun. C'est, en effet, l'article 1315 du Code civil qui y trouve pleinement à s'appliquer. Le salarié doit prouver l'existence d'une obligation de sécurité de résultat ce qui, depuis 2002, ne fait plus aucune difficulté puisqu'il s'agit d'une obligation accessoire au contrat de travail (10), voire d'une obligation légale (11).
Cette preuve étant établie, c'est à l'employeur qui juge avoir convenablement exécuté cette obligation de démontrer qu'il n'y a pas manqué. Cette démonstration devrait, cependant, s'avérer extrêmement délicate puisque la Chambre sociale est revenue, le 3 février 2010, à une interprétation plus conforme à la conception classique de l'obligation de résultat en jugeant que l'employeur ne peut plus s'exonérer en démontrant qu'il a pris toutes les mesures pour faire cesser l'atteinte à la santé du salarié (12).
La règle a été expressément confirmée par la Chambre sociale s'agissant d'un employeur qui avait manqué à son obligation de sécurité en refusant de prendre en compte les préconisations du médecin du travail à l'égard d'un salarié inapte. C'est bien à l'employeur qu'il appartient de démontrer qu'il n'a pas procédé à l'adaptation du poste de travail du salarié comme cela lui était conseillé (13).
Il n'en demeure pas moins que les règles de preuve en matière d'obligation de sécurité et de prise d'acte peuvent entrer en contradiction. Ainsi, le salarié aurait l'obligation de faire la preuve des faits justifiant la rupture, mais c'est l'employeur qui devrait démontrer qu'il n'a pas manqué à son obligation de sécurité, manquement invoqué au soutien de la prise d'acte. C'est ce conflit qui était en cause dans l'espèce commentée.
Une salariée avait été mise à disposition d'une société de biscuiterie par plusieurs contrats de mission successifs avant d'être engagée par la société en contrat de travail à durée déterminée. Au cours de ce contrat, elle fut victime d'un accident du travail. Elle introduisit une demande auprès du juge prud'homal afin de voir requalifier son contrat en contrat de travail à durée indéterminée et que le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur. Au cours de la procédure, elle prit acte de la rupture de son contrat de travail, reprochant d'abord à l'employeur de ne pas avoir repris le paiement du salaire un mois après le constat d'inaptitude délivré par la médecine du travail et, ensuite, d'avoir manqué à son obligation de sécurité.
Après avoir requalifié la relation en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel de Toulouse jugea que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail devait produire les effets d'une démission. Au soutien de cette décision, les juges du fond estiment que c'était à la victime d'un accident du travail de prouver que l'employeur n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs et qu'en l'espèce, les éléments réunis par la salariée étaient insuffisants.
Par un arrêt rendu le 12 janvier 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L) du Code du travail. La Cour juge en effet "qu'il appartient à l'employeur qui considère injustifiée la prise d'acte de la rupture par un salarié, qui, étant victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat". A partir de cette règle, l'arrêt conclut que les juges d'appel ont inversé la charge de la preuve.
II - Prise d'acte et obligation de sécurité : des régimes probatoires conciliables
La solution paraît entièrement justifiée quant à son résultat, même si elle convainc moins concernant son argumentation.
Concernant le résultat, d'abord, les règles de preuve gouvernant prise d'acte et obligation de sécurité devaient mener à une telle solution. En effet, le salarié doit apporter la preuve des faits justifiant la prise d'acte. Ces faits doivent consister dans des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations, parmi lesquels figure le manquement à une obligation de sécurité de résultat (14). Or, pour démontrer ce fait, le salarié n'a plus aujourd'hui qu'à démontrer que sa santé a été altérée durant son travail ou à l'occasion de son travail. C'est là exactement le sens du renforcement de l'obligation de sécurité de résultat opéré par la Chambre sociale le 3 février 2010. L'employeur pourrait seulement tenter de démontrer, comme elle semble le prétendre, qu'il n'a pas manqué à son obligation.
On peut, en revanche, être moins convaincu par l'argumentation tendant à considérer que les juges du fond ont interverti la charge de la preuve en matière de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. En effet, c'est la Chambre sociale qui renverse la règle habituelle en énonçant qu'"il appartient à l'employeur qui considère injustifiée la prise d'acte de la rupture par un salarié [...] de démontrer que la survenance de l'accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat". Elle fait peser la charge de la preuve des faits justifiant la prise d'acte sur les épaules de l'employeur, ce qui est à la fois contraire aux règles de preuve en la matière, mais en outre parfaitement inutile pour parvenir à la solution obtenue. La charge de la preuve du manquement de l'employeur demeure sur les épaules du salarié. Il est seulement extrêmement simple à établir en raison de la matérialité de ces faits, c'est-à-dire un manquement à l'obligation de sécurité de résultat.
En somme, les juges du fond n'avaient probablement pas inversé la charge de la preuve. Leur erreur se situait ailleurs, au niveau de la force de l'obligation de sécurité de résultat dont le manquement est démontré par le salarié par le simple fait d'une altération de son état de santé.
Un autre élément de l'argumentation de la Chambre sociale n'est pas pleinement satisfaisant.
L'employeur peut-il encore s'exonérer de son obligation de sécurité de résultat quand un salarié subit un accident dans l'entreprise ? A cette question, une réponse absolue et définitive ne peut être apportée. S'il est certain que cette exonération devient de plus en plus difficile à démontrer, il n'est pas certain qu'elle soit totalement impossible (15).
Si l'on se réfère à la théorie classique distinguant obligation de moyens et obligations de résultat, on doit considérer que seule la force majeure permet à l'employeur de s'exonérer d'une obligation de sécurité de résultat. Or, les arrêts du 3 février 2010, s'ils fermaient la porte à une exonération de l'employeur qui aurait pris des mesures pour faire cesser l'atteinte à la santé du salarié, n'interdisaient pas explicitement que cette exonération repose sur l'absence de conscience de l'employeur du danger encouru par le salarié.
En disposant que l'employeur pouvait "démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat", la Cour de cassation persiste dans cette ambiguïté. Certes, l'emploi du terme "étrangère" fait évidemment penser à l'un des critères de la force majeure. Pour autant, il ne peut en être déduit que soit clairement affirmé que seule la force majeure permet à l'employeur de s'exonérer de son obligation.
A la décharge de la Chambre sociale, il faut tout de même relever que l'espèce portait sur la preuve de la prise d'acte de la rupture et non sur celle de l'obligation de sécurité. Cependant, compte tenu de la proximité des deux questions dans cette affaire, et de l'importance que recouvre le champ d'exonération dont bénéficie encore l'employeur, il n'aurait pas été inutile d'adopter une formule plus précise.
(1) D'une manière générale, v. J.-Y. Frouin, La preuve en droit du travail, SSL, 22 et 29 mai 2006.
(2) H. Roland, L. Boyer, "Adages du droit français", Litec, 4ème édition, p. 16.
(3) C. trav., art. L. 1221-1, (N° Lexbase : L0767H9B).
(4) Transcrivant différentes dispositions communautaires, la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 (N° Lexbase : L9122AUE) a introduit dans le Code du travail, les dispositions figurant à l'actuel article L. 1154-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0747H9K).
(5) C. trav., art. L. 3171-4 (N° Lexbase : L0783H9U).
(6) C. trav., art. L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G).
(7) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 (N° Lexbase : A8977C8Y), v. les obs. de Ch. Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8027AAK).
(8) Si la règle ne fait que peu de doute, il convient, en revanche, de remarquer qu'en pratique, l'employeur tente généralement d'apporter lui aussi la preuve du caractère injustifié de la prise d'acte, quand bien même il n'y est pas tenu.
(9) Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-44.754, F-P (N° Lexbase : A1364D3W) et v. les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte : la Cour de cassation n'entend pas se laisser déborder, Lexbase Hebdo n° 288 du 16 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6186BDH), JCP éd. S, 2008, 1289, obs. J.- Y. Frouin.
(10) Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0773AYB), Dr. soc., 2002, p. 445, note A. Lyon-Caen ; RTD civ., 2002, p. 310, note P. Jourdain ; D., 2002, p. 2696, note X. Prétot ; RJS, 2002, chr. p. 495, note P. Morvan.
(11) Cass. soc., 28 février 2006, n° 05-41.555, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2163DNG), v. les obs. de S. Martin-Cuenot, Vers un principe général de sécurité dans l'entreprise ?, Lexbase Hebdo n° 206 du 15 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5665AKZ), Dr. ouvrier, 2006, p. 408, note A. de Senga.
(12) Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et v. nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN).
(13) Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-42.878, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0951EM8) et v. les obs. de Ch. Radé, Reclassement du salarié inapte : la charge du respect de l'obligation de sécurité de résultat pèse sur les épaules de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 369 du 29 octobre 2009 édition sociale (N° Lexbase : N1741BMG).
(14) Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144 et n° 08-44.019, préc..
(15) V. les interrogations à ce sujet, La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, préc..
Décision
Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.838, FS-P+B (N° Lexbase : A9810GPZ). Cassation partielle, CA Toulouse, 4ème ch., sect. 1 soc., 9 septembre 2009. Textes visés ou cités : C. trav., art. L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ), L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L) et R. 4324-2 (N° Lexbase : L1937IAY). Mots-clés : prise d'acte de la rupture du contrat de travail, obligation de sécurité de résultat, charge de la preuve. Liens base : (N° Lexbase : E3145ETN) (N° Lexbase : E9682ESE) |
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N3410BRQ
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
Le 03 Février 2011
Jean-Luc Médina : Le barreau de Grenoble compte plus de 500 avocats, la moyenne d'âge est de 43 ans et le barreau comporte 52 % de femmes. La majorité des avocats grenoblois exerce en cabinet individuel dans tous les domaines du droit. La moitié des avocats du barreau de Grenoble ont moins de dix ans d'exercice. Ce barreau est jeune, dynamique et tourné vers l'avenir et la modernité. Il est aussi ancré dans des valeurs fortes : la défense des libertés publiques, et celle des sans voix. Il assume avec fierté ses obligations en matière d'aide juridictionnelle. Le barreau de Grenoble rayonne également en matière de droits de l'Homme. Durant la Seconde guerre mondiale, le barreau de Grenoble a été exemplaire. De nombreux avocats sont morts pour la France et pour défendre les idées de liberté, d'égalité et de fraternité. Le barreau de Grenoble s'inscrit dans cette tradition.
Les avocats du barreau de Grenoble interviennent également dans la rédaction d'actes et plus généralement en droit des affaires. Ils sont, dans ce domaine là, également à la pointe. Particuliers, entreprises, collectivités publiques et associations peuvent compter sur le concours de professionnels du droit qui présentent toutes les garanties de compétence et de responsabilité indispensable pour assurer les missions de conseils juridiques et de défense devant les juridictions.
Lexbase : Elu personnalité iséroise de l'année 2010, quel est votre parcours et qu'est ce qui vous a motivé à briguer le Bâtonnat ?
Jean-Luc Médina : J'ai adhéré à l'Union des jeunes avocats dès ma prestation de serment pour en devenir le président local en 1993 puis Président de la FNUJA dix ans plus tard en 2003 et enfin tête de liste de la FNUJA aux élections au CNB où notre liste est arrivée en tête des suffrages. J'ai donc été élu secrétaire du Bureau du CNB jusqu'en 2008. 18 ans de militantisme syndical en faveur des jeunes avocats et de la profession d'avocat m'ont poussé naturellement à me présenter au Bâtonnat en 2009.
Lexbase : Bâtonnier en exercice depuis le 1er janvier 2010, pouvez-vous nous dresser un bilan des actions accomplies et nous présenter les actions à venir ?
Jean-Luc Médina : J'ai souhaité renforcer l'attractivité de notre barreau et les compétences offertes au public. Nous sommes présents dans tous les domaines du droit et nous devons le faire savoir. La communication du barreau a donc été totalement repensée. Mais la communication ne suffit pas, le premier budget et notre dépense la plus lourde intervient désormais en matière de formation avec la mise en place du programme "formation excellence". Je souhaite que les avocats grenoblois interviennent dans tous les domaines du droit et soient les meilleurs. Nous devons investir massivement les nouvelles activités. Cela veut dire aussi que je serai intraitable sur le respect des obligations en matière de formation continue. Le barreau de Grenoble est également complètement connecté au RPVA avec des mesures très incitatives prises par le conseil de l'Ordre, nous n'avons pas perdu de temps en polémiques stériles sur ce sujet. Nous avons créé un institut des droits de l'Homme pour rayonner sur la cité et nous sommes sur le point de créer un institut de droit des affaires en partenariat avec la Faculté de droit de Grenoble pour que notre barreau d'affaires soit performant. Pour aider au développement du barreau d'affaires nous avons créé un magazine "City Juris" distribué à 20 000 exemplaires aux entreprises, artisans et commerçants et présent en kiosque. Enfin nos relations internationales et européennes ont été réactivées car nous ne vivons pas en vase clos et il faut s'ouvrir sur l'extérieur.
Lexbase : Un arrêt remarqué a été rendu le 15 novembre dernier concernant la fixation d'un montant minimum de rétrocession des honoraires par l'Ordre (CA Grenoble, 15 novembre 2010, n° 10/01390 N° Lexbase : A9728GI7). Quelles ont été vos motivations pour augmenter ce montant ? Quel regard portez-vous sur le statut de l'avocat collaborateur ? Vous semble-t-il en danger ?
Jean-Luc Médina : Ce fut la première mesure symbolique prise sous mon mandat par le conseil de l'Ordre au cours du premier conseil de l'Ordre public (ouvert aux avocats) de l'histoire de notre barreau. Nous avons augmenté de 30 % le minimum de rétrocession de la collaboration libérale. La logique est simple. Pour préparer l'avenir d'un barreau, il faut un jeune barreau motivé et compétent. Pour cela il faut tirer tout le barreau vers le haut. Les cabinets doivent mieux payer leurs collaborateurs, mieux les former, mieux les motiver, être plus performants, mieux facturer leurs prestations afin que nous entrions dans le cercle vertueux du succès. Je suis convaincu de l'efficacité de cette mesure. Elle est le résultat d'une conviction profonde acquise au cours de mon parcours syndical à l'UJA mais aussi de la connaissance de notre profession et de son environnement et des enjeux pour les vingt prochaines années. Le statut du collaborateur libéral n'est pas à mes yeux en danger. C'est un excellent tremplin pour l'avenir mais encore faut il en contenir les excès. C'est pourquoi le Bâtonnier qui a le pouvoir de régler les problèmes d'exercice professionnel doit être en vigilance permanente sur la question. A Grenoble, nous avons créé une charte de la collaboration libérale pour fixer un certain nombre de principes. Cette charte est adressée à tous les cabinets qui recrutent et je veille personnellement à l'équilibre fragile cabinet d'accueil-collaborateur.
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N1722BR9
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
Le 31 Janvier 2011
Claus Wiesel : Lors de la création d'une école pour le Grand-Est le choix de fixer le siège à Strasbourg n'était pas une évidence alors que certains administrateurs effectuent plus de 300 kilomètres pour assister aux réunions. Pourtant personne ne regrette l'arbitrage effectué et nous possédons, avec l'aide de la municipalité de Strasbourg, l'une des plus belles, si ce n'est la plus belle, école de France. Strasbourg n'est pas géographiquement au centre de la région mais la présence des institutions européennes, de la Cour européenne des droits de l'Homme, mais aussi de l'ENA et de l'INET (Institut national des études territoriales) avec qui nous entretenons un véritable partenariat, représentent un atout majeur pour l'enseignement du droit communautaire ou encore du droit public. En 2011 nous favoriserons encore plus la participation active des élèves, au cours de leur formation, à la vie de la cité pour s'imprégner de leur future profession et développer d'ores et déjà des réseaux et contacts. Pour ce faire, nous avons développé des partenariats et mis en place les opérations suivantes :
- un groupe d'élèves fiscalistes animera une série de conférences dans les agences du Crédit Mutuel sur le thème de la transmission d'entreprise ;
- un groupe d'élèves spécialisés en droit public travaillera en commun avec un groupe d'élèves administrateur de l'INET (futurs ou actuels cadres des collectivités) pour animer un colloque sur le thème de la responsabilité pénale des agents d'autorité des collectivités territoriales ;
- un élève de la promotion représentera l'ERAGE au concours de plaidoirie organisé au niveau international par le Mémorial de Caen ;
- un groupe d'élèves spécialisés en droit pénal participera à une visite guidée des geôles du tribunal, des cours d'assises et des maisons d'arrêts d'Elsau et de Colmar.
Nous avons pris l'option d'une formation pré-spécialisante et nos élèves peuvent opter entre trois modules de 100 heures (droit public, droit des affaires ou plus classiquement le contentieux) à côté de la formation commune de 311 heures.
Nos six délégations (une par ressort de cour) se chargent, quant à elles, de la formation continue et en plus des formations habituelles nous nous félicitons de la réussite des colloques organisés jusqu'à présent et nous poursuivrons cette alternance de formation dite de proximité avec des manifestations plus importantes.
L'équipe regroupée autour de notre directrice et les équipes pédagogiques mises en place font preuve d'un investissement et d'une efficacité certaine et notre bureau ainsi que conseil d'administration, qui regroupe 27 barreaux de taille très diverses, ont toujours su faire preuve d'une grande cohésion permettant la mise en place d'une école qui est, j'en suis convaincu, reconnue pour son sérieux et sa compétence.
Cette situation explique peut-être également son succès puisque le nombre d'élèves avocats ne cesse de croître : 136 puis 154 puis 171 et enfin 187 pour la dernière promotion.
Il s'agit là pourtant d'une tendance générale qui n'est pas propre à l'ERAGE et il n'est pas anodin de relever que près de vingt docteurs en droit viennent de solliciter leur inscription à l'ERAGE,
Lexbase : Le barreau devient-il la seule issue pour les étudiants de la faculté de droit ?
Claus Wiesel : Je ne sais pas s'il convient de parler de numérus clausus mais il faudra pour le moins réfléchir à une modification de l'accès à la profession ou a minima intervenir dans les universités auprès des étudiants et ceci dès la première ou deuxième année afin que ces derniers effectuent leur choix en toute connaissance de cause.
Le renouveau et le rajeunissement du barreau est certes une force mais la réalité économique vécue par de nombreux confrères ne peut et ne doit être occultée.
Lexbase : La procédure d'appel vient de faire l'objet d'une réforme. Quel impact cela a-t-il sur le droit local en Alsace-Moselle ?
Claus Wiesel : Cette réforme, issue du décret du 9 décembre 2009 (décret n° 2009-1524, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile N° Lexbase : L0292IGW), modifiée par un décret du 28 décembre 2010 (décret n° 2010-1647, modifiant la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile N° Lexbase : L9934INA) est entrée en vigueur pour les appels déposés à compter du 1er janvier 2011 dans les matières avec représentation obligatoire.
Cette réforme concerne toutes les cours d'appel y compris donc les cours d'appel de Colmar et de Metz soumises au régime dit du "droit local". Il n'y a donc pas de spécificité particulière sur ce plan en Alsace-Moselle, si ce n'est le maintien de l'obligation de déposer des actes d'appel complémentaires destinés à l'avocat de première instance de l'intimé qui se voit donc notifier par les services de la cour l'avis d'attribution.
En l'absence d'avoués, le barreau, et plus spécifiquement la colonne de la cour, mais non exclusivement puisque tous les avocats du ressort peuvent postuler pour les appels des jugements des tribunaux d'instance, est directement impliqué par la réforme et il faut bien dire que cette réforme nous inquiète quelque peu.
Nous pouvons parfaitement comprendre le souci de voir aboutir plus rapidement une procédure d'appel.
Mais que penser d'une réforme qui incite quasiment une partie intimée à ne pas constituer spontanément avocat à hauteur de cour en espérant l'intervention d'une décision de caducité de l'appel adverse compte tenu d'un retard dans le dépôt des conclusions justificatives d'appel ou d'un retard pour la régularisation d'une assignation ou d'une signification de conclusions ?
Que penser d'une réforme qui impose aux justiciables les plus démunis de signifier par voie d'huissier une déclaration d'appel alors qu'aucune décision d'aide juridictionnelle n'est encore intervenue et qu'aucune suspension de délai n'est envisagée par le texte pour une telle signification ?
La nouvelle procédure d'appel pose et posera de nombreux problèmes et il appartiendra aux barreaux de se mobiliser pour obtenir pour le moins des aménagements du texte.
Le dernier décret du 28 décembre a déjà "corrigé" certains points mais il nous appartiendra d'obtenir des ajustements complémentaires.
Lexbase : Vous êtes également membre du comité du groupe de travail Avocat des trois frontières. Quel est l'objectif de ce groupe ?
Claus Wiesel : La situation géographique du barreau de Colmar explique sans nul doute la création de ce groupe de travail.
De nombreux salariés alsaciens traversent quotidiennement le Rhin pour aller travailler en Allemagne ou en Suisse, à Bâle.
Des mariages mixtes sont de plus en plus fréquents et les habitants ne connaissent plus les frontières pour effectuer leurs achats de sorte que dans nos dossiers nous ne rencontrons pas seulement des questions de droit international privé mais il nous appartient d'appliquer purement et simplement le droit interne étranger.
Il y a une quinzaine d'année nous avons donc décidé d'organiser des rencontres et c'est ainsi que nous effectuons trois rencontres par an (une à Colmar, une à Fribourg en Allemagne et une à Bâle en Suisse) afin de procéder à une étude de droit comparé sur différents thèmes que nous définissons : divorce, faillite, droit social, responsabilité en matière d'accident de la circulation, indemnisation du préjudice, droit pénal, etc..
Petit à petit le groupe s'est structuré et c'est ainsi que nous avons non seulement établi de véritables statuts mais également mis en place un site internet et nous sommes juridiquement membres du groupe de travail du "Anwaltverein de Fribourg".
L'habillage juridique de nos rencontres ne doit pourtant rester qu'un simple outil alors que l'essentiel réside bien dans nos échanges transfrontaliers.
Au delà d'un intérêt pratique, il s'agit bien évidemment aussi d'un enrichissement personnel et intellectuel incontestable.
Lexbase : Les 28 et 29 janvier prochains se tiendra l'assemblée générale statutaire de la Conférence des Bâtonniers. Vous vous présentez à l'élection des membres du bureau. Quel est le rôle de ce bureau ? Comment sont répartis les sièges à pourvoir ?
Claus Wiesel : La création du CNB, organisme officiel de représentation de la profession, n'empêche pas que la Conférence des Bâtonniers qui regroupe tous les barreaux de province garde son utilité.
La Conférence représente effectivement tous les barreaux de province, du petit au plus grand et c'est ainsi que la possibilité est donnée à tous les barreaux de réfléchir et de s'exprimer sur tous les sujets qui concernent la profession en son ensemble.
Je suis, quant à moi, attaché au maintien des Ordres et au rôle des différents Bâtonniers et je me félicite de l'existence au bureau de la Conférence, de par les statuts, de quatre représentants de petits barreaux et de huit représentants de barreaux de taille moyenne comme le mien de sorte que la moitié des membres du bureau représente les petits et moyens barreaux.
Si la profession d'avocat est unique et si la défense de celle-ci, et au-delà la défense des intérêts des justiciables voire la défense des valeurs démocratiques de notre société, impose une unité sans faille il n'en demeure pas moins que l'exercice au quotidien est très divers d'un barreau à un autre de sorte que nous pouvons avoir des avis divergents sur tel ou tel projet de réforme.
La Conférence des Bâtonniers est un lieu privilégié pour permettre à chacun de faire valoir ses arguments.
J'ose croire que nos Ordres, peut-être remaniés, ont encore un certain avenir, ou plutôt un avenir certain et la Conférence des Bâtonniers garde et devra ainsi garder sa spécificité.
Tel est le sens de ma candidature pour l'élection des membres du bureau lors de la prochaine assemblée générale.
Biographie
Claus Wiesel né le 3 janvier 1956 marié, 2 enfants Date de prestation de serment : 3 janvier 1983 Inscrit au barreau de Colmar colonne cour, c'est-à-dire postulant devant la cour d'appel de Colmar Membre du conseil de l'Ordre depuis le 1er janvier 1997 Président de la CARPA de Colmar depuis le 31 janvier 1996 Bâtonnier de l'Ordre du barreau de Colmar en 2002 et 2003 Secrétaire général de l'ERAGE depuis le mois de mai 2005 (fin de mandat en mai 2011) Trésorier du CDAD du Haut-Rhin |
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par Jérome Rivkine, Avocat à la cour, Docteur en relations internationales, Seidler & Rivkine Association d'Avocats
Le 27 Janvier 2011
I - L'absence de cadre légal français de la révision des contrats pour imprévision
A - Panorama rapide de l'état de l'imprévision en France et à l'étranger
Tout contrat s'inscrit dans l'environnement politique, juridique et économique existant à la date à laquelle il est conclu. La question posée par la théorie de l'imprévision est de savoir s'il est souhaitable de permettre la modification d'un contrat en cas de bouleversement des circonstances au cours desquelles le contrat avait initialement été adopté.
En France, le débat est ancien. Ainsi, au XIIIème siècle, Saint Thomas admettait-il que "pour être obligé de tenir une promesse, il faut que rien n'ait changé" (1). Il n'y aurait ainsi pas d'"infidélité à la parole donnée à ne pas respecter un accord passé dans des circonstances différentes" (2). Au XVIIème siècle, Grotius s'opposait à cette théorie au nom de la stabilité contractuelle. Les rédacteurs du Code civil ne font aucune référence à un principe général de l'imprévision et optent, au contraire, pour la prééminence du principe de la force obligatoire du contrat (pacta sunt servanda), le contrat étant par nature un acte de prévision de l'avenir.
C'est précisément sous le visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) qu'au XIXème siècle, dans le prolongement de premières décisions similaires rendues en cette matière (3), la chambre civile de la Cour de cassation a, au nom de l'équité, rendu le célèbre arrêt dans l'affaire du "Canal de Craponne" (4), qui constitue aujourd'hui encore le principe fondateur du rejet de la théorie de l'imprévision en France. Depuis lors, le droit français continue de marquer son attachement à l'article 1134 du Code civil et refuse d'admettre un principe de révision pour imprévision, au nom du respect de l'accord donné des parties et de la prééminence de la force obligatoire du contrat, sauf dans certains cas limitativement énumérés par la loi (5) ou, occasionnellement, par la jurisprudence.
En effet, alors que le juge administratif reconnaît l'imprévision depuis un arrêt de principe du 30 mars 1916 (6) au motif de la nécessité d'assurer la continuité du service public, le juge judiciaire est, au contraire, très majoritairement opposé à un tel principe, hormis dans certaines situations isolées où une obligation de renégociation a pu être mise à la charge des parties, laissant entrevoir les prémisses d'un droit de l'imprévision. Ainsi, la révision d'un contrat a-t-elle été admise en cas de changement fortuit des circonstances économiques à partir des années 1970-19808 (7), puis en 1992 au nom de l'exigence de bonne foi dans l'exécution d'un contrat de distribution (8). En 1998, les juges ont également pu inciter des parties à renégocier un contrat sur le fondement de l'obligation de bonne foi et de loyauté (9).
Plus récemment, le 29 juin 2010, la Cour de cassation a admis le même principe en cassant un arrêt d'appel au motif qu'"en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'évolution des circonstances économiques et notamment du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n'avait pas eu pour effet [...] de déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver toute contrepartie réelle l'engagement souscrit par la société [X], ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l'obligation dont la société [Y] sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" (10). Il s'agirait, selon la doctrine, d'une reconnaissance implicite de l'imprévision ainsi fondée sur la nécessaire survivance de la cause pendant le contrat, dont la disparition pourrait alors donner lieu à une modification de la relation contractuelle, l'une des parties n'ayant plus "d'intérêt" au contrat. Cet arrêt, non publié, se rapproche d'un autre arrêt rendu 30 ans plus tôt sur le même fondement de la cause (11), mais tous deux restent isolés.
Hormis ces quelques décisions exceptionnelles, dont rien ne permet d'entrevoir qu'elles pourraient donner lieu à une généralisation, l'interdiction, pour le juge judiciaire français, de réviser un contrat demeure aujourd'hui, dans une très large majorité, le principe.
Dans nos droits voisins, un certain nombre d'Etats européens reconnaissent le principe de l'imprévision dans leur code civil : l'Italie (art. 1467, 1468), le Portugal (art. 312), les Pays-Bas (art. 6.258), l'Allemagne (§ 313 BGB), la Grèce (art. 388), la Roumanie (art. 969 et 970) ou encore la Suisse (art. 2).
En Allemagne, pendant longtemps, le problème de l'imprévision a été réglé par voie prétorienne, le juge allemand analysant les effets des changements survenus du fait d'un imprévu au niveau de la cause du contrat. C'est sur ce fondement, dans le cadre d'une réforme générale du droit allemand des obligations entrée en vigueur le 1er janvier 2002, que l'imprévision a été codifiée. Le législateur a ajouté dans les dispositions relatives à la cause du contrat dans le BGB (§ 313) l'hypothèse d'une "perturbation" de la cause, qui peut dorénavant donner lieu à l'adaptation du contrat à de nouvelles circonstances. Ainsi n'est plus uniquement réglée la question de la "disparition" de la cause qui continue de constituer un cas de nullité du contrat.
En Autriche, la théorie de l'imprévision n'a pas été réglée par le législateur et représente donc un vide juridique. Les juges pallient ce vide en appliquant les dispositions relatives à l'interprétation des textes pour emprunter, par analogie, les solutions d'autres mécanismes juridiques de droit interne dont, notamment, les vices du consentement, l'erreur, la lésion, la cause ou la théorie des risques.
Au Danemark, en Finlande et en Suède, la révision du contrat pour imprévision est admise de source jurisprudentielle.
Des solutions d'admission de l'imprévision existent aussi hors d'Europe comme en Turquie (art. 2 du Code civil et art. 365, al. 2 du Code des obligations), en Egypte (art. 147), en Algérie (art. 107) ou au Mexique depuis le 22 janvier 2010.
D'autres Etats, minoritaires, refusent de reconnaître un principe général d'imprévision au nom de la prééminence de l'accord passé, ainsi, l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg, l'Ecosse, l'Irlande ou encore la France.
De même, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale (N° Lexbase : L6800BHC) n'admet pas un tel principe.
Le droit anglais est, quant à lui, atypique (une fois n'est pas coutume...). S'il reconnaît au juge le pouvoir de résilier le contrat en cas de changement de circonstances sur le fondement de la notion de frustration, cette option n'est pas à proprement parler qualifiable de révision pour imprévision en ce que le droit anglais a vocation à se rapprocher plutôt, par application de cette notion, des effets de la force majeure au sens du droit français. Il en va sensiblement de même dans la plupart des pays de Common law.
Le droit français se trouve ainsi en décalage par rapport à la majorité des régimes d'où la résurgence, dans un contexte d'internationalisation croissante des échanges et d'harmonisation accrue des droits au niveau européen, du débat sur la codification d'un principe de révision des contrats pour imprévision en France.
B - Le débat sur l'adoption d'un droit de l'imprévision en France
La théorie de l'imprévision soulève de longue date de vastes débats sur la question de la nécessité de reconnaître, en droit français, un principe d'imprévision qui s'appliquerait à tous les contrats à titre supplétif en l'absence de clause de hardship.
Pour un premier courant d'opposants, la possibilité de réviser le contrat lorsque les parties ne l'ont pas initialement prévue non seulement contrevient à la volonté exprimée des parties mais elle serait encore économiquement dangereuse. La loi du contrat est intangible : ce qui compte, c'est l'intérêt de la parole donnée, l'exécution de l'accord conclu selon les conditions convenues au nom de la prééminence de la stabilité contractuelle. L'absence de reconnaissance d'un principe d'imprévision est un bienfait, il présente un caractère contraignant en ce qu'il conduit "les parties à prendre en main leur destin contractuel" (12). En l'absence de clause de révision dans le contrat, rien n'exclut que les parties n'ont pas accepté les risques de survenance de nouvelles circonstances venant en modifier l'équilibre, sans pour autant souhaiter en rediscuter les termes, soit le caractère aléatoire du contrat. Selon les opposants à la codification, admettre un principe d'imprévision ouvrirait par ailleurs la porte à des risques de demandes de révision abusives notamment lorsqu'une des parties envisage de sortir de la relation.
A l'inverse, certains contemporains considèrent que les circonstances économiques au cours desquelles le contrat a été conclu ayant changé, il est légitime d'en modifier les termes pour adapter le contrat à son nouvel environnement. Selon ce courant des partisans, l'introduction d'un principe d'imprévision dans le droit positif est une nécessité pour des raisons économiques d'équivalence des conditions de concurrence. L'intérêt du contrat réside dans sa pérennité qui prime sur son caractère obligatoire : sa modulation est nécessaire pour en permettre l'exécution. Autrement dit, le but et l'intérêt du contrat au cours de sa formation doivent persister au stade de son exécution, comme l'a d'ailleurs admis la Cour de cassation dans l'arrêt du 29 juin 2010 précité.
La recherche d'une consécration de l'imprévision en droit positif français fait aujourd'hui l'objet de plusieurs projets de réforme. Ainsi, le projet "Terré" prévoit d'introduire un principe de révision pour imprévision (art. 92 du projet). Un projet "Catala" ainsi qu'un projet gouvernemental sont également en cours d'élaboration en France. Si une telle codification était admise en son principe, il serait souhaitable qu'elle se réalise dans le cadre d'une harmonisation européenne des droits.
Dans l'attente d'une telle réforme, la théorie de l'imprévision peut, néanmoins, devenir la loi des parties. L'insertion d'une clause de révision dans le contrat peut en effet permettre aux parties de se réserver la possibilité de revenir sur leurs engagements en cas de modification substantielle de leur environnement contractuel initial et de prévoir les modalités d'une telle révision du contrat.
Tel est l'objet de la clause de hardship.
II - La prévision contractuelle d'un imprévu : la clause de hardship
A - Définition, validité et utilité de la clause de hardship
Littéralement, "hardship" signifie "rigueur", "épreuve", "privation" ou encore "difficulté" : l'exécution du contrat devient trop "rigoureuse" ou "éprouvante" pour l'une des parties du fait de la survenance d'un événement venant modifier l'environnement contractuel initial (13).
Connue sous diverses appellations (14), la clause de hardship est celle "aux termes de laquelle les parties pourront demander un réaménagement du contrat qui les lie, si un changement intervenu dans les données initiales au regard desquelles elles s'étaient engagées vient à modifier l'équilibre de ce contrat au point de faire subir à l'une d'elles une rigueur ('hardship')" (15).
La validité d'une telle clause, qui se fonde sur le principe d'autonomie de la volonté, n'est soumise à aucune règle particulière à l'exception de celles communes au droit commun des contrats. Toutefois, selon la majorité de la doctrine, le fait générateur de la procédure de révision doit présenter un caractère objectif et reposer sur un événement imprévisible des deux parties au moment de la formation du contrat.
Le mécanisme du hardship est fréquemment rencontré dans les contrats à durée déterminée de longue durée (ex. : contrats de franchise, de concession, contrats-cadre d'opérations monétaires, fourniture de matières premières...). Une telle clause présente un intérêt plus limité dans les contrats à durée indéterminée, étant entendu que les parties peuvent y mettre fin à tout moment moyennant un préavis raisonnable, ce qui constitue un moyen de pression sur l'autre partie pour l'amener à renégocier le contrat.
En l'absence d'une telle clause dans le contrat, les parties restent libres de convenir, au moment de la survenance d'un imprévu, de réviser l'accord qu'elles ont conclu pour l'adapter à ces nouvelles circonstances, mais il est peu probable, en pratique, qu'une partie accède à une telle demande si elle n'y a pas un intérêt direct, à moins qu'elle n'y soit contrainte par une clause en ce sens figurant dans le contrat.
Dans l'attente de l'introduction d'un cadre légal de l'imprévision en France, l'insertion d'une clause de hardship dans les contrats de longue durée s'avère donc une précaution importante.
B - Utilisation pratique de la clause de hardship - Recommandations
Pour être efficace, la clause doit prévoir précisément les modalités de son application, en fonction de la force que les parties souhaitent procurer à leur engagement d'adaptation à des circonstances ultérieures. Ainsi, semble-t-il essentiel de considérer a minima les points suivants au moment de la rédaction d'une telle clause.
- Quelle est la raison de l'insertion d'une clause de hardship dans le contrat ? Un préambule dans le contrat ou dans le corps même de la clause de hardship peut être inséré pour préciser que le consentement des parties au contrat est donné en considération de son environnement actuel et subordonné à la persistance de cette situation dans le temps.
- A quel droit la clause de hardship est-elle soumise ? En fonction de choix stratégiques ou politiques, les parties pourront désigner telle loi applicable au contrat, il conviendra alors d'anticiper la validité de celle-ci par rapport à l'état du droit de l'imprévision dans l'Etat choisi par les parties.
- Quelle est la nature de l'évènement considéré ? Il convient de définir les circonstances objectives pouvant donner lieu à révision (ex. : modification des circonstances économiques, politiques, juridiques, financières...), sans être exhaustif pour autant, afin de limiter les risques de demandes de révision abusives. A cet égard, l'insertion d'un "notamment" ou "etc." en fin de clause est à bannir. Rien n'empêche d'exclure un certain nombre d'évènements du champ d'application de la clause.
- Quels sont les effets de l'évènement à l'égard des parties ? Il s'agit soit de déterminer un seuil de pertes ou de manque à gagner acceptable pour l'une des parties soit, plus généralement, d'indiquer que le bouleversement est tel que l'exécution du contrat conduit l'une des parties à devoir supporter des conditions économiquement "difficiles", "ruineuses", "impossibles", "inéquitables"..., selon le cas.
- Quelle est la période pendant laquelle la survenance de l'évènement peut être prise en compte ? La clause peut avoir vocation à jouer pendant toute la durée du contrat comme elle peut être limitée dans le temps (ex. : à partir de la cinquième année du contrat).
- Quels sont la forme et le contenu de la notification ? Est-il nécessaire de définir les faits matériellement constatés qui caractérisent l'évènement ainsi que leurs effets dans la lettre de notification ?
- Dans quel délai, à compter de la survenance de l'évènement, la clause peut-elle être mise en oeuvre ? Il convient de prévoir un délai à compter duquel la clause pourra être exercée par la partie empêchée (ex. : la notification devra intervenir dans les trois mois suivant la survenance de l'évènement considéré).
- Quelles obligations découlent de l'émission de la notification ? Il convient de prévoir l'obligation pour les parties de se réunir dans un certain délai prévu par la clause et que l'obligation de le renégocier est une obligation de résultat.
- Quelles sont les conséquences d'un refus de réponse ou de révision du contrat par l'autre partie ? Il peut être envisagé de saisir le juge ou un tiers en décrivant la procédure à suivre pour le désigner, la partie la plus diligente, l'étendue de ses pouvoirs...
- Quel est le sort du contrat à compter de la notification, ainsi que pendant la période de renégociation ? Continue-t-il d'être exécuté ou est-il suspendu ?
- Quelle est l'étendue de l'objet de la négociation ? La négociation doit-elle porter sur des éléments précis du contrat (ex. : le prix, les obligations des parties...) ou l'ensemble du contrat est-il susceptible d'être révisé ?
- Quels sont les effets acceptables de la renégociation ? Les parties devront fixer des limites à la négociation, pour définir des conditions nouvelles "raisonnablement nécessaires" pour adapter le contrat aux évènements survenus. Il est souhaitable de prévoir un plafond de rééquilibrage pour éviter qu'une des parties ne profite de la renégociation pour tirer à son profit de nouvelles conditions bien plus favorables.
- Pendant combien de temps les parties s'autorisent-elles à négocier pour parvenir à un accord ? La précision de la période pendant laquelle les parties sont tenues de renégocier le contrat permet d'encadrer les débats dans le temps
- Faut-il prévoir des sanctions en cas de demande de révision reconnue abusive a posteriori ? Lesquelles ? Une telle stipulation présente un effet dissuasif et permet de se prémunir contre les risques d'abus éventuels.
- En cas d'aboutissement de la négociation, le contrat initial est-il poursuivi ou un nouveau contrat se forme-t-il ? Quel est alors le sort des éventuels engagements complémentaires souscrits (ex. : garanties) ?
- Peut-on, en cas de blocage, recourir à un juge ou à un tiers pour se substituer à parties inconciliables ? Il convient alors de définir le rôle du juge, son mode de désignation, ses pouvoirs, l'objet de son intervention, les critères éventuels à appliquer pour réviser le contrat, la force contraignante de sa décision...
- Quelle est l'issue du contrat en cas d'échec des renégociations ? Le contrat initial continuera-t-il d'être suspendu jusqu'à ce qu'un nouvel accord intervienne, sera-t-il résilié ou devra-t-il être exécuté aux conditions initiales ?
Une clause de hardship sera bien rédigée lorsqu'elle sera suffisamment pensée, intelligible, claire et précise pour permettre son application au cas considéré sans contestation. De nombreux ouvrages et chroniques proposent, à titre d'exemple, des formules de clauses de hardship (16). Toutefois, aucun exemple de clause proposé n'aurait vocation à être reproduit à la lettre. Pour être efficace, une clause de hardship doit être utilisée avec circonspection et modulée au cas par cas, en prévision de la nouvelle situation qu'elle aurait vocation à régir, aussi imprévisible qu'elle puisse paraître.
(1) Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, q.110, art. 3 ad. 5, in Jacques Ghestin, Traité de droit civil, 3ème éd., mars 2001, p. 355 à 417, sp. p. 360.
(2) Saint Thomas d'Aquin référencé in Jurisclasseur Civil Code, Art. 1134-1135, Fasc. 11, à jour au 19 décembre 2006, n° 33, p. 12.
(3) Cass. civ., 9 janvier 1856, DP, 1856, 1, p. 33 ; Cass. civ., 11 mars 1856, DP, 1856, 1, p. 100 ; Cass. civ., 7 mars 1859, DP, 1859, 1, p. 109.
(4) Affaire du "Canal de Craponne" :
" Vu l'article 1134 du Code civil,
[...] Attendu que la règle qu'il [C. civ., art.. 1134] consacre est générale et absolue et régit les contrats dont l'exécution s'étend à des époques successives, de même que ceux de toute autre nature; que dans aucun cas il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants [...]
Par ces motifs, casse" (Cass. Req., 6 mars 1876, DP, 1876, 1, p.193).
Pour mémoire, cette affaire concernait une demande de révision du montant de la redevance de sols appliquée sur lesquels le canal de Craponne était exploité dont, il convient de le préciser, le montant avait été fixé trois siècles plus tôt (conventions conclues aux XVIème siècle) ! La demande était motivée par l'augmentation du coût de la main d'oeuvre et la baisse de la valeur de la monnaie. La Haute juridiction fit preuve d'une extrême rigueur en refusant de reconnaître le caractère équitable de la demande de révision ainsi formulée. Cet arrêt pose explicitement le principe d'interdiction pour le juge de réviser un contrat pour imprévision. François Terré, Philippe Simler, Yves Lequette, Droit civil - Les obligations, 10ème éd., septembre 2009, p. 479 et s., sp. n° 466, p. 482
(5) Ainsi, la loi (non exhaustif) autorise-t-elle une telle révision du contrat en matière de libéralités (C. civ., art. 900-2 N° Lexbase : L0042HPA), en matière de prix de cession de droits d'exploitation d'oeuvres littéraires ou artistiques qui présenterait un caractère lésionnaire de plus de 7/12ème (C. prop. intell., art. L. 131-5 N° Lexbase : L3388ADT), de location-gérance (C. com., art. L. 642-17 al. 2 N° Lexbase : L3924HBX) ou de prestation compensatoire (C. civ., art. 276-3 N° Lexbase : L2844DZD) lorsque des circonstances strictes et spécifiquement prévues sont réunies (ex. : 7/12ème de lésion en matière de prix de cession de droits d'exploitation d'oeuvres littéraires ou artistiques). De même, l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) permet-il au juge "même d'office, [de] modérer ou [d'] augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire". Bien que le fait générateur de ce mécanisme ne procède pas de la survenance de circonstances nouvelles extérieures aux parties, cette disposition n'en demeure pas moins une reconnaissance du pouvoir du juge de s'immiscer dans le contrat pour rétablir une situation équitable. L'article 1244-1 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW) permet également au juge d'accorder un délai de paiement au débiteur. Ces dispositions ont toutefois un objet restreint, strictement défini.
(6) Affaire "Gaz de Bordeaux" CE Contentieux, 30 mars 1916, n° 59928 (N° Lexbase : A0631B9A), D., 1916, jurispr. p. 25 ; S., 1916, 3, p. 17.
(7) Cour d'appel de Paris, 28 décembre 1976, JCP éd. G, 1978, II, 18810 ; TGI Paris, 24 février 1988, Bull. Inf. C. cass, 1er août 1988, p.24 ; Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634 (N° Lexbase : A9415AAX), Bull. civ. V, n° 122.
(8) Affaire "Huard", sur l'évolution des prix en matière de carburants : Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-18.547 (N° Lexbase : A4297ABR), Bull. civ. IV, n° 338.
(9) Dans une affaire dans laquelle un mandant ne mettait pas son agent commercial en mesure de pratiquer des prix proches de ceux pratiqués par les concurrents, la Cour de cassation a admis la révision du contrat sous le visa de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil mais aussi de l'article 4 de la loi du 25 juin 1991 (loi n° 91-593 N° Lexbase : L8328AIB) : Cass. com., 24 novembre 1998, n° 96-18.357 (N° Lexbase : A9771AYK), Bull. civ. IV, n° 277 ; JCP éd. G, 1999, II, 10210.
(10) Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67.369, F-D (N° Lexbase : A9771AYK), in S. Le Gac-Pech, L'équilibre du contrat au travers de la cause : un substitut à la théorie de l'imprévision ?, JCP éd. E, 16 décembre 2010, n° 2108, p. 24.
(11) Cass. soc., 17 juin 1981, n° 77-12.428 (N° Lexbase : A8771CHC), Bull. civ. V, n° 568, p. 426, in J. Ghestin, Traité de droit civil, 3ème éd., mars 2001, p. 374.
(12) B. Fauvarque-Cosson, Le changement de circonstances in Durées et contrats, RDC, 2004, p.67, n° 27, in Mustapha Mekki, Hardship et révision des contrats, 1 - Quelle méthode au service d'une harmonisation entre les droits ? , JCP éd. G, n° 49, 6 décembre 2010, n° 1249, p. 2297.
(13) Philippe Malaurie, Laurent Aynès, Les obligations, 4ème éd., octobre 2009, p. 376 et s., p. 380, n° 762.
(14) Clause de renégotiation, clause de sauvegarde, material adverse change ("MAC" clause), clause d'équité, clause de révision, clause d'imprévision, clause d'échelonnement...
(15) B. Oppetit, L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la clause de hardship, Clunet, 1974, 794, sp. n° 3, p.797, in Jurisclasseur Contrats-Distribution, Fasc. 70 Durée dans les contrats, à jour au 1er octobre 2006, n° 161, p.25
(16) ICC Force majeure clause 2003 - Hardship clause 2003, ICC, n° 650, 2003 ; W. Dross, Clausier - Dictionnaire des clauses ordinaires et extraordinaires des contrats en droit privé interne, mars 2008 ; J.-M. Mousseron, J. Raynard, J.-B. Saube, Technique contractuelle, 4ème éd., juin 2010, n° 1530 et s. ; Principes d'Unidroit, 2004, relatifs aux contrats du commerce international, "Hardship", chapitre 6, section 2, articles 6.2.1 à 6.2.3, www.unidroit.org.
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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis
Le 20 Octobre 2011
Le contentieux des contrats administratifs continue sa profonde mutation, et le moins que l'on puisse dire est que l'année 2011 commence en fanfare avec l'intervention de l'arrêt "Manoukian" par lequel le Conseil d'Etat vient utilement préciser la jurisprudence "Commune de Béziers" du 28 décembre 2009 (1). Dans la lignée de la jurisprudence "Société Tropic travaux signalisations services" (2) qui avait permis aux concurrents évincés d'exercer une action en contestation de validité devant le juge de plein contentieux, l'arrêt "Commune de Béziers" a précisé l'office de ce même juge en distinguant deux hypothèses.
La première hypothèse concerne l'action en contestation de validité du contrat que peuvent exercer les parties. Lorsqu'il est saisi d'un tel recours, il appartient au juge qui constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, le juge du contrat peut alors décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties. Il peut aussi prononcer la résiliation du contrat, le cas échéant avec un effet différé, et après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Il peut, enfin, annuler le contrat en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui et tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.
La seconde hypothèse, plus fréquente en pratique et qui était l'objet de l'arrêt "Manoukian" rendu le 12 janvier 2011, concerne l'action portée par les parties devant le juge de plein contentieux et visant au règlement d'un litige relatif à l'exécution du contrat. Par principe, et eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, il appartient au juge du contrat de régler le litige qui lui est soumis dans un cadre contractuel, c'est-à-dire qu'il lui revient alors de faire application du contrat et de statuer en se plaçant du point de vue de la responsabilité contractuelle. Celui-ci comporte, cependant, une exception qui autorise, et même oblige, le juge de plein contentieux à se prononcer sur un terrain extracontractuel. C'est le cas lorsqu'il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Cette seconde hypothèse a immédiatement suscité le questionnement (3). S'est posée la question de savoir s'il fallait assimiler les irrégularités entachant la procédure de passation du contrat à des irrégularités susceptibles de permettre au juge de plein contentieux de sortir du cadre contractuel pour régler le litige dont les parties l'on saisi.
L'arrêt "Commune de Béziers" ne permettait pas à lui seul de répondre à cette question car l'emploi de l'adverbe "notamment" ("vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement") pouvait plaider dans le sens de la mise à l'écart du contrat en cas d'irrégularité au cours de la procédure de passation. En sens inverse, on pouvait tout à fait soutenir que le juge n'avait pas pu ne pas envisager le cas de telles irrégularités au moment de rendre l'arrêt "Commune de Béziers", et que s'il avait entendu les ériger en irrégularités susceptibles de provoquer la mise à l'écart du contrat, il l'aurait sans doute fait explicitement. Dans le même sens, ce n'est qu'au prix d'un réel effort d'interprétation que l'on pouvait assimiler une irrégularité survenue au cours de la procédure de passation du contrat à un vice relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.
A cette première interrogation s'en est ajoutée une seconde relative à la conciliation, et même à l'impossible conciliation, entre certains moyens d'ordre public relevés d'office par le juge et le respect de l'exigence de loyauté des relations contractuelles. Concrètement, si l'exigence de loyauté des relations contractuelles fait obstacle à ce qu'une partie puisse invoquer sa propre turpitude (autrement dit une irrégularité qu'elle aurait commise) pour provoquer la mise à l'écart du contrat, il semblait difficile d'interdire au juge de soulever d'office un moyen d'ordre public alors même "qu'un tel moyen [...] risque de servir les intérêts de la partie à qui le vice est imputable" (4). Le danger était, en effet, que le juge joue, bien malgré lui, le rôle de perturbateur du loyalisme contractuel.
C'est à ces deux interrogations que répond l'arrêt rendu le 12 janvier 2001 en ne retranchant rien à la jurisprudence "Commune de Béziers" (5) et en lui ajoutant des précisions essentielles. Il est, désormais, acquis que les parties ayant saisi le juge de plein contentieux d'un litige relatif à l'exécution du contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation aux fins d'écarter le contrat pour le règlement des litiges. Clairement, les vices relatifs au déroulement de la procédure de passation ne sont donc pas assimilés à des vices d'une particulière gravité relatifs aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.
C'est assurément une sage décision compte tenu de l'extrême complexité qui caractérise le processus de passation des contrats publics, la loyauté des relations contractuelles s'en trouvant, ainsi, renforcée. La solution est, d'ailleurs, d'autant plus sage que le juge ne peut pas non plus relever d'office un moyen tiré d'un manquement aux règles de passation. Le litige contractuel doit donc être réglé sur le terrain contractuel, même lorsque le contrat a été conclu sur le fondement d'une procédure irrégulière. L'arrêt réserve, cependant, une exception notable, qui présente tous les traits d'une soupape de sécurité. Les parties et le juge pourront, "par exception", invoquer ou soulever d'office un tel moyen lorsque, "eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat". S'il est encore trop tôt pour savoir quelles hypothèses recouvrira à l'avenir cette exception, il semble bien que la volonté du juge soit de n'écarter le contrat que dans des conditions très restrictives. Une irrégularité entachant la procédure de passation, si grave soit-elle, ne permettra pas, à elle seule, de parvenir à un tel résultat puisqu'il faudra, en plus, qu'elle soit survenue dans des circonstances particulières.
Force est de constater qu'il est aujourd'hui difficile de déterminer avec certitude les irrégularités qui satisferont à cette double condition de gravité et de circonstances. Les faits en cause dans l'arrêt "Manoukian" ne permettent même pas de le préciser, car le Conseil d'Etat sanctionne la cour administrative d'appel (6) pour avoir constaté la nullité d'un marché public conclu entre le Crédit municipal de Paris et le requérant, architecte, au motif qu'il avait été conclu en méconnaissance du seuil de 700 000 francs fixé par l'article 104 du Code des marchés publics alors en vigueur (N° Lexbase : L4329DAL), sans rechercher si les deux conditions précitées étaient réunies (cette solution n'étant que la conséquence du caractère rétroactif de la précision jurisprudentielle apportée par le Conseil d'Etat). D'autres arrêts rendus le même jour permettent, cependant, d'apporter quelques éléments de réponse.
Le présent arrêt, dit "Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France", présente un double intérêt portant, tout à la fois, sur la qualification administrative d'un contrat conclu entre deux personnes privées et sur l'application de la jurisprudence "Commune de Béziers", telle qu'amendée par l'arrêt "Manoukian".
Sur le premier point, le Conseil d'Etat applique en l'espèce la jurisprudence "Peyrot" (7), selon laquelle un contrat conclu entre deux personnes privées peut être administratif lorsque l'un des contractants a agi pour le compte d'une personne publique, ce qui est le cas lorsque le contrat porte, par son objet, sur des travaux relevant par nature de l'Etat. Tel était le cas en l'espèce, puisque le Conseil d'Etat rappelle que la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l'Etat, et qu'en conséquence, les contrats conclus par une société concessionnaire d'autoroutes avec un groupement solidaire d'entreprises et ayant pour objet l'étude, la fourniture, la réalisation la recette et la garantie d'un réseau de fibres optiques à haut débit le long des autoroutes A2, A4 et A 26 sont des contrats administratifs.
Sur le second point, l'arrêt "Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France" affirme clairement que l'existence d'une irrégularité affectant la procédure de passation d'un contrat administratif n'entraîne pas automatiquement et nécessairement la mise à l'écart du contrat. En l'espèce, le Conseil d'Etat juge "qu'aucune des irrégularités susceptibles d'affecter la procédure d'attribution du marché à son titulaire [...] et tirées soit de l'inapplication par elle-même des dispositions du Code des marchés publics, des dispositions du décret n° 93-584 du 26 mars 1993 (N° Lexbase : L2095IPB), relatif aux contrats visés au I de l'article 48 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 (N° Lexbase : L8653AGL), relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, de prescriptions du droit communautaire au contenu équivalent ou de principes généraux relatifs à la présentation des candidatures à l'attribution du marché, soit de manquements de sa part au principe d'égalité entre les candidats au cours de la consultation, ne saurait être regardée comme un vice d'une particulière gravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel".
Tout comme l'arrêt "Manoukian" rendu le même jour, l'arrêt "Société Léon Grosse" du 12 janvier 2011 vient utilement préciser la jurisprudence "Commune de Béziers". N'était, cependant, pas en cause dans cette affaire une irrégularité relative à la procédure de passation d'un contrat public mais un vice de nature à entacher d'illicéité le contenu du contrat. Il n'était donc pas directement question d'appliquer la nouvelle grille d'analyse développée dans l'arrêt "Manoukian", mais de déterminer les conséquences à tirer d'une grave irrégularité touchant au contenu du contrat sur le contrat lui-même. En effet, les juges du fond avaient constaté la nullité du contrat litigieux, un marché de travaux de rénovation et d'entretien d'un lycée, au motif qu'un document contractuel intitulé "Phasage prévisionnel des travaux" prévoyait que les travaux de rénovation devaient débuter avant la conclusion et la notification du marché, et cela en violation des dispositions de l'article 250 du Code des marchés publics alors en vigueur (N° Lexbase : L1232ANX), et imposant précisément la notification du marché avant tout commencement d'exécution.
Si le Conseil d'Etat reconnaît bien, en l'espèce, qu'une telle stipulation "pourrait être de nature à entacher d'illicéité le contenu du contrat et à justifier, en conséquence, qu'il n'en soit pas fait application", il se refuse à établir toute automaticité entre le constat d'une telle irrégularité et la mise à l'écart du contrat. Il examine, en effet, cette irrégularité en tenant compte du contexte dans lequel elle est intervenue pour juger au final et en l'espèce qu'elle ne justifiait pas l'annulation du contrat, contrairement à ce qu'avait jugé la cour administrative d'appel de Douai (8). En effet, le Conseil d'Etat relève que, si l'existence de ce document contractuel n'était pas contestable, il s'avérait à l'analyse qu'il intervenait en troisième place dans la liste des documents contractuels du marché, soit après l'acte d'engagement qui stipulait que le marché prendrait effet à compter de sa date de notification.
Cette solution appelle plusieurs observations. La première est que le Conseil d'Etat n'invoque pas, en l'espèce, l'exigence de loyauté des relations contractuelles au soutien de son raisonnement. Cela peut se comprendre dès lors que l'irrégularité en cause avait été relevée d'office par lui et qu'une partie n'avait donc pas cherché à débusquer une irrégularité pour se délier de ses obligations contractuelles. Il n'en demeure pas moins que la loyauté des relations contractuelles sous-tend bien la solution du Conseil d'Etat car en soulevant d'office le moyen en question, le juge du fond avait indirectement, mais nécessairement, servi les intérêts de la personne publique contractante qui ne souhaitait pas indemniser son cocontractant pour les travaux supplémentaires qu'il avait effectué. C'est pour préserver la loyauté des relations contractuelles que le Conseil d'Etat exige que l'irrégularité touchant au contenu du contrat soit examinée in concreto et non pas in abstracto. La seconde observation est relative au rapport entre la décision ici annotée et la solution "Manoukian" rendue le même jour. Les deux ne traitent pas de la même question (illicéité du contenu du contrat dans la première, irrégularité de la procédure de passation dans la seconde) mais finissent pas se rejoindre autour de l'idée que le juge du contrat doit moduler ses pouvoirs au regard de la gravité de l'illégalité commise et des circonstances dans lesquelles elle est intervenue.
La présente décision "Département du Doubs" du 12 janvier 2011 précise utilement la notion d'offre incomplète au sens de l'article 53-III du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2765ICE) et indique quelles conséquences il appartient au juge des référés précontractuels de tirer de l'existence d'une telle offre incomplète sur la procédure de passation du marché public. Dans la présente espèce, un département avait lancé dès le printemps 2010 un avis d'appel public à la concurrence pour un marché ayant pour objet le salage et le déneigement des routes départementales. Ce marché avait été divisé en 56 lots géographiques. La société X avait présenté une offre pour le lot n° 43, laquelle n'avait, cependant, été classée qu'en deuxième position au regard des critères de sélection des offres qui portaient sur le prix et la valeur technique. Saisi par ladite société, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a annulé l'intégralité de la procédure de passation au motif que la société lauréate avait présenté une offre incomplète. En effet, alors que le règlement de consultation prévoyait que les offres seraient examinées au regard des indications fournies par les candidats et portant précisément sur les véhicules employés pour la mission de salage et de déneigement, la société lauréate avait produit un simple devis et non un bon de commande signé. Pour le juge du référé précontractuel, l'offre retenue était donc incomplète et aurait dû être rejetée.
Le Conseil d'Etat valide ce raisonnement et précise la notion d'offre incomplète. On sait que l'article 53-III du Code des marchés publics dispose que "les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L'offre la mieux classée est retenue". Alors que le Code des marchés publics de 2004 se référait à la seule notion d'offre non conforme à l'objet du marché, le Code des marchés publics de 2006 se réfère, désormais, à trois catégories distinctes d'offres. Les offres inappropriées sont celles qui sont incomplètes ou ne respectent pas les exigences des documents de consultation. Les offres inacceptables sont celles dont les conditions d'exécution méconnaissent la législation en vigueur ou excèdent les crédits budgétaires. Enfin, les offres inappropriées sont sans rapport avec le besoin du pouvoir adjudicateur et assimilables à une absence d'offre. Le présent litige se résumait donc à une question simple : le fait de fournir un simple devis accompagné de la mention "lu et approuvé" et émanant d'une société vendant des poids lourds suffisait-il à établir la preuve que l'entreprise lauréate disposait du matériel demandé par le pouvoir adjudicateur pour exécuter les prestations de salage et de déneigement ? Le Conseil d'Etat répond par la négative après avoir défini la notion d'offre incomplète et estimé que le juge du référé précontractuel n'avait pas dénature les pièces du dossier (9).
L'offre incomplète est ici définie comme celle "qui ne contient pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation". Le règlement de consultation du marché public litigieux imposait aux candidats de renseigner l'annexe 1 au cahier des clauses techniques particulières relative, notamment, aux caractéristiques du véhicule de salage et de déneigement qu'ils se proposaient de mettre à disposition pour exécuter les prestations du marché et prévoyait que la valeur technique des offres s'apprécierait au regard de ces renseignements. Prenant acte des contraintes matérielles qui peuvent être celles des entreprises candidates, le Conseil d'Etat n'exige pas qu'elles justifient de la possession du matériel requis à la date de la remise de leur offre. Il exige, en revanche, qu'elles apportent la preuve du fait qu'elles seront en possession de ce matériel pour l'exécution du marché. De ce point de vue, il est tout à fait possible de produire une attestation telle qu'un bon de commande signé mais il est, en revanche, impossible et inutile de produire un document indicatif ou préparatoire, tel un devis signé par le vendeur et non par l'acquéreur.
Si le Conseil d'Etat approuve la solution retenue par le juge du référé précontractuel quant au caractère incomplet de l'offre, il s'en sépare, toutefois, sur les conséquences qu'il faut en tirer. Le juge du fond avait, en effet, annulé l'intégralité de la procédure de passation, obligeant, ainsi, le département à reprendre toute la procédure alors que le manquement censuré ne la concernait qu'au stade de l'examen des offres. Cette solution ne peut qu'être approuvée même si elle conduit la collectivité publique à reprendre la procédure à un stade où il n'y aura plus qu'un seul candidat, la société requérante, qui a donc de grandes chances de devenir attributaire du marché public de salage et de déneigement. Relevons, toutefois, avec M. Bertrand Dacosta (10) que c'est finalement le scénario qui aurait dû se produire initialement si le département en cause avait, comme il le devait, écarter l'offre incomplète de la société finalement retenue. Surtout, cette solution confirme que les larges pouvoirs du juge du référé précontractuel doivent être modulés en fonction de la nature du manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, et du stade auquel il a été commis.
François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique
(1) CE, Ass, 28 décembre 2009, n° 304802 (N° Lexbase : A0493EQC), AJDA, 2010, p. 142, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, RFDA, 2010, p. 506, concl. E. Glaser, p. 519, note D. Pouyaud, etc...
(2) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545 (N° Lexbase : A4715DXW).
(3) Voir chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, AJDA, 2010, p. 142, et spéc. p.144.
(4) F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Vers une harmonisation du contentieux administratif des contrats ?, Contrats Marchés publ., 2010, repère 6.
(5) On retrouve dans l'arrêt du 12 janvier 2011 le considérant de principe de l'arrêt "Commune de Béziers" relatif à l'action en règlement du litige relatif à l'exécution du contrat : "Considérant que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat [...] toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat [l'arrêt Commune de Béziers employait la formule "du contenu du contrat "] ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel".
(6) CAA Paris, 4ème ch., 9 février 2010, n° 08PA03473 (N° Lexbase : A3794ETP).
(7) T. confl., 8 juillet 1963, n° 01804 (N° Lexbase : A8175BD7), Rec. CE, 1963, p. 787, AJDA, 1963, p. 463, chron. M. Gentot et J. Fourré, D. 1963, jurispr. p. 543, concl. C. Lasry, note P.-L. Josse, JCP éd. G, 1963, II, 13375, note J.-M. Auby, RD publ., 1963, p. 766, concl. C. Lasry, RD publ., 1964, p. 767, note Fabre et Morin.
(8) CAA Douai, 2ème ch., 20 octobre 2009, n° 07DA00376 (N° Lexbase : A7132EM4).
(9) Ce qui est une autre façon de dire que le Conseil d'Etat n'exerce pas un contrôle de la qualification juridique sur la notion d'offre incomplète. Le caractère complet ou incomplet d'une offre relève de l'appréciation souveraine des juges du fond : CE 2° et 7° s-s-r., 22 décembre 2008, n° 314244 (N° Lexbase : A1483ECW), Rec. CE, Tables, p.808.
(10) Que nous remercions pour l'aimable communication de ses conclusions.
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par Robert Obert, Professeur agrégé honoraire, Diplômé d'expertise comptable, Docteur en sciences de gestion
Le 26 Janvier 2011
L'ANC comprend un collège de seize membres, qui peut donner délégation à des commissions spécialisées, à l'exception de l'établissement des règlements, et un comité consultatif de 25 membres.
Deux commissions spécialisées ont été créées par le décret du 15 janvier 2010 :
- une commission intitulée "commission des normes comptables privées", chargée d'examiner, préalablement à la délibération du collège, les projets de règlements, d'avis, d'études et de recommandations de l'ANC ;
- une commission intitulée "commission des normes comptables internationales", chargée d'examiner, préalablement à la délibération du collège, les projets d'avis et de prise de position dans le cadre de la procédure d'élaboration des normes comptables internationales, ainsi que les projets d'étude et de recommandations correspondants.
En 2010, ont été publiés :
- en matière de normes privées, onze règlements, cinq avis, une recommandation et deux communiqués ;
- en matière de normes internationales, quatorze prises de position à l'IASB (normalisateur international), deux à l'IFRIC (organe rattaché à l'IASB et chargé d'examiner les interprétations de normes), trois à l'EFRAG (organe rattaché à la Commission européenne et chargé de donner son avis avant l'approbation des normes internationales IFRS par la Commission européenne), un à la Commission européenne et un au FASB (normalisateur américain).
Conformément à l'article 4 de l'ordonnance du 22 janvier 2009, "les règlements adoptés par l'Autorité sont publiés au Journal officiel de la République française après homologation par arrêté du ministre chargé de l'Economie, pris après avis du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, et du ministre chargé du Budget". Onze règlements ont été publiés en 2010.
- Le règlement ANC n° 2010-01 du 3 juin 2010 (N° Lexbase : X7821AGR), homologué par arrêté du 26 juillet 2010, publié au Journal officiel du 28 juillet 2010, relatif aux modalités de première application du règlement du CRC n° 99-02 (N° Lexbase : X6227ACM), et relatif aux comptes consolidés des sociétés commerciales et entreprises publiques, par les sociétés dont les instruments financiers sont transférés d'un marché réglementé (Euronext) vers un système multilatéral de négociation (Alternext), s'applique aux sociétés qui étaient tenues de présenter leurs comptes consolidés en normes internationales, conformément au Règlement n° 1606/2002 du 19 juillet 2002 (N° Lexbase : L6959A4I), et qui ont opté pour une présentation en normes françaises, conformément au règlement CRC n° 99-02. Ce règlement présente les informations spécifiques qui doivent être publiées au bilan et au compte de résultat consolidé, d'une part, et dans l'annexe consolidée, d'autre part, pour ce qui concerne le changement de méthode.
- Les règlements ANC n° 2010-02 (N° Lexbase : X9441AH7) et n° 2010-03 (N° Lexbase : X9442AH8) du 2 septembre 2010, ANC n° 2010-04 (N° Lexbase : X9451AHI) à n° 2010-07 du 7 octobre 2010, homologués par arrêté du 29 décembre 2010, publiés au Journal officiel du 31 décembre 2010, afférents aux transactions entre parties liées et aux opérations non inscrites au bilan, modifient les règlements CRC n° 99-03 (N° Lexbase : X6220ACD), relatifs au plan comptable, CRC n° 99-02, relatifs aux comptes consolidés des sociétés commerciales et entreprises publiques, CRB (comité de la réglementation bancaire) n° 91-01 (N° Lexbase : L9168ARY), relatifs à l'établissement et à la publication des comptes individuels des établissements de crédit, CRC n° 99-07 (N° Lexbase : X6224ACI), relatifs aux règles de consolidation des banques et institutions de crédit, CRC n° 2002-04 (N° Lexbase : X6199ACL), relatifs aux documents de synthèse individuels des entreprises d'investissement et CRC n° 2002-05 (N° Lexbase : X6200ACM), et relatifs aux documents de synthèse consolidés des entreprises d'investissement. Ils formulent une série d'informations complémentaires à fournir en annexes du bilan et du compte de résultat.
- Les règlements ANC n° 2010-08 (N° Lexbase : X9448AHE) et n° 2010-09 (N° Lexbase : X9449AHG) du 7 octobre 2010, homologués par arrêté du 29 décembre 2010, publiés au Journal officiel du 31 décembre 2010, relatifs aux publications annuelles et trimestrielles, modifient les règlements CRB n° 91-01, relatifs à l'établissement et à la publication des comptes individuels des établissements de crédit et CRB n° 97-03 (N° Lexbase : L3021AZW), et relatifs à l'établissement et à la publication des comptes des entreprises d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille. Ils présentent une modification des dispositions relatives aux publications annuelles et trimestrielles à présenter au BALO.
- Le règlement ANC n° 2010-10 du 7 octobre 2010 (N° Lexbase : X9446AHC), homologué par arrêté du 28 décembre 2010, publié au Journal officiel du 30 décembre 2010, relatif à la présentation simplifiée des comptes annuels (et remplaçant l'article R. 123-200 du Code de commerce N° Lexbase : L9953HYB qui devrait être abrogé), définit de nouveaux seuils pour l'établissement de comptes simplifiés, pour le bilan et le compte de résultat des personnes physiques et morales (total bilan : 1 000 000 d'euros, chiffre d'affaires : 2 000 000 d'euros, effectif : 20 salariés, au lieu de, respectivement, 267 000 euros, 534 000 euros et 10 salariés) et pour l'annexe des personnes morales (total bilan : 3 650 000 euros, chiffre d'affaires : 7 300 000 euros, effectif : 50 salariés [chiffres inchangés]).
- Le règlement ANC n° 2010-11 du 5 novembre 2010 (N° Lexbase : X9447AHD), homologué par arrêté du 29 décembre 2010, publié au Journal officiel du 31 décembre 2010, afférent au traitement comptable de la contribution économique territoriale (CET), modifie le règlement du CRC n° 99-03 (N° Lexbase : X6220ACD). Il renomme le sous-compte 63511 "Taxe professionnelle" du Plan comptable général en "Contribution économique territoriale".
Les avis de l'ANC ont porté sur les thèmes suivants :
- avis n° 2010-01 du 17 février 2010 (N° Lexbase : X7819AGP), concernant un projet de décret relatif à la comptabilité simplifiée des commerçants et qui s'est traduit par le règlement n° 2010-10 de l'ANC (voir supra) ;
- avis n° 2010-02 du 2 mars 2010 (N° Lexbase : X7820AGQ), afférent au projet de décret relatif à l'organisation financière et à l'investissement immobilier des établissements de santé et concernant, notamment, l'état des prévisions de recettes et de dépenses et la comptabilité des centres de luttes contre le cancer. Le décret a été publié au Journal officiel du 30 avril 2010 (décret n° 2010-425 du 29 avril 2010 N° Lexbase : L0038IHU) ;
- avis n° 2010-03 du 18 juin 2010 (N° Lexbase : X3910AHB), sur un projet d'arrêté relatif à l'attestation de conformité des logiciels de comptabilité des offices d'huissiers de justice. L'arrêté n'a pas été publié à ce jour ;
- avis n° 2010-04 du 18 juin 2010 (N° Lexbase : X3911AHC), sur un projet d'arrêté portant modification de l'arrêté du 27 janvier 2006 (NOR : JUSC0620003A N° Lexbase : L6834HG9), relatif à l'attestation de conformité des logiciels de comptabilité des offices de notaires. L'arrêté a été publié au Journal officiel du 10 septembre 2010 ;
- avis n° 2010-05 du 7 octobre 2010 (N° Lexbase : X3909AHA), relatif aux projets de décret et arrêté sur les frais prélevés par les holdings et fonds fiscaux. Aucun décret, ni arrêté n'a été publié à ce jour.
La seule recommandation de l'ANC (recommandation RECO n° 2010-01 du 3 juin 2010 N° Lexbase : X7822AGS), traite de l'application du règlement de l'ANC n° 2010-01 du 3 juin 2010.
L'ANC a publié deux communiqués sur le traitement comptable de la contribution économique territoriale pour les sociétés, l'un pour leurs comptes consolidés selon les normes IFRS (communiqué du 14 janvier 2010), l'autre pour leurs comptes individuels et consolidés selon les normes françaises (communiqué du 21 juillet 2010).
L'ANC a donné son avis à l'IASB sur les sujets suivants :
- exposés sondages (exposure draft) relatifs aux rapport de gestion, évaluation des dettes dans l'IAS 37 (conjointement avec le document de travail relatif aux passifs), instruments financiers (coût amorti et dépréciation, option juste valeur pour les passifs financiers, cadre conceptuel de l'information financière, régimes à prestations définies d'avantages au personnel postérieurs à l'emploi, évaluation à la juste valeur [analyse de l'incertitude de mesure, présentation des autres éléments du résultat global, produits des activités ordinaires tirés de contrats avec les clients, impôts différés : recouvrement des actifs sous-jacents, locations, processus annuel d'amélioration]) ;
- document de discussion (discussion paper) relatif aux industries extractives ;
- position des participants français lors d'une réunion avec des membres de l'IASB relative à la discussion de trois projets actuels de normes comptables émis par l'IASB (assurances, détermination du chiffre d'affaires et contrats de location).
L'ANC a aussi répondu à un questionnaire de l'IFRIC, puis donné son avis sur un projet d'interprétation relatif à la comptabilité des variations de valeur des options de vente sur des intérêts d'actionnaires n'ayant pas le contrôle.
L'ANC a transmis à l'EFRAG ses commentaires sur le document de discussion relatif au rapport de gestion, sur un projet d'avis relatif à la compatibilité d'IFRS PME avec les directives européennes et sur le projet d'exposés sondages de l'IASB relatif à l'analyse de l'incertitude de mesure dans l'évaluation à la juste valeur.
L'ANC a adressé à la commission européenne sa réponse à la consultation de celle-ci sur l'IFRS PME et les Directives européennes.
Enfin, l'ANC a adressé au FASB son point de vue sur un exposé sondage à la comptabilisation des instruments financiers et à la révision de la comptabilisation des instruments dérivés et des activités de couverture.
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Réf. : Cass. civ. 1, 1er décembre 2010, n° 09-13.303, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4103GMW)
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par Jean Sagot-Duvauroux, Maître de conférences, Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 27 Janvier 2011
Dans leur second pourvoi en cassation, les demandeurs américains contestent cette prétendue contrariété de la décision américaine à l'ordre public international français. Pour étayer ce nouveau moyen (9), ils font valoir plusieurs arguments.
Tout d'abord, ils estiment que, contrairement à ce qu'a pu décider la cour d'appel, une décision étrangère condamnant au paiement de dommages-intérêts punitifs n'est pas, par principe, contraire à l'ordre public international (10).
Ensuite, ils critiquent les juges du fond d'avoir déduit cette contrariété de l'article 74 de la Convention de Vienne inapplicable à la cause (11) et du droit commun de la responsabilité civile, se livrant ainsi à une révision au fond de la décision étrangère prohibée par les règles et principes gouvernant l'instance indirecte (12).
Enfin, ils considèrent que le caractère disproportionné des dommages-intérêts punitifs alloués par les juges américains n'était pas avéré et que, par conséquent, la cour d'appel ne pouvait en déduire une atteinte subséquente à l'ordre public international (13).
Sans répondre à l'ensemble des arguments développés par le moyen, la Cour de cassation rejette le pourvoi et réaffirme la contrariété de la décision américaine à l'ordre public international.
Pour autant, elle ne reprend pas complètement à son compte le raisonnement suivi par la cour d'appel et saisit l'occasion qui lui est offerte pour préciser le sort qui doit être réservé aux décisions étrangères qui condamnent les responsables à payer à leurs victimes des dommages-intérêts punitifs en sus des sommes versées au titre de compensation du préjudice subi.
En effet, dans un attendu dénué de toute ambiguïté la première chambre civile énonce que "si le principe d'une condamnation à des dommages-intérêts punitifs n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public, il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur".
Autrement dit, il résulte de l'arrêt commenté que si l'institution des dommages-intérêts punitifs, elle-même, est compatible avec l'ordre public international français, tel n'est pas nécessairement le cas de leur montant.
A première vue, cette prise de position mesurée et préconisée par une partie de la doctrine (14) paraît instaurer un équilibre satisfaisant entre les différents intérêts en jeu.
En effet, d'un côté le principe de tolérance à l'égard de cette institution étrangère (I) assure une certaine sécurité juridique en garantissant une continuité des situations juridiques par-delà les frontières.
D'un autre côté, l'exigence de proportionnalité (II) permet à l'ordre juridique français de se prémunir -et de prémunir ses nationaux- contre des décisions susceptibles de mettre à mal sa cohésion interne ou de heurter ses conceptions fondamentales.
Pour autant, si le premier principe ne peut être qu'approuvé au regard de la notion d'ordre public international, le second laisse perplexe quant à son incidence sur les modalités d'intervention de l'exception d'ordre public international et même, plus généralement, sur le régime de la compétence indirecte.
I. L'institution des dommages-intérêts punitifs tolérée par l'ordre public international
Pour apprécier la compatibilité de l'institution étrangère des dommages-intérêts punitifs (15) avec l'ordre public international, il est fondamental d'avoir à l'esprit que cette notion ne se confond pas avec l'ordre public au sens du droit interne. Si tel était le cas, cela signifierait que le juge français refuserait d'appliquer toute loi étrangère, de donner effet à tout jugement étranger qui contreviendrait à une disposition impérative française. Il s'ensuivrait ainsi une mise à l'écart quasi-systématique des normes étrangères et, par voie de conséquence, une négation de l'utilité du droit international privé dans sa fonction de coordination des ordres juridiques. C'est pourquoi, le contenu de l'ordre public international est beaucoup plus restreint que celui de l'ordre public interne. Il est constitué par les seules valeurs considérées comme intangibles (16) et non par l'ensemble des dispositions impératives du for.
Aussi, s'interroger sur la compatibilité des dommages-intérêts punitifs à l'ordre public international suppose de regarder s'il existe, au sein de l'ordre juridique français, des conceptions fondamentales susceptibles de s'opposer à cette institution.
Ce faisant, il apparaît que deux principes, chers au droit français, pourraient éventuellement condamner le principe même des dommages-intérêts punitifs.
Le premier est le principe de réparation intégrale en vertu duquel la réparation doit couvrir tout le préjudice, mais rien que le préjudice et qui est considéré par certains comme un principe général du droit privé (17).
Le second est celui de la prohibition de l'enrichissement sans cause.
La question qui se pose est donc celle de l'appartenance de ces principes à l'ordre public au sens du droit international privé. Autrement dit, est-on en présence de valeurs fondamentales et intangibles de l'ordre juridique français ?
L'analyse de ces deux principes laisse apparaître qu'une telle qualité ne peut leur être reconnue. En effet, d'une part, le principe de réparation intégrale n'a qu'une valeur relative en droit français (A). D'autre part, le principe de prohibition de l'enrichissement sans cause ne peut s'opposer à la réception en France de l'institution étrangère étant donné que d'autres peines privées, voisines des dommages-intérêts punitifs, y sont consacrées (B).
Il en résulte ainsi que l'affirmation, par l'arrêt commenté, de la compatibilité à l'ordre public international du principe même des dommages-intérêts punitifs ne peut être qu'approuvée.
A. La valeur relative du principe de réparation intégrale
Que ce soit en matière délictuelle ou, comme en l'espèce contractuelle (18), c'est à plusieurs reprises que la Cour de cassation a affirmé le principe de réparation intégrale dans le cadre de rapports juridiques internes (19).
Peut-on, pour autant, considérer qu'il s'agisse d'un principe fondamental et intangible susceptible d'intégrer la conception française de l'ordre public international ? En d'autres termes, ce principe s'oppose-t-il à la réception en France d'une décision prononçant des dommages-intérêts punitifs ?
C'est, en premier lieu, l'analyse du droit français de la responsabilité civile qui permet d'en douter.
En effet, dans un certain nombre d'hypothèses, le droit français prévoit, ou à tout le moins accepte, que la réparation puisse être inférieure au dommage effectivement subi par la victime. Ainsi, en est-il par exemple des limitations légales de responsabilité en matière de droit maritime ou de la possibilité, offerte aux professionnels, d'insérer dans leur contrat une clause limitative de responsabilité. Même si elles ont pour objet de diminuer la réparation, ces atteintes consenties au principe de réparation intégrale laissent déjà pressentir que l'on n'est pas là en présence d'une valeur intangible susceptible d'intégrer la conception française de l'ordre public international (20).
Ce pressentiment se trouve d'ailleurs vérifié lorsque l'on observe, qu'à l'inverse, le droit français de la responsabilité civile, ou plus exactement l'application qui en est faite, permet dans certains cas à la victime d'obtenir plus que ce qu'elle a effectivement perdu. En effet, même si officiellement les juges doivent fixer le montant de la réparation sur la seule évaluation du dommage moral, il est évident qu'ils ont souvent tendance à "alourdir la somme due en fonction d'autres éléments que le seul préjudice" (21).
Ainsi, au regard du seul droit interne, il paraît difficile d'ériger le principe de réparation intégrale en valeur intangible s'opposant, par principe, à l'institution des dommages-intérêts punitifs au nom de l'ordre public international. Ceci est d'ailleurs d'autant plus vrai quand on sait que l'introduction des dommages-punitifs en droit français est aujourd'hui envisagée.
Pour autant, ce constat ne suffit pas à exclure de manière catégorique le principe de réparation intégrale du domaine de l'ordre public international. Celui-ci est en effet de plus en plus constitué par des valeurs déduites du droit suprational (22). Or, le principe de réparation intégrale est consacré par deux textes internationaux ratifiés par la France. Il s'agit de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises (N° Lexbase : L6800BHC), d'une part et du Règlement "Rome II" du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (N° Lexbase : L0928HYZ), d'autre part.
Il convient donc, en second lieu, de montrer que sa consécration par ces textes internationaux ne permet pas pour autant de considérer le principe de réparation intégrale comme une valeur fondamentale du for.
Tout d'abord, une attention particulière doit être portée à la Convention de Vienne. Les juges d'appel l'avaient, en effet, invoquée afin de conférer au principe de réparation intégrale la qualité de règle d'ordre public au sens du droit international privé (23). Il est vrai que la Convention consacre explicitement ce principe dans son article 74 (24). Pour autant, cette consécration est-elle suffisante pour conclure que la décision américaine prononçant des dommages-intérêts punitifs est contraire à la conception française de l'ordre public international ?
C'est précisément ce que les demandeurs contestaient dans leur pourvoi. L'argument utilisé n'était néanmoins pas des plus convaincants, ce qui explique sans doute que la Cour de cassation n'y ait pas explicitement répondu.
Le pourvoi faisait valoir que cette convention n'était pas applicable en l'espèce, s'agissant de la vente d'un bateau (25) acheté pour un usage personnel (26). Or, si cette inapplication était certaine, elle n'empêchait pas pour autant les juges du fond de prendre la Convention en considération pour rechercher le contenu de l'ordre public international français. Il est, en effet, tout à fait possible de dégager des valeurs d'ordre public international de dispositions qui ne sont pourtant pas applicables à la cause (27).
Il n'en demeure pas moins que la cour d'appel pouvait difficilement être suivie dans son raisonnement qui consistait à déduire de l'article 74 de la Convention de Vienne le caractère d'ordre public international du principe de réparation intégrale.
En effet, en consacrant l'obligation, pour la victime, de modérer son dommage (mitigation of damages) (28), la Convention de Vienne prévoit, elle-même, une exception au principe de réparation intégrale. Au demeurant, cette convention n'a, dans son ensemble, qu'un caractère dispositif étant donné que son application peut être volontairement écartée par les parties au contrat.
Le caractère intangible et absolu du principe de réparation intégrale pouvait donc difficilement être déduit de sa seule consécration par l'article 74 de la Convention de Vienne.
Ensuite, le caractère d'ordre public international du principe de réparation intégrale ne pouvait pas non plus être déduit du Règlement Rome II applicable par les juges français depuis le 11 janvier 2009.
Il est vrai que le projet initial prévoyait une clause spéciale destinée à écarter, au nom de l'ordre public international, toute loi étrangère qui "conduirait à l'allocation de dommages-intérêts non compensatoires tels que les dommages intérêts exemplaires ou punitifs" (29). Cette disposition a cependant été écartée du texte définitif. Celui-ci indique seulement, dans un considérant dénué de toute portée normative, que l'ordre public international peut s'opposer à des dommages-intérêts punitifs excessifs.
En définitive, ni le droit interne, ni le droit international ne permettaient aux juges du fond de conférer au principe de réparation intégrale le caractère d'ordre public au sens du droit international privé. C'est d'ailleurs ce qui explique que la Cour de cassation n'ait pas repris à son compte le raisonnement de la cour d'appel consistant à considérer le principe même des dommages-intérêts punitifs comme contraire à la conception française de l'ordre public international.
Cette tolérance à l'égard de cette institution doit, d'ailleurs, d'autant plus être approuvée que la notion de peine privée n'est pas étrangère à l'ordre juridique français.
B. La présence de peines privées au sein de l'ordre juridique français
Si l'on peut qualifier les dommages-intérêts punitifs de peine privée c'est non seulement parce qu'il s'agit "d'une sanction civile indépendante de toute idée réparatrice" mais également en raison de leur attribution "au profit exclusif de la victime qui peut, seule, en demander l'application" (30).
Cette deuxième caractéristique des dommages-intérêts punitifs est à la fois fondamentale et potentiellement problématique en ce qui concerne la question de leur compatibilité à la conception française de l'ordre public international.
Elle est, tout d'abord, fondamentale étant donné que c'est elle qui confère aux dommages-intérêts punitifs leur qualité de peine privée. Autrement dit, si les sommes n'étaient pas versées à la victime mais à l'Etat, on serait en présence d'une véritable sanction pénale. Or, les décisions rendues en matière pénale sont exclues du domaine de l'exequatur de sorte que la question de la conformité à l'ordre public international ne se poserait pas (31).
Elle est, ensuite, potentiellement problématique car le versement des dommages-intérêts punitifs à la victime risque de heurter le principe de prohibition de l'enrichissement sans cause. C'est d'ailleurs ce que n'a pas manqué de relever la cour d'appel pour affirmer la contrariété de la décision américaine à l'ordre public international français. L'arrêt attaqué énonce, en effet, qu'une "décision étrangère qui [...] alloue à titre de sanction une indemnité qui dépasse largement le prix du navire objet de la vente, permet à la victime de s'enrichir d'une manière telle que cet enrichissement est dépourvu de cause" (32).
Si l'on peut comprendre la logique suivie par les juges du fond (33), on ne peut pour autant totalement y souscrire. Considérer comme sans cause l'enrichissement de la victime revient en effet à nier purement et simplement la notion même de peine privée qui repose sur l'idée que le versement à la victime est justifié par la gravité de la faute à l'origine du dommage. Ainsi, ce qui pourrait potentiellement heurter l'ordre public international n'est pas le fait que l'enrichissement soit injustifié mais que sa cause -à savoir la punition de la faute- soit incompatible avec un principe fondamental et intangible du for (34).
Or, un tel principe est introuvable dans l'ordre juridique français. En effet, le droit français prévoit lui-même -ou permet aux contractants de prévoir- des mécanismes procédant de la notion de peine privée. Ainsi en est-il notamment de l'astreinte, des articles 792 (N° Lexbase : L9865HNP) et 1477 (N° Lexbase : L1700IEP) du Code civil qui privent l'auteur d'un recel de succession ou de communauté de sa part dans les biens recélés ou encore des clauses pénales que les parties peuvent être autorisées à insérer dans leurs contrats.
C'est donc à juste titre que la Cour de cassation a considéré que les dommages-intérêts punitifs n'étaient pas, dans leur principe, contraires à l'ordre public international français. Le principe de réparation intégrale n'a en effet qu'une valeur relative et l'on trouve, au sein même de l'ordre juridique français, d'autres formes de peines privées. Pour autant ceci ne signifie pas que la cour de cassation ait accordé un blanc-seing total aux dommages-intérêts punitifs. Si l'ordre public international tolère le principe des dommages-intérêts punitifs, il exige en revanche que leur montant soit proportionné.
II. La proportionnalité des dommages-intérêts exigée par l'ordre public international
La Cour de cassation affirme, certes, avec force qu'une condamnation à des dommages-intérêts punitifs n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public international. Elle prend néanmoins le soin de tempérer cette tolérance en précisant qu'"il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur". En d'autres termes, si les dommages-intérêts punitifs ne sont pas contraires à l'ordre public international dans leur principe, ils peuvent, en revanche, l'être dans leur montant.
La Cour de cassation ne se contente cependant pas d'affirmer cette exigence de proportionnalité. Elle indique également les deux critères au regard desquels elle doit être appréciée.
Selon les termes de l'arrêt, le montant des dommages intérêts punitifs doit, en premier lieu, être proportionné à la gravité du comportement répréhensible, c'est-à-dire, en l'espèce, au manquement aux obligations contractuelles. Ce critère est des plus logiques au regard du concept même de peine privée. La finalité première de ce mécanisme est, en effet, de punir, par un mécanisme autre qu'une sanction pénale, des comportements considérés comme dangereux pour la sécurité des individus, mais également de la société dans son ensemble.
Selon la Cour de cassation, le montant des dommages-intérêts punitifs doit, en second lieu, entretenir un rapport de proportion avec le préjudice effectivement subi par la victime. Ce critère paraît encore une fois assez logique. En effet, pour qu'il conserve une réelle utilité le mécanisme de la peine privée doit avoir une réelle autonomie par rapport à la sanction publique. Il serait sinon difficile de comprendre pourquoi cette sanction s'ajouterait à celles déjà prévues par le droit pénal. Il en résulte que les dommages-intérêts ne sauraient avoir pour seul but de punir un comportement sans avoir égard à son résultat, comme c'est le plus souvent le cas en droit pénal. Ils tirent nécessairement leur utilité propre, et donc leur légitimité, de leur double fonction : en plus de punir un comportement, ils permettent à la victime une meilleure réalisation de ses droits subjectifs (35). Il apparaît dès lors normal que l'étendue du préjudice tienne une place importante dans l'évaluation de leur montant.
L'exigence de proportionnalité et les critères permettant de l'apprécier sont donc en adéquation avec la nature même de l'institution des dommages-intérêts punitifs. En témoigne d'ailleurs le fait que les critères choisis par la Cour de cassation sont peu prou les mêmes que ceux retenus par la Cour suprême des Etats-Unis pour contrôler la proportionnalité des législations des Etats fédérés en la matière (36).
Par ailleurs, en dehors de ces considérations techniques, l'exigence, au nom de l'ordre public international français, d'une proportionnalité des dommages-intérêts punitifs trouve son fondement dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P). En vertu de cette disposition, les peines édictées doivent en effet être "strictement et évidemment nécessaires". Or, ce texte vise non seulement les sanctions pénales, mais également les sanctions administratives ou les peines privées telles que les dommages-intérêts punitifs (37).
Etant donné le caractère excessif et disproportionné des dommages-intérêts punitifs alloués au fabriquant du bateau, il était donc logique que la Cour de cassation confirme le refus d'exequatur de la décision américaine en raison de sa contrariété à l'ordre public international.
En fixant ainsi des critères précis, la Cour de cassation évitera sans doute que l'appréciation du caractère excessif des dommages-intérêts punitifs donne lieu à une trop grande casuistique. Cela lui permettra, tout en tenant pour acquises les constations de fait effectuées par les juges du fond, d'exercer un contrôle minimum quant à la proportionnalité des sommes allouées.
Pour autant, l'édiction de ces deux critères ne permet pas de lever toutes les incertitudes.
En effet, il ne faut pas perdre de vue que l'on se situe dans un contexte international en arrière plan duquel existe nécessairement un conflit de lois. Ainsi, se pose la question de savoir selon quelle loi la gravité de la faute et l'étendue du préjudice doivent être évaluées.
Concrètement, deux solutions s'offrent au juge : soit il apprécie ces éléments à l'aune des principes de la loi normalement applicable à la cause, soit il le fait conformément aux principes du for. Après analyse, on se rend compte qu'aucune de ces solutions n'apparaît pleinement satisfaisante au regard des principes qui régissent la compétence indirecte.
Apprécier la gravité de la faute et le préjudice selon les principes d'évaluation de l'ordre juridique de la loi normalement applicable reviendrait indirectement à réinstaurer un contrôle de la compétence législative pourtant abandonné depuis l'arrêt du 20 février 2007 (38). Par ailleurs, s'agissant de contrôler la conformité à l'ordre public international français, c'est en principe au regard des seuls concepts du for que la compatibilité de la décision étrangère doit être appréciée.
Pour autant, évaluer la gravité du comportement et l'étendue du préjudice selon les concepts français, afin de déterminer la proportionnalité des dommages-intérêts punitif, ne constitue pas non plus une solution idéale.
Il est en effet à craindre que les juges opèrent une comparaison entre les sommes qu'ils auraient octroyées et celles qui ont effectivement été allouées par la décision étrangère. Le risque est alors qu'ils ne se contentent plus de vérifier certains points de contrôle bien définis mais qu'ils apprécient la valeur de la décision étrangère en se livrant à un nouvel examen des éléments de fait et de droit jugés à l'étranger.
On se rapprocherait alors sensiblement d'un véritable pouvoir de révision au fond de la décision étrangère, quand bien même celui-ci n'aurait pas pour effet direct d'en modifier le contenu.
Ce risque a d'ailleurs très bien été perçu par les demandeurs au pourvoi qui, dans leur moyen, reprochent aux juges du fond de s'être livrés à une révision au fond de la décision américaine.
Le risque d'atteinte au principe de prohibition de la révision des jugements étrangers aurait d'ailleurs été d'autant plus évident si, comme le préconisent certains auteurs (39), le juge français n'avait accordé que partiellement l'exequatur en écartant de son domaine les seuls dommages-intérêts punitifs. En effet, sauf à procéder à découpage artificiel du dispositif de la décision américaine, on serait alors en présence d'un exequatur partiel réductif (et non sélectif) assimilable à une révision au fond du jugement étranger (40).
Afin d'éviter un tel retour au pouvoir de révision, il est donc à espérer que la Cour de cassation exigera que le montant des dommages-intérêts soit manifestement excessif au regard des critères mentionnés pour qu'une contrariété de la décision étrangère à l'ordre public international puisse être caractérisée.
(1) L'article 1371 de l'avant-projet "Catala" de réforme du droit des obligations prévoit, en effet, que "l'auteur d'une faute manifestement délibérée, et notamment d'une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages-intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs".
(2) Sur lequel voir D., 2011, p. 24, obs. I. Gallmeister.
(3) En témoigne l'importante publicité (FS-P+B+R+I) que la Cour de cassation a entendu conférer à sa décision.
(4) Ces éléments ne figurent pas dans l'arrêt commenté mais dans celui de la cour d'appel de Poitiers attaqué par le pourvoi : CA Poitiers, 26 février 2009, JDI, 2010, p. 1229, note F.-X. Licari.
(5) Cass. civ. 1, 30 mars 2004, n° 02-17.974, F-P (N° Lexbase : A7525DBC), Prieur, Rev. crit. DIP, 2006, p. 870, note H. Gaudemet-Tallon ; JCP éd. G, 2006, 10134, note P. Callé ; JDI, 2006, p. 1377, note Ch. Chalas.
(6) Cass. civ. 1, 22 mai 2007, n° 05-20.473, F-P+B (N° Lexbase : A4843DWB), Bull. civ. I, 2007, n° 196.
(7) CA Poitiers, 26 février 2009, préc.
(8) On rappellera que, depuis l'arrêt du 20 février 2007 (Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 05-14.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2537DUI), JDI, 2007, p. 1195, note F.-X. Train ; Rev. crit. DIP, 2007, p. 420, note B. Ancel et M.-L. Niboyet ; D., 2007, p. 1115, note L. d'Avout et S. Bollée) "pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge saisi, la conformité à l'ordre public de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi".
(9) C'est en raison de la nouveauté du moyen que la première chambre civile et non l'Assemblée plénière a été saisie du second pourvoi.
(10) Première branche du moyen.
(11) Deuxième et troisième branches du moyen.
(12) Quatrième branche du moyen.
(13) Cinquième branche du moyen.
(14) Voir, notamment, O. Boskovic, La réparation du préjudice en droit international privé, LGDJ, t. 407, 2003, n° 411 et "Les dommages-intérêts en droit international privé. Ne pas manquer une occasion de progrès", JCP éd. G, 2006, I, 163.
(15) Les dommages-intérêts punitifs (punitive damages) sont surtout présents en droit américain. Cette forme de sanction est néanmoins également connue d'un certain nombre de pays de l'Union européenne. Sur ces éléments de droit comparé voir F.-X. Licari, note précitée.
(16) Voir M.-N. Jobard-Bachelier et F.-X. Train, JCl. Droit international, Fasc. 534-2, spéc. n° 42.
(17) Voir J.-P. Gridel, La Cour de cassation française et les principes généraux du droit privé, D., 2002, p. 228.
(18) En matière contractuelle, le préjudice imprévisible est exclu du préjudice réparable. Pour autant cela ne signifie pas que le principe de réparation intégrale ne s'applique en la matière dans la mesure où les dommages-intérêts doivent permettre de compenser l'intégralité du préjudice considéré comme réparable.
(19) Voir, par exemple, Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-12.506, F-P+B (N° Lexbase : A8416DD3), Bull. civ. I, 2004, n° 264.
(20) C'est d'ailleurs le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet la conformité à l'ordre public international des décisions étrangères qui accordent une réparation inférieure au préjudice réellement subi : jurisprudence constante depuis Cass. civ. 1, 30 mai 1967, Kieger, Rev. crit., DIP, 1967, p. 622, note P. Bourel.
(21) M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 2, Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, 2007, p. 41.
(22) Voir M.-N. Jobard-Bachelier et F.-X. Train, op. cit..
(23)Voir CA Poitiers, 26 février 2009, préc..
(24) "Les dommages-intérêts pour une contravention au contrat commise par une partie sont égaux à la perte subie et au gain manqué par l'autre partie par suite de la contravention. Ces dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué".
(25) Article 2 d) : "La présente Convention ne régit pas les ventes de navire, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs".
(26) Article 2 a) : "La présente Convention ne régit pas les ventes de marchandises pour un usage personnel, familial ou domestique".
(27) Voir M.-N. Jobard-Bachelier et F.-X. Train, op. cit., n° 44 et s..
(28) Article 77 : "La partie qui invoque la contravention au contrat doit prendre les mesures raisonnables eu égard aux circonstances, pour limiter la perte, y compris le gain manqué, résultant de la contravention. Si elle néglige de le faire, la partie en défaut peut demander une réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui aurait dû être évitée".
(29) Article 23 du projet de Règlement "Rome II", COM/2003/0427 final.
(30) A. Jault, La notion de peine privée, LGDJ, t. 442, 2005, n° 415.
(31) Elle ne se poserait d'ailleurs pas non plus si le juge français était directement saisi du litige en raison du principe d'inapplicabilité des lois pénales étrangères.
(32) Voir CA Poitiers, 26 février 2009, préc..
(33) En effet, comme le note A. Jault, op. cit., n° 286 et s., il s'agit du principal reproche adressé aux dommages-intérêts punitifs.
(34) Voir dans le même sens M.-E. Ancel, Contrefaçon internationale : le juge français face aux dommages intérêts punitifs étrangers, Cahier du droit de l'entreprise, 2007, n° 4, p. 51.
(35) Voir F.-X. Licari, note précitée.
(36) Ibid. L'auteur indique cependant que la Cour suprême des Etats-Unis retient un critère supplémentaire qui est celui de la prise en compte des sanctions civiles et pénales pour une conduite illégale comparable.
(37) Voir S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, t. 250, 1995, n° 208 et s..
(38) Voir supra note n° 8.
(39) Voir M.-E. Ancel, op. cit..
(40) Sur cette distinction voir J. Foyer, note sous CA Paris, 14 décembre 1971, Rev. crit. DIP, 1973, p. 703.
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 27 Janvier 2011
Marc Lecacheux : Tout d'abord, il convient de revenir sur la genèse et les fondements juridiques de cette notion qui correspond à un tempérament du devoir d'obéissance hiérarchique prévue par l'article 28 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L2680E3N), qui dispose que tout fonctionnaire "doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public". La définition actuelle du droit de retrait est issue directement de la Directive (CE) 89/391du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9).
Par la suite, ce corpus normatif a été intégré dans le Code du travail, en son article L. 4131-1 (N° Lexbase : L1463H93), lequel énonce que "le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection". Par symétrie, c'est cette définition qui a été reprise intégralement dans les textes relatifs à la fonction publique. Ainsi, selon l'article 5-6 du décret n° 82-53 du 28 mai 1982, relatif à l'hygiène et la sécurité du travail, ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique (N° Lexbase : L3033AI8) et le décret n° 2000-542 du 16 juin 2000 (N° Lexbase : L6509IMZ), modifiant le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 (N° Lexbase : L1018G89), relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale (1), la notion de droit de retrait doit s'appliquer lorsque "un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou s'il constate une défectuosité dans les systèmes de protection [il en avise alors] immédiatement l'autorité administrative".
Par ailleurs, le juge administratif a considéré le droit de retrait comme un principe général du droit : "il résulte d'un principe général du droit dont s'inspire l'article L 231-8-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3651HNK, art. L. 4131-3, recod. N° Lexbase : L1763HXL) qu'aucune sanction, aucune retenue de salaire, ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un agent public qui s'est retiré d'une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé [...]" (TA de Besançon, n° 96-0071, 10 octobre 1996). Il s'agit donc d'un droit subjectif de l'agent de se retirer d'une situation de danger imminente, tout en sachant que ce comportement doit avoir des bases objectives. C'est un droit individuel car c'est l'agent qui doit apprécier subjectivement la situation de danger : il faut et il suffit que l'agent estime raisonnablement, qu'il court un risque grave et imminent pour sa santé et sa sécurité (CE Contentieux, 15 mars 1999, n° 183545 N° Lexbase : A5127AX8, D., p. 65). Ceci doit, toutefois, être pondéré par le caractère raisonnable de son interprétation.
En effet, celle-ci ne doit être ni absurde, ni insensée, ni excessive, comme, par exemple, invoquer le droit de retrait a posteriori à l'occasion d'une procédure d'abandon de poste. Ce qui pose question, c'est l'acception exacte du danger grave et imminent. Ainsi, comment peut-on définir la menace ou l'imminence du danger ? Force est de constater que la jurisprudence tend à définir le droit de retrait comme un évènement ou une menace mettant en cause de manière brutale la santé ou la vie des agents et susceptible de provoquer une atteinte ou des lésions soudaines pouvant entraîner la mort ou une incapacité permanente temporaire prolongée. C'est, d'ailleurs, ce qui ressort d'une circulaire du 9 octobre 2001 du ministère de l'Intérieur (Circ. DGCL, n° 01/00272 N° Lexbase : L2359IP3) qui cantonne l'utilisation du droit de retrait aux menaces susceptibles "de provoquer une atteinte sérieuse à l'intégrité physique de l'agent dans un délai rapproché". Ce qui implique une exclusion de principe pour les maladies psychologiques ou des maladies professionnelles, qui sont, par nature, à évolution lente. Il n'en demeure pas moins que l'interrogation se porte actuellement sur le harcèlement moral qui affecte la santé physique et psychologique des nombreux agents. Enfin, la question de savoir si la défectuosité des systèmes de protection justifie à elle seule l'exercice du droit de retrait ou si elle doit se cumuler avec les notions de danger grave et imminent subsiste.
Lexbase : Où se trouve la frontière entre le droit de grève et l'exercice du droit de retrait ?
Marc Lecacheux : Le droit de retrait ne doit pas être un substitut au droit de grève. Pour illustrer ce propos, un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 16 juin 2005, n° 0106154) a décidé de valider la décision d'un recteur de considérer des enseignants comme grévistes, alors qu'ils avaient cessé collectivement le travail en invoquant leur droit de retrait, ceci en l'absence de danger grave et imminent. En outre, la Cour suprême est venue rappeler que l'exercice collectif du droit de retrait ne doit pas cacher un conflit collectif : "c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a estimé qu'à l'exception de la sécurité du quartier [...] il n'y avait pas de motif raisonnable de penser qu'il existait un danger grave et imminent de nature à justifier l'exercice du droit de retrait sur les autres lignes du réseau" (Cass. soc., 23 avril 2003, n° 01-44.806, F-P N° Lexbase : A5898BME) (2). En définitive, des agents participant à une cessation concertée du travail en invoquant le droit de retrait afin d'appuyer des revendications peuvent être considérés comme grévistes en l'absence de danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé. Néanmoins, le droit de retrait, qui est un droit individuel, peut s'exercer collectivement, sans pour autant caractériser une grève.
Lexbase : Quelles missions sont incompatibles avec le droit de retrait ?
Marc Lecacheux : Nous abordons ici la limite du droit de retrait. Ce droit ne s'applique pas aux corps et cadres d'emploi des personnels exerçant des missions de sécurité des biens et des personnes incompatibles avec le droit de retrait tels que les sapeurs pompiers ou policiers municipaux, comme le précise l'arrêté du 15 mars 2001, portant détermination des missions de sécurité des personnes et des biens incompatibles avec l'exercice du droit de retrait dans la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L2360IP4), c'est-à-dire toutes les personnes ayant pour mission d'assurer le bon ordre, la sécurité, la santé et la salubrité publique.
Lexbase : Que se passe-t-il en cas de divergence d'opinions ?
Marc Lecacheux : Pour analyser en profondeur cette question, il convient de reprendre les modalités d'utilisation du droit de retrait par l'agent. Il s'agit, tout d'abord, de préciser que la notion de droit de retrait est indissociable de la procédure d'alerte prévue par le décret n° 82-53 du 28 mai 1982 précité. Ainsi, avant de se retirer d'une situation dangereuse, l'agent doit obligatoirement alerter le chef de service ou le supérieur hiérarchique conformément au principe d'obéissance hiérarchique, puisque c'est le supérieur hiérarchique qui est responsable de l'hygiène et de la sécurité des agents sous ses ordres. Parallèlement, le comité d'hygiène et de sécurité doit être obligatoirement consulté et mener ensuite une enquête de concert avec le supérieur hiérarchique. En cas de désaccord sur le danger ou sur les mesures prises, c'est la procédure de conciliation qui doit être mise en oeuvre (article 5-5 du décret du 28 mai 1982), c'est-à-dire l'arbitrage de l'inspecteur du travail.
Si, au final, l'autorité et le comité ne reconnaissent pas la situation de péril, plusieurs options s'ouvrent à l'autorité hiérarchique :
- la suspension de rémunération ;
- l'engagement d'une procédure disciplinaire ;
- l'engagement d'une procédure pour abandon de poste.
Lexbase : Comment caractériser l'abus de droit de retrait ?
Marc Lecacheux : Il ne faut pas oublier qu'en cas de conflit, il appartient, dans chaque cas, à la juridiction saisie d'apprécier l'abus du droit de retrait, et si le (ou les) motif (s) invoqué (s) par l'agent parait (paraissent) être raisonnable (s) dans les circonstances de l'espèce. C'est donc le juge administratif qui contrôle si les conditions d'exercice du droit de retrait sont réunies. Il a, par ailleurs, très rarement admis la notion de désobéissance (CE, 3 mai 1961, Pouzelgues), puisque l'ordre doit être non seulement illégal, mais aussi compromettre l'intérêt public. L'administration qui estimerait que l'utilisation de ce droit de retrait est abusif peut recourir à cette sanction radicale de radiation des cadres pour abandon de poste, sous condition d'une mise en demeure régulière préalable de reprendre le travail (CE 3° et 5° s-s-r., 10 janvier 2000, n° 197591 N° Lexbase : A6943B7B). Il a, ainsi, été jugé qu'un harcèlement moral ne pouvait justifier l'utilisation du droit de retrait, et que dans ce cas la procédure pour abandon de poste diligenté par l'administration était légale (TA Dijon, 15 avril 2005, n° 0500689). C'est donc à l'agent que revient le fardeau probatoire, c'est-à-dire de justifier que les conditions requises sont réunies. A défaut, l'utilisation du droit de retrait par l'agent sera reconnue comme fautive.
(1) Lire, M. Carius, Droit de retrait des agents publics : date de reprise des fonctions, commentaire de l'arrêt CE 3° et 8° s-s-r., 2 juin 2010, n° 320935, Ministre de l'Education nationale c/ Mlle Fuentes, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2050EYL), Lexbase Hebdo du 7 juillet 2010 - édition publique (N° Lexbase : N6179BPK).
(2) Lire, L'abandon de poste...questions à Maître Sophie Jammet, avocat spécialisée en droit social au barreau de Paris, Lexbase Hebdo du 23 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7844BEA).
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Réf. : Loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 (N° Lexbase : L9901INZ) et loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L9902IN3)
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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
Le 26 Janvier 2011
A - La loi de finances a procédé à une modification d'importance. A présent, l'imposition de la CET est établie au nom des sociétés et groupements de professions libérales et des sociétés sans personnalité morale. Cette nouvelle disposition est applicable depuis le 1er janvier 2011 et vient modifier l'article 1476 du CGI (N° Lexbase : L0809IPN).
Ce sont les mêmes règles qui s'appliquent pour définir le contribuable à la CFE comme à la CVAE. Aux termes de l'article 1447 du CGI (N° Lexbase : L0819IPZ), la CFE est due, annuellement, par les personnes physiques, les personnes morales et les sociétés non dotées de la personnalité morale qui exercent, à titre indépendant, une activité professionnelle non salariée ; peu importe le statut juridique, la situation au regard des autres impositions (TVA et bénéfices), ainsi que la nature de l'activité. La définition du contribuable à la CVAE est similaire (CGI, art. 1586 ter N° Lexbase : L0820IP3).
Antérieurement à la loi de finances pour 2011, selon l'article 1476, alinéa 2, du CGI -et par application du principe de la transparence fiscale-, pour les sociétés civiles professionnelles (SCP), les sociétés civiles de moyens (SCM) et les groupements réunissant des membres de professions libérales, l'imposition au titre de la CFE et de la CVAE était établie au nom de chaque membre. Pour les organismes non dotés de la personnalité morale, s'il s'agissait d'une société, la CFE et la CVAE étaient établies à leur nom (2). Dans le cas où ce n'était pas une société, CFE et CVAE étaient dues par la personne morale dont émane le groupement ou, dans l'hypothèse d'un groupement de personnes physiques, par les membres exerçant la profession (CGI, art. 1476, al. 4).
L'article 108 de la loi de finances pour 2011 a mis fin à cette transparence fiscale. L'imposition des sociétés est, désormais, établie au nom de la société ou du groupement suivant les règles de droit commun (CGI, art. 1476) ; dans le même temps, les règles spécifiques d'imposition des sociétés et groupements de professions libérales sont supprimées. On peut s'interroger sur l'assiette de la CVAE au sein de certaines sociétés ou groupements de moyens qui ne disposent pas de recettes propres, car elles sont le plus souvent constituées par le remboursement des frais.
Pour les groupements non dotés de la personnalité morale, les nouvelles dispositions sont silencieuses quant à la définition du ou des redevables à la CET. En application du droit commun, l'imposition doit être établie pour chacun des membres exerçant, effectivement, la profession. Cependant, cette solution paraît aller à l'encontre de la volonté du législateur qui a supprimé le régime de transparence fiscale.
Cet abandon du principe de transparence fiscale est la solution apportée par le législateur pour remédier aux conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 (N° Lexbase : A9026EPY) (3). Aux termes de cette décision, les recettes des titulaires de BNC, des agents d'affaires, des fiduciaires et des intermédiaires de commerce, employant moins de cinq salariés et n'ayant pas opté pour l'IS, ne sont pas comprises dans l'assiette de la CFE. Il en résulte une perte de recette fiscale car la répartition de l'assiette entre chaque membre avait pour effet de les faire échapper en tout ou partie à cette imposition. La suppression de la transparence fiscale permet une prise en compte du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée pour la totalité de l'entité.
B - Outre cette modification, l'article 108 de la loi de finances pour 2011 a aménagé les modalités de calcul des dégrèvements de la CET. La première de ces modalités concerne le dégrèvement en fonction de la valeur ajoutée qui est accordé aux contribuables dont la CET excède 3 % de la valeur ajoutée. Le plafond de 3 % est égal au total des montants de CFE et de CVAE auquel est imputé l'ensemble des réductions et des dégrèvements. Les taxes additionnelles à la CFE et la cotisation minimale de CFE ne sont pas prises en compte pour la détermination du plafonnement (4). L'article 108, III, A, de la loi de finances pour 2011 dispose que, dans l'hypothèse de transmission universelle de patrimoine, de cession ou de transmission d'entreprise au cours de l'année, le montant de CFE est ajusté afin de correspondre au rapport entre la durée de référence de la CVAE et l'année civile. Le législateur cherche, ainsi, à limiter les effets de restructurations qui impliquent une brève période de CVAE et, en conséquence, une faible valeur ajoutée.
Une autre des modalités mise en place par l'article 108, III, B, de la loi de finances pour 2011 est relative au dégrèvement temporaire d'écrêtement des pertes. Ce dégrèvement a été mis en oeuvre (CGI, art. 1647 C quinquies B N° Lexbase : L1486IPQ) afin d'atténuer les effets de l'instauration de la CET, dans le cas où celle-ci entraînerait une augmentation de leur imposition par rapport à la TP. Selon cette nouvelle disposition, le montant de la cotisation de TP à prendre en compte pour le calcul du dégrèvement est la cotisation de TP due selon les textes en vigueur au 31 décembre 2009, sauf les coefficients forfaitaires déterminés à l'article 1518 bis du CGI (N° Lexbase : L0885IPH) qui datent de 2010 (5).
II - Les modifications apportées à la CFE
A - La loi de finances pour 2011 (art. 108) aménage les modalités d'appréciation du seuil d'assujettissement à la CFE des activités de sous-location et de location d'immeubles nus. Sauf pour les immeubles à usage d'habitation, les activités de location ou de sous-location d'immeuble nus sont réputées être exercées à titre professionnel et en conséquence imposables à la CFE. Cependant, aux termes du I de l'article 1447 du CGI, la CFE n'est pas due lorsque ces activités sont exercées par des personnes qui, au cours de la période de référence, en retirent des recettes brutes inférieures à 100 000 euros. Ce seuil est apprécié en fonction de l'article 29 du CGI (N° Lexbase : L1068HL7).
Pour le seuil d'assujettissement de 100 000 euros, la loi de finances est venue préciser qu'il doit s'apprécier HT et, en conséquence, le I de l'article 1447 a été modifié. Par ailleurs, la définition de ces recettes ne dépend plus seulement de l'article 29 du CGI, mais fait, aussi, référence au chiffre d'affaires retenu pour le calcul de la CVAE. S'agissant de la période de référence, dans l'hypothèse où elle ne correspond pas à une période de douze mois, le montant permettant d'apprécier le seuil d'assujettissement est corrigé, afin de correspondre à une année entière (CGI, art. 1447, I). Cette annualisation des recettes ou du chiffre d'affaires doit permettre l'application de la CET, y compris aux années incomplètes. Enfin, la dernière mesure d'aménagement concerne l'assiette, l'article 1467 du CGI (N° Lexbase : L0812IPR) énonce que les parties communes des immeubles en sont expressément exclues.
B - La loi de finances a, aussi, modifié les règles de fixation de la cotisation minimum de la CFE (art. 108, I, Q et R). Les redevables de la CFE sont soumis au lieu de leur principal établissement à une cotisation minimale (6). Cette cotisation, depuis le 1er janvier 2010, est établie sur une base, dont le montant doit être compris entre 200 et 2 000 euros et fixée par le conseil municipal ou, s'il existe, par l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
Le plafond de fixation de la base de cotisation minimum est passé de 2 000 à 6 000 euros pour les entreprises dont le chiffre d'affaires ou le montant des recettes est supérieur ou égal à 100 000 euros. Cette mesure doit permettre de compenser les pertes fiscales dues aux conséquences de la décision du Conseil constitutionnel précitée, aux termes de laquelle étaient exclues de la base d'imposition de la CFE les recettes des titulaires de BNC, des agents d'affaires, des fiduciaires et des intermédiaires de commerce employant moins de cinq salariés et n'ayant pas opté pour l'IS.
A compter du 1er janvier 2011, la cotisation minimum peut être fixée, sur délibération du conseil municipal ou de l'EPCI, à une somme comprise entre 200 et 2 000 euros pour les redevables dont le chiffre d'affaires ou les recettes sont inférieurs à 100 000 euros pour la période de référence. Pour les redevables dont le chiffre d'affaires ou les recettes sont supérieurs à 100 000 euros, la cotisation peut varier de 200 et 6 000 euros.
Enfin l'article 108, I, R, de la loi de finances pour 2011 fixe le lieu d'imposition à la cotisation minimum de CFE du redevable étranger qui ne dispose, en France, d'aucun local ou terrain dans la commune de situation de l'immeuble dont la valeur locative foncière est la plus élevée au 1er janvier d'imposition (CGI, art. 1647 D, II N° Lexbase : L0806IPK). Il s'agit de personnes résidant à l'étranger, qui ont une activité de location ou de vente portant sur des immeubles situés en France.
C - Enfin, dans le cadre de la "clause de rendez-vous" prévue par l'article 76 de la loi de finances pour 2010, des mesures de correction ont été prises par la loi de finances pour 2011. Ces mesures sont principalement au nombre de quatre.
1 - Intégration dans le champ d'application de la CFE des fiduciaires
Aux termes du I de l'article 1447 du CGI modifié, il est expressément précisé que les fiduciaires entrent dans le champ d'application de la CFE pour leur activité exercée en vertu d'un contrat de fiducie.
2 - Diminution du montant des plafonds d'exonération de CFE prévus dans les zones urbaines
Pour les zones urbaines sensibles, le plafond est ramené à 26 995 euros (CGI, art. 1466 A, I N° Lexbase : L0814IPT) et pour les zones franches urbaines, le nouveau plafond est de 72 709 euros (CGI, art. 1466 A, I, sexies). Ces réductions permettent de prendre en compte la diminution de la base de la CFE par rapport à celle de la TP.
Pour les zones de revitalisation urbaine, le plafond est ramené à 26 995 euros (CGI, art. 1466 A, I, ter), pour les zones franches urbaines de première et de seconde générations, le nouveau plafond est de 72 709 euros (CGI, art. 1466 A, I, quater et I quinquies).
3 - Modification du mécanisme de la valeur locative plancher
Selon l'article 1499 du CGI (N° Lexbase : L0268HMU), la valeur locative retenue dans l'assiette de la CFE est, pour les immeubles, déterminée à partir de leur prix de revient et, par conséquent, en cas de cession, la valeur de ces biens s'en trouve modifiée. Il existait sous l'empire de la TP, un mécanisme dérogatoire de détermination de la valeur locative en cas de cession de biens entre entreprises liées, qui a été supprimé. Cependant, le dispositif prévu en cas de restructuration est applicable à la CFE et aux opérations de transmission universelle de patrimoine (CGI, art. 1518 B N° Lexbase : L2932IGP).
L'article 108, I, O, de la loi de finances pour 2011 a modifié les règles spécifiques de détermination de la valeur locative plancher à la suite d'opérations d'apports, de scissions, de fusions de société ou de cessions d'établissements ou de transmission universelle de patrimoine. A compter du 1er janvier 2011, pour les opérations de restructuration, il faudra retenir 100 % de la valeur locative précédemment taxée, lorsque l'entreprise cessionnaire ou bénéficiaire de l'apport contrôle l'entreprise cédante, ou est contrôlée par elle, ou bien si ces deux entreprises sont contrôlées par la même entreprise. On retiendra 90 % de la valeur locative précédemment taxée pour les autres opérations entre sociétés membres d'un même groupe (CGI, art. 223 N° Lexbase : L4728IC4). Enfin, il sera retenu 50 % de la valeur locative précédemment taxée pour les opérations de reprise d'immobilisations prévues par un plan de cession ou comprises dans une cession d'actifs en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire (7).
Il faut noter que ces nouveaux dispositifs, venant modifier l'article 1518 B, sont applicables à la fois dans le cadre de la CFE et celui de la taxe foncière. On peut s'interroger sur la notion de contrôle qui n'a pas été définie par le législateur. Sous l'empire de l'ancien article 1469, 3° quater, du CGI (N° Lexbase : L4903ICL), la notion de contrôle avait été définie par l'administration fiscale dans une instruction en date du 10 janvier 2007 (8) ; la définition était très large et pourrait être reprise dans le cadre de l'interprétation de l'article 1518 B modifié par la loi de finances pour 2011.
4 - Paiement spontané de l'acompte
Selon l'article 1679 quinquies du CGI (N° Lexbase : L0805IPI), la CFE est perçue, annuellement, au plus tard le 15 décembre, sous déduction d'un acompte éventuel versé le 15 juin, dont le montant doit être égal à 50 % du montant de la contribution payée l'année précédente. Le redevable n'a pas à verser d'acompte, lorsque le montant de la CFE pour l'année précédente est inférieur à 3 000 euros. En cas de paiement d'acompte, l'administration devait informer le contribuable, un mois au moins avant l'échéance, du montant de cet acompte. La loi de finances pour 2011 a supprimé cette obligation pesant sur l'administration et les contribuables doivent payer spontanément cet acompte.
III - Les aménagements portant sur la CVAE
Ces aménagements portent principalement sur deux éléments : les définitions du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée (A), ainsi que les modalités d'établissement et de paiement (B). Enfin, seront abordées les mesures de correction de la CVAE (C).
A - A compter du 1er janvier 2011, les définitions du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée à retenir, en vue du calcul de la cotisation de la CVAE, ont été modifiées.
Pour les entreprises soumises au droit commun, l'article 108, II, D de la loi de finances pour 2011 compte dans la catégorie des produits composant la valeur ajoutée les rentrées sur créances amorties, quand elles se rapportent au résultat d'exploitation. Il s'agit d'une correction symétrique, car les pertes sur créances irrécouvrables sont des charges déductibles pour le calcul de la valeur ajoutée.
La loi de finances est venue modifier l'article 1586 sexies, I, 7, du CGI ([LXB =L0827IPC]) ; pour le calcul du montant maximum de la valeur ajoutée retenue pour déterminer le montant de la CVAE, la période à prendre en compte pour le chiffre d'affaires est la même que celle retenue pour la valeur ajoutée. Il s'agit d'une mesure de cohérence.
Aux termes de l'article 1586 sexies, 4, b, du CGI (N° Lexbase : L3003IGC), il était nécessaire que le sous-locataire de biens soit assujetti à la CFE, pour pouvoir bénéficier de la déduction de l'amortissement se rapportant aux biens donnés en sous-location plus de six mois. Cette condition a été supprimée, car il est apparu que l'obligation de s'assurer de l'assujettissement à la CFE des sous-locataires était très difficilement réalisable.
L'article 108, II, C, de la loi de finances pour 2011 a modifié l'article 1586 quinquies du CGI (N° Lexbase : L3182IGX) quant à la période de référence. Il est ajouté un 5 selon lequel, quelle que soit la période de référence utilisée pour le calcul de la valeur ajoutée, il n'est tenu compte ni du chiffre d'affaires, ni de la valeur ajoutée comprise dans la fraction de l'exercice clos, qui se rapporte à une période retenue pour l'établissement d'une CVAE due au titre d'une ou plusieurs années précédant celle de l'imposition.
Enfin, le législateur a renforcé le dispositif anti-abus par une obligation de consolidation du chiffre d'affaires pour les sociétés appartenant à un groupe fiscalement intégré. Il faut retenir le chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises membres d'un groupe au sens de l'article 223 A du CGI (N° Lexbase : L3729IC4), pour apprécier le seuil et le barème de la CVAE de chacune des entreprises membre du groupe. Cependant, si le montant total des chiffres d'affaires de ces sociétés est inférieur à 763 000 euros, cette mesure n'est pas applicable. De même, la loi de finances pour 2011 a inclus, dans la liste, des opérations visées dans les cas de restructuration aux transmissions universelles de patrimoine (CGI, art. 1586 quater, III, N° Lexbase : L0828IPD).
B - Les modalités d'établissement et de paiement de la CVAE ont été aménagées par l'article 108, II, de la loi de finances pour 2011.
1 - Parmi les mesures relatives à l'établissement de la CVAE, on peut noter qu'en cas d'apport, de cession d'activité, de scission d'activité ou de transmission universelle de patrimoine, la CVAE est due, également, par le redevable qui n'exerce aucune activité imposable au 1er janvier de l'année, mais auquel l'activité est transmise au cours d'une année d'imposition. C'est une mesure venant déroger au principe de l'annualité, afin d'éviter l'interruption d'imposition à la CVAE alors que l'exploitation de l'activité n'a pas cessé.
Certaines mesures ont, aussi, pour objet de simplifier les obligations déclaratives, notamment la déclaration des effectifs salariés par les entreprises qui possèdent des établissements dans plusieurs communes ou qui emploient des salariés qui travaillent pendant plus de trois mois dans différentes communes. Lors de la mise en oeuvre de la CVAE, la déclaration de ces effectifs devait prendre en compte les "équivalents temps plein travaillé", l'article 108, II, énonce que les effectifs seront à présent déclarés dans le lieu où la durée d'activité est la plus élevée.
La loi de finances pour 2011 met en oeuvre un délai spécifique pour les entreprises qui disparaissent. Les déclarations de la valeur ajoutée et des effectifs salariés doivent être souscrites dans un délai de 60 jours en cas de transmission universelle du patrimoine, de cession ou de cessation d'entreprise ou de décès du contribuable.
Les entreprises entrant dans le champ de la direction des grandes entreprises (DGE) doivent à présent souscrire leur déclaration de CVAE par voie électronique, quel que soit le montant de leur chiffre d'affaires (CGI, art. 1649 quater B quater N° Lexbase : L0824IP9). Antérieurement, elles n'étaient tenues à cette obligation qu'à compter d'un chiffre d'affaires supérieur à 500 000 euros.
2 - Dans le cadre de l'aménagement des modalités de paiement, l'article 1679 septies du CGI (N° Lexbase : L0823IP8) énonce que, si les acomptes versés sont supérieurs au montant de la CVAE due effectivement, le surplus sera restitué dans un délai de 60 jours à compter de la date limite de souscription de la déclaration de liquidation, au lieu de la date du dépôt effectif de la déclaration.
En matière de sanction, dans l'hypothèse où un redevable aurait minoré le montant de ces acomptes, il se verra appliquer une majoration de 5 % par application de l'article 1731 du CGI (N° Lexbase : L0822IP7), mais seulement si les paiements sont inexacts de plus du dixième.
C - Enfin on peut noter principalement deux mesures de correction de la CVAE.
1 - La première de ces mesures est relative aux nouveaux plafonds d'exonération applicables dans les zones urbaines. De manière générale, il est précisé, aux termes de l'article 1586 nonies du CGI (N° Lexbase : L0826IPB), qu'en cas d'exonération partielle de la CFE, l'exonération de CVAE s'applique de manière proportionnelle pour la partie de la valeur ajoutée, taxée au profit des collectivités concernées par l'exonération de CFE.
Pour certaines zones urbaines, les exonérations prévues pour la CFE doivent l'être en fonction des exonérations prévues pour la CVAE. Les plafonds de ces exonérations sont les suivants pour 2011 :
- pour les zones urbaines sensibles (CGI, art. 1466 A, I) et les zones de revitalisation urbaines (CGI, art. 1466 A, I ter) le plafond est fixé à 133 775 euros ;
- pour les zones franches urbaines (CGI, art. 1466 A, I sexies) et les zones franches urbaines de première et deuxième générations (CGI, art. 1466 A, I quater), le plafond est de 363 459 euros.
2 - La seconde mesure vient modifier la procédure de réclamation de la CVAE. Les règles applicables à cette réclamation seront celles de la CFE et non plus de la TVA comme antérieurement à la loi de finances pour 2011. Cette harmonisation doit permettre d'unifier les délais de réclamation entre CFE et CVAE (9).
(1) P. Marini, Mise en oeuvre de la contribution économique territoriale : la trajectoire de la réforme, rapport n° 588, 26 juin 2010, p. 29.
(2) Sous l'empire de la TP, ces sociétés étaient déjà imposées alors même que l'article 1447 du CGI était silencieux sur ce point. La loi de finances pour 2010 (art. 2) a légalisé cette imposition à la CFE.
(3) Sous cette décision, note L. Vallée, DF, 2010, n° 4, comm. 98.
(4) Les taxes spéciales d'équipement étaient prises en compte pour le calcul du plafonnement (CGI, art. 1607 ter N° Lexbase : L3144IGK, 1609 N° Lexbase : L0886IPI à 1609 F).
(5) Par ailleurs, il a été aussi précisé que la cotisation minimale de TP est le montant de cotisation qui aurait été dû au titre de 2010 en application de la loi en vigueur en 2009. Cette précision vient corriger un texte peu clair qui pouvait laisser penser qu'il s'agissait de la TP due pour 2009.
(6) Règle qui était déjà applicable sous l'empire de la TP.
(7) Cette valeur locative plancher est applicable jusqu'à la deuxième année suivant celle du jugement ordonnant la cession ou autorisant la cession d'actifs en cours de période d'observation.
(8) BOI 6 E-1-07 (N° Lexbase : X7865ADN).
(9) A. Lefeuvre, Les règles de procédure applicables en matière de contribution économique territoriale, DF, 2010, n° 21, étude 35.
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 31 Janvier 2011
Christophe Noize : Le principe est que l'inaptitude du salarié est constatée par deux examens médicaux par le médecin du travail, espacés de deux semaines (C. trav., art. R. 4624-31 N° Lexbase : L3891IAD). Par exception, l'inaptitude peut être déclarée après un seul examen médical dans l'hypothèse où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger grave et immédiat pour sa santé ou sa sécurité. C'est, par exemple, le cas dans des hypothèses de vertiges du salarié qui travaille en hauteur ou de souffrance risquant d'entraîner un risque de suicide.
C'est au médecin du travail et non à l'employeur de constater le danger grave et immédiat pour la santé ou la sécurité du salarié. Le contentieux porte donc essentiellement sur la rédaction de la fiche d'inaptitude par le médecin du travail. Afin de pouvoir se contenter d'une seule visite médicale et éviter que le licenciement du salarié pour inaptitude soit jugé nul, l'employeur doit vérifier que la situation de danger ressort bien de l'avis du médecin du travail ou que celui-ci, outre la référence à l'article R. 4624-31, précise qu'une seule visite est effectuée.
C'est ce que rappelle, également, l'arrêt de la Chambre sociale du 16 décembre 2010. Dans ce litige, le médecin du travail avait procédé à une seule visite médicale en indiquant sur son avis d'inaptitude la mention "à revoir". Toutefois, le même jour, il a écrit à l'employeur afin de l'informer de l'inaptitude définitive du salarié en raison du danger immédiat que présentait le maintien à son poste. L'employeur soutenait que le licenciement pour inaptitude définitive prononcé après un seul examen médical était régulier, en raison du courrier du médecin du travail complétant l'avis d'inaptitude. Pointilleuse, la Cour de cassation n'a pas suivi le raisonnement de l'employeur en estimant que la mention "à revoir" nécessitait un deuxième examen qui n'avait pas eu lieu et excluait, par conséquent, la situation de danger. Elle a considéré que le licenciement a été prononcé en raison de l'état de santé du salarié ce qui entraînait sa nullité, faisant ainsi peser sur l'employeur les conséquences d'une mauvaise rédaction de l'avis médical par le médecin du travail.
Lexbase : Par un arrêt du 5 janvier 2011 (Cass. soc., 5 janvier 2011, n° 08-70.060, FS-P+B N° Lexbase : A7426GND), la Cour de cassation précise les rôles du médecin du travail et du médecin traitant. Pouvez-vous nous rappeler le rôle de chacun ?
Christophe Noize : L'arrêt de la Cour de cassation rappelle une nouvelle fois que la procédure d'inaptitude avec son formalisme et ces différents acteurs potentiels (médecin traitant, médecin du travail, médecin conseil de la Sécurité sociale, l'employeur et le salarié) est complexe, tant pour l'employeur que pour le salarié.
Dans cette espèce, le salarié a été licencié pour inaptitude après deux visites de reprise auprès du médecin du travail. Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes en exposant que, postérieurement à son licenciement, il avait continué à bénéficier d'un arrêt de travail de son médecin traitant. Il en déduisait que son licenciement était nul car son contrat avait été rompu durant la période de suspension de son contrat de travail. La Cour de cassation juge le licenciement fondé et rappelle que seule la visite de reprise auprès du médecin du travail met fin à la période de suspension du contrat de travail. Cette décision est logique puisque seul le médecin du travail peut à la fois apprécier la santé du salarié et son aptitude à occuper un poste dans l'entreprise. Elle est à rapprocher d'un précédent arrêt (Cass. soc. 9 juillet 2008, n° 07-41.318 N° Lexbase : A6390D9K) sur l'invalidité constatée par le médecin conseil de la Sécurité sociale qui ne se substitue pas, également, à la décision d'inaptitude (1).
Lexbase : Après la déclaration d'inaptitude, l'employeur est tenu de respecter une obligation de reclassement. Plusieurs arrêts de la Chambre sociale du 30 novembre 2010 reviennent dessus (2). Cette obligation varie en fonction de la taille de l'entreprise, l'employeur étant tenu de l'exécuter loyalement, notamment par des recherches au-delà de son entreprise et en octroyant un délai de réflexion suffisant pour le salarié. Comment des PME-TPE peuvent respecter ces obligations ? N'y a-t -il pas une inégalité de traitement entre les salariés ?
Christophe Noize : L'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97) prévoit que le salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail bénéficie d'une obligation de reclassement dans le mois qui suit le second examen médical. Le reclassement du salarié doit être recherché en tenant compte des propositions du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise dans un emploi approprié à ses capacités, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que la mutation, la transformation de postes ou l'aménagement du temps de travail. Cette obligation est renforcée depuis les arrêts du 7 juillet 2004 (3) qui imposent à l'employeur de rechercher un reclassement alors même que le salarié a été déclaré inapte à tout poste par le médecin du travail.
Le Code du travail ne distingue pas selon la taille de l'entreprise. Toutefois, la Cour de cassation rappelle que la loyauté de l'employeur dans la recherche du reclassement s'apprécie par rapport à la taille de l'entreprise (4).
Lexbase : L'omission de la formalité substantielle de consultation des délégués du personnel et la méconnaissance par l'employeur des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte ne peuvent être sanctionnées que par une seule et même indemnité au titre de l'article L. 1226-15 du Code du travail (N° Lexbase : L1035H99) comme l'énonce un arrêt du 16 décembre 2010 (Cass. soc., 16 décembre 2010, n° 09-67.446, FS-P+B N° Lexbase : A2542GNH). N'y a-t-il pas un parallélisme avec le non-cumul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour le non-respect de la procédure de licenciement ?
Christophe Noize : En cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, l'employeur a l'obligation de rechercher le reclassement du salarié après avoir consulté les délégués du personnel et pris en compte les conclusions écrites du médecin du travail (C. trav., art. L. 1226-10 N° Lexbase : L9617IEW).
La sanction de cette formalité substantielle, en cas de refus de réintégration, est le versement d'une indemnité qui ne peut pas être inférieure à 12 mois de salaire (C. trav., art. L. 1226-15).
L'arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 2010 concernait un salarié licencié pour inaptitude dont l'employeur n'avait respecté ni l'obligation de consulter les délégués du personnel, ni l'obligation de reclassement. La Haute juridiction confirme sa jurisprudence antérieure (voir, en ce sens, Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-44.336 (N° Lexbase : A1103DD9) en rappelant que cette double violation ne peut être sanctionnée que par une seule indemnité prévue à l'article L. 1226-15 du Code du travail. Cette solution peut, en effet, être rapprochée du non-cumul entre les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.
Lexbase : La Cour de cassation a rappelé récemment que l'obligation de réentraînement au travail et de rééducation professionnelle des salariés malades et blessés, énoncée à l'article L. 5213-5 du Code du travail (N° Lexbase : L2456H9T), ne concerne que les salariés blessés ou malades reconnus comme travailleurs handicapés (5). Cette obligation ne devrait-elle pas être étendue à tous les salariés ?
Christophe Noize : L'article L. 5213-5 du Code du travail prévoit que tout établissement ou groupe d'établissement appartenant à une même activité professionnelle de plus de 5 000 salariés assure, après avis médical, le réentraînement au travail et à la rééducation professionnelle de ses salariés malades et blessés.
Ces dispositions ne concernent que les salariés blessés ou malades reconnus comme travailleurs handicapés, par décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, comme vient de le rappeler récemment la Cour de cassation.
Elle consiste à la création d'un atelier spécial de rééducation et de réentraînement au travail et/ou l'aménagement dans l'entreprise de poste spéciaux. Cette obligation ne se confond donc pas avec celle du reclassement du salarié inapte et on peut très bien imaginer que le législateur étende ces dispositions au salarié inapte.
Lexbase : Quel bilan peut-on tirer de ces arrêts. Viennent-ils simplifier cette procédure ou apporter davantage de complexité ?
Christophe Noize : En définitive, il semblerait que la Cour de cassation souhaite encadrer par ses jurisprudences la thématique complexe de l'inaptitude. Cette jurisprudence n'est toutefois pas très rassurante pour l'employeur tant la Cour se montre tatillonne en ce qui concerne le formalisme.
Surtout, demeure la jurisprudence de la Cour qui enjoint l'employeur à rechercher un reclassement nonobstant un avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise rendu par le médecin du travail. C'est à mon sens une décision qui se heurte au bon sens puisqu'il est demandé à l'employeur d'aller à l'encontre de la décision de la médecine du travail alors que lui-même n'a pas de compétence médicale.
(1) V. les obs. de S. Martin-Cuenot, Inaptitude totale et obligation de reclassement : justification ?, Lexbase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7051BGA).
(2) Cass. soc., 30 novembre 2010, trois arrêts, n° 09-41.891, F-D (N° Lexbase : A4604GMH), n° 09-41.918, F-D (N° Lexbase : A4605GMI) et n° 09-42.236, F-D (N° Lexbase : A4610GMP).
(3) Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.141, deux arrêts, FS-P+B (N° Lexbase : A0403DDB) et n° 02-47.458, FS-P+B (N° Lexbase : A0438DDL).
(4) V. not., Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 09-41.891, préc., l'employeur qui justifie ne pas être en mesure de reclasser le salarié en invoquant la taille de l'entreprise, qui comportait quatre salariés, et l'impossibilité de trouver un poste quelle que soit la nature de celui-ci (tâches inférieures ou poste à temps partiel ou création d'un poste nouveau sans rapport avec les besoins de l'entreprise), peut procéder au licenciement pour inaptitude du salarié sans être tenu de solliciter à nouveau le médecin du travail ; sur cette question, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(5) Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.634, FS-P+B sur le troisième moyen (N° Lexbase : A9808GPX).
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