Réf. : Cass. soc., 29 mai 2002, n° 00-40.996, N° Lexbase : A7906AYH
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par Sonia Koleck-Desautel, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
La cour d'appel de Toulouse juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Selon elle, en effet, l'employeur avait abusé de son pouvoir de direction en le détournant de sa finalité, le changement d'affectation de la salariée constituant selon elle une sanction disciplinaire déguisée (les juges du fond relèvent en effet que la mutation de la salariée était motivée par sa lenteur et sa dissipation). Le caractère abusif du changement des conditions de travail avait eu pour effet de rendre le licenciement prononcé pour insuffisance de résultats sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'employeur. Rappelant la définition de la sanction disciplinaire prévue à l'article L. 122-40 du Code du travail ([lxb=L5578ACL] ; selon ce texte, "constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ") et s'appuyant sur les constatations de la cour d'appel, elle en tire la conséquence que la mutation de la salariée à un autre emploi constituait une sanction disciplinaire.
Elle poursuit en énonçant que "l'employeur a, en vertu de l'article L. 932-2 du Code du travail ([lxb=L6946ACA]), l'obligation d'assurer l'adaptation de ses employés à l'évolution de leurs emplois". Or, la cour d'appel ayant relevé que "l'employeur avait sciemment maintenu la salariée à un poste qu'elle était incapable de tenir, a caractérisé un abus de droit". Par conséquent, "l'insuffisance de résultats de l'intéressée dans l'accomplissement de ses nouvelles fonctions ne pouvait constituer une cause sérieuse de licenciement".
Depuis peu, la Cour de cassation considère que les objectifs peuvent être définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction (Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-42.371, [lxb=A7799AHC] ; Cass. soc., 22 mai 2001, n° 99-41.838, [lxb=A5360AGM]). Mais le seul fait que le salarié n'ait pas atteint les objectifs (fixés soit au contrat, soit de manière unilatérale) ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 23 janvier 2002, n° 99-44.154, [lxb=A8174AXZ]). Pour que l'insuffisance de résultats reprochée au salarié puisse éventuellement fonder son licenciement, les objectifs prescrits au salarié doivent être réalistes (c'est-à-dire réalisables, compatibles avec le marché), et le salarié doit être en faute de ne pas les avoir atteints (arrêts précités) ; le licenciement ne sera justifié que si l'insuffisance professionnelle ou la faute du salarié est démontrée (Cass. soc., 12 février 2002, n° 99-42.878, [lxb=A9888AXI]). L'insuffisance de résultats reprochée au salarié doit ressortir de sa faute exclusive.
Par conséquent, l'insuffisance de résultats ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu'elle est la conséquence, par exemple, de circonstances économiques défavorables (Cass. soc., 7 juillet 1993, n° 89-44.177) ou d'une décision concernant la gestion de l'entreprise (Cass. soc., 12 mars 1992, n° 91-41.400, [lxb=A8512AGD]).
En imposant aux juges du fond d'apprécier au préalable le réalisme des objectifs fixés lorsqu'un salarié est licencié parce qu'il n'a pas atteint ces objectifs, la Cour de cassation exige ainsi de l'employeur une certaine bonne foi dans la fixation des objectifs et, partant, dans l'exécution du contrat de travail. Cette notion a été intégrée à l'article L. 120-4 du Code du travail ([lxb=L0571az8], issu de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002) qui dispose que "le contrat de travail est exécuté de bonne foi". A cet égard, l'employeur doit mettre à la disposition du salarié les moyens matériels adéquats pour atteindre les objectifs ; notamment, en vertu de l'article L. 932-2 du Code du travail ([lxb=L6946ACA]) expressément visé par l'arrêt commenté, l'employeur doit assurer l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leur emploi. Autrement dit, lorsqu'un salarié est affecté à un poste qu'il est incapable d'occuper, l'employeur doit le former à ce nouvel emploi ; il doit lui donner les moyens de s'adapter et ainsi de pouvoir atteindre les objectifs demandés. A défaut, l'employeur commet une faute qui, en quelque sorte, excuse la non-réalisation des objectifs par le salarié. Ce dernier ne peut donc être licencié car, dans une telle hypothèse, le salarié n'est pas en faute de ne pas avoir atteint les objectifs.
Dans l'affaire commentée, l'employeur avait abusé de son pouvoir de direction, d'une part parce qu'il l'avait mis en oeuvre hors de sa finalité (il n'avait pas muté la salariée dans l'intérêt de l'entreprise, mais dans le but de la sanctionner), d'autre part parce qu'il n'avait pas rempli son devoir d'adaptation. Le licenciement de la salariée pour insuffisance de résultats a donc été jugé sans cause réelle et sérieuse ; il ne pouvait en être autrement.
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
Le 07 Octobre 2010
Voilà cependant que la question, qui paraissait entendue, semble rebondir, sous l'impulsion de la jurisprudence pour se poser en ces termes : la lésion n'est-elle pas en train d'être consacrée à travers la théorie des vices du consentement ?
Depuis en effet que, par un arrêt de sa première chambre civile en date du 30 mai 2000, la Cour de cassation, en énonçant que "la (convention) - en l'occurrence ici une transaction - peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion" (Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000 N° Lexbase : A3653AUT, Dalloz 2000, jur., p. 879, note J.-P. Chazal, Dalloz 2001, som., p. 1140, obs. D. Mazeaud, JCP éd. G 2001, II, n° 10461, note G. Loiseau), on peut légitimement s'interroger d'autant que, fidèle à ce qui a toujours été sa position, elle se refuse à assimiler le seul état de dépendance économique à la violence (voir déjà Cass. com., 20 mai 1980 N° Lexbase : A3405AG9 ; Cass. com., 21 février 1995 N° Lexbase : A8241ABT, RTD civ. 1996, p. 391, obs. J. Mestre) pour exiger la démonstration d'une exploitation abusive par l'un des contractants de la situation de faiblesse dans laquelle les circonstances ou l'inégalité des forces ont placé l'autre. C'est en effet le sens d'un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 avril 2002 énonçant, au visa de l'article 1112 du Code civil, que "seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement".
Or, quoi qu'on en dise, cette sanction d'un déséquilibre contractuel trouvant sa source dans une contrainte fait indiscutablement penser à la lésion rattachée à la théorie des vices du consentement. C'est dire que la jurisprudence, en faisant sortir la violence économique de son "ghetto juridique" (en ce sens, voir G. Loiseau, note sous Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000, précité), invite à un rapprochement avec les solutions retenues par le Code civil allemand (BGB, art. 138) ou suisse des obligations (art. 28) qui admettent de façon générale la rescision pour lésion en cas de disproportion évidente entre les prestations, si elle a été déterminée par l'exploitation de la gêne, de la légèreté ou de l'inexpérience de la partie lésée par l'autre. Reste à savoir s'il n'aurait pas été plus simple de revenir ouvertement sur l'interdiction de principe en droit français de sanctionner la lésion par et pour elle-même plutôt que de faire un détour par la théorie des vices du consentement... C'est un autre débat.
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