La lettre juridique n°421 du 16 décembre 2010

La lettre juridique - Édition n°421

Éditorial

Montiers, dans l'Oise, un village gaulois : quand la laïcité se met la crèche à dos

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N8350BQC

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Phénomène astral des plus étranges, l'étoile du Berger ne passe plus au dessus du petit village de Montiers, dans l'Oise, depuis le début de l'Avent. C'est que la veille, le juge du tribunal administratif d'Amiens commandait au Ciel et à la Terre, en condamnant l'aménagement d'une crèche de Noël sur la place principale de ladite commune, au nom de la sacro-sainte laïcité -on n'est pas à un oxymore près-. Le tribunal indique, en effet, qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 1er et 28 de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, que l'apposition d'un emblème religieux sur un emplacement public, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens par la République, et la neutralité du service public à l'égard des cultes, quel qu'ils soient ; si bien que Jésus, Marie et Joseph ne savent plus où crécher à la Noël !

Ce n'est pas tant que la République ne s'accommode pas d'une étable ou d'une mangeoire -cripia en latin-, sur la place publique ; un âne et un boeuf au coeur d'un village picard, ce n'est pas vraiment ce qui manque, surtout que Xavier Deneufbourg, le maire du village en question, d'un peu plus de 450 âmes (on ose le vocable, même après le jugement du 30 novembre 2010) est agriculteur de son état professionnel. Non, le problème c'est clairement Marie, Joseph, puis, à partir du 25 décembre -je vous le donne dans le mille- l'enfant Jésus, emblèmes de la religion chrétienne, nous dit le juge picard.

Deux pas en avant, trois pas en arrière : pour une relation apaisée entre le religieux et la société civile, on repassera. Ce que la Révolution française interdisant la messe de minuit et les crèches publiques n'avait pas réussi à faire, le juge administratif d'Amiens, sur le fondement implacable de la loi de 1905, y est parvenu. La crèche est une affaire domestique -entendez privée- : il relève de la conscience de chacun d'opter pour une crèche napolitaine, baroque, provençale ou bisontine, mais vous êtes priés de ne pas l'afficher dans un lieu public, même à ciel ouvert, et surtout pas avec l'adoubement du conseil municipal. L'Italie avait eu son affaire des crucifix dans les écoles publiques (cf. CEDH du 3 novembre 2009), nous nous devions de faire mieux et de nous attaquer à la source même de tous les maux : l'enfant Jésus, lui-même... En clair, Jésus avant la croix.

Soit ! L'affaire pourrait prêter à sourire tant elle s'apparente, finalement, à une querelle de beffroi, comme en connaissait le village de Brescello de Don Camillo ; sauf qu'en l'espèce, la controverse battait son plein entre Peppone/Debaye et Peppone/Deneufbourg, c'est-à-dire entre Monsieur le maire et Monsieur le maire -entendez l'ancien et le nouveau-. Point d'injonction cléricale donc dans cette histoire. Point de prosélytisme, sans doute, de la part de l'équipe municipale : juste l'envie de rassembler la ville, et néanmoins paroisse, autour d'une fête, certes chrétienne, mais d'origine païenne, et que l'on semble fêter, d'ailleurs, plutôt publiquement partout dans le monde : Noël, c'est-à-dire la Nativité.

Et, à ce compte là, la chasse aux sorcières pourrait bien nous laisser pantois. D'abord parce que, depuis le XIXème siècle, les crèches vivantes ou publiques ont moins de rapport avec la naissance du christianisme qu'avec l'expression d'une identité culturelle régionale (cf. les "santouns", petits saints, provençaux symboles de l'indépendance marseillaise sous la Révolution, ou encore, les marionnettes de Besançon faisant office de satire sociale, à l'occasion de l'évènement). Ensuite, parce qu'il va falloir attaquer au burin tous les monuments aux morts trônant sur les places des villages de France pour enlever, tel Ramsès effaçant le nom de Moise des monuments égyptiens, les signes religieux caracolant à côté des noms de ceux morts pour la France. Enfin, parce qu'il va falloir déboulonner, malgré les soixante ans de l'appel du 18 juin, toutes les croix de Lorraine édifiées sur le domaine public, si l'on se souvient qu'avant d'être récupérée par le vice-Amiral Muselier, comme emblème de la France Libre, la croix des ducs d'Anjou devenus ducs de Lorraine est une croix archiépiscopale, blason des archevêques donc, dont la petite traverse supérieure représente ni plus ni moins que l'écriteau que Ponce Pilate aurait fait poser au-dessus du Christ : "Jésus de Nazareth, roi des Juifs" (INRI)... L'épuration christique -entendez, se rapportant à la croix, donc- ne fait, dès lors, que commencer...

Sans oublier le fait que la Nativité, sous les traits de Noël, a depuis, quelque temps déjà, perdu son caractère religieux pour célébrer, au mieux, la fraternité, voeu pieu au fronton de la République, au pire la soif consumériste de gants, écharpes, bonnets ou gadgets de la haute technologie.

"Attends pour nier Dieu qu'on ait bien prouvé qu'il n'existe pas !" recommandait Alexandre Dumas fils, lui qui ne passait pas pour un dévot et qui fut, même, catalogué comme auteur à scandales.

Mais au final, "l'adulte ne croit pas au père Noël. Il vote" eut dit Desproges... Rendez-vous donc aux élections municipales de 2014 !

En attendant, Gaspard, Melchior et Balthazar errent toujours sur l'A15 ne sachant plus où porter l'or, l'encens et la myrrhe, en écoutant un vieux tube de Sheila, crescendo... et dos à la crèche.

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Avocats

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui...Bertrand Pagès, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Rennes

Lecture: 6 min

N8218BQG

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par Yann Le Foll, Journaliste juridique

Le 04 Janvier 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Bertrand Pagès, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Rennes. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Rennes ? Quelles sont les spécificités du barreau que vous dirigez ?

Bertrand Pagès : Au 26 octobre 2010, le barreau de Rennes est fort de 559 avocats en exercice, outre 43 avocats honoraires. Ils sont regroupés en 180 cabinets environ, lesquels sont implantés non seulement à Rennes, mais aussi dans 24 communes du ressort du tribunal de grande instance de la ville. Par ailleurs, 80 % des avocats rennais travaillent au sein de structures de groupe, en qualité d'associés ou de collaborateurs. En outre, le barreau de Rennes recense près de 170 mentions de spécialisations en droit fiscal, en droit social, en droit des sociétés, en droit de l'immobilier, en droit public, en droit pénal, en droit des personnes, en droit rural, en droit commercial, en droit économique, en droit de l'environnement, en droit des relations internationales, en droit des mesures d'exécution et en droit de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, le barreau de Rennes respecte la parité avec 290 femmes pour 269 hommes, avec une moyenne d'âge inférieure à 40 ans.

Lexbase : Quelles ont été les priorités de votre mandat ?

Bertrand Pagès : Mon premier souci a été de maintenir l'équilibre budgétaire, comme mes prédécesseurs, afin de ne pas imposer à mes confrères une inflation des cotisations en cette période de crise économique. J'ai souhaité, également, poursuivre l'oeuvre de modernisation de l'Ordre dans les domaines de la communication, de l'informatique et des nouvelles technologies grâce : au renouvellement du matériel informatique mis à la disposition des confrères dans les locaux de l'Ordre à la cité judiciaire avec, dernière décision du conseil de l'Ordre, une révision des sources documentaires ; à l'adhésion, avec une vingtaine de grands barreaux, à la société Visiobarreaux qui va nous permettre de mettre à disposition de l'Ordre et des confrères un équipement de visioconférence ; et à la mise en place, depuis le mois de mai 2010, d'un contrat d'assistance technique et téléphonique d'une durée d'un an pour la mise en place et l'utilisation du RPVA par les avocats de Rennes. En effet, alors que seulement 50 avocats s'étaient inscrits au RPVA en juin 2010, nous sommes désormais plus de 120 avocats inscrits et j'espère que, d'ici début 2011, tous les avocats ayant une activité judiciaire auront franchi ce palier technologique indispensable. Je pense que l'acte d'avocat et la proposition de nouveaux services amèneront aussi les confrères ayant une activité de conseil à adopter, également, le RPVA.

Par ailleurs, le barreau de Rennes s'est, depuis de nombreuses années, investi pour assurer à tous nos concitoyens un accès au droit de qualité avec la création, notamment, d'un groupe de défense des mineurs et d'un groupe de défense des étrangers. L'un des objectifs de mon mandat de Bâtonnier a été la mise en place d'une antenne de défense des victimes qui est désormais opérationnelle depuis le 1er juin 2010, fondée comme les groupes de défense sur le volontariat et la compétence garantie par un engagement de formation préalable et continue spécifique à la matière. L'essentiel de nos règles juridiques trouvant leur source dans l'Union européenne, j'ai proposé au conseil de l'Ordre, qui l'a accepté, de faire adhérer notre barreau à la Fédération des barreaux d'Europe. Voulant consolider l'ouverture du barreau vers l'étranger, je me suis impliqué, avec la commission "relations internationales" de l'Ordre, à pérenniser et faire vivre nos jumelages avec les barreaux d'Exeter, d'Erlangen, de Gdansk, de Louvain, de Séville et de Vérone, lesquels nous offrent l'occasion d'échanges de droit comparé (médiation, régimes matrimoniaux, licenciement économique, recouvrement de créances...), mais aussi au titre de l'actualité professionnelle (formation, installation des jeunes, organisation des stages à l'étranger...).

Enfin, persuadé que l'amélioration de la situation des avocats passe par une révision du mode de gouvernance de la profession, j'ai milité au sein de notre Conférence régionale des barreaux de l'Ouest pour l'organisation de manifestations communes et un rapprochement avec le barreau de Nantes. A ce titre, des conseils de l'Ordre ont été organisés en commun, et nous avons participé aux journées de la création d'entreprise à Rennes et au Salon des entrepreneurs à Nantes, sous la bannière "Avocats de l'Ouest".

Lexbase : Quelle est votre position sur le projet de création du statut d'avocat en entreprise ?

Bertrand Pagès : L'Assemblée générale de l'Ordre a pris position contre cette proposition du rapport "Darrois". C'est donc fort légitimement que j'ai voté en ce sens au sein de la Conférence des Bâtonniers. A titre personnel, je constate que les juristes d'entreprise qui intègrent la profession dans le cadre de l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) sont, le plus souvent, des avocats de qualité. Ce n'est donc pas à ce niveau que doivent s'exprimer les réticences. Ce qui pose véritablement question, c'est la création d'un tableau B avec des avocats qui n'auraient pas toutes les prérogatives de la fonction (mais est-ce seulement envisageable au regard de nos règles européennes ?), mais aussi l'autorité réelle du Bâtonnier et le risque d'atteinte à notre secret professionnel puisque la CJUE a jugé que les avocats d'entreprise ne peuvent bénéficier de ce secret (1). Je suggère, en revanche, que, pour faire vivre notre communauté de juristes, nous permettions aux juristes d'entreprise d'avoir accès à la formation continue dispensée dans nos écoles d'avocats.

Lexbase : Quelle est votre position concernant la décision rendue par le Conseil constitutionnel au mois de juillet concernant la garde à vue (2) et les décisions subséquentes de la Cour de cassation (3) ?

Bertrand Pagès : Je suis fier des victoires obtenues par la profession sur le terrain juridique, devant le Conseil constitutionnel puis devant la Cour de cassation, pour contraindre notre pays à se conformer aux normes européennes. Cela doit nous conduire immédiatement à repenser l'organisation de nos permanences pénales et à proposer à nos confrères des formations adaptées à ces nouvelles missions. Je ne vous cache pas non plus mon inquiétude face à la position irresponsable des pouvoirs publics en terme d'indemnisation des avocats au titre de l'aide juridictionnelle puisqu'il est proposé une augmentation du budget consacré à la garde à vue sans augmentation corrélative du budget global qui va, au contraire, être affecté par le passage de la TVA au taux de 19,6 %, et le ticket modérateur qui risque fort d'être supporté, en définitive, par les avocats. Pour obtenir une véritable rémunération des confrères, sans laquelle le droit à une défense effective serait un leurre, la profession n'obtiendra rien sans une mobilisation et des actions fortes, décidées et appliquées au plan national.

Lexbase : Quels sont les grands rendez-vous du Barreau de Rennes en cette fin d'année ?

Bertrand Pagès : Les 200 ans du rétablissement de l'Ordre des avocats, en décembre 1810, ont été célébrés à l'occasion de la rentrée du Barreau le vendredi 10 décembre 2010 à la Grand'chambre du Parlement de Bretagne. Outre les personnalités, nous avons reçu à cette occasion les bâtonniers extérieurs et les délégataires des barreaux étrangers avec lesquels nous sommes jumelés. Par ailleurs, le jeune barreau y a eu l'opportunité d'exprimer son talent. Ce fut aussi une manifestation artistique avec notre traditionnelle exposition de peinture des avocats et du monde judiciaire, mais aussi l'accueil, dans la cour intérieure du Parlement, d'une oeuvre monumentale du sculpteur Louis Derbré et la représentation de saynètes de théâtre sur le procès "La Chalotais". La convivialité n'a pas été oubliée, avec un cocktail dînatoire "Dans les couloirs du temps" organisé dans les galeries du Parlement avec le concours de l'école hôtelière Louis Guilloux.

Cette célébration a été précédée d'une série de colloques : le premier s'est tenu le 8 octobre 2010 en partenariat avec l'association des maires d'Ille-et-Vilaine sur le thème de l'urbanisme et des marchés publics. Le second a eu lieu le 9 novembre 2010 à l'espace Ouest-France à Rennes sur le thème des actions de groupe avec la participation du premier président de la cour d'appel de Rennes, Michel Couaillier. Le troisième s'est tenu dans les mêmes lieux le 24 novembre 2010, et a été consacré au rôle de l'avocat dans la défense des libertés publiques avec la participation de Monsieur Edmond Hervé, sénateur d'Ille-et-Vilaine et ancien maire de Rennes. Le dernier colloque s'est tenu le vendredi 10 décembre en matinée sur le thème "entreprendre, c'est risquer" et a été l'occasion d'un échange de droit comparé avec nos confrères anglais, allemands, espagnols, italiens, belges et polonais.


(1) CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97) et lire les obs. de Cédric Tahri, La protection de la confidentialité des communications entre un avocat interne et l'entreprise, Lexbase Hebdo du 26 octobre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4382BQD).
(2) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P), et lire les obs. de Romain Ollard, Coup de tonnerre sur la procédure pénale : le Conseil constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les dispositions relatives à la garde de vue de droit commun, Lexbase Hebdo du 27 septembre 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N0999BQ3).
(3) Cass. crim., 19 octobre 2010, trois arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY), et lire les obs. de Romain Ollard, Le régime juridique de la garde à vue est déclaré contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... mais n'en doit pas moins être appliqué, Lexbase Hebdo du 9 novembre 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N5636BQS).

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Avocats

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui...Bertrand Pagès, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Rennes

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par Yann Le Foll, Journaliste juridique

Le 04 Janvier 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Bertrand Pagès, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Rennes. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Rennes ? Quelles sont les spécificités du barreau que vous dirigez ?

Bertrand Pagès : Au 26 octobre 2010, le barreau de Rennes est fort de 559 avocats en exercice, outre 43 avocats honoraires. Ils sont regroupés en 180 cabinets environ, lesquels sont implantés non seulement à Rennes, mais aussi dans 24 communes du ressort du tribunal de grande instance de la ville. Par ailleurs, 80 % des avocats rennais travaillent au sein de structures de groupe, en qualité d'associés ou de collaborateurs. En outre, le barreau de Rennes recense près de 170 mentions de spécialisations en droit fiscal, en droit social, en droit des sociétés, en droit de l'immobilier, en droit public, en droit pénal, en droit des personnes, en droit rural, en droit commercial, en droit économique, en droit de l'environnement, en droit des relations internationales, en droit des mesures d'exécution et en droit de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, le barreau de Rennes respecte la parité avec 290 femmes pour 269 hommes, avec une moyenne d'âge inférieure à 40 ans.

Lexbase : Quelles ont été les priorités de votre mandat ?

Bertrand Pagès : Mon premier souci a été de maintenir l'équilibre budgétaire, comme mes prédécesseurs, afin de ne pas imposer à mes confrères une inflation des cotisations en cette période de crise économique. J'ai souhaité, également, poursuivre l'oeuvre de modernisation de l'Ordre dans les domaines de la communication, de l'informatique et des nouvelles technologies grâce : au renouvellement du matériel informatique mis à la disposition des confrères dans les locaux de l'Ordre à la cité judiciaire avec, dernière décision du conseil de l'Ordre, une révision des sources documentaires ; à l'adhésion, avec une vingtaine de grands barreaux, à la société Visiobarreaux qui va nous permettre de mettre à disposition de l'Ordre et des confrères un équipement de visioconférence ; et à la mise en place, depuis le mois de mai 2010, d'un contrat d'assistance technique et téléphonique d'une durée d'un an pour la mise en place et l'utilisation du RPVA par les avocats de Rennes. En effet, alors que seulement 50 avocats s'étaient inscrits au RPVA en juin 2010, nous sommes désormais plus de 120 avocats inscrits et j'espère que, d'ici début 2011, tous les avocats ayant une activité judiciaire auront franchi ce palier technologique indispensable. Je pense que l'acte d'avocat et la proposition de nouveaux services amèneront aussi les confrères ayant une activité de conseil à adopter, également, le RPVA.

Par ailleurs, le barreau de Rennes s'est, depuis de nombreuses années, investi pour assurer à tous nos concitoyens un accès au droit de qualité avec la création, notamment, d'un groupe de défense des mineurs et d'un groupe de défense des étrangers. L'un des objectifs de mon mandat de Bâtonnier a été la mise en place d'une antenne de défense des victimes qui est désormais opérationnelle depuis le 1er juin 2010, fondée comme les groupes de défense sur le volontariat et la compétence garantie par un engagement de formation préalable et continue spécifique à la matière. L'essentiel de nos règles juridiques trouvant leur source dans l'Union européenne, j'ai proposé au conseil de l'Ordre, qui l'a accepté, de faire adhérer notre barreau à la Fédération des barreaux d'Europe. Voulant consolider l'ouverture du barreau vers l'étranger, je me suis impliqué, avec la commission "relations internationales" de l'Ordre, à pérenniser et faire vivre nos jumelages avec les barreaux d'Exeter, d'Erlangen, de Gdansk, de Louvain, de Séville et de Vérone, lesquels nous offrent l'occasion d'échanges de droit comparé (médiation, régimes matrimoniaux, licenciement économique, recouvrement de créances...), mais aussi au titre de l'actualité professionnelle (formation, installation des jeunes, organisation des stages à l'étranger...).

Enfin, persuadé que l'amélioration de la situation des avocats passe par une révision du mode de gouvernance de la profession, j'ai milité au sein de notre Conférence régionale des barreaux de l'Ouest pour l'organisation de manifestations communes et un rapprochement avec le barreau de Nantes. A ce titre, des conseils de l'Ordre ont été organisés en commun, et nous avons participé aux journées de la création d'entreprise à Rennes et au Salon des entrepreneurs à Nantes, sous la bannière "Avocats de l'Ouest".

Lexbase : Quelle est votre position sur le projet de création du statut d'avocat en entreprise ?

Bertrand Pagès : L'Assemblée générale de l'Ordre a pris position contre cette proposition du rapport "Darrois". C'est donc fort légitimement que j'ai voté en ce sens au sein de la Conférence des Bâtonniers. A titre personnel, je constate que les juristes d'entreprise qui intègrent la profession dans le cadre de l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) sont, le plus souvent, des avocats de qualité. Ce n'est donc pas à ce niveau que doivent s'exprimer les réticences. Ce qui pose véritablement question, c'est la création d'un tableau B avec des avocats qui n'auraient pas toutes les prérogatives de la fonction (mais est-ce seulement envisageable au regard de nos règles européennes ?), mais aussi l'autorité réelle du Bâtonnier et le risque d'atteinte à notre secret professionnel puisque la CJUE a jugé que les avocats d'entreprise ne peuvent bénéficier de ce secret (1). Je suggère, en revanche, que, pour faire vivre notre communauté de juristes, nous permettions aux juristes d'entreprise d'avoir accès à la formation continue dispensée dans nos écoles d'avocats.

Lexbase : Quelle est votre position concernant la décision rendue par le Conseil constitutionnel au mois de juillet concernant la garde à vue (2) et les décisions subséquentes de la Cour de cassation (3) ?

Bertrand Pagès : Je suis fier des victoires obtenues par la profession sur le terrain juridique, devant le Conseil constitutionnel puis devant la Cour de cassation, pour contraindre notre pays à se conformer aux normes européennes. Cela doit nous conduire immédiatement à repenser l'organisation de nos permanences pénales et à proposer à nos confrères des formations adaptées à ces nouvelles missions. Je ne vous cache pas non plus mon inquiétude face à la position irresponsable des pouvoirs publics en terme d'indemnisation des avocats au titre de l'aide juridictionnelle puisqu'il est proposé une augmentation du budget consacré à la garde à vue sans augmentation corrélative du budget global qui va, au contraire, être affecté par le passage de la TVA au taux de 19,6 %, et le ticket modérateur qui risque fort d'être supporté, en définitive, par les avocats. Pour obtenir une véritable rémunération des confrères, sans laquelle le droit à une défense effective serait un leurre, la profession n'obtiendra rien sans une mobilisation et des actions fortes, décidées et appliquées au plan national.

Lexbase : Quels sont les grands rendez-vous du Barreau de Rennes en cette fin d'année ?

Bertrand Pagès : Les 200 ans du rétablissement de l'Ordre des avocats, en décembre 1810, ont été célébrés à l'occasion de la rentrée du Barreau le vendredi 10 décembre 2010 à la Grand'chambre du Parlement de Bretagne. Outre les personnalités, nous avons reçu à cette occasion les bâtonniers extérieurs et les délégataires des barreaux étrangers avec lesquels nous sommes jumelés. Par ailleurs, le jeune barreau y a eu l'opportunité d'exprimer son talent. Ce fut aussi une manifestation artistique avec notre traditionnelle exposition de peinture des avocats et du monde judiciaire, mais aussi l'accueil, dans la cour intérieure du Parlement, d'une oeuvre monumentale du sculpteur Louis Derbré et la représentation de saynètes de théâtre sur le procès "La Chalotais". La convivialité n'a pas été oubliée, avec un cocktail dînatoire "Dans les couloirs du temps" organisé dans les galeries du Parlement avec le concours de l'école hôtelière Louis Guilloux.

Cette célébration a été précédée d'une série de colloques : le premier s'est tenu le 8 octobre 2010 en partenariat avec l'association des maires d'Ille-et-Vilaine sur le thème de l'urbanisme et des marchés publics. Le second a eu lieu le 9 novembre 2010 à l'espace Ouest-France à Rennes sur le thème des actions de groupe avec la participation du premier président de la cour d'appel de Rennes, Michel Couaillier. Le troisième s'est tenu dans les mêmes lieux le 24 novembre 2010, et a été consacré au rôle de l'avocat dans la défense des libertés publiques avec la participation de Monsieur Edmond Hervé, sénateur d'Ille-et-Vilaine et ancien maire de Rennes. Le dernier colloque s'est tenu le vendredi 10 décembre en matinée sur le thème "entreprendre, c'est risquer" et a été l'occasion d'un échange de droit comparé avec nos confrères anglais, allemands, espagnols, italiens, belges et polonais.


(1) CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97) et lire les obs. de Cédric Tahri, La protection de la confidentialité des communications entre un avocat interne et l'entreprise, Lexbase Hebdo du 26 octobre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4382BQD).
(2) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P), et lire les obs. de Romain Ollard, Coup de tonnerre sur la procédure pénale : le Conseil constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les dispositions relatives à la garde de vue de droit commun, Lexbase Hebdo du 27 septembre 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N0999BQ3).
(3) Cass. crim., 19 octobre 2010, trois arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY), et lire les obs. de Romain Ollard, Le régime juridique de la garde à vue est déclaré contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... mais n'en doit pas moins être appliqué, Lexbase Hebdo du 9 novembre 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N5636BQS).

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Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Décembre 2010

Lecture: 17 min

N8422BQY

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique. Les conventions domaniales sont au coeur de cette chronique de droit interne des contrats publics. L'attention est bien évidemment portée sur l'épilogue de l'affaire du "stade Jean Bouin" avec l'intervention de l'arrêt du Conseil d'Etat qui qualifie la convention litigieuse de simple contrat d'occupation du domaine public et précise que sa passation n'avait pas à être précédée d'une procédure de publicité (CE, S, 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon). Une autre décision illustre le fait que les critères jurisprudentiels du contrat administratif ont encore leur rôle à jouer dans le processus de qualification des contrats conclus par l'administration (CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 331837, publié au recueil Lebon). Enfin, une décision du Tribunal des conflits vient simplifier le contentieux des contrats et actes unilatéraux se rapportant à la gestion du domaine privé en précisant qu'il revient au juge judiciaire dès lors que le contrat principal est de droit privé (T. confl., 22 novembre 2010, n° 3764).
  • Le contrat confiant l'exploitation des équipements sportifs du "stade Jean Bouin" n'est pas une délégation de service public mais une simple convention d'occupation du domaine public dont la conclusion peut intervenir sans qu'il soit nécessaire d'organiser une procédure de publicité préalable (CE, S, 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4439GMD)

Jeu, set et match pour la ville de Paris ! C'est en ces termes empruntés au jargon tennistique que l'on pourrait commenter l'épilogue (tout au moins du point de vue de la justice administrative) du long feuilleton judiciaire opposant la ville de Paris, une association et la société X à la société Y. L'objet du litige est connu de tous. Propriétaire d'un terrain de près de six hectares dans le seizième arrondissement, la ville de Paris a confié en 1927 à une association le soin d'y construire un stade et de l'exploiter. A partir de 1965, la ville confia l'exploitation du stade à l'Etat pour une durée de trente ans, qui le sous-concéda à son tour à la même association. L'Etat se désengagea en 1988 et la ville de Paris conclut alors un nouveau contrat d'exploitation avec cette association, lequel portait alors sur un stade de 10 000 places, d'une piste d'athlétisme, de vingt-et-un courts de tennis et d'un terrain de hockey. En octobre 2003, la société Y manifesta son intérêt auprès de la ville de Paris pour l'exploitation des terrains de tennis, dont on imagine assez facilement qu'ils drainent des masses financières conséquentes compte tenu de leur emplacement. Seulement, le conseil de Paris lui opposa une fin de non-recevoir en approuvant en 2004 le projet de convention autorisant l'association (celle-ci ayant changé de dénomination à la suite du remplacement d'une banque par un groupe de communication à sa direction) à occuper pour vingt ans supplémentaires le domaine public de la ville de Paris. En 2006, la société Y intenta alors un recours pour excès de pouvoir contre la délibération d'approbation du conseil de Paris et contre les décisions du maire de 2004, plus précisément contre la décision de signer la convention et contre la décision d'écarter la candidature de la société Y.

Par un jugement du 31 mars 2009 (1), le tribunal administratif de Paris fit partiellement droit aux conclusions de la société requérante en annulant les décisions du maire au motif que la convention litigieuse devait s'analyser comme une délégation de service public, et qu'elles se rapportaient donc à un contrat conclu en violation des dispositions de l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0551IGI) qui imposent l'organisation d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. La première victoire obtenue par la société Y fut de courte durée. Certes, la cour administrative d'appel de Paris rejeta la demande de sursis à exécution de ce jugement formé par la ville de Paris et l'Association Paris Jean Bouin (2). Seulement, par une décision du 13 janvier 2010, les troisième et huitième sous-sections du Conseil d'Etat ont annulé cet arrêt et ordonné le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris (3).

Cet arrêt du Conseil d'Etat a mis le feu aux poudres (et a posé question quant au respect du principe d'impartialité (4)) et ravivé un conflit latent existant entre les juges du Palais Royal et la cour administrative d'appel de Paris. Se prononçant sur le fond de l'affaire, celle-ci a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris pour avoir omis de statuer sur un moyen mais n'a pas manqué de confirmer que la convention litigieuse était une délégation de service public (5). Elle l'a fait aux termes d'un arrêt particulièrement motivé et circonstancié alors que, parallèlement, le litige du stade Jean Bouin était aussi devenu une "affaire" dont le juge pénal avait été saisi. En effet, dès 2007, la société Y avait déposé plainte pour délit de favoritisme et recel de favoritisme contre le maire de Paris, le président de l'association et le président du groupe étant à la tête de celle-ci. La justice pénale a, cependant, reporté leur audition jusqu'au règlement du litige par la justice administrative. Inutile de préciser, dans ces conditions, que l'arrêt du Conseil d'Etat était autant attendu que redouté. Les contractants avaient beaucoup à perdre dans cette affaire et la société Y pouvait légitimement penser qu'elle allait emporter la victoire. Pour reprendre une nouvelle fois une image empruntée au monde du sport, la position de cette société ressemblait fort à celle d'une équipe possédant une balle de match dans la dernière manche de ce combat porté devant le juge administratif.

Malheureusement pour elle, le droit administratif a aussi son lot d'incertitudes et de surprises. Alors que la doctrine était quasi unanime pour dire que la convention litigieuse était une délégation de service public et qu'une telle convention d'occupation du domaine public, à supposer qu'elle ne soit pas une délégation de service public, ne pouvait pas être conclue sans procédure de publicité préalable, le Conseil d'Etat, suivant en cela les conclusions de son Rapporteur public, a retenu une solution radicalement différente en consacrant un double refus : le refus de qualifier la convention litigieuse de délégation de service public, d'une part (1°), et le refus de soumettre les conventions d'occupation du domaine public à un régime de publicité préalable, d'autre part (2°). La solution est contestable sur le premier point, elle l'est encore davantage sur le second.

1 - Le refus de qualifier la convention litigieuse de délégation de service public

La délégation de service public est définie par la loi (CGCT, art. L. 1411-1, précité) à partir d'un double critère matériel et financier. Elle est, en effet, "un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service" (6). Dans son arrêt du 25 mars 2010, la cour administrative d'appel de Paris avait considéré que la convention d'exploitation des équipements sportifs du stade Jean Bouin satisfaisait à l'un et à l'autre. S'agissant du critère matériel, elle avait déduit des stipulations contractuelles et de documents extérieurs au contrat la volonté de la ville de Paris de confier à l'association une mission de service public consistant en la gestion, sous son pilotage, d'un grand complexe sportif orienté vers l'ensemble des parisiens, sportifs ou spectateurs, avec pour objectifs principaux l'accueil d'une équipe professionnelle de rugby "résidente", l'offre de spectacles sportifs de qualité au plus grand nombre, l'encouragement de la pratique du sport, notamment chez le public scolaire ou universitaire et les personnes handicapées, et la formation de sportifs de haut niveau dans plusieurs disciplines (tennis, notamment féminin, athlétisme, basket, rugby et hockey).

Alors qu'il n'exerçait jusqu'à une période très récente qu'un contrôle de l'erreur de droit en matière de qualification des contrats administratifs spéciaux, le Conseil d'Etat exerce, désormais, en sa qualité de juge de cassation un contrôle plus poussé qui porte sur la qualification juridique. Admise en 2008 au sujet d'un avenant (7), cette solution a été appliquée en 2010 dans une affaire en matière de contrat de partenariat (8) et dans un arrêt du 19 novembre 2010 au sujet d'une délégation de service public portant sur la gestion du palais des sports et des spectacles d'une commune (9). C'est en vertu de ce contrôle et de l'exactitude de la qualification juridique du contrat litigieux que le Conseil d'Etat a pu, en l'espèce, démonter point par point l'argumentation développée par les juges d'appel. Le Conseil d'Etat a, tout d'abord, considéré que la seule présence d'un club de rugby professionnel sans autres contraintes que celles découlant de la mise à disposition des équipements sportifs ne caractérisait pas, à elle seule, une mission de service public. Contrairement à la cour administrative d'appel de Paris, qui avait cru pouvoir déduire l'existence d'une telle mission de service public du contenu de la convention conclue entre l'association et la société anonyme sportive professionnelle qui définissait les droits et les obligations respectifs des parties relatifs à l'utilisation du terrain de rugby, des tribunes et de certaines dépendances.

Le Conseil d'Etat a, ensuite, écarté le motif tiré de ce que la convention litigieuse se rapportait, dans une certaine mesure, à l'accueil du public scolaire. La cour administrative d'appel de Paris avait constaté que la convention de 2004 ne reprenait pas une clause de l'ancienne convention de 1990 qui obligeait l'occupant à mettre à la disposition de la direction de la jeunesse et des sports de la ville, et sous sa responsabilité, les installations sportives du stade Jean Bouin pendant la période scolaire. Elle avait, néanmoins, déduit d'un certain nombre d'indications matérielles (notamment du planning d'utilisation des équipements qui figurait en annexe du contrat) que cette obligation n'avait pas pour autant totalement disparu. Le Conseil d'Etat considère, au contraire, dans une formule peu convaincante, que cette annexe s'est bornée à constater la répartition hebdomadaire des créneaux d'utilisation du stade Jean Bouin et de la piste d'athlétisme par l'équipe professionnelle de rugby du stade français et le public scolaire, et que la cour ne pouvait donc pas en déduire une obligation pour l'occupant de mettre lesdits équipements à disposition du public scolaire.

La cour administrative d'appel avait considéré, en troisième lieu, que le programme de modernisation prévu au contrat, portant sur un investissement prévisionnel de 10 millions d'euros sur 20 ans, ne pouvait pas avoir pour seul objet de satisfaire les besoins propres de l'occupant et qu'il constituait, en vérité, une obligation de service public pesant sur l'occupant. Plus encore, la modicité de la redevance domaniale (50 000 euros par an, soit moins de 1 euros par mètre carré dans les premières années, redevance ensuite calculée en fonction du chiffre d'affaires réalisé mais dans la limite maximale de 100 000 euros, soit moins de 2 euros par mètre carré) avait été considérée, par la cour administrative d'appel, comme la contrepartie nécessaire de cette même obligation de service public. Le Conseil d'Etat fait une lecture différente des termes du contrat en relevant que le programme d'investissement répondait au seul besoin de conservation des dépendances et ne pouvait donc pas être assimilée à une obligation de service public. La section du contentieux relève, également, que la redevance domaniale a été déterminée conformément aux modalités de calcul des redevances d'occupation domaniale. Ce dernier motif est contestable, car s'il est vrai que la redevance est effectivement calculée depuis le 1er janvier 2008 sur la base d'une part fixe (50 000 euros) et d'une part proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé, il ne faut pas oublier que cette dernière part est, également, plafonnée à 50 000 euros. Cela peut laisser dubitatif eu égard à l'importance des recettes générées par l'exploitation de ces installations sportives.

La cour administrative d'appel avait pris appui, en quatrième lieu, sur le fait que la convention comportait une clause de rendez-vous en cas de déséquilibre financier des comptes d'exploitation de l'occupant. Plus précisément, il était prévu que les parties devaient se rencontrer afin d'étudier les mesures propres à assurer la pérennité de l'association, la continuité des activités sportives et la préservation des biens concédés. Pour la cour administrative d'appel, cette clause témoignait de l'existence d'un droit de regard de la ville de Paris sur la mission de service public dévolue à l'association. Le Conseil d'Etat juge, au contraire, qu'elle ne fait que révéler la volonté de la ville de Paris de garantir la meilleure utilisation du domaine public tout en restant compatible avec son objet relatif à l'accueil des activités sportives.

Enfin, la cour administrative d'appel avait pris en compte les conventions annuelles d'objectifs conclues, de 2001 à 2006, entre la ville de Paris et l'association. Elle en avait déduit que la ville de Paris souhaitait pouvoir organiser les activités menées au sein des installations sportives. Une fois de plus, le Conseil d'Etat écarte cette argumentation en relevant que la conclusion de ces conventions était imposée par l'article L. 113-2 du Code du sport (N° Lexbase : L6289HNA), et que leur seul objet porte sur l'encadrement et le contrôle des subventions accordées par les personnes publiques.

Au total, l'activité d'intérêt général prise en charge par l'association ne présente pas les qualités requises pour être érigée en mission de service public. Appliquant la grille d'analyse fixée par la jurisprudence "Aprei" (10), le Conseil d'Etat estime que les éléments relevés par la cour administrative d'appel de Paris ne traduisaient pas un contrôle permettant de caractériser la volonté de la ville de Paris de faire de cette activité d'intérêt général une authentique mission de service public. Ils illustraient seulement le pouvoir dont dispose le maître du domaine à l'égard de l'occupant principal et des sous-occupants.

2 - Le refus de soumettre la passation des conventions domaniales à un régime de publicité préalable

C'est précisément la question du régime de passation des conventions d'occupation du domaine public qui a justifié le renvoi du litige à la section du contentieux du Conseil d'Etat. En effet, plusieurs arguments plaidaient pour que le juge administratif prenne l'initiative, faute pour le législateur délégué d'avoir saisi l'occasion qui lui avait été offerte en 2006 lors de l'adoption du Code général de la propriété des personnes publiques, de déterminer un régime de passation minimal.

Il faut rappeler que le principe est celui de la liberté des personnes publiques en matière d'occupations domaniales. Elles ne sont pas tenues d'organiser une procédure particulière de passation préalablement à l'octroi d'une autorisation unilatérale d'occupation, ou à la conclusion d'un contrat d'occupation. Cette liberté s'explique classiquement par l'idée que la gestion du domaine public relève de la police administrative. Seulement, cette présentation et ce fondement classiques ne correspondent plus tout à fait à la réalité des choses aujourd'hui. S'il demeure un objet de police administrative, le domaine public est également devenu, au fil du temps, le siège d'activités économiques importantes. Il est tout à la fois une richesse pour la collectivité publique qui souhaite le valoriser, et un avantage économique indéniable pour l'opérateur économique intervenant sur un marché concurrentiel.

Deux éléments d'importance auraient pu conduire le Conseil d'Etat à renverser ce principe. Le premier nous vient du droit de l'Union européenne. Dans son arrêt "Telaustria" du 7 décembre 2000 (11), la Cour de justice s'est, en effet, fondée sur le principe de non-discrimination en raison de la nationalité inscrit à l'article 12 du TCE pour imposer le respect du principe de transparence en matière de concession de services, alors que la passation de tels contrats n'était alors soumise à aucune obligation de publicité et de mise en concurrence par le droit dérivé. Sur la base de ce principe de transparence, la Cour a développé une jurisprudence constructive qui lui a permis d'imposer des obligations minimales de publicité et de mise en concurrence à certains contrats qui échappaient, par ailleurs, au droit dérivé (marchés publics d'un montant inférieur aux seuils fixés par les Directives (12), affermage (13), etc.). Dans un jugement remarqué, le tribunal administratif de Nîmes a fait une lecture audacieuse de cette jurisprudence en considérant que les conventions d'occupation du domaine public devaient, elles aussi, être gouvernées par ce principe communautaire de transparence (14). Le respect du principe national d'égalité aurait, également, pu être exploité par le Conseil d'Etat pour consacrer une obligation de publicité préalable à la conclusion des conventions domaniales. L'occupation du domaine public constitue, en effet, une ressource rare, pour laquelle les opérateurs économiques intervenant sur un marché concurrentiel sont prêts à entrer en compétition. Or, cette compétition ne peut être loyale que si les opérateurs potentiellement intéressés ont connaissance de la volonté de la personne publique de mettre son domaine public à leur disposition. Le respect du principe d'égalité exige donc le respect d'un principe de transparence.

Malgré ces arguments, le Conseil d'Etat s'est refusé à consacrer un principe général du droit imposant cette transparence. Il a préféré s'en tenir, dans la présente espèce, à un simple rappel de l'état du droit qui, avouons-le, n'est guère satisfaisant et ne manquera pas, à un moment ou à un autre, d'être stigmatisé par les autorités européennes. Pour le moment, il faut savoir qu'"aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n'imposent à une personne publique d'organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d'une autorisation ou à la passation d'un contrat d'occupation d'une dépendance du domaine public, ayant dans l'un ou l'autre cas pour seul objet l'occupation d'une telle dépendance [...] il en va ainsi, même lorsque l'occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel". La personne publique a seulement la faculté, et nullement l'obligation, d'organiser une procédure de publicité et, le cas échéant, de mise en concurrence.

  • La qualification des contrats relatifs à la gestion du domaine privé des personnes publiques : l'utilité persistance du critère de la clause exorbitante du droit privé (CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 331837, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4278GKN)

Il existe deux techniques différentes permettant de déterminer la qualification juridique des contrats conclus par l'administration. La première méthode renvoie à l'hypothèse d'une qualification opérée par un texte, soit que le texte ait clairement déterminé la nature administrative ou privée du contrat, soit qu'il ait attribué son contentieux au juge administratif ou au juge judiciaire, soit qu'il ait déterminé les règles devant lui être appliquées. Ces qualifications textuelles sont aujourd'hui nombreuses (marchés publics, contrats de partenariat, contrats d'occupation du domaine public, notamment). La seconde méthode, subsidiaire (15), renvoie à l'hypothèse d'une qualification opérée en application des critères jurisprudentiels. La nature administrative du contrat découle alors de la réalisation d'un critère organique (présence d'au moins une personne publique) et d'un critère matériel relatif à l'objet du contrat (service public ou travail public), à la soumission du contrat à un régime exorbitant, ou à la présence dans le contrat de clauses exorbitantes (16).

C'est précisément ce dernier critère qui était en cause dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 novembre 2010. Dans cette affaire, l'Office national des forêts avait conclu une convention en 2007 par laquelle elle avait autorisé M. X à occuper un terrain en forêt domaniale de Mimizan pour y exploiter un centre équestre. Quelques mois plus tard, l'établissement public a prononcé la résiliation anticipée de ladite convention, résiliation qui a été contestée par l'occupant devant le juge administratif. Le président du tribunal administratif de Pau a alors rejeté les conclusions du requérant au motif qu'elles avaient été portées devant une juridiction incompétente. La cour administrative d'appel de Bordeaux a ensuite annulé cette ordonnance et renvoyé le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Pau. Saisi d'un recours en cassation dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat devait répondre à une question classique : quelle est la nature juridique des contrats relatifs à la gestion du domaine privé des personnes publiques ? La solution apportée par la Haute juridiction administrative est sans surprise. La nature de tels contrats ne peut être déterminée qu'au regard du critère des clauses exorbitantes du droit privé (ou éventuellement du régime exorbitant) dès lors que la gestion du domaine privé n'est pas assimilée par la jurisprudence à une mission de service public (17).

Les contrats relatifs à la gestion du domaine privé baignent naturellement dans une ambiance de droit privé. Le domaine privé est, en effet, largement soumis au droit privé et les contrats s'y rapportant ne font pas exception à la règle. Pour le dire plus directement, le juge administratif est plus exigeant pour affirmer l'exorbitance d'une clause lorsque celle-ci est stipulée dans un contrat relatif à la gestion du domaine privé. Il a été jugé, par exemple, que la clause par laquelle l'acquéreur d'un bien appartenant au domaine privé d'une commune s'oblige à n'effectuer les reventes de terrains viabilisés qu'à un prix maximum, et en l'absence de tout pouvoir de contrôle de la commune venderesse, ne mettait pas à la charge dudit acquéreur des obligations étrangères par leur nature à celles qui sont susceptibles d'être consenties par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales (18). De la même façon, n'a pas été jugée exorbitante la clause d'une convention d'occupation temporaire du domaine privé permettant au propriétaire de reprendre sans indemnité la jouissance de l'immeuble à tout moment et pour tout motif, sous réserve d'un préavis d'un mois (19).

Malgré cette tendance restrictive qui a fait dire à Philippe Yolka que la clause exorbitante ressemblait fort à "peau de chagrin" (20), le juge fait aussi preuve de réalisme comme le montre la présente affaire (21). En l'espèce, il ne rechigne pas à qualifier d'exorbitantes des clauses dont il était évident qu'elles sont rares, voire même exceptionnelles, dans le droit commun des relations contractuelles. Il en va, en effet, ainsi de la clause conférant à l'ONF un pouvoir de contrôle direct sur l'ensemble des documents comptables de l'occupant et de la clause écartant toute possibilité, pour l'occupant, de réclamer une indemnisation ou une diminution de loyer à l'ONF pour les travaux exécutés par l'établissement public sur la dépendance occupée, sur la voie publique, ou sur des immeubles voisins. Enfin, le Conseil d'Etat juge exorbitante la clause imposant à l'occupant d'observer les instructions que pourraient lui donner les agents assermentés de l'ONF dans le cadre de leur mission de surveillance et de protection des forêts et des terrains soumis au régime forestier.

  • Compétence du juge judiciaire pour connaître du refus de renouvellement d'une convention d'occupation du domaine privé (T. confl., 22 novembre 2010, n° 3764 N° Lexbase : A4408GLT)

Illustrant l'idée d'une privatisation très forte des opérations et actes se rapportant à la gestion du domaine privé des personnes publiques, le Tribunal des conflits précise, dans cette décision du 22 novembre 2010, que la contestation par une personne privée de l'acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, qu'elle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre, ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire. Appliquant cette solution au cas d'espèce, le répartiteur des compétences attribue au juge judiciaire le contentieux se rapportant au refus de renouvellement d'une convention d'occupation du domaine privé qui revêtait, en l'absence de clause exorbitante, la nature d'un contrat privé.

Cette solution ne manquera pas d'impacter à l'avenir le contentieux des actes et contrats se rapportant à la gestion du domaine privé. Jusqu'à présent, il était acquis que les actes unilatéraux relatifs à la passation et à l'exécution des contrats privés de l'administration étaient des actes administratifs dont le contentieux relevait du juge administratif. Cette solution n'était pas sans poser des difficultés, spécialement lorsqu'il fallait tirer les conséquences de l'annulation d'un acte administratif détachable sur le contrat privé (22). Désormais, il existe un bloc de compétence judiciaire en la matière. Le contentieux du contrat privé relatif à la gestion du domaine privé et les actes unilatéraux s'y rattachant relève du seul juge judiciaire. Cette solution de bon sens ne signifie pas pour autant que le contentieux des contrats relatifs à la gestion du domaine privé est totalement unifié et concentré entre les mains du juge judiciaire. Le contentieux de ces contrats continue de dépendre de la réalisation ou de la non-réalisation du critère de la clause exorbitante du droit privé (23). Le contrat administratif relatif à la gestion du domaine privé, ainsi que les actes unilatéraux s'y rapportant, continueront donc de relever de la compétence du juge administratif en cas de litige.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) TA Paris, 31 mars 2009, n° 0607283 (N° Lexbase : A4923EI8).
(2) CAA Paris, 4ème ch., 24 juin 2009, n° 09PA01921 (N° Lexbase : A2656EQG).
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 13 janvier 2010, n° 329576 (N° Lexbase : A2655EQE).
(4) CE Contentieux, 26 novembre 2010, n° 344505, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4508GMW), JCP éd. A, 2010, 922, note M.-C. Rouault.
(5) CAA Paris, 2ème ch., 25 mars 2009, n° 06PA03195 (N° Lexbase : A8496EGR).
(6) C'est nous qui soulignons.
(7) CE Contentieux, 11 juillet 2008, n° 312354 (N° Lexbase : A6133D9Z).
(8) CE 2° et 7° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 326544, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9939E4U).
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 320169, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4253GKQ).
(10) CE, S., 22 février 2007, n° 264541 (N° Lexbase : A2709DUU), Rec. CE, p. 92, concl. C. Vérot, AJDA, 2007, p. 793, chron. F. Lenica et J. Boucher.
(11) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98 (N° Lexbase : A1916AWU).
(12) CJCE, 20 octobre 2005, aff. C-264/03 (N° Lexbase : A9685DKW).
(13) CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03 (N° Lexbase : A7748DK8).
(14) TA Nîmes, 24 janvier 2008, n° 0600809 (N° Lexbase : A3978EBX), AJDA, 2008, p. 2172. Ce jugement a été annulé par la cour administrative d'appel de Marseille dans un arrêt du 6 septembre 2010 (CAA Marseille, 7ème ch., 6 septembre 2010, n° 08MA01997 N° Lexbase : A2144GBZ), mais pour un motif autre que celui qui nous intéresse ici.
(15) Parce que ne jouant qu'en l'absence de qualification textuelle.
(16) CE Contentieux, 31 juillet 1912, n° 30701 (N° Lexbase : A6681A7L), Rec. CE, p. 909, concl. L. Blum.
(17) T. confl., 3 novembre 1950, Rec. CE, p. 534 ; CE, S, 26 janvier 1951, Rec. CE, p. 49, etc.
(18) CAA Marseille, 6ème ch., 19 novembre 2007, n° 04MA01103 (N° Lexbase : A8892D3Q), AJDA, 2008, p. 548.
(19) T. confl., 20 février 2008, n° 3623 (N° Lexbase : A3438D7H), AJDA, 2008, p. 436, Dr. adm. 2008, comm. n° 64, note F. Melleray, JCP éd. A, 2008, 2117, note P. Yolka.
(20) P. Yolka, JCP éd. A, 2008, 2117.
(21) Voir, également, CAA Paris, 1ère ch., 3 décembre 2009, n° 08PA02952 (N° Lexbase : A5249EQH), JCP éd. A, 2010, 2086, chron. C. Chamard-Heim.
(22) Voir l'exemple de la célèbre affaire "Epoux Lopez" : CE, S, 7 octobre 1994, n° 124244 (N° Lexbase : A3055ASX), Rec. CE, p. 430, concl. R. Schwartz, AJDA, 1994, p. 867, chron. L. Touvet et J.-H Stahl, RFDA, 1994, p. 1090, concl. R. Schwartz et note D. Pouyaud.
(23) Voir, supra, CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 320169.

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Environnement

[Questions à...] Etat du contentieux de la construction d'éoliennes - Questions à Aurélie Benech, avocat au barreau de Paris, cabinet Huglo Lepage & Associés Conseil

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 04 Janvier 2011

L'éolienne, nouveau mode de production d'électricité considéré comme plus "éco-compatible" que l'énergie nucléaire, suscite, néanmoins un contentieux important alimenté par l'inquiétude des riverains face à l'édification de ce type d'ouvrage d'une ampleur souvent imposante. D'un côté, les pouvoirs publics durcissent leurs conditions de construction en intégrant les projets éoliens dans le champ d'application de la législation sur les installations classées, et imposent leur éloignement des habitations, ainsi que des garanties financières accrues pour le démantèlement et la remise en état des sites après exploitation. De l'autre, le juge administratif apporte sa pierre à la lutte contre le dérèglement climatique en oeuvrant en faveur de l'implantation des éoliennes. En effet, dans une décision rendue le 16 juin 2010, le Conseil d'Etat a jugé que l'implantation des éoliennes en zone de montagne peut déroger au principe d'urbanisation en continuité dès lors qu'elles constituent des installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées. Pour faire le point sur ce contentieux en plein ébullition, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Aurélie Benech, avocat au barreau de Paris, cabinet Huglo Lepage & Associés Conseil. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le régime juridique actuel des éoliennes ?

Aurélie Benech : Les éoliennes sont, tant que la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement (N° Lexbase : L7066IMN), dite loi "Grenelle 2", n'est pas encore entrée en vigueur, considérées comme de simples constructions au même titre que les installations photovoltaïques. A ce jour, un projet éolien ne peut être réalisé sans l'obtention préalable d'une autorisation d'urbanisme et la conclusion de diverses conventions avec le gestionnaire du réseau pour raccordement de l'éolienne à celui-ci et avec EDF en vue de l'achat de l'électricité produite.

Sont dispensées de toute formalité, au titre du Code de l'urbanisme, les éoliennes dont la hauteur du mât et de la nacelle au-dessus du sol est inférieure à 12 mètres (C. urb., art. R. 421-2 N° Lexbase : L7450HZX). En revanche, pour les éoliennes d'une hauteur supérieure ou égale à 12 mètres, l'obtention d'un permis de construire est indispensable. Par ailleurs, une étude d'impact est requise en vue de la délivrance du permis de construire pour les travaux d'installation et de modernisation des ouvrages dont la hauteur du mât est supérieure à 50 mètres (C. envir., art. L. 553-2 N° Lexbase : L8835IM8, R. 122-5, 20° N° Lexbase : L9887IDK et R. 122-8, 15° N° Lexbase : L5109IM8).

Pour les travaux d'installation des ouvrages de production d'énergie éolienne dont la hauteur du mât est inférieure ou égale à 50 mètres, une notice d'impact indiquant leurs incidences éventuelles sur l'environnement et les conditions dans lesquelles l'opération projetée satisfait aux préoccupations d'environnement est, quant à elle, requise (C. envir., art. L. 553-2 N° Lexbase : L8835IM8 et R. 122-9, 13° N° Lexbase : L9894IDS). Même avant d'être considérées comme des installations classées pour la protection de l'environnement (ci-après ICPE), les éoliennes devaient donc déjà prendre en compte leur incidence sur l'environnement au travers de la notice ou de l'étude d'impact.

Par ailleurs, l'information du public est, également, d'ores et déjà organisée dès lors que, dans le cadre de la délivrance du permis de construire, l'organisation d'une enquête publique pour les travaux d'installation des ouvrages de production d'énergie éolienne dont la hauteur du mât dépasse 50 mètres est exigée (C. envir., art. R. 123-1, annexe 1, 34° N° Lexbase : L4775HBH). Les riverains ont donc déjà la possibilité de consulter le dossier entier et, notamment, l'étude d'impact, et de formuler des observations auprès d'un commissaire enquêteur indépendant, nommé à cet effet.

Il convient, également, de souligner que les exploitants d'éoliennes situées sur le domaine public maritime doivent constituer des garanties financières relatives au démantèlement des installations dès le début de leur construction, et pas uniquement au cours de l'exploitation comme pour les autres éoliennes (C. envir., art. L. 553-3 N° Lexbase : L8837IMA). La modification profonde instituée par la loi "Grenelle 2" n'est donc pas réellement une révolution, du moins en ce qui concerne la prise en compte de l'environnement.

Lexbase : Qu'en est-il du contenu nécessaire du dossier de l'enquête publique et de l'étude d'impact ?

Aurélie Benech : L'organisation d'une enquête publique avant la délivrance d'un permis de construire pour les travaux d'installation d'éoliennes dont la hauteur du mât dépasse 50 mètres est obligatoire (C. envir., art. R. 123-1, annexe 1, 34°, précité). A ce titre, l'ensemble du dossier de permis de construire, les avis qui ont pu être émis sur cette demande, la notice ou l'étude d'impact, ainsi que la mention des textes qui régissent l'enquête publique et l'indication de la façon dont cette enquête s'insère dans la procédure administrative doivent être soumis à enquête publique (C. envir., art. R. 123-6 N° Lexbase : L5268HNG).

S'agissant du contenu de l'étude d'impact, celui-ci est régi par un principe général de proportionnalité entre, d'une part, la nature et l'importance du projet et, d'autre part, la sensibilité du site. En effet, l'article R. 122-3, I du Code de l'environnement (N° Lexbase : L4799HBD) énonce que "le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement". En fonction de la fragilité du milieu, l'étude d'impact devra être plus ou moins précise.

On doit, cependant, retrouver dans celle-ci une analyse de l'état initial du site et de son environnement, l'analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l'environnement, les raisons pour lesquelles, parmi les partis envisagés, le projet a été retenu, ainsi que les mesures compensatoires envisagées et leur estimation (C. envir., art. R. 122-3, précité). Il est évident que, pour les éoliennes, l'étude d'impact devra faire une place beaucoup plus grande aux sites et paysages que s'agissant d'une installation de stockage de déchets où l'un des éléments fondamentaux sera la qualité du sol et sa capacité à préserver de la qualité de l'eau.

Lexbase : Quels sont les critères pouvant justifier une annulation d'un permis de construire concernant un projet d'éoliennes ?

Aurélie Benech : Tout d'abord, il me paraît utile de souligner que d'assez nombreux refus de permis de construire sont opposés en matière de projets éoliens. Une grande partie du contentieux dont sont actuellement saisies les juridictions administratives est constituée de recours contre des refus de permis de construire ou des retraits de permis tacites. Et même lorsqu'un permis de construire est délivré, il peut encore faire l'objet d'un recours en annulation de la part de riverains.

Sur la forme, le juge administratif peut estimer que le dossier de demande de permis de construire n'est pas suffisant et que certains éléments font défaut. Si certains plans ou documents exigés par le Code de l'urbanisme ne sont pas joints à la demande, il peut estimer que l'administration n'a pas été véritablement mise à même de se prononcer sur ce projet. En matière d'éoliennes, le juge se montre, bien évidemment, particulièrement exigeant en ce qui concerne l'intégration paysagère du projet.

Un motif très souvent retenu est lié à l'application de l'article R. 111-21 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7387HZM) qui prévoit la possibilité de refuser la délivrance d'un permis de construire "si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales". Ainsi, la cour administrative d'appel de Marseille a récemment annulé un arrêté de permis de construire relatif à l'implantation de huit aérogénérateurs sur les contreforts du plateau de l'Aubrac sur ce fondement (1).

Le juge administratif a, en effet, estimé que l'édification sur une ligne de plus d'un kilomètre de huit aérogénérateurs d'une hauteur de plus de 50 mètres constitue "une rupture notable dans les perspectives de ce paysage et altère la qualité des lieux avoisinants le projet". Les risques pour la sécurité publique ont pu également être pris en compte par le juge administratif au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme (2). Il peut aussi prendre en compte, le cas échéant, les règles d'urbanisme applicables à la zone -essentiellement le plan local d'urbanisme ou le plan d'occupation des sols- ces règles étant propres à chaque commune.

Lexbase : Quels bouleversements sont induits par le classement en ICPE des éoliennes de la loi "Grenelle 2" ? Ceci risque-t-il de mettre en péril le développement de ce secteur ?

Aurélie Benech : Les modifications opérées par la loi "Grenelle 2" concernent la phase de mise en oeuvre du projet, ainsi que la phase d'exploitation de l'installation. S'agissant de la phase d'instruction du projet, une demande d'autorisation d'exploiter au titre des ICPE devra être obtenue pour les parcs éoliens comprenant 5 éoliennes dont la hauteur des mâts dépasse 50 mètres. Une instruction supplémentaire de la part des services de l'Etat va donc être nécessaire. Par ailleurs, le fait de classer en ICPE les éoliennes va ouvrir une possibilité contentieuse supplémentaire aux opposants à ce type de projets qui pourront non seulement contester le permis de construire, mais aussi l'autorisation d'exploiter.

A ce titre, il est utile de souligner que le délai de recours contre une autorisation d'exploiter est de six mois pour les tiers à compter de la publication ou de l'affichage de l'autorisation (C. envir., art. L. 553-4 N° Lexbase : L8838IMB), ce qui est plus long que le délai de deux mois applicable en matière de permis de construire. Cette voie de recours est d'autant plus intéressante que le juge administratif est un juge du plein contentieux et qu'il dispose, à ce titre, de pouvoirs relativement larges.

Toutefois, à mon sens, le véritable apport de la soumission des éoliennes au régime des ICPE réside dans le suivi et le contrôle qui va pouvoir être opéré par la police des ICPE tout au long de l'exploitation de ces installations. Les inspecteurs des ICPE vont pouvoir contrôler le respect de l'autorisation d'exploiter et sanctionner, le cas échéant, le non-respect des prescriptions, et ce, jusqu'à au démantèlement des éoliennes.

Lexbase : Le Conseil d'Etat a rendu une décision particulièrement importante le 16 juin 2010 concernant l'implantation des éoliennes en zone de montagne. Quelles conséquences concrètes cet arrêt implique-t-il ?

Aurélie Benech : Le Conseil d'Etat a, en effet, affirmé, dans cet arrêt (3), que la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne (N° Lexbase : L7612AGZ), dite "loi montagne" et, notamment, l'article L. 145-3, III du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5826HD7), est opposable à des projets d'éoliennes. Le juge considère donc que l'implantation d'éoliennes est bien une opération d'urbanisation au sens des dispositions de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme.

Toutefois, dès lors qu'il s'agit de projets importants, on peut considérer qu'il s'agit d'"installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage en zone habitées" au sens de l'article L. 145-3, III du Code de l'urbanisme. Il en résulte que les éoliennes peuvent être implantées, en zone de montagne, en discontinuité avec les bourgs, villages, hameaux, et groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants.


(1) CAA Marseille, 1ère ch., 15 janvier 2010, n° 07MA00898 (N° Lexbase : A2088ERR).
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 281072 (N° Lexbase : A2892DSW), Rec. Lebon, p. 1104 ; CAA Lyon, 1ère ch., 5 avril 2005, n° 04LY00431 (N° Lexbase : A3018DKY).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 16 juin 2010, n° 311840, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9801EZZ) et lire la chronique de Frédéric Dieu, Actualités de droit interne de droit de l'urbanisme, Lexbase Hebdo n° 164 du 13 juillet 2010 - édition publique (N° Lexbase : N6333BPA).

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Famille et personnes

[Questions à...] Affaire "Zoé Renault" : droits et libertés fondamentaux versus liberté du commerce - Questions à David Koubbi et Julien Dami Le Coz, Avocats à la cour, Cabinet 28 octobre

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 04 Janvier 2011

Zoé, c'est ainsi que Renault a choisi de prénommer sa future petite berline, voiture électrique destinée au grand public, qui devrait être commercialisée mi-2012. C'est aussi le prénom de deux fillettes dont les parents, de patronyme Renault, sont bel et bien décidés à interdire le fabricant de voitures à user dudit prénom à titre de marque commerciale, afin d'éviter que leurs enfants ne soient l'objet de moqueries constantes. Le 10 novembre 2010, le juge des référés du TGI de Paris les a déboutés de leur requête en référé (TGI Paris, 10 novembre 2010, n° 10/59262 N° Lexbase : A1816GNL). Une première défaite, mais le début d'un combat pour ces familles et l'Association pour la défense de nos prénoms (ADNP), ainsi que leurs avocats Maîtres David Koubbi et Julien Dami Le Coz, Avocats à la cour, du Cabinet 28 octobre, que nous avons rencontrés et qui ont accepté de répondre à nos questions. Droits et libertés fondamentaux versus liberté du commerce, tel est l'enjeu du débat. Lexbase : Juridiquement, au regard de la législation française aujourd'hui en vigueur, Renault soutient que rien ne fait interdiction à une entreprise d'utiliser un prénom, à titre de marque commerciale. Est-ce exact ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : La société Renault se fonde, en effet, sur l'appréhension jurisprudentielle, relativement restrictive, qui est faite de l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8991G9U), laquelle subordonne l'interdiction d'un dépôt de marque fondée sur les droits de la personnalité d'un tiers à la preuve d'un risque de confusion pour le public. Et, selon la société Renault, la démonstration d'un tel risque de confusion serait impossible car un prénom est partagé par de nombreuses personnes et n'identifierait, par conséquent, aucune d'entre elles en particulier.

S'il n'est pas douteux que le prénom, accessoire du nom patronymique, bénéficie de la protection accordée par l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, lequel prévoit une liste non exhaustive des droits de la personnalité ("notamment"), il demeure que la jurisprudence n'accorde, il est vrai, une telle protection au prénom que lorsque, par son originalité et par sa rareté, il ne peut être considéré comme d'un usage courant en France et que la personne qui le porte est connue du public principalement sous son prénom (TGI de la Seine, 1ère ch., 9 octobre 1963, à propos du prénom Soraya).

C'est forte de ce constat que la société Renault exploite des prénoms pour dénommer des voitures, à des fins strictement commerciales, comme "Logan", "Mégane" ou encore "Clio", et donc demain "Zoé", si rien n'est fait.

Les 6 000 personnes membres du groupe Facebook "Zoé n'est pas une voiture" et nous-mêmes pensons que cette utilisation abusive d'un prénom à des fins mercantiles et commerciales, n'est pas admissible dès lors qu'elle s'avère préjudiciable à ceux qui ont eu le malheur de le porter.

L'argumentation de la société Renault emprunte beaucoup au droit des marques, alors même que ce n'est pas le terrain sur lequel nous avons initié ce débat. Cela reviendrait à dire, "rien n'interdit à Renault, en droit de la copropriété, d'utiliser un prénom pour nommer une voiture". Soit. La question se pose donc au-delà du simple droit des marques pour concerner plus largement les droits et libertés fondamentaux.

Lexbase : Il convient donc de se placer sur un terrain supralégislatif. Vous vous placez sur celui de la CESDH. Pouvez-vous nous préciser comment vous caractérisez l'atteinte portée aux droits de la personnalité ? Au droit au respect de la vie privée ? Au droit au respect de la dignité humaine ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : La problématique vient heurter des principes fondamentaux de notre droit et parmi eux, notamment, les droits de la personnalité, le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit au respect de la dignité humaine.

En premier lieu, il faut rappeler que les droits de la personnalité s'entendent des droits extrapatrimoniaux, lesquels se caractérisent par le fait qu'ils sont attachés à la personne de leur titulaire et qu'ils sont à la fois perpétuels, inaliénables et imprescriptibles.

A cet égard, il est significatif de constater que le nom bénéficie d'une protection toute particulière. C'est ainsi que le tribunal civil de la Seine a pu juger, le 9 octobre 1963, que "toute personne est maîtresse de l'usage de son nom et peut s'opposer à ce que ce nom soit utilisé pour la vente d'un produit dans le commerce ou comme titre d'une oeuvre" (Gaz. Pal., 1964, 1, p. 73). Le tribunal de grande instance de Nancy considérait, également, dans un jugement en date du 15 octobre 1976, "qu'il est de jurisprudence constante que l'image est un prolongement de la personnalité, toute personne a sur elle ainsi que sur son nom, un droit absolu et imprescriptible". Le tribunal de grande instance de Paris avait aussi jugé, le 12 juin 1992, que "le nom constitue un élément de la personnalité qui ne peut être exploitée à une fin lucrative sans l'autorisation de son titulaire". Plus spécifiquement, le tribunal de grande instance de Nanterre a eu à statuer à propos d'une campagne de publicité mettant en scène un personnage ridicule, appelé "Leneuf", qui avait engendré un véritable harcèlement téléphonique des familles portant le nom "Leneuf". Par ordonnance de référé en date du 15 mai 2000, le tribunal a retenu la responsabilité de l'opérateur en considérant qu'il avait manifestement excédé les limites de sa liberté d'expression au détriment des droits de la personnalité des tiers (TGI Nanterre, ord. réf., 15 mai 2000, D., 2001, somm., p. 2081, obs. crit. Lepage A., Dict. perm. dr. aff., Bull. 539, p. 8525). Ainsi, la publicité en cause était "de nature à troubler les porteurs d'un patronyme dans leur vie quotidienne, par une modification dévalorisante de leur image, favorisant la persécution dont ils se plaignent".

L'utilisation du nom d'autrui à des fins publicitaires ou commerciales ne doit, dès lors, pas avoir pour effet de porter préjudice aux personnes porteuses de ce nom, sauf à méconnaître le droit de la personnalité. Cet état du droit doit, selon nous, par analogie, être étendu et appliqué au prénom ("pré-nom" ou encore appelé nom particulier par distinction du nom patronymique) qui mérite la même protection juridique dans la mesure où il poursuit les mêmes finalités, celles du développement, de l'identification et de l'épanouissement tant social que familial et personnel.

Autrement dit, une interprétation téléologique de la jurisprudence applicable au nom et de la protection qui lui est accordée doit conduire à prohiber l'usage abusif, comme il est le cas pour l'exploitation du prénom "Zoé" par Renault, d'un prénom lorsqu'il est guidé par des choix publicitaires et commerciaux et qu'il est de nature à produire des effets préjudiciables à autrui.

En deuxième lieu, le droit au respect de la vie privée, qui dispose d'une valeur supra-législative en ce qu'il est reconnu et protégé par l'article 8 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), est également méconnu lorsque la société Renault exploite un prénom pour dénommer un véhicule automobile.

La Cour européenne des droits de l'Homme le souligne avec une grande clarté, considérant que le nom de famille et le prénom sont :

- un "droit pour l'individu de nouer et développer des relations avec ses semblables" (CEDH, 22 février 1994, aff. 49/1992/394/472 N° Lexbase : A2337AIE)

- un "moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille" ; "le prénom d'une personne, comme son patronyme, concerne sa vie privée et familiale. De surcroît, le choix du prénom de l'enfant par ses parents revêt un caractère intime et affectif, et entre donc dans la sphère privée de ces derniers" (CEDH, 24 octobre 1996, Req. 52/1995/558/644 N° Lexbase : A8339AWR ; CEDH, 17 juin 2003, Req. 63056/00 N° Lexbase : A7829C8H).

La contradiction entre la pratique commerciale de la société Renault et les fonctions attribuées au prénom est évidente. C'est, en ce sens, que nous avons pu soutenir que le droit au respect de la vie privée avait été violé.

Et ce d'autant que le prestataire de Renault, ayant jugé opportun d'utiliser des prénoms, a clairement déclaré au média ECO89 que l'utilisation d'un prénom pour un véhicule visait l'objectif de "leur donner un côté sympathique pour compenser certaines performances réduites".

L'atteinte me paraît caractérisée par l'objectif poursuivi : avec le prénom des enfants (plus de 4 000 Zoé naissent par an), on va donner un côté sympathique à un véhicule pour compenser certaines performances réduites.

Enfin, le fondement du droit au respect de la dignité humaine, quoique surprenant de prime abord, nous a semblé à l'analyse tout à fait opportun. Personne n'ignore que ce principe est fondamental, universel, matriciel et indérogeable. Il trouve à s'imposer en tous domaines et dès lors même en matière publicitaire et commerciale.

Nous n'avons pas bien saisi en quoi le Code de commerce prévaudrait sur le Code civil. Nous allons expliquer cela à Renault.

A cet effet, les recommandations de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité sont fort explicites :

- "la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou de provoquer en propageant une image de l'enfant portant atteinte à sa dignité ou à la décence. La publicité ne doit pas mettre en scène l'enfant dans des situations susceptibles de le dévaloriser ou de porter atteinte à son intégrité physique ou morale. La publicité ne doit pas être de nature à susciter chez l'enfant un sentiment d'angoisse ou de malaise. Lorsque la publicité fait référence à la nudité enfantine, il convient de veiller à ce que le comportement de l'enfant corresponde aux attitudes qu'il est susceptible d'adopter habituellement dans son environnement quotidien" (Recommandation du 14 mars 2002 de l'ARPP, disponible sur le site http://www.arpp-pub.org/) ;

- "le respect de la dignité de la personne humaine est un principe universel", de sorte que "la publicité doit éviter toute dévalorisation ainsi que toute exploitation abusive de la personne humaine et de son image", "le respect de ces principes doit s'apprécier selon la sensibilité du corps social à un moment donné, le public exposé à la publicité, le contexte social ou culturel et son évolution, l'actualité" (Recommandation d'octobre 2001 consacrée à l'image de la personne humaine).

Il ressort encore de la Recommandation du 6 septembre 2001, consacrée à l'image de la personne humaine que :

- "la publicité doit éviter toute dévalorisation ainsi que toute exploitation abusive de la personne humaine et de son image" ;

-"la communication de marketing doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur [...], le sexe".

Par ailleurs, l'article 4 (responsabilité sociale) du Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing prévoit que "la communication de marketing doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur la race, l'origine nationale, la religion, le sexe, l'âge, le handicap ou l'orientation sexuelle".

Enfin, la recommandation du 14 mars 2002 de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) fait valoir que "la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou de provoquer en propageant une image de l'enfant portant atteinte à sa dignité".

Or, nous regrettons la tendance actuelle et croissante qui tend à utiliser des prénoms pour désigner des produits, au mépris de l'humain. Dans le cas de Renault, la problématique est assez spécifique car, contrairement aux autres marques, le constructeur commercialise bien des Clio, des Logan, des Mégane et demain peut-être des Zoé, c'est assez peu répandu dans la mesure où d'autre marques comme Alice, Francine, Nicolas... ne vendent pas des Alice, Francine...

La voiture "Zoé" est dénommée ainsi afin d'être sympathique, rigolote, mignonne, féminine, miniature, à l'image d'une petite fille prénommée "Zoé", pleine de vie. Et cette assimilation d'une petite fille pleine de vie et prénommée "Zoé" à un moyen de locomotion qui peut donner la mort, qui terminera à la casse, qui va générer des remarques désobligeantes n'est pas compatible avec le principe de la dignité humaine.

Nous croyons que Renault n'ignore rien de cela puisque sa Direction de la commercialisation écrivait, en 2005, "nous tenons à vous rassurer... Nous pouvons comprendre votre réaction... Zoé n'est qu'un concept car qui n'est pas destiné à être commercialisé et que vous ne verrez donc pas dans la rue...".

J'imagine que Renault a simplement misé sur le fait que les justiciables (qui se trouvent également être leurs clients) ne se fédèreraient pas.

C'est raté.

Lexbase : Quel est, aujourd'hui, le degré de protection du prénom ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Comme on vient de l'indiquer, la protection juridique du prénom par le droit national français apparaît insuffisante, de sorte qu'il convient de se fonder sur des principes fondamentaux.

Pour autant, il n'est pas inutile de préciser les fonctions attribuées au prénom, pour mieux comprendre le sens de notre action.

Le dictionnaire Le petit Robert définit le "prénom", comme le "nom particulier joint au nom patronymique et servant à distinguer les différentes personnes d'une même famille".

C'est ainsi que le nom patronymique poursuit une fonction sociale en ce qu'il s'analyse comme un instrument de police civile, permettant l'identification d'une personne au sein de la société. C'est ainsi également que l'Etat doit pouvoir distinguer les individus entre eux. Le nom permet alors de révéler l'appartenance d'un individu et de le rattacher à une famille ou plus anciennement une tribu.

Le nom patronymique détient également une fonction individuelle permettant d'individualiser la personne au sein de la société.

En complément du nom, chaque individu doit pouvoir se distinguer au sein de sa famille et être reconnu comme entité à part entière. C'est précisément la fonction accordée au prénom, qui, précédant le nom ("pré-nom"), s'érige en quelque sorte en nom personnel, attribut indissociable de la personne.

Le prénom permet alors de distinguer les membres d'une famille ou des homonymes portant le même nom. Plus encore, il est un facteur de développement et de cohésion sociale et le signe de l'appartenance à un groupe.

Il faut donc conclure que le prénom constituant un outil social symbolique et indispensable, vecteur d'intégration et d'épanouissement personnel, mérite à ce titre une protection juridique équivalente à celle accordée au nom patronymique.

Lexbase : Le juge des référés a estimé que les familles n'avaient pas su démontrer "le préjudice certain, direct et actuel" subi par les jeunes enfants. Pour obtenir l'interdiction d'utilisation du prénom, n'y a-t-il pas un problème quant à la preuve de la réalité du préjudice ou de l'atteinte subi, qui est forcément inexistant tant que le produit n'est pas commercialisé ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : C'est une équation de dupe et il a bien fallu que la magistrate saisie motive sa décision.

Nous nous attendions à ce que la preuve d'un préjudice certain, direct et actuel soit un obstacle à notre action. Toutefois, nous avons tenté de mettre en exergue dans notre argumentation les effets préjudiciables inévitables et imminents de l'usage du prénom "Zoé" pour dénommer un véhicule automobile.

Pendant ce temps, Renault plaidait que ZOE n'était pas un prénom car il n'y avait pas d'accent...

Le sens de notre raisonnement était le suivant. Aux termes de l'article 57 du Code civil (N° Lexbase : L8839G9A) et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, il apparaît que le choix des prénoms de l'enfant n'appartient qu'aux seuls parents, relevant de la vie privée et de l'intime, et ne supporte une ingérence étatique que dans la mesure où l'intérêt de l'enfant est mis à mal (CA Reims, 6 mai 2004), ou qu'aucun prénom n'est attribué dans le délai légalement imparti pour ce faire. C'est ainsi qu'il a pu être jugé que le prénom "Zébulon" ne porte pas atteinte à l'intérêt de l'enfant (CA Besançon, 18 novembre 1999). Il en va de même du prénom "Tokalie", considéré comme disposant d'une sonorité harmonieuse et agréable à entendre et comme n'ayant aucune consonance ridicule péjorative (CA Caen, 30 avril 1998). A contrario, la cour d'appel de Rennes, dans une décision du 4 novembre 1996, a pu juger, comme contraire à l'intérêt de l'enfant, le prénom "Folavril".

Le prénom "Zoé" doit, selon nous, être considéré comme contraire à l'intérêt de l'enfant, dès lors qu'assimilé à une automobile, l'enfant sera évidemment victime de moqueries et de jeux de mots douteux, de nature à faire obstacle à son épanouissement personnel et social. A ce titre, il est intéressant d'observer la jurisprudence rendue en la matière, la société Renault ayant déjà eu recours à des prénoms pour nommer des véhicules automobiles.

C'était notamment le cas des parents, portant le nom de famille "Renaud", qui souhaitaient prénommer leur fille "Mégane". Porté sur l'acte de naissance de l'enfant, l'officier d'état civil avait saisi le procureur de la République de Nantes, sur le fondement de l'article 57 du Code civil, au motif que l'association du prénom "Mégane" et du nom patronymique "Renaud" serait sujette à moqueries. Le procureur a alors saisi le juge des affaires familiales aux fins de suppression du prénom. Ce dernier n'a pas suivi la position du procureur de la République, lequel interjeta appel de cette décision. Et la cour d'appel de Rennes, dans son arrêt du 4 mai 2000, énonça que "dès lors que les jeunes enfants ne sont jamais appelés par leur nom de famille, l'on peut raisonnablement estimer que pendant sa petite enfance et jusqu'à l'entrée à l'école primaire seuls les adultes pourront avoir conscience du caractère éventuellement comique de l'association du prénom et du nom évoquant phonétiquement un modèle de voiture ; [...] il y a tout lieu de supposer qu'ils s'abstiendront de s'en moquer ; [...] que par la suite il est vraisemblable que le modèle aura disparu de la circulation ; [...] le risque que le prénom soit contraire à l'intérêt de l'enfant lorsqu'elle aura six ans et plus n'est donc pas établi ; [...] en revanche que la suppression de son prénom entraînerait inévitablement pour l'enfant, qui le connaît nécessairement et y répond, une grande perturbation dans la construction de sa personnalité [...] ; [...] en conséquence qu'en présence d'un trouble certain en cas de changement de prénom alors que son maintien n'apparaît qu'hypothétiquement contraire à l'intérêt de l'enfant, la cour confirmera le jugement en ce qu'il a débouté le ministère public de sa demande de suppression du prénom Mégane".

Ce n'est donc que sur ce dernier argument que la petite fille concernée a pu se prénommer Mégane. A l'étude de la présente solution rendue par la cour d'appel, il est à noter que le raisonnement juridique ainsi suivi devrait nécessairement aboutir à l'interdiction de l'assimilation du prénom "Zoé" avec le nom "Renault", dès après la sortie du véhicule. On croit rêver. Et quid des petites filles s'appelant déjà Zoé et se nommant, a fortiori Renault comme c'est le cas de certaines de nos clientes.

En effet, pour refuser la suppression du prénom "Mégane" associé au nom familial "Renaud", les juges du fond ont pu considérer que "seuls les adultes pourront avoir conscience du caractère éventuellement comique de l'association du prénom et du nom évoquant phonétiquement un modèle de voiture". Il est donc reconnu clairement que l'association du prénom "Mégane" au nom "Renaud" est comique pour la référence qu'elle renvoie à un modèle de véhicule. Par analogie, il devra en être jugé de même pour l'association du prénom "Zoé" avec le nom "Renault".

Toutefois, le postulat de la cour d'appel pris en ce que "seuls des adultes pourront avoir conscience du caractère éventuellement comique de l'association du prénom et du nom évoquant phonétiquement un modèle de voiture" apparaît, en plus de renvoyer à des motifs hypothétiques et dubitatifs, quelque peu critiquable puisque, à supposer même que seuls les adultes pourront avoir conscience du caractère comique (et ridicule) de l'association, le préjudice existe bel et bien.

La cour d'appel avait également fondé sa décision en considérant comme vraisemblable que, par la suite, "le modèle aura disparu de la circulation". Ce type d'affirmation ne se vérifie pas dans la réalité pour la Renault Zoé qui s'apparente en un modèle phare de la nouvelle gamme Renault, la gamme ZE (pour zéro émission) de voitures électriques. Il suffit d'ailleurs de regarder si les modèles Clio et Mégane ont disparu à ce jour, après 20 ans de commercialisation.

Par ailleurs, dans une autre affaire, Monsieur Glinkowski avait saisi le tribunal de grande instance de Lille d'une demande de changement de prénom de sa fille Clio Glinkowski, en sa qualité de représentant légal, "en raison de la publicité importante faite en ce qui concerne la Renault Clio dont l'annonce de sortie date de mars 1990" et "en raison des réflexions quotidiennes ainsi que de la souffrance des parents et de celle de l'enfant lorsque celle-ci ira à l'école".

Le 9 avril 1992, le tribunal de grande instance de Lille a fait droit à sa demande considérant qu'il existait un intérêt légitime, permettant de considérer que le seul port d'un prénom, exploité à grande échelle à des fins commerciales, est de nature à créer un préjudice suffisamment grave pour justifier d'un intérêt légitime à en changer.

Il avait d'ailleurs été indiqué à ce Monsieur par la société Renault que plus jamais une Renault ne porterait de prénom. On voit ce qu'il en est.

Et il est important de souligner que, dans le jugement envisagé, il n'était pas question d'une association du prénom "Clio" avec un nom familial qui phonétiquement rappellerait la marque "Renault", mais seulement du port du prénom "Clio".

C'est dire toute l'étendue du préjudice, et en cela, nous considérions que la preuve du préjudice était rapportée.

Pour preuve encore de ce préjudice inévitable, il suffit de constater la chute spectaculaire de l'emploi des prénoms d'ores et déjà exploités par la société Renault, comme "Mégane" ou "Clio". Pour le prénom "Mégane", 2 601 enfants ont été prénommés ainsi en 1995, 1 001 en 1996 et 431 en 1997 et quasiment plus aujourd'hui. Or, le véhicule Renault Mégane a été commercialisé en 1996... Il en va de même pour le prénom "Clio", à compter de la commercialisation du véhicule du même nom.

Le sens de notre action est, donc, d'éviter que le prénom "Zoé" connaisse le même destin funeste ainsi que pour tous ceux qui suivront, au gré de l'imagination sans bornes de la société Renault et de ses prestataires. Renault qui vous explique aujourd'hui "on n'a pas spécialement pensé au prénom, ce n'est d'ailleurs pas utilisé comme un prénom sur nos voitures" et dans le même temps, la pièce communiquée sous le numéro 28 par Renault, dans le cadre du référé est un sondage (commandé par Renault) dont le titre est "réaction des français face à la polémique de l'utilisation du prénom Zoé par Renault".

Cela se passe de commentaire.

Lexbase : Envisagez-vous une action fondée sur le droit commun de la responsabilité civile ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle n'est pas inenvisageable à ce stade. Nous nous heurtons pour l'instant à la preuve d'un préjudice certain, mais plus encore à la preuve d'une faute civile de la société Renault.

C'est plus que tout une action de principe qu'il faut viser, dès lors que les porteurs de ce prénom et leurs familles perçoivent (tout autant que Renault, nous pensons) le caractère déplacé d'une telle pratique. Une société où les enfants s'appellent comme des enfants et où les voitures s'appellent comme des voitures nous paraît préférable.

Lexbase : En cas d'échec devant les juridictions nationales, envisagez-vous de porter le litige jusque devant la CEDH ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Dès lors que le droit au respect de la vie privée, garanti et protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales est violé par cette pratique commerciale, nous n'excluons absolument pas d'interroger la Cour européenne des droits de l'Homme et de porter le litige devant elle.

Plus largement, nous ne laisserons pas tomber et conduirons toutes les procédures envisageables pour faire échec à cette pratique trop souvent répétée par Renault alors que ses effets sur les personnes concernées sont maintenant connus.

Lexbase : Attendez-vous une évolution de la législation par l'adoption d'une loi qui interdirait l'utilisation d'un prénom usuel à des fins strictement commerciales ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Il résulte de tout ce qui précède qu'il nous semble que l'état du droit positif est à même d'interdire la pratique abusive et dommageable qui consiste à utiliser un prénom à des fins purement commerciales. Toutefois, une intervention du législateur serait sans doute bénéfique eu égard à l'actuelle frilosité de la jurisprudence et permettrait de conférer un écho plus important à une telle interdiction. Cette interdiction doit être assortie de réserves et ne doit être applicable que pour l'avenir. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes rapprochés de certains parlementaires, qui ont prêté une attention certaine à notre action.

Lexbase : Et en dehors de toute utilisation commerciale ? L'utilisation d'un prénom à un titre non lucratif vous semble-t-elle aussi de nature à porter atteinte à la personne ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Le critère qui nous apparaît décisif est celui du préjudice que les personnes porteuses du prénom vont subir. C'est précisément au juge qu'il appartient de se livrer à une casuistique et d'apprécier si l'usage qui est fait du prénom est de nature à porter une atteinte à la personne.

Lexbase : Vous êtes à l'origine de la création d'un collectif d'avocats "Avocats de combat" qui a pour vocation de rassembler des avocats sur un même combat lorsqu'un intérêt supérieur les unit. Comment ce collectif va-t-il vous aider sur cette affaire "Zoé Renault" ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Le principe de fonctionnement d'"Avocats de combat" est extrêmement simple. Nous avons proposé à d'anciens adversaires ou à des amis également, de nous rejoindre et de travailler ensemble sur des dossiers que nous traitons gratuitement ou qu'ils traitent gratuitement dès lors que ces dossiers impliquent la défense d'un intérêt supérieur qui aurait été bafoué. Nous croyons que c'est là le rôle des avocats. Dès à présent, sur ce dossier, nous avons reçu des soutiens de confrères assez inattendus et nous partageons des réflexions stratégiques et de la documentation. "Avocats de combat" sera également utilisé pour conduire plusieurs procédures simultanément sur le territoire français contre un même adversaire dès lors que celui-ci persiste dans une voie qu'il sait dommageable.

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Fiscal général

[Manifestations à venir] Nouveautés fiscales 2011 : lois de finances et autres actualités - 10 janvier 2011

Lecture: 1 min

N8371BQ4

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Le 04 Janvier 2011

La Chambre de commerce et d'industrie de Paris et l'Ecole de formation du barreau (EFB) organisent, le 10 janvier 2011, un colloque sur le thème de l'actualité fiscale.
  • Programme

13h30 - Accueil des participants

14h00 - Allocutions de bienvenue

- Georges Nectoux, membre de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris

- Xavier Delcros, ancien membre du conseil de l'Ordre des avocats, directeur de la Formation continue et des spécialisations de l'EFB

14h30 - Fiscalité de l'épargne des particuliers et des entreprises

- Delphine Charles-Perrone, directeur des affaires fiscales et comptables de l'Association française de la gestion financière

- Valérie Stephan, responsable du département fiscal à la CCIP

15h10 - Fiscalité des personnes physiques

- Alain Theimer, co-président de la Commission ouverte de droit fiscal de l'Ordre des avocats, avocat à la Cour

15h40 - Fiscalité de la propriété intellectuelle

- Louis-Marie Bourgeois, co-président de la Commission ouverte de droit fiscal de l'Ordre des avocats, avocat à la Cour

16h00 - Pause

16h15 - TVA

- Thierry Vialaneix, avocat à la cour

16h55 - Question prioritaire de constitutionnalité et fiscalité

- Dominique Villemot, avocat à la cour

17h30 - Allocution de clôture

- Pierre-François Racine, président de la section des finances du Conseil d'Etat

18h00 - Apéritif

  • Date et lieu

Lundi 10 janvier 2011
14h00 - 18h00
Chambre de commerce et d'industrie de Paris
27 avenue Friedland
75008 Paris

  • Prix

150 euros

  • Contact

Chambre de commerce et d'industrie de Paris
DGA/EPI - Département Valorisation des Etudes
Corinne PIGEON
fax : 01 55 65 72 82
courriel : cpigeon@ccip.fr

newsid:408371

Fiscalité du patrimoine

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - Décembre 2010

Lecture: 10 min

N8356BQK

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par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon de Paris

Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en fiscalité du patrimoine, réalisée par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon de Paris. Au sommaire de cette chronique, l'auteur revient sur un arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 27 octobre 2010, ayant trait à l'imposition de l'indemnité de licenciement pour rupture abusive obtenue par voie transactionnelle (CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2010, n° 315056, mentionné aux tables du recueil Lebon). Puis, il relève l'arrêt inédit du 9 juillet 2010 selon lequel la question de la non déductibilité par les particuliers de la TVA grevant les honoraires d'avocats n'est pas une question sérieuse pouvant être renvoyée au Conseil constitutionnel (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 339398). Par ailleurs, l'auteur traite de l'exonération des produits et plus-values des placements effectués dans le cadre du plan d'épargne en actions (PEA) : appréciation du seuil de 10 %, à travers un arrêt du Conseil d'Etat du 8 novembre 2010 (CE 9° et 10° s-s-r., 8 novembre 2010, n° 309746, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, cette chronique est l'occasion de revenir sur la scission artificielle, en deux actes apparemment réguliers, d'une transaction unique de vente au regard de l'abus de droit (CE 3° et 8° s-s-r., 17 novembre 2010, trois arrêts, n° 314291, mentionné aux tables du recueil Lebon, n° 314295 et n° 314296).
  • Imposition de l'indemnité de licenciement pour rupture abusive obtenue par voie transactionnelle (CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2010, n° 315056, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1084GDI)

Les indemnités versées lors d'un licenciement irrégulier ou abusif sont totalement exonérées d'impôt sur le revenu lorsqu'elles sont versées dans le cadre d'une procédure judiciaire.

A l'époque des faits, la documentation administrative de base 5 F-1144 précisait que "lorsqu'il y a rupture abusive du contrat de travail, le salarié peut obtenir réparation du préjudice qu'il a subi. Les sommes versées à ce titre ont le caractère d'un versement en capital ; elles ne doivent donc pas être soumises à l'impôt".

Cette doctrine était incluse dans une partie consacrée au licenciement qui, dans son paragraphe n° 4, précisait que la réparation du préjudice subi par le salarié en cas de rupture abusive du contrat de travail était prévue par les anciens articles L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74 ; C. trav., art. L. 1235-12, recod. N° Lexbase : L1359H99) et L. 122-14-5 (N° Lexbase : L5570ACB ; C. trav., art. L. 1235-14, recod. N° Lexbase : L1363H9D) du Code du travail .

Ces articles du code, alors en vigueur, se référaient aux indemnités accordées par une décision judiciaire. Dès lors, un contribuable ne peut se prévaloir de cette tolérance lorsque les indemnités lui ont été accordées sur le fondement d'une transaction ; il en va de même lorsque la transaction a fait l'objet d'un jugement par lequel, à la demande des parties, le conseil de prud'hommes a seulement donné acte des accords transactionnels et constaté l'extinction de la procédure engagée devant lui (CAA Paris, 5ème ch., 11 février 2008, n° 06PA03423 N° Lexbase : A5576D7N).

Dans la présente affaire, le Conseil d'Etat maintient sa jurisprudence. L'exonération des indemnités versées en application de l'ancien article L. 122-14-4 du Code du travail (repris désormais aux articles L. 1235-2 N° Lexbase : L1340H9I, L. 1235-3 N° Lexbase : L1342H9L et L. 1235-11 N° Lexbase : L1357H97 à L. 1235-13 du même Code) ne saurait être revendiquée en cas de transaction amiable (CE Contentieux, 6 janvier 1984, n° 32528 N° Lexbase : A6777ALL, CE Contentieux, 18 novembre 1985, n° 49631 N° Lexbase : A3061AMC).

On notera, néanmoins, que le tribunal administratif de Paris s'est, dans le régime actuel de l'article 80 duodecies du CGI (N° Lexbase : L3036IGK), prononcé en faveur de l'exonération d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse confirmée par un arbitre sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail (TA Paris, 5 juillet 2010, n° 06-10965).

  • La question de la non déductibilité par les particuliers de la TVA grevant les honoraires d'avocats n'est pas une question sérieuse pouvant être renvoyée au Conseil constitutionnel (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 339398 N° Lexbase : A1409E4X)

Les questions prioritaires de constitutionnalité (introduites par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, loi n° 2008-724, 23 juillet 2008 N° Lexbase : L7298IAK ; loi n° 2009-1523, 10 décembre 2009 N° Lexbase : L0289IGS ; décret n° 2010-148, 16 février 2010 N° Lexbase : L5740IGP) ne franchissent pas toujours la barrière du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.

1. Le contexte

Dans le cadre d'un litige avec son employeur, un salarié a exposé des frais d'avocat comprenant la TVA en sus. Il estime qu'il existe une inégalité de traitement fiscal entre les justiciables participant à un procès civil ou pénal selon qu'ils sont de simples particuliers ou des entreprises.

En effet, si un procès oppose un particulier à une entreprise à l'occasion duquel chacun se voit facturer des frais d'avocat ou d'experts, chacun des protagonistes ne supporte la même charge. Les entreprises récupèrent la TVA et déduisent les frais de leurs résultats imposables.

Alors que le particulier n'a ni la possibilité de déduire la TVA grevant les frais, ni celle de déduire les frais eux-mêmes de ses revenus imposables.

2. La règle applicable

Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (ordonnance du 7 novembre 1958, art. 23-5 N° Lexbase : L0276AI3). Ces mêmes dispositions prévoient que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. C'est à la lumière de ces critères que le Conseil d'Etat a examiné le pourvoi du requérant.

3. La disposition contestée n'est pas applicable au litige

En matière de TVA, deux instructions sont contestées. L'instruction du 9 mai 2007 (BOI 3 D-1-07 N° Lexbase : X8574ADW) commentant les dispositions du décret n° 2007-566 du 16 avril 2007 (N° Lexbase : L0074HWN), qui a procédé à la refonte de l'annexe II au CGI relative aux droits à déduction (art. 205 N° Lexbase : L3739HZI à 210).

Cette instruction commente seulement des dispositions réglementaires et ne réitère à aucun titre les dispositions législatives de l'article 271 du CGI (N° Lexbase : L0135IK9).

L'instruction du 4 février 2009 (BOI 3 D-2-09 N° Lexbase : X5031AE3) a pour objet de commenter le droit au remboursement de crédits de taxe. Par suite, l'instruction ne réitère pas les dispositions de l'article 271 du CGI relatives au droit à déduction dont l'inconstitutionnalité est dénoncée. En conséquence, les dispositions de l'article 271 ne sont pas applicables au litige (cf., également, CE 9° et 10° s-s-r., 23 mars 2005, n° 264997 N° Lexbase : A3928DHX).

4. La disposition contestée n'est pas sérieuse

L'article 13 du CGI (N° Lexbase : L1050HLH) définit le bénéfice ou revenu imposable comme l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu. Entrent donc, notamment, dans le champ de ces dépenses les frais d'avocat exposés en vue d'acquérir ou de conserver un revenu. Ils peuvent alors être déduits du revenu global ou dans le cadre des traitements et salaires (déduction des frais réels ; CGI, art. 83 N° Lexbase : L0093IKN).

Ces dispositions n'attente pas aux droits de la défense ou au droit à un procès équitable.

  • Exonération des produits et plus-values des placements effectués dans le cadre du plan d'épargne en actions (PEA) : appréciation du seuil de 10 % (CE 9° et 10° s -s-r., 8 novembre 2010, n° 309746, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8895GGK)

Le PEA permet d'investir en actions, tout en bénéficiant d'une exonération d'impôt sur les revenus (dividendes et les plus-values) à condition de n'effectuer aucun retrait pendant cinq ans. Seuls les particuliers ayant leur domicile fiscal en France peuvent ouvrir un PEA auprès des banques et compagnies d'assurance. Les versements sur le plan, qui doivent être effectués en numéraire, sont plafonnés à 132 000 euros par plan (soit 264 000 euros pour un couple).

Pendant la durée du PEA, les dividendes, plus-values de cession et autres produits de placements ne sont pas imposables à l'impôt sur le revenu à condition d'être réinvestis dans le PEA. Les produits des placements effectués en titres de sociétés non cotées ne bénéficient de l'exonération d'impôt sur le revenu que dans la limite de 10 % du montant de ces placements. Sont concernés par ce plafonnement les produits proprement dits, à l'exclusion des plus-values.

Selon l'administration fiscale, la limite de 10 % s'apprécie annuellement d'après le rapport produit des titres non cotés sur valeur d'inscription des titres non cotés (instruction du 3 juillet 1998, BOI 5 I-7-98, n° 15 N° Lexbase : X0835AA8). Le numérateur tient compte de l'ensemble des produits provenant de titres non cotés qui sont crédités sur le PEA au cours de l'année d'imposition. Au dénominateur, la valeur des placements en titres non cotés correspond selon le cas à la valeur de souscription ou à la valeur d'acquisition des titres. Il s'agit, en pratique, de la valeur d'inscription des titres dans le compte-titres du PEA.

Il résulte des dispositions des articles 157, 5° bis du CGI (N° Lexbase : L8718IMT) et 91 quater H de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L3728HZ4) que, pour l'appréciation de la limite de 10 %, le montant des placements en titres non cotés à retenir par le contribuable s'entend de la valeur historique des titres concernés, c'est-à-dire soit de leur valeur de souscription, soit de leur valeur d'acquisition. Le tribunal administratif de Dijon en avait confirmé l'analyse (cf. TA Dijon 6 février 2007, 2e ch., n° 05 -2918, n° 05-2919, n° 06-940, n° 06-941, n° 06-2378 et n° 06-2379).

Le Conseil d'Etat fait de même aujourd'hui : Selon les juges, le législateur a entendu viser la valeur d'acquisition ou de souscription des titres en cause et non, leur valeur réelle à la date de distribution des produits correspondants.

1. Les faits de l'affaire

La SCI Ram avait acquis la propriété d'un immeuble comprenant un local commercial et plusieurs appartements, pour un prix de 800 000 francs (121 960 euros). Par acte notarié du même jour, son gérant et associé majoritaire a conclu à titre personnel avec le vendeur de l'immeuble un bail commercial stipulant le paiement par le preneur, à l'entrée dans les lieux, d'une indemnité pour dépréciation de l'immeuble d'un montant de 700 000 francs (106 714 euros). Peu de temps après, le droit au bail ainsi acquis était cédé au prix de 700 000 francs.

A l'issue de la vérification de comptabilité de la SCI Ram, l'administration fiscale avait estimé que l'interposition du gérant était purement fictive et que l'opération dissimulait un supplément du prix de vente. Elle a en conséquence majoré les droits d'enregistrement en augmentant le prix de cession de l'immeuble de 700 000 francs.

2. La problématique de l'abus de droit

L'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU), dans sa dernière rédaction, définit l'abus de droit comme suit : "Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles".

Cette définition couvre les situations de fraude à la loi et de fictivité juridique. Selon la jurisprudence, la fraude à la loi en matière fiscale, en général résumée par la recherche d'un but exclusivement fiscal, est constituée toutes les fois que sont réunies cette recherche d'un but exclusivement fiscal et, d'autre part, l'obtention d'un avantage fiscal par une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 283314 N° Lexbase : A3666DTX), par le recours à un montage juridique et économique artificiel (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 267087 N° Lexbase : A3517DI4, CE 3° et 8° s-s-r., 18 février 2004, n° 247729 N° Lexbase : A3599DBW et CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 295358 N° Lexbase : A1236EKY). La recherche d'un but exclusivement fiscal peut, notamment, prendre la forme d'une réduction d'une dette d'impôt ou de la perception indue d'un crédit d'impôt ou encore de l'augmentation abusive d'une situation déficitaire.

La fictivité juridique est "constituée par la différence objective existant entre l'apparence juridique créée par l'acte en cause et la réalité, en particulier économique, sous-jacente à cet acte" (cf. définition exprimée dans l'instruction du 9 septembre 2010, BOI 13 L-9-10 N° Lexbase : X7799AGX). C'est cette fictivité juridique qui, aujourd'hui, est relevée. L'acquisition du droit au bail sans volonté pour un preneur d'en jouir ne peut être qu'empreinte de fictivité.

3. La décision du Conseil d'Etat

En effet, pour qualifier d'abus de droit la scission artificielle, en deux actes apparemment réguliers, de la transaction unique de vente, à la SCI Ram, d'un immeuble d'habitation et commercial, les juges font état de plusieurs arguments :

- une communauté d'intérêts manifeste entre la SCI Ram et son gérant ;

- la signature du bail commercial entre le vendeur et le gérant de la SCI, le jour même de la cession de la propriété de l'immeuble à la SCI Ram, ne répondait pas à une pratique ou à un intérêt commercial normal ou habituel ;

- le gérant n'avait jamais manifesté ni justifié son intention d'occuper les locaux pris à bail et avait cédé le bail quelques jours seulement après son acquisition.

Le caractère fictif du bail commercial conclu entre le vendeur et le gérant de la SCI était également attesté par l'absence de versement de tout loyer. L'abus de droit était donc consommé.

Le raisonnement suivi par le Conseil d'Etat est classique. A de nombreuses reprises, Conseil d'Etat et Cour de cassation ont eu à connaître d'affaires dans lesquelles l'administration invoque régulièrement le caractère fictif d'un bail, ce dernier résultant d'un faisceau de présomptions telles que le lien de parenté entre le bailleur et le locataire ou encore le caractère dérisoire du loyer (CE Contentieux, 6 janvier 1993, n° 69943 N° Lexbase : A7965AMX ; CE 8° et 9° s-s-r., 31 juillet 1992, n° 73334 N° Lexbase : A1363B9D ; CE Contentieux, 16 mai 1990, n° 54135 N° Lexbase : A5046AQX).

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Propriété intellectuelle

[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1 - Décembre 2010

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Le 05 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1. L'auteur a sélectionné quatre décisions particulièrement importantes. Tout d'abord, dans un arrêt du 14 septembre 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a tranché le conflit de compétence opposant le président de la chambre saisie de l'affaire et le premier président de la cour d'appel pour ordonner sur requête la saisie de produits revêtus d'une marque contrefaisante. L'auteur a, ensuite, choisi de revenir sur la solution retenue par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 14 septembre 2010 qui a refusé au fabricant des briques de jeu Lego le droit d'enregistrer sa célèbre brique de construction au titre de marque. L'actualité jurisprudentielle en droit de la propriété intellectuelle a également été marquée ce trimestre par deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation, tous deux publiés au Bulletin et sur le site internet de la Cour : dans le premier en date du 30 septembre 2010, la Cour régulatrice confirme la tendance jurisprudentielle à l'interprétation stricte du contenu du contrat de cession du droit de reproduction ; enfin, dans le dernier arrêt sélectionné par Nathalie Martial-Braz, en date du 15 novembre 2010, la Cour confirme, voire étend, la présomption de titularité des droits de l'auteur reconnue à la personne exploitant une oeuvre déduite par la jurisprudence de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle.
  • Saisie-contrefaçon : compétence partagée (Cass. com., 14 septembre 2010, n° 09-16.854, F, P+B N° Lexbase : A5842E9A)

"La grande charte des Anglais défend de saisir et de confisquer, en temps de guerre, les marchandises des négociants étrangers, à moins que ce ne soit par représailles. Il est beau que la nation Anglaise ait fait de cela un des articles de sa liberté" (1).
Lorsque Montesquieu pourfend les saisies c'est au nom de la liberté du commerce. Celle-ci n'a cependant pas lieu d'être invoquée, et partant les saisies semblent éminemment justifiées lorsqu'elles n'ont d'autre but que d'assurer le respect d'une autre liberté, celle résultant du droit de la propriété intellectuelle. Si le bien-fondé des saisies-contrefaçon n'est en aucun cas discuté, la procédure permettant leur mise en oeuvre suscite quelques interrogations dont la Cour de cassation s'est récemment fait l'écho.

Ainsi, dans un arrêt rendu le 14 septembre 2010, la Chambre commerciale a tranché le conflit de compétence opposant le président de la chambre saisie de l'affaire et le premier président de la cour d'appel pour ordonner sur requête la saisie de produits revêtus d'une marque contrefaisante.

En l'espèce, une société, invoquant la violation de son droit de marque par une concurrente, a obtenu par une ordonnance sur requête du premier président de la cour d'appel de Poitiers, fondée sur l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L1842H3M), l'autorisation de faire procéder à la saisie de la contrefaçon de marque alléguée. Cette ordonnance sur requête du 5 mars 2009 a cependant été rétractée par une ordonnance de référé en date du 29 juillet 2009 aux motifs que la requête aux fins de saisie-contrefaçon afférente à une instance en cours doit nécessairement, et conformément aux prescriptions de l'article 812, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0700H4P), être présentée devant le président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée et non devant le premier président de la cour d'appel.

La question de la détermination du juge compétent en matière de saisie-contrefaçon demandée en cours d'instance était donc posée à la Cour de cassation. Celle-ci s'est prononcée en faveur du premier président de la cour d'appel en décidant, au double visa des articles 812, alinéa 3, et 958 (N° Lexbase : L1066H4A) du Code de procédure civile, que "les dispositions de l'article 812, alinéa 3, du Code de procédure civile ne s'appliquent qu'aux requêtes déposées au cours de la procédure de première instance et qu'au cours de l'instance d'appel, le premier président est seul compétent pour ordonner sur requête une mesure de saisie contrefaçon".

La contestation, par la voie de la rétractation, des procédures de saisie-contrefaçon, est extrêmement fréquente et la jurisprudence fait traditionnellement preuve d'une grande rigueur dans l'appréciation de ses conditions de régularité. Pourtant dans notre espèce, elle semble faire preuve de davantage de mansuétude. La solution n'est cependant pas nouvelle. Dans un arrêt de la même formation du 29 juin 1999 (2), elle décidait en effet, à l'égard d'une saisie-contrefaçon opérée en matière de brevet, que cette "procédure [...] destinée à procurer au titulaire d'un brevet les preuves permettant de faire sanctionner les atteintes portées à ses droits, attribue au président du tribunal aussi bien quand il est saisi par une requête initiale que lorsqu'il statue sur une demande de rétractation formée en référée, le pouvoir de fixer les conditions et l'étendue de la saisie-contrefaçon, mais non celui de refuser l'autorisation d'y procéder qui lui a été demandée dans les formes et avec les justifications prévues par la loi". La solution semblait toutefois difficile à transposer en matière de marque dès lors que l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle (C. prop. intell., art. L. 716-7, anc. N° Lexbase : L3750ADA) prévoyait la compétence exclusive du président du tribunal de grande instance en matière de saisie-contrefaçon. La loi du 29 octobre 2007 (3) a cependant modifié cette disposition qui prévoit désormais que la saisie-contrefaçon peut être effectuée "en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente". Il appartient dès lors de déterminer, conformément aux règles du droit commun de la procédure civile, quel est le juge compétent. Dans un arrêt récent du 28 mars 2008 (4), la Chambre commerciale avait déjà eu l'occasion de souligner l'application des règles procédurales de droit commun en décidant que "dès lors que la juridiction est saisie au fond, l'article 812, alinéa 3, du Code de procédure civile est applicable, et la requête en saisie-contrefaçon doit être présentée au président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi". Dans cette décision, la Cour de cassation avait alors écarté l'application des dispositions spéciales de l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle et la compétence exclusive reconnue à l'époque. Il semblait donc évident que la solution irait dans le même sens dès lors que cette compétence exclusive a disparu. Dans notre espèce, toutefois, le conflit n'opposait pas droit commun de la procédure civile et droit des marques mais bien deux dispositions du droit commun : l'article 812, alinéa 3, du Code de procédure civile, relatif à la détermination de la compétence pour les requêtes présentées en cours de première instance, et l'article 958 du même code, applicable pour les requêtes présentées en cours d'instance d'appel. En l'espèce, la requête a été ordonnée au cours de l'instance d'appel. Dès lors, la Cour de cassation qui a fait une application stricte des règles de compétence ne pouvait que censurer la décision d'appel qui a appliqué l'article 812, alinéa 3, du Code de procédure civile sans tenir compte de l'article 958 du même code qui doit pourtant primer. La compétence d'ordonner sur requête la saisie-contrefaçon appartient donc bien au premier président de la cour d'appel contrairement à ce qu'avait jugé la cour d'appel.

  • Des signes que l'on peut enregistrer au titre de marques communautaires : exclusion des formes techniques (CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-48/09 N° Lexbase : A1977E94)

"On a fait, dans certaines monarchies, des lois très propres à abaisser les Etats qui font le commerce d'économie. On leur a défendu d'apporter d'autres marchandises que celles du cru de leur pays" (5).
C'est dans le but de lutter contre un monopole prompt à limiter la liberté du commerce que le législateur européen a entendu limiter le droit de disposer d'un droit intellectuel de marque. Afin de ne pas nuire au commerce en accordant de manière illégitime l'exclusivité conférée par les droits de marque, le Règlement du 20 décembre 1993 (6), relatif à la marque communautaire, exclut de l'enregistrement "les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique" (Règlement CE n° 40/94, art. 7, §1, e), ii)). C'est en se fondant sur de tels motifs absolus que le fabricant des briques de jeu Lego s'est vu refuser par la Cour de justice le droit d'enregistrer sa célèbre brique de construction au titre de marque. Par un arrêt du 14 septembre 2010, la CJUE est venue mettre un terme aux velléités monopolistiques de la société Lego qui ne peut plus désormais prétendre à aucune protection de son célèbre jeu par des droits intellectuels. Longtemps protégée par des droits de brevets, l'illustre société entendait substituer à cette protection temporaire, une protection indéfinie pour ses briques à l'aide des droits de marques communautaires. Dans un premier temps, l'Office d'harmonisation du marché intérieur, après auditions, a conclu que le signe dont l'enregistrement était demandé avait acquis un caractère distinctif dans l'Union européenne et n'était pas exclusivement constitué par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique. Quelques jours après l'enregistrement de la marque communautaire, un concurrent a demandé la nullité de cette marque en soulignant que celle-ci se heurtait aux motifs absolus de refus prévus à l'article 7, §1, e) ii). La division d'annulation de l'OHMI saisie de cette demande a sursis à statuer dans l'attente d'une décision de la Cour de justice relative à la même question pour un rasoir à trois têtes, mais sous l'empire de la Directive du 21 décembre 1988 (7) rapprochant les législations nationales sur les marques. Le 18 juin 2002 (8), la Cour a finalement décidé qu'"un signe constitué exclusivement par la forme d'un produit n'est pas susceptible d'enregistrement en vertu de cette disposition [art. 3, §1, sous e), cf. art. L. 711-2 Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3711ADS)] s'il est démontré que les caractéristiques fonctionnelles essentielles de cette forme sont attribuables uniquement au résultat technique. En outre la démonstration de l'existence d'autres formes permettant d'obtenir le même résultat technique n'est pas de nature à écarter le motif de refus ou de nullité d'enregistrement contenu dans ladite disposition". La division de l'annulation, tenant compte de cette décision, a annulé la marque litigieuse en considérant que cette marque était constituée exclusivement par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique. La grande chambre des recours, saisie contre la décision de la division d'annulation, a confirmé cette solution en soulignant que "la brique lego est totalement fonctionnelle, étant donné qu'elle ne comporte aucun élément arbitraire ou ornemental". Elle retient, dès lors, qu'il y a lieu d'appliquer en l'espèce la conclusion de l'arrêt "Philips" du 18 juin 2002 et décide que "les caractéristiques fonctionnelles essentielles de la forme [...] sont attribuables uniquement au résultat technique". La société Lego exerce un pourvoi contre cette décision en invoquant dans un moyen unique une violation de l'article 7, §1, e) ii) du Règlement CE du 20 décembre 1993. La Cour de justice rejette cependant le pourvoi et, ce faisant, se prononce sur l'objet de controverses qu'avaient fait naître notamment l'arrêt "Philips" concernant l'interprétation des adverbes contenus dans les textes. La Cour souligne ainsi que relève du motif absolu de refus "tout signe constitué 'exclusivement' par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique [...] que cette condition est remplie lorsque toutes les caractéristiques essentielles de la forme répondent à la fonction technique, la présence de caractéristiques non essentielles sans fonction technique étant, dans ce cadre dépourvue de pertinence" (9). De même, relativement à l'interprétation de l'adjectif "nécessaire", qui conditionne le refus d'enregistrement, la Cour précise que "cette condition ne signifie pas que la forme en cause doive être la seule permettant d'obtenir ce résultat" (10). Cette dernière solution n'est pas évidente dès lors que la Commission européenne (11) semble considérer à l'inverse que la forme ne revêt pas un caractère nécessaire à l'obtention d'un résultat technique, si celui-ci peut être atteint par une autre forme que les opérateurs concurrents peuvent réaliser. Ce critère, dit de la "multiplicité des formes", semble ici de nouveau écarté par la Cour de justice. L'orthodoxie et la rigueur de la Cour de justice doivent, nous semble-t-il, être approuvées afin de ne pas ouvrir une voie nouvelle de contournement de l'épuisement des droits de brevet par le droit des marques.

  • Interprétation stricte du contenu du contrat de cession du droit de reproduction (Cass. civ. 1, 30 septembre 2010, n° 09-15.091, F-P+B+I N° Lexbase : A6795GAW)

La cession de biens "entre naturellement dans les gouvernements modérés, et surtout dans les républiques ; à cause de la plus grande confiance que l'on doit avoir dans la probité des citoyens" (12).
L'exigence de confiance est ainsi le gage du succès de la cession de biens pour l'auteur de De l'esprit des lois, mais en matière de cession de droit d'auteur, il serait également plus juste de s'en remettre au juge pour s'assurer du respect de l'esprit du contrat.

La Cour de cassation vient, en effet, de rappeler, dans un arrêt du 30 septembre 2010, le rôle qui lui incombe dans l'appréciation stricte qui doit être faite du contenu du contrat de cession de droit d'auteur en général et de droit de reproduction en particulier. En l'espèce, un photographe avait cédé son droit de reproduction sur treize photographies en vue de réaliser un dépliant. Le cessionnaire des droits utilisa cependant les photos pour réaliser des sets de table. L'auteur des photographies invoqua le contrat de cession du droit de reproduction pour demander le retrait de la vente des sets réalisés sans son accord. La cour d'appel le débouta de ses demandes au motif que le contrat, qui précise que les photographies ont pour but la réalisation d'un dépliant, "ne prescrit pas formellement l'interdiction de reproduire les photographies sur d'autres supports qu'un dépliant". La question de l'interprétation des stipulations contractuelles dans un contrat de cession de droit de reproduction était donc soumise à la Cour de cassation. Celle-ci s'est prononcée de manière fort classique en censurant la décision au double visa des articles L. 122-7 (N° Lexbase : L3367AD3) et L. 131-3 (N° Lexbase : L3386ADR) du Code de la propriété intellectuelle. Elle rappelle que "la cession du droit de reproduction d'une oeuvre de l'esprit est limitée aux modes d'exploitation prévus par le contrat", si bien qu'en l'espèce, la cession intervenue étant limitée à la seule réalisation d'un dépliant, la reproduction desdites photographies sur des sets de table ne pouvait être admise. La solution est classique et conforme au principe, tant jurisprudentiel que légal, selon lequel les stipulations d'un contrat de droit d'auteur sont toujours d'interprétation strictes et en faveur de l'auteur. L'arrêt n'innove donc pas, pour autant la formulation ne peut être plus claire et le respect des droits de l'auteur plus affirmé.

  • Du renforcement de la présomption de titularité des droits sur une oeuvre exploitée (Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.160, FS-B+I N° Lexbase : A0231GHZ)

"Chez les Grecs, dans les temps héroïques, il s'établit une espèce de monarchie qui ne subsista pas. Ceux qui avaient inventé des arts, [...] obtenaient le royaume pour eux, et le transmettaient à leurs enfants" (13).
Le privilège attaché à la qualité d'artiste est donc ancestral et justifie que l'on attache une importance, non démentie par la Cour de cassation, à la détermination de la titularité des droits des artistes : le droit d'auteur. Par un arrêt en date du 15 novembre 2010, la première chambre civile, dans une décision promise à une très large publicité, vient de confirmer, voire d'étendre, la présomption de titularité des droits de l'auteur reconnue à la personne exploitant une oeuvre déduite par la jurisprudence de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3341AD4).

En l'espèce, une société revendiquait la titularité du droit d'auteur sur du mobilier médical qu'elle commercialise afin d'agir en contrefaçon contre la société à laquelle elle avait confié la fabrication dudit mobilier et qui procédait à la réalisation et la commercialisation du mobilier pour son propre compte. Pour refuser de faire droit à ces demandes, la cour d'appel d'Orléans soulignait qu'une personne physique était intervenue volontairement à l'instance et revendiquait la qualité d'auteur tout en niant avoir cédé ses droits à la société agissante. Tirant les conséquences de cette revendication, dont ils soulignent n'avoir pas à vérifier le bien-fondé, les juges du fond ont écarté la présomption de titularité des droits d'auteur invoquée par la société agissante. Le pourvoi exercé contre cette décision imposait à la Cour de déterminer les limites de la présomption de titularité reconnue de manière prétorienne aux personnes, morales jusqu'à lors, exploitant une oeuvre. En d'autres termes la question était posée de savoir si la seule revendication par une personne se prévalant de la qualité d'auteur peut exclure la présomption ou s'il convient de vérifier au préalable que cette personne détenait effectivement cette qualité. La Cour de cassation censure la décision retenue au visa de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle au motif que, "en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation de l'oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom fait présumer, à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété incorporelle d'auteur". Dès lors elle décide que la cour d'appel aurait dû "vérifier que la personne physique qui formulait une telle revendication était bien l'auteur des oeuvres litigieuses." Pour la Cour de cassation, il semble que seule la revendication fondée de son droit par l'auteur puisse combattre la présomption de titularité attachée à l'exploitation d'une oeuvre. A tout le moins, la cour d'appel aurait donc dû apprécier le bien-fondé de la revendication alléguée par le tiers. Ce faisant la Cour de cassation renforce une présomption qu'elle a consacrée de toute pièce et dépourvue de tout fondement légal.

Pendant longtemps, la Cour de cassation exigeait de la part de la personne morale la preuve de sa titularité des droits sur les oeuvres litigieuses afin de pouvoir agir en contrefaçon à l'égard de tiers copiant les oeuvres en cause qu'elle exploitait. La jurisprudence décidait de manière constante que l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3337ADX) ne pouvait être invoqué par une personne morale, qui ne peut par définition revendiquer la qualité d'auteur (14). La charge de la preuve nécessaire à l'établissement du droit ouvrant l'action en contrefaçon pesait donc sur la personne morale au profit du supposé contrefacteur.

C'est certainement en considération d'arguments d'opportunité prompts à renforcer la lutte contre la contrefaçon que la jurisprudence a opéré un revirement en consacrant, dans un arrêt du 24 mars 1993, une présomption de titularité en faveur de la personne morale exploitant une oeuvre de l'esprit. La Directive (CE) 2004/48 du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2091DY4), consacre en son article 5 une telle présomption fondée sur le seul fait que le nom de la personne morale figure sur l'oeuvre de la manière usuelle pour qu'elle soit recevable à agir contre les contrefacteurs (15). A l'occasion de la transposition de cette Directive en droit interne, une telle présomption prétorienne aurait ainsi pu être reconnue par le législateur. Mais il n'en a rien été, laissant ainsi au juge le soin d'en déterminer les contours. Depuis, la Cour de cassation n'a cessé de confirmer cette présomption à maintes reprises sans pour autant en déterminer véritablement les conditions. Dans ce contexte, l'arrêt rendu le 15 novembre 2010 doit être salué en ce qu'il apporte quelques précisions, notamment quant au champ d'application de la présomption ainsi admise. Celle-ci semble désormais bien établie puisqu'elle ne cède pas devant la simple revendication des droits par un auteur présumé. Elle ne cède, en effet, que face à la démonstration de la qualité d'auteur.

Par ailleurs, la Cour de cassation a, semble-t-il, également renforcé la présomption ainsi attachée à l'exploitation de l'oeuvre. En effet, elle admet la présomption de titularité quelle que soit la personne qui l'invoque, personne physique ou personne morale, et quelle que soit l'oeuvre en cause, qu'il s'agisse ou non d'une oeuvre collective. Ces précisions avaient déjà été admises par le passé, mais jamais en termes aussi clairs. Dans un arrêt du 19 octobre 2004 (16), elle avait en effet rejeté le pourvoi formé contre une décision ayant condamné une société en contrefaçon d'oeuvres ayant fait l'objet d'une cession à une personne morale au motif que seul l'auteur aurait pu contester le bien-fondé de l'action en contrefaçon exercée par le cessionnaire dès lors que, "sans avoir à prouver son titre, toute personne qui exploite une oeuvre a qualité et intérêt pour poursuivre en contrefaçon un tiers qui ne revendique aucun droit sur elle". De même, la référence au caractère collectif de l'oeuvre semble avoir vécue. Si la Chambre commerciale ne l'exigeait pas de manière systématique (17), cette référence était le plus souvent présente dans les décisions (18) rendues sur ces questions. Dès lors qu'un tel élargissement du champ de la présomption favorise la lutte contre la contrefaçon, celle-ci doit être saluée. Toutefois, on ne peut manquer d'émettre quelques réserves de principe sur la sévérité, non en l'espèce, mais affichée par la Cour de cassation. La rigueur extrême à laquelle pourrait inviter cette décision pourrait faire peser, de manière contestable, la charge de la preuve sur l'auteur, personne physique, plutôt que sur la personne, physique ou morale, exploitante de l'oeuvre. Du domaine de la preuve, la présomption ne glisse-t-elle pas vers une véritable règle de fond qui, poussée à l'extrême, pourrait se retourner contre des auteurs cédant leur droit sans se préconstituer de preuve ni de la création, ni de la cession ?

Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1


(1) Montesquieu, De l'esprit des lois, tome II, livre XX, chap. XIV, Des Lois de commerce qui emportent la confiscation des marchandises, GF Flammarion, 1979, p. 18.
(2) Cass. com., 29 juin 1999, n° 97-12.699, publié (N° Lexbase : A4729CKD), Bull. civ. IV, n° 138.
(3) Loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, de lutte contre la contrefaçon (N° Lexbase : L7839HYY), JORF du 30 octobre 2007.
(4) Cass. com., 26 mars 2008, n° 05-19.782, F-P+B (N° Lexbase : A6005D7K), Bull. civ. IV, n° 70.
(5) Montesquieu, De l'esprit des lois, tome II, livre XX, chap. VIII, Comment on a gêné quelquefois le commerce d'économie, GF Flammarion, 1979, p. 15.
(6) Règlement CE n° 40/94 du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (N° Lexbase : L5799AUC), JOCE 1994, l, 11, p. 1.
(7) Directive 89/104 du 21 décembre 1988, sur le rapprochement des législations nationales sur les marques (N° Lexbase : L9827AUI).
(8) CJCE, 18 juin 2002, aff. C-299/99 (N° Lexbase : A9139AY7), Rec. p. 1-5475 ; RTDCom., 2002, p. 769, obs. Luby ; RTDCom., 2003, p. 500, obs. Azéma ; PIBD, 2003, p. 37 ; Propr. intell., 2002, n° 5, p. 83, obs. Joly.
(9) Nous soulignons, considérant n° 51.
(10) Considérant n° 53.
(11) RTDCom., 2002, p. 769, obs. M. Luby, sous CJCE, 18 juin 2002, préc..
(12) Montesquieu, De l'esprit des lois, tome I, livre V, chap. XV, Continuation du même sujet [Comment les lois sont relatives au principe du gouvernement despotique], GF Flammarion, 1979, p. 190.
(13) Montesquieu, De l'esprit des lois, tome I, livre XI, chap. XI, Des rois des temps héroïques, chez les Grecs, GF Flammarion, 1979, p. 307.
(14) CA Paris, 24 mai 1984, Gaz. Pal., 1985, 2, somm. p. 257 ; Cass. com., 5 novembre 1985, n° 83-15.017, publié (N° Lexbase : A4336AAT), Bull. civ. IV, n° 261 ; Cass. civ. 1 19 février 1991, deux arrêts, n° 89-14.402 (N° Lexbase : A4484AHK) et n° 88-15.370 (N° Lexbase : A1087CI4), Bull. civ. I, n° 67.
(15) Ch. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd., n° 530.
(16) Cass. civ. 1 19 octobre 2004, n° 02-16.057, F-D (N° Lexbase : A6404DDK), Comm. com. électr., 2005, comm. 27, note Ch. Caron ; Propr. intell., 2005, n° 14, p. 68, note A. Lucas.
(17) Cass. com., 23 septembre 2008, n° 07-17.210, F-D (N° Lexbase : A4930EAT), Comm. com. électr., 2008, comm. 135, note Ch. Caron
(18) Cass. civ. 1, 22 février 2000, n° 97-21.098, publié (N° Lexbase : A5316AWS), Bull. civ. I, n° 58 ; Cass. crim., 24 février 2004, n° 03-83.541, F-P+F (N° Lexbase : A4981DB4), Bull. crim., n° 49, D., 2004, AJ. 1086, PIBD, 2004, III, 425 ; Prop. intell., 2004, n° 13, p. 933, obs. P. de Candé ; Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-20.776, FS-P+B 2ème moyen (N° Lexbase : A9862DPX), RTDCom., 2007, 74, obs. Galloux ; Comm. com. électr., 2006, comm. 142, note Ch. Caron, Propr. intell., 2006, n° 21, p. 458, obs. P. de Candé ; ibid. n° 22, p. 81, obs. J.-M. Bruguière.

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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 04 Janvier 2011

Les jugements des conseils de prud'homme font, actuellement, l'objet d'une publicité étonnante. Après les affaires "Facebook" (1) rendus par le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt, c'est désormais au tour du conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie d'être au coeur de l'actualité (2). Par un jugement du 13 décembre 2010 (CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, n° 10/00587 N° Lexbase : A1067GNT), le conseil a validé le licenciement pour faute grave d'une salariée qui voulait porter son voile dans les locaux de son entreprise, une crèche privée. Là encore, le droit du travail et, plus particulièrement, la notion de faute grave voit s'opposer de grands principes de notre Constitution, la laïcité et la liberté d'exercice de la religion. Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Richard Malka, avocat à la cour, représentant la crèche "Baby-Loup", qui revient pour nous sur ce jugement et sur sa portée. Lexbase : Ce jugement est le parfait exemple de la difficile articulation entre laïcité et liberté religieuse dans le monde du travail, difficulté accentuée, dans cette affaire, par les remous créés au sein de la Halde. Pourquoi ce contexte particulier?

Richard Malka : La crèche "Baby-Loup" est venue me voir, juste après sa condamnation par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde). A l'instar des autres entreprises, elle aurait pu opter pour un règlement à l'amiable par peur d'une mauvaise publicité. Mais la crèche, par son fonctionnement et son emplacement, n'a pas souhaité transiger, abdiquer. Elle avait, par ailleurs, auparavant, refusé de conclure une rupture conventionnelle avec la salariée, considérant cette dernière fautive. Ce combat difficile, pour la défense des valeurs républicaines, devait être mené. J'étais profondément choqué par la décision de la Halde, rendu en mars, estimant que ce licenciement était discriminatoire. Cette décision a, cependant, été rendue sous la présidence de Louis Schweitzer. Jeannette Bougrab l'avait courageusement critiquée et avait souhaité un réexamen (3).

Lexbase : Le licenciement pour faute grave est donc fondé. Vous parlez d'une décision à portée générale qui permettra à toute entreprise privée de faire le choix de la laïcité. Les juges ont-ils fondé leur jugement sur la violation du règlement intérieur prévoyant la neutralité religieuse et donc sur l'insubordination de la salariée ou sur un principe général de laïcité ?

Richard Malka : On ne peut que se féliciter de cette décision qui caractérise le "vivre ensemble". On laisse la religion chez soi. L'argumentation du jugement du conseil des prud'hommes reprend mes conclusions. Selon l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L1277A98), "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances". Cette laïcité ne doit pas, seulement, être respectée dans les services publics mais, elle doit l'être, également, dans la sphère privée de l'entreprise. Au regard de ce texte, fondement essentiel du jugement, un règlement intérieur peut parfaitement énoncer la neutralité religieuse. Le règlement intérieur de la crèche est licite, le non-respect par les salariés du règlement caractérise une insubordination. La salariée fautive ne pouvait méconnaître le règlement, travaillant au sein de cette crèche depuis des années. Elle ne portait pas le voile, pendant plusieurs années, mais s'est "radicalisée" après son retour dans l'entreprise à la suite de sa maternité. Ce jugement a donc une portée générale, c'est une pierre à l'édifice de la laïcité. La spécificité de cette crèche privée par son implantation et son fonctionnement (4) n'est, d'ailleurs, pas reconnue dans le jugement.

Lexbase : Comment expliquer cette contradiction entre la décision de la Halde et le jugement du conseil des prud'hommes ?

Richard Malka : C'est, tout simplement, un désaveu pour la Halde. Durant la présidence de Louis Schweitzer, la Halde n'appliquait pas correctement le droit. Cela est confirmé par la volonté de son nouveau président de ne pas se ressaisir de cette affaire (5).


(1) CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010 n° 09/00316 (N° Lexbase : A6710GKQ) et n° 09/00343 (N° Lexbase : A6712GKS), v. Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH). On peut, également, citer les arrêts du tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Versailles du 18 novembre portant sur la responsabilité d'un constructeur automobile lors du suicide d'un de ses salariés (TASS Versailles, 18 novembre 2010, n° 09-00705/V N° Lexbase : A0400GLE).
(2) La crèche, ayant fait l'objet à l'audience du conseil des prud'hommes, du soutien, notamment, de Elisabeth Badinter, sa marraine, et de Jeannette Bougrab, présidente de la Halde.
(3) Jeannette Bougrab, nommée en avril 2010, à la tête de la Halde, avait souhaité un réexamen de cette affaire, position réitérée en marge de l'audience du conseil des prud'hommes, à laquelle elle avait assisté.
(4) "Baby-Loup" est la seule crèche française ouverte 24h/24 tous les jours de la semaine. Située à Chanteloup-les-Vignes, elle propose une activité professionnelle aux femmes du quartier, en les embauchant et en leur proposant une formation rémunérée aux métiers de la petite enfance.
(5) Directeur adjoint du développement durable du groupe EDF et vice-président de l'Association des paralysés de France, Eric Molinié, vient de prendre la présidence de la Halde, alors que cette institution, critiquée pour ses frais de fonctionnements, est menacée d'être absorbée par le Défenseur des droits.

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Les conditions de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi peuvent s'apprécier au niveau de l'unité économique et sociale

Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2010, (jonction) n° 09-69.485 à n° 09-69.489, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5880GKY)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

Soucieuse de respecter l'autonomie des personnes morales composant une unité économique et sociale (UES), la Cour de cassation a jugé par le passé que les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du fait que la personne morale employeur fasse partie d'un groupement. Si la Chambre sociale confirme cette solution de principes dans un arrêt rendu le 16 novembre 2010, elle l'assortit d'une importante exception en décidant qu'il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une UES, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES.
Résumé

Si les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES. La cour d'appel qui a constaté que les projets de licenciements économiques soumis au comité d'entreprise de l'UES avaient été décidés au niveau de "la direction commune" aux sociétés composant l'unité économique et sociale, en a exactement déduit que les conditions imposant l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi devait être vérifiées dans l'ensemble de l'UES.

Observations

I - Le périmètre d'appréciation des conditions de mise en place d'un PSE

Le principe

En application de l'article L. 1233-61 du Code du travail (N° Lexbase : L1236H9N), l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi n'est obligatoire qu'à la double condition que l'"entreprise" compte au moins cinquante salariés et que le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours.

Ainsi qu'il est formulé, le texte précité fait naître des incertitudes quant au périmètre d'appréciation des conditions d'effectifs et de nombre de licenciements, dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi. On est, évidemment, tenté de considérer, qu'est, en réalité, visée la personne morale employeur, qu'il s'agisse d'une société ou d'une association notamment (1). Mais l'incertitude n'est pas là. Elle naît lorsque le projet de licenciements pour motif économique intéresse une UES (2).

Dans la mesure où il est classiquement enseigné que l'UES vise à reconstituer l'entreprise par-delà les divisions sociétaires, il paraît possible d'affirmer que la double condition évoquée précédemment doit être appréciée au niveau de l'unité économique et sociale (i.e. de l'entreprise) tout entière et non au niveau des sociétés qui la composent.

On sait, toutefois, que ce n'est pas la solution retenue par la Cour de cassation. Ainsi qu'elle l'a affirmée de manière expresse dans un arrêt en date du 28 janvier 2009, "l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi pesant sur l'employeur, c'est au niveau de l'entreprise qu'il dirige que doivent être vérifiées les conditions d'effectif et de nombre des licenciements imposant l'établissement et la mise en oeuvre d'un tel plan" (3). Cette solution doit, certainement, être approuvée. Dire que l'UES est une entreprise est une chose, vouloir lui imputer des obligations en est une autre. Parce que l'entreprise n'est pas personnifiée, on ne saurait mettre à sa charge une quelconque obligation. Il paraît, dès lors, logique que l'appréciation des conditions d'effectifs et de nombre de licenciements soit bornée par la personne morale employeur et elle seule. A notre sens, cette solution s'explique surtout par le principe de l'autonomie des personnes morales qui composent l'UES.

L'arrêt sous examen révèle, toutefois, qu'il est au moins une exception à cette solution de principe (4).

L'exception

Etaient en cause, en l'espèce, sept salariés de la société Stéphane Kellian, placée en redressement judiciaire en novembre 2002. Dans le cadre d'un plan de cession, l'activité de celle-ci avait été reprise en janvier 2003 par la société Smalto Holding, à laquelle s'est substituée la société Kemos. Cette activité s'était alors poursuivie dans le cadre d'une UES composée de dix sociétés filiales, le contrat de travail des salariés précités étant transféré à la société Stéphane Kellian commercial, devenue L. Commercial.

En novembre 2006, le comité d'entreprise de l'UES avait été consulté sur un premier projet de licenciement collectif concernant la suppression de l'ensemble des 91 emplois répartis dans les différentes entités de l'UES. Cette procédure avait, toutefois, été, ensuite, abandonnée. Une nouvelle consultation du comité était intervenue le 9 juillet 2007 sur un nouveau projet de licenciements économiques concernant huit salariés de la société L. Commercial. Enfin, en novembre 2007, un troisième projet de licenciement avait été soumis au comité d'entreprise de l'UES concernant les douze salariés restants de la société L. Commercial, lesquels avaient, finalement, été licenciés en février 2008.

Plusieurs de ces salariés avaient alors saisi la juridiction prud'homale de demandes en nullité de leur licenciement pour absence de plan de sauvegarde de l'emploi et en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société L. Commercial reprochait aux arrêts attaqués d'avoir déclaré nuls les licenciements de ces salariés concernés. A l'appui de son pourvoi, la demanderesse soutenait, notamment, que l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi pesant sur l'employeur, c'est au niveau de l'entreprise qu'il dirige que doit être vérifiée la satisfaction aux critères d'effectif et de nombre de licenciements qui conditionne l'existence et la mise en oeuvre de ladite obligation.

On aura reconnu dans cette argumentation la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 28 janvier 2009. Sans pour autant procéder à un quelconque revirement de jurisprudence, la Chambre sociale décide, cependant, d'écarter ces arguments en l'espèce, introduisant une exception à la solution de principe invoquée.

Après avoir rappelé que les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, la Cour de cassation affirme qu'"il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES" et "que la cour d'appel, qui a constaté que les projets de licenciements économiques, soumis au comité d'entreprise de l'UES, avaient été décidés au niveau de la direction commune' aux sociétés composant l'unité économique et sociale, en a exactement déduit que les conditions imposant l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi devaient être vérifiées dans l'ensemble de l'UES".

Cette solution paraît devoir être approuvée. Dès lors que le projet de licenciement n'est pas limité à une société appartenant à l'UES, il n'y a plus de raisons de borner l'appréciation des conditions d'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi à cette seule entité juridique. En arrêtant un tel projet au niveau central ou, pour reprendre les termes de l'arrêt, "de la direction commune", l'"employeur" signifie au fond qu'il entend écarter le principe de l'autonomie des personnes morales ou, à tout le moins, élargir le champ d'appréciation des conditions d'effectifs et de nombre de licenciements. Il doit, dès lors, en subir toutes les conséquences.

Il est à remarquer que cette hypothèse ne doit pas être confondue avec celle dans laquelle des projets de licenciements pour motif économique concerneraient simultanément plusieurs sociétés de l'UES. Ce qui importe, c'est de déterminer à quel niveau la décision a été prise. Si elle est arrêtée dans chacune des sociétés, les conditions précitées doivent être appréciées au niveau de chaque société ; le principe de l'autonomie des personnes morales retrouvant ici toute sa portée.

II - Les implications de la solution retenue par la Cour de cassation

L'employeur, seul débiteur d'obligations à l'égard des salariés

On se souvient que, dans une importante décision rendue le 13 janvier 2010, la Cour de cassation a affirmé que "l'obligation de reclasser les salariés dont le licenciement est envisagé et d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi répondant aux moyens du groupe n'incombe qu'à l'employeur ; il en résulte qu'une société relevant du même groupe que l'employeur n'est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de ce dernier d'une obligation de reclassement et qu'elle ne répond pas, à leur égard, des conséquences d'une insuffisance des mesures de reclassement prévues dans un plan de sauvegarde de l'emploi" (5).

Cette solution procède de l'idée que les salariés n'ont qu'un seul débiteur d'obligations, à savoir leur employeur. Toutefois, en se référant à "cette seule qualité", la Cour de cassation a expressément réservé la possibilité d'élargir le cercle des débiteurs d'obligations. On pouvait penser qu'étaient principalement visés les co-employeurs (6). L'arrêt sous examen laisse à penser qu'il est, peut-être, une autre hypothèse.

La multiplication des débiteurs d'obligations

Rappelons qu'en l'espèce, la décision de licencier avait été prise par la "direction commune" aux sociétés composant l'UES. On admettra que la référence à cette "direction commune" est pour le moins obscure et ne permet pas de déterminer ce qui est en réalité visé : une personne physique ? Une personne morale ? Il est, toutefois, possible de penser qu'est en réalité visée la "société pilote" de l'UES, c'est-à-dire celle dans laquelle se concentre le pouvoir de direction exercé sur les sociétés composant l'unité.

Si tel est bien le cas, il convient de se demander si les obligations d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi et de reclassement ne doivent pas être imputées à cette "société pilote", alors même qu'elle n'est pas l'employeur nominal des salariés. Il semble qu'il doive en aller ainsi. On comprendrait, en effet, mal que la "société pilote" décide des licenciements, tout en s'affranchissant des obligations qui en découlent. Il reste alors à savoir si cela est la conséquence du seul fait que la "société pilote" a décidé du licenciement ou si cette décision permet de caractériser une situation de co-emploi.


(1) Cette hypothèse fait, elle-même, naître des interrogations lorsque l'entité en cause est divisée en établissements distincts. Les conditions précitées doivent-elles être appréciées au niveau de l'entreprise ou de l'établissement ? Dans un arrêt en date du 16 janvier 2008, la Cour de cassation a jugé que "c'est au niveau de l'entreprise ou de l'établissement concerné par les mesures de licenciement économique envisagées, au moment où la procédure de licenciement collectif est engagée que s'apprécient les conditions déterminant la consultation des instances représentatives du personnel et l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi" (Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 06-46.313, FS-P+B N° Lexbase : A7768D34). Cette solution peut être discutée, dans la mesure où l'article L. 1233-61 vise l'entreprise et non l'établissement.
(2) Et dans une moindre mesure un groupe de sociétés.
(3) Cass. soc., 28 janvier 2009, n° 07-45.481 (N° Lexbase : A9600ECK) ; Dr. ouvrier, 2009, p. 313 et la chron. de P. Darvez-Bornoz, Notions d'unité économique et sociale et de comité d'entreprise-employeurs, p. 309.
(4) Il en est, sans doute, une autre, lorsque peut être caractérisée l'existence de co-employeurs (v. en ce sens l'arrêt préc. du 28 janvier 2009).
(5) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-15.776, FS-P+B (N° Lexbase : A2943EQ3).
(6) V. notre art. Les co-employeurs, in Les concepts émergents en droit des affaires, ss la direc. d'E. Le Dolley, LGDJ, 2010, p. 43.

Décision

Cass. soc., 16 novembre 2010, (jonction) n° 09-69.485 à n° 09-69.489, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5880GKY)

Rejet, CA Grenoble, ch. soc., 1er juillet 2009

Texte concerné : C. trav., art. L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N)

Mots-clés : licenciements pour motif économique, plan de sauvegarde de l'emploi, conditions de mise en oeuvre, unité économique et sociale.

Liens base : (N° Lexbase : E9317ESU)

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